mardi, 21 février 2023
Emmett Till
Le film aurait plutôt dû s'intituler "Le Combat d'une mère", tant c'est ce personnage-là (Mamie Till-Mobley) qui occupe l'écran, même si le drame a d'abord frappé son fils Emmett.
Le début est une reconstitution soignée du Chicago de 1955. Les tons sont chauds. Une partie de la population afro-américaine a acquis une relative aisance matérielle, tout en bénéficiant (en théorie) des mêmes droits que les Blancs. Une scène dans un grand magasin est toutefois chargée de nous rappeler que cela passe moyennement auprès d'une partie de la population. Dans le Sud ségrégationniste, c'est bien pire, puisque les meurtres de "nègres" y sont en augmentation, dans un contexte d'incitation à voter aux élections.
C'est très proprement mis en scène, avec de belles couleurs, de beaux costumes, auxquels ne manque aucun bouton. C'est plutôt bien joué, avec cependant une énorme réserve : le personnage principal, celui de la mère, semble, comme les spectateurs, s'attendre à la suite. Je veux bien qu'une mère afro-américaine s'inquiète de ce qui pourrait arriver à son fils parti en vacances dans le Mississippi, mais, tout de même, c'est trop appuyé. C'est d'autant plus regrettable que la comédienne, Danielle Deadwyler, est remarquable tout au long du film. Elle campe une femme indépendante, une veuve d'abord préoccupée par sa vie de famille, mais que le destin va conduire à faire d'autres choix.
Le premier moment fort (en terme de mise en scène) est la séquence clé de l'épicerie, où le gamin va commettre un acte presque bénin, pas très malin certes, mais qui ne méritait pas de susciter un tel déchaînement de violence.
Notons que si le film est parfois un peu biaisé sur certains détails (sur lesquels je reviendrai), il évite de montrer le lynchage qu'a subi le jeune Emmett. On entend (un peu) ce qu'il lui arrive, avant, assez tard, de découvrir les conséquences du lynchage. Parce que le sujet du film n'est pas tant l'immonde traitement infligé au gamin que la douleur de sa mère et le combat qu'elle a mené, qui a contribué à lancer le mouvement des Droits civiques.
Ici aussi, je suis partagé. Je trouve surjouée la scène d'arrivée du cercueil à la gare, avec de surcroît une représentation très "genrée" du deuil, les femmes se montrant particulièrement expressives, alors que les hommes ne manifestent quasiment pas d'émotion (seuls les jeunes cousins sont au bord des larmes). En revanche, j'ai beaucoup aimé la scène de la morgue, en particulier le moment où la mère se retrouve seule avec le cadavre de son fils. Les spectateurs sont confrontés aux conséquences du massacre, à l'image de ce qui va se produire ensuite auprès du grand public, la mère ayant décidé de procéder aux funérailles cercueil ouvert. Celles-ci sont bien mises en scène, malgré là encore une tendance au pathos.
La suite est passionnante, autour de l'organisation du soutien à Mamie et de la préparation du procès. D'après les images publiées dans Life, la reconstitution est très fidèle, jusque dans le choix des figurants (composition du public et membres du jury). Je laisse à chacun le loisir de découvrir comment cela se conclut.
P.S.
J'en viens maintenant à mes réserves concernant les petites "retouches" effectuées à l'histoire d'origine. L'opinion des spectateurs est d'abord guidée par les choix des acteurs. Dans le film, souvent, on a privilégié des comédiens qui ressemblaient aux personnages... sauf pour deux femmes : Mamie (la mère) et Carolyn Bryant (la commerçante, dont on sait maintenant qu'elle a menti au procès). Pour incarner la première, on a volontairement choisi une très belle femme (plus "sexy" que la Mamie d'origine).
A l'inverse, pour la commerçante, on a choisi une représentation qui la dévalorise quelque peu : elle est surmaquillée et engoncée dans une robe moche, alors que la Carolyn Bryant d'origine était une ancienne reine de beauté :
On a volontairement enlaidi la comédienne Hayley Bennett (vue notamment dans Equalizer).
Sur le fond, le scénario a choisi de privilégier l'hypothèse la plus favorable au gamin qui, dans le magasin, se serait contenté de siffler la commerçante, après lui avoir parlé. (Même si, dans la réalité, il s'est peut-être montré un peu plus familier, cela ne justifie en rien ce qu'on lui a infligé ensuite.)
Il y aurait aussi des choses à dire sur certains personnages masculins. Le père (décédé) d'Emmett est présenté comme un combattant de la Seconde Guerre mondiale, qui a donné sa vie pour son pays. On a su après le procès que sa mort ne fut peut-être pas si glorieuse que cela. A l'inverse, le film se garde bien de préciser que les auteurs du lynchage (Bryant et son demi-frère), sont eux aussi des vétérans, l'un d'entre eux même décoré. Cela n'excuse en rien leur geste abominable, mais cela nous confirme que les concepteurs du film ont effectué des choix, dans un but précis... et il est atteint : le film est marquant et l'on sort de là bouleversé.
10:13 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
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