lundi, 20 février 2023
Tel Aviv - Beyrouth
Deux femmes sont dans la même voiture (une Volkswagen antédiluvienne), quelque part au Proche-Orient, en route pour on ne sait où. L'une des deux est israélienne, habitant Tel Aviv. L'autre est libanaise, d'une famille originaire de Beyrouth. La scène se déroule en 2006, mais la suite du film va nous projeter successivement en 1984 puis 2000, avant de revenir au "présent" (de 2006). Ces retours en arrière vont nous permettre de comprendre ce qui lie ces deux femmes et pourquoi elles se sont associées dans ce périple automobile.
De la réalisatrice Michale Boganim, j'avais bien aimé La Terre outragée. C'était profond et subtil, déjà sur un sujet sensible (la catastrophe de Tchernobyl). Mais là... quelle déception ! Si on laisse de côté la séquence automobile initiale (plutôt bien foutue), la première partie du film est une catastrophe. C'est mal joué, mal écrit, mal dirigé et farci d'invraisemblances. Je vous en cite deux, parmi d'autres. En 1984, une petite fille libanaise suit un groupe de soldats israéliens qui distribue des bonbons à la sortie de l'école... elle va jusqu'à les pister jusqu'au lieu d'une intervention, où sa vie est en danger. Et voilà que débarque un milicien chrétien (maronite), allié des Israéliens... qui n'est autre que le père de la petite ! Plus tard, il est question d'un chat, trouvé par la gamine dans les ruines d'une maison. La famille l'adopte. On le retrouve en l'an 2000, ce qui n'est pas invraisemblable (j'ai possédé un félin qui a vécu plus de vingt ans.)... à ceci près qu'en seize ans, l'animal n'a pas du tout changé !
C'est vraiment dommage parce que l'intrigue avait de l'intérêt. La réalisatrice semble avoir voulu montrer que le conflit proche-oriental fracasse les familles de chaque côté de la frontière, sans distinction entre les supposés vainqueurs et les supposés vaincus. Mais Dieu que tout cela est maladroit !
J'ai eu aussi de la peine pour les acteurs. Ils ont souvent dû jongler entre plusieurs langues (hébreu, arabe, anglais et français), ce qui, là encore, n'est pas invraisemblable sur le fond. Mais la manière dont c'est mis en scène rend tout cela très artificiel, en particulier dans la famille libanaise chrétienne. Je suis conscient qu'il était jadis courant dans la classe moyenne de ce pays d'apprendre la langue de Molière, mais, à l'écran, il y a un trop grand écart de maîtrise entre la mère d'une part (Sofia Essaïdi, qui n'est visiblement pas habituée à étendre du linge sur une corde), son mari et ses filles d'autre part. C'est moins flagrant (et plus justifié par le contexte) au niveau de la famille israélienne, la mère étant d'origine française. (Elle est interprétée par Sarah Adler, vue notamment dans Foxtrot.)
Le film prend enfin son envol quand on retrouve les deux femmes en 2006, en expédition quelque part dans le nord d'Israël, en pleine période de tensions. Cela devient plus intéressant, mais, hélas, la réalisatrice retombe ensuite dans ses travers. La fin est très prévisible, avec l'accent mis sur la symétrie de destins de deux personnages masculins. Décidément, les bons sentiments ne suffisent pas à faire un bon film.
P.S.
En effectuant quelques recherches (après avoir vu le film), j'ai eu la confirmation d'une approximation supplémentaire, qui survient dès le début de l'histoire. Dans leur périple automobile, les deux femmes suivraient le tracé d'une ancienne voie ferrée, qui reliait jadis Tel Aviv à Beyrouth, "avant la guerre"... C'est beau sur le plan symbolique... mais c'est selon complètement bidon sur le plan historique.
La carte ci-dessus (que j'ai légèrement modifiée) est extraite d'une étude sur les chemins de fer au Proche-Orient au début du XXe siècle.
En bleu, j'ai matérialisé les lieux où se déroule l'action, dans le film : Jaffa-Tel Aviv (celle-ci pas encore très développée à l'époque de la carte) et Beyrouth encadrées, deux étoiles marquant le Sud-Liban (occupé dans les années 1980-1990 par Israël) et la ville côtière (israélienne) de Nahariya, où des familles de miliciens chrétiens ont pu se réfugier, quand Tsahal a quitté le Liban.
Les traits rouges de différentes formes signalent les voies ferrées, d'écartement différent. Il n'y a pas d'axe Tel Aviv - Beyrouth. Pour se rendre d'une ville à l'autre, il faut changer plusieurs fois de train et traverser différents territoires, le Liban étant entre 1920 et 1943 un mandat français, La Transjordanie et la Palestine des mandats britanniques.
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samedi, 18 février 2023
Dounia et la princesse d'Alep
Dounia est une petite fille syrienne. La princesse qui la protège est un mélange de fée et des souvenirs de sa mère. S'inspirant du vécu de plusieurs familles de migrants, la réalisatrice Marya Zarif a écrit cette fiction qui débute dans une Syrie en paix, avant la guerre civile.
A celles et ceux qui connaissent la suite, cette introduction apparaîtra comme un paradis perdu, dans une ville où les communautés cohabitaient harmonieusement. (Il y a un quartier chrétien, où réside une amie de la famille de Dounia.) On prend toutefois soin de préciser qu'il fallait faire attention à ce qu'on disait, puisque "les murs ont des oreilles". La dictature de Bachar el-Assad finit par frapper la famille, mais le pire arrive avec la guerre. Une partie des habitants de la ville décide d'émigrer.
La deuxième partie montre cette migration, qui passe par la Turquie, la Grèce et l'Europe centrale. Destination : l'Allemagne, la Suède... ou un autre pays, que l'on ne découvre qu'à la fin de l'histoire.
La singularité de ce film-ci tient dans les interventions miraculeuses, qui permettent aux migrants de surmonter certains obstacles. De mystérieuses graines jouent un rôle décisif, tout comme la fameuse princesse... ainsi qu'une ancienne divinité mésopotamienne. On a visiblement placé l'intrigue sous l'égide du multiculturalisme, en évitant de présenter le moindre migrant de manière négative : ils sont tous gentils et bienveillants. Les passeurs sont l'exception. De manière tout à fait justifiée, ils apparaissent (syriens ou turcs) comme des profiteurs, en général peu fiables. (Je me dois toutefois de signaler une incohérence dans l'intervention du second : j'ai d'abord eu l'impression qu'il embarquait sur le canot pneumatique en compagnie des migrants... mais on ne le voit plus ensuite.)
Sur le plan visuel, il n'y a rien d'exceptionnel, mais le style est assez accrocheur, un peu dans le ton des films de Michel Ocelot. Il règne parfois une ambiance digne des Mille et une nuits dans ce film, agrémenté d'une musique orientale entraînante.
J'ai aussi bien aimé les aspects liés à la vie quotidienne des Syriens, notamment tout ce qui a trait à la nourriture, transmis soit par la grand-mère cuisinière, soit par le commerçant fier de son ingrédient secret.
En dépit de quelques facilités, le film est à l'image de son personnage principal : attachant.
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dimanche, 18 décembre 2022
Juste une nuit
Ce que raconte ce film iranien (franco-iranien en fait) est d'une brûlante actualité, puisqu'il décrit les difficultés d'une jeune mère célibataire à Téhéran. La jeune Fereshteh élève seule, dans un petit appartement situé dans un bâtiment HLM, un enfant qu'elle vient d'avoir avec le fils d'un commerçant, curieusement absent. Elle a caché son état à ses parents, des provinciaux conservateurs (surtout le père), qui sont sur le point de débarquer dans la capitale. Le temps d'une nuit, elle doit trouver quelqu'un pour garder son enfant et dissimuler toutes les affaires présentes dans son appartement et qui témoignent de sa maternité.
La première partie montre les tentatives de l'héroïne pour s'appuyer sur son réseau de connaissances. Elle semble avoir trouvé assez vite la personne prête à s'occuper de son bébé pendant la soirée, mais elle doit déployer de considérables efforts pour trouver où cacher ses affaires (au moins trois sacs et trois valises !). C'est l'occasion pour le cinéaste de montrer le statut inférieur des femmes, l'une de ses voisines devant demander l'autorisation de son mari avant d'accepter de garder l'un de ses sacs ne serait-ce qu'une nuit, tandis qu'on apprend qu'en certains endroits, une femme seule avec un enfant sera non seulement mal vue, mais aussi rejetée.
Dans sa quête, Fereshteh rencontre quelques bons samaritains (une avocate impliquée politiquement, sa meilleure amie, étudiante, un conducteur d'ambulance, une habitante de son bloc) mais aussi une brochette d'hypocrites, certains pouvant représenter une menace (une de ses voisines, la compagne d'un ami, sans doute jalouse de sa grossesse réussie, le chef de service d'un hôpital...).
La comédienne, Sadaf Asgari, est très bien. Elle réussit à nous faire sentir les tourments du personnage sans beaucoup s'exprimer. Elle est souvent filmée de près, par une caméra mobile. Notons que la jeune femme n'est pas si sympathique que cela : elle ment à presque tout le monde (l'exception étant sa meilleure amie... et encore) et l'on finit par apprendre qu'elle aurait pu vivre dans d'autres conditions, si elle s'était mieux entendue avec le père de l'enfant.
Compte tenu de mon âge et de mon vécu, je pense avoir un point de vue biaisé sur l'histoire, celle d'une jeune femme, arrivée de province à Téhéran pour y poursuivre ses études, et qui lâche tout à cause d'une histoire d'amour et de sa volonté de garder l'enfant à tout prix. C'est un cauchemar que nombre de parents espèrent ne jamais avoir à vivre. Mais le film mérite d'être vu.
P.S.
Cela n'enlève rien à la force de l'histoire, mais deux éléments entachent un peu la crédibilité du film. Toutes les femmes que l'on y voit sont voilées, dans l'espace public comme dans l'espace privé. Or, par exemple, quand le réalisateur filme une mère seule avec son enfant dans son appartement, il devrait la montrer tête nue, alors que ce n'est jamais le cas. Il a fallu sans doute composer avec la censure islamique...
D'autre part, cette jeune femme, employée dans une imprimerie, semble disposer de revenus assez importants, compte tenu de ce que l'on peut voir à l'écran. Certes, on nous la montre comme débrouillarde, mais entre le logement, le smartphone, les dépenses pour l'enfant et les fréquents déplacements en taxi (visiblement bon marché à Téhéran), on se demande comment elle fait pour s'en sortir. Sans doute faut-il admettre qu'elle reçoit une aide de ses parents, d'où son acharnement à leur cacher sa situation réelle.
