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La Leçon d'allemand
Le réalisateur Christian Schwochow, auquel on doit notamment De l'autre côté du mur, s'est lancé dans l'adaptation du roman éponyme de Siegfried Lenz, dont l'action fait dialoguer deux époques.
Dans les années 1950, un jeune homme est emprisonné, à Hambourg. Il a l'air un peu perdu et il rechigne à rédiger ce qui ressemble à une autocritique. Nous ne sommes pas en RDA (communiste), mais en RFA (capitaliste), on appelle donc cela une rédaction sur "les joies du devoir". Cela pousse le jeune homme à se replonger dans ses souvenirs...
L'essentiel de l'histoire se déroule dans la deuxième partie de la Seconde Guerre mondiale. Les personnages vivent en Allemagne du Nord, pas très loin de la frontière danoise si l'on en juge par les patronymes : Jepsen, Nansen... (Il s'agit sans doute du Schleswig-Holstein, une région récupérée par la Prusse au XIXe siècle à l'issue de la "Guerre des Duchés".)
Jens Jepsen est le chef de la police du village, une charge qui ne lui vaut guère de travail, mais lui procure du prestige et un bel uniforme. L'homme est un père de famille autoritaire, qui tient par-dessus tout à "faire son devoir"... voire à l'imposer aux autres. Il règne en petit tyran sur une famille où la mère est totalement soumise. Leurs trois enfants ont des destins et des personnalités contrastés. L'aîné, sans doute sur la pression du père, s'est engagé dans l'armée et a été envoyé sur le Front de l'Est. La cadette est un peu rebelle. On la sent attirée par la ville et surtout par une vie moins ennuyeuse que celle de son village peuplé de sinistres adultes.
Le réalisateur focalise son attention sur le second fils, Siggi, qu'on ne voit jamais se rendre à l'école. Il explore les alentours, les prés, les plages, une maison abandonnée (dont il n'est pas difficile de comprendre ce qu'il est advenu des occupants...) et Max, un peintre du même âge que son père, avec lequel il a jadis fait les 400 coups. Mais les temps ont changé et Jens semble désormais prendre un malin plaisir à persécuter son ancien pote, qui a la suprême audace de continuer à produire une peinture qualifiée de "dégénérée" par les autorités nazies.
Cette plongée dans le passé ressuscite la vie d'un village ordinaire, où l'on accepte le régime hitlérien sans forcément adhérer à son idéologie. D'ailleurs, on s'accommodera facilement de la nouvelle république, d'autant que, d'après ce qu'on nous montre à l'écran, nombre de cadres de l'ancien régime ont pu s'y recycler...
Mais là n'est pas le plus important. Le film met en scène une lutte entre le principe d'autorité (incarné par le père policier) et la liberté artistique, qui passe par la peinture, mais aussi le chant, la musique, la danse. Le garçon est tenaillé par un conflit d'allégeance : doit-il obéir aveuglément à son père, qui s'occupe de lui et semble vouloir lui indiquer le droit chemin, ou bien, de temps en temps, donner un coup de main au peintre maudit, accompagné de sa délicieuse épouse ?
J'ai eu du mal à entrer dans cette histoire mais, une fois que j'ai compris les présupposés scénaristiques, j'ai été pris. L'un des intérêts consiste à deviner comment l'enfant sans histoire d'un notable rural a pu se retrouver des années plus tard en prison.
En revanche, ce n'est pas très bien réalisé. J'ai trouvé la mise en scène pataude, la photographie médiocre (un comble pour un film illustré de tableaux expressionnistes). Les plus belles images (en noir et blanc) sont celles qui accompagnent le générique de fin ! Mais l'intrigue et le jeu des acteurs méritent le détour.
vendredi, 28 janvier 2022 | Lien permanent
Branlée aveyronnaise
Le résultat du premier tour des législatives dans l'Aveyron confirme l'adhésion (volontaire ou par défaut) d'une grande partie de l'électorat à ce qu'il faut bien commencer à appeler le "macronisme". Elle démontre aussi la perte de crédibilité des partis traditionnels... mais pas que.
Commençons par la première circonscription, qui s'étend de Rodez à l'Aubrac. Le sortant Yves Censi réalise son pire score de premier tour, avec moins de 10 000 voix, dépassant à peine le seuil de 12,5 % des électeurs inscrits. En 2002, année de sa première victoire, il avait recueilli plus de 12 000 voix (16,7 % des inscrits), alors que la droite était profondément divisée. En 2007, année du sarkozysme triomphant, il culmine à 17 414 voix (23,3 % des inscrits). En 2012, face à la vague hollandienne (mais avec moins de concurrents sérieux à droite), il avait atteint le pic de 19 487 voix (près de 26 % des inscrits !).
