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samedi, 05 mai 2012

Les approximations de Nicolas Sarkozy

   A l'image de François Mitterrand qui, en 1988, a appuyé sa campagne sur une Lettre à tous les Français, qui fut notamment publiée dans la presse, Nicolas Sarkozy et son équipe ont mis au point un document détaillé à l'adresse des électeurs, la Lettre au peuple Français.

   Rétrospectivement, on sent qu'elle a servi de cadre à la campagne. Tous les thèmes développés par le candidat y sont présents. Même si le coeur de la brochure est consacré à des aspects économiques (au sens large), on peut remarquer la place prise par les questions de société. La "droitisation" du président sortant était donc en germe (prévue ?) dans le programme... ou bien (si l'on est plus "sarkophile"), il n'y a pas eu droitisation... ou encore (si l'on est plutôt "sarkophobe"), la droitisation était perceptible dès l'avant-campagne.

   Le sortant essaie de valoriser son bilan, qui n'est pas que négatif. Mais les illustrations (nombreuses) qui accompagnent le document sont parfois un peu biaisées.

   On commence par la baisse de la délinquance, illustrée par un histogramme mettant en valeur le contraste entre les années du gouvernement Jospin (en rouge), qui ont vu les chiffres augmenter, et (en bleu) les années Chirac-Sarkozy (qui fut ministre de l'Intérieur, ne l'oublions pas). Attention toutefois : la baisse est celle des "faits constatés", c'est-à-dire les "crimes et délits portés à la connaissance des services de police et des unités de gendarmerie et consignés dans une procédure transmise à l’autorité judiciaire". Quand la police ou la gendarmerie n'a pas donné suite au signalement d'une infraction, celle-ci ne figure donc pas dans les statistiques. Celles-ci sont-elles davantages "arrangées" sous la droite que sous la gauche ? Impossible de l'affirmer.

   Par contre, on peut noter que le choix de l'échelle de l'histogramme (près des trois-quarts de la hauteur ont été supprimés) accentue l'impression de baisse. Si l'on veut en avoir une idée plus juste, il faut imaginer que les barres sont beaucoup plus hautes... et donc que la baisse (réelle) n'est pas aussi grande qu'on veut bien le dire :

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   D'autre part, il y a différentes catégories de faits de délinquance. Toutes ne suivent pas la même évolution, comme on peut le constater en lisant -par exemple- le rapport sur la criminalité et la délinquance en France en 2008. Voici ce que l'on peut trouver page 14 :

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   On constate que les crimes et délits contre les personnes ont vu leur nombre augmenter continuellement depuis 1995 (et même 1987). Les "autres infractions (dont stupéfiants)" ont connu une évolution assez proche, même si quelques périodes de baisse (notamment 2002-2004 et 2005-2007) sont à noter.

   Pour avoir une idée plus précise du bilan du duo Sarkozy-Fillon depuis 2007, il faut consulter la version 2010 (publiée en 2011 en fait) du rapport sur la délinquance. Voici ce que l'on peut lire page 8 :

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   En fonction des catégories, le bilan est plus ou moins flatteur, au point que, même sur le site internet de TF1, on s'est inquiété des chiffres 2011 de la délinquance.

   Soyons honnêtes : de la même manière que l'on ne peut pas attribuer tout le mérite de la baisse de tel type de délinquance à l'action du président (ou d'un ministre), on ne peut lui imputer totalement l'infamie de la hausse des chiffres. Le contexte socio-économique joue... mais le candidat Sarkozy refuse de le reconnaître... et c'est écrit en gros, page 16 de la Lettre :

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    Par contre, on pourrait reprocher au sortant la baisse des effectifs des forces de l'ordre (n'oublions pas que policiers et gendarmes sont des fonctionnaires). Le candidat y a visiblement songé, puisque la Lettre met en valeur l'augmentation du nombre de membres de la police... scientifique. Celle-ci compte environ 2 000 personnes... à comparer aux quelques 140 000 policiers.

   Il conviendrait aussi d'étudier la répartition des forces de l'ordre. On sait déjà qu'à Paris, les "beaux quartiers" sont mieux servis que les zones populaires. Et ailleurs ?...

   Le même "maquillage" est à l'oeuvre quand il s'agit de traiter de l'évolution du nombre d'étudiants étrangers. Page 17 de la Lettre, on trouve le mâgnifique graphique que voilà :

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   Ici encore, on a coupé le document (l'échelle des ordonnées commence à 100 000), même si le résultat est moins déformant que dans le cas des faits de délinquance. Puisqu'on nous donne des chiffres assez anciens, il faut plutôt regarder l'évolution globale. La coupure se situe autour de 2003, première année où l'influence du gouvernement Raffarin a pu se faire sentir à ce niveau (l'année scolaire s'étendant de septembre 2002 à juin 2003 a été en partie le résultat de la gestion du gouvernement Jospin). C'est donc sous un gouvernement de gauche que le nombre d'étudiants étrangers a le plus progressé : de 150 000 à 250 000 (+ 67 %).

   Sous Nicolas Sarkozy, la progression n'a été que d'une vingtaine de milliers (moins de 10 %). Si l'on examine les chiffres en les centrant sur la période Sarkozy, cela donne un histogramme moins flatteur, comme celui qui a été publié sur le site de RFI :

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   Le président sortant s'attribue donc à tort les mérites d'une politique d'ouverture (et de "captation des cerveaux") initiée par le gouvernement Jospin. A contrario, il aurait pu se flatter, auprès d'un électorat xénophobe, de ses résultats en matière de limitation de l'entrée d'étrangers en France...

