mercredi, 08 mai 2024
Un Homme en fuite
Dans ce polar aux accents franco-belges, il n'est pas question d'un pensionnaire d'EHPAD souffrant d'incontinence. Nous suivons deux trajectoires en apparence parallèles, mais qui en réalité tendent à converger : celle d'une OPJ de la gendarmerie et celle d'un écrivain-voyageur. Tous deux sont originaires de la commune (fictive) de Rochebrune, où un braquage sanglant vient d'être commis.
La gendarme avait quitté cette ville avec ses parents, alors qu'elle était encore gamine, plusieurs dizaines d'années auparavant, tandis que l'écrivain s'était littéralement enfui à l'âge adulte, pour une raison que l'on peine à déterminer. Léa Drucker (vue notamment dans Couleurs de l'incendie) et Bastien Bouillon incarnent ces deux personnages dont les parcours se répondent sans, dans un premier temps, se croiser. La première m'a impressionné en enquêtrice tenace et sans parti-pris, plutôt du genre taiseuse. Le deuxième, que j'avais trouvé très bien dans La Nuit du 12, m'a paru un peu en-dessous ici. Il se fait voler la vedette par les interprètes des seconds rôles, Marion Barbeau et surtout Pierre Lottin... oui, Wilfried Tuche ! (Je n'en reviens pas d'avoir écrit ce qui précède...)
Les ouvriers sont eux aussi très bien campés, tout comme le truand belge emprisonné, qui a les traits de Wim Willaert, qu'on peut actuellement retrouver dans Une Affaire de principe.
J'ai choisi d'aller voir ce film en partie en raison du cadre de son histoire : le nord des Ardennes, entre Charleville-Mézières, Revin et Fumay, celle-ci située dans la fameuse "pointe de Givet", l'index français (le majeur ?) qui gratifie la Belgique d'un toucher rectal...
Je me suis déjà rendu dans le coin à plusieurs reprises, mais l'été. C'est en général assez animé et le temps ensoleillé rend la région très agréable à parcourir. Ce n'est hélas pas le cas dans le film, tourné pendant les mois de novembre-décembre. C'est gris, pluvieux, les bâtiments semblant tous en mauvais état... et la population guère mieux. Chômage, déprime, maladies semblent être le quotidien d'un bassin d'emploi menacé de perdre un de ses derniers fleurons industriels. Le braquage du fourgon n'aurait-il pas été commis par le "Robin des bois" de la région, ce Johnny, rebelle inclassable, qui soutient la cause des ouvriers ?
Patiemment, Anna (la gendarme) mène l'enquête, s'efforçant de ne pas céder aux pressions qui viennent d'en-haut, tout en renouant avec une partie de son enfance. Ici, contrairement à ce qu'on peut voir dans tant de films et séries policières hexagonales, le travail des forces de l'ordre n'est pas représenté de manière fantaisiste. De son côté, Paul (l'écrivain) retrouve ses parents... et son ex, pas vue depuis quinze ans.
Petit à petit, on comprend que l'une des clés du mystère se trouve dans le passé, une nuit durant laquelle sont survenus deux événements que personne, à l'époque, n'avait pensé à relier. Le réalisateur nous y amène assez finement, grâce notamment à des retours en arrière qui nous conduisent de l'enfance de Paul à cette fameuse nuit, en passant par une fin d'adolescence tourmentée. C'est donc aussi une histoire d'amour(s) et d'amitié, avec des regrets, des rancœurs, des non-dits.
C'est enfin un film politique, engagé... de manière un peu trop manichéenne pour moi. Les patrons sont des méchants, les politiciens sont corrompus et les flics sont (presque) tous des salauds (surtout les CRS). Certains fils scénaristiques sont même tissés pour guider notre regard (et donc notre jugement) sur les événements. Alors que deux meurtres ont été commis (à quinze ans d'intervalle), nous sommes incités à trouver des excuses à certains personnages. Mais, dans les deux cas, on ne dispose que d'une version de l'histoire, la mise en scène évitant de surcroît de montrer frontalement les deux décès.
Du coup, on n'est guère surpris par la conclusion, en particulier par l'attitude de la gendarme, totalement irréaliste. C'est décevant et très dommage, parce que l'habillage, tant visuel que musical, est joli et les acteurs convaincants.
(C'est plutôt un film à recommander aux électeurs de gauche radicale.)
23:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, cinema, film, films, société
Commentaires
Aurais-tu des problèmes de prostate ? Entre l'incontinence et le toucher rectal, cela semble virer à l'obsession.
J'ai vu ce film en clôture du Festival de Reims.
C'est un film raté et gênant et ça me fait de la peine pour le jeune réalisateur. La météo, le manichéisme, les 8000 flashbacks, les dialogues, le retour du héros chez ses parents, cette errance dans les bois, les nombreuses et pataudes références à l'île au trésor... j'en passe : rien ne va.
Dur de limiter Léa Drucker à un film !
Pourtant les acteurs sont très bons et le plus réussi dans ce film est sa bande annonce (c'est assez rare pour le signaler).
Écrit par : Pascale | jeudi, 09 mai 2024
Ma prostate se porte bien.
La blague sur la pointe de Givet est d'inspiration géographique (souvenir d'un lointain passé). Il me semble l'avoir vu circuler à nouveau quand la France a éliminé la Belgique en demi-finales de la coupe du monde de football (masculin), en 2018. Il faut savoir s'amuser de petits riens.
Écrit par : Henri G. | jeudi, 09 mai 2024
Rebonjour Henri Golant, le début du film m'a un peu décontenancée mais après, j'ai trouvé l'ensemble réussi. Je n'ai pas été gênée par les flash-back et le scénario tient la route. C'est une histoire qui m'a touchée et je ne suis pas radicale de gauche. Bonne journée.
Écrit par : dasola | mardi, 14 mai 2024
Les commentaires sont fermés.