Derrière la victoire qui se profile pour Stéphane Mazars, il y a clairement un désaveu du député sortant. De son côté, l'avocat multicarte (adjoint au maire de Rodez, conseiller d'agglomération et conseiller départemental...) a presque triplé son score de 2012, passant de moins de 7 000 à presque 20 000 voix. Il faut dire que cela fait un petit moment que l'on sentait que la circonscription pouvait basculer à gauche. En 2012, il n'avait pas manqué grand chose à Monique Bultel-Herment. Le paradoxe est que le lent travail des candidats PS (Christian Teyssèdre inclus) a finalement bénéficié au coucou PRG, qui arrive en tête dans 56 communes, contre seulement 14 pour Yves Censi. Laguiole est un symbole éclatant, qui a accordé 62 % des suffrages à Mazars, contre 24 % à Censi, qui a perdu environ 170 voix par rapport à 2012, son adversaire en ayant gagné une centaine.
Un autre enseignement de ce scrutin est le mauvais score du candidat Front national : alors que l'époque était porteuse, Matthieu Danen recueille moins de voix que Jean-Guillaume Remise il y a cinq ans (3 232 contre 3 990) et à peine plus que la peu connue Marie-Claire de la Sayette en 2002 (2 973 voix). On appelle ça une jolie claque.
Dans la deuxième circonscription (à l'ouest), la maire de Naucelle Anne Blanc, présidente du Pays Ségali et conseillère départementale (joli cumul), est sur le point de réussir son pari, soutenue par la députée sortante, Marie-Lou Marcel, une ex-frondeuse qui a senti le vent macronien souffler, assez puissamment pour que cela lui fasse retourner sa veste. Pour son principal adversaire, André At, c'est un coup dur. Il recueille à peine plus de 8 000 voix, contre environ 12 400 pour son ancien collègue Laurent Tranier en 2012, 19 000 pour Serge Roques en 2007, 17 000 pour le même en 2002. Le vice-président du conseil départemental est sous la barre des 12,5 % des inscrits. Seule sa deuxième place lui permet de participer au second tour.
La situation semble moins compromise pour Arnaud Viala dans la troisième circonscription (grosso modo le Sud Aveyron). Il arrive en tête, avec 14 525 voix, soit environ 3 500 de plus que lors de la législative partielle de 2015... mais cela reste le plus mauvais score du candidat de la droite départementale à un scrutin législatif "normal" (organisé l'année de l'élection présidentielle) depuis 20 ans. Le pire est que le ballottage lui est imposé par un quasi-inconnu dans la région, Jean-Louis Austruy (à ne pas confondre avec le communiste Jean-Claude Austruy), doté de la miraculeuse étiquette "La République en Marche". Avec 13 122 voix, celui-ci est sur les talons du député sortant, ce que personne n'imaginait il y a encore une semaine. Va-t-on assister à une énorme surprise dans cette circonscription la semaine prochaine ? La réponse est en partie entre les mains des abstentionnistes.
Je termine par "le troisième homme" de ces élections : le(la) candidat(e) de la France insoumise, qui est arrivé troisième dans chaque circonscription, en général assez loin des deux premiers (et des 12,5 % des inscrits, qui lui auraient permis de se maintenir au second tour)... sauf dans la deuxième circonscription : Pascal Mazet ne rend que quatre points à André At. C'est tout de même très en retrait par rapport aux scores réalisés par Jean-Luc Mélenchon dans les trois circonscriptions en avril dernier : respectivement 17,16 %, 22,05 % et 20,05 % des suffrages exprimés. Néanmoins, Pascal Mazet est arrivé en tête à Aubin, Cransac, Decazeville et Viviez. Cela promet pour les municipales de 2020 !
P.S.
Dernière minute : André At se retirerait de la course !
lundi, 12 juin 2017 | Lien permanent | Commentaires (1)
La Zone d'intérêt
Grand Prix au dernier festival de Cannes (certains affirmant que c'est la vraie Palme d'or), cette fiction à caractère documentaire de Jonathan Glaser a été tournée en allemand (pour plus de réalisme, je présume). Les dialogues n'y occupent toutefois guère de place, l'essentiel du signifiant étant porté par ce que l'on voit à l'écran... et ce que l'on n'y voit pas, mais dont on devine la présence.
C'est toute la question qui se pose, quand on traite du fonctionnement du camp d'Auschwitz (qui, rappelons-le, fut un camp triple : d'abord de concentration, auquel se sont ajoutées deux annexes, une usine chimique et un centre d'extermination, Birkenau).