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mardi, 01 novembre 2022
La Conspiration du Caire
Cinq ans après l'excellent Le Caire confidentiel, Tarik Saleh revient sur nos écrans avec un nouveau polar "oriental", toujours avec Fares Fares, un acteur au charisme hors du commun qui, pour ce nouveau rôle, a pris un petit coup de vieux... et quelques kilos :
Il incarne le colonel Ibrahim, un gradé de la Sécurité intérieure égyptienne, sans doute le service le plus redouté du pays, tant il semble avoir des antennes partout... et les moyens de faire taire les importuns, sans risque de sanction.
Ce policier est amené à intervenir dans la célèbre université islamique Al-Azhar, l'un des phares de la pensée religieuse musulmane, attachée à son indépendance... mais consciente qu'elle ne peut pas trop déplaire au pouvoir politique.
Une nuit, un meurtre est commis au cœur de l'université. Mais, avant d'en arriver là, on suit les premiers pas d'un nouvel étudiant, Adam, fils d'un modeste pêcheur et fervent croyant, qui a obtenu une bourse pour intégrer l'établissement prestigieux.
Le polar se fait sociologique, montrant les inégalités de richesse, l'urbanisation galopante... et les petites (et grandes) hypocrisies de l'élite religieuse. Celle-ci est sur la sellette, suite au décès du Grand imam de l'université. Trois cheikhs sont en concurrence pour lui succéder. Or, l'homme qui se fait assassiner est le bras droit de l'un des candidats. Hasard ou pas ?
Le héros (excellent Tawfeek Barhom) est à la fois un jeune ingénu et un quasi-Rastignac, qui pourrait profiter de la situation pour nourrir quelques ambitions. Tout va dépendre de l'attitude de la police, qui semble divisée. Entre le chef de la Sécurité, qui veut imposer le candidat qui plaît au président (surtout pas un salafiste) et le colonel qui s'est pris d'affection pour son nouvel informateur, il y a de quoi s'y perdre, d'autant qu'entre ces deux échelons, d'autres personnes interviennent. Il convient donc de se méfier des apparences.
J'ai été pris par cette histoire rocambolesque, guère spectaculaire à l'écran, mais bien filmée. L'université et la vie nocturne du centre du Caire constituent les deux principaux théâtres d'opération, qui inter-réagissent. Soit ce sont des étudiants qui quittent (discrètement) l'université pour la ville, soit ce sont des habitants de celle-ci (policiers, femme de ménage...) qui pénètrent dans le sanctuaire avec, en général, des conséquences à la clé.
Bien qu'étant plus cérébrale que Le Caire confidentiel, La Conspiration est tout aussi palpitante... et pessimiste quant au fonctionnement du régime égyptien.
21:06 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films
vendredi, 15 juillet 2022
Les Nuits de Mashhad
Tourné en farsi, mais en Jordanie (et en Turquie semble-t-il), ce film "iranien" est en réalisé une coproduction franco-germano-suédo-danoise... et le pouvoir en place à Téhéran a fait savoir à quel point cette œuvre lui déplaisait.
De quoi s'agit-il ? D'un polar... iranien, sorti l'été, où il est question de drogue... Cela ne vous rappelle rien ? Bon sang, mais c'est bien sûr ! La Loi de Téhéran, l'un des meilleurs films de 2021. La différence est qu'ici, on n'a pas le point de vue de la police, mais de prostituées, d'une journaliste... et d'un assassin.
Inspirée d'une histoire vraie, l'intrigue croise les regards. On suit d'abord une prostituée, mère de famille, accro à l'opium, très maquillée. On passe ensuite au point de vue du tueur, que l'on ne voit que fugacement. Un indice nous est donné : une bague, portée à l'annulaire gauche (sans doute en signe de piété). Le problème est qu'au moins trois hommes peuvent faire figure de suspect : un artisan-maçon (vétéran de la guerre Iran-Irak), un officier de police (harceleur) et un juge (religieux... et hypocrite). Assez vite, les spectateurs vont savoir qui est le coupable, puisque le mystère autour de son identité n'est pas le propos principal du film. (A plusieurs reprises, on se demande toutefois s'il n'y a pas un second tueur, qui aurait profité de la série de crimes pour y ajouter le sien.)
Le réalisateur s'intéresse au vécu de l'assassin... et à la traque menée par une journaliste intrépide (imprudente, même). Celle-ci est incarnée par Zar Amir Ebrahimi, qui a obtenu le prix d'interprétation à Cannes, cette année. (Il est vrai que la comédienne est formidable.) On a aussi droit à un portrait de société, une partie des habitants de Mashhad/Mechhed (la deuxième ville du pays, abritant des lieux saints de l'islam chiite) se montrant favorable à l'action du tueur, qui débarrasse la ville de "putes indésirables".
Le scénario ménage donc des surprises, mais pas forcément là où on l'attendait. Au niveau de la mise en scène, c'est assez cru, limite putassier parfois. On sent la volonté de montrer des images chocs (notamment dans les scènes de meurtre), sans que cela apporte grand chose à l'intrigue. Sur le fond, ces ajouts ne sont pas neutres. En général, ils sont dégradants pour les victimes. On se demande parfois dans quelle mesure le regard du réalisateur diffère de celui du tueur présumé. Heureusement, le combat de la journaliste vient contrebalancer cet aspect. Mais tout le monde en prend pour son grade. C'est peut-être une manière, pour le metteur en scène, de détourner les attaques le présentant comme un "valet de l'Occident".
Quoi qu'il en soit, c'est un bel ouvrage, d'une force indéniable, à voir en dépit de certains aspects contestables.
P.S.
Récemment, un autre fait divers scabreux (une série de viols) a défrayé la chronique, en Iran.
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mardi, 17 mai 2022
Ma Famille afghane
Ce film d'animation tchèque, réalisé par une femme (Michaela Pavlatova), est adapté d'un roman écrit par une travailleuse humanitaire, tchèque aussi (Petra Prochazkova). L'action se déroule au début du XXIe siècle, dans un Afghanistan (partiellement) contrôlé par les Américains et libéré de la tutelle des talibans.
Cela explique qu'une jeune Tchèque, tombée amoureuse d'un réfugié afghan, ait décidé de le suivre au Moyen-Orient, n'ayant plus rien qui la retient dans son pays natal. Sur place, en dépit du changement de régime, on s'attend tout de même à un choc culturel, qui se produit, mais ce n'est qu'une étape dans cette fiction à caractère documentaire, qui présente la vie d'une famille de l'intérieur, avec ses traditions, ses contraintes et un bel appétit de vivre.
L'héroïne se rend rapidement compte que, bien que les talibans aient été vaincus, la mentalité patriarcale reste solidement implantée, y compris dans l'esprit de certains de leurs adversaires afghans. Son beau-frère et la famille de celui-ci incarnent l'archaïsme des mœurs, tandis que le grand-père, la belle-sœur et la nièce sont ouverts à la modernité.
Le portrait de l'époux est plus nuancé. Nazir est un homme doux, pacifique, très amoureux de sa blonde épouse. Mais, de retour en Afghanistan, il subit l'influence de la mentalité dominante... et sent peser sur lui le regard de ceux qui se demandent s'il est "un vrai homme". L'amour que lui et et Herra se vouent sauve le couple, qui doit traverser de multiples épreuves.
L'une d'entre elles est la fondation d'une famille. Herra se découvre stérile, une calamité dans un pays où la virilité d'un homme se mesure à l'importance de sa progéniture. Le couple de héros va néanmoins élever un enfant, un garçon handicapé rejeté par sa famille d'origine, doté d'un tempérament très indépendant. (Dans la version originale, le titre My Sunny Maad est une allusion à cet enfant.)
Sur le plan technique, l'animation n'a rien d'extraordinaire. Le film vaut surtout pour son aspect documentaire. Mais il arrive après bien d'autres, comme Parvana et Les Hirondelles de Kaboul (autres films d'animation), ou encore Le Cahier, Wajma, une fiancée afghane, Syngué Sabour (des fictions) et le documentaire Nothingwood, qui en disaient autant (voire plus) sur la société afghane.
J'ai l'air de faire la fine bouche, mais j'ai tellement entendu parler du film en bien que j'ai été déçu par la projection. De surcroît, je ne trouve pas l'héroïne très intéressante. Pour moi, elle fait un peu trop souvent de mauvais choix.
21:40 Publié dans Cinéma, Histoire, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire, fille, femme, femmes
vendredi, 22 avril 2022
Et il y eut un matin
Ce matin succède à une nuit de noces, celles de deux jeunes Arabes israéliens. La veille, on a beaucoup mangé, bu, dansé. On a discuté aussi. Deux pères de famille comparent les réussites respectives de leurs fils, qui ont une bonne place à Jérusalem, dans des entreprises israéliennes. On est à la limite du concours de bite : c'est à celui qui a acquis le plus d'avantages, du téléphone à la voiture de fonction... remboursement de l'essence compris.
C'est un peu à l'image du film, qui évoque la complexité des rapports entre ces Palestiniens de l'intérieur et l’État juif. On tient aussi à nous montrer la diversité des comportements, côté palestinien. La famille du héros fait partie de la classe moyenne, laïque. Dans le village arabe, d'autres, à l'image du chauffeur de taxi, ont un niveau de vie plus modeste. En bas de l'échelle sociale se trouvent les travailleurs illégaux, des Palestiniens sans doute venus de Cisjordanie. Contrairement aux autres habitants du village, ils ne sont pas citoyens israéliens... et leurs patrons arabes profitent un peu de la situation. Il ne faut pas négliger une quatrième "catégorie" d'habitants : les voyous, qui tentent de prendre le contrôle du village... et qui s'accommodent très bien de la domination israélienne.
Le héros Sami a le cul entre deux chaises. Il laisse croire aux membres de sa famille qu'il est prêt à revenir habiter dans le village, alors qu'il a définitivement fait sa vie à Jérusalem. Il fait semblant de prendre du plaisir à la fête de mariage, un peu kitsch, alors que le citadin sophistiqué qu'il est a d'autres divertissements, quand il réside dans la grande ville. Il est même en train de s'éloigner de son épouse palestinienne et songe à s'installer chez sa maîtresse israélienne... et juive. Enfin, il ne semble guère s'indigner de la situation du "peuple" palestinien, contrairement à certains habitants du village, qui subissent régulièrement les mesures autoritaires prises par l'armée israélienne.
Le blocage de l'unique route menant à Jérusalem, pour une raison (au départ) obscure, va tout faire basculer. Vie privée, vie professionnelle et positionnement politique sont remis en question par le blocus du village (télécommunications comprises).
