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samedi, 24 janvier 2015

"Tout est pardonné"

   J'ai enfin réussi à me procurer le numéro de Charlie Hebdo publié le 14 janvier. C'est d'ailleurs un signe qui ne trompe pas : même en Aveyron, à Rodez, les lecteurs se sont rués chez les marchands de journaux. Cela confirme l'impression ressentie au cours de la marche du dimanche 11 janvier : un grand nombre de mes concitoyens a voulu manifester sa condamnation des assassinats et son attachement à la liberté d'expression, ainsi sans doute qu'à la laïcité.

   J'ai quand même failli tomber de ma chaise quand j'ai appris que ma mère avait elle aussi acheté un exemplaire de l'hebdomadaire satirique ! Elle qui n'en a jamais été lectrice, elle qui trouve les caricatures vulgaires, elle qui fréquente assidûment les églises et n'apprécie pas que l'on dénigre les religions (pas que la catholique, d'ailleurs) ! Pas très intéressée par la lecture, elle a rapidement donné l'exemplaire à un membre de la famille...

   Commençons par la Une, qui a fait polémique, pour plusieurs raisons :

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   Le premier motif de mécontentement de certains musulmans est la représentation de Mahomet. Selon ces personnes, il est interdit (Par qui ? Mystère...) de représenter le prophète de l'islam. C'est l'une des idées reçues qui circulent à propos de cette religion, idée reçue qui a été démontée dans un article des "Décodeurs" du Monde. Ainsi, les musulmans qui réclament que l'on ne représente pas Mahomet ne sont les vecteurs que d'une interprétation de l'islam.

   Ceci dit, ils pourraient aussi s'appuyer sur la Bible (dont s'est inspiré le Coran), notamment les Dix Commandements. Il y est clairement question du rejet de toute représentation imagée. Cela explique que, dans les synagogues, on ne trouve pas de représentation humaine, encore moins de Yahvé. Mais on ignore souvent que le christianisme (qui est né du judaïsme) a lui aussi été agité de violents débats au sujet des images. Ce sont d'abord les orthodoxes de l'Empire byzantin qui ont connu la querelle de l'iconoclasme. Plus tard, à la Renaissance, l'Europe occidentale a été le théâtre d'affrontements sanglants entre catholiques et protestants, ces derniers s'en prenant aux représentations imagées.

   Il reste que, pour nombre de musulmans, Mahomet n'est pas qu'un fondateur, un homme exceptionnel. Il a le statut d'un quasi-dieu, ce qui rapproche l'islam du christianisme (qui a tenté de résoudre la quadrature du cercle monothéiste avec l'invention de la Trinité, sorte de "trois dieux en un").

   L'autre erreur des intégristes est de (faire semblant de) croire que des préceptes religieux peuvent s'imposer à la loi française. Fort heureusement, nous vivons dans une république (imparfaitement) laïque. Elle n'est pas pour autant athée, ni islamophobe. Ici, nous rencontrons deux problèmes. Le premier est l'instrumentalisation de cette affaire par des dirigeants (politiques et/ou religieux) musulmans qui savent pertinemment que l'islam n'est pas mis en danger par ces caricatures, mais qui profitent de l'occasion pour asseoir leur pouvoir ou prendre la main sur des adversaires plus timorés. Le second problème est l'inculture des masses sous-éduquées, auxquelles on tente de faire croire tout et n'importe quoi.

   Le deuxième motif de mécontentement est la manière dont Mahomet est dessiné. Pourtant, elle n'est pas nouvelle. Le turban et la barbe sont des attributs classiques du prophète des musulmans, y compris dans les représentations islamiques. Des discussions sont nées de la présence supposée du sexe masculin sur la caricature. Voici ce que cela donne lorsqu'on la retourne :

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   En y regardant bien (et avec un peu d'imagination), on peut reconnaître un premier pénis, formé par les yeux et le nez de ce Mahomet d'opérette. Un deuxième membre masculin (plus imposant) serait composé du turban et du visage du Prophète. On pourrait en distinguer un troisième, formé par ce même turban, avec la bandelette qui dépasse de la tête du personnage.

