mercredi, 21 décembre 2016
La Sociale
Je me suis un peu fait violence pour aller voir ce documentaire. Il y a trois ans, je m'étais ennuyé à la vision des Jours heureux, le précédent film de Gilles Perret (que je n'ai pas chroniqué sur le blog, comme cela m'arrive de temps à autre). Et, comme c'est une création de Rouge productions, je redoutais l’œuvre militante lourdingue.
Première bonne surprise : c'est un documentaire rigoureux, dans sa construction comme dans sa démarche, même si l'on comprend très vite qu'il ne faut pas s'attendre à une irréprochable objectivité. Bien au contraire : le but du film est de montrer combien la "Sécu" est vitale pour notre pays. Au moins, les auteurs n'avancent pas masqués... et ils donnent la parole à des personnes "du camp opposé", même si je les soupçonne d'avoir sélectionné les plus caricaturales. (Je recommande tout particulièrement le médecin libéral, qui dénonce une France presque totalement communiste !)
Deuxième bonne surprise : les images d'archives. Beaucoup m'étaient inconnues (celles des années 1940-1950). On a puisé dans les fonds du Parti communiste et de la CGT, présentés comme les principaux artisans de la création de la Sécurité sociale, à travers notamment l'action d'Ambroise Croizat, militant communiste dévoué, travailleur acharné, mort prématurément à 50 ans. Certes, on n'oublie pas de rappeler le rôle d'un haut fonctionnaire, Pierre Laroque. Cependant, de la même manière que les autorités ont eu tendance à minimiser le rôle des communistes dans la création de la Sécu, ce film a tendance à minimiser le rôle de ceux qui ne sont pas communistes. Juste retour du balancier, diront certains.
Le documentaire est vivant parce que les images d'archives sont entrecoupées d'entretiens avec des chercheurs (un historien, un économiste et un sociologue), très intéressants. On voit et entend aussi souvent l'un des survivants de l'époque, Jolfred Frégonara (hélas décédé en août dernier) qui, jeune adulte, fut l'un des responsables départementaux chargés de mettre en œuvre cette véritable révolution sociale. (Au passage, l'insistance sur la capacité de travail de ces militants communistes est une leçon pour les gauchistes du XXIe siècle, plus prompts à lever le coude et beugler dans les rues qu'à déployer des efforts au service de la collectivité.) Âgé de plus de 90 ans, cet ancien cégétiste est la trouvaille de ce film. Il avait encore toute sa tête et sa rencontre avec les jeunes (futurs) cadres de la Sécu mérite le détour.
L'histoire ne s'arrête pas aux années 1940-1950. Le documentaire évoque les premières tentatives de détricotage du filet social et souligne l'impact de l'arrivée au pouvoir du duo Thatcher-Reagan (au Royaume-Uni et aux États-Unis), au tournant des années 1970-1980. Il néglige toutefois de rappeler que, si le système a tenu aussi longtemps, c'est aussi parce qu'à droite, une partie non négligeable du personnel politique s'est rallié à cette pincée de socialisme dans notre économie de marché.
A ce sujet, les temps semblent avoir changé, avec la victoire du plus libéral des candidats aux primaires de LR. Même si ce film a d'abord été tourné pour célébrer le 70ème anniversaire de la création de la Sécurité sociale, il est évident que son propos entre en résonance avec la campagne présidentielle qui est déjà engagée.
P.S.
Par un curieux effet du hasard, le documentaire est projeté à Rodez la semaine où sort un numéro du Canard enchaîné qui évoque les projets de François Fillon. Dans l'entourage de celui-ci, on tente de minimiser les dégâts provoqués dans l'opinion par la révélation de son programme social, d'inspiration néo-libérale. Ainsi, le détail des mesures prônées par celui qui est devenu le candidat officiel de LR a disparu de son site internet. Le Canard s'est fait un plaisir de le remettre en ligne. Bonne lecture !
P.S. II
Sur le site dédié au film, on peut télécharger un dossier pédagogique assez bien conçu.
23:20 Publié dans Cinéma, Histoire, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films
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