   Passons à la lutte contre l'immigration clandestine. Le président vante son bilan, certes pas négligeable dans ce domaine (page 23 de la Lettre) :

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   Il oublie de préciser qu'une bonne partie de ces reconduites à la frontière sont réalisées outre-mer (en Guyane et à Mayotte notamment), comme les sénateurs ont pu le relever :

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   En métropole, ce sont essentiellement des citoyens roumains et bulgares (des Roms notamment) qui sont expulsés, comme le reconnaît le ministre de l'Intérieur Claude Guéant. Il ne reste donc que quelques milliers de ressortissants africains et asiatiques expulsés de métropole, loin des rêves des électeurs du Front national qui verraient en Nicolas Sarkozy un efficace rempart contre ce genre d' "invasion".

   La Lettre accorde aussi une grande place aux questions d'éducation. Les mêmes artifices sont utilisés pour représenter l'évolution du nombre d'élèves et d'enseignants (page 33) :

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   Concernant le nombre d'élèves, on remarque deux choses. La première est que la période chronologique est très vaste (elle démarre en 1990)... et qu'elle ne va pas au-delà de 2008 ! L'objectif est d'accentuer l'idée de baisse des effectifs. On remonte donc loin dans le temps, puisque, depuis 1998, la baisse est assez faible et que, depuis quelques années, on constate au contraire une ré-augmentation des effectifs. Ajoutez à cela le tronquage de l'échelle des ordonnées (qui démarre à 11 600 milliers... soit 11,6millions...), et le lecteur moyen aura l'impression d'une chute vertigineuse (et récente) du nombre d'élèves...

   Concernant le nombre de profs, on retrouve le tronquage de l'échelle des ordonnées (qui démarre à 820 000 !) et l'amputation de la période la plus récente, qui évite d'avoir à dire que le nombre d'enseignants diminue depuis dix ans, comme l'a relevé Libération.

   Quand représenter une évolution n'arrange pas le candidat, il joue sur la comparaison avec d'autres pays, comme dans le cas de la pauvreté. Page 51 de la Lettre se trouve un petit histogramme qui permet tout juste de constater que le taux de pauvreté en France en 2010 (calculé comment ?) est plus bas que le taux moyen de l'UE... et beaucoup bas que celui des pays d'Europe du Sud. Mais ce ne sont là qu'une minorité de pays de l'UE. Qu'en est-il ailleurs ?

   L'Observatoire des inégalités permet d'accéder à une comparaison plus complète des taux de pauvreté en 2010 :

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   Cela permet de réaliser que, si la France se situe bien dans la "fourchette basse", les pays membres de l'Union européenne dans lesquelles le taux de pauvreté est moins élevé sont plus nombreux qu'on ne le dit.

   Que dire alors de l'évolution du taux de pauvreté en France :

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   En gros, depuis 2002-2004, il se remet à augmenter. La faiblesse relative du taux actuel est le résultat de politiques antérieures, liées au "modèle social français", plus redistributif que d'autres. C'est ce modèle qui est mis à mal depuis une dizaine d'années.

   Le manque de travail des Français serait-il en cause ? La lecture des illustrations proposées page 63 de la Lettre pourrait le laisser penser :

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   L'histogramme de la durée hebdomadaire ne dresse qu'une comparaison partielle... et partiale. Elle est partielle parce qu'elle ne fait figurer qu'un petit nombre de pays, soigneusement choisis. Si l'on compare la durée hebdomadaire du travail des Européens ayant un temps plein (d'après Eurostat), la comparaison perd de sa pertinence :

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   On voit que les Français travailleraient moins longtemps que les Bulgares, les Tchèques, les Grecs, les Espagnols, les Chypriotes, les Autrichiens, les Polonais, les Slovènes, les Britanniques, les Islandais, les Suisses, les Croates et les Turcs... mais plus longtemps que les Danois, les Irlandais, les Lituaniens, les Luxembourgeois, les Finlandais et les Norvégiens. On remarque que, parmi les pays où les actifs à temps plein travaillent plus longtemps, on trouve beaucoup de pays à l'économie vacillante, alors que les pays très développés sont souvent ceux où la durée hebdomadaire est la plus faible.

   Pour nuancer ces informations, il faudrait croiser avec les actifs à temps partiel... et surtout avec la productivité horaire du travail, ce qu'a fait Le Monde, dans un article du 6 janvier 2011 :

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   O surprise ! Les actifs français sont les troisièmes plus productifs de l'Union européenne, loin des Luxembourgeois, mais juste derrière les Belges... et surtout loin devant les ressortissants d'autres pays qui nous sont donnés en exemples.

   On peut aussi critiquer le graphique sur les durées annuelles. C'est un quasi-copié-collé d'un document de l'INSEE, auquel on a ôté l'une des courbes :

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   Les auteurs de la Lettre ont choisi de retirer la courbe qui présente la moyenne de six pays européens. On comprend pourquoi quand on voit qu'elle se rapproche de plus en plus de la courbe française. Bien entendu, il faudrait savoir quels sont ces six pays et même construire une courbe avec les données concernant les 26 autres membres de l'Union européenne mais, franchement, ce petit bidouillage fait mauvais genre. Il est hélas à l'image d'une Lettre qui contient trop de demi-vérités, voire de mensonges.

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