   Même si je reconnais que la remarque ne manque pas de fondement, il faut rappeler que le dessinateur Luz a coutume de représenter Mahomet ainsi. On a déjà pu le voir notamment en couverture du numéro intitulé Charia Hebdo, qui avait valu à l'hebdomadaire satirique les foudres de certains agités du bocal.

   Il est même plutôt sympathique, au regard de la version de Cabu, qui avait fait la Une d'un autre numéro désormais collector, C'est dur d'être aimé par des cons. Celle-ci avait d'ailleurs fait l'objet de la même polémique que celle qui touche le journal paru le 14 janvier. On avait accusé Cabu d'insulter tous les musulmans, alors qu'il ne visait explicitement que les intégristes. Mais pour cela, encore fallait-il avoir lu le titre qui accompagnait le dessin :

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   Ici, je me suis contenté de procéder à un petit truquage maladroit, mais je me souviens qu'à l'époque, j'avais vu des reproductions de la Une, sans le texte d'accompagnement.

   Concernant la représentation "sexuée" de Mahomet, certains mauvais esprits pourraient être tentés d'affirmer que Luz sous-entend que le prophète des musulmans est une "tête de noeud"... D'autres esprits ont cru reconnaître un sexe féminin (non épilé) dans le dessin du bas du visage... (Cabu l'avait fait jadis avec un portrait de Yasser Arafat... qui n'avait pas suscité de telles réactions.) C'est surtout révélateur des obsessions qui habitent (en un seul mot, hein !) l'esprit de certains croyants, musulmans ici, catholiques là, quand il a été question de l'enseignement de l'égalité des sexes à l'école.

   Enfin, je me dois de rappeler qu'il n'est pas rare que des caricaturistes "introduisent" un élément sexuel dans la représentation d'un personnage. En France, ce fut notamment le cas de Plantu, dans Le Monde, à propos de Dominique Strauss-Kahn. Il n'y a vraiment pas de quoi en faire un drame.

   Le troisième motif de mécontentement (à propos de la couverture) est le texte d'accompagnement. Cette fois-ci, ce sont plutôt les amis de Charlie qui n'ont pas apprécié (ou compris) le message. Luz n'a pas voulu trop en dire, mais l'on sent qu'il y a une intention conciliatrice derrière (du genre "on représente votre prophète, certes, mais sans intention de nuire"). Cela n'a pas forcément été perçu ainsi par les musulmans extrémistes. A contrario, les amis de Charlie ne voient pas ce que l'hebdomadaire aurait à se faire pardonner. La liberté d'expression ne se mendie pas. Le dessin, avec la pancarte "Je suis Charlie", se suffisait à lui-même.

   Passons au contenu du journal, à présent. La tentation des lecteurs est de passer directement de la première à la dernière page. D'abord, parce que c'est une manipulation très facile à réaliser. Ensuite, parce que c'est à cet endroit que se trouvent "les couvertures auxquelles vous avez échappé", parfois meilleures que celle qui a été retenue pour faire la Une. J'ai particulièrement aimé celles de Catherine Meurisse :

Catherine 1.jpg

Catherine 2.jpg

   La seconde fait allusion à l'action de margoulins, qui ont voulu se faire de l'argent facile avec le slogan (contestable) créé par Joachim Roncin. Plus d'une centaine de tentatives de dépôt de marque (dont deux pour des armes...) ont été refusées par l'INPI.

   Les pages 2 et 3 sont remplies de dessins des défunts caricaturistes, qui encadrent l'éditorial de Gérard Biard. Celui-ci a bien senti que le drame qui a frappé l'hebdomadaire satirique allait faire l'objet de récupérations. C'est l'occasion de réaffirmer la défense de la laïcité. Il profite de l'occasion pour rappeler que les collègues aujourd'hui quasi unanimes à les soutenir ont été plus réticents les années passées, notamment en 2012, lorsque l'affaire des caricatures avait rebondi.

   Les textes occupent ensuite davantage de place. On trouve notamment un papier de Jean-Yves Camus sur les thèses complotistes nées dans certains esprits dérangés. Très instructif. Les pages suivantes m'ont moins intéressé. L'intérêt est remonté à la lecture de la double-page centrale, consacrée à la manifestation parisienne du 11 janvier. Sur la partie gauche, une double-bande verticale (signée Luz) fait le bilan des changements positifs et négatifs survenus depuis les assassinats.

