lundi, 06 juillet 2020
Mosquito
Ce moustique est Zacarias, 17 ans, portugais, engagé volontaire (en 1917) dans l'armée de son pays qui a rejoint l'Entente, contre les empires centraux, en particulier l'Allemagne. Le jeune homme a saisi l'occasion de fuir la vie morne et sans espoir que lui offre sa province. Il veut défendre sa patrie et les valeurs démocratiques. On comprend aussi qu'il espère être envoyé en France... et il se retrouve en partance pour l'Afrique, où se concentre ce qui reste de l'empire colonial portugais. L'une de ses possessions, le Mozambique, est d'ailleurs voisine du Tanganyika allemand :
Sur la carte des empires coloniaux ci-dessus, je n'ai fait figurer que les possessions allemandes (en rouge) et portugaises (en vert).
On découvre d'abord la troupe de bras cassés que le gouvernement portugais envoie outremer. Ils sont sous les ordres d'un vieux de la vieille, un sergent qui a fait les campagnes coloniales, du genre paternaliste et truculent (en plus d'être alcoolique et bedonnant). Celui-ci se désole de n'avoir pour renfort que des "joueurs de fado". Il tient en plus haute estime ses supplétifs africains, ses "nègres" comme il dit.
Ce film est donc une plongée dans l'univers colonial du début du XXe siècle. On est immédiatement saisi par la scène du débarquement des troupes, les soldats étant portés par des serviteurs noirs. En plus d'être signifiant, c'est superbement filmé, le réalisateur João Nuno Pinto affectionnant les plans nocturnes ou crépusculaires, en lumière naturelle. C'est souvent d'une beauté à couper le souffle.
Le plus intéressant survient quand le héros (incarné par João Nunes Monteiro, qui a beaucoup payé de sa personne) plonge au coeur du Mozambique, d'abord avec deux serviteurs africains, puis un, puis tout seul. A partir de ce moment-là, les temporalités s'entrecroisent... ainsi que les réalités alternatives. A plusieurs reprises (parce qu'il est malade ou parce qu'il a consommé des substances psychotropes), le héros a des hallucinations. Comme le réalisateur nous place dans la tête du soldat, c'est à nous de déterminer si ce que l'on voit à l'écran est la réalité ou bien la déformation de celle-ci... voire un délire complet.
Zacarias finit par atterrir dans un village gouverné par les femmes, où il va faire office d'esclave, avant d'être intégré à la communauté. Le retournement de situation est piquant, bien mis en scène, d'autant plus que seuls les dialogues en portugais sont sous-titrés. Lorsque les Africains parlent en makonde ou makua, c'est par leur gestuelle qu'on peut arriver à les comprendre. Là, le film se fait quasiment ethnographique.
Notre petit soldat va finir par rencontrer un Allemand. Les pérégrinations de ces deux Robinson de l'Afrique ne manquent pas de saveur, avant que le drame contemporain ne les rattrape. En quelques mois, Zacarias aura mûri de dix ans. Notons que le réalisateur a voulu une fin morale à son histoire. Je n'en dirai pas plus, mais sachez qu'il est question d'un lion.
Pour qui s'intéresse à la représentation de la colonisation, cette oeuvre de plasticien ne manque pas d'envergure.
22:41 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
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