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samedi, 24 mai 2014

Hold-up à Bruxelles

   Tel est le titre du dernier livre corédigé par José Bové et Gilles Luneau et sorti en librairie en février dernier :

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   Je ne suis pas particulièrement fan du député européen, mais j'apprécie son côté "fouteur de merde", parce qu'il veut faire avancer les choses (ce qui n'est pas le cas de tous ceux qui s'agitent devant les photographes et les caméras). Ce livre-là m'a d'autant plus intéressé qu'il n'est pas un simple plaidoyer pro domo d'un député sortant sollicitant à nouveau les suffrages des électeurs. En décrivant de l'intérieur le fonctionnement de la machine institutionnelle communautaire, il fait oeuvre civique.

   Au coeur du premier chapitre ("Les agents doubles des biotechnologies") se trouve l'Efsa, l'Autorité européenne de sécurité des aliments. Il est beaucoup question des conflits d'intérêts qui ont faussé les avis rendus par cette institution, et de son ancienne présidente, Diana Banati. L'affaire de la pomme de terre transgénique Amflora a cristallisé les oppositions. Le duo Bové-Luneau raconte la découverte de sa malhonnêteté et le processus qui va aboutir à son éviction à la manière d'un roman policier. On y découvre le rôle trouble d'un drôle d'institut, l'Ilsi (International Life Sciences Institute), inconnu du grand public alors qu'il est le plus important groupe de pression agro-industriel du monde.

   Le chapitre 2 ("Le plan fumeux du lobby du tabac") nous fait toucher du doigt l'importance du lobbying au sein des institutions bruxelloises. Cette fois-ci, on a l'impression de se retrouver dans un mauvais roman d'espionnage, qui voit un commissaire européen, John Dalli, être la cible d'un double complot, un mené par Philip Morris International (le célèbre cigarettier, bénéficiant de complicités au sein des institutions européennes), l'autre par des rivaux maltais de l'homme politique. Le plus cocasse dans l'histoire est que c'est un sujet en apparence anodin, le snus (du tabac à priser), qui a déclenché la tourmente. Bové se dépeint presque en Don Quichotte de la transparence face aux moulins à vent de l'industrie. Le récit n'en est pas moins passionnant. On y découvre un président de la Commission (José Manuel Barroso) au mieux incompétent, au pire manipulateur, et des hauts fonctionnaires européens adeptes du pantouflage et du mélange des genres.

   Avec le troisième chapitre ("Une PAC sous influence"), on entre dans le coeur de compétence du député, l'agriculture et le vote par le Parlement européen des orientations agricoles pour cinq ans. On découvre les méandres du travail en commission et les débats suscités, par exemple, par la volonté de limiter les subventions aux exploitations. Bové y raconte ses espoirs et sa déception. Au départ, il avait l'ambition de limiter à 100 000 euros (ce qui était déjà une très belle somme) les versements aux exploitations. Cela permettait de récupérer des milliards d'euros, destinés à bénéficier aux exploitations de taille plus modeste et à financer le développement rural. Il s'est vite rendu compte que sa proposition n'avait aucune chance de passer. Il trouvait que 300 000 euros étaient une limite trop haute. Il pensait transiger à 200 000 (l'équivalent de plus de 16 000 euros par mois !), mais une courte majorité a finalement préféré la proposition de la Commission Barroso. Les votes des députés allemands et français sont commentés.

   Bové signale au passage l'incohérence du Front national, qui prétend défendre les exploitants modestes, et dont les deux députés présents (B. Gollnisch et J-M Le Pen) ont voté contre le plafonnement. Quant à Marine elle était, ce jour-là comme tant d'autres, absente de l'hémicycle. En voilà une autre que nos impôts paient à ne rien faire...

   Le chapitre suivant ("Insecticides : le goût de la victoire") est l'occasion de se regonfler le moral. Mais ce ne fut pas sans mal. Les auteurs y dénoncent les méthodes de voyous employés par certains grands groupes agrochimiques (bien aidés par les partisans de l'agriculture intensive...). Cette fois-ci,  le "bien" a triomphé du "mal".

   Plus inattendu est le chapitre consacré au Maroc ("Le Maroc, banc d'essai européen du libre-échange"). A la lecture, on comprend que Bové, qui sentait qu'on lui avait tendu un piège en lui confiant la rédaction d'un rapport sur les relations commerciales (agricoles) entre l'Union européenne et le Maroc, a pris plaisir à jouer l'empêcheur de tourner en rond, mettant sur la sellette la question du Sahara occidental, dont personne ne voulait entendre parler. C'est savoureux mais aussi instructif sur le comportement prédateur de certains Européens et Marocains, qui ne visent que l'enrichissement d'une minorité, au détriment de la masse des agriculteurs des deux pays. Les auteurs relient aussi le projet d'accord UE-Maroc aux politiques libérales soutenues par différentes institutions internationales (OCDE, FMI...). (Pour un point de vue totalement différent, vous pouvez écouter un sujet diffusé sur RFI, qui présente la coopération économique franco-marocaine uniquement sous un jour favorable.)

