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Du monde au balcon
C'est ce que j'ai pensé en regardant les photographies de la manifestation des Femen place des Pyramides, à Paris, notamment cette exquise contre-plongée, publiée dans un article du Monde :
Ce coup d'éclat avait pour but de parasiter l'une des sempiternelles tentatives de récupération de Jeanne d'Arc par l'extrême-droite. Il y a bien sûr la manifestation du 1er mai, autour du Front National... et puis il y a l'action de certains groupuscules (qui peinent à réunir quelques dizaines de personnes), en ce deuxième dimanche de mai. Mais pourquoi diable cette discordance entre les dates ?
Depuis la Troisième République, l'extrême-droite a pris l'habitude de manifester autour de la statue d'Emmanuel Frémiet. Le choix du premier mai s'explique par la volonté de contrebalancer la fête des travailleurs, initiée par la gauche. De plus, c'est au début du mois de mai 1429 que Jeanne d'Arc, à la tête des troupes du Dauphin (futur Charles VII) mena la délivrance d'Orléans. Cette victoire se commémore le 8 mai ou, plus fréquemment, le deuxième dimanche du mois. Le 10 juillet 1920 (année de sa canonisation), une loi a créé officiellement cette deuxième fête nationale.
Voilà pourquoi, tous les deuxièmes dimanches du mois de mai, les bâtiments publics sont pavoisés aux couleurs nationales, tout comme la statue de la place des Pyramides, ainsi qu'on peut le voir dans une vidéo mise en ligne sur le site du quotidien gratuit Metro :
Je ne suis pas un inconditionnel des Femen, mais je n'aime pas la récupération dont la Pucelle fait l'objet de la part de l'extrême-droite. A cet égard, j'ai trouvé fort pertinent l'un des "touittes" publiés par les Femen :
De surcroît, le dévoilement de la poitrine, marque de fabrique des Femen, est un hommage à la féminité de Jeanne d'Arc. Plusieurs témoignages, émis lors du procès en réhabilitation (en 1456), accréditent l'idée qu'elle était bien pourvue de ce côté-là.
Jean d'Aulon, à la fois garde du corps et chevalier-servant, fut sans doute celui qui la côtoya le plus. A la fin de son témoignage, il parle d'elle comme d'une "jeune fille, belle et bien formée" (il évoque même ses "tétins" !). Le duc d'Alençon fut quant à lui plutôt un partenaire de combat. Il eut l'occasion de la voir s'habiller et se déshabiller. Voici ce qu'il déclare : "parfois il voyait ses seins, qui étaient beaux". Il nous reste la déposition d'Aymond (ou Haimond) de Macy, du parti adverse des Bourguignons, alliés du roi d'Angleterre. Cet enfoiré a essayé de lui tripoter les nibards ! (C'est donc qu'ils lui semblaient "appétissants"...) : "Plus d'une fois, par manière de jeu, j'ai essayé de lui toucher les mamelles, en m'efforçant de lui mettre les mains dans le sein. Jeanne ne voulait pas le souffrir ; elle me repoussait de toutes ses forces."
Mais revenons aux Femen. L'exhibition de leur poitrine est un acte ambigu. D'un côté, elles affirment ainsi la maîtrise de leur corps. D'un autre côté, elles choquent bien de peu de monde en Occident. Elles excitent même plutôt la curiosité des mâles avides de chair fraîche... parce que ces dames sont mignonnes ! Elles ont bien compris comment fonctionne notre société du spectacle : jolies femmes + poitrines exhibées = retentissement médiatique assuré.
