dimanche, 28 avril 2024
Le Déserteur
Tourné avant le pogrom du 7 octobre dernier, ce film israélien entre étrangement en résonance avec l'actualité proche-orientale, même si l'intrigue se situe dans le contexte de 2014, celui d'une (autre) intervention militaire de Tsahal dans la bande de Gaza, à une époque où Benyamin Netanyahou était déjà Premier ministre.
Le premier quart d'heure est emballant. On n'y entend pas le héros parler et les rares dialogues que l'on perçoit peuvent être qualifiés d'atmosphère. Avec les sons du bruitage, ils produisent une ambiance dont on comprend qu'elle met mal à l'aise Shlomi.
Très vite, la caméra se met à suivre le jeune homme en mouvement. Le réalisateur a notamment recours au travelling (avant, arrière et latéral) pour montrer la fuite du soldat, sans que ses motivations soient claires. Est-ce de la lâcheté, est-ce le résultat d'une réflexion politique ou de l'envie de revoir sa petite amie, pour tenter de la convaincre de ne pas partir pour le Canada ?
Le premier être vivant auquel Shlomi s'adresse est... le chien de la famille. C'est à ce moment-là que les choses se gâtent, le trait devenant appuyé, accompagné d'invraisemblances.
Si l'acteur principal, Ido Tako, ne manque pas de charisme, la manière dont il est dirigé (ou dont on le laisse improviser) pose problème. Le premier élément qui m'a gêné est la manière dont on le voit manger. Cela commence avec une écolo-marxiste pastèque, sauvagement éventrée et malaxée. Cela continue au restaurant, où l'on voit le héros se goinfrer maladroitement et s'enfiler plusieurs grands verres d'eau sans que l'on sache pourquoi. Cela revient dans l'appartement de luxe (à Tel Aviv, je crois), autour d'un plat de pâtes dans lequel Shlomi finit par puiser avec ses doigts tout en maniant la télécommande de la télévision et en touchant sa copine (que ça n'a pas l'air de déranger) ! Il est possible qu'à travers ce comportement exacerbé le réalisateur ait voulu montrer l'appétit de vivre du personnage, mais, franchement, c'est mal fichu.
Un autre aspect de l'intrigue pose plus problème : la présence de touristes français (qu'on présume juifs). Dans un premier temps, ils sont dépeints comme des soutiens imbéciles d'Israël, faciles à pigeonner. On les recroise par la suite. A l'une de ces occasions, là encore, c'est mal mis en scène : le jeune homme en voiture avait la possibilité de s'échapper sans sortir de son véhicule... mais cela aurait empêché le réalisateur de filmer un déshabillage forcé. C'est totalement artificiel. Le pire est que, lorsqu'on entend les touristes lui faire des reproches, l'une des voix s'exclame « avec tout ce qu'on vous donne ! » (sous-entendu : quelle ingratitude alors que la France soutient financièrement votre pays !). C'est factuellement inexact. Cela aurait été plus approprié si les touristes avaient été états-uniens (à ceci près que l'essentiel de l'aide est d'ordre militaire). Concernant la France, c'est plutôt le côté palestinien qui est soutenu financièrement, à travers notamment les engagements de l'UE.
Ce n'est pas la seule fois où le réalisateur tombe dans la facilité. Lors de la scène de bar, qui montre une brochette d'«Israéliens moyens», au comptoir, sans doute avec un coup dans les carreaux, on sent la volonté de les présenter comme des crétins racistes. C'est le genre de scène que l'on pourrait tourner à peu près n'importe où. La placer ici, dans ce film-là, n'est pas anodin.
En dépit de ces défauts, je dois reconnaître que l'intérêt remonte dans les vingt dernières minutes. A ce moment-là, le scénario se fait malin. En voulant échapper à l'engagement militaire, Shlomi provoque un mini-drame national : on le croit mort ou pris en otage par le Hamas. Dans un premier temps, le quiproquo provoque des tensions familiales (pas très bien mises en scène, même si le personnage de la mère est bien campé). C'est quand le héros doit faire un choix crucial que cela gagne en qualité, avec notamment une scène inattendue, qui n'est pas ce qu'elle paraît être de prime abord.
J'ai de surcroît bien aimé la conclusion de l'histoire. Le film n'est pas sans intérêt, faisant preuve parfois d'une réalisation inspirée, mais ce n'est pas toujours maîtrisé, loin de là... et c'est assez orienté.
09:55 Publié dans Cinéma, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films
Commentaires
Ah j'ai été TRÈS emballée moi !
Pour sa façon de boire et manger, je l'ai attribuée au fait qu'étant donné sa course folle, il doit être affamé et assoiffé.
J'ai noté que Shiri aussi se passe la main dans les cheveux après avoir touché la nourriture. Une coutume locale ?
Je suis d'accord, les français et leur "avec tout ce qu'on vous donne", on s'en serait passé. Mais il n'est pas impossible que le pékin français moyen s'imagine que la France se ruine pour Israël. Je l'ai entendu récemment près de chez moi : avec tout ce qu'on leur envoie...
Sinon, j'ai beaucoup aimé, ai même été bouleversée pour cette jeunesse et la fin est très reussie.
Écrit par : Pascale | mardi, 30 avril 2024
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