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mercredi, 13 novembre 2019

J'accuse

   Epaulé par l'écrivain Robert Harris, Roman Polanski nous livre donc sa vision de l'affaire Dreyfus, dans un film centré non pas sur la principale victime de l'injustice, mais sur l'officier Georges Picquart, qui, bien que convaincu au départ de la culpabilité du capitaine juif, a mené, au péril de sa carrière, une contre-enquête qui a contribué à faire éclater la vérité.

   Sur un tel sujet, le risque était de se retrouver face à un film lénifiant, "qualité France", au cours duquel une pléiade d'acteurs connus viendrait faire son petit numéro devant la caméra, avant de s'en aller. Polanski (qui s'est offert un caméo dans une scène de concert de musique de chambre) a tiré profit de l'angle d'attaque original du roman d'Harris, qui nous fait suivre l'histoire dans les pas de Picquart.

   L'action démarre dans la cour de l'Ecole militaire, au moment de la cérémonie de dégradation de Dreyfus. Le réalisateur y fait preuve de sa maîtrise habituelle des espaces et du champ/contrechamp. C'est surtout l'occasion de camper le personnage de Picquart (Jean Dujardin, comme on l'a très rarement vu), qui avait de solides préjugés antisémites. (C'est d'ailleurs la principale limite que l'on pourrait trouver à l'histoire, qui semble montrer que ces préjugés ont progressivement disparu, ce qui n'était peut-être pas le cas chez le véritable Picquart.)

   La suite nous met en contact avec un univers d'hommes, celui de l'armée et de son service de renseignement, peuplé à la fois d'individus pétris de rectitude et de quasi-racailles. Considéré comme fiable, l'antisémite (modéré) Picquart se retrouve à la tête d'une unité de contre-espionnage, où il envisage très vite de mettre un peu d'ordre. Il ne s'y fait pas que des amis. Par dessus le marché, certaines de ses certitudes vont vaciller.

   C'est la grande réussite à la fois du scénario et du montage que de faire découvrir progressivement au public les dessous de la machination dont est victime Dreyfus, par le biais notamment de retours en arrière, véritables plongées dans la mémoire de Picquart. Le film devient un véritable polar. Picquart enquête, en s'appuyant sur des policiers parisiens. La surveillance qu'il met en place pour piéger le véritable coupable (Esterhazy) est très bien mise en scène. (Les spectateurs technophiles du XXIe siècle souriront peut-être devant la rusticité des moyens dont disposaient les espions de l'époque.)

   Quasiment tous les acteurs (dont une floppée provenant de la Comédie française) sont formidables. La musique d'Alexandre Desplat colle parfaitement à l'intrigue. Il reste la question du pourquoi. Pourquoi retourner un film sur cette célèbre affaire ? D'abord, parce qu'il n'est pas inutile de raviver quelque peu la mémoire des Français. Du côté de Polanski, on sent qu'a joué la crainte provoquée par le retour d'un certain antisémitisme. On en perçoit l'écho dans une scène de rue, un autodafé qui prend le tour d'une petite "nuit de cristal". Les spectateurs instruits de l'histoire de la IIIe République ne s'étonneront pas de l'apparition de ce "moment antisémite". Les autres feront le lien plutôt avec la période nazie. (Contrairement à ce que j'ai pu lire ou entendre ici et là, Polanski n'a absolument pas orienté le film dans le sens d'un plaidoyer pro domo. Ce genre de considérations est ici totalement hors-sujet.)