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vendredi, 05 mars 2010

Invictus

   J'ai mis du temps à voir ce film, parce que je redoutais qu'il ne soit un peu trop "politiquement correct". Mais, la personnalité du réalisateur, la distribution et le sujet m'ont finalement traîné dans une salle.

   C'est incontestablement un film "eastwoodien" : il est question d'hommes qui se dépassent (ou tentent de le faire) et de barrières qui tombent. C'est en général plutôt bien fichu : les scènes intimistes sont réussies, les séquences "rugbystiques" aussi (elles sont assez spectaculaires), mais les spécialistes de ce sport en sortiront déçus : le jeu au pied, pourtant fondamental, est quasiment absent. On ne voit que des drops et des pénalités, celles-ci toujours très bien placées par rapport aux poteaux. De plus, les sons ont été "grossis" pour accroître l'impression qui résulte des chocs des corps, lors des mêlées et des placages. Il est possible que, dans sa manière de filmer le rugby à XV, le bon vieux Clint ait été influencé par le football américain.

   Il faut aussi relever une séquence ratée : celle qui voit Freeman-Mandela (excellent) danser et fleureter avec une femme pulpeuse. La direction d'acteurs a péché (Eastwood a-t-il voulu la jouer "cool" avec son pote Morgan, qui est l'âme de ce film ?). De plus, on voit très bien que l'orchestre ne joue pas ! Clint ne nous avait pas habitués à laisser passer ce genre d'erreur.

   Le Français que je suis se doit de râler aussi sur le fond. Le scénario masque certains éléments très importants de la coupe du monde. Ainsi, si, à partir de la victoire inaugurale contre l'Australie, on nous présente le parcours intégral de l'équipe sud-africaine, la demi-finale contre la France est réduite aux pluies diluviennes et à des Français boueux et très déçus. Or, il ne fait aucun mystère que la victoire 19 à 15 de l'équipe locale est entachée d'irrégularités. On peut s'amuser à revisionner la toute fin du match, qui voit l'équipe de France marquer un essai que l'arbitre refuse très rapidement de valider, sans chercher à savoir vraiment si Abdelatif Benazzi avait franchi la ligne.

   Le film ne présente pas non plus la finale contre la Nouvelle-Zélande de manière objective : si le duel fut très physique, très "rugueux", les Néo-Zélandais étaient affaiblis par une intoxication alimentaire.

   Reste l'épopée antiraciste, bien rendue, d'abord grâce à la qualité de l'interprétation : on ne peut pas disjoindre la performance de Morgan Freeman de celle de Matt Damon... et n'oublions pas la foultitude de seconds rôles. Ainsi, le fond raciste de nombreux Blancs sud-africains (des Afrikaners) n'est pas caché, même si le film pêche par excès d'optimisme (à l'inverse de Disgrace) en les montrant presque tous "convertis" à la fin. La même démarche est à l’œuvre quand on veut nous faire croire que le rugby, jadis honni par les Noirs (qui lui préfèrent le football), va devenir un sport métissé, à l'image de la "nation arc-en-ciel" (quand on analyse la composition de l'équipe qui a remporté la coupe en 2007, on s'aperçoit que, si elle est un peu moins blanche qu'en 1995, avec 5 joueurs "de couleur", trois sont des remplaçants).

   C'est aussi une comédie, que l'on peut prendre le temps de savourer, vu que l'on connaît déjà la fin de l'histoire. Certains des moments les plus cocasses sont ceux qui voient les deux équipes de gardes du corps du nouveau président se côtoyer.

   Enfin, c'est un peu un film d'histoire (meilleur que Goodbye Bafana). Il fait revivre le contexte de l'époque, tout tournant autour de Mandela : ses gardes du corps sont persuadés qu'un Blanc fanatique va tenter de l'assassiner et lui se donne pour mission de réconcilier les communautés (dont la présentation est hyper simplifiée dans le film). On perçoit bien son intelligence politique, qui le pousse parfois à s'opposer aux personnes de son propre camp.

   Nelson Mandela a donc inspiré pas mal de monde... même très loin de son pays. Ainsi, si l'on cherche un président qui a porté le maillot national à l'occasion d'une coupe du monde, événement censé symboliser l'union des habitants d'un pays, quelle que soit leur origine... on tombe sur un certain Jacques Chirac ! La différence est que, si Mandela a d'abord pensé à son pays, l'ancien maire de Paris visait sa réélection. Le point commun est que, dans les deux cas, l'image d'unité ne fut qu'un écran de fumée... ou, si l'on est plus naïf, un fugace état de grâce. L'Afrique du Sud d'aujourd'hui n'est pas encore vraiment devenue une vraie "nation arc-en-ciel" et la France "black-blanc-beur" est la même que celle qui a porté Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002 et la même que celle dont les banlieues sont enflammées par la violence, les inégalités et le désespoir.

Commentaires

On en sait un peu plus sur la source des performances physiques du XV sud-africain des années 1995-1999 :

http://www.scribd.com/doc/67900707/On-acheve-bien-les-Springboks-Le-Monde-8-septembre-2011

(Voir l'article : "Afrique du Sud, l'ombre du dopage".)

Écrit par : Henri Golant | lundi, 10 octobre 2011

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