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jeudi, 14 mars 2024

Madame de Sévigné

   Je me suis laissé tenter par cette production "qualité française", du cinéma classique mettant en valeur un pan de notre patrimoine culturel. J'ai été attiré par la distribution et le sujet, la célèbre (?) marquise étant une fine plume, pour ce que j'ai pu en lire.

   La réalisatrice Isabelle Brocard a choisi de mettre l'accent sur la relation mère-fille et l'idée d'indépendance. La vraie bonne surprise de ce film est l'interprétation d'Ana Girardot, que j'ai trouvée à la fois belle et touchante, crédible à trois âges/états différents : encore innocente à peine sortie de l'adolescence, prenant un peu d'assurance en jeune maman, adulte plus froide investie dans le rôle d'épouse... un quatrième état se révélant, à la fin.

   La principale réussite du film est la mise en scène de la réflexion sur l'indépendance des femmes. Karine Viard incarne celle qui fut veuve très jeune (à 25 ans) et évita soigneusement de se remarier, gérant prudemment la fortune familiale. Elle voudrait voir sa fille (qu'elle a mariée à un veuf beaucoup plus âgé qu'elle) suivre ses traces, mais celle-ci finit par considérer son mariage comme une manière de devenir indépendante de sa propre mère. Le problème est qu'en coupant le cordon ombilical, elle se place sous la coupe d'un époux pas particulièrement bienveillant.

   C'est l'occasion de signaler que les seconds rôles masculins sont bien campés, notamment par Cédric Kahn et Laurent Grévill.

   C'est la mise en images (et sons) de l'aspect littéraire de cette histoire qui pose problème. On entend lire certaines des lettres de la marquise... pas les plus brillantes à mon avis. Karine Viard ne paraît pas crédible en femmes de lettres, pas plus que Noémie Lvovsky en Madame de La Fayette (auteure - rappelez-vous - du roman préféré de Nicolas Sarkozy). Les scènes de salon sont ratées... et c'est vraiment dommage parce que, dans les dialogues, on sent parfois un effort d'écriture. Mais tout cela tombe à plat. (Je pense qu'une comédienne comme Sandrine Kiberlain aurait été plus emballante dans le rôle de la marquise.)

   Cci dit, de temps en temps, une scène sort du lot, comme celle qui voit la fille de Madame de Sévigné tenter de rentrer dans les bonnes grâces de Louis XIV. Celui-ci a autrefois manifesté du désir à son égard. La belle et jeune épouse du comte de Grignan espère que cette ferveur passée pourra servir les intérêts de son mari. (A cette occasion, on comprend que l'ex-jouvencelle a bien progressé dans l'art de l'intrigue.) De passage, le roi se montre davantage intéressé par les talents littéraires de la mère, provoquant du dépit chez la fille.

   Cela ne suffit toutefois pas à sauver complètement le film, un peu décevant.

   P.S.

   A lire, dans la collection (de poche) "Folio 3 euros" :

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mercredi, 06 mars 2024

They shot the piano player

   « Ils ont flingué le pianiste » nous disent les réalisateurs de ce documentaire historico-musical, présenté sous forme de film d'animation. Il nous conte l'enquête menée au XXIe siècle par un journaliste états-unien (de gauche : il travaille pour The New Yorker) sur un musicien de bossa nova méconnu, le Brésilien Francisco Tenório junior, disparu en Argentine en 1976, à la veille du coup d’État militaire.

   L'histoire démarre aux États-Unis, au cours d'une séance de lecture de l'ouvrage écrit par celui qui s'était d'abord passionné pour la musique brésilienne, qui a connu son apogée dans les années 1950-1960, juste avant la mise en place d'une de ces dictatures militaires soutenues par Oncle Sam dans sa lutte contre l'hydre bolchévique. On nous plonge ensuite dans son enquête, qui fait surgir à l'écran des images d'époque, dans des tons chauds, sur un fond musical absolument enchanteur, quand bien même parfois le contexte était terrible.

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   Le journaliste (doublé par Jeff Goldblum dans la version originale) est donc parti enquêter au Brésil, à la recherche des musiciens rescapés de cette époque, ou de leurs proches. Rapidement, il en vient à poursuivre son travail en Argentine. D'abord destiné à évoquer l'histoire d'un pan de la musique sud-américaine, son livre va petit à petit se focaliser sur la vie et l’œuvre de Tenório, considéré comme un virtuose à l'époque, mais qui a très peu enregistré... et, surtout, qui a disparu dans des circonstances mystérieuses.

   Sur celles-ci plane l'ombre de la dictature argentine et de ses forces spéciales, qui écumaient les rues de Buenos Aires en Ford Falcon. On pense un peu à une vieille chanson de Jean-Pierre Mader (Disparue) et à la Française Marie-Anne Erize. L'impression de malaise se confirme quand il est fait mention de la sinistre École de mécanique de la marine. (Les vieux cinéphiles se rappelleront du film Garage Olimpo.)

   Fort heureusement, la musique et la chaleur humaine des artistes viennent détendre l'atmosphère. L'animation n'est pas virtuose, mais elle met bien en valeur les musiciens et les témoignages des proches. Les décors sont assez chouettes.

   Le journaliste va mener son enquête à son terme, grâce notamment à un ancien officier qui a accepté d'en dire plus sur ce qu'il s'est passé à Buenos Aires à la fin des années 1970.

   C'est un film à la fois beau et glaçant, mêlant la terreur des anciennes dictatures au bien-être procuré par une musique pleine de douceur et de subtilité.

vendredi, 01 mars 2024

Les Chèvres !

   Aussi surprenant cela puisse-t-il paraître, l'argument du film (le procès d'un animal accusé d'avoir provoqué la mort d'un humain) n'est pas une histoire tordue tirée de l'esprit malade d'un scénariste en mal d'inspiration. Au Moyen Age en particulier, il est arrivé que la justice condamne des quadrupèdes, notamment des cochons.

   Fred Cavayé s'est-il souvenu d'un vieux sketch de Dany Boon, dans lequel le personnage principal avait pour compagne... une chèvre ? Quoi qu'il en soit, le réalisateur d'Adieu Monsieur Haffmann s'est lancé dans cette périlleuse aventure, entouré d'une distribution prestigieuse.

   Le cahier des charges est rempli d'intentions louables : la dénonciation de l'esprit de clocher, du rejet de l'autre (qu'il soit d'une autre nation, d'une autre région... ou d'un autre village), des préjugés sexistes... et de la justice spectacle. On nous plonge dans une France pittoresque, celle du milieu du XVIIe siècle, en Province, supposément à la frontière de la Savoie (même si le film a été tourné dans un charmant village du Lot, à Saint-Cirq-Lapopie). Les emperruqués y croisent les sans-dent dents-gâtées, les Parisiens des Provinciaux... voire des Savoyards Savoisiens. Il y a même une ébauche de mystère concernant la mort d'un maréchal de France (puisque la chèvre n'est évidemment pas responsable de son décès).

   Le problème est que, malgré tous ces ingrédients, la sauce ne prend pas. Il y a bien trois ou quatre moments franchement drôles, mais, le reste du temps, au mieux, on sourit. Pourtant, certains comédiens "font le job", comme on dit. Jérôme Commandeur est très convaincant en avocat parisien prétentieux. Grégory Gadebois n'est pas mal en Mazarin, tout comme Ludivine de Chastenet en aubergiste. La jeune Claire Chust n'est pas maladroite non plus en amie des chèvres... et les (brèves) apparitions de Marie-Anne Chazel à l'écran ne manquent pas de sel.

   J'ai eu l'impression qu'on avait suivi une sorte de recette du succès qui, hélas, donne une espèce de plat cuisiné moyennement savoureux. Je note aussi qu'on semble avoir eu du mal à choisir entre la pseudo-reconstitution historique et les anachronismes assumés.

   Le film est plutôt dispensable.

   P.S.

   A lire, pour les amateurs d'anecdotes, un bon livre de l'historien Michel Pastoureau, qui part de l'analyse d'un fait divers pour aboutir à une histoire de l'héraldique :

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dimanche, 25 février 2024

Une Vie

   Il ne s'agit pas d'une nouvelle adaptation du roman de Guy de Maupassant. (Stéphane Brizé s'y est attelé il y a sept-huit ans.) Plus que d'une seule vie, il est question de celle de près de 700 personnes, des enfants sauvés de la déportation, en 1938-1939, par un employé de banque londonien, Nicholas Winton, épaulé par des bénévoles britanniques et tchécoslovaques.

  L'histoire nous est contée sous deux formes : des scènes anciennes (londoniennes et praguoises), tournées dans des tons bleutés ou gris, et des scènes "contemporaines", évoquant les années 1987-1988, où dominent le jaune, l'orange, le marron. C'est le code visuel utilisé pour distinguer les deux époques.

   Le montage alterne les scènes "récentes" et anciennes. C'est, je pense, le bon choix, plutôt que de procéder de manière strictement chronologique. C'est donc en alternance qu'on va suivre, d'un côté le paisible retraité qui fait le tri dans ses papiers, jusqu'à tomber sur une mystérieuse sacoche, de l'autre côté de jeunes adultes britanniques et tchécoslovaques qui tentent de donner un avenir à des enfants en majorité juifs.

   Anthony Hopkins apporte son charisme tranquille au Nicholas Winton âgé, tandis que Johnny Flynn est une bonne surprise en version jeune du banquier. Celui-ci apparaît étonnamment idéaliste, tout comme la plupart des bénévoles qui s'investissent dans le sauvetage. Les scènes anciennes donnent un aperçu du travail de fourmi qu'il a fallu fournir à l'époque pour identifier, informer, convaincre les familles de ces enfants, beaucoup vivant dans une misère crasse. Mais le plus dur fut peut-être d'obtenir les autorisations des fonctionnaires britanniques et d'organiser les transports (en train). La mère du banquier (interprétée par la toujours formidable Helena Bonham Carter) a joué un rôle décisif. Du côté tchécoslovaque, ce sont plutôt les gamines qui m'ont touché, une assez joyeuse malgré la situation (et malgré son sourire édenté), une autre fan de ski et de natation (comme Winton) et une troisième mutique, agrippée à un bébé qui n'est pas le sien.

   Paradoxalement, c'est plus par les scènes des années 1980 que j'ai été ému. Elles sont moins appuyées que celles se déroulant à la veille de la Seconde Guerre mondiale et Hopkins y impose par sa seule présence une louable délicatesse.

   J'ai beaucoup aimé cet éloge d'un héros ordinaire, discret, humble, loin de notre monde tapageur et superficiel.

dimanche, 18 février 2024

Léo

   Sous-titré "la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci", ce film d'animation anglo-saxon (intitulé The Inventor dans sa version d'origine) ne traite que d'une petite partie de la vie de Léonard de Vinci, ses dernières années (1516-1519), qu'il a vécues sous l'autorité du pape Léon X (à Rome) puis du roi François Ier (à Amboise).

   Il est composé de trois types d'images : celles mettant en scène de petites poupées filmées en stop-motion, celles, plus classiques, dessinées (évoquant des moments d'imagination) et celles qui reproduisent des croquis du "génie florentin" (les plus belles, de très loin). Je suis moyennement convaincu par l'utilisation des poupées et des maquettes. J'ai déjà vu ce procédé à l’œuvre, ailleurs... mieux fait.

   Sur le fond, c'est intéressant. On nous montre un créateur protéiforme, obsédé par la recherche de la Vérité (anatomique, spirituelle...), tentant d'échapper aux foudres de l’Église catholique, mais devant se plier aux exigences de son nouveau mécène, le roi de France, hélas présenté comme un adolescent immature (tout comme les souverains d'Angleterre et d'Espagne). Les personnages féminins sont plus captivants, à commencer par celui de la reine mère, Louise de Savoie (doublée par Marion Cotillard), une femme de caractère (à laquelle, hélas, on fait manier l'épée, une totale invraisemblance). Plus cocasses sont les interventions de Marguerite d'Angoulême, la sœur aînée de François Ier (doublée par Juliette Armanet)... et la grand-mère du futur Henri IV. On fait de ce personnage le plus grand défenseur de la modernité (avec Léonard) : femme indépendante, cultivée, entreprenante (déjouant les instructions du roi). On va même jusqu'à présenter le duo Marguerite-Léonard comme précurseur du développement durable...

