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dimanche, 29 janvier 2023

Babylon

   Un peu plus de quatre ans après l'emballant First Man, Damien Chazelle revient avec un film controversé, consacré au premier âge d'or d'Hollywood, au tournant des années 1920-1930. Liberté et créativité côtoyaient un certain amateurisme, une débrouillardise érigée en art (excellente séquence de tournage dans le désert à la clé). Ce système était dirigé par une poignée d'hommes riches, qui employaient essentiellement des marginaux, qui pouvaient nourrir les espoirs les plus fous. (C'est bien évidemment une illustration du Rêve américain.)

   La deuxième séquence (celle de la soirée orgiaque) donne le ton du film. Jeunes comme vieux, riches comme pauvres, hommes comme femmes, blancs comme noirs, asiatiques ou latinos, homos comme hétéros participent à cette fête démesurée, donnée par l'un des plus gros producteurs. On y boit beaucoup d'alcool, on y danse, on s'y drogue, on y baise, on y pisse... et, parfois, on y meurt.

   Je pense que cette séquence capitale, résultat d'un énorme de travail de préparation, est une métaphore à la fois du film et du monde du cinéma. C'est une illusion, celle que la vie doit être une fête et que travailler dans le cinéma permettrait de mener cette vie. Dès le lendemain (et dans les jours qui suivent), on découvre la (parfois triste) réalité : nombre des participants à la fête, étincelants ce soir-là, se réveillent dans un taudis. Leur "vie réelle" n'a que peu de rapport avec la nuit de folie qu'ils ont vécue. Sur ce point, la conclusion arrive plus de deux heures plus tard, dans la bouche de Nellie LaRoy, sur un ton désabusé.

   En attendant ce moment-là, Chazelle nous fait (re)découvrir tout un pan de l'histoire du cinéma, lorsque les vedettes du muet ont été confrontées à l'arrivée du parlant. On pense bien entendu à The Artist, mais cette thématique a déjà été abordée dans des séries comme dans d'autres films, le dernier en date étant Downton Abbey II. De ce point de vue, l'un des sommets est la séquence de tournage dans les conditions du direct, avec la nouvelle vedette LaRoy, une batterie de techniciens, un ingénieur-son vétilleux, une réalisatrice de plus en plus désabusée, un régisseur qui pète les plombs... et des producteurs dubitatifs. (L'un d'entre eux a une tête à la Harvey Weinstein, sans doute pas un hasard...)

   On a reproché à Chazelle le côté scabreux, voire provocant, de certaines scènes. Mais je trouve que, de manière générale, c'est justifié... et filmé avec malice. Cela commence bien sûr par la scène de l'éléphant (la première du film), elle aussi sans doute une métaphore du travail d'un créateur. Tel Sisyphe avec son rocher, Manuel tente de faire remonter la pente à un véhicule chargé d'un pachyderme (destiné à la fameuse fête du producteur). Je pense que c'est une allusion au travail nécessaire pour réaliser un film ambitieux, une entreprise périlleuse, qui nécessite de gigantesques efforts... pour parfois donner de la merde (ou se faire traiter comme de la merde, par des critiques pédants). Bien plus tard, les projections (excessives) de vomi de Nellie LaRoy sont sans doute une manière de manifester la rancune du cinéaste envers les bien-pensants de la côte Est, à un moment où les financiers new-yorkais tentent de mettre la main sur Hollywood. On retrouve un peu la même thématique dans la bouche de Jack Conrad, acteur sur le déclin, qui dénonce le snobisme des "théâtreux" et proclame que son art vaut bien le leur. (De surcroît, le passage au parlant a incité les producteurs à davantage recruter des comédiens qui avaient suivi une formation classique.)

   L'intrigue est donc foisonnante, tournant autour de quatre personnages principaux, tous très bien interprétés. On peut estimer que les véritables héros sont Manuel le Mexicain et Nellie la starlette. Diego Calva incarne à la perfection le jeune homme serviable, travailleur et ambitieux... mais qui tombe amoureux de la mauvaise personne. Margot Robbie est une nouvelle fois parfaite, dans le rôle de ce personnage à la fois toxique et pathétique, le plus souvent légèrement vêtu... (C'est d'ailleurs l'une des rares critiques que je formulerais à l'égard du film, qui s'appuie lourdement sur la plastique avantageuse d'une tripotée de jeunes femmes, se comportant comme ses augustes prédécesseurs des années 1920-1930.) Je recommande tout de même la scène qui voit l'apprentie comédienne masturber...  une statue de glace.

