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samedi, 24 septembre 2022

Don't worry darling

   Il était une fois, quelque part aux États-Unis, à la limite du désert, une communauté vivant en autarcie dans ce qui ressemble furieusement à une banlieue WASP des années 1950. Tout le monde habite dans une belle maison, avec jardin. Le matin, les époux quittent tous leur domicile en même temps, chacun dans une belle voiture américaine, après avoir savouré le délicieux breakfast préparé (avec amour) par son épouse légitime. Durant la journée, celle-ci s'adonne avec joie à diverses activités comme le ménage, la lessive, la gymnastique, le shopping... et la préparation du repas du soir, ce dernier étant le (possible) prélude d'une nuit coquine. Tout ceci se déroule dans le cadre restreint de cette petite ville de rêve, où l'on peut circuler en bus, mais jamais quitter le territoire, encore moins explorer le désert proche, où se rendent les époux, tous travaillant sur le mystérieux Victory Project.

   Alice Chambers est l'une de ces épouses pas désespérées. Elle kiffe faire la cuisine pour son chéri d'amour, adore nettoyer les carreaux en écoutant la propagande du gourou de la cité, sculpter son corps de déesse lors du cours de gym donné par l'épouse du gourou... et se pomponner pour le retour de Jack, fatigué par une journée de travail... mais toujours partant pour une bonne partie de jambes en l'air. Le couple est ardent, n'a pas d'enfant, contrairement à la plupart des voisins.

   Mais voilà que l'une des résidentes commence à poser des questions. Elle dit avoir des visions et prétend qu'on ment aux habitants. C'est une amie d'Alice. Jusqu'à présent, celle-ci n'avait pas fait attention à ses propres rêves. Mais, après avoir entendu son amie, elle commence à remarquer deux-trois trucs bizarres dans la ville idéale...

   ... A partir de là, les spectateurs se demandent si on ne les embarque pas dans la folie de l'un des personnages... ou s'il y a complot. Choisis ton camp, camarade ! Au bout d'une heure, une heure et quart, on se doute de quoi il retourne, même si l'on n'est pas au bout de nos surprises.

   C'est, avec l'étonnant Everything Everywhere All at Once, l'excellente nouvelle de ce mois de septembre. La première partie est une pure beauté de reconstitution des années 1950, avec de superbes couleurs et des décors très bien conçus. C'est aussi brillamment mis en scène, la réalisatrice réussissant à susciter le trouble avec de simples petits décalages dans la description d'un monde "normal". (Je connaissais Olivia Wilde comme actrice, notamment dans Le Cas Richard Jewell et Dr House, mais la voici qui s'affirme comme une réalisatrice de talent.)

   J'aurais bien quelques reproches à formuler concernant le dernier quart d'heure (une poursuite assez prévisible, jouant sur de grosses ficelles) mais, au final, c'est à la fois un bel exercice de style et une réflexion sur la place de la femme (et de l'homme) dans la société. Dans le rôle principal, Florence Pugh (The Young Lady plus que Black Widow) confirme tout le bien que je pensais d'elle. Les autres comédiens sont aussi très bons.

   P.S.

   J'ai lu et entendu ici ou là que ce film s'inspirerait d'une œuvre de Peter Weir. Je pense qu'il faut plutôt chercher du côté de M. Night Shyamalan, au début des années 2000... mais je ne dirai pas quel film, pour ne pas déflorer l'intrigue. De plus savants que moi pourront aussi dénicher la série policière (américaine ?) dont l'un des épisodes évoque une situation proche de ce qui se passe dans Don't worry darling (la technologie en moins).

23:03 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, cinema, film, films

Le Tigre et le Président

   Il est difficile de définir ce film : c'est une sorte de comédie historique... à ceci près qu'elle n'est guère drôle et qu'elle véhicule des mensonges ou des vérités déformées.

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   J'y suis allé entre autres en raison de la distribution. Le « Tigre » (à droite ci-dessus) est Georges Clemenceau, interprété par André Dussolier. Clairement, celui-ci cachetonne. On ne lui a visiblement pas donné pour consigne de jouer la subtilité. A gauche se trouve le « Président », Paul Deschanel, incarné (avec talent) par Jacques Gamblin. Sa dénomination est paradoxale puisque, dans l'esprit de la majorité de la population française de l'époque, le vrai président est Clemenceau, qui a dirigé le gouvernement de 1917 à 1920 (en tant que président du Conseil). De son côté, Deschanel présidait la Chambre des députés (ancêtre de notre Assemblée nationale)... et il est parvenu à se faire élire président de la République, damnant le pion à Clemenceau.

   Cette rivalité est l'objet de la première partie du film, avant que l'intrigue ne bifurque vers « l'incident du train », qui a valu à Deschanel de sombrer dans le ridicule. L'Histoire ne fut guère indulgente pour Deschanel, dont la carrière a été réduite à sa fin de vie dépressive, tandis que son rival, « le Père la Victoire » a été placé sur un piédestal, donnant même son nom à l'un de nos porte-avions. Au départ, je ne voyais pas d'un mauvais œil qu'on déboulonne la statue du commandeur et qu'on réévalue le bilan politique de Deschanel, un authentique républicain modéré.