   Le film a toutefois le mérite d'évoquer le projet (réel) de cité idéale, conçu par Léonard et devant être aménagé à Romorantin. Du coup, hélas, tout le reste de son œuvre passe au second plan : la Joconde fait tapisserie et les petites créations mécaniques de l'Italien ne sont introduites qu'en guise d'amusement. En revanche, il est un aspect de la vie de Vinci que le film se garde d'évoquer : son homosexualité. (Je parlerai bientôt d'un autre film, dans lequel, au contraire, le réalisateur fantasme plutôt l'homosexualité de son personnage principal.) Dans son périple français, il est pourtant accompagné de Francesco Melzi, présenté comme son assistant, mais qui était aussi son amant (auquel il  a légué ses études et croquis).

   Ceci dit, le film en dit déjà beaucoup... et même trop, pour nos têtes blondes (brunes, rousses, chauves...). Les gamins retiendront peut-être que Léonard était gaucher et capable d'écrire à l'envers mais, dans la salle où je me trouvais, les plus jeunes ont rapidement décroché. Pour ceux qui ne connaissaient rien de l'artiste-inventeur, la somme d'informations à gérer est trop importante... et je doute qu'ils aient compris quoi que ce soit quand il est question d'âme.

   Du coup, je suis sorti de là mitigé.

mercredi, 14 février 2024

La Zone d'intérêt

   Grand Prix au dernier festival de Cannes (certains affirmant que c'est la vraie Palme d'or), cette fiction à caractère documentaire de Jonathan Glaser a été tournée en allemand (pour plus de réalisme, je présume). Les dialogues n'y occupent toutefois guère de place, l'essentiel du signifiant étant porté par ce que l'on voit à l'écran... et ce que l'on n'y voit pas, mais dont on devine la présence.

   C'est toute la question qui se pose, quand on traite du fonctionnement du camp d'Auschwitz (qui, rappelons-le, fut un camp triple : d'abord de concentration, auquel se sont ajoutées deux annexes, une usine chimique et un centre d'extermination, Birkenau).

   C'est dans ce sens je pense qu'il faut comprendre l'écran noir du début. Certaines choses sont immontrables, mais on peut quand même les évoquer avec force, grâce à la mise en scène.

   Il convient donc d'être attentif aux détails, à ce qui entre au domicile de la famille de Rudolf Hœss, à ce dont on discute le plus souvent à demi-mots, à ce qu'on peut voir quand on est à la porte d'entrée ou dans le jardin.

   Le reste du temps, on nous présente la vie ordinaire d'une famille traditionnelle de cadre supérieur, l'épouse s'occupant du foyer, l'époux partant au travail le matin, revenant le soir. L'épouse (tout aussi nazie que le mari) dispose de domestiques, soit des Polonaises (catholiques) du coin, soit des détenues allemandes (non juives). Toutes sont consciences de la précarité de leur situation et des petits avantages qu'il y a à travailler sous la houlette d'une maîtresse de maison, même acariâtre.

   Cella-ci, interprétée par Sandra Hüller, vole presque la vedette à Christian Friedel (qui incarne Hœss). Le directeur du camp (de 1940 à 1943) gardera une partie de son mystère, tandis que le caractère de son épouse se dévoile au fur et à mesure que le film avance... et ce n'est pas à l'avantage du personnage.

   Martyriser des déportés et exterminer des juifs et des Tsiganes est donc un travail comme les autres pour les cadres nazis. Ils prennent soin de célébrer l'anniversaire du patron, à l'entrée de sa maison, de l'autre côté de la rue où commence le camp. Dans son salon, Hœss reçoit des gradés et les représentants d'entreprises qui tentent d'obtenir un marché crucial : celui de la construction de nouveaux crématoires et de nouvelles chambres à gaz. On est en pleine horreur humaine, mais filmée de manière glacée, frontale, sans explication. J'ai trouvé cela brillant, mais pas facile à supporter sur le plan émotionnel.

   Une séquence particulièrement signifiante est celle de la venue de la belle-mère de Hœss. Ancienne femme de ménage, elle vit comme une ascension sociale le mariage de sa fille avec un dignitaire nazi. Elle est ravie de découvrir la maison de maître (même si elle n'est pas aussi grande qu'elle se l'imaginait), la présence de domestiques (aucune n'étant juive, prend-on la peine de lui préciser)... et les petits à-côtés. Elle a appris qu'une de ses anciennes patronnes juives a été déportée au camp, sans que cela l'afflige... mais elle ne sait pas tout. Durant son bref séjour, elle va dormir dans l'une des chambres des enfants du couple Hœss. (Ils ont cinq gosses !) L'une des fenêtres donne sur le camp. De temps en temps, de la fumée sort de cheminées, au loin. Elle entend ce qui ressemble à l'arrivée de trains, des cris étouffés... La belle-mère finit par comprendre ce qu'il se passe "de l'autre côté". Je laisse à chacun(e) le plaisir de découvrir sa réaction.

   Tout le film est comme cela, par petites touches glaçantes, la caméra et le hors-champ suggérant beaucoup, pour qui prend la peine d'écouter, de regarder et de réfléchir.

   Certes, compte tenu de son sujet, c'est un film assez pénible (sur le fond), mais, sur la forme, c'est magistral.

   P.S.

   Pour mieux comprendre la psychologie de Rudolf Hœss, on peut lire son autobiographie (rééditée en collection de poche), rédigée quand il était emprisonné en Pologne, attendant d'être jugé, après guerre. En dépit des tentatives d'autojustification (énoncées sans doute pour échapper à la peine de mort), son témoignage est fort instructif, à la fois sur l'auteur et sur le milieu dans lequel il a évolué, de sa jeunesse au commandement du camp.

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samedi, 27 janvier 2024

Les Colons

   Le titre de ce film à prétention historique est ambigu. Le terme "colons" semble désigner les étrangers (européens ou nord-américains) venus tenter leur chance au Chili à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle. Ce sont plutôt des migrants, dont certains se sont mis au service des dominants, les criollos (ou créoles), descendants eux des colons installés dans les premiers temps de la conquête européenne. Cette alliance se fait au détriment des Indiens, dépossédés de leurs terres, pourchassés, voire violé(e)s, tué(e)s.

   Cet aspect-là, pour démonstratif qu'il soit, constitue la part intéressante du film, en particulier lorsqu'est mis en scène le fossé qui sépare les pauvres (qu'ils soient amérindiens ou pas) de l'élite dirigeante (fortunée), qu'elle soit conservatrice (comme le grand propriétaire Menéndez) ou progressiste (comme l'envoyé gouvernemental).

   La première partie prend la forme d'un western crépusculaire, puisqu'il s'accompagne d'exécutions et de viols. Les paysages sont jolis, mais mon Dieu que c'est poussif ! J'ai plus d'une fois piqué du nez. Je trouve aussi que le jeu de certains acteurs est maladroit. C'est dommage, parce que la cause est belle.

   Une séquence m'a particulièrement posé problème : celle qui fait intervenir des militaires en rupture de ban. Ils sont britanniques (notamment gallois). L'apparence de respect des règles va assez rapidement laisser la place à des pulsions moins civilisées. Dans cette séquence, j'ai ressenti de la part du réalisateur la double volonté de dépeindre ces Occidentaux de la manière la plus péjorative qui soit et de les humilier. Devant cette caméra, tous les vices sont européens (ou nord-américains). On tombe dans une forme de manichéisme.

   La seconde partie nous projette quelques années plus tard. Sur le fond, elle donne une autre saveur à l'histoire. Sur la forme, elle est moins intéressante.

   Le sujet était porteur, mais le résultat n'est pas particulièrement emballant.

dimanche, 21 janvier 2024

Stella, une vie allemande

   Une jeune femme répète un spectacle musical (jazzy) avec son groupe d'amis musiciens. Ils sont jeunes, bien de leur personne, assez doués, avec une forte envie de croquer la vie à pleines dents. Certains (dont l'héroïne éponyme) espèrent signer un contrat avec un producteur de Broadway... mais, voilà : nous sommes en 1940, en Allemagne (nazie)... et ces musiciens (tout comme la chanteuse) sont juifs.

   L'intrigue (inspirée d'une histoire vraie, celle de Stella Goldschlag, que je conseille de ne pas lire avant d'avoir vu le film) est découpée en deux parties. La première est, à mon avis, la moins intéressante. C'est celle qui contient les scènes les plus traditionnelles, voire convenues, auxquelles le réalisateur tente d'apporter un peu d'originalité caméra à l'épaule. Le résultat n'est guère convaincant. Ainsi, on perçoit trop bien que les musiciens ne jouent pas vraiment pendant les scènes de répétition. Seule la chanteuse sonne juste. Il faut dire que Paula Beer irradie dans ce long-métrage, où elle est filmée sous toutes les coutures, dans tous les états. Elle confirme tout le bien que je pense d'elle depuis Frantz.

   Mais on a déjà vu (en mieux) les scènes de débrouille, celles de vagues d'arrestation ou de dissimulation. C'est peut-être utile pour les jeunes générations, mais les vieux cinéphiles (et lecteurs) n'auront pas le plaisir de la découverte. Certaines scènes m'ont même paru grotesques, comme la fiesta dans un riche appartement berlinois, en plein bombardement, ou le rapport sexuel à moitié consenti, dans la ferveur de l'instant.

   Le film bascule lors de l'arrestation par la Gestapo, qui enclenche une série de tortures que la caméra aborde frontalement. C'est à la limite du soutenable... et beaucoup plus réaliste que bien des œuvres antérieures consacrées au sujet, dans lesquelles souvent on élude ou on ne montre que les conséquences des mauvais traitements.

   Cette violence explicite est toutefois nécessaire pour faire comprendre le basculement de l'héroïne. Au départ, elle n'est qu'une jeune femme un peu frivole, prête à bien des concessions pour continuer à profiter de la vie, en dépit des circonstances. Elle passe d'un homme à l'autre, chaparde, truande... mais, dans cette seconde partie, son comportement devient extrêmement discutable.

   Le réalisateur ne juge pas... du moins, pas immédiatement. (On sent quand même son point de vue au moment du deuxième procès, après guerre.) Il laisse sa chance à son personnage, très bien incarné par Paula Beer. C'est un peu longuet, mais l'histoire est bigrement forte. Je ne la connaissais pas. Elle m'a vraiment retourné et je trouve que, d'un point de vue général, elle pose de bonnes questions, entre autres : qu'est-on prêt à faire pour survivre ?

samedi, 06 janvier 2024

Une Affaire d'honneur

   Après avoir tant joué dans des œuvres dites "de cape et d'épée", Vincent Perez a décidé d'en réaliser une. Son intrigue ne se déroule pas sous la monarchie, mais au début de la IIIe République. Les années 1880 sont celles de la consolidation républicaine, mais avec une profusion de duels, l'exercice étant désormais fort prisé de la bourgeoisie dominante... masculine.

   Trois histoires vont se croiser. il y a tout d'abord celle du maître d'armes (fictif) Clément Lacaze, ancien militaire, vétéran de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. C'est l'une des plus fines lames de France et c'est son orgueil. Son neveu se retrouve embarqué dans une histoire sordide : pensez donc, il s'est épris de la jeune épouse d'une gloire militaire nationale. S'ajoutent à cela les actes d'une militante féministe (qui elle a bien existé) : Marie-Rose Astié de Valsayre. En plus de revendiquer le droit de vote des femmes, elle milite pour l'abolition du décret napoléonien qui interdit le port du pantalon aux dames (à Paris)... et elle se pique de manier l'épée, comme les messieurs.

   J'ai été pris par cette triple intrigue parce que les acteurs sont très bons, en particulier Roschdy Zem, impérial en figure hiératique de l'escrime. Doria Tillier (un peu maigrichonne pour être totalement crédible en bretteuse) convainc en féministe libertaire. Vincent Perez fait un très bon antagoniste, tout comme Damien Bonnard, qui semble avoir pris plaisir à incarner un gros blaireau. A l'arrière-plan, on remarque notamment Guillaume Gallienne. Tout cela sent la "qualité française"... et ce n'est pas ennuyeux.

   La mise en scène s'est évertuée à reconstituer les rituels de duel (à l'épée, au pistolet, au sabre), tout en ménageant le suspens (jusqu'à la fin), même si l'on sent un peu trop venir le drame du début. Les quatre séquences de combat sont fort bien conçues.

   Si je devais mettre un bémol, ce serait à cause de l'ébauche de romance entre Lacaze et Astié que Perez et sa scénariste ont voulu insérer. Bof, bof...

