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jeudi, 10 octobre 2013

The Place to be

- Allo, Riri ? Devine ce que je viens de récupérer !

- Euh... comment veux-tu que je sache ?

- Allez, essaie !

- Euh... la bague de ta grand-mère ? Tu m'as bien dit que tu l'avais perdue ?

- Non... enfin si, mais ce n'est pas ça ! Pense plutôt à l'actualité !

- ... Ne me dis pas que tu as réussi à mettre la main sur le programme d'Yves Censi pour les municipales ?

- Mais qu'il est con !!!! Pense à tes centres d'intérêt !

- Mmmm... aurais-tu un abonnement ciné pour le nouveau multiplexe ?

- Presque ! J'ai deux places pour l'inauguration de mardi ! Je pense y aller avec un mec sympa, drôle... et surtout pas trop râleur !

- Tu as ça dans tes relations ?

- Il paraît... mais je suis pas sûre pour le "pas trop râleur"... Bon, ça commence à 18 heures, sur l'esplanade. Tu pourras m'y rejoindre ?

- Attends, je réfléchis... Ils font quand même chier... encore un horaire pour fonctionnaires, femmes au  foyer, retraités et chômeurs ! Et puis je suis fatigué, moi !

- L'apéritif est offert par la municipalité... et, dans le cinéma, une collation gastronomique sera servie après le concert.

- OK, j'y serai.

   Vint le mardi. Autour de l'esplanade, du Foirail à la salle des fêtes, des policiers municipaux orientaient piétons et automobilistes. Il y avait un monde fou. On parle de plus de 600 invitations lancées ce qui, avec les accompagnateurs, fait plus de 1 000 pékins.

   Au départ, je n'avais même pas vu le buffet planté devant l'entrée du cinéma, tant la foule était compacte. Une fois ce détail stratégique assimilé, j'ai enfilé mon costume de chevalier servant et j'ai tenté une approche, en quête de victuailles. Il a fallu un peu jouer des coudes, d'autant plus que plusieurs groupes semblaient maîtriser la tactique d'occupation du territoire : toujours proches du buffet, mais jamais vus en train de se servir, ils buvaient et mangeaient à volonté. Pendant un instant, j'ai été presque admiratif. Vite, j'ai réalisé qu'il ne fallait pas trop rêvasser, sinon je risquais d'être percuté par l'une des innombrables sommités politico-économico-administratives qui hantaient cette foule. Eux sont habitués à ce que l'on s'écarte sur leur chemin. L'un d'entre eux me parut plus habile encore. Il s'agit de Passepartout Manuel Cantos, qui évoluait dans la foule avec une facilité déconcertante, passant sans problème entre les jambes des invités.

   Arrivé au buffet, je respirai un peu. La nourriture était composée d'amuse-gueule bon marché. Je reconnais là la gestion Teyssèdre, qui veut bien prendre la peine de régaler l'assemblée... mais à moindre coût. Du côté des liquides, on trouvait les traditionnels jus de fruit, de l'eau et, heureusement, du vin blanc et de la crème de cassis.

   C'est au moment où j'ai dû me saisir des deux gobelets remplis d'un liquide rougeâtre que je me suis rendu compte qu'il allait être difficile d'emporter du solide avec. Comment faire ? Je songeai à poser les gobelets pour me remplir les poches de cochonneries aux acides gras insaturés. J'envisageai aussi de récupérer une assiette en plastique pour la garnir d'un florilège desdites cochonneries. La crainte du scandale me retint. Finalement, je choisis de commencer à boire mon kir, puis de transvaser un peu du second dans le premier verre. Ensuite, je pus tenir les deux gobelets avec les doigts d'une seule main, sans les faire tremper dans le précieux liquide. De l'autre, j'emportai de quoi grignoter.

   Revenu auprès de Dulcinée, je constatai qu'elle avait été abordée par l'une de ses connaissances, un individu louche de sexe masculin.

- Tiens, Henri ! Quel plaisir de voir ta gueule d'abruti ! Comment vas-tu ?

- Ca va, ça va. Tu es venu seul ?

- Non, avec ma copine. D'ailleurs, je l'ai perdue. Je crois qu'elle est partie chercher du vin blanc.

- Il paraît qu'il est très correct. Désolé, je n'en ai pris que pour nous deux. Sinon, tu penses bien que j'aurais pris plaisir à cracher dans un troisième gobelet !

- Bon, ben, je vais voir si je la trouve. A plus !

- C'est ça, casse-toi, pov' con ! Bonne soirée !

   Peu après, des applaudissements ont retenti. Le ruban était coupé. La masse des invités pouvait commencer à entrer dans le multiplexe. Très vite, un groupe s'est mis en tête de faire le siège des entrées de la salle 1, négligeant d'effectuer la visite des locaux. L'explication n'allait pas tarder à venir : le nombre de places étant limité, seuls les "pipoles" et les premiers entrés auraient droit au concert, les autres devant se contenter de la retransmission dans la salle 2.

   Et pourtant, la visite valait le coup. Nous avons déambulé entre les salles, testant les fauteuils, regardant et écoutant les bandes-annonces. Conclusion : on est bien assis, les sièges sont disposés en gradins, les écrans sont grands et le son est bon. Cerise sur le gâteau : les toilettes, très jolies, fonctionnelles. Elles donnent envie d'aller dans le multiplexe rien pour y uriner ! Ah, j'oubliais : le sèche-mains automatique, merveille de technologie... avec un petit écran sur lequel s'affiche la durée de courant d'air asséchant !

   Après les discours, après le concert, après la première séance (offerte aux invités), la collation a été servie. On a retrouvé les mêmes pique-assiette. Mais, là, le menu était plus haut de gamme. Ce fut la ruée. J'ai plus tard entendu dire qu'on avait prévu la présence de 300 convives. On avait visiblement sous-estimé la gloutonnerie de certains invités. Seule note positive : le champagne, abondamment servi, était délicieux.

   Bon, c'était pas tout ça, mais les gens normaux travaillaient le lendemain. Nous sommes donc partis avant le feu d'artifice, dont je ne sais même pas s'il a eu lieu. En quittant le cinéma, j'ai croisé un visage qui me disait quelque chose. Je me suis souvenu l'avoir vu dans un mini-multiplexe aveyronnais, pas très éloigné de Rodez. Une mienne connaissance m'a appris qu'il avait candidaté pour la direction du nouveau cinéma ruthénois, mais qu'il avait été finalement engagé au poste de directeur-adjoint. Voilà au moins une personne qui est persuadée que ce multiplexe est destiné à un grand avenir !

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