jeudi, 20 décembre 2012
L'Odyssée de Pi
Ce nouvel Ulysse est un adolescent indien, dont le prénom a été choisi en référence à la piscine Molitor, à Paris. La première demi-heure est longuette, pas super bien jouée (ni doublée). Elle nous permet néanmoins de découvrir comment le garçon de l'ancien comptoir français de Pondichéry (où l'on enseigne encore la langue de Molière) a réussi à faire triompher le diminutif mathématique (Pi) sur les quolibets du genre "Pisseux".
Marquante est l'une des premières séquences à le mettre en contact avec le tigre. C'est l'occasion pour le père de donner une "leçon de vie" à ses fils. C'est aussi l'occasion pour le spectateur un brin attentif de se rendre compte que la réalisation manque parfois de rigueur : il est évident que le tigre n'a pas pu faire passer entre les barreaux le cadavre de sa proie, qu'il n'a pas encore dépecé.
On retrouve cette négligence dans la séquence du naufrage. Il est vrai que, depuis le Titanic de James Cameron, la barre a été mise haut. Mais on se fout un peu de nous quand on laisse de côté la grande majorité des occupants du navire qui sombre et quand on évite de donner la cause de la catastrophe, quitte à ce que des enquêteurs japonais tentent de la découvrir plus tard. (C'est un procédé scénaristique - le lampshade hanging - récemment décrit dans une petite vidéo bien fichue mise en ligne sur le site du Monde.)
La séquence nous met en contact avec un drôle de cuistot, sorte de beauf raciste incarné avec conviction par Gérard Depardieu. Dans la scène du repas, j'ai eu l'impression qu'il ne s'adressait pas au père du héros, mais à Jean-Marc Ayrault. Et pourtant, le cargo n'était pas en partance pour la Belgique...
Arrive donc le naufrage. Moyen. Parfois invraisemblable, comme ce moment durant lequel le garçon est en suspension sous l'eau, face au navire qui coule, les lumières encore allumées.
A partir du moment où il se retrouve dans le canot, en compagnie du tigre, le film devient presque bon. La relation ambiguë qui se noue entre le félin arrogant (très joli matou numérique) et l'ado maladroit est fouillée, intéressante. (J'ai bien ri quand il a été question de la délimitation du territoire de chacun. Le tigre - ici sans doute une tigresse - lui joue un petit tour façon Zarafa...) Les péripéties s'enchaînent, notamment en raison de la présence d'autres animaux. On sent la volonté de glorifier la nature, à travers ces scènes montrant l'océan, vu du dessus ou par en-dessous, de jour ou de nuit. Cependant, cela sent trop le montage numérique. J'ai pourtant vu le film en 2D, mais c'était parfois vraiment artificiel. Dommage.
Bien que totalement invraisemblable, la séquence sur l'île végétale, peuplée de suricates, m'a beaucoup plu. Elle est formellement magnifique et riche de sens, sur le fond.
Il reste que l'ensemble donne l'impression d'être un collage mal assemblé. Si j'étais mauvaise langue, je dirais que des producteurs en panne d'inspiration ont voulu réaliser un coup en puisant dans différents films à succès (Seul au monde, Slumdog Millionaire, Madagascar, Deux Frères, entre autres). Le résultat n'est pas très convaincant. Le mélange des civilisations et des mondes est un peu trop appuyé.
Il n'aurait pourtant pas fallu grand chose pour que ce soit un grand film. Une demi-heure avant la fin, le héros adulte, qui raconte l'histoire, reprend son récit et en donne une autre version. Du coup, on se demande si tout ce que l'on a vu depuis le naufrage n'était pas mensonge ou fantasme. Malheureusement, ce filon n'est que trop peu exploité.
23:55 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film
Commentaires
Les invraisemblances apparentes sont à considérer d'un point de vue onirique : il s'agit d'une rêverie surréaliste, pas d'un documentaire sur les tigres. Oui, le tigre n'aurait pas pu passer la chèvre de l'autre côté de la grille, et les lumières du bateau n'auraient pas pu briller sous l'eau. Le film part d'un apparent réalisme, style biographie, pour devenir progressivement symbolique : le bateau est une arche de Noé improbable, qui fait naufrage. Et Pi se transforme en un anti-Noé adolescent, encombré d'animaux plutôt dérangeants : le zèbre, l'orang-outang, la hyène et le tigre, qui, à l'inverse des animaux de Noé, ne pensent qu'à se dévorer... Un film superbe, à voir vraiment.
Écrit par : CORREA DE SA Alexandre | mercredi, 23 janvier 2013
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