mardi, 25 décembre 2018
Une Affaire de famille
Cette année, au festival de Cannes, le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda a obtenu la consécration (la Palme d'or) pour ce film, cinq ans après que le prix du jury a récompensé Tel père, tel fils. Sa virtuosité était aussi apparente il y a quelques mois, dans The Third Murder, reparti bredouille de la Mostra de Venise.
C'est l'histoire de Juri, une gamine de cinq-six ans, sans doute battue par ses parents, qu'une famille de salariés modestes va recueillir, au départ pour une nuit, puis pour plus longtemps. Le père est intérimaire dans le bâtiment, la mère travaille dans une blanchisserie industrielle. Faute d'argent, ils ont emménagé chez la grand-mère et vivent un peu sur sa pension de retraite. En même temps, celle-ci garde les jeunes enfants... enfin sauf quand ils vont voler dans les magasins, en compagnie du père. Cette famille élargie serait incomplète sans la présence de la jeune (et ravissante) soeur de la blanchisseuse, qui gagne sa vie sans un peep-show, aux franges de la prostitution.
Le réalisateur n'y est pas allé avec le dos de la cuillère ! A cette accumulation s'ajoute la volonté méticuleuse de mettre en scène le misérabilisme au quotidien. La maison dans laquelle loge ce beau monde est trop petite pour eux. Les objets s'y entassent dans un ordre approximatif. On ne sait pas trop ce qui devrait être jeté ou gardé. Les murs sont crasseux, la salle de bains sommaire. On se dit qu'en entrant, on doit être saisi par un drôle de fumet, mêlant transpiration froide, senteur de pieds, émanations de cuisine voire odeur d'urine.
Cette famille n'est donc de prime abord pas recommandable. La mère fait les poches des vêtements qui passent entre ses mains à la blanchisserie. Le père n'enseigne que le vol aux enfants et essaie de travailler le moins possible. Enfin, quand on apprend qu'il a été blessé sur un chantier, dans la famille, la première question porte sur une éventuelle indemnisation.
On serait donc tenté de croire que ce groupe de "cassos" n'a rien pour lui. Erreur, car le réalisateur a des intentions politiques (ce qui lui a d'ailleurs été reproché au Japon). Cette famille improbable va offrir ce qui manque le plus à la gamine recueillie : de l'amour (et de l'attention). La première heure est donc l'histoire de son intégration au groupe, en bien comme en mal, puisqu'elle va aussi apprendre le vol. Mais elle y découvre une forme de bonheur, loin de l'école et d'un bel appartement. (Notons que les enfants sont très bien dirigés, une qualité qui n'est pas nouvelle chez Kore-eda.)
Le contraste est saisissant avec l'autre famille, non pas celle de la petite Juri, mais celle du défunt mari de la grand-mère Hatsue (formidablement incarnée par Kiki Kirin, déjà remarquée dans Les Délices de Tokyo). On finit par découvrir qu'il l'avait quittée pour fonder un autre foyer. Il a eu un fils, qui s'est marié et est à son tour devenu père. La séquence de la venue de Hatsue chez ces bourgeois est pleine de sous-entendus.
Le réalisateur est plus explicite sur le fonctionnement (négatif selon lui) de la société japonaise contemporaine. Il dénonce la situation précaire de nombreux salariés : le père n'obtient finalement aucune pension pour son accident de travail et la mère risque de se faire licencier de la blanchisserie, non pas à cause de ses petits larcins, mais parce qu'elle coûte trop cher à son employeur. Signalons qu'elle est interprétée par Sakura Andô, qui a incarné l'une des héroïnes de Shokuzai (la fille-ours). Elle nous livre une magnifique composition.
Je dois cependant dire qu'au bout d'une heure, j'en avais un peu marre. Je trouvais le trait trop appuyé, schématique. Et puis est arrivé le retournement. Auparavant, à plusieurs reprises, on sent que quelque chose ne tourne pas rond. C'est d'abord au cours d'une conversation entre le père et le fils, le père semblant détenir un secret que le fils a oublié. Plus tard, lorsque les deux soeurs discutent en cuisine, on se demande s'il n'y a pas anguille sous roche. Il faut aussi être attentif à la séquence de la visite de la grand-mère dans l'autre famille. On peut y découvrir l'une des supercheries. Enfin, le doute n'est plus permis lorsqu'on entend ce que se disent les deux époux lors d'une scène de salle de bains : cette famille est remplie de mystères, que la dernière demi-heure va éclaircir.
Du coup, j'ai trouvé cela brillant. Le réalisateur a réussi à insérer les indices dans la première partie bien huilée de son histoire, celle qui a l'apparence d'un documentaire sur la vie des Japonais modestes (qui m'a un peu rappelé Nobody Knows). Les révélations de la dernière demi-heure ne font que renforcer son propos principal : les liens du coeur sont plus forts que les liens du sang (avec lesquels ils ne coïncident pas forcément).
12:40 Publié dans Cinéma, Japon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films
Les commentaires sont fermés.