   Deux autres destins complètent ce duo : celui de l'acteur confirmé Jack Conrad et celui du trompettiste de jazz Sidney Palmer. Brad Pitt est encore et toujours impeccable, dans une forme physique révulsante étourdissante et réussissant à créer l'émotion autour de son personnage, d'abord flamboyant, devenu ensuite has-been. Jovan Adepo est tout aussi remarquable dans la peau d'un musicien qui hésite entre la réussite à tout prix et la préservation de son intégrité.

   D'autres personnages, plus secondaires, retiennent l'attention, comme celui de l'assistant et ami de Jack (qui se perd dans la quête d'un bonheur impossible), celui du mafieux bien tordu (Tobey Maguire, qui casse délicieusement son image) et celui de Lady Fay Zhu (Li Jun Li, marquante en artiste lesbienne), qui semble tout aussi talentueuse que les vedettes, mais à qui l'on ne confie que des tâches subalternes.

   Je crois que je pourrais encore longtemps parler de ce film, tant il est riche et inspirant. Il contient une brochette de moments d'anthologie et une réflexion pas idiote sur ce qu'est la vie et le métier d'acteur, le tout dans un superbe habillage (décor, lumières et musique). Il faut juste avoir une demi-journée à lui consacrer.

22:51 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

La Guerre des Lulus (le film)

   Il s'agit de l'adaptation de la bande dessinée à succès, plus précisément des trois premiers tomes, avec quelques modifications.

   Celles-ci sont visibles dès le début. J'ai bien aimé l'accent mis sur la forme d'abandon que connaît Ludwig (dont le scénario accentue le côté intello, ce qui est plutôt bien vu). Son arrivée à l'orphelinat est l'occasion de mettre en scène le harcèlement dont les jeunes peuvent être victimes, à l'époque comme aujourd'hui. Là aussi, cet ajout à l'histoire d'origine est bienvenu. De plus, dans le rôle de l'instituteur, Alex Lutz est convaincant.

   En revanche, je n'ai pas du tout apprécié la manière dont les personnages de Lucien et Luce ont été modifiés. On les a vieillis pour en faire des adolescents (dès 1914) et introduire une idylle à rebondissements, très maladroite. Le Lucien de la bande dessinée est moins crétin que le "bogosse" égocentrique du film... et, surtout, Luce est moins superficielle. La jeune Paloma Lebeaut a heureusement un peu de charisme et contribue à rendre son personnage intéressant.

   Mes préférés sont Luigi et Lucas. Le premier reste le glouton de la BD, un costaud pas très subtil qui se révèle très utile dans des circonstances difficiles. L'humour vient aussi du benjamin de la bande, un petit gars qui en a marre de ne jamais être écouté... et parfois oublié par les autres. A la longue, c'est toutefois un peu agaçant.

   Parmi les adultes que la troupe rencontre, les plus intéressants sont incontestablement Hans, le soldat allemand déserteur (comme dans la BD) et l'espèce de sorcière qui vit seule en forêt. Celle-ci est incarnée par Isabelle Carré, qui joue une figure maternelle atypique.

   La suite est malheureusement moins réussie. Certaines péripéties ne sont pas crédibles et le jeu de certains acteurs pas toujours convaincant. (Par exemple, la référence à La Grande Vadrouille tombe à plat, tant la copie fait pâle figure en comparaison de l'original.) Le pire est atteint dans la séquence des tranchées, totalement invraisemblable. (Ces derniers temps, entre ce film et le médiocre Tirailleurs, on n'est décidément pas gâté question véracité historique.)

   Le passage par le familistère de Guise m'a aussi déçu. Enfin, la conclusion de l'histoire est tirée par les cheveux. On a essayé de la faire concorder avec la bande dessinée, mais c'est mal mis en scène.

   Du coup, cela semble destiné à un très jeune public... auquel on ne peut que recommander de plutôt lire la BD !