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samedi, 12 novembre 2005

Police et banlieues (3)

      Petit à petit, la situation s’éclaircit, mais il reste des points encore obscurs, dont certains qui auraient besoin d’une enquête journalistique.

      L’âge des électrocutés est connu : 15, 17 et 17 ans. Par contre, les versions sont contradictoires quant au déroulement de la soirée qui a joué le rôle d’étincelle. Les propos du rescapé me paraissent ambigus, du moins dans ce que j’en ai lu. Il semble que les trois revenaient d’une partie de football. Mais la première incertitude réside dans le fait de savoir si un ou plusieurs d’entre eux sont entrés sur le chantier et sur ce qui s’y est éventuellement passé. Quant à la police, aurait-elle dû aller voir sur le site du transformateur ? Les deux personnes arrêtées à proximité ont pu être prises pour les fuyards. A ce sujet, je reste convaincu que cette fuite est étrange. Bon, admettons que les policiers du coin ne soient pas toujours corrects avec les jeunes… mais c’est un peu court. Ils ont sans doute eu peur de passer la nuit en garde à vue : ils ont peut-être eu conscience d’avoir fait une connerie sur le chantier (ou du moins d’être dans leur tort).

      Concernant la grenade, dont les effets ont frappé la mosquée, il apparaît, sur une photographie publiée dans Le Monde (du 10 novembre), qu’elle a éclaté à l’extérieur (on voit les points d’impact). Elle a été vraisemblablement tirée par des C.R.S. : connaissaient-ils ou pas l’existence de cette mosquée ? Ils disent que non. A vérifier.

      Il ne me semble pas avoir lu ni entendu une remarque à propos du fait que les émeutiers sont quasi exclusivement des garçons. Pourquoi ce non-dit ? Cette information permettrait pourtant de mieux comprendre les ressorts psychologiques qui sont à l’œuvre dans ces quartiers : les garçons ne sont pas traités comme les filles. Les parents semblent plus stricts avec celles-ci, peut-être par peur de leur voir arriver quelque chose si elles sortent le soir (ce qui est la preuve qu’ils n’ont pas confiance dans le comportement des mecs du coin). On peut en outre y voir une forme de sexisme. Réfléchissons aussi à leur rapport à l’école. Les filles réussissent mieux. Les garçons sont davantage en situation d’échec, eux qui sont un peu les petits rois à la maison. C’est vexant, humiliant de se prendre des mauvaises notes (voire des remarques des enseignants) devant les autres ; le redoublement, l’orientation subie sont autant de frustrations pour ces garçons. Je ne vois donc rien d’étonnant à l’acharnement mis à incendier des bâtiments scolaires. Ce sont aussi des symboles de l’autorité, très mal vécue par ces garçons petits-rois, qui n’acceptent pas plus le contrôle dans les transports en commun.

      Evitons toutefois de généraliser. Ces émeutiers ne représentent qu’une infime minorité. A Clichy-sous-Bois, par exemple, on en a dénombré au maximum 200… pour 28 000 habitants (moins de 1 % de la population). Une partie de ces 200 venait d’autres communes voire d’autres départements. Mais, bon, soyons méchants. Partons du principe que ces 200 sont de Clichy et qu’il faut comparer à la population susceptible de participer à ces manifestations violentes, je veux parler des " jeunes ". D’après ce que j’ai lu et entendu, les personnes arrêtées sont soit des mineurs, soit des majeurs âgés de 18 à 25 ans. A Clichy (je me base sur les statistiques publiées sur le site internet de cette ville, intéressant au demeurant), la moitié de la population est âgée de moins de 25 ans. Cela nous donne 200 émeutiers sur 14 000, même pas 1,5 %. Et là, j’entends dire que les bébés et autres couches-culottes ne sont pas concernés. Alors, enlevons les minots : 4 000 ? (Pas trop, parce qu’il y a eu un paquet de 10-15 ans parmi les traînards.) Restent 10 000. 200 sur 10 000. 9 800 jeunes de moins de 25 ans n’ont pas participé aux incendies et autres caillassages, soit 98 % ! Ce sont ces personnes (jeunes et adultes non caillasseurs) qui se sont senties insultées par les propos de Nicolas Sarkozy. Monsieur le ministre de l’Intérieur devrait savoir qu’en tenant ce genre de discours (où il est question de passer ces quartiers " au kärcher ", de les débarrasser de la " racaille "), il solidarise les habitants des banlieues contre sa personne, phénomène assez valorisant pour son ego (et son traitement médiatique) certes, mais contre-productif si l’objectif est de ramener l’ordre. Il faut au contraire couper la (majorité de la) population des délinquants qui vivent au milieu d’elle.