   Le suite est un mélange d'inédits des caricaturistes décédés, de dessins de ceux qui sont encore vivants et de textes plus ou moins intéressants. Je retiens un épisode des aventures des inénarrables Maurice et Patapon, sans doute la meilleure création de Charb :

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   La suite (début février) nous dira si Charlie Hebdo sait rebondir. Son assise financière sera (provisoirement) plus solide. Le talent suivra-t-il ?

jeudi, 27 septembre 2012

Caricatures de Mahomet, le retour

   Comme en 2006, l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo a rebondi sur une provocation droitière pour exprimer son anticléricalisme viscéral. En 2006, il avait pris la suite d'un quotidien conservateur, le Jyllands Posten (plus agressif envers l'islam qu'envers les autres religions). En 2012, les caricaturistes jouent avec la vague d'indignation suscitée par le (très mauvais) film islamophobe L'Innocence des musulmans. Le numéro de mercredi 19 septembre a été rapidement épuisé. J'ai pu me le procurer grâce au retirage effectué en fin de semaine :

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   A la lecture du journal, je dois dire que j'ai eu du mal à comprendre pourquoi l'affaire avait pris de telles proportions. (Je me fais la même réflexion à propos du film, un navet déjà un peu ancien, qui a sciemment été remis en avant.) La couverture est bien gentille... et ne fait qu'énoncer une vérité : il est aujourd'hui mal vu de s'en prendre aux religions minoritaires. L'association au film Intouchables est pleinement justifiée : le dessinateur a voulu critiquer une forme de "politiquement correct". Ce n'est pas une insulte au film que de dire qu'au-delà de la qualité de ses interprètes, le succès qu'il a rencontré est lié au sentiment de culpabilité éprouvé par nombre de personnes vis-à-vis des handicapés... et ce fut aussi l'occasion de tresser des couronnes à un acteur (fort sympathique au demeurant) issu d'une "minorité visible".

   La page 2 est dédiée aux caricatures anti-intégristes (et pas antimusulmanes). La déception vient du fait qu'elles ne sont pas très drôles.

   La quatrième de couverture est elle remplie de dessins dénigrant Mahomet et l'islam. On sent clairement l'intention de rabaisser, de faire mal. Mais rien n'oblige un musulman pieux à acheter ou lire cet hebdomadaire. Ces caricatures sont de surcroît d'un niveau médiocre. Une seule a vraiment éveillé ma curiosité :

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   Là, il y a du fond !

   L'intérêt est de voir comment d'autres organes de presse ont réagi. En 2011, quand le siège du journal avait été incendié (et le site internet piraté, déjà), c'est la solidarité professionnelle qui l'avait emporté sur les divergences d'opinion. Aujourd'hui, le rappel (nécessaire) de la défense de la liberté d'expression a été quelque peu étouffé par un discours plus critique à l'égard de la démarche de Charlie Hebdo.

   Le quotidien Le Monde illustre assez bien cette attitude. Le 19 septembre, le ton est donné par celui qui est devenu, à mon avis, le meilleur caricaturiste du journal, Xavier Gorce :

Gorce 19 09 2012.jpg

   Ses "indégivrables" pingouins occupent la page 2 de la version papier du journal. La lecture de ses strips est très souvent un pur délice.

   Celui que j'ai reproduit ci-dessus est un éditorial à lui seul. Comment des musulmans qui se disent choqués par ceux qui dénigrent leur religion (l'accusant de propager le fanatisme et la violence) peuvent-ils espérer être crédibles s'ils commettent précisément des actes qui confirment le cliché qu'ils dénoncent ?

   Mais, dès le lendemain, Xavier Gorce montre qu'il n'adhère pas pour autant à la démarche de Charlie Hebdo :

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   Est-ce vraiment faire oeuvre de satiriste, aujourd'hui en France, que de dénoncer sans cesse les aspects rétrogrades de la religion musulmane ?

   Le jour d'après, en "une", c'est au tour de Plantu de régler ses comptes :

Plantu 21 09 2012.jpg

   Charb y est représenté en beauf' et le dessinateur associé au Monde (souvent égratigné par ses collègues "de gauche" dans le passé) ne se prive pas d'aller dans le sens de Xavier Gorce. En clair pour lui, c'est de la provocation à deux balles. Le "coup de pied de l'âne" est donné par la souris, alter ego de Plantu. Elle sodomise sans complexe un drôle de chien... qui n'est autre que Maurice (de Maurice et Patapon), animal fétiche de Charb. Et pan dans les fesses !