   Si on laisse de côté cet aspect secondaire de l'intrigue, on passe un très bon moment.

vendredi, 15 décembre 2023

Napoléon pour les nuls

- Dis tonton, pourquoi tu n'aimes pas ce film ?

- Eh bien, ma petite Apolline, tout d'abord parce qu'il est farci d'erreurs historiques... un comble pour ce qui se présente comme un biopic !

- Des erreurs... comme quoi ?

- Dès le début, dans la séquence sur Marie-Antoinette. Tu te rappelles ?

- Oui, elle a pourtant bien été guillotinée ?

- Oui, et en présence d'une foule hostile (voire hargneuse), ce que même des dirigeants révolutionnaires ont regretté. L'ex-reine de France a fait preuve à cette occasion d'une incontestable dignité... un beau contraste avec ce que fut son comportement passé.

- Alors, c'est vrai ?

- Pas totalement. Tout d'abord, d'après ce qu'on voit dans le film, elle aurait été exécutée dans la cour d'un château (Versailles ?)... alors que la scène a eu lieu à 30-40 kilomètres de là, en plein centre de Paris, place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). De plus, quand elle a été conduite sur le lieu de l'exécution, ses cheveux avaient été coupés (pour éviter qu'ils ne gênent le tranchant de la guillotine)...

- C'est super glauque !

- Les gros plans faits (dans le film) sur la main du bourreau retenant les cheveux le sont encore plus... parce qu'ils sont historiquement faux !

- Et Napoléon, il était bien là ?

- Eh non ! A cette époque, il se trouvait déjà à Toulon. En revanche, la manière dont est mise en scène la prise de la ville (et le départ des Anglais) n'est pas très éloignée de la réalité.

- Il a bien utilisé des canons alors ?

- Oui.

- Comme sur les pyramides ?

- Pas du tout. Il n'a pas fait tirer sur ces monuments... Les canons de l'armée française n'auraient pas été capables, à l'époque, de faire de genre de dégâts.

- Et Joséphine, c'était bien sa meuf ?

- Ah, ça, oui. Il en a même été raide dingue à une époque. Sur la fin de sa vie, malgré les rancœurs et les reproches, il avait gardé des sentiments pour elle. Mais, contrairement à ce qui est montré dans le film, c'est lorsqu'il se trouvait à l'île d'Elbe (lors de son premier exil) qu'il a appris sa mort, pas en arrivant en France métropolitaine.

- Elle l'a trompé, non ?

- Oui !... et plus d'une fois... tout comme lui, d'ailleurs.

- Avec la fille que sa mère lui a présentée ?

- Oui, mais cela ne s'est pas passé comme dans le film. Celui-ci montre Letizia Bonaparte comme une entremetteuse, alors que la liaison entre Napoléon et la jeune noble est plus née du hasard que d'un plan visant à vérifier sa capacité à avoir des enfants.

- Ils ont bien eu un fils ?

- Oui et on l'a appelé Léon (sans "Napo" devant). Il paraît qu'il ressemblait physiquement à son père biologique... mais qu'il n'avait pas ses qualités intellectuelles.

- Dis tonton, Napoléon s'est bien remarié avec une Autrichienne et ils ont eu un enfant ?

- Oui Apolline. La relation de couple entre l'empereur et la jeune Marie-Louise (petite-nièce de Marie-Antoinette !), qui avait 22 ans de moins que lui...

- Le vieux cochon !

- Oh, on a connu pire, avant et après. Ceci dit, le couple se serait bien entendu. Leur fils, celui qu'on a surnommé "le Roi de Rome" puis "l'Aiglon", n'a pas vécu très longtemps. Né en 1811, Napoléon II, emprisonné par les Autrichiens, appelé désormais duc de Reichstadt, était de santé fragile. Il est mort en 1832.

- Et avec Joséphine, Napoléon n'a pas eu d'enfant ?

- Non, et le film le montre bien. Elle avait eu deux enfants de son premier mariage, avec Alexandre de Beauharnais... dont Hortense, qui a épousé un frère de Napoléon (Louis), dont elle a eu un fils... le futur Napoléon III !

- Mais c'est Dallas, ton histoire, tonton !

- Et tu ne sais pas tout. Figure-toi que Joséphine était plus âgée que Napoléon. Étant née en 1763, elle avait six ans de plus que lui, contrairement à ce que montre le film (au moment de la signature du contrat de mariage). Autre erreur : la représentation du sacre. C'est bien Napoléon qui a posé la couronne sur sa tête et sur celle de Joséphine, mais cela n'a pas provoqué de mouvement de surprise dans l'assemblée, puisque ce rituel avait été négocié et programmé avec les services du Pape Pie VII. En outre, Ridley Scott, qui ne veut présenter Napoléon que comme un restaurateur de monarchie, "oublie" la suite de la cérémonie, quand le nouvel empereur prête serment de fidélité aux valeurs de la Révolution et promet de conserver les propriétés acquises sur les biens de l’Église et de la noblesse (ce qu'on a appelé les "biens nationaux").

- Dis donc, il n'aurait pas quelque chose contre la France, ce Ridley Scott ?

- Tu poses une bonne question, Apolline. On avait eu la même impression avec son Robin des Bois, une nouvelle version de la légende. Rappelle-toi, tu l'as vu à la télé.

- Oui. D'ailleurs, c'était pas terrible.

- Ici, il n'y a quasiment aucun personnage français à sauver. Napoléon est un dictateur, un général sanguinaire, un mauvais mari, mauvais amant. Les Françaises sont des "femmes faciles" (gros cliché qui a la vie dure chez les Anglo-Saxons). Les révolutionnaires sont soit des barbares soit des corrompus. Louis XVIII est un abruti... Cela se ressent jusque dans la représentation des batailles.

- Elles sont pourtant impressionnantes.

- Je le reconnais... et c'est peut-être la seule raison d'aller voir ce film, en salle. Il est toutefois dommage que Scott ait "zappé" la campagne d'Italie, au cours de laquelle le jeune officier corse a fait des merveilles avec peu de moyens. Mais la mise en scène de la bataille d'Austerlitz, bien qu'émaillée d'inexactitudes, ne manque pas de souffle. De même la campagne de Russie, bien qu'écourtée à l'extrême, témoigne d'un réel savoir-faire. Quant à Waterloo, elle n'est présentée que d'un point de vue favorable aux Anglais, qui ont sans doute été sauvés sur le fil par les Prussiens, tandis que Napoléon, malade, était moins alerte que d'habitude... et qu'il n'a pas pu compter sur les renforts attendus.

- En clair, c'est pas si nul que ça, mais c'est plus du roman que de l'histoire.

- Tu as tout compris.

samedi, 02 décembre 2023

L'Abbé Pierre

   J'ai mis du temps à me décider à aller voir ce film. Je n'ai pas gardé un excellent souvenir d'Hiver 54 (la précédente tentative, avec Lambert Wilson) et, pour moi, l'abbé Pierre était devenu un vieil homme un peu gâteux, tenant des propos parfois nauséabonds. Le biopic sorti le mois dernier n'élude d'ailleurs pas cette part d'ombre, même si elle est rapidement évacuée.

   Avant d'en arriver là, les spectateurs vont suivre une vie extraordinaire, celle d'un homme d'engagement(s), interprété avec brio par Benjamin Lavernhe (César en vue, à mon avis). Il ressemble physiquement à son personnage et demeure crédible dans le rôle, quel que soit son âge. Mais le film ne serait pas aussi puissant si un autre personnage ne rayonnait pas à ses côtés, celui de Lucie Coutaz, la cheville ouvrière d'Emmaüs, la petite main de l'ombre, incarnée de manière stupéfiante par Emmanuelle Bercot (qui avait déjà croisé la route de Lavernhe dans De Grandes Espérances). Un troisième larron, un peu en retrait, complète ce duo : Michel Vuillermoz, dans le rôle de Georges Legay, ex-taulard suicidaire devenu un nouvel apôtre de la bonne cause.

   J'ai tout de même eu du mal à entrer dans le film. Le début ne m'a pas emballé, notamment tout ce qui touche à la ferveur du jeune apprenti religieux. Pour moi, l'histoire décolle à partir de la Seconde Guerre mondiale, avec une séquence particulièrement réussie autour de la Résistance, mise en scène sans tambour ni pathos. C'est aussi le moment où Henri Grouès rencontre Lucie Coutaz, dans des circonstances qui vont forger une amitié amoureuse de près de quarante ans.

   A la réalisation, Frédéric Tellier (auteur notamment de L'Affaire SK1) réussit son coup. Je n'aime pas du tout les scènes tire-larmes, dont tant de films, français comme étrangers abusent. En général, cela me paraît factice ou surjoué. Tel n'est pas le cas ici. Que ce soit pour décrire les conditions de vie dans la France de l'immédiate après-guerre ou celles du redoutable hiver 1954, le réalisateur reste mesuré, soignant ses effets. Il n'a pas besoin de plus pour bien faire sentir l'horreur de la mort d'un enfant, dans un vieux bus stationné dans un bois. Même l'intervention du ministre est présentée avec doigté.

   On retrouve cette veine, plus tard, quand on nous montre ce qui ressemble à un vieux couple, retiré des affaires. Ils sont touchants tous les deux et la conclusion de leur "histoire" est vraiment poignante.

   J'ai beau tiquer un peu face à l'héroïsation du personnage principal et l'aspect militant d'une partie de la fin (autour des migrants), je trouve ce film très beau, instructif... et utile.

samedi, 11 novembre 2023

L'Enlèvement

   Le dernier film de Marco Bellocchio est consacré à ce qu'on a jadis appelé l'Affaire Mortara, du nom de cette famille italienne juive dont l'un des garçons a été enlevé, sur ordre des autorités religieuses, en 1858.

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   L'action démarre à Bologne, une ville du nord de l'Italie, mais qui, à l'époque, se trouve sous juridiction du Pape, celui-ci contrôlant un vaste territoire appelé "États de l’Église". Le prologue évoque l'année 1852, mais c'est à partir de 1858 que l'histoire s'emballe, en plein Risorgimento : la péninsule italienne, alors morcelée, commence à (re)faire son unité, s'inspirant davantage des idées de la Révolution française que du traditionalisme catholique.

   Il s'agit donc d'un film politique, qui dénonce le pouvoir temporel du Pape (celui-ci très bien interprété par Paolo Pierobon) et la suffisance d'un clergé sûr de détenir la vérité. On comprend sans peine que cette analyse ne se limite ni au XIXe siècle, ni à la religion catholique...

   C'est aussi un film spirituel, qui prône plutôt la compréhension entre les peuples et dénonce l'antijudaïsme du clergé. Il n'est cependant pas un film antireligieux : le point de vue des croyants fondamentalistes est amplement développé (afin, je pense, que l'on comprenne leur logique). C'est d'ailleurs la principale cause du malheur de la famille Mortara : chaque camp est sur ses positions, persuadé d'avoir seul raison.

   C'est enfin un drame familial, dans lequel la mère joue un rôle capital. Elle est incarnée par Barbara Ronchi (déjà remarquée dans Il Boemo), véritablement habitée par son rôle. Le paradoxe est que Bellochio la filme à la fois comme une mère juive traditionnelle et une figure mariale.

   J'ai toutefois trouvé la première partie trop longue, avec un peu trop de mélo. Je reconnais la qualité de la reconstitution historique ainsi que celle de l'interprétation, mais, franchement, parfois, cela manque de rythme. Bellochio aurait dû couper un peu dans ce matériau et développer l'aspect international de l'affaire, qui n'est évoqué que par des dialogues.

   Cela rebondit avec la séquence du procès, vraiment très bien, qui lance le film sur une dernière partie assez palpitante, toujours aussi bien interprétée.

   Du coup, en dépit de mes (petites) réserves, je recommande la représentation de cette histoire forte, un scandale qui fut retentissant à l'époque... avant de tomber dans l'oubli pour des dizaines d'années.

mercredi, 08 novembre 2023

Killers of the Flower Moon

   J'ai enfin pu voir (en version originale sous-titrée) le (très) long-métrage de Scorsese, consacré à l'affaire des meurtres d'Indiens Osage, aux États-Unis (en Oklahoma), dans l'Entre-deux-guerres.

   L'histoire marie l'immersion dans les traditions indiennes et la description d'une énorme série d'arnaques, assaisonnée de meurtres (plus ou moins) maquillés en accidents, suicides...

