samedi, 25 mars 2023
La Syndicaliste (le livre)
Rédigé par la journaliste de L'Obs Caroline Michel-Aguirre (qui, à l'époque, a suivi une partie de l'affaire), ce livre-enquête a visiblement inspiré les scénaristes du film. Il n'est donc pas illogique que sa sortie en poche soit illustrée d'une image issue de celui-ci.
A celles et ceux qui n'ont encore vu le film, je précise que l'image est extraite de la première partie, d'une scène se déroulant en Hongrie, où se rend l'héroïne, afin que les femmes licenciées par le sous-traitant local d'Areva bénéficient de conditions dignes.
C'est le principal avantage du livre, dans ce cas-ci comme dans d'autres : il développe davantage certains aspects sur lesquels le film passe plus brièvement. Ainsi, on en sait plus sur le contexte politique du conflit, les arcanes des rivalités au sommet de l’État mais aussi dans le petit monde de l'industrie nucléaire. La sensibilité "de gauche" de Maureen Kearney (« guerrière courageuse ») est plus apparente : elle avait pris sa carte du PS en 2011.
La journaliste a aussi été sensible à ce qu'on pourrait appeler une « connivence de classe » au cours de son enquête. Élus, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs du privé, patrons, médecins et magistrats sont parfois dépeints comme issus du même milieu, limite parlant la même langue. On sent qu'au-delà du propos féministe, Caroline Michel-Aguirre veut aussi dire que Maureen Kearney a été incomprise parce que ne venant pas du même monde que les personnes qui l'ont interrogée, à divers degrés.
On comprend encore pourquoi l'un des aspects importants de sa vie personnelle a été passé sous silence dans le film : les agressions subies par son fils aîné. Dans le long-métrage, on ne voit explicitement que le second enfant, la fille étudiante.
Concernant les adversaires de la syndicaliste, on ne découvre rien de particulier sur le PDG d'Areva... et absolument rien de négatif sur sa prédécesseure, alors que le film se montre plus ambigu sur la manière dont celle-ci s'est comportée. C'est surtout intéressant quand il est question d'EDF, de son PDG de l'époque (Henri Proglio)... et de celui qui est présenté comme son bras droit (pas mentionné dans le film). Directeur de la branche Asie-Pacifique, il vivait à mi-temps entre la France et la Chine. (Il a été mis fin à ses fonctions chez EDF en 2016.)
Le cinéphile que je suis trouve toujours de l'intérêt à comparer une œuvre écrite à son adaptation sur grand écran. J'aime voir comment on a modifié, ajouté ou supprimé des détails et essayer de comprendre pourquoi.
Ainsi la topographie de la maison où l'agression de Maureen Kearney a été commise est légèrement différente. Peut-être n'a-t-on pas réussi à trouver l'équivalent pour le tournage... ou peut-être, en situant le viol dans une sorte de cave, a-t-on voulu en accentuer l'aspect sordide.
Autre modification importante : la rencontre avec la première victime d'agression, l'épouse d'un ancien cadre supérieur de Veolia. Dans le film, c'est l'héroïne qui va à sa rencontre. Dans le livre, c'est la journaliste. Je pense qu'évacuer ce personnage-ci rendait l'intrigue plus lisible, et permettait de davantage mettre en valeur Maureen Kearney.
L'édition de poche est enrichie d'une préface inédite. On y trouve aussi une postface signée Pierre Péan, qu'il avait sans doute rédigée peu de temps avant sa mort.
samedi, 16 avril 2022
Seule la terre est éternelle
... pas les écrivains, puisque le romancier et poète Jim Harrison est mort en 2016. Ce documentaire, signé François Busnel et Adrien Soland, lui rend un vibrant hommage, tout en célébrant les beautés de l'Amérique de l'intérieur.
