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vendredi, 12 juin 2015

Le cloître à l'époque romane

   Tel était le titre de la conférence prononcée par Quitterie Cazes, le 22 mai dernier, à Conques. C'est une universitaire toulousaine. En théorie, c'est un gage de qualité, mais, parfois, le résultat est soporifique. Il faut rendre hommage au flair des organisateurs des cycles de conférences conquoises : leurs choix sont en général excellents, pour ce que j'ai pu en juger.

   Ainsi, ces dernières années, les "auditeurs" ont eu droit à la venue de Serge Klarsfeld (qui vient de publier, avec son épouse Beate, de passionnants mémoires), à une étude sur le noir au Moyen Age, à une évocation de la polychromie du tympan de l'église abbatiale ainsi qu'à la mise en lumière du rôle de Bernard d'Angers, voyageur médiéval passé par Conques et auteur d'un Livre des miracles qui fit date.

   Quitterie Cazes a commencé par rappeler qu'il ne reste pratiquement rien du cloître de Conques. Le site a beaucoup souffert à deux époques : pendant les Guerres de religion et sous la Révolution. En 1836, le cloître est détruit. Il n'a jamais été complètement restauré, malgré les travaux engagés sous l'impulsion de Prosper Mérimée, impressionné lors de sa visite des lieux en 1837. Voici ce qu'il en reste aujourd'hui :

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   A titre de comparaison, la conférencière a cité le cas d'un autre cloître roman, transporté de France aux Bahamas (sur Paradise Island) pierre par pierre, à l'initiative du milliardaire Huntington Hartford II.

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   Après cette pittoresque mise en bouche, on est passé au lourd, à savoir ce que les recherches archéologiques nous apprennent sur l'origine des cloîtres. Il semblerait que la structure soit une transformation de portiques en atriums (les cours intérieures qui précédaient l'entrée des villas gallo-romaines). L'un des plus anciens a été retrouvé à Genève. Il daterait du IVe ou du Ve siècle.

   A Rouen, l'atrium (mot qui a aussi donné "aître", désignant un cimetière) a été détruit à l'époque carolingienne. A Autun (en Bourgogne), le cloître du IXe siècle a été reconstruit aux XIe, XIIe et XVe siècles ! A Saint-Gall, on en a trace vers 830, grâce à un fabuleux plan manuscrit  (l'ensemble étant constitué de cinq feuilles cousues) :

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(L'emplacement du cloître est entouré en noir.)

   L'importance du lieu est soulignée dès le concile d'Aix-la-Chapelle (en 816-817) et par l'une des grandes figures de la chrétienté de l'époque : Benoît d'Aniane. Le cloître est perçu comme l'image de la communauté. On remarque qu'il peut se trouver de n'importe quel côté du monastère. C'est d'abord la topographie des lieux qui explique son emplacement... à tel point que les évolutions ultérieures peuvent menacer son existence. Il en fut ainsi pour le célèbre cloître de Moissac (dans l'actuel Tarn-et-Garonne) qui, sous le Second Empire, faillit disparaître lors de la construction du chemin de fer. Finalement, seul le réfectoire fut détruit... mais cela n'est pas passé loin !

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   Sur l'image ci-dessus (issue du site de l'office de tourisme local), la même que celle qui nous fut projetée, j'ai matérialisé la présence des rails par des traits rouges. Voici une autre vue, tirée de Géoportail :

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   Traditionnellement, comme le cloître met en relation les différents bâtiments du monastère, les moines souhaitent limiter l'accès dont bénéficient les laïcs (ce à quoi s'est opposé l'abbé de Cluny Pierre le Vénérable).

   Les activités quotidiennes y sont très variées. On y pratique un brin de toilette, on y fait le ménage, on y lit... on y mène même des transactions économiques ! On peut aussi se plonger dans la contemplation de certains chapiteaux, le site de Moissac présentant le plus ancien cloître historié (datant de 1100 environ). Sur l'un d'entre eux, il est question du sacrifice d'Abraham. Sur un autre est évoquée la toute récente prise de Jérusalem par les croisés (en 1099) :

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   Juste à côté, ô surprise, le chapiteau au décor végétal est surmonté d'une inscription en écriture coufique, qui ne signifie rien, d'après l'universitaire : elle a été placée ici à titre illustratif... et sans doute volontairement au voisinage du chapiteau évoquant Jérusalem et la domination musulmane.

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  Une autre curiosité s'offre aux visiteurs perspicaces. Un chapiteau aurait contenu des reliques de saint Pierre et/ou de saint Paul, là où se trouve aujourd'hui une étrange cavité :

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   (N'oublions pas que l'abbaye porte le nom du premier évêque de Rome.)

   Ailleurs en Europe, d'autres chapiteaux réservent des surprises, comme l'un des quarante du cloître de Saint-Ours dans le Val-d'Aoste :

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   Schéma de coupe à l'appui, Quitterie Cazes a expliqué comment, à partir d'une cavité aménagée dans la colonne, il était possible de faire sortir de l'eau par la petite ouverture entourée ci-dessus, la scène évoquant le miracle de la source de Busseyaz.

   Mais revenons à Moissac, le péché mignon de notre conférencière. Son cloître est aussi perçu comme une préfiguration du Paradis, dédié à la contemplation, avec son jardin d'Eden. C'est à ce point que des moines se sont fait enterrer sous les galeries, des laïcs ayant pu eux bénéficier de caveaux encore visibles aujourd'hui.

   Plusieurs abbés ont marqué l'histoire du monastère, notamment le clunisien Durand de Bredons et son successeur Ansquitil (qui lança la construction du cloître). Digne prédécesseur des politiques cumulards d'aujourd'hui, Durand ajouta l'évêché de Toulouse à son abbatiat moissagais.

   A son époque, les chapiteaux sont conçus pour répandre la réforme grégorienne. Mais, à partir de 1180, les chapiteaux sont  créés pour donner un récit en épisodes, ou alors ils sont couverts de motifs floraux, voire zoomorphes, qui prennent le dessus alors que l'ordre cistercien prend de l'ampleur.

   La toute fin du XIIe siècle connaît l'essor des "chapiteaux remarquables", avec le retour des sculptures humaines (notamment celles des évangélistes, du Christ et des apôtres). En France, on en trouve de bons exemples à Arles et à Saint-Bertrand-de-Comminges. En Sicile, le monastère de Monreale se distingue par son cloître, où l'on reconnait les influences islamiques et byzantines :

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   Les chapiteaux glorifient le souverain (d'origine normande) Guillaume II, tandis que les colonnes sont ornées de mosaïques, élaborées à partir de céramique.

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   Plus à l'ouest, dans la péninsule ibérique, à Tarragone, reconquise en 1118 après 400 ans de domination arabo-berbère, l'une des tâches prioritaires fut de reconstruire l'église. les chapiteaux et autres détails sculptés ont été copiés sur des bâtiments toulousains.

   La fin de l'époque romane voit se renforcer l'idée de l'enfermement des moines dans le cloître, exprimée jusque dans un bâtiment, à Rome. C'est une vision positive pour les membres du clergé. Se profile derrière la classification de la population en trois ordres.