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lundi, 24 avril 2023

La Conférence

   Le titre de ce film allemand fait évidemment allusion à la Conférence de Wannsee, qui s'est tenue le 20 janvier 1942. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, dans la banlieue chic de Berlin, une brochette de cadres nazis discute de la déportation et de l'extermination des juifs, prudemment désignées par l'expression « Solution finale ».

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   Tous les participants sont des nazis convaincus, et ce depuis des années. Mais le film s'attache à montrer que deux profils se détachent : les SS (au premier rang desquels l'organisateur de la conférence, Reinhard Heydrich) et les "secrétaires", membres du gouvernement (et du NSDAP, le parti nazi), qui représentent un ministère, dont ils sont en général le numéro 2. Au contraire de certains SS et des gouverneurs des territoires envahis par le IIIe Reich, ces hauts fonctionnaires sont très diplômés : ils sont allés jusqu'à la thèse, ce qui fait qu'on se donne fréquemment du "Doktor" (ce qui équivaudrait à "Professeur", en français). Il est toutefois nécessaire de préciser que tout ce petit monde a achevé ses études secondaires et que presque tous ces hommes possèdent un diplôme de l'enseignement supérieur, sans être forcément allés jusqu'à la thèse. De ce fait, ils appartiennent à une "élite" (moins de 5% de la population), et une élite plutôt jeune, qui témoigne de l'adhésion massive des (anciens) étudiants allemands des années 1920-1930 aux idées nazies.

   Les dialogues comme les interprètes excellent à nous faire sentir la morgue de ces nazis issus de l'université, à la fois arc-boutés sur les prérogatives de leur ministère et peu désireux de passer sous le commandement de ces brutes de SS, fût-ce pour se débarrasser des juifs. Par rapport au film, j'apporterai toutefois une nuance. Peut-être pour éviter de trop plomber l'ambiance, les scénaristes ont choisi de faire émerger un ou deux profils un peu plus « humanistes » (tout est relatif) que les autres. Je pense au contraire que tous les participants à cette réunion étaient des antisémites forcenés (plus ou moins policés dans leur manière de s'exprimer), que le sort des juifs n'émouvait aucunement.

   Cette réunion a donc un fort enjeu de pouvoir. A qui revient de gérer « l'évacuation » et le « traitement spécial » des juifs ? (On notera l'utilisation d'euphémismes quasiment tout au long de la conférence.) L'ambitieux Heydrich (dont il est légitime de penser qu'il espérait succéder un jour à Hitler) veut que la SS (plus précisément le RSHA, l'Office central de la sûreté du Reich) soit maître d’œuvre dans cette opération. Il faut qu'il en convainque les autres participants, en maniant l'efficacité, la flatterie et, éventuellement, la menace. Ce n'est pas pour rien qu'il a à ses côtés son principal adjoint, le chef de la Gestapo, Heinrich Müller (très bien interprété par Jakob Diehl).

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   Au niveau des arguments "techniques", c'est un autre subordonné d'Heydrich, Adolf Eichmann (dont le rôle a été réévalué par les historiens) qui intervient. Je trouve que le comédien Johannes Allmayer réussit parfaitement à faire ressortir le mélange de technocratie et d'inhumanité qui caractérisait le personnage :

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   En face, du côté des "secrétaires", c'est le représentant du ministère de l'Intérieur qui se révèle le plus coriace. Ce n'est pas n'importe qui. Wilhelm Stuckart (Godehard Giese, excellent) est l'un des rédacteurs des lois de Nuremberg et, à l'époque du film, il est un peu considéré comme un ministre-bis, que Heydrich ne peut pas se permettre de traiter comme du menu fretin.

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   Il me reste à dire deux mots de l'interprète principal. Philipp Hochmair est chargé d'incarner le principal protagoniste (Heydrich), à une époque où il devient très puissant, mais quelques mois à peine avant qu'il ne se fasse assassiner. (Merci la résistance tchèque !)

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   Le film nous montre un manager du nazisme. Le régime, bien que pyramidal (avec Hitler à sa tête) et dictatorial, mettait en concurrence différents centres du pouvoir. Pour mener à bien son projet (l'extermination des juifs d'Europe), Heydrich a besoin de coordonner leur action. Pour assouvir son ambition, il doit les convaincre de le laisser diriger cette entreprise. L'acteur est convaincant dans le rôle du manager charismatique, mais il rend presque son personnage sympathique. Il n'apparaît pas assez impitoyable à mon goût. Bien que s'exprimant dans une autre langue que l'allemand, Jason Clarke m'a semblé plus percutant dans HHhH.

Commentaires

Merci de tes précisions, je me demandais pourquoi certains recevaient du "Doktor" à tout bout de champ.

J'ai été scotchée à cette conférence. La lie de l'in-humanité dans toute sa splendeur presqu'intégralement rassemblée. Il manque le patron et les autres va-t-en guerre.
C'est vrai que Jason Clarke était plus terrifiant mais je trouve que Philipp Hochmair joue bien ce rôle d'"animateur". Il reste toujours courtois, pédagogique et repart d'où il vient le sentiment du devoir accompli.
L'incarnation de Müller est parfaite. Je me disais : mais je connais cet acteur. Et oui, c'est Jakob le frère d'August. Il est vraiment parfait.
L'infâme petit Eichmann est très bien incarné également.
Je te recommande l'Affaire Sensible (trouvable sur Radio France) de Fabrice Drouelle sur La traque d'Eichmann. Passionnant.

Je te recommande aussi, si ce n'est déjà fait, la lecture du livre de Laurent Binet dont est tiré le film HHhH. C'est un des livres les plus forts que j'ai lus ces dernières années et m'a donné envie d'aller à Prague. J'ai donc suivi le parcours de la résistance tchèque et retrouvé l'église où Jozef Gabčík et Jan Kubiš ont péri après avoir tenu tête à l'armée allemande. L'église Saints Cyrille et Méthode est toujours criblée de balles. Le petit musée dans la crypte, bouleversant et très bien fait est tenu par un vieux monsieur qui semble dater de l'époque. C' est passionnant mais on en sort bien secoué. Peu de gens s'y rendent...
Je n'ai pas eu la force d'aller à Lidice, le village sacrifié en représailles à la mort de cette ordure.
Je me demande toujours comment tout ça a pu arriver.

Écrit par : Pascale | lundi, 24 avril 2023

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