Vivant entre le Montana (où il avait hérité d'une demeure familiale) et l'Arizona (où il est décédé), Jim Harrison, qui fut, dans sa jeunesse adulte, un beatnik des villes, avait grandi à la campagne. C'est là qu'il a quasiment perdu son œil gauche, au cours d'une dispute avec une gamine du coin. À l'écran, on voit celui-ci tantôt ouvert, tantôt fermé, à l'image d'un physique déclinant. Âgé de plus de 75 ans, l'écrivain marche avec difficulté, tremble des mains, peine parfois à respirer... mais l'esprit est resté vif. C'est de surcroît un conteur doué.
Le film est nourri d'anecdotes, sur la famille et ses drames. Malgré les années passées, on le sent marqué par le décès du père et d'une sœur au cours d'une partie de chasse... et par la rudesse d'une mère autoritaire (sans doute luthérienne stricte), d'origine suédoise. Ses horizons se sont ouverts à l'école, grâce notamment à une prof francophile, qui lui a fait lire tout Stendhal, mais aussi Apollinaire, Rabelais... Est-ce la raison pour laquelle, lorsqu'il va pêcher, il porte une casquette sur laquelle est écrit, dans la langue d'Emmanuel Macron, "PÊCHE A LA MOUCHE" ? Mystère...
Il reconnaît son alcoolisme et les ravages qu'il a faits (au cas où on ne l'aurait pas remarqué). Il en profite pour détruire une légende : c'est à jeun que l'on écrit le mieux. Lui a besoin d'un calepin classique, de nombreux stylos (de marque Bic... même si des feutres fins Pilot sont aussi visibles sur son bureau), d'un mur blanc... et d'eau plate.
Ses débuts furent laborieux. C'est le journalisme qui a, dans un premier temps, rempli le frigo. A partir du succès de Légendes d'automne, la vie a pris un tour confortable. L'écrivain est même devenu proche de l'acteur Jack Nicholson, qui en avait marre des scénaristes d'Hollywood.
La grand talent de ce film, qui bénéficie d'une très bonne qualité d'image et de son, est la représentation d'une partie de l’œuvre de Harrison par des paysages, des collines enneigées et boisées du Montana au désert de l'Arizona. Aux souvenirs de l'écrivain (majoritaires dans la première partie) succède un joli road moavie, (passant par entre autres l'Idaho, le Wyoming et le Nebraska) dans le dernier tiers de l'histoire.
C'est un peu long, mais rafraîchissant et passionnant, tant les thématiques abordées sont nombreuses : de l'extermination des Amérindiens au féminisme, en passant par la pêche, la relation aux animaux sauvages (grizzli, loup) et la culture littéraire. J'ajoute que la musique d'accompagnement, jouée sur guitare sèche ou électrique douce, est parfaitement dans le ton.
21:29 Publié dans Cinéma, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, littérature, roman, romans, poésie
dimanche, 27 mars 2022
L'Ile aux 30 cercueils
Depuis la semaine dernière, France 2 diffuse cette nouvelle adaptation du roman de Maurice Leblanc (dans lequel, contrairement à ce qu'il se passe dans la mini-série, Arsène Lupin finit par intervenir). Deux épisodes ont déjà été proposés aux téléspectateurs, les deux suivants étant programmés lundi 28 mars, les deux derniers lundi 4 avril. (L'intégralité est disponible sur le site de France Télévisions.)
Un couple se retrouve au cœur de la tourmente. De nos jours, Christine, une infirmière, retourne sur les lieux de son enfance, l'île (fictive) de Sarek, située à proximité des Glénan, dans le Finistère.