C'est dans ce sens je pense qu'il faut comprendre l'écran noir du début. Certaines choses sont immontrables, mais on peut quand même les évoquer avec force, grâce à la mise en scène.
Il convient donc d'être attentif aux détails, à ce qui entre au domicile de la famille de Rudolf Hœss, à ce dont on discute le plus souvent à demi-mots, à ce qu'on peut voir quand on est à la porte d'entrée ou dans le jardin.
Le reste du temps, on nous présente la vie ordinaire d'une famille traditionnelle de cadre supérieur, l'épouse s'occupant du foyer, l'époux partant au travail le matin, revenant le soir. L'épouse (tout aussi nazie que le mari) dispose de domestiques, soit des Polonaises (catholiques) du coin, soit des détenues allemandes (non juives). Toutes sont consciences de la précarité de leur situation et des petits avantages qu'il y a à travailler sous la houlette d'une maîtresse de maison, même acariâtre.
Cella-ci, interprétée par Sandra Hüller, vole presque la vedette à Christian Friedel (qui incarne Hœss). Le directeur du camp (de 1940 à 1943) gardera une partie de son mystère, tandis que le caractère de son épouse se dévoile au fur et à mesure que le film avance... et ce n'est pas à l'avantage du personnage.
Martyriser des déportés et exterminer des juifs et des Tsiganes est donc un travail comme les autres pour les cadres nazis. Ils prennent soin de célébrer l'anniversaire du patron, à l'entrée de sa maison, de l'autre côté de la rue où commence le camp. Dans son salon, Hœss reçoit des gradés et les représentants d'entreprises qui tentent d'obtenir un marché crucial : celui de la construction de nouveaux crématoires et de nouvelles chambres à gaz. On est en pleine horreur humaine, mais filmée de manière glacée, frontale, sans explication. J'ai trouvé cela brillant, mais pas facile à supporter sur le plan émotionnel.
Une séquence particulièrement signifiante est celle de la venue de la belle-mère de Hœss. Ancienne femme de ménage, elle vit comme une ascension sociale le mariage de sa fille avec un dignitaire nazi. Elle est ravie de découvrir la maison de maître (même si elle n'est pas aussi grande qu'elle se l'imaginait), la présence de domestiques (aucune n'étant juive, prend-on la peine de lui préciser)... et les petits à-côtés. Elle a appris qu'une de ses anciennes patronnes juives a été déportée au camp, sans que cela l'afflige... mais elle ne sait pas tout. Durant son bref séjour, elle va dormir dans l'une des chambres des enfants du couple Hœss. (Ils ont cinq gosses !) L'une des fenêtres donne sur le camp. De temps en temps, de la fumée sort de cheminées, au loin. Elle entend ce qui ressemble à l'arrivée de trains, des cris étouffés... La belle-mère finit par comprendre ce qu'il se passe "de l'autre côté". Je laisse à chacun(e) le plaisir de découvrir sa réaction.
Tout le film est comme cela, par petites touches glaçantes, la caméra et le hors-champ suggérant beaucoup, pour qui prend la peine d'écouter, de regarder et de réfléchir.
Certes, compte tenu de son sujet, c'est un film assez pénible (sur le fond), mais, sur la forme, c'est magistral.
P.S.
Pour mieux comprendre la psychologie de Rudolf Hœss, on peut lire son autobiographie (rééditée en collection de poche), rédigée quand il était emprisonné en Pologne, attendant d'être jugé, après guerre. En dépit des tentatives d'autojustification (énoncées sans doute pour échapper à la peine de mort), son témoignage est fort instructif, à la fois sur l'auteur et sur le milieu dans lequel il a évolué, de sa jeunesse au commandement du camp.
mercredi, 14 février 2024 | Lien permanent | Commentaires (2)
Cocorico
Le scénario de cette comédie sociétale mêle deux arguments narratifs : l'annonce d'un mariage transclasse (entre l'héritière d'un important domaine viticole et le fils d'un ex-garagiste) et la découverte de leurs origines par les quatre parents, par l'entremise de tests ADN lancés en secret par les futurs (?) mariés.
Ces deux-là ont beau jouer un rôle déterminant dans l'intrigue, ils sont moins présents à l'écran que les quatre cadors qui incarnent leurs parents. Je signale quand même la bonne prestation de Chloé Coulloud, très convaincante en jeune femme moderne.
