vendredi, 25 mai 2018
La mère de Gaza
Rappelez-vous. C'était il y a quelques jours, lors des manifestations de Gaza. Les médias occidentaux (parmi d'autres) se sont enflammés à la vue du bilan humain (une soixantaine de morts, tous palestiniens). Dans le tohu-bohu de la fumée, du sang et des larmes, une figure iconique a surgi :
Il s'agit de Mariam Ghandour, mère de la petite Leïla, qu'elle tient dans ses bras, morte. Très vite, l'armée israélienne a été accusée d'avoir provoqué le décès de l'enfant avec ses lancers de grenades lacrymogènes, près de la frontière avec Gaza. (Au passage, c'est une nouvelle confirmation que Tsahal a tenté d'éviter le recours à la force ultime, celle des armes à feu.)
D'après le récit qu'on peut lire çà et là, ce n'est pas la mère qui a amené l'enfant à proximité d'un endroit extrêmement dangereux, mais son petit frère, qui l'a finalement confiée à la grand-mère. Il n'est jamais question du père de l'enfant. Curieux. (Il me semble qu'on peut le voir sur quelques photographies, notamment celles prises lors des funérailles.) De plus, on pourra être surpris par l'âge de la mère : 17 ans. Le bébé ayant 8 mois, sa mère était peut-être âgée de 16 ans à sa naissance. Pire : selon The New York Times, Mariam Ghandour avait perdu son fils aîné (dans un incendie accidentel) il y a deux ans. Elle pourrait donc être tombée enceinte de son "mari" à seulement 14 ans !!!
Mais là n'est pas le problème. Très vite, des rumeurs ont commencé à circuler sur la Toile. Il y aurait anguille sous roche... non que la mort de l'enfant soir une fake news (ce drame s'est malheureusement produit), mais la cause du décès est sujette à caution. L'alerte a été donnée par un site militant (mais qui se veut rigoureux sur le plan journalistique). La confirmation vient du quotidien israélien (d'opposition) Haaretz, qui cite un médecin local (sous couvert d'anonymat, tant le sujet est délicat) :
En clair, le bébé était déjà malade (il souffrait d'un problème au coeur, selon The New York Times) et le médecin déclare qu'il ne croit pas que le gaz lacrymogène soit la cause de la mort. Peut-être a-t-il tort. On ne le sait pas. Cela n'a pas empêché l'immense majorité des commentateurs de relayer la propagande du Hamas, contribuant à détériorer encore l'image de l'armée israélienne. Sur les photographies, on remarque d'ailleurs que, parmi les civils qui s'empressent de manifester leur compassion en public, plusieurs en profitent pour prendre le bébé mort en photo... sans doute pas dans le but de l'exposer dans leur salon. Sur l'illustration du début, on croit voir une grand-mère tenir un smartphone personnalisé :
Cela m'a fait tout drôle. Le téléphone ne cadre pas du tout avec le style de la grand-mère... pas plus que la main qui le brandit, quand on regarde bien : elle est manucurée, jeune. C'est en fait celle de la personne qui se tient derrière la grand-mère, que l'on aperçoit sur une autre photographie, que j'ai trouvée (en très grand format) sur le site de Haaretz (et sur celui de La Dépêche du Midi) :
Qui est cette femme ? Pas une proche de la famille visiblement. Il est possible qu'elle travaille pour un média issu d'un pays musulman... ou, tout simplement, que ce soit une militante du Hamas. Cela nous ramènerait à la problématique soulevée par ces "marches du grand retour" : téléguidées en sous-main par le mouvement palestinien, elles ont mêlé militants politiques et gens ordinaires, soucieux d'exprimer leur désarroi.
Les mêmes interrogations sont nées de l'observation des photographies prises lors des funérailles, notamment de celle-ci :
La personne se trouvant à gauche, très calme, semble davantage se préoccuper de fixer l'image du cadavre que de réconforter la mère pourtant très proche. Gageons que les réseaux sociaux palestiniens se sont rapidement enrichis d'un nouveau contenu marquant...
Concernant les photographies publiées par la presse, on remarque la domination de celles issues de l'AFP (l'Agence France Presse). Celle figurant en tête de ce billet est de Thomas Coex. Celle publiée dans Haaretz est de Mahmud Hams. Toutes deux présentent une mater dolorosa, pleurant le décès de son enfant bien-aimé, à l'image de la Vierge après la crucifixion, comme on peut le voir sur de nombreux tableaux occidentaux, comme la Pietà du Vénitien Giovanni Bellini (au début du XVIe siècle) :
A travers les images publiées lors de ces troubles, on a visiblement cherché à guider le regard des lecteurs, sans que le fondement de l'accusation soit vérifié. On peut donc affirmer qu'il s'agit ici moins de journalisme que de propagande.
P.S.
Je conseille vivement la lecture entière de l'article du New York Times, dans lequel on apprend que l'un des oncles de la jeune mère était un militant de la Brigade des martyrs d'Al-Aqsa, une milice liée au Fatah (et donc à l'OLP et à l'Autorité palestinienne). L'oncle en question a été abattu par l'armée israélienne en 2006.
P.S. II
La petite Leïla vient d'être retirée (provisoirement) de la liste des victimes des récents événements à Gaza. C'est le signe que les autorités palestiniennes doutent... ou qu'elles ne peuvent pas contester les doutes émis par d'autres.
21:35 Publié dans Politique, Politique étrangère, Presse, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : israël, palestine, presse, médias, journalisme, actualité, géopolitique, proche orient, gaza
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