Des années auparavant, elle et son mari Raphaël avaient quitté les lieux, après la mort de leur enfant mort-né. Ils se sont reconstruits loin de là, mais sans enfant. Christine revient parce qu'elle a reçu une vidéo tournée au moment de son accouchement : le bébé aurait survécu. Elle se demande ce qu'il est devenu et essaie de l'identifier. Le problème est que deux garçons semblent correspondre... et que, dès son arrivée sur l'île, les morts violentes s'accumulent. Entre ceux qui savent quelque chose (et qui ne veulent pas remuer le passé) et ceux qui, bien que ne sachant rien, ont un avis bien tranché sur tout, l'infirmière doit la jouer finement, appuyée (discrètement) par le chef de la gendarmerie locale (secrètement amoureux d'elle) puis son mari, qui finit par la rejoindre.
Par rapport au roman, beaucoup de choses ont été modifiées... et ce n'est pas forcément un mal. Qu'ont gardé les scénaristes ? La croyance en la perte de l'enfant, le départ puis le retour de la mère, l'existence de deux garçons, la crucifixion des femmes et l'histoire des fameux trente cercueils, une sombre prophétie qu'un tueur en série semble s'évertuer à accomplir.
En dépit de certaines faiblesses, j'ai été pris par cette intrigue. La distribution est attrayante, avec Virginie Ledoyen, Charles Berling, Jean-François Stévenin (qu'on n'arrête pas de voir sur les écrans depuis qu'il est décédé !), Marilyne Canto, Dominique Pinon et une brochette de petits jeunes assez doués. On a envie de découvrir le fin mot de l'histoire, surtout dans sa forme double : la mort présumée du fils de Christine et le destin de cette autre femme, mère d'un autre enfant, qui a vécu sur la même île et qui a disparu quelques années auparavant.
Le gros défaut de la mini-série est la peinture caricaturale qui est faite de ses habitants. Comme on a déplacé l'action principale de 1917 à 2021, on aurait pu nous éviter ces portraits de Bretons arriérés, superstitieux ou culs-bénits, alcooliques et violents, même si les derniers épisodes sont chargés de redorer quelque peu leur blason. Ceux-ci manquent d'ailleurs un peu de saveur si l'on a compris qui est à la manœuvre. Je conseille d'ailleurs de ne surtout pas (re)lire le roman avant de voir la série.
En revanche, après avoir vu cette adaptation assez éloignée de l'original, on peut se replonger dans la prose de Maurice Leblanc, un auteur à mon avis sous-estimé de notre littérature. La série diffusée récemment sur Netflix l'a remis au goût du jour... mais cela fait un petit moment qu'au Japon, par exemple, on lui rend hommage à travers le personnage d'Edgar de la Cambriole.
Le roman de Leblanc est à mon avis plus ample que sa dernière adaptation télévisuelle. Celle-ci est centrée sur le drame intime et sur les tensions familiales, alors que l'histoire d'origine évoque des secrets millénaires et une tentation mégalomaniaque qui pourrait menacer l'humanité. Arsène Lupin n'intervient que dans le dernier tiers de l'intrigue, de manière déterminante. Je n'avais jamais lu ce roman (alors que je regardais jadis avec passion les aventures télévisuelles où brillait Georges Descrières). Je l'ai trouvé passionnant.
23:57 Publié dans Livre, Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : télévision, cinéma, cinema, film, films, médias, actu, actualite, actualites, actualité, actualités, littérature, roman, livres
lundi, 01 novembre 2021
Eugénie Grandet
Séance de rattrapage ce week-end prolongé, avec l'autre adaptation de Balzac encore sur nos écrans, celle-ci moins clinquante et moins populiste qu'Illusions perdues.
Ce fut aussi l'occasion pour moi de me replonger dans un roman que j'avais découvert à l'adolescence. (François Mitterrand était président de la République... c'est vous dire si ça date !) Le film de Marc Dugain (dont j'avais bien aimé L'Échange des princesses) n'est pas une adaptation fidèle, plutôt une adaptation-transposition, avec une connotation féministe prononcée.
