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vendredi, 26 août 2011

La "Lettre aux Français" de Martine Aubry

   C'est en lisant mon "quotidien de référence" que j'en ai appris l'existence. Je suis allé la télécharger sur le site de Martine Aubry, et je l'ai lue, en entier. Voici ce qu'elle m'inspire.

   C'est d'abord une démarche qui s'inspire de l'action de François Mitterrand. En avril 1988, le président de la République sortant avait lancé la campagne pour sa réélection par une Lettre à tous les Français. Elle débutait par la formule suivante : "Je souhaite, par cette lettre, vous parler de la France." Celle de Martine Aubry porte en exergue la formule (mise entre guillemets) "Je veux vous parler de la France". La référence est donc explicite, même si la citation est approximative.

   A présent, passons au contenu. Le constat de départ (qui va servir de fil rouge au texte) est que, sous Nicolas Sarkozy (et peut-être déjà aussi sous le quinquennat de Jacques Chirac), la France a connu le déclin... qu'évidemment la candidate s'engage à combattre efficacement : "notre pays n'est pas voué au déclin". Elle se situe dans une perspective clairement de gauche : elle ne sera pas une candidate centriste... même si, on va le voir, cela mériterait nuances.

   Première surprise : très tôt, elle parle de l'agriculture. Est-ce lié à l'actualité au moment où le texte a été rédigé ? Toujours est-il que ce n'est pas habituel de la part d'une socialiste. Plus classiquement, elle dénonce l'aspect néolibéral de la mondialisation (ce que l'on appellerait le "laissez faire, laissez passer") et la casse des services publics. Suit un éloge de la France métissée et le rejet de la politique migratoire du gouvernement. Juste après figure la défense de la laïcité. Ouf ! (On pourrait ergoter sur la seule référence à la loi de 1905, alors que c'est dès les années 1880 -notamment dans l'éducation- qu'une politique laïque a été mise en oeuvre en France.)

   Après ce morceau de bravoure viennent des considérations internationales, placées sous la patronage de papa Delors. On pourra sourire à l'attaque contre Nicolas Sarkozy "ignorant les révolutions arabes". Si le gouvernement a bien été désarçonné par la chute de Ben Ali et de Moubarak, on peut porter à son crédit l'engagement contre Kadhafi (après bien des compromissions, ceci dit... et peut-être à cause d'elles, finalement...). Qu'auraient fait les socialistes dans la même situation ? Rappelons que nombre de dictateurs (déchus ou pas) ont été / sont membres de l'Internationale socialiste et que c'est bien tard que Martine Aubry a proposé d'y mettre bon ordre.

   Plus marquant est l'engagement de la socialiste de retirer les troupes françaises d'Afghanistan "avant la fin 2012". Cela pourrait faire l'objet d'un débat animé avec l'actuel président.

   Suivent des considérations écologistes, entre lutte contre le changement climatique et préservation de l'environnement.

   La majeure partie de ce passage international est logiquement consacrée à l'Union européenne. Martine Aubry y fait des propositions intéressantes... que, même élue, elle ne pourrait mettre en pratique sans l'accord de ses partenaires européens. Et, si jamais les proches d'Angela Merkel lisent ce texte, ils pourraient s'offusquer que, dans le cadre du couple franco-allemand, la socialiste française ne cite que le SPD, c'est-à-dire l'opposition au gouvernement de Berlin... Au final, il m'a tout de même semblé retrouver des idées défendues naguère par Jean-Pierre Chevènement (sur un premier cercle de pays plus soudés au sein de l'Union, notamment).

   Une nouvelle rafale (nan, pas l'avion !) anti-gouvernementale est lancée à propos du budget et de la fiscalité. Martine Aubry rappelle avec justesse qu'elle a exercé des fonctions dans le cadre d'équipes qui ont plutôt fait preuve de bonnes qualités gestionnaires. C'est l'un des non-dits de la politique française : il arrive que la gauche gère mieux que la droite. Dans ce domaine, les personnes comptent parfois plus que les a priori idéologiques. Le 12 août dernier, Le Monde pouvait ainsi, à l'aide d'un graphique, montrer que, depuis 1980, ce sont des exécutifs de droite qui ont le plus creusé la dette :

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   Quand on y réfléchit, c'est assez logique. Pour augmenter les ressources de l'Etat, la gauche a tendance à augmenter les impôts les plus redistributifs (l'I.R., la CSG), ce qui, dans un budget, permet d'équilibrer les comptes, à condition que les dépenses ne dérapent pas. A droite, on choisit en général de taxer la consommation et de recourir à l'emprunt, tout en baissant l'impôt sur le revenu. Les méchantes langues diront que c'est pour favoriser les plus riches, qui, tout en payant moins d'impôts directs, souscrivent aux emprunts qui leur font de surcroît gagner de l'argent !