   Dans le même numéro du Monde, Sergueï s'en prend plutôt aux intégristes chrétiens qui ont conçu le film antimusulman :

Serguei 21 09 2012.jpg

   Sur la Toile, on peut trouver des propos approchants sur le site de Bakchich, qui estime qu'en France il y a quand même deux poids, deux mesures :

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   J'en reviens toujours à Xavier Gorce, qui a bien perçu le risque qu'il y avait à laisser Marine Le Pen se présenter en défenseure de la laïcité à la française :

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   Mais laissons la parole à Charb, qui n'a pas tort de rappeler, dans un entretien accordé au Monde, que ses dessins sont moins dangereux pour la santé que l'activisme des militants intégristes. On a de plus oublié aujourd'hui que, si le catholicisme tolère (de gré ou de force) la critique acerbe, c'est le résultat de décennies de luttes, d'oppositions parfois très violentes. Nous ne sommes peut-être qu'au début d'une ère de questionnements abrupts à propos de la place de l'islam et des musulmans en France...

vendredi, 04 novembre 2011

Allah queue leu leu...

   ... tout le monde s'éclate, apparemment ! Et pourtant, à la base, il s'agit d'une tragique affaire : Charlie Hebdo insulté, Charlie Hebdo piraté, Charlie Hebdo incendié... mais Charlie Hebdo "libérationné", "libérationné" par lui-même, "libérationné" par le peuple journalistique... avec le concours des autorités de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière ! (Pour écouter l'auguste original, allez ici.)

   L'objet du courroux est le numéro qui porte cette couverture :

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   Signalons que mercredi matin, à 10 heures, il était introuvable à Rodez. Voilà un succès qui, s'il n'est pas, pour l'instant (attendons la réimpression), aussi important en volume, n'est pas sans rappeler la ruée qui s'était produite sur le numéro reproduisant les caricatures de Mahomet.

   Hébergés dans les locaux de Libération donc, les rescapés de Charlie ont bricolé un quatre-pages qui a servi ce jeudi de surcouverture au quotidien des bobos de gauche :

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   A l'intérieur, on trouve un peu de texte (pas super intéressant) et une brochette de caricatures, dont la meilleure est à mon avis celle-ci :

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   On peut en découvrir davantage sur le site internet du quotidien.

   D'autres organes de presse, qui prisent moins le dessin satirique, ont manifesté leur soutien. Le Monde publie les caricatures de son confrère, que je n'ai pas trouvé très inspirées. Plus intéressants sont les dessins de Cartooning for peace, en particulier celui-ci :

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   Plusieurs de ces oeuvres sont aussi visibles (parmi d'autres) sur le site de Courrier international (une publication du groupe Le Monde, faut-il préciser). J'aime beaucoup ce qu'a fait Kap :

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   Pour revenir à l'affaire, il faut préciser que, pour l'instant, on ne peut établir aucun lien direct entre l'incendie volontaire et les deux piratages du site internet de l'hebdomadaire satirique.

   Dans le premier cas, d'après un témoin (un chauffeur de bus ?), deux (ou trois) hommes en capuche auraient été vus, vers minuit ou une heure du matin. Au passage, ils avaient préparé leur coup, repéré les lieux, puisqu'aucun signe extérieur ne permettait d'identifier le siège de Charlie Hebdo, récemment déplacé.

   Plusieurs heures plus tard, c'est le site internet qui a été attaqué, à deux reprises. Signalons que ceux qui revendiquent l'une des attaques (des hackers turcs) se démarquent clairement de l'incendie criminel. C'est finalement leur attaque qui a été la plus efficace puisque, au moment où j'écris ces lignes, le site internet de Charlie Hebdo est toujours hors service, alors que le journal, dont les sauvegardes n'ont pas été détruites, va être réimprimé. Il a de surcroît bénéficié d'un bon coup de pub. Les incendiaires, quels qu'ils soient, n'ont finalement pas fait énormément de dégâts.

vendredi, 11 juin 2010

Clotilde Reiss, Ahmadinejad et les media français

   J'ai fini par aller regarder le 20 heures de TF1 du 7 juin dernier. Pour accéder directement à la dizaine de minutes consacrée à l'entretien entre Laurence Ferrari et Mahmoud Ahmadinejad, on peut passer par le menu "chapitres" sous la fenêtre, à droite, ou aller chercher la séquence en dessous, parmi le florilège proposé.