C'est l'un des débats nés autour de ce film : ne dénature-t-il pas l'œuvre de Balzac, pour lui faire dire ce qu'il n'a pas écrit il y a près de 200 ans ? Ainsi, l'écrivain tourangeau n'était pas féministe, mais il s'est intéressé à la condition féminine. Je trouve que, dans ce domaine, les choix de Dugain sont pertinents, mettant en scène la lente émancipation de l'héroïne. (Dans le roman, elle finit par contracter un mariage blanc.)
Un autre débat porte sur l'aspect esthétique. C'est réalisé de manière austère, certaines scènes semblant éclairées uniquement à la chandelle. Le but est de montrer la frugalité du quotidien de la famille Grandet, alors que le père a secrètement placé des millions, auxquels il ne veut pas toucher (et dont sa famille ignore tout). Incidemment, ces scènes sont d'une grande beauté formelle. J'aime cette austérité au service de l'ambiance.
Je suis plus partagé sur l'aspect romantique de l'histoire. (L'ironie de Balzac a hélas été en partie gommée.) Dans l’œuvre d'origine, Eugénie est une jeune femme naïve, pas très jolie, qui s'entiche d'un cousin falot, totalement superficiel. Dans le film, il est impossible d'être insensible à la beauté simple de Joséphine Japy, le personnage de Charles ayant été modifié pour le rendre plus séduisant, moins superficiel.
En revanche, le portrait du père Grandet (Olivier Gourmet, une fois de plus formidable) a été chargé, lui faisant notamment suggérer la "traite des nègres" comme activité commerciale à son neveu, alors que, pour Balzac, c'est le jeune homme parti en Asie qui a de lui-même choisi ce moyen plus immoral lucratif de gagner sa vie.
J'ajoute que la scène (décisive) se déroulant une nuit, dans la chambre occupée par le cousin, est impensable dans la mentalité de l'époque. Dans le roman, cette nuit particulière est occupée par la rédaction puis la lecture de lettres, qui en apprennent beaucoup à l'héroïne.
Quoi qu'il en soit, les acteurs sont excellents. C'est du beau travail, avec cette fin inédite dont on sent qu'elle a été conçue pour faire écho à notre époque.
P.S.
Je ne résiste pas au plaisir de citer un passage du roman d'Honoré de Balzac, écrivain lucide sur son époque... et sur la nôtre : « Il est dans le caractère français de s'enthousiasmer, de se colérer, de se passionner pour le météore du moment, pour les bâtons flottants de l'actualité. Les êtres collectifs, les peuples, seraient-ils donc sans mémoire ? »
mardi, 22 décembre 2020
Le Grand Secret
Récemment, j'ai repassé mon linge en écoutant France Culture. (C'est d'un chic !). Mon attention fut attirée par l'émission Toute une vie, consacrée ce jour-ci à l'écrivain René Barjavel. Jusque-là, j'avais une image assez floue de cet auteur, perçu comme un précurseur français (après Jules Verne, bien sûr) du roman de science-fiction. Il y a des années de cela, j'ai dû lire Ravage, dont il est d'ailleurs question au cours de l'émission.
Celle-ci, fort bien conçue, alterne archives radiophoniques (de l'écrivain), commentaires de spécialistes et lecture d'extraits de ses œuvres. Cela m'a donné envie de me (re)plonger dans celles-ci. En cherchant, j'ai été intrigué par le roman intitulé Le Grand Secret, que je me suis rapidement procuré.
Pourquoi ai-je choisi celui-ci ? Parce qu'il y est question d'un virus, susceptible de provoquer l'extermination de l'humanité. Bien qu'écrit il y a presque cinquante ans, j'ai trouvé que cela résonnait bien avec notre époque. C'est aussi une œuvre conspirationniste, qui présente certains événements historiques (l'assassinat de Kennedy, Mai 68 en France, le rapprochement américano-chinois sous Nixon...) sous l'angle d'un complot mondial, que je me garderai bien de révéler ici. Enfin, c'est une histoire d'amour qui se dédouble. L'auteur nous présente d'abord l'adultère passionné entre Roland et Jeanne avant que, dans la seconde partie, il ne nous fasse suivre l'amour naissant entre deux adolescents, sur une île mystérieuse.