Terminons par leur positionnement idéologique. On les a étiquetées un peu vite "gauchistes". Elles s'opposent au néo-stalinisme florissant en Europe de l'Est (Ukraine, Biélorussie et Russie). Elles rejettent violemment la droite extrême en Occident et s'opposent tout aussi fortement à l'islamisme. C'est à l'évidence un mouvement anti-totalitaire et anticlérical, qui peut tout à fait s'apparenter à une forme de libéralisme politique.
dimanche, 12 mai 2013 | Lien permanent | Commentaires (2)
Les Aventures de Rabbi Jacob
L'été, les salles obscures ont tendance à se vider (sauf pour les grosses productions regorgeant d'effets spéciaux), ce qui laisse de la place pour de "vieux" films, en général dans une version restaurée. A l'origine, cette pratique était peu répandue dans les cinémas français de province et se limitait à des classiques étrangers (comme Chinatown, Blade Runner ou, plus récemment, Memories of murder de Bong Joon Ho, qui vient de recevoir la Palme d'or pour l'excellent Parasite).
Depuis quelques années, y compris à Rodez, on peut (re)voir aussi des classiques français. Ce fut le cas, il y a trois ans, de La Grande Vadrouille, que je n'avais jamais vu au cinéma... tout comme Rabbi Jacob. Va donc pour une séance rétro !
Autant le dire tout de suite : le film a vieilli, bien plus (à mon avis) que La Grande Vadrouille. Mais il n'est pas sans intérêt. Le début se passe à New York, dans le quartier juif orthodoxe de Brooklyn. A ma grande surprise (je n'ai pas vu le film depuis plus de quinze ans), cette séquence, principalement tournée en anglais, n'est pas sous-titrée (pas plus que les quelques dialogues en yiddish). Mais ce n'est pas gênant pour la compréhension de l'intrigue. A titre d'anecdote, je signale que l'on voit à plusieurs reprises les anciennes tours du World Trade Center, notamment dans un plan pris du pont de Brooklyn qui n'est pas sans rappeler l'un de ceux présents dans Shoah (tourné quelques années plus tard), au début de la séquence au cours de la quelle Claude Lanzmann interroge Rudolf Vrba, un évadé d'Auschwitz.
En France, c'est Victor Pivert et son entourage que l'on découvre. De Funès fait du De Funès, mais un peu en roue libre. C'est excessif, moins bon que dans d'autres films tournés par le comédien... peut-être parce qu'il n'y a pas assez de répondant chez ses partenaires. Les personnalités qui sortent du lot sont celles de son épouse dentiste (incarnée par Suzy Delair) et celle du révolutionnaire Slimane (incarné par Claude Giraud, dont le visage est beaucoup moins familier que la voix : il s'est beaucoup illustré dans le doublage).
L'humour fonctionne sur le principe du comique de situation, avec des quiproquos. C'est moyennement réussi dans l'usine de chewing-gum. A partir du moment où le duo Pivert-Slimane "devient juif", cela décolle un peu. Nous voilà transportés dans le quartier parisien du Marais, notamment rue des Rosiers (devenue tristement célèbre dix ans plus tard). On redécouvre avec plaisir la célèbre danse (récemment remise au goût du jour). Parmi les scènes que je trouve toujours réussies, il y a celle de la synagogue quand, pour aider les fugitifs à échapper aux policiers, les participants lèvent tous leur talit (châle de prière).
On croise beaucoup de visages connus, de Claude Piéplu (en commissaire borné) à Jacques François (en officier traditionaliste), en passant par Popeck, Xavier Gélin, Miou-Miou, Henri Guybet et même Gérard Darmon. Quant aux cascades, elles ont été réglées par Rémy Julienne. C'est aussi un film d'action !
Au-delà de la comédie, le film est une ode à ce que l'on appelle aujourd'hui "le vivre ensemble". Catholiques conservateurs, juifs traditionnels et musulmans vont dépasser leurs préjugés pour échapper aux méchants de l'histoire. 45 ans plus tard, on peut trouver cela naïf, mais cette comédie bon enfant a eu un retentissement énorme (elle a même été nommée aux Golden Globe).
P.S.
La musique de Vladimir Cosma est chouette.
samedi, 13 juillet 2019 | Lien permanent | Commentaires (1)
Bilan des César 2020
Le palmarès de cette année n'a pas particulièrement mis l'accent sur un film. Il semble qu'on ait tenté de concilier les contraires, sur le plan artistique (avec une réjouissante diversité de lauréats) comme sur le plan moral.