   Du côté des Osages, Scorsese met l'accent sur le personnage de Mollie (Lily Gladstone, une révélation), une jeune femme assez sûre d'elle, qui ne s'en laisse compter par personne... jusqu'au jour où un petit Blanc mal dégrossi réussit à capter son attention.

   Cet énergumène est incarné par Leonardo DiCaprio, que j'ai trouvé convaincant dans la première partie du film, avant que son jeu ne tourne à la caricature (avec menton proéminent). Dommage, d'autant qu'à l'origine, il devait incarner un personnage beaucoup plus positif, un agent du FBI naissant, qui débarque dans la contrée pour enquêter sur une série de morts suspectes.

   Scorsese a choisi de faire de King Hale le véritable (anti-)héros de l'intrigue... et, d'un point de vue cinématographique, il n'a pas eu tort, tant De Niro étincelle dans le rôle de cette fripouille manipulatrice, qu'il semble avoir pris grand plaisir à interpréter. Il est de plus bien servi par les dialogues. En revanche, les personnages d'Indiens hommes sont taillés à la hache. On n'a pas cherché à en faire émerger une figure positive charismatique, alors qu'il y avait pourtant le matériau, à travers notamment le groupe qui finit par se rendre à Washington.

   Scorsese aime les racailles de l'Amérique de l'envers comme il aime les mafieux. Cela nuit un peu à son intrigue, parce qu'il a visiblement répugné à faire tomber le King de son piédestal. Même emprisonné, celui-ci sort vainqueur par la parole et les manipulations. (De Niro est vraiment très fort dans la manière de faire ressortir cet aspect de son personnage.)

   Sur le plan visuel, on retrouve un cinéaste inspiré. On attendait bien sûr les grands espaces de l'Oklahoma... et ils sont magnifiés. J'ai été plus impressionné par la mise en scène de l'intime et des actions conspiratrices. Dans ces dernières, la ruse le dispute à la maladresse, voire la stupidité. Il est encore plus désolant que les Indiens en aient été victimes.

   Je doute toutefois que ce qui nous est montré à l'écran soit une représentation rigoureuse du passé. On entend par exemple un responsable indien parler, au début des années 1920, d'un "génocide" commis contre sa nation... à ceci près que le mot n'a été inventé qu'en 1944. On n'est pas non plus obligé de croire totalement à la version du personnage d'Ernest Burkhart que joue DiCaprio. L'un des nœuds de l'intrigue est constitué par son indécision, ses oscillations, entre d'un côté l'appât du gain (et la fidélité à son oncle) et, de l'autre, l'amour de plus en plus fort qu'il semble ressentir pour Mollie. Même si l'un des dialogues de la fin remet un peu les choses à plat, c'est (selon moi) de manière trop ténue : le vrai Burkhart était d'abord mû par la cupidité.

   Mais laissons à l'artiste sa liberté d'interprétation, d'autant qu'il rend un bel hommage aux Osages (notamment aux femmes). Le film est certes trop long, mais d'une incontestable beauté.

dimanche, 22 octobre 2023

Promenade à Cracovie

   Ce documentaire polonais est le résultat d'un travail effectué entre 2016 et 2021 (de la recherche historique au montage, en passant par le tournage). Une fois que Roman Polanski (ici témoin, et non cinéaste) a donné son accord, il a fallu trouver une période au cours de laquelle lui et son ami le photographe Ryszard Horowitz soient disponibles pour retourner dans la ville de leur enfance, Cracovie.

   Cela débute avec les retrouvailles des deux octogénaires, dans une voiture où il prend l'envie à l'un des deux de couper les poils qui dépassent du nez de l'autre ! C'est un peu la marque de fabrique de ce film, qui évoque des moments souvent dramatiques, mais avec parfois un humour salutaire.

   Déambulant dans les rues de la Cracovie moderne (devenue une importante ville touristique, point de passage quasi obligé avant de se rendre à Auschwitz), les deux hommes retrouvent le vieux cinéma où, enfant, Polanski a connu ses premiers émois sur grand écran. Sa demi-sœur aînée l'y emmenait... mais pas forcément voir ce qui l'intéressait, lui.

   Ils pénètrent ensuite dans l'appartement où logeait la famille Liebling (qui n'a pris le nom de Polanski qu'après la guerre, au retour de la déportation). Il en est un autre dans lequel le cinéaste n'ose demander à pénétrer, de peur de voir de précieux souvenirs gâchés par les images du présent.

   L'un des moments forts du documentaire est la séquence au cimetière (biconfessionnel), où est enterrée une partie de la famille. La remémoration des obsèques du père est riche en anecdotes, certaines très drôles.

   La suite est plus triste, puisqu'il est question du "déménagement" dans le ghetto, créé après l'invasion allemande. Il ne reste quasiment plus aucune trace de celui-ci dans la Cracovie moderne... et pourtant, les souvenirs sont douloureux. Lors des déportations qui ont suivi, Polanski perd une partie de sa famille (notamment sa mère). Son père lui permet de s'échapper. De son côté, Horowitz, déporté à Auschwitz, a eu la chance de figurer sur la célèbre Liste de Schindler. Tous deux sont des exceptions : l'écrasante majorité des 70 000 juifs de Cracovie (sur une population avoisinant les 250 000 habitants  à la veille de la guerre) a été exterminée par les nazis.

   Parmi les rescapés, beaucoup ont fui la Pologne devenue communiste, où leur retour n'a pas toujours été bien accepté. Le film se voulant un pont entre les deux cultures du pays (la catholique et la juive), il se garde de rappeler qu'entre 1945 et 1970, il y eut plusieurs "piqûres de rappel" antisémites (par exemple en 1953 ou 1970). De leur côté, les familles Polanski et Horowitz (du moins, ce qu'il en restait) sont revenues en ville, le père se remariant très vite, au grand dam de son fils. Roman (surnommé Romek par son ami) a pris l'habitude de passer plus de temps chez les Horowitz, en particulier avec Ryszard, avec lequel il va ensuite développer son goût pour les arts et la culture.

   Un autre moment marquant est la rencontre entre Polanski et le petit-fils du couple de paysans polonais qui l'ont caché, au péril de leur vie, à la fin de la guerre. Cela débouche sur la cérémonie qui déclare les défunts "Justes parmi les Nations", à Yad Vashem.

   Si le documentaire est passionnant, sur le plan historique, je dois reconnaître qu'il est parfois difficile à suivre, ayant été tourné en polonais, sous-titré pour sa sortie en France. A la longue (1h15), c'est un peu usant, en dépit des moments humoristiques qui introduisent une salutaire légèreté.

   P.S.

   Mon billet aurait dû s'arrêter là... mais la séance a été suivie d'un mini-débat, au cours duquel l'un des intervenants a signalé que le film semblait avoir été victime d'une forme de boycott. Déjà, à sa sortie, l'été dernier, la distributrice s'était alarmée du petit nombre de salles ayant programmé le documentaire, certaines s'étant même rétractées.

   A Toulouse, aucun cinéma n'aurait accepté de diffuser le film. Les intervenants n'ont pas voulu insister là-dessus (ni nommer les cinémas). Rappelons simplement que, dans la "Ville rose", l'art et essai est très bien installé, avec l'ex-Utopia, renommé American Cosmograph (qui fut en travaux en juillet-août), l'Utopia Borderouge, l'ABC et Le Cratère (qui reprogramme des films déjà diffusés ailleurs). S'ajoutent deux mastodontes, le Pathé Wilson (ex-Gaumont) et l'UGC Montaudran (inauguré en 2021, deux ans après la fermeture de l'enseigne du centre-ville).

   Je n'aime pas cette sorte de néo-maccarthysme qui se développe dans notre  pays (très minoritairement, mais impliquant des gens influents). Des activistes peu soucieux de la vraie justice tentent d'imposer leur bien-pensance, au détriment de la présomption d'innocence... et de la liberté artistique.

jeudi, 05 octobre 2023

Souffler dans l'anus

   Ce matin, j'étais en voiture, la radio branchée sur France Cul', lorsque j'en ai entendu une bien belle. C'était dans le cadre d'une série d'émissions intitulée « Ni mort, ni vivant, une histoire ». Il était question de la réanimation des noyés. L'un des intervenants a évoqué une méthode des plus inattendues : l'insufflation de fumée de tabac... dans l'anus !

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   La gravure ci-dessus date de 1775. Je l'ai trouvée dans le billet écrit il y a quelques années par l'un des invités de l'émission de France Culture, Anton Serdeczny. Apparemment, ce n'était pas la plus répandue des méthodes d'insufflation, qui impliquaient plutôt un soufflet (sans doute pour augmenter l'efficacité de la projection de gaz).

   Il semblerait que ce fût assez douloureux, soit en raison du procédé (l'introduction violente d'une masse gazeuse, de surcroît chaude), soit en raison de la nature du produit insufflé, le tabac, qui serait particulièrement irritant (quel que soit l'orifice d'entrée).

   Au XIXe siècle, quand les effets nocifs du tabac furent connus, on renonça peu à peu à cette méthode, remplacée par les techniques répandues aujourd'hui (bouche-à-bouche, massage cardiaque...).

   L'émission évoque aussi la peur d'être enterré vivant et le délai qui a été progressivement fixé avant les inhumations. A l'origine, les autorités (civiles comme religieuses) imposaient d'enterrer les cadavres dans la journée. Reporter l'inhumation d'un ou deux jours a sans doute permis aux familles de mieux vivre leur deuil... et a en outre sauvé quelques vies.

mardi, 03 octobre 2023

Le Procès Goldman

   Dans la famille Goldman, c'est le petit jeune, Jean-Jacques, qui est devenu célèbre, et même une icône de la chanson populaire contemporaine. Seules quelques milliers de personnes (adeptes des mouvements qui vont de scission en scission) se souvenaient qu'il avait un (demi-)frère aîné, du genre teigneux, emprisonné, jugé pour meurtre et, finalement, assassiné.

   C'est à ce demi-frère maudit que le film de Cédric Kahn est consacré, à travers une tentative de reconstitution de son second procès aux Assises, en 1976. Nous voilà donc confrontés à un nouveau "film de procès" (un genre en vogue chez l'extrême-gauche branchouille), qui se veut à la fois une mise en scène de la Justice, une réflexion sur l'engagement révolutionnaire... et un peu un film de propagande, nourri de préoccupations plus contemporaines.

   Au centre de tout se trouve Pierre Goldman, incarné, habité même par Arieh Worthalter, qui porte le film sur ses épaules. Il n'a pas cherché à rendre son personnage sympathique, pas plus que le réalisateur d'ailleurs, qui filme tout cela de manière froide (un peu scolaire : c'est souvent du champ/contrechamp), avec suffisamment de détails pour permettre à différents types de public de s'y retrouver.

   Après une entame ratée (le dialogue entre les deux avocats -qui n'a pas existé- étant mal joué, le texte récité comme une leçon apprise par cœur), on rentre dans le vif du sujet avec un plan du "héros", d'abord mutique, assez impressionnant. L'ambiance du procès est bien rendue, avec un chahut très fréquent (on a reproché au président de la Cour de ne pas avoir su maîtriser les débats), celui mené par les soutiens gauchistes de Goldman, une agitation qui contraste fortement avec la dignité des familles des victimes, que souligne la mise en scène de Kahn.

   Indirectement, la situation fait un peu penser à une lutte des classes, mais pas dans le sens où le pensent les amis marxistes de Pierre Goldman. En effet, celui-ci est issu d'une famille de notables, le père étant un commerçant aisé (certes aux origines modestes), ancien résistant, bref une sorte de figure morale, qui a financé les errances scolaires de son fils aîné à une époque où seule une faible proportion d'une génération (autour de 10 %) accédait au baccalauréat. En face se trouvent des personnes appartenant à la petite classe moyenne (notamment l'employée de pharmacie, l'un des clients blessés et le policier agressé). L'aisance verbale de Goldman, au tribunal, contraste avec l'expression maladroite de certains de ses contradicteurs, qui n'ont pas reçu une éducation aussi soignée que lui, ni fréquenté d'aussi bonnes écoles... Tout cela est très bien rendu par les comédiens qui campent les seconds rôles.