Dans un premier temps, on ne comprend pas tout. Au cœur des années 1950, un complot (voire plusieurs) semble être à l’œuvre. Des disparitions surviennent, des meurtres sont commis, des objets sont volés ou détruits. Au cœur de l'intrigue se trouve la découverte d'un scientifique indien, dont le secret va être transmis à plusieurs dirigeants du monde : le Premier ministre indien (Nehru), le président des États-Unis (Eisenhower), la reine d'Angleterre (Elizabeth II), le secrétaire du PCUS (Khrouchtchev), le président chinois (Mao Zedong) et l'ex-chef du GPRF français Charles de Gaulle, destiné à rejouer un rôle de premier plan. (Quand on écrit après les événements, il n'est pas difficile de faire preuve de prescience...)
Dans la seconde partie, on découvre l'autre versant de l'intrigue, notamment ce qu'il se passe sur l'île mystérieuse. On revoit aussi les événements du début, sous un autre angle... Cela ne vous rappelle rien ? C'est le schéma de Tenet, le dernier film de Christopher Nolan. Ce n'est pas la première fois que le cinéma utilise ce procédé... et il n'est pas étonnant que Barjavel y ait eu recours, puisqu'une partie de sa carrière a été consacrée à l'écriture de scenarii et de dialogues pour le septième art. (Il a notamment contribué au succès des films de la série Don Camillo.)
Cette seconde partie du roman est l'occasion pour Barjavel de développer une forme d'utopie. Quelque part entre Le Meilleur des Mondes et Sa Majesté des mouches, l'auteur se demande si l'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche, hors des contraintes politiques et sociales.
Le roman se lit facilement. Il est écrit dans une langue fluide, parsemée de traits d'humour.
11:51 Publié dans Histoire, Livre, Loisirs, Société, Web | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, livre, littérature, roman, société, littérature française, lettres françaises
samedi, 03 octobre 2020
Téléfilmiquement correct
Il y a moins de deux mois, la décision de changer la version française du titre du célèbre roman d'Agatha Christie (Dix Petits Nègres, Ten Little Niggers dans la version d'origine) a défrayé la chronique. (En écoutant le sujet radiophonique, vous apprendrez -si vous ne le saviez pas- que ce n'est pas que le titre qui a été changé, mais aussi le texte du roman, dans lequel, à chaque fois qu'il apparaissait, le mot "nègre" a été remplacé.)
TF1 s'est coulé dans le moule. Sur sa plateforme de vidéo de rattrapage, on peut accéder à la présentation de tous les programmes diffusés (actuellement ou anciennement) sur l'une des chaînes du groupe télévisuel. On a bien "mis à jour" la page d'accueil de la mini-série adaptant l’œuvre d'Agatha Christie :
Mais, dans notre monde numérique, hyperconnecté, rien ne se perd... tout se transforme ! En cherchant un peu, voici ce sur quoi l'on peut tomber :
Le plus cocasse est que, si le titre est ancien, sur la page, on trouve aussi la version retouchée ! Je pense que, dans un premier temps, on s'est contenté de modifier le titre, avant de réaliser que l'adresse de la page était l'ancienne.
D'où (sans doute) la décision d'en créer une nouvelle. C'est encore plus drôle quand on retourne à la page actuelle (la première que j'ai mentionnée). On peut accéder à un compte-rendu de la première diffusion de la mini-série :
Vous remarquerez que l'article originel a été écrit le 21 décembre 2016, le lendemain de la première diffusion des épisodes (en France)... mais qu'il a été très récemment modifié, le 24 septembre dernier. Toutefois, si le titre est bien conforme aux exigences du "politiquement correct", le corps de l'article n'a pas été retouché !... comme quoi, l'antiracisme ostentatoire (et mal placé) ne protège pas de la fainéantise !
