samedi, 26 juin 2010
Conférence de Serge Klarsfeld
D'habitude, l'auditorium du "Centre européen" de Conques accueille des conférences d'histoire médiévale ou d'histoire de l'art. Le cycle 2010 est plus éclectique, ouvert notamment sur la période contemporaine. Ainsi, la dernière conférence, celle du 12 novembre prochain, sera consacrée à un "poilu" local et celle de vendredi 25 juin avait pour titre "Le sort des juifs en Aveyron pendant la Seconde guerre mondiale".
Dans la première partie, Serge Klarsfeld a présenté son parcours. (Le public a remarqué qu'au début de son intervention, il prononçait "Conches" mais que, très vite, suite à la lecture d'un papier que lui a fait passer en catastrophe Simon Massbaum, il a rectifié) Il a commencé par le devenir de sa famille pendant la guerre, puis ses études et le début de sa vocation, la chasse aux criminels nazis. Il s'est malheureusement peu étendu sur le rôle de son épouse Beate (devenue célèbre après avoir osé gifler en public le chancelier allemand Kurt Kiesinger, un ancien nazi). En parallèle, il a évoqué son travail d'historien.
Il a ensuite laissé la parole à Simon Massbaum, qui a traité plus particulièrement du cas des juifs vivant en Aveyron pendant la guerre. Faible jusque dans les années 1930, leur nombre a augmenté suite à la Débâcle de 1940 en Belgique puis en France. A cela s'est ajouté la division de la France métropolitaine, certaines familles décidant très rapidement de quitter la zone occupée. Les juifs ont été systématiquement recensés sur ordre de Vichy (l'historien donne une estimation de 900 personnes pour le département) et assignés à résidence. 700 d'entre eux auraient été raflés ou arrêtés à des dates diverses et environ 360 déportés... pour 5 retours. Notons que l'on ne sait pas tout, même 65-70 ans après les faits, puisque Simon Massbaum a parlé d'une rafle à Villefranche-de-Rouergue, avérée, portant sur 80 personnes, dont les identités ne sont toujours pas connues.
La troisième partie a vu le témoignage d'Alexandre Halaunbrenner, particulièrement émouvant. La voix faible, chevrotante, il a raconté l'histoire de sa famille, des juifs d'origine polonaise, que le père, passé le premier en zone non-occupée, a essayé de sauver. Ils se sont installés à Lyon. Le père a fini fusillé, après avoir été arrêté par Klaus Barbie (que le témoin a donc rencontré). Deux des soeurs d'A. Halaunbrenner avaient été placées dans la maison d'Izieu, dont les occupants ont été déportés, là encore à l'instigation de Barbie. (Le lien précédent vous mène à une page où, pour accéder à un document fort bien fait, il faut cliquer, en haut, sur "Pédagogie", puis, à gauche, sur "Dossiers et documents d'Izieu", enfin, sur la page, sur "Télécharger ce dossier".)
Le procès de Barbie lui-même a été abordé dans les réponses aux questions du public. Serge Klarsfeld a, paradoxalement, souligné que la défense de l'ancien nazi, par Jacques Vergès, avait aidé l'accusation : comme l'avocat voulait surtout se mettre en valeur, il a demandé à Barbie de ne pas assister aux séances. Klarsfeld estime que Vergès n'était pas bon dans le contre-interrogatoire des témoins, alors que les rares fois où Barbie a été présent, il a déstabilisé ceux-ci.
Mais cette dernière partie de la soirée a surtout été marquée par une intervention étrange. Elle est le fait d'un habitant de Conques, néerlandais, juif, qui, après avoir demandé la parole, s'est mis à lire en tremblant un texte écrit (et tapé) à l'avance, dans un français approximatif. C'était à la fois pathétique et touchant. De quoi était-il question ? Pas facile à dire, même si j'ai tendu l'oreille, alors que nombre de personnes, dans l'assistance, ont semblé vite perdre patience. En gros, ce Néerlandais a fait le lien entre ce que sa famille a connu et l'histoire de la petite Anne Frank. Il a aussi tracé un parallèlle avec le philosophe René Descartes, qui, au XVIIe siècle, a fui la France intolérante pour ce que l'on appelait alors les Provinces-Unies. Pour l'anecdote, il a vécu dans la rue même où se trouvait la maison qu'habiterait par la suite la famille Frank :
Refusant d'obéir aux injonctions du maître de cérémonie, il a tenu à lire son texte jusqu'au bout, dénonçant, me semble-t-il, la résurgence de l'antisémitisme (y compris à Conques ! Il a parlé d'un salut nazi fait en sa présence, si j'ai bien compris) et se désolant qu'on ne lise pas assez le Journal que la petite Anne Frank a rédigé avant d'être déportée.
Et, pour que les jeunes générations n'ignorent rien de ce passé, il est venu avec des cadeaux ! En effet, une fois son texte lu, il s'est approché de l'estrade, sur laquelle on l'a empêché de monter. S'adressant aux invités (en particulier à Serge Klarsfeld), il leur a demandé de veiller à ce qu'on remette le contenu du sac (aux couleurs de la Maison du Livre de Rodez) aux enfants de la commune. (Il n'est apparemment pas satisfait de l'organisation du fond de la bibliothèque municipale.) Puis il est parti, calmement, montant avec dignité les marches de l'amphithéâtre (en essayant de ne pas trébucher). Le sac est resté sur l'estrade. On y voyait une pile de petits paquets, tous aux couleurs de la librairie ruthénoise : ce Néerlandais y avait commandé plusieurs exemplaires de l'édition de poche du Journal et les avait fait tous empaqueter pour les offrir ! Quelqu'un devrait s'occuper de ce monsieur, qui a grand besoin d'un suivi psychologique.
Mais, contrairement à ce qui a été affirmé, cet incident n'a pas gâché la soirée. Quelque chose d'autre aurait pu la gâcher : CETTE SALOPERIE DE TELEPHONE PORTABLE QUI A SONNE A DEUX REPRISES ! C'est quand même dingue ! Et les coupables sont deux personnes âgées, l'homme (aux cheveux blancs) ne semblant guère gêné par le dérangement provoqué, la femme (aux cheveux teints) pouffant même de rire à plusieurs reprises... NON MAIS QUEL DUO D'ABRUTIS !!
02:17 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, france, histoire, résistance
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