      Je n’ai pas non plus beaucoup entendu parler des propriétaires des voitures incendiées, au début en tout cas. Ensuite, les journalistes ont fini par s’apercevoir ben que ces voitures appartenaient en très grande majorité à des habitants du coin, de toutes origines et de conditions sociales modestes. Ce sont eux les premières victimes, victimes à la fois de l’abandon dans lequel sont laissés ces quartiers, des incendiaires et des petits caïds (trafiquants en tous genres) qui tentent d’imposer leur " loi ". Là, un reportage du Monde m’a un peu agacé. Dans l’édition du 8 novembre, on a droit à un portrait de ces " jeunes " qui frise la complaisance. (Heureusement que des filles sont interrogées ensuite.) Le pire dans l’article est le moment où un aide cuisinier est questionné devant ceux-là mêmes qui ont incendié sa voiture ! Même si la haine des flics joue un rôle fédérateur (voir la photo du véhicule de police), je pense que si cette personne avait été interrogée à part, de manière anonyme, peut-être que l’article aurait gagné en profondeur d’analyse… Et que dire de la photographie qui l’illustre ! Si ce n’est pas du cirque !

      Je ne veux pas trop jeter la pierre au Monde, qui couvre bien ces événements, je trouve. Exemple : dans l’édition des 6-7 novembre, il est fait mention du nombre de voitures brûlées durant les dix premiers mois de l’année : 28 000… oui, 28 000 ! Aujourd’hui, on a dû dépasser les 32 000… Revenons sur ces 28 000. Cela veut dire 2 800 par mois en moyenne. Plus de 90 par jour ! C’est énorme. Cela veut dire que, même si les récents événements sortent de l’ordinaire, ce n’est que le point d’orgue d’un phénomène qui, Sarkozy ou pas, ravage ces quartiers. Je n’étais pas au courant de l’ampleur de ces destructions alors qu’elles touchent vraiment beaucoup de personnes ! Cela me fait penser que les politiques n’ont pas mesuré l’ampleur de la tâche (ou bien ils s’arrangent pour que ce soit supportable pour la majorité qui vote, qui vit ailleurs, ainsi que l’affirme un des articles de presse étrangère de l’excellent dossier publié par Courrier international).

      Retour sur la police, pour terminer. Je trouve très bien (et on ne peut plus normal) que ceux qui se comportent mal soient sanctionnés, et vite. J’espère que ce n’est pas juste un (contre) feu de paille, et que cela continuera une fois que tout se sera calmé (si cela se calme vraiment un jour). Cependant, je ne partage pas le point de vue de ceux qui exigent la démission de Sarkozy. Certes, il a commis des erreurs, mais il n’est pas responsable du bordel (juste un peu, quand même). Il n’est pas là pour se rendre populaire auprès des délinquants. De plus, il est bon, je trouve, que l’on ait un peu peur de la police, du moins si l’on a quelque chose à se reprocher. La police doit avoir un comportement suffisamment correct pour que le citoyen lambda (blanc, noir, gris, jaune, vert…) lui fasse confiance, mais elle ne doit pas être faible. Je me demande si les forces de l’ordre n’ont pas reçu des consignes pour éviter tout risque de bavure. (Oui, je crois, je viens de jeter un coup d'oeil aux hebdos.) Cela expliquerait la lenteur avec laquelle la situation se rétablit. A moins que… l’a-t-on laissé sciemment pourrir ?

17:40 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)

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