P.S.
Dans la version britannique de la mini-série (datant de 2015), le lieu où se déroule l'intrigue est bien nommé "Soldier Island" et les personnages de la comptine sont bien désignés par l'expression "Ten little Soldier Boys". La réécriture de l'histoire littéraire s'est d'abord manifestée dans le monde anglo-saxon...
P.S. II
... et elle a été plus précoce qu'on ne l'imagine dans l'Hexagone, puisque, dans la version française de la mini-série diffusée en décembre 2016, c'est dès le générique que l'on pouvait remarquer (à condition d'être très attentif et d'avoir de bons yeux) le remplacement du mot "nègre" (soit plus de trois ans avant la parution de la traduction retouchée du roman) :
P.S. III
Précisons que la chanson d'origine, qui a inspiré l'écrivaine, a pour titre Ten Little Indians. Celle-ci n'avait pas choisi par hasard le titre que son descendant a décidé de faire disparaître.
P.S. IV (un dernier, pour la route !)
L'an dernier, France Culture a évoqué la sortie d'un livre proposant une résolution de l'énigme autre que celle donnée par la romancière.
12:30 Publié dans Livre, Télévision, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, télévision, roman, livre, livres
vendredi, 22 mai 2020
Le chien des Basqueville
Non, il n'y a pas d'erreur. Ce billet a pour titre celui d'un polar historique signé Jean d'Aillon (auquel on doit aussi Une étude en écarlate, dont j'ai parlé la semaine dernière).
Évidemment, le titre est un clin d'oeil à l'oeuvre d'Arthur Conan Doyle (Le Chien des Baskerville). Dans cette nouvelle enquête, le Sherlock Holmes médiéval va faire la rencontre de Gracieux, un... chien, appartenant à la famille des Basqueville. Il va aider notre héros... et parfois se montrer redoutable. Mais ce n'est pas un véritable tueur d'hommes. Non, en ce domaine, les bipèdes sont hélas bien plus efficaces.
Outre la présence d'un chien, l'autre point commun est qu'une affaire d'héritage et de filiation est au coeur de l'intrigue. Mais l'auteur ne se contente pas de décaler l'histoire d'origine, il la replace dans le contexte des années 1420 et des complots politiques qui animent l'époque.
A la fin de l'ouvrage, Jean d'Aillon prend un malin plaisir à préciser que le nom de famille n'est pas inventé. Il cite même une étude historique (ancienne). Les Baskerville anglais descendraient de Basqueville normands ! Les curieux peuvent aussi se rendre sur un site internet consacré à l'actuelle commune de Bacqueville-en-Caux.
Dans cette deuxième (en réalité troisième, la deuxième figurant dans un recueil) enquête, on retrouve Edward Holmes et Gower Watson installés dans la demeure acquise à la fin de leurs précédentes aventures. Le clerc perspicace a désormais l'oreille de la reine Isabeau, qui fait appel à lui quand une affaire délicate nécessite intelligence et discrétion.
Cette fois-ci, Holmes (un Anglais de Paris, rappelons-le) est chargé de se rendre en Normandie, pour récupérer un mystérieux coffret, auquel tiennent à la fois une ravissante veuve et la reine Isabeau. La première partie du roman relate le voyage, qui évidemment ne va pas se dérouler comme prévu. Holmes le clairvoyant va se faire berner.
Durant la seconde partie, l'intrigue fait intervenir de nouveaux protagonistes. Outre la reine, le duc de Bourgogne et la belle-mère du dauphin (futur Charles VII) se mettent en quête du contenu du coffret, pendant que sévissent d'étranges maîtres-chanteurs.
Contrairement à la trame narrative d'Une étude écarlate, celle-ci ménage longtemps le suspens quant à l'identité de certains comploteurs. Par contre, le même procédé est mis en oeuvre : des groupes de personnages au départ ignorants les uns des autres vont se croiser, voire s'affronter.