   Cela commence par une demi-surprise : au lieu d'aborder un sujet iranien, la journaliste française évoque la crise de Gaza. Est-ce son choix ou une demande des autorités iraniennes ? On ne le sait pas. On peut penser que, comme elle a l'intention de poser quelques questions gênantes, débuter en tendant une perche à son interlocuteur est une forme de politesse. On pourrait aussi penser que, comme cet entretien a été préparé bien en amont (comme on l'apprend sur le site du Figaro... les dénégations des gens de TF1 ne me convainquent pas franchement), à l'actualité de la crise de Gaza s'est superposée cette volonté propagandiste de Téhéran : se poser en défenseur des Palestiniens est gage de popularité dans le monde arabo-musulman.

   Très vite, la Française s'enhardit et interroge le président sur Israël. Sa réponse est habile. S'il réaffirme l'absence de légitimité (selon lui) de l'Etat juif, il est en fait sur une position proche de celle du Hamas : il déteste Israël, mais se dit d'abord défenseur de la justice pour les Palestiniens, ce qui ménage un espace pour la négociation. Néanmoins, la formule "que chacun rentre chez soi" est clairement la proposition de la suppression de l'Etat juif (mais pas par la force... tant qu'il n'en a pas les moyens ?).

   Là où Ahmadinejad est (involontairement) comique, c'est quand il dit "s'en remettre à la voix du peuple" (palestinien), sous-entendu : si ces imbéciles de Palestiniens décident librement de cohabiter avec ces enfoirés d'Israéliens, il n'est pas contre. Que n'applique-t-il ce sage précepte à sa propre politique intérieure ! L'an passé, c'est contre la voix du peuple (volée à l'issue d'un scrutin truqué) qu'il a lancé ses sbires... ce que Laurence Ferrari s'est bien gardée de rappeler.

   Sur la bombe atomique, le président iranien est évasif et cherche à s'en tirer par une pirouette. Il en ressort pour moi clairement que son gouvernement cherche à doter le pays de l'arme atomique, peut-être pas pour en agresser un autre, mais pour éviter d'être attaqué par les Etats-Unis.

   Au passage, il "enfume" son interlocutrice en affirmant qu'il n'y a pas de zone d'ombre dans l'histoire des relations franco-iraniennes. Il fait sans doute allusion au séjour de l'ayatollah Khomeyni en France, à Neauphle-le-Château. Mais il semble oublier qu'après avoir hébergé le fondateur de la République islamique, notre pays a accueilli ses opposants. Il laisse aussi de côté l'important contentieux autour d'Eurodif, les attentats perpétrés en France et ailleurs, ainsi que les prises d'otages. Autant de précisions que Laurence Ferrari a négligé d'apporter, peut-être aussi pour ne pas abuser du "temps de cerveau disponible" des téléspectateurs de son journal.

   Quand enfin il est question de Clotilde Reiss, M. Ahmadinejad nous ressort la "version officielle" : il n'y a pas eu de marchandage. Cet acharnement des gouvernements français et iraniens à maintenir ce tissu de mensonges se comprend. Nicolas Sarkozy ne veut pas perdre la face : après avoir levé le menton et proclamé haut et fort qu'il ne cèderait pas, il a baissé son pantalon. De son côté, Mahmoud Ahmadinejad ne veut pas passer pour un preneur d'otages, un rançonneur... et il a connaissance de l'agenda international. Je ne serais pas étonné d'apprendre que cette entrevue ait fait partie du "marché", puisqu'elle a été diffusée juste avant que le Conseil de Sécurité de l'O.N.U. ne se prononce sur des sanctions contre l'Iran. Sont notamment dans le collimateur les Gardiens de la Révolution, auquel le président iranien est lié. Il est indigne que le journal télévisé le plus regardé de France se soit prêté à une opération de propagande de la dictature iranienne.

