dimanche, 08 janvier 2012
Une pucelle de 600 ans
Le déplacement de Nicolas Sarkozy (à Domremy et Vaucouleurs) pour la célébration du 600e anniversaire (présumé) de la naissance de Jeanne d'Arc a donné lieu à une débauche d'articles de presse, plus ou moins intéressants. Cela a sans doute permis à leurs lecteurs de se (re)familiariser avec l'histoire de Jeanne d'Arc, qui n'est plus enseignée et dont la majorité de nos concitoyens ne savent bien souvent que ce qu'ils en ont vu à la télévision (qui privilégie un peu trop souvent le clinquant des théories fumeuses).
Plus intéressant fut le florilège de caricatures publiées principalement sur la Toile. Les auteurs ont souvent fait le lien entre le président de la République et un aspect de l'épopée johannique. Sur Le Post, olivero a mis en valeur l'approche de l'élection présidentielle (le second tour, puisqu'il est question du mois de mai) :
Sur agoravox, na! est moins optimiste pour l'actuel occupant de l'Elysée :
Sur Le Post encore, jocelynjosso semble aller dans le même sens, mais lui s'appuie sur un élément plus tragique de la vie de Jeanne :
Bien évidemment, les observateurs ont relevé la pêche aux voix à laquelle se livre Nicolas Sarkozy, notamment Tropicalboy, foncièrement antisarkozyste :
On notera le souci de doter le président-en-campagne-mais-qui-ne-veut-pas-le-dire d'un costume médiéval... et d'un âne pour monture, sans doute pour relever la majesté de la démarche présidentielle.
Jusqu'à il y a peu, on avait tendance à accuser l'ancien maire de Neuilly de marquer Jean-Marie Le Pen à la culotte. On retrouve encore cette interprétation à l'occasion de ce 600e anniversaire, chez Christian Creseveur :
Le dessinateur s'est appuyé sur la passion entretenue par le président pour le cyclisme. Cependant, depuis une paire d'années, ce n'est plus au "père" du FN que l'on compare Nicolas Sarkozy, mais à sa fille. Il est donc logique que la majorité des caricatures parues ces derniers jours ménagent une place à Marine Le Pen.
C'est sur la rivalité entre les deux (futurs) candidats que les satiristes se sont penchés. A tout seigneur tout honneur, Plantu, dans Le Monde daté du 7 janvier, met en scène la dispute autour de Jeanne d'Arc:
Avec son sens de l'à-propos, Plantu fait se télescoper deux événements apparemment non liés. Mais il donne du sens à ce rapprochement : à quoi sert de se quereller à propos de Jeanne d'Arc quand des puissances financières se servent de la France comme terrain de jeu ? Le déchirement du drapeau national pourrait être interprété comme l'affaiblissement de notre pays dans des disputes sans fin, pendant que l'essentiel se joue ailleurs.
La rivalité devient frontale sous le crayon de GdB :
S'il n'est pas inintéressant, ce dessin n'en souffre pas moins de la comparaison avec la production de Plantu. Je l'ai choisi parce qu'il est aussi révélateur de l'un des emprunts effectués par les caricaturistes à l'imagerie johannique : le verbe "bouter".
On retrouve celui-ci dans deux créations antagonistes, l'une (de wingz) mettant en scène Nicolas Sarkozy...
... l'autre (trouvée sur lasemainedegaby) centré la nouvelle présidente du Front national :
Les connaisseurs auront deviné quel est le document source du photomontage : l'affiche du film de Jacques Rivette Jeanne la Pucelle (plus précisément du premier volet : Les Batailles)... qui ne m'avait pas enthousiasmé, à l'époque.
Mais le plus étonnant est la place accordée par les caricaturistes à Nadine Morano, ministre chargée de l'Apprentissage et de la Formation professionnelle, donc a priori pas super concernée par la commémoration de la naissance de Jeanne d'Arc. Mais elle est née à Nancy (elle a d'ailleurs passé son enfance dans un quartier populaire emblématique : le Haut du Lièvre) et est élue de Toul, deux villes de Lorraine donc.