Eran Kolirin, auteur jadis de La Visite de la fanfare réussit à mêler l'histoire familiale aux méandres du conflit israélo-palestinien. Attention toutefois : le propos est fortement idéologisé. Derrière la façade moderne et aimable, le personnage de Sami est dépeint comme un égoïste, un bourgeois peu viril, plutôt lâche, auquel le séjour forcé dans son village natal va redonner le sens des "vraies valeurs".
On n'est pas obligé d'adhérer à l'intégralité du propos et l'on peut légitimement trouver certaines métaphores (comme celle des colombes) un peu lourdes. Le film n'en est pas moins intéressant pour le portrait qu'il dresse d'une catégorie de population méconnue.
P.S.
Mira, l'épouse de Sami, est interprétée par Juna Suleiman (dont je me demande si elle n'est pas apparentée au cinéaste Elia Suleiman). C'est une militante ardente de la cause palestinienne. Avec une partie de l'équipe, elle avait boycotté la première mondiale du film, au Festival de Cannes. Cela ne l'a pas empêchée d'être récompensée aux derniers Ophir (les César israéliens). Israël va donc être représenté aux Oscar par un film dont l'équipe dénonce publiquement et avec véhémence l'action du gouvernement.
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samedi, 29 janvier 2022
Marché noir
Intitulé Koshtârgâh ("L'Abattoir") à l'origine, The Slaughterhouse à l'international, ce polar iranien croise deux intrigues en apparence distinctes, mais qui vont finir par se rejoindre.
L'histoire débute par la découverte de trois cadavres dans l'une des chambres froides d'un abattoir de Téhéran. Le propriétaire semble furieux et demande au gardien de "régler le problème". Celui-ci, qui se sent responsable (sans qu'on sache très bien pourquoi au début), demande à Amir, son fils aîné, de l'épauler. Celui-ci, tout juste revenu de France (d'où il a été expulsé), voudrait désormais éviter les embrouilles, mais il se voit mal laisser son père dans la panade.
Ce début est bien mystérieux, les principaux personnages ayant tous quelque chose à cacher. Si l'interprétation est globalement bonne, j'ai toutefois été un peu agacé par celui qui incarne le père : il en fait trop. Il faut dire que la caractérisation est à la louche : l'homme âgé, veuf, obèse, est autoritaire avec les siens mais servile vis-à-vis du patron de l'abattoir (qui lui a fourni un logement).
En parallèle, on découvre petit à petit l'importance prise par le trafic de devises (des euros et des dollars). Elles sont très recherchées dans le pays, en particulier par tous ceux qui veulent faire du commerce international, surtout s'il est illégal. C'est aussi un objet de spéculation : vendre puis refourguer des dollars permet, si l'on est malin et qu'on réussit à se procurer une grande quantité d'espèces, de faire de jolies culbutes. Pour anticiper les fluctuations du billet vert, certains Iraniens suivent avec attention les remous de la politique internationale, même s'ils n'en comprennent pas tous les ressorts. Je signale aussi une séquence nocturne, impressionnante, construite autour d'un marché de devises (illégal) à ciel ouvert, dans un quartier peu fréquenté de la capitale iranienne. On y voit de vieux messieurs côtoyer le frisson de la spéculation, quitte à frôler l'arrêt cardiaque. On se croirait à la corbeille d'une bourse occidentale, il y a quarante-cinquante ans !
Amir finit par trouver du travail auprès du propriétaire de l'abattoir, qui est mêlé au trafic de devises... ainsi qu'au commerce de bétail. La mort (accidentelle ?) des trois hommes du début pourrait ne plus être qu'un souvenir, mais voilà qu'un petit bout de femme en tchador vient semer la pagaille. Il s'agit d'Asra, la fille de la plus âgée des trois victimes (et cousine des deux autres). C'est une Iranienne arabophone, à l'image d'une communauté qui vit dans l'ouest du pays et profite de la proximité de la frontière irakienne pour se livrer à de menus trafics. Par son intermédiaire, on finit par comprendre quel est le lien avec la folie du dollar.
J'ai été pris par ce polar social, une nouvelle réussite iranienne après Un Héros et surtout La Loi de Téhéran. Si l'occasion se présente, courez voir ce film !
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lundi, 25 octobre 2021
La bite d'Apollon
Il n'est pas facile d'être un vieux pêcheur célibataire dans la bande de Gaza. Il faut jongler entre la dictature du Hamas, le regard inquisiteur des voisins (souvent bigots) et les interdictions israéliennes. Tel est le défi qui se présente à Issa, farouchement attaché à son indépendance, mais qui se verrait bien finir ses jours en compagnie d'une charmante veuve, couturière de son état. Salim Daw et Hiam Abbas incarnent avec un plaisir évident ces deux figures au caractère bien trempé.
La première partie de Gaza mon amour pose ces principes, tout en présentant quelques personnages secondaires : la fille occidentalisée de Siham, des miliciens plus intéressés par les films de guerre que par leur travail et un jeune commerçant (ami d'Issa) qui ne songe qu'à émigrer.
Un soir, le pêcheur remonte une drôle de cargaison dans ses filets : une statue d'un dieu antique, priapique de surcroît. (L'histoire s'inspire de celle dite de l'Apollon de Gaza.) Dans un premier temps, Issa décide de garder la statue pour lui. Peut-être parce qu'elle est belle. Peut-être aussi en songeant à la récompense qu'il pourrait toucher. Mais c'est le début de ses ennuis avec la police gazaouie, qui a des espions partout. La deuxième partie met en scène les relations tumultueuses du héros avec les forces de l'ordre du Hamas, des culs-bénits avides de faire respecter leur version de l'islamiquement correct... mais qui songent eux aussi au profit que pourrait leur rapporter cette statue. Ces événements perturbent les travaux d'approche d'Issa, qui songe à demander la couturière en mariage. Dans le même temps, sa sœur se désespère qu'il ne choisisse pas un meilleur parti. Le vaudeville n'est pas loin.
La troisième partie est celle des dénouements : celui de la tentative d'émigration, celui de l'histoire d'amour et celui du périple de la statue (dont il manque un morceau crucial, détaché dans des circonstances que je m'interdis de révéler ici).
Les réalisateurs, les frères Arab et Tarzan Nasser (auteurs de Dégradé), ont visiblement l'esprit facétieux. Mine de rien, ce petit film est une satire bien troussée du régime dictatorial en place à Gaza, l'obsession phallique des autorités ne se limitant pas à la statue antique : l'admiration éprouvée par les hommes à l'arrivée d'une nouvelle grosse roquette en dit plus qu'une étude psychanalytique...
P.S.
Cette coproduction franco-germano-jordano-qatarie essaie de jouer sur tous les tableaux. D'un côté, c'est d'abord un film de festival, destiné au public international... d'où le fait que le Hamas soit égratigné. De l'autre côté, on y perçoit une dénonciation (surtout symbolique) de l'action de l'armée israélienne. Enfin je note que, d'après les sous-titres, l'étendue de la zone de pêche est beaucoup plus restreinte qu'en réalité. Le film l'estime à une bande située à moins de cinq kilomètres des côtes, alors que le gouvernement israélien l'a portée à 15 milles nautiques (environ 28 kilomètres) quand le Hamas a respecté les trêves conclues. Ces dernières années, cette bande a oscillé entre 9 et 12 milles (17-22 kilomètres), soit bien plus que dans le film.
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jeudi, 29 juillet 2021
La Loi de Téhéran
Voici venu le désormais traditionnel polar étranger de l'été, une catégorie qui, ces dernières années, a vu la sortie en France de La Isla minima, Que Dios nos perdone, Lands of Murders ou encore Le Caire confidentiel. C'est avec celui-ci que la parenté est la plus forte, puisque l'action se déroule au Moyen-Orient (en Iran au lieu de l'Égypte) et que l'enquête policière est prétexte à dresser un portrait socio-politique du pays.
Intitulé "Six et demi" dans la version originale, le film se concentre sur la lutte contre le trafic de crack, une drogue qui fait des ravages en Iran, avec 6,5 millions de consommateurs ! Dès le départ, on est plongé dans le travail de la police, avec l'interpellation d'un revendeur, incluant une course-poursuite dans les rues tortueuses de la capitale. Lui succèdent des séquences mises en scène avec le même brio. J'ai été particulièrement impressionné par le coup de filet organisé dans un bidonville, entre carcasses de voiture et grands cylindres de béton (avec immeubles en construction à l'arrière-plan). À cette séquence succèdent d'autres moments parfaitement maîtrisés : la garde à vue de masse, au commissariat, puis les scènes de cellule, avec le rôle stratégique du "coin toilettes". Très vite s'impose à nos oreilles la "jactance" de Samad, le chef de groupe, un policier intègre, tenace, qui n'hésite pas à bousculer les prévenus. Il est interprété par Payman Maadi, que les spectateurs français ont vu dans Une Séparation.
Face à lui se trouve le chef du réseau de trafiquants. Dans la première partie de l'histoire, une aura de mystère enveloppe ce personnage (à droite ci-dessus), avant que son côté "caïd" ne prenne le dessus. Dans la dernière partie, le réalisateur essaie de développer un propos plus sociologique, montrant ce personnage sous un jour nouveau.
Saeed Roustayi est un inconnu pour moi, mais ce réalisateur semble bourré de qualités. Il a réussi aussi bien les scènes d'intervention de la police que celles d'interrogatoire, s'appuyant sur des seconds rôles très bien campés. Outre les policiers et les délinquants, je signale deux personnages féminins, celui de l'épouse d'un petit trafiquant (au cours d'une scène de perquisition qui se termine de manière surprenante) et celui de l'ancienne petite amie du caïd, interprétée par la ravissante Parinaz Izadyar. Mais je pourrais aussi parler du fils d'un consommateur de drogue ou du juge qui interroge, avec équanimité, criminels présumés, témoins et policiers.
Sur le fond, le scénario a dû jouer avec la censure iranienne. Ici ou là, il suggère que, pour que le trafic ait pu prendre une telle ampleur, il faut que les délinquants aient bénéficié de protections, parfois haut placées. Du côté des consommateurs, discrètement, il pointe la misère sociale présente en Iran. Mais les spectateurs attentifs remarqueront aussi que les trafiquants et consommateurs de crack sont très souvent occidentalisés, tandis que les valeureux policiers portent une barbe "islamiquement correcte" (pour les messieurs) ou un strict tchador (pour les dames). Je conseille aussi d'être attentif aux chaussures des personnes arrêtées.
La dernière demi-heure réserve quelques surprises. Ce n'est pas la partie la plus réussie du film, selon moi, mais le reste est tellement prenant que je ne peux que recommander ce long-métrage.