   Je pense que, pour écrire le scénario, on s'est inspiré d'un ouvrage (récemment réédité) paru il y a une trentaine d'années (et que j'ai lu) :

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   Le problème est que, de cet ouvrage, les scénaristes n'ont retenu que ce qui pouvait embellir le personnage de Deschanel, négligeant presque tous les éléments critiques (pourtant pas très nombreux, dans cette biographie très empathique, pas très bien accueillie par la profession lors de sa sortie).

   Pour revenir au film, j'ai trouvé la prestation de Gamblin bien meilleure que celle de son comparse. Il incarne très bien cet authentique dandy, coureur de jupons, vieux célibataire marié sur le tard. Incontestablement républicain, il a su évoluer de manière adroite dans les institutions de la IIIe République. C'était, selon les témoins, un habile discoureur, dont la voix était écoutée à la Chambre des députés. Il était aussi très sensible à la critique. Le jeu de Gamblin nous permet de comprendre que le fait de ne pas se sentir à la hauteur de ses aspirations politiques a contribué à faire déraper le président élu.

   Là s'arrête l'Histoire et commencent les mensonges ou déformations. Certains d'entre eux sont pointés sur le site du musée Clemenceau.

   De mon côté, j'ai été agacé que, dès le début, on présente Deschanel comme le seul orateur habile, laissant un Clemenceau vieillissant sans voix. A presque quatre-vingts ans, le vieux tigre avait encore de la répartie. Ainsi, à un adversaire qui se plaignait que la France soit gouvernée, à la fin de la guerre, par un homme qui avait un pied dans la tombe, le Vendéen moustachu aurait rétorqué : "Quand bien même j'aurais un pied dans la tombe, l'autre serait sur ton cul !" Évidemment, si l'on veut que Deschanel prenne le dessus sur Clemenceau dans le film, il ne faut surtout pas que le second soit présenté en train de prononcer une des saillies dont il avait le secret.

   Un autre problème se pose au niveau de la présentation de Deschanel. Celui qui va barrer la route de l’Élysée à Clemenceau n'est pas un perdreau de l'année. C'est un cacique de la IIIe République, d'ailleurs pas très éloigné politiquement du Clemenceau de 1919-1920 (situé plus à droite qu'à ses débuts). A deux reprises, Deschanel a présidé la Chambre des députés : entre 1898 et 1902 (il y a une erreur sur le site de l’Élysée) et, surtout, entre 1912 et 1920. Cela fait des années qu'il espère devenir président de la République. Il a déjà échoué deux fois. Toute sa carrière politique a été tendue vers cet objectif, qui pourrait apparaître dérisoire, puisque le locataire de l’Élysée n'a que très peu de pouvoir à l'époque.

   C'est un autre défaut du film, qui (effet du XXIe siècle ?) survalorise la fonction présidentielle, alors qu'elle est essentiellement symbolique. Certes, Deschanel avait pour ambition de lui donner plus d'ampleur, mais il s'est très vite aperçu qu'il n'en avait pas les moyens constitutionnels. Cela explique sans doute sa phase dépressive, mais le film ne présente pas bien tous ces enjeux. Dans des scènes d'un inintérêt total, on nous montre un président passant un temps fou à tenter de rédiger un discours dont presque tout le monde se fiche... et pour cause : ce n'est pas ce qui s'est passé à l'époque ! C'est après sa démission de l’Élysée (et une cure dans un établissement de santé...) que Deschanel s'est lancé dans ce qui est apparu, par la suite, comme son testament politique.

   Pour terminer, il convient de dire quelques mots de « l'incident du train ». Le président est bien tombé de son compartiment (mais de la fenêtre, pas de la porte), en pleine nuit, en tenue pyjamesque... Cependant, il n'a pas passé plusieurs jours chez l'employé des chemins de fer... et ce n'est pas dans la foulée que la polémique concernant sa capacité à exercer ses fonctions a enflé. Dès le lendemain, il était retrouvé par le sous-préfet local et il était ramené à Paris par son épouse, en voiture. Il a pu très vite participer au Conseil des ministres. Cette aventure aurait été oubliée si, durant les semaines ultérieures, Deschanel n'était pas apparu comme de plus en plus perturbé, avec notamment le deuxième « incident » (dans la fontaine) qui, là encore, ne s'est pas du tout déroulé comme montré dans le film. (Ce n'était pas au cours d'une cérémonie officielle.)

   Pour enfoncer le clou, je dirais que le film est malhonnête jusqu'au bout. Le générique de fin est précédé d'un "carton" nous informant que son fils Louis-Paul fut l'un des premiers soldats français tués au combat, en 1939. C'est exact, mais les spectateurs ne sauront pas que l'autre fils Deschanel, Emile-Jean, celui qui  a pris la suite de son père en politique (et récupéré son siège de député), a été frappé d'inéligibilité à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour avoir, en juillet 1940, voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.