De surcroît, avant de prendre le nom de Morano, elle s'est appelée Pucelle... cela ne s'invente pas ! Comme en plus la dame n'est pas réputée pour sa subtilité, elle en prend plein la figure :
On commence gentiment avec Baudry (sur Le Post), qui pointe deux travers de la ministre : sa passion compulsive pour Twitter et son côté groupie de Nicolas Sarkozy. C'est joliment dit, je trouve.
L'identification progresse avec un nouveau photomontage trouvé sur lasemainedegaby :
Il est inspiré d'une photographie extraite du film de Victor Fleming (pas emballant non plus), dans lequel Ingrid Bergman incarnait la "bonne Lorraine" :
On retrouve Tropicalboy, plus incisif : il fait le parallèle entre la démarche du patron (N. Sarkozy) et le comportement de son employée dévouée :
C'est sur le site d'une talentueuse dessinatrice (qui signe Kate ou Kat) que j'ai trouvé la plus ancienne dénonciation de cette tentative de récupération, à la date du 30 décembre 2011 :
On n'ose en effet imaginer ce que certains auraient pu faire dire à cette pauvre Jeanne si elle avait été blonde ! (Oui, elle était bien brune... et pas très grande : autour d'1m60 !)
Pour la petite histoire, la dessinatrice a récidivé le 6 janvier :
Sur le fond, on pourrait objecter à l'auteure que c'est bien au cours de la Guerre de 100 ans qu'un début de conscience nationale a émergé dans notre pays, même si ce fut variable dans l'espace et dans le temps. Vercingétorix, lui, a vu son rôle "national" exalté à partir du XIXe siècle.
Cela nous amène à aborder un aspect a priori anecdotique de la représentation de Jeanne d'Arc : le drapeau (ou plutôt l'étendard) qu'elle brandit. Le véritable était blanc, à fleurs de lys. S'y trouvaient deux anges et surtout l'expression "Jhesus Maria". On la retrouve très souvent sur les tableaux et les sculptures consacrées à la sainte... par exemple à Rodez, dans l'église Saint-Amans :
Tel n'est pas le cas dans les caricatures publiées ces jours derniers. Ainsi, Bar-zing nous montre la Pucelle accoutrée d'une drôle de manière, les couleurs semblant fantaisistes :
Je vois bien quelle est l'intention derrière : cet héritage monarchiste de droite, xénophobe, est comparé à du crottin. C'est pertinent dans le contexte actuel, mais la référence historique est approximative concernant Jeanne.
Sur urtikan.net, Deligne n'est pas plus dans le vrai quand il affuble la Pucelle d'un drapeau tricolore :
Là encore, le propos est construit, et pas idiot sur le fond : Nicolas Sarkozy compte sur le sentiment patriotique de certains électeurs pour assurer sa victoire en 2012. Pour cela, il ressort de "vieilles références". Notons que le dessinateur a croisé ce sujet avec la réforme des retraites (sans cesse remise sur l'établi...).
Rappelons toutefois que le drapeau tricolore, créé lors de la Révolution française, n'est devenu emblème national que dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Ce florilège risque de s'enrichir la semaine qui vient : les hebdomadaires qui paraissent entre le mercredi et le vendredi devraient contenir quelques caricatures savoureuses. Il est même possible que le sujet refasse l'actualité des quotidiens. Plantu, qui s'était lancé naguère dans une série strauss-kahnienne (il en a même fait un bouquin), vient à nouveau (dans le numéro daté du 8 janvier 2012) de puiser dans les références johanniques pour commenter l'actualité :
Pour drôle que soit le dessin, il s'appuie, comme tant d'autres, sur une idée reçue : Jeanne a très peu gardé les moutons, même si elle a beaucoup contribué aux travaux de la ferme. Il faut dire que l'idée a été longtemps véhiculée par les histoires saintes et illustrée par des peintres reconnus, comme Lenepveu :
20:20 Publié dans Jeanne d'Arc, Politique, Presse, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, actualité, jeanne d'arc, sarkozy, femme, france
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