jeudi, 18 juillet 2019
L'Oeuvre sans auteur (1 et 2)
Présenté en France en deux parties (d'une durée d'environ 1h30 chacune), l'ensemble forme en réalité un seul film d'un peu plus de trois heures... qu'on ne voit pas passer. Le réalisateur est Florian Henckel von Donnersmarck, que tout cinéphile digne de ce nom connaît comme étant l'auteur de La Vie des autres. Y figurait déjà Sebastian Koch, qui incarne ici un médecin nazi autoritaire, froid et sûr de ses compétences.
L'intrigue s'étale entre 1939 (qui marque le lancement du programme de stérilisation des "populations indésirables", en Allemagne) et le début des années 1960, juste après la construction du Mur de Berlin et avant les procès qui vont faire (re)découvrir aux Allemands l'étendue et l'atrocité des crimes commis en leur nom des années auparavant. (Voir à ce sujet Le Labyrinthe du silence.) Il est question de l'émergence d'un grand peintre, de sa jeunesse sous le IIIe Reich à son explosion dans la RFA de Konrad Adenauer.
Pendant le premier quart d'heure (de la partie 1), j'ai eu un peu peur. J'ai trouvé certaines scènes mal jouées, comme celles montrant l'excentricité de la jeune (et ravissante) Elisabeth ou encore la remise du bouquet à Hitler. De plus, même si je suis très sensible à la beauté de Saskia Rosendahl (remarquée dans Lore), j'ai trouvé un peu facile de la part de ce cochon de réalisateur de profiter de la moindre occasion pour nous exposer la plastique quasi parfaite de l'actrice. J'ai aussi été gêné par ce qui pour moi est une invraisemblance historique : quand Elisabeth emmène son neveu à l'exposition sur "l'art dégénéré", elle porte une robe légère, qui ne permet pas d'ignorer l'absence de soutien-gorge !
Le film devient prenant à partir du moment où Elisabeth est emmenée dans le "centre gynécologique" dirigé par "Herr Professor" Seeband, incarné par Sebastian Koch avec une époustouflante (et glaçante) maîtrise. Ce gynécologue est conscient d'être un excellent médecin (sur le plan scientifique). Sur le plan humain, c'est autre chose. Dans son bureau se déroule une scène capitale pour la suite : elle pose des éléments qui, plus tard, vont relier plusieurs personnages sans qu'ils en soient conscients (mais les spectateurs attentifs, oui).
C'est là que la grande Histoire rencontre la petite. Henckel en profite pour évoquer l'Aktion T4, dans un mélodrame qui montre comment des vies d'Allemands ordinaires vont être brisées. Ainsi, dans la famille d'Elisabeth, on a le privilège de mourir à cause des nazis ou sous les balles soviétiques ou encore sous les bombes anglo-américaines. (Une scène se déroule à Dresde en février 1945.)
La séquence suivante est tout aussi passionnante. On y retrouve le médecin nazi, piégé par l'occupation soviétique de la partie orientale de l'Allemagne. Il risque gros, mais il peut encore compter sur sa formation médicale, qui pourrait lui sauver la partie. La scène de l'accouchement est formidablement mise en scène.
Après une ellipse, on retrouve notre désormais ancien nazi, transformé en notable de la RDA (communiste). Le petit garçon du début (qui va longtemps refouler certains souvenirs) est devenu un apprenti peintre. Il va se lier à une autre Elisabeth qui, coïncidence troublante, ressemble bigrement à sa tante disparue (la couleur de cheveux exceptée). Elle est incarnée par Paula Beer (encore plus souvent nue). Le couple qui se forme va rencontrer un terrible adversaire sur sa route : le gynécologue, qui ne peut plus se montrer aussi ouvertement dominateur qu'autrefois, mais qui va se révéler habile manipulateur...
Au niveau artistique, Henckel veut montrer que nazis comme communistes ont une vision étriquée de la création. Les régimes totalitaires méprisent la liberté créative et veulent instrumentaliser les artistes à leur profit. C'est le moment où l'on bascule de la première dans la seconde partie.
Celle-ci est, dans un premier temps, davantage centrée sur Kurt, dont le talent s'affirme. On le voit d'abord en RDA, où il se plie à la doctrine officielle du réalisme socialiste. Pour des raisons que je me garderai bien d'évoquer, à l'issue d'un assez long processus, il finit par "exploser" en RFA. J'ai trouvé remarquable le récit de son apprentissage dans le milieu d'avant-garde de Düsseldorf. C'est le moment de signaler l'excellente composition d'Olivier Masucci en professeur d'arts plastiques, capable de captiver un auditoire... ou de le faire réagir. Les plans qui montrent les peintres en action sont très réussis (et parfois empreints d'ironie, comme lorsque le jeune héros découvre les efforts pathétiques des apprentis artistes pour faire original). Le summum est atteint quand Kurt trouve enfin son style. Un déclic se produit, qui voit de nouveau la grande Histoire fusionner avec la petite.
En dépit de quelques défauts mineurs, j'ai été emballé par ce film, à la fois mélo, chronique sentimentale (sensuelle), leçon d'histoire et essai pictural.
00:14 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
Commentaires
Contente qu'un garçon s'offusque de scènes où les filles se déshabillent sans justification. Je n'en peux plus de ces scènes.
J'espère le voir en une fois très vite.
Écrit par : Pascale | jeudi, 18 juillet 2019
Même si les vieux singes dans mon genre ne détestent pas se rincer l'oeil de temps à autre, ils sont conscients du procédé utilisé.
Je me dois quand même de signaler que l'on voit aussi le jeune Tom Schilling en costume d'Adam. Si le réalisateur semble avoir une prédilection moindre pour son pubis que pour celui de Paula Beer, il nous permet de constater que le comédien (un beau gosse que l'on a aperçu dans "La femme au tableau", avec Helen Mirren) est très correctement musclé, tout comme les figurants qui incarnent deux apprentis artistes de Düsseldorf versant de la peinture sur leur corps dénudé.
Si l'on prend un peu de hauteur, on constate que le réalisateur (très habile dans la mise en scène de son histoire) est fasciné par la représentation classique des corps, tout comme l'était Arno Breker, le sculpteur officiel du régime nazi (qui s'est installé après-guerre à... Düsseldorf). Henckel se rattrape en faisant l'éloge de la créativité en art et en dénonçant les idéologies officielles (nazisme, communisme).
Écrit par : Henri Golant | jeudi, 18 juillet 2019
Comme Pascale, je compte aller voir les deux parties à la suite. Merci pour ce long résumé et je note tes bémols. Bonne fin d'après-midi.
Écrit par : dasola | samedi, 20 juillet 2019
Pour mieux connaître Gerhard Richter (qui a inspiré le personnage de Kurt), on peut se rendre sur le site internet qui lui est consacré :
https://www.gerhard-richter.com/fr/art/
En voguant dans la catégorie "Photos-peintures", on tombe facilement sur des oeuvres qui ont été utilisées (plus ou moins modifiées) dans le film.
Écrit par : Henri Golant | samedi, 20 juillet 2019
Ah jai ADORÉ.
Impossible d'attendre pour voir le second volet. Je n'ai pas vu les 3 heures passer.
C'est passionnant, lyrique, romantique...
Écrit par : Pascale | dimanche, 21 juillet 2019
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