12:49 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, cinema, film, films
lundi, 19 juillet 2021
Désigné coupable
Le titre d'origine de ce biopic carcéral est The Mauritanian (Le Mauritanien). Je pense que le distributeur français a voulu, par le choix d'un autre titre, faire allusion à Présumé coupable. L'intention est claire : comme l'huissier de justice d'Outreau, Mohamedou Ould Slahi a été victime d'une flagrante injustice.
Son cas a fait l'objet d'un rapport d'Amnesty international, en 2006. Mais c'est la publication de son journal de détention qui a rendu célèbre l'ancien détenu. Curieusement, le livre, qui fut un grand succès de librairie, n'est actuellement plus réédité en français. On peut en consulter des extraits sur le site de Slate. La version intégrale d'origine a été mise en ligne par The Guardian.
Notons que le film ne retrace pas tout le parcours de Mohamedou Ould Slahi. Il se concentre sur son arrestation en Mauritanie et sa détention sur la base de Guantanamo. Le passage par la Jordanie et l'Afghanistan (la base de Bagram) est à peine évoqué. Cela a le mérite de resserrer l'action, mais, par ce biais, le film ne présente que des Américains comme tortionnaires, alors que le prisonnier a subi des mauvais traitements de la part notamment des Jordaniens. On sent que c'est un "film de gauche", conçu pour dénoncer une terrible injustice... et l'administration Bush, en évitant de pointer certains régimes peu démocratiques du monde arabo-musulman.
Derrière la caméra se trouve Kevin Macdonald, auquel on doit notamment le documentaire Whitney et surtout Le Dernier Roi d'Écosse. Cependant, même si la mise en scène est de qualité, c'est l'interprétation qui m'a marqué. En jeune Africain éduqué, broyé par la machine antiterroriste états-unienne, Tahar Rahim est formidable. Il faut signaler aussi la composition de Jodie Foster, qui incarne l'avocate qui défendit Slahi :
À ce duo d'enfer j'ajoute Benedict Cumberbatch (que l'on peut voir actuellement dans Un Espion ordinaire). Il interprète un juriste militaire, qui a perdu un ami dans les attentats du 11 septembre 2001. Ce chrétien pratiquant, chargé de mener la croisade judiciaire contre celui qu'on lui présente comme le principal recruteur d'Al Qaida, va connaître une évolution singulière, très bien rendue par le comédien. J'ajoute que l'ensemble des seconds rôles est convaincant, y compris Shailene Woodley, égérie des adolescents fans de Divergente.
On n'est pas très loin d'un film de procès, même si l'audience n'intervient qu'à la toute fin de l'histoire. Il s'agit ici de défendre le droit, les grands principes sur lesquels la démocratie états-unienne est censée être fondée... et que l'administration Bush a reniés.
Je conseille de voir le film en version originale sous-titrée, pour savourer son aspect polyglotte : on y entend de l'anglais, de l'arabe... et du français, le détenu mauritanien communiquant dans cette langue, à Guantanamo, avec un... Marseillais, évidemment passionné de football.
P.S.
En complément, je conseille la lecture d'un roman graphique de Jérôme Tubiana et Alexandre Franc, Guantanamo Kid :
Il raconte la vie d'un Tchado-soudanien, lui aussi arrêté à tort. Ce mineur a passé son adolescence en détention, mais a été libéré plus tôt que le Mauritanien. Toutefois, sa vie, une fois la liberté recouvrée, n'a pas été de tout repos...
12:50 Publié dans Cinéma, Histoire, Politique étrangère, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films, amérique, usa, états-unis, etats-unis, proche orient
mercredi, 14 juillet 2021
Midnight Traveler
Ce "voyageur de minuit" est un cinéaste afghan, Hassan Fazili, contraint de fuir son pays pour échapper aux talibans. Lui, son épouse (également réalisatrice) et leurs deux filles vont accomplir un véritable périple, du Tadjikistan (situé au nord-est de l'Afghanistan) jusqu'en Hongrie :
Ce périple a été filmé avec trois téléphones portables. J'ai beau avoir lu ici et là des critiques sur la qualité de l'image, franchement, à part deux ou trois scènes où l'on sent que l'un des appareils est de qualité médiocre (surtout quand les personnages sont en mouvement), le reste est plutôt bien filmé, avec même certains plans extérieurs superbes. (Il y a trois ans, Steven Soderbergh avait réussi à tourner un thriller convaincant, Paranoïa, avec des "aïlfaunes".)
Au cours de leur voyage, les membres de la famille ont l'occasion d'expérimenter le degré de liberté dont jouissent les migrants. Au départ, ils se sentent évidemment plus à l'aise au Tadjikistan que dans l'Afghanistan sous l'emprise croissante des talibans. L'arrivée en Iran constitue, notamment pour les enfants, une bouffée d'air pur, tout comme le passage par la Turquie (en particulier Istanbul).
C'est le séjour en Europe qui pose le plus de problèmes. Certains passeurs sont des arnaqueurs. Tous font chèrement payer leurs services. C'est peut-être le prix du passage qui explique que la famille opte pour la Bulgarie plutôt que la Grèce. Or, celle-là n'est pas incluse dans l'espace Schengen. Ça et le rejet des habitants (qui en ont peut-être marre que des migrants viennent chaparder dans leur jardin...) poussent la famille à tenter d'arriver en Hongrie, par la Serbie. Ce n'est pas l'un des moindres paradoxes de cette histoire, que ce pays non membre de l'Union européenne en constitue une porte d'entrée. Au passage, même si beaucoup de visages sont floutés, on remarque la prédominance d'hommes jeunes parmi les migrants clandestins, qui ne sont pas forcément des réfugiés, loin s'en faut.
De son côté, Hassan Fazili, sans masquer leurs défauts, essaie de présenter ses proches sous un jour favorable. Il laisse un peu la main à son épouse, afin que les spectateurs ne la cantonnent pas dans le rôle d'une femme au foyer conservatrice. Mais, surtout, il met en valeur sa fille aînée, Nargis, une gamine malicieuse qui sait jouer avec la caméra. Je pense que le fait de la montrer portant un T-shirt de Mickey et en train de danser sur du Michael Jackson est censé rassurer ses spectateurs occidentaux.
Celles et ceux qui ne connaissent pas bien le sort des migrants découvriront aussi, grâce à ce film, la difficulté de leur parcours (et encore, dans une vision atténuée), mais aussi les aides dont ils peuvent bénéficier (notamment en Europe), par l'intermédiaire d'associations ou de l'ONU (le HCR, je pense).
13:20 Publié dans Cinéma, Politique étrangère, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films
samedi, 12 juin 2021
200 mètres
C'est la distance (à vol d'oiseau) entre deux logements, situés de part et d'autre du mur de séparation israélien. Du côté est (cisjordanien) habite Mustafa (Ali Suliman, excellent), dans la maison de sa mère. Son épouse et leurs trois enfants résident en Israël (à l'ouest), dont ils possèdent la nationalité, une possibilité refusée par Mustafa. Le constat de cette séparation est à l'image de ce film original : nuancé. En effet, si le gouvernement israélien est responsable d'une partie des ennuis de cette famille palestinienne, l'obstination du père n'y est pas étrangère non plus.
Le réalisateur Ameen Nayfeh met en scène une multitude de tensions. Celles entre Israéliens et Palestiniens sont particulièrement perceptibles au niveau des check-points. Mais, dans la première partie de l'histoire, on perçoit bien autre chose. Il y a le cas du fils de Mustafa, qui se bat à l'école avec des Arabes israéliens qui méprisent le "Cisjordanien". Il y a surtout cette diversité d'attitudes face à la domination israélienne. Certains y voient l'occasion de monter leur petite affaire, en particulier dans le passage clandestin de la frontière. C'est à un point tel qu'à un moment de l'histoire, on entend des Palestiniens parler de "notre mur" à propos de la construction israélienne !
Là-dessus se greffe un accident, qui pousse Mustafa à vouloir passer coûte que coûte de l'autre côté. Il n'y a que quelques kilomètres routiers à parcourir, mais son passage clandestin va prendre l'allure d'un périple, en van, dans le coffre d'une voiture... Le trajet réunit des personnes qui sinon ne se seraient jamais rencontrées : un Palestinien de l'extérieur, d'autres, de Cisjordanie, qui cherchent du boulot... et une étrange journaliste allemande. Au départ, on la prend pour une de ces bobos occidentales qui voient dans la "cause" palestinienne un moyen de donner sens à leur vie. Le dévoilement progressif de ce personnage va dynamiter l'intrigue.
Au final, c'est un beau film humaniste, qui tente d'évoquer ce conflit proche-oriental au-delà des clichés.
10:34 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films
lundi, 17 août 2020
The Perfect Candidate
Il y a un peu plus de sept ans, Haifaa Al Mansour avait été révélée au public cinéphile par Wadjda, le premier film saoudien tourné sur le territoire même de l'Arabie saoudite. Ici, on retrouve la réalisatrice avec son thème de prédilection : le droit des femmes.
Les héroïnes sont trois soeurs, dont la mère est décédée quelques mois auparavant. Aucune d'entre elles n'est mariée, bien que les deux plus âgées soient majeures et indépendantes sur le plan financier. Elles habitent encore avec leur père, un artiste (chanteur et musicien) que l'on pourrait qualifier de "progressiste" (dans le contexte saoudien).
La cadette organise et filme des mariages, tandis que Maryam, l'aînée, est médecin dans ce qui est appelé une clinique, mais qui serait plutôt l'équivalent d'un dispensaire. Elle ambitionne de quitter sa petite ville de province pour travailler dans l'hôpital de Riyad, la capitale. Elle est dotée d'un fort caractère.
Tout le talent de la réalisatrice est de nous montrer le statut d'infériorité des femmes de manière assez lisse. Sur le fond, on comprend que le propos est revendicatif, mais la mise en scène donne sa chance aux personnages masculins. Le comportement des femmes est de plus montré dans toute sa diversité et sa complexité.
Le plus cocasse dans cette histoire est que Maryam va se porter candidate aux municipales parce qu'on ne lui a pas permis de se rendre à une conférence médicale à Dubaï ! La réalisatrice force le trait en faisant de son héroïne la révélation de la campagne, menaçant la réélection d'un cacique installé là depuis des années. (Je trouve que les récents événements en Biélorussie, bien que se situant dans un contexte différent, donnent un relief particulier à cette histoire.)
En parallèle, on suit la tournée du groupe de musiciens auquel appartient le père et la campagne de sa fille, faite de bric et de broc. Elle va se lancer avec une vidéo Youtube, puis organiser sa première réunion électorale, uniquement avec des femmes... en la couplant avec un défilé de mode ! Le plus difficile est de convaincre les hommes, dans son travail de médecin comme dans sa campagne. L'héroïne doit se montrer énergique pour tenter de changer les mentalités.