   Au niveau du déroulé, le réalisateur essaie de montrer comment la Défense a démonté l'accusation, en décrédibilisant certains des témoins, parfois de manière outrancière. Ce fut le travail de Georges Kiejman, un avocat promis à un brillant avenir, mais dont Arthur Harari peine à faire passer le talent. (Il s'est naguère montré beaucoup plus habile derrière la caméra, avec Diamant noir et Onoda.) Le film n'évoque pas une autre piste possible dans l'enquête sur le double meurtre, piste qui aurait pu contribuer à innocenter Goldman.

   La plus grande gêne surgit au détour d'une scène pourtant très belle, celle de l'interrogatoire de la compagne antillaise du délinquant révolutionnaire. La comédienne est très bien... mais cette scène est une pure invention, au service (selon moi) d'une propagande qui ne dit pas son nom.

   Nous sommes en pleine fiction intersectionnelle. Scénaristes et réalisateur ont voulu mettre en scène un "peuple de victimes" (juifs, militants de gauche, Noirs, femmes), tous devenus les cibles d'une police supposée quasi intégralement raciste et d'une Justice aux ordres. La ficelle est un peu grosse, d'abord parce que, si second procès il y a eu (alors qu'à l'époque il n'est pas possible de faire appel d'une condamnation aux Assises), c'est en raison d'un généreux vice de forme : l'absence de la mention de la date sur un document officiel ! Dame Justice s'est donc montrée bien complaisante envers Pierre Goldman.

   Le film a quand même le mérite de montrer cette justice en fonctionnement. Le procès ne permettait pas de conclure de manière irréfutable à la culpabilité de Pierre Goldman (pas plus qu'à son innocence, d'ailleurs). Il était logique que le doute profite à l'accusé.

   Depuis, toutefois, on a appris que l'alibi de l'accusé était bidon... et l'ancien rebelle, devenu chroniqueur au Nouvel Obs puis à Libération, a déçu une partie de ses soutiens à gauche. On l'a découvert sans doute plus attiré par la violence physique qu'authentiquement révolutionnaire... et il s'est lié à de drôles de personnages...

   Cela nous mène à sa mort, à peine évoquée par des insertions à l'écran, dans le film. Un spectateur peu informé serait tenté de conclure de celles-ci que ce sont des policiers d'extrême-droite qui auraient assassiné Pierre Goldman. Aucune preuve n'a été trouvée en ce sens. En revanche, comme il est expliqué (notamment) dans un numéro de Rendez-vous avec X (une émission qui remonte à 2005), les relations troubles entretenues par Goldman avec des types du Milieu pourraient expliquer son exécution. Mais cette fin peu glorieuse ternit trop l'étoile de l'ancien rebelle pour avoir été retenue par les thuriféraires du braqueur soi-disant révolutionnaire.

dimanche, 17 septembre 2023

Les (nouveaux) carnets de Max Liebermann

   Cette série autrichienne, tournée en anglais, est de retour sur France 3, où elle a le grand avantage de remplacer l'insipide commissaire Dupin. J'avais découvert ce programme il y a deux ans et demi mais, déçu par le tour pris par certains épisodes, je n'avais pas suivi la saison 2. J'avais tort. Celle-ci est actuellement rediffusée en deuxième partie de soirée, après les épisodes inédits de la saison 3. Le tout est visible en replay de longue durée sur le site de France Télévisions.

   Commençons par la saison 2. La semaine dernière a été diffusé La Comtesse mélancolique (disponible pendant encore trois semaines environ).

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   L'apparent suicide d'une riche comtesse cache un meurtre que l'exploration du cerveau humain va permettre aux enquêteurs de résoudre. Le jeune psychanalyste Max Liebermann n'a pas eu le temps de découvrir la source du traumatisme subi jadis par sa patiente, désormais décédée. Mais, avec l'inspecteur Oskar Rheinhardt, il va apprendre qu'un traumatisme peut en cacher un autre. L'intrigue est excellemment construite, superbement mise en images et interprétée avec talent.

   Ce soir, c'est au tour du deuxième épisode de la saison 2 d'être rediffusé... et il est sensationnel. Le Baiser du diable (visible pendant un mois) nous entraîne dans les méandres de la géopolitique d'Europe centrale, au début du XXe siècle, juste avant le déclenchement des Guerres Balkaniques (annonciatrices de la Première Guerre mondiale).

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   Tout commence par la découverte, en apparence fortuite, du cadavre d'un homme disparu une vingtaine d'années auparavant. Très vite, l'inspecteur Rheinhardt est prié de se détacher de l'enquête, qui a des implications qui le dépassent. Mais il semble disposer d'un informateur privilégié. Dans cette histoire, (presque) rien ni personne ne semble conforme aux apparences. Dans l'ombre agit la Main noire (serbe), tandis que Liebermann essaie de faire parler une petite fille traumatisée. Le dénouement est stupéfiant. (Je me dois toutefois de signaler un petit anachronisme : la Main noire n'a été créée officiellement qu'en 1911, alors qu'ici l'action se déroule en 1908.)

   Passons aux inédits. La semaine dernière a été diffusé le premier épisode de la saison 3 : Étreinte mortelle (qui restera accessible en ligne pendant plus de deux ans).

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   On y retrouve Max Liebermann, désormais confortablement installé dans son cabinet privé. Il s'est un peu éloigné des enquêtes policières. Mais une affaire particulière va le rapprocher de l'inspecteur Rheinhardt. De jeunes femmes sont victimes de meurtres machiavéliques, assassinées au cours d'un rapport sexuel consenti... La psyché du criminel fascine le psychiatre, qui devient aussi l'objet de l'attention du tueur. Notons que l'intrigue a pour cadre principal le milieu de la mode, au début du XXe siècle.

   Ce soir est diffusé l'épisode 2, Le Dieu des ombres. Deux affaires s'entrecroisent : de mystérieux vols commis chez de riches propriétaires de mobilier chinois et le cas d'un malade particulier, ancien soldat du corps expéditionnaire européen à Pékin, traumatisé par la Révolte des Boxeurs, quelques années plus tôt.

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   Ce n'est pas le meilleur du lot, mais il est fidèle au style et aux qualités de la série, réalisée avec soin et s'appuyant sur un sympathique duo d'acteurs principaux : Matthew Beard (le psy) en intellectuel raffiné et Jürgen Maurer (l'inspecteur) en ours mal léché. L'ambiance se situe quelque part entre Les Enquêtes de Murdoch et Les Brigades du Tigre.

samedi, 02 septembre 2023

Joseph Staline et sa Cour

   Arte a récemment rediffusé le film La Mort de Staline (que j'avais chroniqué à sa sortie, en 2018). Il est visible sur le site internet de la chaîne pendant encore quelques jours.

   A celles et ceux qui n'auraient jamais vu cette coproduction franco-britannique, je conseille vivement de remédier à cette lacune, de préférence en version originale (anglaise) sous-titrée. Cela permet de mieux profiter du talent des interprètes, qui ont su parfaitement rendre compte de l'ambiance tragi-comique des derniers jours du tyran communiste et de la "course à l'échalote" qui a suivi son décès.

   Je profite de l'occasion pour signaler la réédition d'un ouvrage historique remarquable, Staline, La Cour du tsar rouge, de Simon Sebag Montefiore. Sorti au début du XXIe siècle, ce pavé de plus de mille pages avait rencontré un grand succès. En français, on en connaissait une édition de poche, en deux tomes. Pour les soixante-dix ans de la mort de Staline (décédé en mars 1953), les éditions Perrin ont ressorti le bouquin, dans une version "semi-poche" de luxe (sur un papier de qualité) :

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   La lecture est vraiment aisée. C'est bien écrit (bien traduit ?), divisé en chapitres assez courts, disposés grosso modo de manière chronologique, de 1928-1929 à 1953. Une conclusion prolonge jusqu'au XXIe siècle, les descendants des dirigeants staliniens (du moins, ceux qui ont survécu) s'étant très bien intégrés à la Russie poutinienne. Les notes érudites sont repoussées en fin de volume. Si l'on veut en savoir plus, il est utile de les lire, mais le bouquin se savoure très bien sans.

   Attention : ce n'est ni une biographie, ni une histoire de l'URSS, ni une analyse stricte des mécanismes de la dictature stalinienne... mais tout cela figure dans le livre. L'originalité de l'auteur est d'avoir choisi l'angle des relations entre les familles des dirigeants bolcheviks (certains connus, d'autres moins). C'est à la fois instructif et riche en anecdotes.

   Je pense que les scénaristes de La Mort de Staline et de la bande dessinée d'origine se sont inspirés du livre de Montefiore, même s'ils s'en écartent un peu de temps à autre (pour mieux servir leurs effets comiques ou dramatiques).

   J'ai longtemps rechigné à me plonger dans le bouquin (à cause de son volume). Ce fut mon "pavé de l'été" (coucou dasola)... et je me suis régalé.

dimanche, 30 juillet 2023

A bord de "La Suzanne"

   Aujourd'hui, j'ai pris le train... mais pas n'importe lequel : un train à vapeur, restauré, sur une portion de la voie qu'il a jadis empruntée. La locomotive, toute verte, s'appelle La Suzanne. Construite en 1889-1890, propriété privée à vocation industrielle (au départ), elle a d'abord circulé en Meuse, autour du chef-lieu, Bar-le-Duc, avant d'être utilisée durant la Première Guerre mondiale, notamment pour ravitailler la place-forte de Verdun, située dans le même département (mais plus au nord).

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   Cet été, chaque dimanche, l'association dont les membres ont restauré la locomotive (et deux petites gares) propose (contre rémunération, bien entendu) de prendre ce train à vapeur, pour un court trajet à 15-20 km/h, agrémenté d'explications.

   C'est un peu à l'écart du centre-ville qu'il faut se rendre (se renseigner avant auprès de l'Office de tourisme), au nord, au même endroit où l'on peut pratiquer le vélo-rail, en semaine. Quelques vieux wagons ont été aménagés en guise de comité d'accueil, avec une présentation historique.

   De là, on s'approche du guichet de la petite gare (dite du Varinot) et l'on monte dans l'un des wagons ouverts aux quatre vents, s'asseyant sur un banc de bois. L'animatrice de la visite prend le public en mains, avec humour... et en route Simone Suzanne !

   Le temps était idéal : une vingtaine de degrés, un poil nuageux, mais ni pluvieux ni caniculaire. A l'odeur, on a vite compris que la locomotive n'était ni électrique ni diésel. Elle carbure aux bûches, qu'un(e) cheminot(e) charge avant le départ.

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   Ensuite, Suzanne nous montre de quel bois elle se chauffe... quitte à projeter des poussières carbonées dans l'atmosphère. (Mieux vaut ne pas venir vêtu de blanc, ou alors ne pas se placer sur les côtés du wagon.) En route, on croise plusieurs chemins de randonnée, d'où le transport est pris en photographie par des personnes visiblement venues dans cet objectif.

   En cas de problème, une locomotive plus récente suit le convoi, notamment pour pousser un peu dans les côtes ! Au bout de 20-25 minutes, on arrive à bon port, une halte aménagée en lieu d'exposition (la gare Saint-Christophe).

   Le baraquement est une "cabane Adrian", un bâtiment conçu de manière à pouvoir être construit en série et monté en un temps record. Il a été créé par un ingénieur lorrain, Louis Auguste Adrian, auquel on doit aussi le fameux casque (qui porte son nom), reconnaissable à son arête centrale, longitudinale. Plusieurs panneaux explicatifs retracent la carrière du polytechnicien et les utilisations successives des baraquements qu'il a conçus.

   Juste à côté, un mini-auditorium de campagne a été aménagé, où l'animatrice retrace devant son public l'histoire des chemins de fer meusiens (à voie métrique, plus étroite, moins coûteuse que celle des voies aménagées par les grandes compagnies). Son entrain et son érudition rendent cette séquence passionnante, pour les petits et les grands. Son propos ne s'arrête pas à la fin de l'exploitation commerciale de la ligne. Elle brosse aussi à grands traits l'histoire mouvementée de la restauration historique, qui vaut son pesant de scories.

   Vient ensuite le moment du retour. La locomotive a été permutée avec l'arrière du train (manœuvre que seul l'arrêt en gare permet d'opérer).

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   En chemin, de brèves haltes sont l'occasion d'apporter des explications complémentaires sur l'environnement de la ligne, qui traverse une forêt domaniale (celle de Massonges) et touche une zone naturelle protégée, où les batraciens aiment à se reproduire. D'autres animaux sont visibles au cours de la balade, notamment des vaches (des Charolaises, je crois), qui ont paru très intéressées par le passage de ces étranges visiteurs.

