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mercredi, 22 juin 2022

Je tremble, ô Matador

   Le titre est un extrait des paroles d'une chanson populaire, qui devient une réplique entre les deux personnages principaux, au cours d'un pique-nique (en apparence) bucolique. Bien qu'habillé en femme, l'un des deux amoureux est un travesti, qui se fait parfois appeler La Doña. L'autre est un jeune révolutionnaire. Nous sommes au Chili, dans les années 1980, sous le régime dictatorial d'Augusto Pinochet.

   A cette époque, il vaut mieux ne pas être un "inverti" ou une "tafiole", comme nous le démontre la séquence initiale. Pourtant, La Doña n'est pas une rebelle. Il (Elle... Iel ?) tente de vivre sa vie, profitant des quelques interstices de liberté qui lui sont accordés. Il vit dans un immeuble délabré, au bord de l'effondrement, dans un quartier pauvre qui a des allures de bidonville. (Joli travail sur les décors et la mise en scène.) Ici, on ne le juge pas. La voisine (la seule à posséder un téléphone fixe) lui rend de menus services... mais elle ne veut pas d'ennui. Le jour, La Doña réalise des travaux de couture ou de broderie, parfois pour des femmes d'officiers du régime. Le soir, elle se prostitue...

   ... jusqu'au jour où elle croise Carlos, un jeune révolutionnaire mexicain plein de charme, tolérant... et qui se pose des questions sur son identité sexuelle. (Une sorte de Che Guevara crytpo-gay.) Ce qui au départ n'est qu'une relation amicale, fraternelle, pourrait prendre un autre tournant.

   ... Mais le mystère subsiste sur les raisons qui ont incité Carlos à se rapprocher du milieu des travestis. Il semble être en mission, au cœur d'une opération qui nécessite qu'il passe sous les radars de la police chilienne. Quelle plus belle couverture que la fréquentation d'un milieu certes interlope, mais qui n'est pas considéré comme menaçant par le régime ? Quant à elle, La Doña se méfie autant des communistes que du pouvoir en place : des deux côtés, on méprise les "déviants" sexuels.

   Ne croyez pas toutefois que l'essentiel du propos du film soit politique. C'est la personnalité du vieux travesti qui est au premier plan. J'ai beau ne pas affectionner ce genre d'ambiance, je dois reconnaître que la performance d'Alfredo Castro est remarquable. La relation trouble qui naît entre lui et Carlos est bien mise en scène, avec toutes ses ambiguïtés. Il faut dire aussi que, par petites touches, les personnages évoluent. Le travesti apolitique devient anti-Pinochet, tandis que le beau révolutionnaire hétéro est de plus en plus attiré par l'homme...

   A une réelle qualité de réalisation s'ajoute une chouette musique d'ambiance, constituée notamment de vieilles chansons populaires, des histoires d'amour que chacun peut interpréter à sa guise.

   Cela donne un film très particulier, pas flamboyant ni tapageur, mais qui mérite d'être vu par les cinéphiles.

El buen patron

   Qu'est-ce qu'un "bon patron" ? Quelqu'un comme Blanco, qui perpétue la tradition familiale, à la tête d'une PME spécialisée dans la fabrication de balances ? Peut-être. Il porte beau, affiche des valeurs humanistes, du respect, soutient la diversité sous toutes ses formes, prône l'équité... mais pas l'égalité, hein. (Faut pas déconner, quand même !)

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   J'ai pris beaucoup de plaisir à voir évoluer Javier Bardem dans ce rôle ambigu, celui de ce patron paternaliste, habile communicant, dont on se demande jusqu'à quel point il croit à ce qu'il raconte. Le film est bien évidemment ironique, mais l'on ne rit pas vraiment à gorge déployée. On sourit et, parfois, on rit.

   La belle mécanique élaborée par Blanco, dans son entreprise comme dans sa vie, est sur le point de se gripper. Son ami d'enfance, chef de projet dans sa boîte, est devenu un boulet... et un ouvrier licencié fait de la résistance, juste devant l'entrée du site de l'entreprise. Ce qui n'est au départ qu'une petite épine dans le pied pourrait se transformer en coup de poignard : Blanco brûle d'obtenir le prix décerné par la région à l'entreprise vertueuse de l'année, le seul qui manque à son palmarès. Une inspection se profile à l'horizon... et tout pourrait être remis en cause si l'on apprenait que le "père de ses employés" menace certains d'entre eux, licencie sans état d'âme et culbute à l'occasion une jeune stagiaire. La dernière en date lui réserve d'ailleurs quelques surprises.

   C'est donc une comédie engagée, perçue sans doute par nos voisins espagnols comme dans la mouvance de Podemos. Dans la manière dont vivent les "petits" dans le monde de l'entreprise, il y a une certaine représentation de la lutte des classes : le vigile sympathise avec l'ouvrier licencié... qui réussit même à mettre une patrouille de police dans sa poche ! (Cela nous vaut une réplique croustillante de Blanco, qui se désole d'être tombé sur un "policier socialiste"...)

   Le scénario s'amuse à plonger le patron dans la merde (au propre comme au figuré). Mais le gars a de la ressource. La dernière partie nous montre ce à quoi il est prêt pour s'en sortir. La morale est que, si l'on privilégie la loi du plus fort à l'esprit d'entraide, tôt ou tard, le baiseur devient le baisé... et parfois l'inverse.