jeudi, 10 juin 2021
Des Hommes
Le titre de cette fiction à caractère documentaire est à double sens. La participation à la Guerre d'Algérie a fait des jeunes appelés du contingent français "de vrais hommes" ou, du moins, elle les a fait mûrir (et quitter l'âge de l'adolescence insouciante) à vitesse grand V. Mais c'est aussi un constat : ce sont bien des hommes (des êtres humains) qui, des deux côtés, ont commis des horreurs.
Derrière la caméra se trouve Lucas Belvaux, l'un des meilleurs réalisateurs francophones de sa génération (hélas inconnu du grand public). Ces dernières années, on lui doit 38 témoins et Chez nous. Je recommande surtout la vision de sa trilogie, sortie en 2003 : Un Couple épatant, Cavale et Après la vie. Y figure notamment Catherine Frot, que l'on retrouve dans la partie contemporaine de l'histoire contée par Des Hommes.
Dans le courant des années 2010, un repas de famille est organisé pour l'anniversaire de Solange. Tous les cousins sont invités, dont Rabut (Jean-Pierre Darroussin)... mais pas "Feu-de-bois", le frère incontrôlable, alcoolique, raciste et querelleur, qui vit reclus dans une vieille maison chauffée par une unique cheminée. Dans le rôle du connard, Depardieu m'a convaincu. Mais les interactions de son personnage avec les autres m'ont paru artificielles. Belvaux aurait-il reculé devant la perspective de faire jouer et rejouer certaines scènes par ces trois monstres sacrés ?
Quoi qu'il en soit, c'est quand l'histoire plonge dans le passé des protagonistes, 50-55 ans auparavant, que cela devient intéressant. C'est d'abord beaucoup plus beau à l'écran... et c'est (à mon avis) voulu. Cette époque révolue, celle de la Guerre d'Algérie, suscite, malgré ses drames, une sorte de nostalgie. Pieds noirs comme appelés du contingent (certains d'entre eux, en tout cas) auraient aimé y faire leur vie. C'est d'ailleurs l'un des atouts de ce film que de nous proposer une représentation pas trop caricaturale du petit monde de ces Européens d'outre-Méditerranée, si méconnu de nos jours.
Les acteurs qui incarnent les mêmes personnages, en plus jeunes, sont plutôt bons. Je distingue tout particulièrement Félix Kysyl et Fleur Fitoussi. Je suis à moitié convaincu par Yoann Zimmer, version rajeunie de "Feu-de-bois". (En particulier, la scène durant laquelle il insulte Reine, qui vient d'accoucher, est mal jouée.) Le concernant, le plus intéressant est la mise en scène de son progressif basculement : au départ, il n'était pas raciste.
La vie des troufions, entre trouille, alcool et ennui, est bien reconstituée. Les scènes ayant pour cadre l'Algérie rurale sont prenantes, vraiment bien filmées. On n'est pas très loin de L'Ennemi intime, de Florent-Emilio Siri (mais en un peu moins bien).
Sur le fond sont dénoncées les horreurs commises aussi bien par les militaires français (et les membres de l'OAS) que par les indépendantistes du FLN. J'ai quand même remarqué que, quand ce sont les "Français" qui se comportent mal, leurs actes sont plus clairement montrés à l'écran, tandis que quand ce sont des membres du FLN, cela devient plus allusif (cas du médecin et de la famille de l'ingénieur, les spectateurs étant censés imaginer le pire : le traitement infligé à la petite fille). Néanmoins, je trouve positif qu'une nouvelle fiction "progressiste" ne tente pas de faire passer les gars du FLN pour de petits saints.
Ces souvenirs nous sont proposés par l'intermédiaire de retours en arrière, le plus long (une quarantaine de minutes) constituant l'avant-dernière partie du film, avant une conclusion contemporaine un peu convenue.
14:28 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
Commentaires
Moi aussi j'adore Lucas Belvaux réalisateur. Je l'avais repéré dans Poulet au vinaigre, il m'avait beaucoup plu en tant qu'acteur.
Je suis d'accord avec toi. Notamment la scène où une invitée s'en prend à Feu de bois en l'insultant vertement, en lui disant "on sait ce que tu as fait" (nous devons le deviner)... personnage dont on n'entend plus parler. Ok Gégé n'est pas aimable mais toute cette haine est incompréhensible.
J'ai comme toi préféré les scènes pendant la guerre et par contre été très convaincue par le Feu de bois jeune.
Et j'ai trouvé la toute dernière scène (où l'on suit les trois personnages) virtuose.
Écrit par : Pascale | lundi, 14 juin 2021
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