Si vous avez l'occasion de voir ce film, ne la ratez pas !
13:47 Publié dans Cinéma, Proche-Orient, Société | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films, société
lundi, 03 août 2020
Né à Jérusalem...
... et toujours vivant ! Tel est le titre de cet étrange film israélien, mi-documentaire mi-fiction, tourné à Jérusalem-Ouest (la ville israélienne). Le coréalisateur interprète le personnage principal, Ronan, sorte de mélange de Woody Allen et de Buster Keaton.
L'action est concentrée sur la rue Jaffa (en violet ci-dessus), longue de plus d'un kilomètre, où le héros a toujours vécu. Or, c'est la rue qui a subi le plus d'attentats au monde. (Elle est proche du "mur de séparation", en rouge sur le plan.) Ronan lui-même a sans doute échappé de peu à la mort à plusieurs reprises. Tous les épisodes de sa vie ont été rythmés par des attentats. Ainsi, par exemple, il a connu son premier baiser le jour d'une tuerie, à quelques mètres des lieux du crime...
Quand il dort, au moindre bruit provenant de la rue, il imagine un nouveau massacre. Du coup, il s'est un peu replié sur lui-même, évitant d'exprimer ses émotions, de peur sans doute d'être débordé par l'horreur... et il se sert de l'humour comme d'une mise à distance.
Ronan s'est de plus lancé dans l'organisation de visites touristiques un peu particulières : il fait découvrir son quartier sous l'angle des attentats. On le sent en empathie avec les victimes, à chaque fois qu'il raconte une anecdote. Petit à petit, il étoffe son "tour", au départ quasi improvisé. Il attire un public bigarré : principalement des Occidentaux (chrétiens ou juifs), mais aussi des Japonais, des Latino-américains... et même des Éthiopiens (dans une séquence savoureuse...) !
Cette démarche mémorielle change sa vie. Il va se faire un ami, un... Japonais (chrétien), venu au départ pour découvrir la ville. Marqué par la visite, ce dernier décide d'y amener ses amis, puis d'épauler discrètement Ronan. Celui-ci va même faire une rencontre amoureuse ! Dit comme cela, ça a l'air improbable, voire grossier, mais c'est vraiment bien amené. Comme l'intrigue s'étend sur plusieurs saisons (sans surprise, l'hiver voit peu de touristes fréquenter les lieux), l'histoire d'amour a le temps de se développer, de se compliquer...
Au problème sécuritaire de Ronan s'ajoutent les soucis familiaux. Il est encore très marqué par le décès de sa mère, dix ans plus tôt. Il est aussi inquiet à propos de son père, qui perd progressivement son autonomie et qui voudrait que son fils vienne habiter avec lui ! Les dialogues père-fils sont souvent une source d'humour. Contrairement à sa progéniture, le père est obsédé par l'argent (en particulier les cours de la bourse), évalue chaque dépense (qu'il juge en général excessive)... et se mêle de la vie privée de son fils (âgé de 35-40 ans). Même si la situation est sérieuse, cet humour est le bienvenu.
Cet ovni cinématographique mérite le détour.
12:45 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films
mercredi, 29 juillet 2020
Beloved
Voici donc le pendant "féminin" de Chained, qui nous raconte à peu près la même histoire, mais en plaçant les femmes au centre de l'action.
Attention toutefois, il ne s'agit pas d'un simple effet de miroir : même si l'on revoit certaines scènes d'un autre point de vue, l'essentiel du propos est de montrer que les époux (Avigail et Rashi) vivent dans des univers différents.
Ainsi, dans ce film-ci, on n'apprendra rien des ennuis professionnels du policier, totalement absents de l'intrigue. On découvre par contre la bande d'amies qu'Avigail rejoint et qui étaient seulement évoquées dans les conversations du premier film.
D'un côté, Beloved nous conte l'histoire d'une progressive émancipation, celle d'une infirmière qui étouffe, entre un mari surprotecteur et une fille adolescente narcissique. De l'autre, on suit la vie de deux soeurs aux tempéraments très différents. Lorsque leurs parents avaient divorcé, l'une avait suivi la mère, l'autre le père. L'une est solaire : elle aide les femmes enceintes à accoucher et à gérer les premiers temps de leur grossesse. L'autre est autodestructrice : hôtesse de l'air le jour, elle se prostitue la nuit, sans qu'on sache très bien pourquoi. Il y a peut-être un lien avec le père, admis dans un EHPAD au début de l'histoire. Ce père que l'autre soeur a rejeté en raison de ce qu'il lui a jadis fait subir.
Cela nous mène au véritable discours de fond : le mal être voire la maltraitance des femmes, sans qu'aucune scène de violence intervienne. Des abus sexuels durant l'enfance à la prostitution à l'âge adulte, en passant par toutes les formes de harcèlement, l'auteur voit dans la vie d'une femme une longue succession de difficultés. Pour s'en sortir, il vaut mieux compter sur la solidarité féminine, présentée ici sous plusieurs formes. Un personnage masculin est quand même montré de manière positive. (Ouf !)
C'est réalisé avec le même brio que dans Chained, avec des dialogues au couteau. Plusieurs moments sont particulièrement marquants : la séquence entre femmes dans le chalet perdu dans le désert, la dispute entre les deux soeurs (qui dégénère) et la scène au cours de laquelle Avigail change de coiffure, présentée comme une libération.
Je regrette toutefois que ce deuxième film ne boucle pas la boucle par rapport au premier. Je crois que c'est lié au fait que les deux sont inclus dans un triptyque. En effet, il semblerait qu'un troisième film soit prévu (peut-être en septembre), centré plutôt sur le personnage de l'écrivaine, que l'on retrouve plus tard dans l'équipe de suivi des prostituées.
10:57 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films
jeudi, 16 juillet 2020
Chained
Il y a dix ans, Yaron Shani se faisait remarquer par son film Ajami, un polar inextricablement lié au conflit israélo-arabe.
Chained est une oeuvre davantage centrée sur l'intime. C'est aussi le premier volet d'un diptyque, celui qui met en avant la vision de l'époux. Beloved (que je n'ai pas encore vu) raconte la même histoire, mais du point de vue de l'épouse Avigail.
L'époux est Rashi, un policier chevronné, calme et autoritaire, qui ne passe rien aux délinquants. Il est quand même parfois un peu "limite". A la maison, il domine clairement son épouse (qu'il aime profondément) et la fille de celle-ci, une ado qui sent la révolte gronder en elle. (Encore une ! MAIS ARRÊTEZ ! C'EST INSUPPORTABLE !)
La mise en scène est habile : que ce soit en plan large ou en plan serré (voire en gros plan), on sent peser l'autorité naturelle du principal personnage masculin. C'est de surcroît bien interprété, en partie par des acteurs non professionnels. Les dialogues sont ciselés. (Voilà un film que tous les réalisateurs français narcissiques devraient voir et revoir, pour comprendre comment on met en scène une crise de couple.)
Le petit monde de Rashi va progressivement s'écrouler. C'est d'abord au boulot que surgissent les problèmes, puis dans la cellule familiale, avec l'ado bien sûr, puis avec l'épouse, dont on ne nous montre pas le point de vue. Et puis celle-ci disparaît de l'écran, occupé désormais quasi exclusivement par Rashi (avec ses collègues, ses parents...). Quand Avigail réapparaît, on comprend immédiatement que les choses ne seront plus comme avant.
Du coup, on a furieusement envie de voir Beloved, qui va sans doute nous en apprendre de belles sur l'épouse, sa mère et ses nouvelles amies. Un mystère plane aussi sur certains actes de Rashi.
Vite, la suite !
22:01 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, cinema, film, films
samedi, 25 janvier 2020
Les Mystérieuses Cités d'or, saison 3
France 4 vient d'achever la rediffusion de la troisième saison de la série animée. Depuis un peu plus d'un an, la première saison (culte), qui date des années 1980, est disponible intégralement sur le site de la chaîne. Jadis, l'annonce de la mise en chantier d'une suite (composée de deux saisons) avait suscité l'intérêt. Mais la diffusion de la saison 2, si elle avait conquis un public enfantin, avait déçu les adultes, qui en ont trouvé le ton plus immature que dans la première mouture. Sur le fond, les épisodes associent toujours histoire et science-fiction, avec un mini-documentaire en toute fin. L'intrigue, située en Chine, avait sans doute contribué au succès.
Cela s'est nettement amélioré dans la saison trois, je trouve. Les héros sont transportés du Japon en Inde puis en Iran, dans une farandole de civilisations propre à émerveiller et éveiller la curiosité des enfants. C'est plus rythmé, moins puéril, avec même l'ébauche d'une histoire d'amour adulte entre deux personnages (Mendoza et Laguerra).
Cette redoutable et ravissante jeune femme est d'ailleurs la plus belle révélation de la troisième saison. C'est la fille d'un personnage aperçu dans la saison 1, qui a été recueillie par le méchant de l'histoire (lui-même très réussi). L'effrayant Zarès en a fait sa comparse, une comparse particulièrement redoutable au fouet et à l'épée... mais qui n'a pas mauvais fond. Son apparition coïncide avec la mise en avant de Zia, le membre féminin du trio de héros enfants. Elle se découvre des pouvoirs insoupçonnés et, contrairement à ce qui se passait dans la saison 1, elle va sauver la mise des garçons à plusieurs reprises :
A l'issue de cette troisième saison, quatre cités d'or ont été découvertes : en pays maya, au Tibet, à proximité des côtes japonaises et en Iran. Celles et ceux qui connaissent la série savent que, dès la première saison, il était question de sept cités. Mais, du côté français, TF1 semblait avoir renoncé à financer la suite. C'est France Télévisions qui a pris le relais. L'année 2020 verra la diffusion de la quatrième et dernière saison, dont on présume qu'elle conduira les héros en Afrique... et peut-être quelque part en Europe.
20:50 Publié dans Chine, Histoire, Japon, Proche-Orient, Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, actu, actualite, actualites, actualité, actualités
dimanche, 28 juillet 2019
The Operative
Ce film d'espionnage a pour cadre le Moyen-Orient, plus précisément les relations compliquées entre l'Iran, Israël et certains pays européens. Le personnage de l'héroïne Rachel est inspiré de plusieurs agents du Mossad. L'épisode de l'insertion d'un logiciel espion israélien dans le système informatique du programme nucléaire iranien est lui aussi inspiré de faits réels.
Nous voici plongés dans un polar cérébral (pas nourri de bastons, contrairement à Anna). La psychologie des personnages est au cœur de l'intrigue. Il est difficile de savoir ce que pensent au fond Rachel, son superviseur, les cadres du Mossad et le séduisant Farhad, la nouvelle "cible" de Rachel. Notons que le film comporte quelques moments de tension plus basiques, comme l'excellente séquence du retour clandestin en Iran.
