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samedi, 13 mai 2017

L'Opéra

   Ce documentaire est signé Jean-Stéphane Bron, auquel on doit L'Expérience Blocher et surtout Cleveland contre Wall Street. Il est consacré à l'Opéra de Paris, une institution française s'étendant sur deux sites (Garnier et Bastille) et développant deux activités principales : la représentation lyrique et le ballet. C'est cet ensemble qui fait l'objet du film, toutefois davantage porté sur la partie opéra, durant la saison 2015-2016.

   Le début est un hommage à Paris, vue du dernier étage. Au premier plan est érigé un drapeau français. Au loin, on distingue l'église Notre-Dame, la Tour Eiffel et les immeubles du quartier de la Défense. C'est le repaire du directeur de l'établissement, Stéphane Lissner, qu'on saisit en pleine réunion. Le montage est habile : les propos tenus sont entrecoupés de fulgurances musicales, qui soulignent ce qui est dit ou viennent parfois en contrepoint. Dès le début, on sent qu'on a affaire à quelqu'un qui connaît son sujet.

   C'est d'ailleurs une constante dans le film. Bron manifeste un incontestable savoir-faire dans le choix de ses cadres. Le travail des différentes catégories de personnel est correctement mis en scène, avec une grande variété de plans. Je trouve par exemple que les coulisses sont très bien filmées, en interne ou pour montrer ce qui se passe sur la scène.

   Bien entendu, on entend du chant et de la musique. Du côté vocal, je garantis que, même en répétition, les artistes sont impressionnants. (La qualité du son est très bonne.) Notons que l'on voit et entend surtout des hommes, l'un d'entre eux, Mikhail Timoshenko, un Russe de 21 ans issu d'une bourgade du sud de l'Oural, bénéficiant de la couverture la plus étendue. Avec sa gueule d'ange, sa voix d'or et sa simplicité, gageons que c'est une future star de l'art lyrique. Comparée aux figures masculines, très positives, la seule grande chanteuse qui nous est présentée est limite antipathique. Elle se la joue diva. Certes, elle est belle et, quand on l'entend, on comprend tout de suite qu'elle a du talent. Mais on perçoit assez rapidement son narcissisme (à travers sa dépendance au téléphone portable) et son comportement un peu méprisant avec le "petit personnel".

   Celui-ci est mis en valeur par le réalisateur. On découvre les coiffeuses, les maquilleuses, les costumières (tardivement toutefois). On suit davantage les assistantes, au service des vedettes, discrètes, efficaces... et un peu mélomanes. Bien que le film dure 1h50, on n'a pas le temps de voir en détail toutes les corporations au travail, mais on a quand même un aperçu assez complet de la machinerie d'un opéra... en fait de plusieurs (contrairement à un autre documentaire, Traviata et nous, centré sur la préparation d'une seule oeuvre). Les extraits de représentation qui nous sont proposés permettent de se faire une idée de l'éclectisme de la programmation, qui, cette année-là, proposait aussi bien une relecture contemporaine de Moïse et Aaron qu'une nouvelle adaptation, haute en couleurs, des Maîtres Chanteurs de Nuremberg.

   Un détail cocasse semble avoir marqué J-S Bron : l'utilisation d'un vrai taureau comme figurant, sur scène, suscitant beaucoup d'inquiétude parmi la troupe. Signalons que ce "rôle" particulier a fait l'objet d'un casting, l'un des prétendants portant un nom de bon augure : "Fiasco" ! Pour la petite histoire, sachez que lauréat a pour identité "Easy Rider". Il a été davantage bichonné qu'un caniche chez le toiletteur ! Et quelle magnifique paire de couilles !

   Le hasard a voulu que la saison 2015-2016 soit particulièrement mouvementée. On perçoit les échos des massacres de Paris de novembre 2015 et des mouvements sociaux de 2016. Des tensions agitent le personnel, qu'on sent divisé mais représenté par des syndicats puissants. En simplifiant à l'extrême, il semblerait que les chanteurs-vedettes et les membres de l'orchestre (dirigé par le charismatique Philippe Jordan) soient des adeptes de l'art pour l'art, pour qui jouer/chanter est plus important que tout, alors que du côté du choeur et du ballet, on soit plus sensible à ce qu'il se passe de l'autre côté des murs.

   Cela m'amène à l'un de mes regrets : la faible présence à l'écran des ballerines et danseuses-étoiles. On les voit un petit peu au début puis, par fragrances, par la suite. A chaque fois, je suis touché par la grâce qui émane de leurs mouvements. Le réalisateur prend aussi soin de nous montrer le revers de la médaille : les pieds déformés d'une danseuse et l'épuisement d'une autre, juste après une scène. Il est aussi possible que les conflits qui ont agité la composante ballet de l'opéra aient perturbé la réalisation du documentaire. Sans être du sérail, on comprend que les relations entre l'enfant chéri des médias Benjamin Millepied (Monsieur Portman au civil) et la troupe de danseurs ont été houleuses.

   Mais tout cela nous fait rester dans un monde assez élitiste, un entre-soi encouragé par le prix élevé des places (aucun opéra à moins de 160 euros, à l'époque !). On voit la direction réfléchir au nécessaire élargissement du public, alors que, dans le même temps, l'Etat impose des compressions de personnel. Cela nous mène à une expérience intéressante, une classe "école et opéra", composée d'élèves du primaire appartenant tous aux "minorités visibles". (Au passage, il faudrait faire comprendre aux élites bien-pensantes que les descendants d'immigrés ne constituent pas le seul public exclu de la culture classique...) On est attendri en suivant ces bouilles enfantines presque gênées de manipuler des instruments d'une valeur faramineuse. Par contre, je déconseille l'audition de la production finale (un concert devant les familles) : ça fait mal aux oreilles ! (Pour une belle interprétation du deuxième mouvement de la septième symphonie de Beethoven, voir ici.)

 

14:18 Publié dans Cinéma, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

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