Du côté des géniteurs, on a droit à deux beaux couples caricaturaux. A ma gauche (en haut), se trouvent les Martin, avec Gérard le garagiste devenu concessionnaire Peugeot, fier de sa francitude, marié à Nicole, épouse effacée qui ignore la composition d'une branche de son arbre généalogique. Didier Bourdon et Sylvie Testud nous livrent de fort belles compositions. Je trouve le premier mieux utilisé que dans les films de Philippe Lachaud (et on lui a réservé quelques répliques saillantes). La seconde est épatante, notamment à partir du moment où elle découvre l'origine d'une partie de sa famille. Testud incarne très bien ce personnage qui, d'une certaine manière, part en vrille.
A ma droite (en bas sur la photographie) se trouvent les Bouvier-Sauvage, une famille "vieille France", pétée de thunes, de bonne conscience et de préjugés. Le rôle de Frédéric va comme un gant à Christian Clavier, qui certes en fait des caisses... mais des caisses de Bordeaux grand cru ! A ses côtés, Marianne Denicourt est Catherine, une grande bourgeoise faussement effacée, qui va s'affirmer dans l'adversité.
La première partie nous présente les deux familles et leur rencontre, pleine de sous-entendus. C'est délicieux, caricatural, méchant. Dans la salle, ça ricanait sec.
Tout le monde attend avec impatience de découvrir ce que contient chaque enveloppe. Dans l'ordre, Gérard, Catherine, Nicole et Frédéric vont apprendre à quelle(s) population(s) leurs ADN se raccrochent... et c'est à chaque fois savoureux. Le talent du scénariste-dialoguiste-réalisateur (Julien Hervé, qui parvient presque à faire oublier qu'il a contribué à l'aventure des Tuche...) est de faire rebondir l'intrigue à chaque révélation.
La troisième partie montre les deux couples tentant de gérer les informations concernant leur passé familial. C'est inégal, parfois drôle, parfois totalement anodin. On s'achemine sans surprise vers une fin convenue, qui réconcilie tout le monde, chacun assumant sans excès son arbre généalogique...
... mais ce n'est pas tout à fait fini. Au vu de la manière dont se déroulait l'histoire, je m'attendais à un nouveau coup de théâtre, qui survient tardivement et de manière partielle... sans doute pour ménager la possibilité d'une suite.
Voilà. J'ai ri. Souvent. Peut-être pour de mauvaises raisons. Mais j'ai passé un bon moment.
P.S.
C'est clairement une comédie qui ne vise pas très haut. (Pour une fois, je suis -presque- d'accord avec ce qu'en disent les critiques du Masque & la Plume.) L'auteur s'est montré très sage dans l'exploitation de la face cachée des arbres généalogiques. De ce point de vue, un film comme Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? était plus transgressif... et Didier Bourdon qui, jadis, a joué avec Les Inconnus un sketch se moquant du théâtre de boulevard, est devenu un peu l'incarnation de ce qu'il caricaturait autrefois.
dimanche, 18 février 2024 | Lien permanent | Commentaires (3)
Du rififi au Conseil départemental de l'Aveyron
Les élections départementales approchent... pas dans la sérénité, en particulier au sein de la "Majorité départementale" (de droite). Je pense que les électeurs les plus âgés doivent avoir, comme moi, l'impression de retomber quinze-vingt ans en arrière. Commençons donc par remonter le temps.
Le mode de scrutin (majoritaire uninominal puis binominal) et le découpage des circonscriptions (qui avantage les territoires ruraux, surreprésentés dans l'assemblée départementale) expliquent une certaine stabilité / permanence (rayer la mention inutile) au sein de l'institution : elle est dirigée par une majorité de droite, incluant des centristes, des non-encartés... et parfois quelques transfuges de gauche. De 1976 à 2008, ce que l'on appelait alors le Conseil général a été présidé par Jean Puech, auquel a succédé Jean-Claude Luche, de 2008 à 2017.
À l'époque, la succession de Jean Puech avait été disputée, comme cela a été plutôt bien raconté dans un article de La Dépêche du Midi. Pour décrocher la timbale, Jean-Claude Luche avait dû écarter plusieurs rivaux dans son propre camp, à commencer par un certain Arnaud Viala. Mon petit doigt me dit que l'élu du Lévézou en a éprouvé un grand dépit, encore perceptible quelques années plus tard quand il a manifesté un évident désintérêt pour le discours que prononçait à l'époque son ancien rival à la présidence.
Rebelote en 2017 (au moment du départ de J-C Luche) alors qu'on pensait l'époque plus apaisée. Là encore, la menace pour la droite ne venait pas tant d'un(e) candidat(e) de gauche (même si le "camp d'en face" s'était renforcé) que d'une division interne. La désignation, à l'issue d'une "primaire à droite locale", de Jean-François Galliard fut extrêmement serrée... et une petite surprise, le nouveau candidat de droite à la présidence du Conseil départemental n'étant pas celui bénéficiant du meilleur réseau. Ainsi va la démocratie...