A l'image de ce qu'on a pu voir récemment dans So long, my son, l'histoire nous est racontée sous la forme de plusieurs trames chronologiques entremêlées. (Pour s'y retrouver, je conseille d'être attentif à la coiffure de Rachel et à la barbe de Thomas.)
C'est le moment de parler des acteurs, bons dans l'ensemble. Une personne se détache très nettement du lot : Diane Kruger, qui confirme tout le bien que je pense d'elle (même en laissant de côté les effets de son charme incommensurable). Elle est au moins aussi épatante que dans Infiltrator et In The Fade. Le jeu de l'actrice se marie parfaitement avec la mise en scène pour nous faire toucher du doigt tantôt la joie, tantôt les doutes qui la travaillent. On en vient même à se demander si l'apprentie-espionne n'a pas fini par duper tout son monde. Il faut dire que la dame possède une petite tendance à la mythomanie.
Bref, cette histoire polyglotte (anglaise, allemande, française, hébreue, kurde, farsie, y compris dans la version doublée) d'une espionne débutante s'éprenant à la fois de l'Iran et d'un Iranien m'a beaucoup plu, le tout baignant dans une atmosphère trouble très bien campée.
18:50 Publié dans Cinéma, Politique étrangère, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films
dimanche, 21 juillet 2019
Pan sur le bec !
Récemment, en lisant mon hebdomadaire favori, je me suis rendu compte que l'un des rédacteurs du Canard enchaîné (voire deux) avait commis une boulette en parlant de la Turquie. La montée des tensions entre le pays dirigé d'une main de fer par Recep Tayyip Erdogan et les Etats-Unis (à propos de l'achat de missiles russes) a beaucoup inspiré les journalistes français, y compris les caricaturistes du Canard. Mais c'est dans un article et un entrefilet de la rubrique "Vite dit !" (tous deux situés page 8) que l'erreur s'est glissée :
Si la Turquie est bien l'un des membres les plus anciens de l'OTAN (depuis 1952), elle ne fait pas partie des fondateurs de cette organisation, créée en 1949. L'entrefilet du bas fait référence à un article du Monde qui, s'il qualifie la Turquie de "Pilier oriental de l'OTAN depuis 1952", n'évoque jamais ce pays comme étant l'un des fondateurs de l'Alliance atlantique.
Je sens que l'équipe de rédacteurs va se faire offrir (si ce n'est déjà fait) une double tournée de vin turc !
19:09 Publié dans Histoire, Politique, Politique étrangère, Presse, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : presse, médias, journalisme, histoire, actu, actualite, actualité, actualites, actualités
lundi, 01 juillet 2019
Wardi
Cette coproduction franco-suédo-norvégienne est sortie sur nos écrans il y a quelques mois de cela... et n'est jamais arrivée jusqu'à Rodez. J'ai profité du début de la Fête du cinéma pour voir cette animation par stop-motion, image par image, avec de petites poupées très expressives (quelques scènes étant réalisées de manière plus classique) :
A gauche et à droite se trouvent les deux personnages principaux, ceux de Sidi et de Wardi son arrière-petite-fille, qui vivent dans un camp de réfugiés devenu une ville palestinienne au Liban, dans l'agglomération de Beyrouth.
Sidi est l'un des seuls réfugiés au sens strict que l'on voit à l'écran. Enfant en 1948, il a dû quitter son village avec ses parents lors de la première guerre israélo-arabe. Autour du cou, il conserve la clé de la porte de la maison familiale, que lui a transmise son père, décédé depuis des années. A travers ses souvenirs, qu'il raconte à son arrière-petite-fille, on mesure l'intensité de la nostalgie qui l'habite. Comme d'autres membres de sa famille, il a perdu espoir. Il est sur le point de donner sa clé à Wardi.
Quand elle a compris que son aïeul est gravement malade, Wardi se lance à la poursuite de l'espoir (pour lui redonner goût à la vie), dans la ville, bâtie de manière anarchique. Elle part à la rencontre des autres membres de sa famille : son grand-père (encore plus abattu que son propre père), sa grand-tante, sa mère, sa tante et un oncle devenu colombophile, qui vit perché (au propre comme au figuré) au sommet d'une tourelle.
Chaque rencontre est l'occasion d'évoquer les moments marquants de l'existence de ces personnages. Tous sont liés au conflit israélo-palestinien. Curieusement, le conflit de 1967, aux conséquences si importantes, est évoqué de manière très allusive. Les souvenirs se concentrent sur la "catastrophe" de 1948, le mouvement des fedayin et les incursions israéliennes au Liban. C'est intéressant parce que cette famille palestinienne n'a pas le même vécu que celles qui habitent en territoire occupé ou celles qui ont choisi de rester en Israël.
On ne va pas cacher que ce film ne propose pas une vision objective du conflit. Comme il est construit à partir de souvenirs palestiniens réinterprétés (par un Occidental favorable à la cause palestinienne), il attribue presque tous les malheurs des Palestiniens aux Israéliens. La principale exception est l'exécution d'un enfant (l'ami de l'oncle) par un tireur embusqué dont on nous suggère qu'il serait chrétien (un membre des phalanges, peut-être).
Il faut avoir cela en tête quand on va voir ce film, qui mérite néanmoins le détour.
P.S.
Le propos du réalisateur est plus nuancé dans le dossier de presse téléchargeable sur le site dédié au film.
12:12 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films
lundi, 24 juin 2019
Un Havre de paix
Trois frères israéliens se retrouvent au domicile familial, dans un kibboutz (Yehiam) situé au nord d'Israël, à proximité de la frontière avec le Liban. (Cela correspond à la punaise bleue, sur la carte ci-dessous.)
Ces retrouvailles ont pour cadre les obsèques de leur père, décédé un an auparavant, mais qui avait légué son corps à la science. Le délai est aussi sans doute dû aux dernières volontés du défunt, qui exigeait que ses fils fussent réunis. Or, cette famille est quelque peu dysfonctionnelle. D'énormes tensions (déclarées ou sous-jacentes) divisent les membres : la mère, ses trois fils et la tante. Le kibboutz, censé être un lieu d'apaisement, sûr, est perçu par certains comme un lieu dangereux, surtout depuis que des roquettes du Hezbollah commencent à tomber à proximité. Les esprits forts auront compris que ce kibboutz est (aussi) une métaphore d'Israël.
Les trois frères sont marqués par l'armée et le service militaire, mais de manière différente. Yoav semble être l'aîné, sur lequel le père avait placé beaucoup d'espoirs... et qui l'a déçu. Il a rompu avec son milieu d'origine, s'est installé à Tel Aviv (la ville de la débauche pour les Israéliens conservateurs). A demi-mots, on comprend qu'il est homosexuel. De surcroît, son passage par l'armée l'a visiblement traumatisé, sans que l'on sache (au début de l'histoire) pourquoi.
Itai est le cadet va-t-en-guerre. Il s'est coulé dans le moule de virilité qu'on a créé pour lui... mais n'en est pas plus heureux. C'est lui qui a soutenu toute la famille depuis la maladie du père. Il en veut énormément à son aîné, peut-être aussi parce que sa réputation a souffert de la "trahison" de son frère.
Avishai est le petit dernier, sur le point de partir à son tour effectuer son (long) service militaire. Il est tiraillé entre la trouille de ne pas revenir de la frontière libanaise (ou d'en revenir diminué) et le désir de faire son devoir, d'être quelqu'un aux yeux de ses proches. Il subit l'influence concurrente de ses deux frères.
Cela donne un film âpre, où le drame familial s'insère dans l'histoire israélienne. J'ai trouvé cela un peu trop noir, pessimiste, ne me sentant réellement proche d'aucun des trois fils. Mais c'est une histoire forte.
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vendredi, 26 avril 2019
Tel Aviv on fire
Cette comédie palestinienne est une coproduction internationale. Le réalisateur, Sameh Zabi, est le co-scénariste du Chanteur de Gaza. L'intrigue fait intervenir des personnages israéliens et palestiniens... et même une "actrice française" ! Au centre se trouve la réalisation chaotique d'un feuilleton sirupeux qui fait les beaux jours de la télévision palestinienne... mais qui rencontre aussi un grand succès côté israélien. Même si l'auteur donne une vision palestinienne du conflit proche-oriental (en particulier de la Guerre des Six-Jours et des Accords d'Oslo), le film insiste plutôt sur ce qui rapproche (ou peut rapprocher).
Salam est un loser. Il n'est plus un jeune homme et galère entre deux emplois précaires. Il profite de la bienveillance de son oncle pour s'introduire sur le plateau de tournage de la série populaire. Les extraits qu'on nous en propose sont d'une consternante médiocrité. Mais, parfois, c'est à double-sens. Ce qui est diffusé à la télévision fait écho à ce que certains personnages vivent. Parmi les moments drôles, il y a ceux qui voient le néo-scénariste courir après l'inspiration, quitte à recopier un dialogue entendu au café ou à solliciter sa mère au téléphone !
Mais la source de gags la plus "énorme" est cette étrange relation qui va se nouer entre l'officier israélien dirigeant le check-point (entre Jérusalem-Est et Ramallah) et le scénariste. C'est réussi notamment grâce au talent de Yaniv Biton, qui incarne à la perfection un militaire un peu beauf, mais ayant le sens du concret. A son contact, Salam va progresser, au point, à la fin de l'histoire, de pouvoir presque se passer de toutes les personnes ressources qu'il aura sollicitées.
Pour faire une bonne histoire orientale, il faut un amour contrarié. Ce sera celui de Salam pour Mariam, son ex-petite amie, la fille de l'épicier de son quartier, qu'il redécouvre devenue médecin... et femme extrêmement séduisante. Même si leur relation n'est pas aussi tendue que celle de l'espionne palestinienne et de l'officier israélien du feuilleton, elle va connaître quelques rebondissements.
C'est un film malin, pétillant, pas idiot sur le fond, qui trouve le moyen de s'achever sur un coup de théâtre particulièrement cocasse. A découvrir !
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samedi, 19 janvier 2019
Holy Lands
L'écrivaine Amanda Sthers a adapté son livre Les Terres Saintes. L'action alterne entre Les Etats-Unis (un New-York très boboïsant), l'Europe (brièvement) et Israël (autour de Nazareth, Tel Aviv-Jaffa et l'agglomération de Jérusalem).
C'est cette partie de l'histoire qui m'a incité à aller voir le film. Harry Rosenmerck, un Américain à la retraite (James Caan, en petite forme) a tout laissé tomber (logement, famille, amis...) pour partir élever des porcs en Israël. Il y rencontre une vive opposition de la part de juifs religieux... et de chrétiens fanatiques, qui veulent mettre la main sur son exploitation, située à un endroit où aurait vécu Jésus.
