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jeudi, 18 juin 2015

République exemplaire à Montauban ?

   On peut dire que cela n'a pas tardé. Alors que, le 30 mai dernier, Nicolas Sarkozy célébrait la (re)naissance du parti gaulliste "Les Républicains", dès le 17 juin, La Dépêche du Midi s'est précipitée pour annoncer la mise en examen d'une élue "LR", à savoir Brigitte Barèges, maire de Montauban. Le lendemain, le 18, un nouvel article détaille ce qui est reproché à Mme Barèges et quelques autres personnes... dont le directeur du Petit Journal (pas celui de Canal +, hein !).

   Très vite, quelques mauvais esprits ont fait remarquer que la diligence de La Dépêche dans cette affaire n'est pas anodine. Le quotidien toulousain appartient au Groupe La Dépêche, dirigé par Jean-Michel Baylet, par ailleurs président du PRG et conseiller départemental de Valence, dans le Tarn-et-Garonne, dont il a échoué à conserver la présidence en 2015. Une intense rivalité oppose le radical-socialiste à la maire de Montauban, soutenue par Le Petit Journal local, dont le rythme de parution est plus élevé que dans les autres départements. Dans le "huit-deux", Alain Paga mène un combat plus personnel, à la fois contre l'omnipotence de La Dépêche du Midi et contre l'action politique de J-M Baylet. Tout cela pourrait se dérouler dans les règles. Il n'est pas besoin de lire très longtemps les deux journaux pour comprendre quelles sont leurs inclinations respectives. Mais la justice soupçonne Mme Barèges (et quelques autres personnes) de s'être affranchie de certaines de ces règles.

   La clé est la campagne des élections municipales de 2014. Les précédents scrutins (ceux de 2001 et 2008) avaient été serrés, en particulier celui de 2008, qui n'avait vu la victoire de liste menée par B. Barèges qu'avec moins de 200 voix d'avance (sur près de 27 000 suffrages exprimés). Elle a peut-être jugé que le discrédit dont souffrait (et souffre encore) la gauche n'était pas suffisant pour lui garantir une réélection sans risque. D'où le recours à du publireportage, non présenté comme tel aux lecteurs. Ces petits arrangements seraient peut-être restés inconnus du public si la maire ne s'était fâchée avec son conseiller en communication, Jean-Paul Fourment, qui a dévoilé le pot-aux-roses.

   A partir de là, l'affaire a pris deux directions, une pénale (avec ouverture d'une enquête en février 2014, avant donc le premier tour des municipales), une autre administrative, avec la contestation des comptes de campagne de la candidate, finalement facilement réélue.

   C'est la justice administrative qui s'est montrée la plus réactive. Ainsi, dès juillet 2014, les comptes de campagne de la liste Barèges étaient rejetés par la Commission nationale (la CNCCFP). En octobre 2014, le tribunal administratif de Toulouse avait non seulement confirmé cette sanction, mais aussi déclaré Brigitte Barèges inéligible. Celle-ci a fait appel devant le Conseil d'Etat, qui a rendu sa décision... le 6 mai dernier. (On peut en lire un résumé dans le communiqué publié par la juridiction administrative suprême.)

   Le jugement du Conseil d'Etat est balancé. Tout d'abord, il valide celui qui a été rendu par le tribunal administratif de Toulouse. C'est clair et net. La candidate Barèges a contrevenu au code électoral, notamment à l'article L52-1 : "Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite."

   L'article L52-8 a aussi été enfreint : "Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués." (Rappelons que c'est la mairie de Montauban qui a financé la parution d'articles favorables à la candidate Barèges dans Le Petit Journal.)

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   Je signale aux non-initiés que, dans la décision du Conseil d'Etat, la mention "Mme C..." désigne la tête de liste victorieuse aux dernières élections municipales à Montauban, à savoir Mme Barèges.

   Les curieux qui auraient envie de connaître le détail des sommes trouveront la réponse à leur question un peu plus bas, au point 14. Cela représente neuf factures de 2 052,48 euros et une dixième de 1 552,48 euros. Au total, cela nous donne 9 x 2052,48 + 1552,48 = 20 024,80 euros. (Je profite de l'occasion pour souhaiter bon courage aux candidats qui passent le baccalauréat cette année !)

   Ajoutons que le Conseil d'Etat a aussi rejeté la demande d'une question prioritaire de constitutionnalité : Mme Barèges -ou du moins son avocat- prétendait que la manière dont le code électoral avait été appliqué portait atteinte à ses droits fondamentaux. (Je pense que, dans la marge du papier portant cette demande, au moins l'un des magistrats a dû avoir envie d'écrire la mention "lol" !) Cela explique aussi que le Conseil d'Etat fasse référence à des décisions du Conseil constitutionnel, notamment une réponse à une QPC, de 2011, qui portait sur un sujet très proche.

   Les juges administratifs ont toutefois donné raison à Mme Barèges sur un point : l'inéligibilité de la candidate élue. S'appuyant sur l'article L118-3 du Code électoral, le Conseil d'Etat a estimé que la fraude, pour réelle qu'elle soit, n'a pas été d'une "particulière gravité". Quand on lit entre les lignes, on comprend que les magistrats ont voulu dire que la fraude ne suffit pas à expliquer la victoire de la liste Barèges : sans elle, elle l'aurait quand même emporté.

   L'onction du suffrage universel évite à la maire de Montauban une sanction plus sévère... sur le plan administratif. Désormais, c'est sur le plan pénal que l'affaire va se jouer. On notera que le procureur de la République de Toulouse a sagement attendu que ses collègues parisiens se prononcent avant d'engager sérieusement les poursuites, alors que l'enquête a été ouverte plus d'un an auparavant.