Tout d'abord, on remarque que les récompenses obtenues par des femmes ne se sont pas limitées à des catégories réservées (meilleure actrice ou espoir féminin). Ainsi, la réalisatrice Mounia Meddour est venue chercher le César du meilleur premier film (pour Papicha), tandis que Yolande Zauberman était récompensée pour son documentaire M. De son côté, Pascaline Chavanne a été primée pour les (excellents) costumes de J'accuse. En face (si j'ose dire), Claire Mathon a été distinguée pour la photographie de Portrait de la jeune fille en feu. A cette liste s'ajoutent les César du meilleur montage (Flora Volpelière, pour Les Misérables) et du meilleur court-métrage (Lauriane Escaffre pour Pile Poil, dans lequel joue notamment Grégory Gadebois).
Une autre tendance de la soirée est la mise en valeur des "minorités visibles". Ainsi, on peut considérer comme (petit) vainqueur de ce palmarès Les Misérables qui, en plus du meilleur montage, a reçu le César du meilleur espoir masculin, celui du public et celui du meilleur film. (Le paradoxe est qu'il n'a été distingué ni pour ses premiers rôles, ni pour le scénario, ni pour la réalisation...) On peut placer dans la même catégorie Papicha, primé aussi au titre du meilleur espoir féminin. Enfin, Roschy Zem a réussi à décrocher une statuette, pour son interprétation dans Roubaix, une lumière.
La troisième leçon à retenir de cette soirée est que, globalement, les quelque 4 000 électeurs de l'Académie ont su résister aux pressions qui se sont exercées sur eux, pressions dont le but était d'empêcher J'accuse de décrocher la moindre récompense. Je pense néanmoins que cela a privé Jean Dujardin de la couronne de meilleur acteur... et peut-être le film du sacre de meilleur long-métrage de l'année passée. Roman Polanski aura quand même le plaisir de recevoir le César du meilleur réalisateur et celui de la meilleure adaptation (avec Robert Harris).
Au titre des satisfactions, je signale les deux récompenses reçues par J'ai perdu mon corps : meilleur long-métrage d'animation et meilleure musique originale. Je recommande aussi la vision de La Nuit des sacs plastiques, distingué dans la catégorie meilleur court-métrage d'animation. C'est une fable fantastico-philosophico-écologique, assez flippante, d'un jeune homme à suivre : Gabriel Harel. Un autre César (celui du meilleur son) a été attribué au Chant du loup., tout aussi logiquement que le prix du meilleur film étranger, revenu à l'incontournable Parasite.
Il reste à signaler ce qui est apparu (y compris à celle qui en a été bénéficiaire) comme une énorme surprise, voire une incohérence : l'attribution du César de la meilleure actrice à Anaïs Demoustier, pour son rôle dans Alice et le maire. J'apprécie cette comédienne, mais je pense que ce n'est pas lui faire injure que d'écrire que certaines de ses concurrentes avaient réalisé des performances bien plus marquantes. Je pense en particulier à Eva Green, formidable dans Proxima. Mais mon petit doigt me dit que le choix d'Anaïs Demoustier résulte peut-être d'une manoeuvre d'électeurs désireux d'éviter la désignation de l'une des deux actrices principales du Portrait de la jeune fille en feu : Adèle Haenel et Noémie Merlant. La sortie théâtrale (et... ratée) de la première, après l'attribution du César du meilleur réalisateur à Roman Polanski, pourrait tout aussi bien être due au dépit de ne pas avoir été distinguée.
C'est tout pour les nouvelles du petit monde narcissique du cinéma français.
samedi, 29 février 2020 | Lien permanent | Commentaires (3)
Les ”Riton” 2019
Il m'est toujours aussi difficile de dresser un palmarès restreint des films qui m'ont le plus plu sur une année. Tant d'entre eux m'ont procuré du plaisir !... et (trop souvent) n'ont pas rencontré leur public. C'est le moment de leur rendre hommage.
Cette année 2019, les films sociaux ont été nombreux et (parfois) de qualité.