Les tensions montent d'un degré quand on apprend que l'apprenti-éleveur garde l'un des porcelets... chez lui ! Un jour, l'une des truies, pourvue de douze tétines, a donné naissance à... 13 porcelets. Le plus faible d'entre eux risque de rapidement succomber, ne parvenant pas à se nourrir seul. Notre héros décide de le garder et d'en faire son animal de compagnie. Le voilà en train de nourrir au biberon un goret (une gorette, en réalité) assez docile, qui semble raffoler du lait ! (Même si le contexte est différent, les cinéphiles penseront au Cochon de Gaza.)
Loin, très loin de là, la famille de Harry se débat dans ses troubles existentiels. Le fils aîné est un metteur en scène de théâtre à la mode, qui cherche à adopter un enfant avec son compagnon. Il règle ses comptes familiaux (en particulier avec son père, qui ne communique plus avec lui) dans sa dernière pièce, dont le peu que l'on voit laisse supposer qu'elle est particulièrement intellichiante...
Sa soeur cadette, bien qu'âgée de 34 ans, vit toujours aux crochets de ses parents. Elle est interprétée par une sorte de mannequin qu'on a habillée comme jadis Julia Roberts, quand elle tournait des comédies sentimentales. C'est cette Annabelle qui va tenter de retisser les liens familiaux, se rendant chez sa mère, son frère, puis en Israël, où, à l'issue d'une alerte aux roquettes, sur une plage, elle va fougueusement copuler avec un jeune homme qu'elle vient à peine de rencontrer, dans une ambiance de contrejour esthétisante...
Et la mère dans tout ça ? Elle est interprétée par Rosanna Arquette, qui semble sortir d'une clinique de chirurgie esthétique. (Mais cela semble dans le ton du personnage.) On ne va pas trop l'accabler, puisqu'on apprend rapidement qu'elle développe un cancer incurable. C'est l'occasion pour les spectateurs Frenchies de découvrir que Patrick Bruel participe à cette drôle d'aventure (tournée en anglais et produite par Studiocanal). Il y joue le médecin ami de la famille. (J'ai appris après coup que c'est l'ex de la réalisatrice, qui, dans un premier temps, avait pensé à lui pour jouer le rabbin.)
Vous avez compris que je n'ai pas été emballé par ce produit cultureux... sauf quand l'action se déroule en Israël. Là, c'est (en général) bien réalisé, avec une superbe lumière en extérieur. Les relations entre le héros et le rabbin Moshe Cattan (interprété par Tom Hollander) sont souvent piquantes, parfois émouvantes. Mais cela ne suffit pas à faire de la vision de ce film un plaisir intégral.
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jeudi, 09 août 2018
Le Dossier Mona Lina
Cette coproduction franco-germano-israélienne a été réalisée par Eran Riklis, qui est aussi l'auteur de Zaytoun, La Fiancée syrienne et Les Citronniers. Au niveau de la distribution, on a réuni des acteurs chevronnés. Outre Golshifteh Farahani, on trouve Doraid Liddawi (vu dans Self Made) et Lior Ashkenazi (récemment à l'affiche de Foxtrot). Neta Riskin (qui incarne Naomi) est une révélation pour moi.
C'est un polar géopolitique, sur fond d'histoires de femmes. Naomi, agent du Mossad, doit chaperonner Mona, une Libanaise chrétienne, ex-maîtresse d'un chef militaire du Hezbollah. Elle a été une informatrice des services secrets israéliens et tente d'échapper à la vengeance de ses anciens amis. Sa "dame de compagnie" a quant à elle perdu son conjoint dans un attentat et désespère de tomber enceinte.
Les deux femmes, que rien ne semble rapprocher au début, vont petit à petit apprendre à se connaître. C'est une trame classique, filmée de manière plutôt conventionnelle. Au départ, la Libanaise paraît antipathique, capricieuse. On la voit s'ouvrir, tout en restant assez mystérieuse. De son côté, Naomi devient paranoïaque : elle a la conviction que leur planque, en Allemagne, a été repérée. (Cela donne de bonnes scènes.) Ses supérieurs au Mossad ne paraissent pas très inquiets, du moins au début.
Deux éléments viennent perturber ce schéma. On comprend peu à peu que Naomi (dont le prénom est la quasi-anagramme de Mona) n'a pas été choisie par hasard. Il fallait que ce soit elle qui participe à cette mission, pour des raisons que l'on ne découvre qu'à la toute fin. Il y a mission dans la mission. Evidemment, comme on suit des espions, on s'attend à des coups tordus et à des retournements. Au-dessus des agents de terrain, les chefs discutent de la meilleure manière d'avancer leurs pions. Les Israéliens ne sont pas seuls sur ce coup : les Américains et surtout les Allemands ont leur carte à jouer.
J'ai été pris par le suspens, même si je ne trouve pas le jeu de G. Farahani très convaincant. (Elle prend un peu trop la pose.) D'autre part, le contraste entre le contenu de la machination (une fois celle-ci dévoilée) et ce que l'on a vu durant les trois quarts du film est trop grand. Même en repensant aux scènes ambiguës, les indices sont trop ténus. Cela n'a pas été suffisamment bien mis en scène. Mais cela se laisse regarder sans déplaisir.
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dimanche, 22 juillet 2018
Parvana
Produit par Angelina Jolie, ce film d'animation est adapté d'un roman, mais s'inspire de la situation des femmes et des filles en Afghanistan, sous le régime des talibans. L'héroïne Parvana est la troisième des quatre enfants d'un couple composé d'un instituteur ancien combattant (unijambiste) et d'une mère au foyer qui fut écrivain.
J'ai apprécié qu'on ne fasse pas de la gamine une enfant-modèle. Elle a un sacré caractère, fait preuve d'insolence (et même d'audace)... ce qui va lui être très utile dans sa situation. Les femmes n'ont pas le droit de sortir sans être accompagnées d'un homme "responsable" (époux, père, fils adolescent). De surcroît, la famille de l'héroïne n'est pas bien vue de certains nervis islamo-fascistes, qui se croient tout permis.
C'est donc une histoire grave, comportant des épisodes particulièrement sombres. Elle est illuminée par les moments de conte. Le père puis la fille narrent de mystérieuses légendes, dont celle du garçon qui veut libérer son village des monstres qui l'oppriment. (Notez la mise en abyme.) Nous allons donc suivre, alternativement, les aventures de Parvana dans le monde réel et celles de Souleymane dans le conte.
Visuellement, c'est assez joli, avec deux styles en présence : un, classique et léché, pour les aventures du monde réel, l'autre, de l'ordre de l'imagerie, pour les aventures du conte. On n'est pas très loin des œuvres de Michel Ocelot comme Ivan Tsarevitch ou Azur et Asmar. J'ajoute que la réalisatrice Nora Twomey est la co-autrice de Brendan et le secret de Kells, sorti en 2009.
Même si je trouve que, dans la première partie, le mélo et le pathos sont trop présents, le film prend petit à petit de l'ampleur et ne se limite pas à une œuvre de dénonciation unilatérale. C'est au final assez nuancé.
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jeudi, 14 juin 2018
Trois Visages
J'ai un faible pour le réalisateur Jafar Panahi. Quelque part entre Buster Keaton et Droopy, il réussit à mener sa barque, malgré les tracasseries des culs-bénis iraniens qu'il s'ingénie à titiller. Ces dernières années, on l'a vu à l'oeuvre dans Le Miroir et surtout dans l'excellent Taxi Téhéran.
Le film présenté cette année à Cannes (où il a reçu le prix du scénario) se situe dans cette lignée. Panahi a tourné avec une économie de moyens : un ordiphone (utilisé par la jeune femme qui appelle au secours), une mini-caméra fixée à l'avant de la voiture et une autre, plus haut-de-gamme, manipulée par un technicien (ou Panahi lui-même).
L'action se déroule loin de Téhéran (et de la police du régime des mollahs) dans le nord-ouest de l'Iran, où vit une population turcophone :
Pour un public peu attentif, cela n'a guère d'importance. Ceux qui tendent l'oreille s'apercevront que les sonorités changent selon la personne qui parle. Les villageois s'expriment majoritairement en turc, les citadins en farsi (persan). Le réalisateur est d'ailleurs originaire de cette région, berceau de sa famille.
Cela conduit les spectateurs à se poser des questions. Est-ce bien une fiction qui se déroule sous leurs yeux ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un documentaire ? Ou bien le réalisateur ne mêle-t-il pas les deux ? L'actrice principale, qui joue son propre rôle (celui d'une comédienne célèbre dans tout le pays, qu'une jeune femme a appelée au secours), se demande dans quelle galère elle s'est embarquée, d'autant plus qu'elle n'a pas la même vision des choses que Panahi. Elle en vient même à contester son expertise de la vidéo qui a été envoyée par téléphone, vexant le réalisateur, qui sort de la voiture et continue à pieds, boudeur !
C'est la première séquence qui a tout déclenché. Une jeune femme (visage n°1) se filme dans un endroit isolé et vide son sac. Elle était sur le point de réaliser son rêve (intégrer la très sélective école des Beaux-Arts de Téhéran... une sacrée performance pour une fille de paysans azéris), mais voilà que sa famille et le village se liguent contre elle, la traitant d'écervelée. On veut la forcer à se marier très vite. La séquence, filmée au téléphone, est d'un réalisme troublant.
La suite est une conversation en automobile, entre la fameuse actrice (visage n°2) et Panahi, dont la voix vient la plupart du temps du hors-champ. C'est beaucoup moins intéressant. Il convient cependant de ne pas négliger cette partie : l'image que l'on a du personnage de l'actrice va changer par la suite.
C'est en s'approchant du village où habite la jeune femme que le duo fait diverses rencontres. Il y a tout d'abord un sympathique passant, qui lui fait utiliser un étrange code, à l'aide du klaxon de l'automobile. Il y a ensuite le grand-père accueillant, dont la famille semble célébrer un événement. Puis c'est au tour d'une vieille femme qui sent sa fin approcher... et qui commence à s'habituer à sa future nouvelle demeure...
C'est à ce moment qu'on se rend compte que c'est trop bien joué pour être parfaitement naturel. Panahi et l'actrice sont accueillis comme des rois par des villageois qui croient d'abord qu'ils sont venus pour les aider à rétablir le gaz ! Dès qu'il est question de la jeune fille rebelle, les visages se ferment. Aussi bienveillants soient-ils, les villageois ont une vision traditionaliste de la société, l'étudiante en arts rejoignant l'actrice dans la catégorie des quasi-prostituées... même s'ils admirent la vedette du petit écran.