   J'ajoute que les bénévoles qui encadraient la visite étaient habillés en costume d'époque, une petite touche qui agrémente le tout. En début et fin de ligne se trouve une petite boutique, pour celles et ceux qui voudraient acquérir un souvenir.

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« Le ch'min d'fer, c'est super ! »

mardi, 25 juillet 2023

Oppenheimer

   Il y a trois ans, en pleine pandémie de covid, Christopher Nolan et ses producteurs avaient fait le choix de sortir Tenet en salles. Le risque avait été (relativement) payant puisqu'avec un peu plus de 2,3 millions d'entrées, le film avait fini en tête du box-office français de l'année (certes un peu sinistré).

   Tout cela pour dire que les œuvres de Nolan, aussi cérébrales soient-elles (parfois), sont faites pour être vues dans une salle obscure. Oppenheimer ne fait pas exception à la règle. C'est d'ailleurs l'une des grandes réussites du cinéaste que d'être parvenu à rendre passionnante une épopée au cœur de laquelle se trouvent les sciences physiques... et d'en avoir fait un polar de trois heures, qui tient amplement ses promesses. Bon d'accord, l'enjeu politique (la rivalité avec les nazis, eux aussi lancés dans la course à l'arme atomique) n'est pas sans pimenter l'intrigue. L'ambiance de pré-Guerre froide (les alliés bolcheviks étant déjà perçus comme les adversaires de demain) ajoute une touche d'espionnage pas déplaisante du tout.

   Deux catégories de scènes nous sont proposées. C'est paradoxalement en noir et blanc que l'on voit les plus récentes (celles qui se déroulent dans les années 1950, en plein maccarthysme), alors que la couleur est réservée aux années 1930-1940... mais c'est la partie la plus vivante, le cœur de l'histoire, avec le plus de chair (et de neurones).

   Les interprètes sont excellents. Cillian Murphy s'est parfaitement coulé dans le personnage, qu'il ne cherche pas à rendre plus sympathique qu'il n'était... et c'est tant mieux. Par moments (l'orientation sexuelle mise à part), j'ai pensé à Benedict Cumberbatch en Alan Turing, dans Imitation Game, film qui n'est pas sans rapport avec celui-ci. On pourrait aussi rapprocher Oppenheimer d'un autre héros américain,  Neil Armstrong, tel qu'il est dépeint dans First Man : lui aussi a pu s'appuyer sur une épouse brillante, qui avait suivi des études universitaires et qui a sacrifié ses aspirations professionnelles pour soutenir la carrière de son mari.

   Ici, c'est à Emily Blunt qu'échoit ce rôle ingrat, celui d'une intellectuelle libre dans sa jeunesse, qui finit par se cloîtrer à Los Alamos avec deux gosses dont elle a du mal à s'occuper. Dommage que le personnage ne soit pas plus creusé.

   Les autres seconds rôles (le film étant tout à la gloire d'Oppenheimer) sont incarnés par une pléiade de talents, de Jason Clarke (excellent dans la peau d'une enflure) à Matt Damon (crédible en ours mal léché), en passant par Florence Pugh (la plus belle communiste que j'aie jamais vue...), Rami Malek (important sur la fin), Josh Hartnett (curieusement bon en scientifique conformiste) et Robert Downey Jr (qui ne pouvait qu'incarner un type un peu magouilleur sur les bords)...

   La mise en scène s'est évertuée à représenter ce qui se passait (parfois) dans la tête du physicien... en liaison avec ce qui passe au niveau atomique, lors d'une réaction. Cela donne des plans très léchés, soutenus par une musique appropriée... mais je ne suis pas sûr que ce dispositif aura permis aux spectateurs lambdas de mieux comprendre le fonctionnement d'une bombe atomique.

   Mis à part ces aspects scientifiques ardus, le film est relativement limpide. On a visiblement voulu éviter de tomber dans les excès de Tenet... mais, du coup, je suis un peu déçu. Nolan nous livre une brillante fresque historique, engagée (à gauche), mais il y perd un petit peu son art de nous transporter dans des univers inédits.

 P.S.

   Pour en savoir plus sur l'histoire de la bombe atomique, je recommande à nouveau la lecture du roman graphique La Bombe, que j'avais chroniqué en août 2020.

mardi, 11 juillet 2023

Il Boemo

   Ce "Bohémien" (Tchèque en fait) est Josef Lysmevecek Mystikvelek Myslivecek, un compositeur aujourd'hui inconnu du grand public, mais qui fut pourtant l'un des plus célèbres de son temps, dans les années 1760-1770. Ce biopic partiel nous présente les vingt dernières années de sa vie, principalement en Italie.

   Le fil met l'accent sur plusieurs aspects. L'un des principaux est constitué de ses relations avec les femmes, celles de la grande bourgeoisie et de la noblesse (qui jouent le rôle de mécène ou d'égérie), mais aussi les chanteuses. Le musicien étant grand et bien fait de sa personne, il suscite la convoitise des épouses mal mariées et, globalement, des femmes en quête d'aventure. Pour croustillantes que soient certaines scènes, c'est pour moi le versant le moins intéressant de l'histoire. Cela manque de passion, de mouillure, de bandaison ! (Pourtant, les actrices italiennes sont formidables !)

   En revanche, j'ai été sensible à l'aspect musical. Je n'ai pas l'oreille absolue, loin de là, mais j'ai senti comme une ressemblance entre les œuvres du héros et celles de Mozart, que l'on croise d'ailleurs (enfant) dans le film. Cela donne lieu à une scène sidérante (très bien interprétée par le jeune Philip Hahn, un petit prodige du piano) : celui-ci commence par rejouer un air de son aîné, avant de le prolonger et d'improviser dessus !

   J'ai aussi aimé l'arrière-cour du monde de la musique classique, dans les principales villes italiennes (Venise, Naples, Padoue...), entre consommation ostentatoire et "mépris de classe". Les masques de bienséance cachent souvent des intentions putrides.

   La puanteur est aussi celle des logis sans grâce où s'entassent les pauvres... et celle des maladies qui touchent tout le monde, de la syphilis à la lèpre, en passant par d'autres joyeusetés, souvent transmises au cours des rapports sexuels.

   L'ascension sociale et le bonheur musical sont donc contrebalancés par les aléas de la vie : les MST, un mari jaloux, une maîtresse versatile, un mécène capricieux... Myslivecek est mort relativement jeune, dans des conditions atroces. Sa musique fut rapidement oubliée, éclipsée par celle de ses successeurs. On la redécouvre aujourd'hui.

mardi, 04 juillet 2023

Rheingold

   Selon l'un des personnages de ce biopic allemand, l'or du Rhin est censé rendre immortel. C'est une allusion à l'opéra de Richard Wagner (qui trouve sa conclusion dans le clin d’œil final). Le sens qui lui est donné est musical. La reconnaissance et la célébrité (versions contemporaines de l'immortalité) sont d'abord acquises par le père du héros, compositeur réputé, qui accède à la fonction de chef d'orchestre. Quant à son fils, Giwar Hajabi, c'est le rap (après bien d'autres choses...) qui permet son élévation, dans tous les sens du terme.

   Cette nouvelle illustration du petit gars d'origine modeste qui va se faire un nom après avoir surmonté d'atroces épreuves ne manque pas d'originalité. L'histoire commence en Iran, au moment où le régime du Shah cède la place à la République islamique. Le père y est déjà un compositeur et chef d'orchestre de renom, sa compagne étant musicienne. Tous deux sont kurdes... et opposés au nouveau régime, contre lequel la mère du héros va jusqu'à prendre les armes. Les parents connaissent les prisons iraniennes, avant de fuir, d'abord en Irak, puis en France, avant de s'installer en Allemagne.

   Le jeune Giwar est programmé pour succéder à son père dans la carrière musicale. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Le père peine à communiquer sa passion rigoureuse pour la musique... et la vie des réfugiés politiques dans un quartier populaire allemand n'est pas de tout repos. Turcs, Iraniens, Palestiniens, Marocains et Kurdes se croisent, s'entraident ou se bastonnent dans une ambiance de trafic de drogue et de vols de CD. (On est dans les années 1990.) Après l'épisode iranien (vu essentiellement sous la forme de retours en arrière), très réussi, Fatih Akin (auquel on doit, entre autre, In The Fade) accroche les spectateurs avec sa représentation du quartier multiethnique et des tensions qui le traversent.

   La déchéance socio-économique de la famille de Giwar est suivie d'une première élévation, par la force (à coups de poings), puis par les combines (sous la houlette d'un chef de clan kurde). Dans le même temps, Giwar ressent à nouveau de l'attirance pour la musique, mais pas celle prônée par son père. Il croise des rappeurs (et même une prostituée rappeuse) et, surtout, un habile arrangeur. C'est vraiment intéressant... à ceci près que les paroles des "chansons" que l'on entend ne sont pas à l'honneur des apprentis artistes. On y parle beaucoup de « pognon », de « putes » (sauf maman, qui est une sainte) et de « chattes »... Les pseudo-rebelles au micro se proposant de saisir les dames par la même partie de leur anatomie que Donald Trump... (On nage en pleine « masculinité toxique ».) Akin n'a pas beaucoup de recul vis-à-vis du "machisme de banlieue", à part sur la fin, quand il insère une vision de la mère, qui fait modifier les paroles d'une de ses chansons à son délinquant de fils.

   Celui s'est d'abord lancé dans le trafic de drogue, où il rencontre des fortunes diverses. Le fonctionnement du clan kurdo-turc bénéficie d'une réalisation efficace, avec (notamment) une scène de règlement de compte qu'on ne voit absolument pas venir. Giwar finit par se lancer dans le braquage d'un fourgon de transport de fonds, dans une séquence assez emballante. Les braqueurs ont un petit côté pieds nickelés... mais ils réussissent, dans un premier temps, à berner des policiers de fort belle manière.

   Une autre séquence (fractionnée en plusieurs morceaux) est marquante : celle de l'emprisonnement en Syrie, où le trafiquant se croyait à l'abri. Le problème (pour lui et son acolyte) est qu'il y débarque juste avant le printemps arabe. Le temps va se gâter pour lui, d'autant que beaucoup de monde est à la recherche de l'or volé. Cette partie est peut-être la plus atroce, entre cellules surpeuplées (et organisées de manière communautaire) et séances de torture.

   Je laisse à chacun(e) le loisir de découvrir comment tout ceci se termine.

   Si l'on supporte les à-côtés peu reluisants du monde du rap, ce film est à voir. Il est très bien fichu et nous plonge dans l'envers du "miracle allemand". L'acteur principal, Emilio Sakraya, est une révélation. Le paradoxe est que, vu la manière dont il a été mis en scène, le film conviendra aussi bien à celles et ceux qui apprécient de voir représentées les difficultés auxquelles sont confrontés les immigrés dans les sociétés occidentales qu'à celles et ceux qui estiment que ces immigrés (authentiques réfugiés ou pas) sont, en partie, la cause de leurs problèmes et de ceux du pays d'accueil, compte tenu des activités délictuelles dans lesquelles ils sont impliqués.

samedi, 01 juillet 2023

France Cul aime la bite

   C'est l'été et, sur la radio publique, on se décontracte... un peu. Hier vendredi a été diffusée pour la dernière fois l'émission Sans oser le demander (fort heureusement intégralement disponible sur le site de France Culture), animée par Géraldine Mosna-Savoye. Le principe de ce programme était d'aborder n'importe quel type de sujet d'ordre culturel, historique ou sociétal et de faire intervenir des spécialistes de la question. Le résultat était assez inégal (pour moi), mais certaines émissions méritent vraiment le détour.

   C'est le cas du numéro de vendredi. Présenté sous le titre aguicheur « Qu'est-ce qu'on s'envoyait avant les dick pics ? », il aborde la représentation du sexe dans l'Antiquité gréco-romaine et ce que cela révèle des mentalités.

   Il est donc beaucoup question de phallus dans cette émission, les sexes en érection faisant l'objet d'une riche iconographie. Mais le fait de dessiner (ou de sculpter) un pénis n'était pas forcément révélateur d'une intention sexuelle. C'était souvent l'expression de la puissance ou de la richesse.