Nous voici rendus en 2021. Les prochaines élections départementales pourraient rebattre les cartes, sans toutefois bouleverser les grands équilibres : il n'y aura sans doute aucun(e) élu(e) d'extrême-droite ni d'extrême-gauche au Conseil départemental et la droite devrait y être (plus ou moins) majoritaire, l'opposition se répartissant entre la gauche et quelques macronistes. Cette configuration a semble-t-il aiguisé les appétits, en particulier ceux d'Arnaud Viala, l'élu local devenu député en 2015 (et réélu en 2017). Des bruits de couloirs circulaient dans le département, jusqu'à la présentation, en avril dernier, de la liste des candidats soutenus par A. Viala... de futurs élus qui, en retour, ne manqueront pas de soutenir son accession à la présidence. Il est intéressant de croiser cette liste avec celle des actuels conseillers départementaux rouergats et avec celle de l'ensemble des candidatures déclarées, accessible sur le site de la préfecture de l'Aveyron.
Arnaud Viala présente des candidats dans 19 des 23 cantons. Intéressons-nous d'abord aux quatre d'où sa "mouvance" sera absente. Deux de ces cantons sont tenus par la gauche : Lot et Montbazinois d'un côté, Enne et Alzou de l'autre. Dans ces deux cas les sortants (Bertrand Cavalerie, Cathy Mouly, Hélian Cabrolier et Gaziella Pierini) se représentent, avec de bonnes chances d'être reconduits. (C'est même certain pour le premier binôme, qui n'aura pas de concurrent.) Les deux autres cantons sont tenus par des caciques de la droite non ralliés à la candidature Viala : Vincent Alazard et Annie Cazard pour Aubrac et Carladez, Michèle Buessinger et Christian Tieulié pour Lot et Dourdou. Tous se représentent. Je vois mal le premier binôme perdre cette élection : il est opposé à une doublette dont l'une des membres fut suppléante d'un candidat LFI aux législatives de 2017. Le second binôme doit affronter une doublette de gauche et une d'extrême-droite. Un deuxième tour pourrait être nécessaire pour les départager.
Je signale un cas particulier : le canton Tarn et Causses. Les actuels titulaires appartiennent à la "Majorité départementale". L'un d'entre eux ne rempile pas : Camille Galibert, qui semble s'être retiré de la vie politique à la suite du désaveu subi aux dernières élections municipales (à Sévérac-d'Aveyron). En revanche, sa partenaire Danièle Vergonnier remet le couvert, affirmant son soutien au président sortant. Arnaud Viala a lancé contre elle un binôme de nouveaux en politique, où figure un poids lourd de l'agroalimentaire local.
Passons à présent aux "candidats Viala". Le potentiel (si tous sont vainqueurs) est de 38 élus (sur les 46 du Conseil départemental). Je ne suis pas voyant, mais je me crois autorisé à affirmer qu'il n'y aura pas de "grand chelem". Mais la probabilité est forte qu'au moins la moitié de ces binômes soient élus. La première raison est qu'une partie des "candidats Viala" sont des sortants, membres de la majorité menée par Jean-François Galliard... mais qui avaient peut-être voté pour son concurrent J-C Anglars en 2017. Ces sortants ont souvent de fortes chances d'être reconduits : ils sont au nombre de 18... Donc 9 binômes ? En fait 11. Ah bon, pourquoi ? Parce que 11 des 19 binômes estampillés Viala comptent au moins un(e) sortant(e). 7 d'entre eux sont composés des mêmes élus, 4 comprennent un(e) sortant(e) et un nouveau.
C'est le cas dans le canton Causses-Rougiers, où le sortant Christophe Laborie est désormais accompagné par Monique Aliès, qui remplace Annie Bel... qui figure néanmoins sur le ticket, en tant que suppléante. Dans le canton Lot et Palanges, c'est la "retraite" de Jean-Claude Luche qui explique la présence de Christian Naudan aux côtés de la sortante Christine Presne. Leur victoire est assurée, faute de concurrents. La (petite) surprise est venue du canton de Millau-2, où les sortants sont Jean-François Galliard et Sylvie Ayot. Arnaud Viala soutient bien un binôme dans cette circonscription, un binôme "mixte" (sortant-nouveau)... mais contre Jean-François Galliard, qui se représente accompagné de Karine Orcel, alors que son ancienne partenaire forme un binôme concurrent avec Christophe Loubat. Tout à coup, la campagne a pris un ton plus aigre. Je laisse chacun juge des positions des sortants, celles de Sylvie Ayot et celles de Jean-François Galliard. Au-delà de la polémique, on peut se poser la question de l'élégance de la manoeuvre. J-F Galliard n'a pas, à ma connaissance, tenté de monter une candidature contre celle d'Arnaud Viala dans le canton Raspes et Levezou (où d'ailleurs un seul binôme est en lice...). La réciproque n'est pas vraie. Je le rappelle : ces hommes sont (en théorie) dans le même camp politique !