   Des socialistes (si jamais ils reviennent au pouvoir, ce qui n'est pas gagné), j'attends qu'enfin ils taxent les revenus du capital autant (voire plus...) que ceux du travail. Martine Aubry s'y engage. Le PS a-t-il réellement la volonté de le faire ?

   Les paragraphes suivants contiennent deux informations importantes pour ceux qui ont pris la peine de lire. La première est que la réforme des retraites du gouvernement Fillon ne sera pas annulée par les socialistes. Voici ce qui est proposé : "le rétablissement du droit à prendre sa retraite à 60 ans, et à taux plein pour ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercé des emplois pénibles, avec un financement des régimes de retraite élargi aux revenus du capital et faisant contribuer les banques". On envisage d'atténuer les aspects les plus inégalitaires de la réforme, mais on a bien pris conscience que le vieillissement de la population française ne permet pas de revenir à la situation antérieure... si l'on veut garder un système par répartition. (Fort heureusement, les péripéties boursières de ces dernières années ont fait disparaître -provisoirement ?- toute référence à des "fonds de pension à la française".)

   L'histoire des fonds de pension nous ramène au gouvernment Jospin (et au -peu- regretté DSK)... tout comme la seconde information du passage : le retour des emplois-jeunes. Bon, d'accord, ça ne s'appelle pas comme cela, mais ces 300 000 "emplois d'avenir" ont comme un goût de déjà vu. J'en ai connus, qui se sont servis de cette opportunité pour ensuite rebondir et décrocher un boulot fixe. Mais peut-on généraliser ? Difficile de se prononcer sereinement, faute d'une étude exhaustive sur le devenir des emplois jeunes de l'époque Jospin. (Du dossier -parcellaire- de la DARES, on peut conclure que le dispositif a contribué à fortement réduire le chômage des jeunes... en les insérant dans le secteur public ou para-public, en majorité.) Les libéraux se rassureront (comme ils pourront) en se disant que c'est toujours mieux que la création d'emplois de fonctionnaires... sauf que c'est envisagé par Martine Aubry : dans l'enseignement, la justice... et la police.

   La maire de Lille annonce une (énième) grande réforme de l'éducation. On verra. Je vois quand même d'un oeil positif la volonté affichée de renforcer la maîtrise des fondamentaux dans le primaire (objectif qui serait aussi celui des derniers gouvernements UMP). Le problème est qu'en vingt ans, le niveau semble avoir fortement baissé en primaire, d'après une note d'information du ministère de l'Education nationale. Y a du boulot !

   Le positionnement de l'éventuelle candidate socialiste quant aux problèmes de sécurité est aussi intéressant. Outre le recrutement de policiers et gendarmes, elle annonce une politique qui, si elle puise un peu dans l'héritage jospinien (la "police des quartiers" envisagée n'est pas sans rappeler feue la police de proximité, tant décriée par la droite... qui a fini par s'en inspirer), semble s'éloigner de l'angélisme habituel de la gauche... qui a peut-être coûté cher à l'ancien Premier ministre le 21 avril 2002.

   En fin de texte, c'est le retour des considérations générales. La volonté d'organiser de grands débats de société est louable, mais le travail d'un gouvernement est d'abord d'agir, de trancher. A trop discuter on ne fait plus grand chose. L'actuel président incarne ce volontarisme de l'action (pas forcément pour le meilleur). Les socialistes, même s'ils sont en désaccord sur les mesures de fond, devraient s'inspirer de la méthode.

   Une des dernières mesures proposées a attiré mon attention. Dans le cadre d'une "République exemplaire" (ça ne vous rappelle rien ?), Martine Aubry annonce (si elle est élue) la fin du cumul des mandats pour les députés et les sénateurs. J'applaudis des deux mains, mais j'attends de voir ! Tant au niveau de l'exemplarité du comportement des politiques qu'au niveau des cumuls divers et variés, l'histoire montre que les socialistes, radicaux et communistes ne sont pas forcément plus exemplaires que leurs rivaux du centre-droit et de droite... Le plus difficile sera de faire voter une loi, par les députés et les sénateurs.

   Finalement, cette primaire socialiste pourrait être intéressante !