   Sur le plan strictement sexuel, certains auditeurs apprendront peut-être que, dans l'Antiquité, on ne parle ni d'hétérosexualité, ni d'homosexualité, ni de bisexualité. On pénètre (dans un vagin, un rectum, une bouche) ou l'on est pénétré. Les pratiques sexuelles sont aussi révélatrices d'un statut social.

   Enfin, même si la majorité de l'émission est consacrée au phallus, la dernière partie évoque le sexe féminin. Sachez que, pour la majorité des auteurs antiques masculins, la pratique du cunnilingus était perçue comme dangereuse voire abominable (elle dévirilisait l'homme).

   C'est savant (parfois drôle) sans être ennuyeux.

jeudi, 22 juin 2023

La Nuit du verre d'eau

   Liban, 1958. Dans un village de la vallée sainte, une famille est réunie, à l'écart des troubles qui agitent le pays. Les patriarches locaux (chrétiens) sont préoccupés par trois sujets : l'agitation musulmane, qui soutient la toute nouvelle République arabe unie prônée par l’Égyptien Nasser (et qui voudrait voir le Liban la rejoindre), la perspective de nouvelles élections, auxquelles l'un des chefs de famille envisage de se présenter... et l'éventuel mariage de sa deuxième fille, Eva, dont il ignore qu'elle a un amoureux, le fils d'un de ses métayers.

   L'héroïne de cette histoire est une autre fille de Cheikh Daoud, son aînée, Layla. Celle-ci semble être un modèle. Épouse d'un riche entrepreneur local, qui la vénère, elle a un fils adorable. Elle est belle, élégante et relativement indépendante : elle conduit sa propre voiture... mais, voilà, nous sommes en 1958, au Liban, et cette indépendance est toute relative. Layla n'a pas choisi son époux. En bonne fille de Cheikh Daoud, elle a accepté le mariage arrangé qu'il lui a concocté (comptant sans doute sur la fortune de son futur gendre pour financer ses ambitions électorales). Elle n'est pas heureuse en ménage. En public, elle arbore le masque de l'épouse comblée. En privé, le soir, au lit, elle essaie d'échapper au "devoir conjugal", ou bien elle simule, pendant l'acte. Une activité artistique (le dessin) lui permet de sublimer sa frustration.

   Cette partie-là est très bien filmée, je trouve, en tout cas mieux que la période de trouble qui débute avec l'arrivée de deux Français, une veuve (interprétée par Nathalie Baye, impeccable) et son fils... que Leyla trouve très à son goût. La romance furtive qui naît entre ces deux-là est plaisante à voir, mais la mise en scène peine à faire surgir le désir, alors qu'elle peut s'appuyer sur un Roméo bien de sa personne (Pierre Rochefort, pas très expressif toutefois) et une Emma Bovary vraiment très séduisante. (Soyez attentifs aux lectures de ces demoiselles, en particulier la benjamine, Nada.) Dans le rôle, Marilyne Naaman "dégage" quelque chose. En elle se mélangent le charme oriental et une sorte de glamour à l'américaine.

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   Dans son genre, chacune des trois sœurs va mener sa petite révolte : l'aînée infidèle, la cadette qui refuse le mariage et la benjamine qui veut poursuivre ses études pour devenir avocate. L'une des qualités du film est de ne pas réduire les principaux personnages masculins à des caricatures. Le mari de Leyla est un brave type et le père aime ses trois filles. Mais tous deux fonctionnent dans un système patriarcal, qui ne laisse que peu de liberté aux femmes, fussent-elles issues de la classe moyenne aisée.

   Les dialogues oscillent entre l'arabe et le français, de manière naturelle (bien mieux en tout cas que dans le récent Tel Aviv - Beyrouth). Ne vous fiez pas aux dénominations VO ou VF. Il n'y a qu'une version du film, mêlant les deux langues. Quant au titre français, une fois n'est pas coutume, je le trouve meilleur que celui d'origine (Terre d'illusion)... mais je laisse chacun(e) découvrir ce à quoi il fait allusion. Il faut attendre la fin pour comprendre... même si la dernière scène se prête à deux interprétations.

   J'ajoute que les paysages sont magnifiques et la musique bien choisie. Elle tranche avec la douceur apparente et suggère les tourments intérieurs.

   En dépit de quelques imperfections, je recommande donc ce film, qui ne manque pas de style.

mardi, 13 juin 2023

Tandem (fin)

   Ce soir, France 3 diffuse les deux derniers épisodes de la septième (et ultime) saison de cette série, une comédie policière que j'avais découverte en 2020, pendant le premier confinement. Ces deux épisodes apportent une conclusion définitive à la série, conformément aux souhaits de l'actrice principale, Astrid Veillon.

   On commence à 21h10 avec « Tous les chemins mènent à Saint-Jacques ». Un meurtre est commis à la périphérie de Montpellier, pas très loin de Saint-Guilhem-le-Désert, sur l'un des chemins de Jacques-de-Compostelle (la Voie d'Arles, dite aussi Via Tolosana).

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   On se demande si l'assassinat n'est pas lié à un haut-relief médiéval, découvert par hasard par la victime, avant qu'elle ne soit victime d'un cambriolage.

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   Cette sculpture n'est pas une totale invention des scénaristes (que je salue au passage pour avoir, pendant des années, inséré des éléments du patrimoine dans leurs intrigues policières). C'est une représentation de saint Jacques en Matamore, (c'est-à-dire le "tueur de Maures"... c'est l'époque de la Reconquista), inspirée de celle qui se trouve au Portugal, dans l'église Santiago de Cacem :

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   Parmi les invités de l'épisode, je signale la présence de Selma Kouchy, une actrice que j'apprécie et qui fit les beaux jours d'une autre série policière, Commissaire Magellan.

   L'épisode final s'intitule « Inkil Chumpi ». L'intrigue baigne dans une ambiance de malédiction archéologique... avec une pointe de Tintin et Milou. En effet, la momie amérindienne que l'on aperçoit (et près de laquelle le meurtre a été commis) est une référence à celle de Rascar Capac, dans Les Sept boules de cristal.

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   Mais ce n'est pas le seul détail qui a retenu mon attention. Lorsque l'une des gendarmes revient enquêter sur les lieux du crime, on découvre une autre exposition, bien réelle celle-là, puisqu'elle s'est tenue en 2022-2023 au musée archéologique de Lattes, dans l'Hérault :

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   Ce sont bien des statues-menhirs, présentes soit physiquement soit par l'intermédiaire de dessins. On reconnaît ci-dessus la célèbre Dame de Saint-Sernin, dont l'original se trouve au musée Fenaille, à Rodez. A celles et ceux que cela intéresserait, je signale qu'une visite virtuelle de l'exposition est toujours disponible, sur le site du musée.

   Quant à la série, elle finit sans surprise par voir les deux ex se réconcilier. Cela commençait à tourner en rond au niveau des relations familiales. Même si les intrigues secondaires apportaient un peu de piment, il était évident qu'on était arrivé au bout d'un cycle. La production a su éviter la saison de trop. Les fans peuvent se consoler en piochant dans l'intégrale de la série, accessible gratuitement sur le site de France Télévisions.

lundi, 12 juin 2023

L'Ile rouge

   Cette île est Madagascar, en 1972. Le rouge y est la couleur d'une partie des terres... mais c'est aussi celle du sang et de la colère, qui couve dans les familles d'expatriés comme chez les Malgaches.

   A partir de ses souvenirs familiaux (il est l'un des fils d'un sous-officier de l'armée française en poste en Afrique du Nord puis à Madagascar), Robin Campillo a tenté de construire une fiction entremêlant l'histoire familiale et celle, politique et sociale, de l'ancienne colonie française (indépendante depuis 1960).

   Par les yeux de Thomas, dernier enfant d'un couple formé d'un adjudant et de son épouse, mère au foyer, nous découvrons les relations entre les adultes, français entre eux ou français et malgaches. L'esprit de l'enfance baigne cette partie de l'histoire : Thomas aime se cacher dans une petite cabane en bois, où personne ne fait attention avec lui. Il aime aussi jouer par terre... et lire les aventures de Fantômette, qu'il partage avec une camarade de classe sans doute d'origine indochinoise. Je me suis (en partie) retrouvé dans ce portrait d'enfant rêveur, qui ne comprend pas comment fonctionne le monde des adultes.

   En sous-texte, on nous suggère que cette période a influé sur l'identité du garçon. La justicière masquée devient son modèle. L'un des moments-clés est celui au cours duquel sa mère (bien interprétée par Nadia Tereszkiewicz) lui remet une paire de collants noirs, pour que son déguisement soit plus conforme au personnage. La musique souligne un peu trop cet épisode, pour qu'on comprenne bien qu'à partir de ce moment-là, Thomas ne sera plus le même petit garçon. La mise en scène insiste aussi lourdement sur le fait que presque tous les couples hétérosexuels que Thomas observe sont des échecs, soit en raison de la mésentente, soit en raison des circonstances, qui finissent par séparer celles et ceux qui se sont aimés ou qui croient s'aimer.

   Ce n'est de plus pas toujours bien joué. Certains dialogues manquent de naturel ou sont trop littéraires (notamment quand les enfants s'expriment). Certaines scènes m'ont paru bancales... peut-être les acteurs ont-ils été mal dirigés. Je pense en particulier à une soirée dansante, au cours de laquelle les messieurs vont se déhancher (voire plus) avec d'autres femmes que leurs épouses. La scène a évidemment pour but d'illustrer le fossé qui se creuse au sein du couple formé par les parents du héros. Mais Dieu que tout cela semble artificiel ! J'ai eu la même impression au cours d'une des scènes de la dernière partie, au mess des officiers, la nuit.

   C'est pourtant au cours de cette même séquence que le film rebondit... et prend une nouvelle direction. Alors que, jusqu'à présent, il était centré sur la base militaire et les tensions familiales, il passe désormais du côté malgache, les comédiens s'exprimant dans leur langue maternelle. Au début, j'ai trouvé cela très bon. Le dialogue entre le soldat responsable du mess et l'employée chargée des parachutes est rafraîchissant, incisif, mais il arrive bien tard. La fin du film verse dans le militantisme sans nuance. Pour bien la comprendre, il faut se rappeler que l'année 1972-1973 fut une période de tension, qui aboutit à un changement de gouvernement et à la renégociation des accords de coopération entre la France et Madagascar. Les troupes françaises perdent la base de Diego-Suarez et sont obligées de quitter le pays. Tout ce contexte ne nous est pas clairement expliqué. On a juste droit au rappel du passé colonial (notamment celui des massacres de 1947), mais cela arrive un peu comme un cheveu sur la soupe et l'on a clairement l'impression de ne plus être dans le même film.

mercredi, 17 mai 2023

Jeanne du Barry

   Opération casse-gueule pour Maïwenn, qui s'est lancée dans un film en costumes, avec un comédien anglophone dans le rôle de Louis XV. Elle sait sans doute que les haineux du net (ainsi que certains « cultureux ») l'attendent au tournant, qu'elle se soit plantée ou pas.

   Le début m'a fait un peu peur, avec cette voix-off trop présente. (Cela se calme par la suite.) Toutefois, l'actrice qui incarne la jeune Jeanne Bécu est convaincante (à tel point que je me suis demandé s'il n'aurait pas été possible de la garder pour tout le film), la ressemblance avec Maïwenn étant frappante.

   Celle-ci (en tant que réalisatrice) évite plusieurs écueils, comme la tentation de la reconstitution historique plate (même si certaines scènes n'en sont pas loin) et le film militant (féministe) anachronique. Cela n'empêche pas la réalisatrice de glisser, ici ou là, quelques remarques sur la situation des femmes dans cette société patriarcale. Pour sortir de sa condition, Jeanne est devenue pute de luxe courtisane... Sa grande beauté, ajoutée à son habileté à mettre en action les bourses d'hommes riches et puissants, va lui procurer une forme d'ascension sociale.

   Le film se concentre sur la liaison entre Jeanne et un Louis XV vieillissant. Je nourrissais quelques craintes concernant l'interprétation de Johnny Depp. Je trouve qu'il s'en sort plutôt bien, tout comme Maïwenn. Elle est évidemment trop âgée pour le rôle (celui d'une femme de 25-30 ans) et elle est d'une beauté moins classique que l'authentique comtesse du Barry. Mais elle a l'énergie nécessaire à son personnage et m'est apparue totalement crédible dans le rôle d'une maîtresse attachée au roi, à son page Zamor, ainsi qu'aux arts et lettres.