Quoi qu'il en soit, l'analyse de la situation donne l'impression qu'Arnaud Viala a littéralement déplumé le président (du Conseil départemental) sortant. Si la victoire de la droite ne fait guère de doute, l'incertitude demeure quant à l'étendue et la nature de la majorité. Je pense que cela pourrait se jouer dans les cantons où les "candidats Viala" ne sont pas (tous) des sortants : Ceor-Ségala (où le maire de Baraqueville est un "candidat Viala"), Millau-1 (face à une gauche divisée...), Monts du Réquistanais, Rodez-1, Rodez-2 (où le binôme soutenu par A. Viala est composé du sortant Serge Julien et d'Émilie Saules... fille de l'ancien conseiller du canton !), Tarn et Causse (voir ci-dessus), Vallon (où le scrutin semble très ouvert) et Villefranche-de-Rouergue.
Il est désormais évident que la candidature d'Arnaud Viala et le "déplumage" de la majorité départementale à son profit ont été préparés de longue date. (Au moins, maintenant, on sait ce que le faisait le député quand il ne siégeait ni en commission ni en séance plénière au Palais Bourbon.) À la manoeuvre, derrière, il y a sans doute Jean-Claude Luche.
C'est mal parti pour Jean-François Galliard. Je pense qu'au minimum 8-9 binômes soutenant officiellement (même si quelques-uns ont peut-être été un peu "poussés"...) A. Viala seront élus, ce qui donne une base de 16-18 votes en sa faveur lors du scrutin qui désignera le président du Conseil départemental. (Et cela pourrait être 4 de plus...) Cela permet de comprendre pourquoi, dans certains cas, les caciques de droite qui ne se sont pas ralliés n'ont pas "hérité" d'un binôme concurrent : Arnaud Viala compte sur leur soutien, après coup, quand il n'y aurait qu'une seule véritable alternative : la présidence Viala 100% de droite, ou une (improbable ?) alliance droite-gauche-macronistes autour de Jean-François Galliard.
vendredi, 07 mai 2021 | Lien permanent
Bilan du second tour des élections départementales dans l'Aveyron
Les surprises étaient quasi absentes du premier tour. Elles se sont produites à l'occasion du second... dans les deux sens. On commence d'ailleurs (en suivant l'ordre des cantons) par Ceor-Ségala, qui a vu le nouveau maire de Baraqueville Jacques Barbezange mordre la poussière (de plus de 200 voix) face à une candidate de centre-gauche, la maire de Naucelle Anne Blanc. Certains pensaient celle-ci affaiblie par sa victoire étriquée aux municipales de 2014. De son côté, J. Barbezange, soutenu par la majorité départementale, avait profité des craintes suscitées par l'adhésion de sa commune au Grand Rodez pour remporter les municipales en 2014. Le canton, dont le territoire ressemble bigrement au Grand Ségala qu'il tente de promouvoir (y compris auprès des ruraux qui n'en veulent pas), semblait lui tendre les bras.
Un an plus tard, une partie des Baraquevillois commence à déchanter (et ils n'ont pas encore tout vu). Dans sa propre commune, Jacques Barbezange subit un quasi-désaveu : son binôme finit avec à peine 12 voix d'avance sur celui de sa rivale, contre environ 90 à l'issue du premier tour. Entre temps, la participation a augmenté, le nombre de bulletins blancs et nuls a diminué. Dans les communes voisines, c'est parfois plus cinglant. A Camboulazet, il a 9 points de retard sur sa rivale. A Manhac, plus de 25 points. Or, il y a un an, ces deux communes avaient été emportées par le mouvement (sans doute téléguidé par le conseil général) qui les avait conduites, dans la foulée de Baraqueville, à quitter le Grand Rodez. Sur Totem, lorsqu'il a été interrogé, Jacques Barbezange l'avait mauvaise, mais il ne peut s'en prendre qu'à lui et à ceux qui l'ont conseillé.
Enne-et-Alzou a vu logiquement la victoire du binôme de gauche. Les électeurs des anciens cantons d'Aubin et de Rignac ont joué la continuité. Les reports de voix à gauche semblent avoir été bons. Les candidats divers-droite semblent n'avoir récupéré qu'une partie des voix qui s'étaient portées sur le FN au premier tour.