- Riton du film dénonçant les conséquences de la politique de l'enfant unique : So long, my son
- Riton du film mélenchoniste : Joker (un des dix films de l'année, selon moi)
- Riton du film dénonçant la naissance d'un terroriste : Le Jeune Ahmed
- Riton du film dénonçant la petite délinquance : L'Homme à la moto
- Riton du film carcéral : Nevada
- Riton du film dénonçant les inégalités sociales : Les Invisibles
- Riton du film dénonçant une mafia rurale : Mjolk
- Riton du film dénonçant les difficultés dont sont victimes les paysans : Au nom de la terre
Certains films à contexte social (ou sociétal) ont pris la forme du drame ou du thriller.
- Riton de la violence rurale : Les Moissonneurs (un des dix films de l'année)
- Riton de la violence forestière : La Miséricorde de la jungle
- Riton de la violence scolaire : L'heure de la sortie
- Riton de la violence familiale : Wedding Nightmare
- Riton de la violence urbaine : Parasite (pas loin du top 10)
- Riton de la violence californienne : Once upon a time in Hollywood
Un arrière-plan historique a souvent contribué au succès de certains films.
- Riton du film sur la ségrégation : Green Book
- Riton du film sur les femmes et le pouvoir : Mary Stuart, reine d'Ecosse (tout près du top 10)
- Riton du film en costumes : La Favorite (qui passe juste devant le précédent pour devenir l'un des dix films de l'année)
- Riton du film politico-judiciaire : J'accuse (un des dix films de l'année)
- Riton du film qui nous en apprend encore sur la Seconde Guerre mondiale : Les Témoins de Lendsdorf
- Riton du film de femmes victimes des conséquences de la guerre : Une Grande Fille
- Riton du film antitotalitaire : L'Oeuvre sans auteur (un des dix films de l'année)
- Riton du film de rebelles : Companeros
Complète cette catégorie celle des documentaires.
- Riton italo-chilien : Santiago, Italia
- Riton franco-catholique : Lourdes
- Riton franco-international : Le Regard de Charles (pas loin du top 10)
- Riton franco-germano-américain : Chichinette, ma vie d'espionne (pas loin du top 10 non plus)
- Riton agricole : Tout est possible
- Riton trumpiste : Monrovia, Indiana (pas loin du top 10)
Mais ce sont parfois les polars qui parlent le mieux de la réalité.
- Riton de la réalité new-yorkaise : Brooklyn Affairs (encore un qui n'est pas loin du top 10)
- Riton de l'illusion new-yorkaise : Les Faussaires de Manhattan
- Riton des beaux parleurs : El Reino
- Riton des bons menteurs : The Operative
- Riton des faux-semblants : Seules les bêtes (un des dix films de l'année)
- Riton des faux-jetons : Un Eté à Changsha
- Riton des vrais barjots : Qui a tué Lady Winsley ?
Cela m'amène tout naturellement aux comédies, en général plutôt des produits de consommation courante que des chefs-d’œuvre.
- Riton de la comédie à la sauce aigre-douce : Rebelles
- Riton de la comédie à la sauce pénienne : Nicky Larson et le parfum de Cupidon (eeeeeh oui ! J'ose classer ce film furieusement potache dans mon top 10 de l'année !)
- Riton de la comédie sauce harissa : Tel Aviv on fire
- Riton de la comédie sauce tomate : Ne coupez pas !
Ce film japonais expérimental me conduit fort logiquement aux œuvres d'animation, catégorie dans laquelle, une fois de plus, les productions nipponnes se sont illustrées.
- Riton de l'enfance disparue : Miraï, ma petite soeur (tout prêt du top 10)
- Riton des orphelins disparus : Les Enfants de la mer (un des dix films de l'année)
- Riton du monde disparu : Wonderland, le royaume sans pluie
- Riton de l'amour disparu : Millennium Actress
- Riton de la main disparue : J'ai perdu mon corps (un des dix films de l'année)
- Riton du chien découvreur : Stubby
- Riton du jouet fugueur : Toy Story 4 (un des dix films de l'année)