   Dans le chapitre 6 ("La bataille du gaz de schiste, ou comment garder le pouvoir sur son cadre de vie"), les lecteurs qui ont suivi cette affaire n'apprendront pas grand chose, à part sur le contexte polonais, avec des témoignages touchants. Bové et Luneau ont l'honnêteté de préciser que, pour les Polonais, s'émanciper du fournisseur russe est un enjeu important. Mais de là à accepter le saccage de l'environnement...

   Le septième chapitre ("La grande bataille du libre-échange avec l'Amérique du Nord") aborde un sujet qui défraie la chronique, celui du projet de traité entre l'Union européenne et les Etats-Unis, négocié par la Commission européenne dans une relative opacité. (Décidément, vivement que Barroso "dégage" !) Bové et Luneau relient ce projet aux négociations commerciales déjà engagées avec le Canada, qui pourraient servir de modèle. Le prochain Parlement européen aura à se prononcer dessus. D'où l'importance des élections de ce dimanche 25 mai.

   Le livre s'achève sur des propositions ("Refonder l'Europe"), organisées selon trois axes. Bové prône la constitution de listes paneuropéennes, pour une partie des députés. Il souhaiterait augmenter les ressources propres de l'Union, sans recourir aux dotations des pays membres. Une taxe sur les transactions financières lui paraît appropriée. Enfin, contre les politiques de rigueur, il en appelle à la relance économique.

   Il reste à savoir si les élections de dimanche vont donner naissance à une majorité sensible à ces propositions.

mercredi, 12 février 2014

L'Union européenne contre la démocratie ?

   L'information révélée dès hier par les médias a de quoi inquiéter sur le fonctionnement de l'Union européenne : une mesure (la culture d'un nouveau maïs OGM) pourrait être autorisée alors que la grande majorité des pays membres s'y opposent. Comment est-ce possible ?

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(Centre Presse, 12 février 2014)

   Il faut d'abord comprendre la procédure de vote au sein du Conseil de l'Union européenne qui, en fonction du sujet abordé, réunit les 28 ministres du domaine concerné. Les décisions courantes sont prises à la majorité qualifiée. Tous les ministres n'ont pas le même poids, qui dépend du nombre d'habitants du pays qu'ils représentent.

   Ainsi, les ministres allemand, français, britannique et italien, qui représentent chacun entre 60 et 81 millions d'habitants, disposent de 29 votes. A l'opposé, le ministre maltais, qui représente moins de 500 000 habitants, ne dispose que de 3 votes. Vous noterez toutefois qu'on a "limé" les écarts, pour ne pas trop avantager les représentants des pays les plus peuplés : la France a beau être 120 fois plus peuplée que Malte, son ministre dispose d'un pouvoir de vote qui n'est même pas dix fois plus important que celui de son homologue maltais. En gros, les six pays les plus peuplés sont un peu désavantagés, alors que les 22 autres bénéficient d'un pouvoir de vote un peu (voire beaucoup) plus important que ce qu'il serait si l'on suivait la stricte logique démographique.

   Mardi, pour faire passer le refus du nouveau maïs OGM, il aurait fallu réunir 260 voix (la majorité qualifiée) sur les 352 que compte le Conseil. Regardons cela en détail :

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   En jaune sont mis en valeur les pays dont les ministres ont voté contre l'autorisation du maïs OGM. Ils sont 19 au total (sur 28 membres de l'Union européenne), totalisant 210 votes. Il en a donc manqué 50.

   En face, en bleu, se trouvent les pays dont les ministres ont voté pour l'autorisation du maïs OGM. Ils ne sont que 5, totalisant seulement 77 votes (presque trois fois moins que leurs adversaires). C'est pourtant leur position qui risque de s'appliquer. Notons que ces pays sont tous dirigés par des coalition de droite ou de centre-droit... et, que, l'Espagne mise à part, ils ne promeuvent pas la culture des OGM sur leur propre sol. En clair : ils ont voté pour que les OGM puissent être cultivés... dans les autres pays de l'Union européenne ! Bel exemple de solidarité !

   Cependant, quelle que soit l'hypocrisie de ces dirigeants, ils n'ont pas pesé bien lourd dans ce vote. Ce sont les abstentionnistes qui l'ont fait basculer. Dans le tableau, je les ai laissés sur fond blanc. Ces quatre pays (dont deux fondateurs de la C.E.E. en 1957) cumulent 65 votes. Leur apport au groupe majoritaire aurait permis de rejeter l'autorisation du maïs OGM.

   Signalons que (d'après un article du Monde) dans deux d'entre eux est déjà cultivé un autre maïs OGM (celui de Monsanto). Il s'agit du Portugal et de la République tchèque, entourés en noir sur la carte ci-dessous :

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   Alors, quelle va être la suite ? La Commission européenne pourrait décider d'autoriser la culture du nouveau maïs OGM, mais elle doit aussi tenir compte du fait que le Parlement européen a voté un avis (non contraignant) s'y opposant... et que les élections européennes approchent. Elles auront lieu en mai et leur résultat influera sur la composition de la nouvelle Commission européenne, qui devrait être désignée en octobre 2014...