Pas très loin de là, dans le canton de Lot-et-Dourdou, une autre surprise s'est produite, au bénéfice de la droite, cette fois-ci. Christian Tieulié, ancien conseiller général de Decazeville de 2001 à 2008, battu ensuite de justesse par le socialiste Pierre Delagnes (qui ne se représentait pas), va pouvoir se lancer à la conquête de la présidence du conseil départemental, lui en qui l'on avait pu voir naguère un successeur potentiel de Jean Puech. Pour la droite aveyronnaise, le gain de ce canton est une bonne nouvelle, mais elle n'en avait pas besoin pour diriger le département. Par contre, la cohésion de la majorité risque d'être mise à rude épreuve, peut-être pas tant en 2015 qu'en 2017, quand Jean-Claude Luche se retirera pour cause de cumul des mandats...
Dans le détail, on notera que Christian Tieulié est nettement voire très nettement devancé dans les communes de tradition ouvrière (Decazeville, Boisse-Penchot, Livinhac-le-Haut et Firmi). Il est par contre largement en tête dans toutes autres communes (rurales), ce qui a fait la décision. Le canton est donc fortement divisé.
De manière moins surprenante, Lot-et-Montbazinois, dont le centre urbain est Capdenac-Gare, a reconduit le socialiste Bertrand Cavalerie. Son binôme est en tête dans presque toutes les communes, même les plus rurales, où il n'est pas censé être aussi bien implanté. On a peut-être là une future tête de l'opposition départementale.
L'un des cantons les plus disputés fut sans conteste celui de Millau-1, où s'est tenue la seule triangulaire du département. Le sortant Jean-Dominique Gonzales parvient à conserver son siège. L'ordre des candidats n'a pas changé par rapport au premier tour. Cela signifie peut-être que les électeurs du Front National n'ont pas privilégié l'un des trois binômes, ou que le surcroît de participation a équilibré les reports de voix frontistes.
Ici comme à Baraqueville, les premières désillusions municipales ont pesé sur le scrutin. L'an dernier, la liste de droite soutenue par la majorité départementale était arrivée en tête à Millau, devant la liste de gauche et celle conduite par Philippe Ramondenc. Le second tour avait amplifié les écarts. Les débuts de l'équipe Saint-Pierre n'ont cependant pas fait que des heureux dans la cité du gant, ce qui explique l'ordre différent dans lequel sont arrivés les binômes qui ont pris la suite des listes en concurrence aux municipales.
A gauche, Jean-Dominique Gonzales a tiré les leçons de l'échec de 2014 et il s'est allié au Front de Gauche. Sans cela, il n'aurait peut-être même pas été présent au second tour. A droite, on a commis une grosse erreur en négligeant Philippe Ramondenc. Il avait pourtant été investi par l'UDI (le parti de Jean-Claude Luche) et, en 2011, il avait failli battre Jean-Dominique Gonzales, un peu à la surprise générale. Je me demande si sa mise à l'écart n'est pas une exigence de la municipalité de Millau au président du conseil général. Les séquelles des tensions des municipales de 2014 étaient encore présentes en juillet dernier, lors de l'élection du président du PNR des Grands Causses. Les couteaux ne sont visiblement toujours pas rentrés.
On notera que le binôme Niel-Orcel, constitué de deux adjoints au maire de Millau (les 4e et 7e), n'arrive en tête dans aucune commune. Il finit le plus souvent troisième, sauf à Millau (où il est deuxième, devancé par le duo Gonzales-Compan).
Ce fut moins agité à Millau-2, bien que le résultat soit plus serré qu'attendu. Une autre adjointe au maire était alliée à un poids lourd de la majorité départementale, le sortant Jean-François Galliard. La participation n'ayant guère évolué entre les deux tours, on peut estimer que les reports de voix de l'autre candidat divers-droite... et du Front National ont profité au binôme soutenu par Jean-Claude Luche. A titre anecdotique, on notera que l'adjointe au maire de Millau subit un petit désaveu sur la partie de la circonscription située sur sa commune, où la gauche arrive en tête (de justesse).
Les Monts-du-Réquistanais ont vu la reconduite (difficile) du sortant de gauche Régis Cailhol. Dans ce canton, les reports de voix semblent avoir été bien meilleurs à droite qu'à gauche : les résultats du premier tour laissaient entrevoir une plus large victoire du conseiller général sortant.