   Parmi les seconds rôles, je distingue Benjamin Lavernhe, piquant et distingué en Laborde, le premier valet de chambre du roi. Ses interactions avec la du Barry sont pleines de sous-entendus. On sent les deux comédiens complices. En revanche, je regrette le choix d'un acteur "beau gosse", doté d'une chevelure digne d'un étudiant en philo, pour incarner le futur Louis XVI.

   Au niveau de la mise en scène, c'est inégal. Des scènes plan-plan alternent avec d'autres, plus enlevées. J'ai particulièrement aimé celles qui décrivent l'arrière-cour de Versailles, de l'examen gynécologique de la future favorite aux relations avec la dauphine (Marie-Antoinette).

   Du coup, je recommande plutôt. Sur un plan strictement cinématographique, c'est meilleur que ce à quoi je m'attendais et les scènes tournées à Versailles même sont assez jolies.

samedi, 29 avril 2023

L'Etabli

   Adapté du livre éponyme du philosophe Robert Linhart, ce film militant nous replonge dans les Trente Glorieuses, juste après les "événements" de Mai 68. L'essentiel de l'action se déroule au sein d'une usine secondaire du groupe Citroën (en plein Paris). Quelques scènes "de respiration" ont pour cadre un appartement bourgeois et un café.

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   Ce film engagé suscitant des réactions contrastées, j'ai choisi d'en rédiger deux critiques, une de gauche et une de droite.

LA CRITIQUE DE GAUCHE

      Mathias Gokalp, brillant cinéaste au talent mésestimé (remarqué jadis pour Rien de personnel), réussit le pari de l'adaptation d'un livre réputé inadaptable. Sa mise en scène habile et percutante ressuscite l'ambiance d'une chaîne de montage et des différents ateliers de l'usine Citroën. S'appuyant sur des comédiens (connus ou inconnus) investis dans leur rôle, il nous embarque dans cette palpitante aventure ouvrière, qui est une aventure humaine, en révolte contre le capitalisme arrogant.

   L'intrigue nous fait découvrir de manière assez fouillée le travail manuel en usine, à cette époque. Elle détaille aussi les tensions et les contradictions au sein de la classe ouvrière, entre Français et étrangers, entre immigrés anciens et ceux de fraîche date, entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux. Face à eux, le patronat apparaît dans toute sa vulgarité et sa misogynie, exploitant sans vergogne les classes populaires, mettant en œuvre un racisme systémique dans le monde du travail.

    Les scènes de famille (absentes du livre) apportent un utile contrepoint aux péripéties de l'usine. Le réalisateur n'esquive pas le problème du statut de « l'infiltré », évitant de surcroît de faire du héros un homme parfait. Ses doutes et ses faiblesses nous sont présentés sans détour, parfois avec humour. La solidarité dont font preuve certains ouvriers leur permet de contester le joug capitaliste, sans que cela débouche toutefois sur une victoire totale. Mais l'essentiel était bien d'initier le mouvement.

   C'est un grand film de société, à projeter dans toutes les écoles pour transmettre à notre jeunesse une vision objective du monde du travail qui les attend.

 

   Comme ce qui est écrit ci-dessus ne correspond que partiellement à ce que j'ai vu sur l'écran, je me dois de compléter ce billet. Voici donc...

 

LA CRITIQUE DE DROITE

      Mathias Gokalp, cinéaste médiocre qui n'est pas parvenu à percer, s'est jeté sur un livre culte de la gauche intellectuelle française pour tenter de relancer sa carrière. De L’Établi, il a modifié la structure et certains éléments clés pour servir un propos outrancier, dont on sent bien qu'il se rapporte plus à la France de 2022 qu'à celle de 1968 ou 1978.

   Tout d'abord, parmi la série d'ateliers auxquels le héros a été affecté (d'après le livre), il en est un où l'on ne voit jamais Robert évoluer dans le film : la soudure. En revanche, il travaille au boulonnage/rivetage, à la sellerie et aux balancelles. Cela pourrait se justifier par la volonté d'écourter le film (qui dure déjà deux bonnes heures...) et, peut-être, par la difficulté de filmer un atelier de soudure, surtout avec des comédiens novices en la matière. D'un autre côté, cela conduit le cinéaste à nous présenter l'usine d'abord sous l'aspect du travail à la chaîne, le boulonnage évoquant immanquablement (chez le public cultivé) Les Temps modernes de Chaplin (où le rythme était cependant beaucoup plus élevé que chez Citroën).

   Dans tous les cas, il est un détail d'importance qui a été modifié dans le film : la présence de gants. Dans le livre, à presque chaque poste l'ouvrier en bénéficie, alors que, dans le film, leur absence est un motif de revendication... et l'occasion de faire de belles images de « la momie », surnom donné à Robert à partir du moment où on le voit travailler les mains enveloppées dans des bandelettes de  tissu.

   D'autres éléments ont été tordus quasi systématiquement pour dénigrer un "camp" ou pour en survaloriser un autre. Ainsi, avant de tenter de revenir sur les concessions faites aux syndicats en mai 1968 (en faisant travailler les ouvriers trois quarts d'heure de plus chaque jour, sans augmentation de salaire), la direction de l'usine avait commencé par... réduire le temps de travail, la durée quotidienne passant de 10h à 9h15. (Mais de cela les spectateurs ne sont pas informés.)

   La manière dont sont traités les immigrés, certes injuste, est bien plus dégueulasse dans le long-métrage. Le personnage d'un collègue noir de Robert (à la sellerie) est développé pour le film, uniquement pour pour mettre en scène le racisme (supposé) des cadres de l'usine. (Ceux-ci sont d'ailleurs présentés de manière plus nuancée dans le bouquin, même si certains d'entre eux ont droit à des qualificatifs injurieux.) La même tactique est utilisée pour décrire le renvoi de certains de ces immigrés des foyers où ils logeaient, pour briser leur participation à la grève. Dans le livre, ces ouvriers découvrent leurs valises faites à l'entrée, lorsqu'ils retournent au foyer, alors que, dans le film, leurs affaires sont balancées sans ménagement sur le sol, à la sortie de l'usine.

   On pourrait aussi discuter de la nécessité de transformer un trio d'ouvriers masculins (yougoslaves) en trio féminin. Certes, cela permet d'introduire des questions intéressantes, mais celles-ci sont presque absentes du livre. (Le réalisateur aurait cependant pu introduire une scène concernant une ouvrière mère de famille, qui se fait bien voir de l'un des cadres. Dans le livre, Robert se montre compréhensif, à l'inverse de certains ouvriers.) Plus grave : pour éviter de nuire à l'image de certains ouvriers africains, le livre passe sous silence l'épisode au cours duquel l'un d'entre eux fait étalage de ses préjugés antisémites devant le héros.

   Au final, l'adaptation du livre se rapproche plus d'une fiction de propagande que de la fidèle représentation d'une époque révolue.

vendredi, 28 avril 2023

Désordres

   Une vallée située dans le canton de Berne semble être, dans les années 1870-1880, un centre de développement de l'idéologie anarchiste (à travers la Fédération jurassienne). On y croise des Russes, des Français, des Italiens, des Allemands... et, bien sûr, des Suisses, qui travaillent soit dans l'agriculture soit dans l'horlogerie, dominée par une grande entreprise familiale, qui semble quasi omnipotente dans le canton.

   Les revendications politiques sont fortes, les tensions sociales intenses... mais tout cela s'exprime de manière feutrée. Ainsi, c'est courtoisement que le policier municipal demande à des militants au drapeau rouge de s'éloigner. C'est avec courtoisie qu'un duo de promeneurs désobéit à un autre policier. C'est tout aussi courtoisement qu'un groupe de militantes chante sa détestation du capitalisme et des patrons âpres au gain. La courtoisie n'est pas moindre quand un chef du personnel annonce leur licenciement à quatre ouvrières en horlogerie... et c'est sans faire de grabuge qu'elles quittent les lieux, après avoir reçu leurs indemnités.

   Cela donne un tour quasi surréaliste à certaines scènes, d'une indéniable violence symbolique, mais très policées dans la forme.

   ... du moins c'est ainsi que je l'ai perçu. Une autre personne présente dans la salle a trouvé que les acteurs jouaient mal, toujours sur le même ton, avec un inconvénient supplémentaire : les scènes de groupe étant filmées en plan large, il faut en général un petit moment pour distinguer parmi les personnages présents quels sont ceux dont on est en train d'entendre le dialogue. Cela a le mérite de forcer les spectateurs à être attentifs à chaque plan. C'est donc un film qui se mérite.

   Au centre de l'intrigue se trouvent les montres. La fabrication et la fixation de leurs rouages font l'objet de plans passionnants, tandis que le maintien de la "bonne" heure est l'obsession d'une partie de la population... d'autant que, dans la vallée, selon l'endroit où l'on se trouve, on est soit à l'heure de la gare (et du télégraphe), soit à celle de la fabrique (d'horlogerie), soit à celle de l'église... Il y a plusieurs minutes d'écart entre ces repères, ce qui n'est pas sans conséquence sur le temps de travail des ouvrières... et leur paie !

   A l'arrière-plan se trouve le progrès technologique : la mesure du temps se précise et prend une place grandissante dans la vie quotidienne des Suisses, tout comme la photographie, le chemin de fer... et la cartographie. C'est l'activité qu'exerce Pierre Kropotkine, futur idéologue de l'anarchisme, qui découvre la région.

   Le film est à la fois passionnant et déroutant, ressemblant parfois à du théâtre filmé.

mercredi, 26 avril 2023

Hokusai

   Le célèbre peintre japonais a enfin droit à son biopic, qui sort chez nous dans un format raccourci (1h30, au lieu d'un peu plus de deux heures dans la version d'origine).

   Le film met l'accent sur deux époques : les années 1780, qui voient le futur Hokusai (c'est un pseudonyme) commencer à se faire connaître, et les années 1840, les dernières d'une vie remplie de peintures.

   Quelle que soit l'époque, les artistes et les écrivains ont dû composer avec la censure rigoureuse du gouvernement shogunal. On ne s'étonnera donc pas que l'histoire débute par la mise à sac de la boutique du plus célèbre marchand d'estampes tokyoïte de l'époque, celui qui, par la suite (après quelques péripéties), va lancer la carrière d'Hokusai.

   Cette introduction a le grand mérite de nous présenter le quartier des peintres et l'organisation de cette confrérie en écoles, chacune soumise à un maître. Le futur Hokusai se fait renvoyer de l'une d'entre elles, pour une raison que je ne dévoilerai pas ici.

   Pour celles et ceux qui ne connaissent pas grand chose de la vie du peintre, ce début comporte une part de mystère, puisqu'il n'est, au départ, désigné que sous sa véritable identité : lequel de ces jeunes peintres ambitieux est le futur Hokusai ?

   Un autre mérite de ce film est de nous montrer des artistes au travail, au pinceau, en noir et blanc, en couleurs. Dans la seconde partie, on voit même fonctionner en détail un atelier d'impression. C'est instructif et beau à la fois, la mise en scène s'efforçant de s'élever au niveau de son sujet. Certains plans sont de véritables tableaux.

   Les spectateurs(trices) du XXIe siècle seront aussi attentifs à la description d'une société patriarcale, où les femmes (adultes) sont soit des épouses soumises soit des prostituées. Je vous laisse imaginer desquelles les peintres se sentent les plus proches...

   L'une des exceptions à la règle est la propre fille d'Hokusai, que l'on découvre dans la seconde moitié du film. Bien qu'elle ait déjà eu l'honneur d'un long-métrage animé (Miss Hokusai) il y a quelques années, il est regrettable que son personnage occupe si peu de place.

   Dans la seconde partie (plus courte que la première), on retrouve le peintre très âgé, veuf, vivant avec sa fille et conservant des disciples. En dépit de ses problèmes de santé, il continue à peintre. C'est sa raison de vivre.

   L'histoire se conclut par un beau parallèle pictural.

   P.S.

   Dans mon cinéma CGR (à Rodez), j'ai reçu avec mon ticket d'entrée une reproduction de la célèbre Vague :

Hokusai 2.jpg

   P.S. II

   A celles et ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur la vie du peintre, je conseille la lecture d'un (gros) manga, de Shôtarô Ichinomori :

Hokusai 3.jpg

   Toute la vie du peintre y est racontée, sans rien négliger, ni de son caractère, ni de ses difficultés, ni de son goût pour les belles jeunes femmes...