   Quant à Clotilde Reiss, elle refait parler d'elle. On peut entendre son témoignage sur France Culture. La première partie a été diffusée jeudi 10, la deuxième étant programmée vendredi 11, à 13h30. Elle y raconte sa détention et commente des dessins qu'elle a réalisés. On peut les voir dans le Libération daté du 10 juin. Comme j'ai acheté la version papier, je vous propose l'un d'entre eux :

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   On se demande toutefois comment ces croquis ont pu être faits pendant la détention de Clotilde Reiss, comme l'affirme le quotidien. Il est plus vraisemblable qu'ils aient été exécutés juste après, pendant la période de résidence surveillée à l'ambassade de France (après le versement d'une caution -200 000 euros selon Libé, 210 000 selon Le Point- qui, rappelez-vous, a sans doute finalement servi à payer l'amende au tribunal iranien).

   Dans la seconde partie de l'entretien, Clotilde Reiss fait allusion à l'emballement médiatique que son "aventure" a suscité et dit avoir été (rétrospectivement)  touchée par une caricature parue dans Le Canard enchaîné. C'était dans le numéro du 12 août 2009 :

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   Mais revenons à l'entretien de Laurence Ferrari avec Mahmoud Ahmadinejad. Celui-ci nous a réservé quelques belles formules pour la fin : "La situation était bonne l'an dernier et elle le reste" ; "L'Iran est un pays libre" (J'en vois qui rigolent au fond ! Ce n'est pas bien !) ; "L'Iran est le pays des manifestations" (surtout de celles des opposants à la dictature)... Vite, un bêtisier !

   Après, il y a la question du foulard. Le voir porté par une Française non musulmane me choque, comme beaucoup de monde. Mais, en y réfléchissant bien, la justification de Laurence Ferrari ne manque pas de pertinence. Elle respecte la "législation"" (même mauvaise) du pays dans lequel elle se trouve et donc, cela implique la réciprocité, c'est-à-dire qu'en France, les musulmanes adaptent leur manière de s'habiller aux lois françaises. Et puis, après tout, quand on ne veut pas d'ennui, le mieux est d'éviter de se rendre dans ce genre de pays rétrograde.

mardi, 18 mai 2010

Quelques réflexions sur l'affaire Clotilde Reiss

   Je vais commencer par quelque chose qui peut sembler anecdotique. Et si Clotilde Reiss avait été un "cageot", l'engouement pour sa cause en aurait-il pâti ? En fait, c'est depuis son retour en France que je me suis posé la question. Auparavant, les seules images que j'avais vues d'elle provenaient d'Iran, à l'occasion de ses comparutions devant la justice (sur le site de L'Express par exemple) :

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   Elle était vêtue d'une manière aussi peu sexy que possible. Toutefois, à l'occasion, un plan rapproché (trouvé sur un site iranien contestataire) permettait de percevoir son charme, malgré l'horrible foulard qui la défigurait :

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   Après sa libération, Le Monde (qui utilise une photographie de l'AFP) nous la présente sous une forme très "BCBG", sobrement classieuse et mignonne :

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   Très vite, deux polémiques ont émergé. La première porte sur les activités menées par la jeune universitaire en Iran. L'article du Monde fait état des affirmations d'un ancien sous-directeur de la D.G.S.E., qu'il a très vite été conduit à nuancer. Il n'y a pas d'étonnement à avoir. Il me semble qu'il est assez traditionnel que des Français travaillant à l'étranger, en général d'un bon niveau de formation, servent de temps à autre de source d'informations (pas ultrasecrètes, non) à la représentation extérieure de leur pays. Clotilde Reiss n'est sans doute pas une espionne, ou alors elle a sacrément bien simulé ses maladresses !

   La seconde polémique porte sur le possible marchandage qui a abouti à la libération de la jeune Française. Cela a commencé, au début du mois de mai, par la libération d'un ingénieur iranien soupçonné de trafic, après une longue détention provisoire. Le comique de l'histoire (encore que... je ne sais pas s'il y a vraiment matière à rire) est que tout le monde s'accorde à dire que ce personnage fait du commerce de produits d'armement au bénéfice de l'Iran, mais que ce n'est pas un délit en France, contrairement aux Etats-Unis.