A Rodez-1, on a failli assister à une grosse surprise : les candidats soutenus par le maire de Rodez ne l'ont emporté que d'une centaine de bulletins. La division de la gauche s'est traduite par de très mauvais reports de voix, une hausse de l'abstention et du nombre de bulletins blancs ou nuls, passés de 287 à 425. De leur côté, les candidats UMP-UDI ont sans doute bénéficié d'apports substantiels en provenance du FN et des divers-droite.
A Rodez-2, Bernard Saules a finalement été réélu dans un fauteuil. En face, on n'y croyait pas trop et le report des voix de gauche ne s'annonçait pas bon. Là aussi, l'abstention a progressé, tout comme le nombre de bulletins blancs ou nuls. Mais c'est moins spectaculaire que sur Rodez-1, où je ne serais pas étonné d'apprendre que certains adversaires acharnés (de gauche) de l'équipe Teyssèdre aient voté UMP-UDI.
L'un des coups de tonnerre de ces élections départementales est venu de Rodez-Onet, où la gauche était pourtant majoritaire en voix. Mais, comme certains de ses camarades socialistes, le Front de Gauche Jean-Louis Roussel n'a pas bénéficié de bons reports. Entre les deux tours, l'abstention a progressé. Par contre, le nombre de bulletins blancs ou nuls a diminué, passant de 524 à 409. La candidature de Jean-Louis Roussel est peut-être apparue comme trop clivante. Une partie de l'électorat de gauche modérée a visiblement préféré donner sa chance à des proches de la nouvelle municipalité d'Onet. Et puis... ce fut peut-être, pour certains électeurs socialistes, une réponse du berger à la bergère. Quoi qu'il en soit, ces bisbilles ont eu pour principale conséquence de renforcer la majorité départementale.
L'autre coup de tonnerre est venu du Sud, de Saint-Affrique, le seul canton n'avoir pas été transformé par la réforme territoriale. Cela n'a pas suffi pour que la gauche le conserve en son sein. Bien que le résultat soit assez serré, elle n'arrive en tête que dans trois des onze communes. A Saint-Affrique même, suprême outrage, le binôme soutenu par le maire Alain Fauconnier est devancé par ses concurrents de droite (d'une trentaine de voix).
Derrière cet échec, il y a le désaveu national, mais aussi des causes locales. Ce canton fut conquis en 1998 par Alain Fauconnier, pour le compte de la gauche. Quand il arriva à la tête de la mairie de Saint-Affrique (en 2001), il l'abandonna à Jean-Luc Malet, qui fut élu en 2004 et réélu en 2011. Celui-ci put un temps se rêver en successeur du maire de Saint-Affrique, mais une affaire de travail dissimulé (sanctionnée par la justice) a mis fin à ces projets. Il ne fut sans doute pas facile de constituer un binôme pour ces élections. On a pu dire que, face à un opposant aussi chevronné que Sébastien David, les candidats PS étaient un peu "tendres". Il y avait pourtant le maire de Versols-et-Lapeyre, récemment devenu président des maires ruraux de l'Aveyron.
Il faut peut-être plutôt (encore et toujours) chercher du côté des divisions de la gauche. Ces dernières années, les relations ont été plutôt tendues entre la mairie socialiste et la gauche de la gauche. En 2014, le "carnaval des enfants sauvages" a donné lieu à des débordements, jusque dans la salle du conseil municipal, qui a subi des dégradations dont les traces n'ont totalement disparu que très récemment. Enfin, il ne faut pas exclure que certains électeurs aient modérément apprécié la présence du fils du maire (qui fut son attaché parlementaire) en position de suppléant.
Dans le canton de Tarn-et-Causses, la situation était déjà très claire au premier tour. Le second n'a été qu'une formalité pour le binôme soutenu par la majorité départementale. Ce soir, sur Totem, la sortante battue, Catherine Laur, avait du mal à encaisser. Les municipales de l'an dernier auraient pourtant dû l'alerter : à Sévérac-le-Château, sa liste fut très lourdement battue par celle menée par l'un de ses adversaires du jour, Camille Galibert. Rappelons qu'en 2008, elle n'avait gagné la cantonale qu'au bénéfice d'une triangulaire. De ce qui remonte de cette partie de l'Aveyron, il ressort que, même dans l'électorat de gauche, elle ne fait pas l'unanimité. S'ajoute à cela la poussée du FN, dans une zone qui a souffert des conséquences de différents plans sociaux. Gauche nationale comme droite locale ne paraissent d'aucune utilité à une part croissante des électeurs.
Je vais passer plus vite sur le canton de Vallon, où la victoire du binôme de gauche était prévisible dès la semaine dernière. On remarque que, si la participation a baissé, le binôme de droite semble avoir bénéficié d'un bon report des voix du FN.