Panahi et sa complice vont passer la nuit au village. Cela nous vaut un plan magnifique de la nuit tombant sur une misérable bicoque, où s'est réfugiée une ancienne actrice, mise au rancart après la Révolution islamique. On ne verra pas ce troisième visage, juste le personnage de dos, peignant dans un pré. Le fil est ainsi remonté, de la jeune "écervelée" à l'ancêtre qui a connu l'Iran au temps du Shah, la vedette actuelle permettant de tisser les liens.
On comprend que c'est une histoire engagée, de nouveau en faveur de la liberté des femmes. Incidemment, Panahi règle quelques comptes. C'est notamment le cas dans la séquence nocturne au village. L'actrice vedette est allée au café local pour téléphoner à la production du film dont elle a quitté le tournage pour partir à la recherche de sa jeune fan. C'est le moment où réapparaît le grand-père du début. Il invite l'actrice à boire un thé. S'engage alors une discussion à la fois sociologique et surréaliste autour d'un... prépuce ! C'est subtil et délicieux... et cela débouche sur une critique du régime iranien. Le grand-père se désole que son acteur fétiche (Behrouz Vossoughi) ne soit pas accessible (il vit exilé aux Etats-Unis). Il ne comprend pas que Panahi ne puisse pas le joindre (il lui est interdit de quitter l'Iran).
D'un point de vue visuel, le début m'est apparu assez cheap. Mais, dès que la caméra embarquée dans la voiture prend le dessus, les plans prennent une tout autre ampleur. Les vues nocturnes sont superbes. J'ai aussi encore en mémoire cette plongée sur la route sinueuse, où il peut se passer tant de choses.
C'est un film superbe, foisonnant, caustique... qui aurait peut-être mérité la Palme d'or.
01:40 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films
mercredi, 06 juin 2018
Foxtrot
J'ai enfin pu voir ce film, qui a débarqué à Rodez plus d'un mois après sa sortie nationale... Il est signé Samuel Maoz, auquel on doit l'excellent Lebanon, qui date de déjà presque dix ans. Sans surprise, le titre est à sens multiple : c'est le nom du poste de contrôle auquel des appelés du contingent israéliens sont affectés ; c'est évidemment aussi le nom d'une danse... et une métaphore de ce qui se passe (ce que l'on ne comprend pleinement qu'à la fin).
L'histoire est divisée en trois parties, complétées par un court épilogue. L'appelé du contingent Yonatan est le héros de la deuxième partie, qui répond à la première, où l'on voit principalement ses parents, incarnés par deux acteurs chevronnés, Lior Ashkenazi et Sarah Adler (vue il y a trois ans dans Self Made).
La première partie tourne autour du deuil. En dépit de quelques longueurs, j'ai été touché par le personnage du père, vraiment très bien interprété. Ce bloc de granit, peu expressif, masque des failles que la suite va nous faire découvrir. Vers la fin du premier tiers, un coup de théâtre survient, qui change le ton de l'histoire.
C'est à travers le fils que l'on va découvrir l'une des failles du père. Un soir, dans le container rouillé (et instable) qui sert de caserne aux appelés du contingent, le jeune homme raconte à ses camarades une stupéfiante anecdote, qui permet de surcroît de comprendre l'hostilité manifestée (dans la première partie) par la grand-mère vis-à-vis de son père.
Cette deuxième partie met en contact les soldats avec des Palestiniens (sans doute du Sud de Cisjordanie), qui empruntent une de ces routes réservées, dont l'armée israélienne garde la possibilité de bloquer la circulation. Dès la première scène, on comprend que c'est tendu entre les soldats et les adultes qu'ils contrôlent. L'abus de pouvoir n'est pas loin... mais c'est plutôt l'inexpérience et la maladresse qui sont à redouter.
C'est dans cette partie que la réalisation est la plus brillante. Je n'ai jamais vu un vieux poste de radio aussi bien filmé. J'ai aussi en tête la scène qui se conclut par le surgissement d'une canette de bière. Les plans sont remarquablement construits et la lumière est superbe.
Dans la troisième partie, on retrouve les parents, après une ellipse. Cette fois-ci, c'est sur la douleur de la mère que le réalisateur insiste. J'ai beau apprécier l'actrice, j'ai été moins touché. J'ai quand même aimé la scène qui voit intervenir une substance hallucinogène, à la grande surprise de la fille du couple qui débarque à l'improviste. Quant au père, il finit par faire une révélation qui éclaire les parties précédentes.
C'est vraiment un très bon film, pas toujours facile d'accès, mais parfois virtuose au niveau de la mise en scène.
22:38 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, cinema, film, films
dimanche, 03 juin 2018
Opération Beyrouth
Le Liban sert de cadre à ce thriller politique, qui est aussi un peu un film d'espionnage. Derrière la caméra se trouve Tony Gilroy, auquel on doit notamment Michael Clayton, mais que l'on connaît surtout comme scénariste des Jason Bourne (et de Rogue One).
L'intrigue se déroule en deux temps, dans les années 1970 puis dans les années 1980. La première partie, assez brillante sur le plan formel, ressuscite la ville libanaise avant la guerre civile. A l'époque, on parlait du pays comme d'une petite Suisse du Proche-Orient. Voitures, vêtements et coupes de cheveux rétro sont de sortie...
Mais le drame n'est pas loin, qui va transformer le héros d'agent gouvernemental vibrionnant en commercial alcoolique et désabusé. C'est ainsi que l'on retrouve Mason Skiles une dizaine d'années plus tard. Dans le rôle, Jon Hamm (vu récemment dans Baby Driver) est excellent, même s'il nous ressert une énième version du mec brillant qui a perdu ses illusions, porté sur l'alcool fort, barbe de trois jours et sourire engageant à la clé. Il le fait très bien, quelque part entre Jeffrey Dean Morgan et Robert Downey Jr.
Il est entouré par une brochette de seconds rôles de très bonne qualité, avec Rosamund Pike et quelques vieux routiers comme Dean Norris, Shea Whigham et Jonny Coyne (ainsi que Leïla Bekhti, dans la première partie). A noter que, dans la version française, on n'a doublé que les dialogues en anglais, laissant les discussions en arabe sous-titrées.
Le scénario, en béton armé, s'inspire (sans la suivre de trop près) d'une histoire vraie, celle de l'enlèvement du chef de poste de la CIA à Beyrouth, William Buckley. Mais les auteurs ont choisi de changer partiellement l'arrière-plan. Le conflit israélo-palestinien (et ses multiples ramifications) prend le dessus sur le contexte strictement libanais. Cela conduit à minorer le rôle du Hezbollah et de la Syrie (dirigée par Hafez el-Assad, le papa de Bachar).
Mais l'on peut parfaitement ignorer ces considérations et se contenter de suivre un excellent suspens, sur fond de manipulations et de corruption.
12:03 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films
samedi, 26 mai 2018
Mahmoud Abbas à pleins tubes
Le président de l'Autorité palestinienne est de santé fragile (à 83 ans, cela se comprend). Beaucoup de personnes se posent des questions quant à sa capacité à diriger l'Autorité palestinienne. Il semble usé par les années passées au pouvoir (plus de treize) et discrédité auprès d'une partie des Palestiniens. Est aussi évoquée la corruption de son entourage.
La photographie publiée par Wafa (l'Agence de Presse Palestinienne, équivalent de notre AFP) va rassurer ses admirateurs... ou pas :
Confortablement installé dans le fauteuil d'une chambre de l'hôpital situé près de Ramallah (en Cisjordanie), M. Abbas lit ou fait semblant de lire un journal arabe, qu'on lui a peut-être tout simplement mis entre les mains, pour réaliser la photographie.
Le problème vient de la dernière page, celle de droite. (N'oubliez pas le sens de la lecture, en arabe.) On y distingue une caricature, dont j'ai trouvé une version plus nette :
Elle représente un soldat de l'armée israélienne en train d'empoisonner un bébé arabe (sans doute palestinien). C'est visiblement une allusion à l'affaire Leïla Ghandour, dont on sait aujourd'hui qu'elle a été montée en épingle (peut-être de manière infondée) dans un but de propagande.
Cependant, le soldat n'est pas en train de lancer une grenade lacrymogène (cause supposée -et contestée- du décès) sur une foule au sein de laquelle se trouve l'enfant. Il l'empoisonne à l'aide de biberons contaminés. Certains diront que la caricature fonctionne sur le symbole, le gaz lacrymogène pouvant être comparé à un poison. (Il est certes pathogène, mais, en théorie, pas mortel.) D'autres personnes y verront une énième version d'une rumeur antisémite, qui remonte au Moyen-Age et refait périodiquement surface, la pratique de crimes rituels (le meurtre d'enfants, à l'époque de la Pâque juive).
Par une étrange coïncidence, l'homme qui tient le journal véhiculant ce cliché infondé a tenu des propos du même tonneau, il y a deux ans, avant de s'excuser quelques jours plus tard (reconnaissant le caractère infondé de la prétendue information). Cela ne semble hélas pas lui avoir servi de leçon, puisqu'il a récemment récidivé, dans le genre cliché antisémite.
Ce sont des éléments qui accréditent l'idée que le choix du journal (pour la photo de l'hôpital) avec la caricature nauséabonde est conforme à ce que pense le président palestinien. Pourtant, pendant des années, il est passé plutôt pour un modéré. Il fut l'une des chevilles ouvrières des Accords d'Oslo... et il a dû se coltiner les frasques de Yasser Arafat.
A la différence de celui-ci (né au Caire), il est né dans la Palestine mandataire, plus précisément dans le Nord, en Galilée, à Safed (aujourd'hui Tsfat, en Israël) :
Mahmoud Abbas est donc un authentique réfugié, puisque sa famille a quitté la région lors de la première guerre israélo-arabe, celle de 1948-1949. Mais le plus remarquable est qu'en 2012, l'ancien réfugié devenu président de l'Autorité palestinienne a reconnu que, s'il aimerait beaucoup revoir la ville de son enfance, il n'envisageait pas de retourner y habiter... ce qui lui a valu la haine des extrémistes qui ont fait du droit au retour (de surcroît déformé) leur fonds de commerce politique.
Du coup, je suis partagé. Dans ses récentes interventions publiques, Mahmoud Abbas est peut-être tout simplement un homme âgé, fatigué, déçu de ne pas avoir pu achever son oeuvre (en partie à cause des gouvernements israéliens)... ou alors, ayant perdu toute lucidité, il est manipulé par son entourage.
12:58 Publié dans Politique, Politique étrangère, Presse, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, actualité, presse, médias, journalisme, iraël, proche orient, gaza