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jeudi, 23 juillet 2015

Les mille et une nuits portugaises

   C'est une entreprise un peu folle, un triptyque (de plus de six heures au total) du Portugais Miguel Gomes, remarqué il y a deux ans et demi avec Tabou. Mi-fiction mi-documentaire, cette oeuvre prend pour prétexte les célèbres contes pour traiter du Portugal d'aujourd'hui.

   Le premier film, L'Inquiet, alterne humour et constat de désespoir. On y voit le réalisateur fuir le tournage, poursuivi par un preneur de son, un caméraman et le reste de l'équipe technique. (Aux cinéphiles avertis, cela rappellera une scène de C'est arrivé près de chez vous.) La suite est moins drôle, avec la crise des chantiers navals. Notons que l'intrigue suit parfois des chemins détournés, comme lorsqu'il est question des ravages des guêpes.

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   La venue des envoyés de la Troïka (FMI, BCE et Commission européenne) remet un peu d'ambiance... de manière inattendue : il est question d'érection. Je n'en dirai pas plus... Mais la séquence la plus marquante est sans conteste celle du chant du coq, dans laquelle on aurait tort de voir un simple conflit de voisinage. De là, on passe (façon marabout de ficelle) à une histoire d'amour, sur fond d'incendie et de travail des pompiers.

   La dernière partie est consacrée à ceux qui sont appelés "les merveilleux". Cela commence par trois portraits, ceux d'individus broyés par la crise. Il y a ce cadre licencié, qui s'était dévoué corps et âme à son entreprise, et dont on découvre la chute progressive. Il y a aussi ce couple "à l'ancienne", modeste dans tous les sens du terme. Il y a enfin ce jeune homme, qui a tendance à "péter les plombs". Le fil conducteur est un syndicaliste, tombé malade. Pour contrebalancer cette vision un peu sombre, la scène finale montre un bain collectif roboratif.

   Si j'ai eu quelques difficultés à rentrer dans le premier film, le deuxième volet, intitulé Le Désolé, m'a tout de suite captivé. Trois histoires nous sont contées. On commence avec celle de Simao "sans tripes", un vieux roublard, à moitié délinquant, qui a pris le maquis. Bien que son comportement ne soit pas irréprochable, il bénéficie du soutien d'une partie de la population, qui voit en lui un rebelle, un homme qui ne se plie pas aux diktats des autorités qui ont trahi le peuple. Dans cette histoire (comme dans la suivante, d'ailleurs), le rapport aux femmes est ambigu. A plusieurs reprises, dans le triptyque, on remarque que M. Gomes a mis en scène une société assez patriarcale, sans que cela soit montré de manière négative. (Fort heureusement, le troisième volet va corriger cette impression.)

   La deuxième partie est assez théâtrale. Il y question d'une juge, confrontée a priori à un cas assez simple de conflit entre un propriétaire et ses locataires. De fil en aiguille, on découvre que cette affaire a de multiples implications, chaque "accusé" arguant qu'il/elle avait des raisons valables de mal agir.

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   Ainsi, les locataires (une mère et son fils) ont vendu les meubles du logement (appartenant au propriétaire) pour payer une indemnité due à la belle-fille, qui en avait assez d'être maltraitée par son mari. Le propriétaire lui-même était à la recherche d'argent depuis qu'il s'était fait tuer ses vaches par son voisin. Il a poussé une muette à commanditer un vol de bétail, qui ne s'est pas très bien passé, un des bovidés s'étant échappé. L'animal, bloquant la route, a empêché les secours d'arriver à temps pour sauver la vie d'un enfant, frappé à mort par l'un des frères. Tout cela à cause d'un repas qui n'avait pas été préparé. Dans le même temps, on constate que les femmes, portugaises comme chinoises (celles-ci ayant un lien avec les vaches !), sont souvent traitées comme des objets.

   La dernière partie de ce film tourne autour d'un chien, appelé Dixie, qui va changer de maître à plusieurs reprises. L'histoire se déroule dans un quartier pauvre, dans des immeubles d'habitat bon marché. Il est d'abord question d'une dame âgée, dont le premier chien est mort et qui ne veut plus s'occuper du nouveau. Un couple en détresse sociale va hériter de Dixie, qui va ensuite passer entre les mains d'un duo de jeunes qui tire le diable par la queue. Le chien va poursuivre son existence entre une grand-mère concierge et ses petits-enfants. L'idée est que l'animal apporte un peu de bonheur à des personnes que la vie a abîmées. Mais cela ne suffit pas toujours.

   Ce deuxième volet est moins drôle que le précédent, mais il est plus fort, mieux maîtrisé au niveau du scénario et du montage.

   Le troisième volet, intitulé L'Enchanté, renoue un peu avec l'esprit parfois enjoué du premier, tout en étant moins déprimé. Dans les histoires pointe plus souvent une lueur d'espoir. La première met en scène une Schéhérazade (très jolie) en femme libre. On lui fait rencontrer un magnifique éphèbe, jeune, beau et musclé... mais terriblement bête. Cela donne du piquant à cette intrigue (tournée du côté de Marseille), qui ne m'a pas franchement emballé.

   Lui succède le plat de résistance, autour d'éleveurs de pinsons, dont les chants sont l'objet d'une véritable passion. On découvre le mode de capture des animaux sauvages et la manière de les élever pour en faire des champions des vocalises. L'histoire culmine lors d'un concours, organisé en périphérie d'une grande ville, à proximité d'un aéroport, dans une grande cage aménagée à cette intention.

   On pourrait croire que l'ambiance allait retomber avec la dernière séquence. Pas du tout. "Forêt chaude" est la traduction du nom de l'héroïne, une étudiante chinoise qui va dans un premier temps se perdre dans la ville portugaise, avant de rencontrer son destin. Elle est un peu à l'image de la tonalité que M. Gomes a voulu donner à son entreprise : un fond assez noir (parfois même très noir), mais d'où émergent des raisons d'espérer.

   Tout n'est pas bon dans cet ensemble disparate. Il aurait sans doute fallu procéder à davantage de coupes. Mais c'est un passionnant portrait poétique du Portugal du début du XXIe siècle, dans lequel d'autres pays peuvent se retrouver.