   La deuxième couche vient de l'expulsion-libération d'Ali Vakili Rad. Cet homme a fait partie du commando qui a assassiné, en France, l'ancien Premier ministre du Shah d'Iran Chapouk Bakhtiar, en août 1991. Pas de bol pour lui, il a été très vite arrêté, puis jugé et condamné, en 1994, à la réclusion criminelle à perpétuité, avec 18 ans incompressibles. Au bout de ces 18 ans, une libération est possible même si, en théorie, la condamnation à perpétuité persiste. Mais, vous dites-vous, pourquoi nous affirme-t-on qu'il était libérable depuis 2009 ? 1994 + 18 = 2012, non ? Oui, mais il faut tenir compte de la détention provisoire, qui court à partir de 1991... + 18 = 2009. Toujours est-il que rien ne justifie, en apparence, la libération anticipée d'un criminel qui n'a, à ma connaissance, jamais exprimé le moindre remords.

   On termine par ce qui pourrait être l'objet d'une troisième polémique : le montant de l'amende infligée à Clotilde Reiss par le tribunal iranien : 300 millions de tomans, soit 3 milliards de rials... convertis en 230 000 ou 245 000 euros environ, selon les sources ! La question est : d'où vient cet argent ? L'avocat de la jeune femme affirme l'avoir réglée très rapidement, sans préciser la source. France Info a soulevé un lièvre, en évoquant la possibilité que la caution versée (par le gouvernement français) en 2009 ait servi à régler l'amende, les deux montants étant curieusement proches...

   Je ne suis aucunement choqué que le produit des contributions publiques ait été utilisé pour la libération de la jeune femme. Mais cacher cette information confirme les soupçons de marchandage... et empêche de donner une meilleure dénomination à cette supposée amende, qui n'est finalement qu'une rançon...

jeudi, 04 février 2010

Rions un peu avec Oussama ben Laden

   2016. Aux Etats-Unis, Barack Obama semble achever son second mandat. En France... ben je vous laisse le soin de découvrir qui préside. Au Pakistan, l'armée américaine met enfin la main sur un célèbre barbu grisonnant (euh, non, pas le Père Noël). Emmené en Irak (tiens, les Américains y sont encore ?!), soumis à un interrogatoire, Oussama ben Laden va raconter sa vie. Ses "confessions", subjectives, alternent avec les moments "objectifs", qui permettent aux auteurs (le journaliste Mohamed Sifaoui et le dessinateur Philippe Bercovici) de brosser le tableau d'une époque.

   Car il s'agit d'une bande dessinée, assez bonne ma foi :

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   L'histoire alterne entre l'époque de la vie de ben Laden qui est racontée et le présent de la narration (en 2016). Cela se veut à la fois un ouvrage historique (auquel il a été reproché une série d'approximations) et une oeuvre satirique, dont les Occidentaux comme les intégristes ne sortent pas grandis.

   L'humour fait souvent mouche, mais le récit est parfois simpliste (peut-être pour toucher le grand public). On voit à peu près où les auteurs veulent en venir : dénoncer la bêtise et le fanatisme, quelles que soient les formes qu'ils prennent. Ce n'est finalement pas si mal vu.

   En complément, j'ai récemment découvert en intégralité le reportage réalisé par les frères Jules et Gédéon Naudet. Ils suivaient la vie d'une unité de pompiers new-yorkais depuis plusieurs mois déjà (en s'attachant tout particulièrement aux premiers pas du nouveau membre) lorsqu'ils se sont retrouvés en plein coeur de l'événement :

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 Le DVD du film 11/09 contient, en bonus, de longs entretiens réalisés avec les figures marquantes de la caserne (fait extraordinaire : alors que nombre de leurs collègues sont morts dans les tours, tous ceux de cette équipe sont revenus vivants).

   Pour l'anecdote, c'est par accident que l'un des deux frères (Jules) a filmé, au cours d'une intervention à propos d'une fuite de gaz, le premier avion au moment où il a percuté la tour Nord :

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   Bien évidemment, le film mérite le détour pour d'autres raisons que son lien avec cet événement marquant... mais il est toujours piquant de constater à quel point ce sont souvent les documents inattendus qui sont les plus riches.