C'est toujours aussi bien écrit (avec parfois un foisonnement excessif de détails), documenté... et enlevé. Aux amateurs de l'univers holmsien, je signale que ce roman marque l'apparition d'un enquêteur judiciaire nommé Grégoire Lestrade. On y voit aussi le héros recruter ses deux premiers informateurs irréguliers.
Comme le précédent, j'ai adoré.
01:41 Publié dans Histoire, Jeanne d'Arc, Livre, Loisirs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : historie, roman, romans, livre, livres, littérature
lundi, 13 août 2018
Mary Shelley
Qu'est-ce qui peut pousser une réalisatrice saoudienne (à laquelle on doit le formidable Wadjda) à s'intéresser à l'auteure de Frankenstein, une Britannique du XIXe siècle ? On pense à des raisons artistiques, chacune tentant de percer dans un domaine jusqu'alors dévolu aux hommes. On ne doit pas négliger les ressemblances qui existent entre le Royaume-Uni des années 1810-1820 et l'Arabie saoudite d'aujourd'hui. Outre-Manche, les femmes ne sont pas contraintes de se voiler, mais elles sont souvent considérées comme quantité négligeable, des filles obéissantes futures mères et épouses respectables, ou bien des objets du désir que l'on peut jeter quand on s'en est lassé. Le carcan religieux est un autre point commun aux deux époques. A travers le poids de l'anglicanisme, il est certain que la réalisatrice saoudienne dénonce celui du wahhabisme.
Mary Wollstonecraft Godwin est la fille d'un libraire et d'une militante féministe décédée peu après sa naissance. Elle ne supporte pas sa belle-mère et passe son temps à lire, s'essayant à l'écriture, en secret. Sur le plan sentimental, c'est un peu une oie blanche, que ses mésaventures vont endurcir.
Dans un premier temps, le film nous place dans une atmosphère romantique, avec costumes et coiffures (!) d'époque. La belle adolescente (Elle Fanning, très très bien) tombe amoureuse du séduisant poète Percy Shelley (Douglas Booth, vu dans une récente adaptation du Dix Petits Nègres d'Agatha Christie). L'avenir s'annonce radieux pour eux, pour peu que le succès littéraire ne les ignore pas.
La seconde partie est celle des premières désillusions. On voit un peu mieux à quel point Londres est une ville crasseuse. La vie de nos littérateurs n'est pas rose et Mary se rend compte que Percy n'a pas exactement la même conception de l'amour qu'elle. C'est donc aussi l'histoire d'une femme intelligente qui ouvre les yeux et qui doit malgré tout se frayer un chemin dans la vie. S'ajoutent à cela les drames de l'existence : Mary voit mourir trois des quatre enfants auxquels elle adonné naissance (sans compter une fausse couche). Le film se contente d'évoquer une seule de ces morts.
Le séjour chez Byron (Tom Sturridge, excellent) est le point de bascule. Mary se détache irrémédiablement de cette vie de libertin... mais elle trouve enfin l'inspiration pour rédiger (achever ?) Frankenstein. La thèse du film est que l'histoire est fortement inspirée de la biographie de l'auteure (pas uniquement de ce séjour). Les aspects macabres de la vie de Mary expliquent sans doute un peu l'ambiance du roman. Mais cet accouchement littéraire marque aussi l'émancipation définitive de la jeune femme, qui va davantage se réaliser en tant qu'écrivaine qu'en tant qu'épouse ou mère. Et ça, c'est furieusement moderne.
Par sa facture classique et les aspects sombres de son intrigue, le film a semble-t-il un peu déconcerté. On peut certes déplorer le manque de flamboyance, mais je trouve très honnête de n'avoir pas cherché à rendre l'histoire plus rose qu'elle ne l'avait été.
Du coup, j'ai décidé de m'intéresser au roman. Je l'avoue, je n'avais jamais lu Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Je me suis procuré l'une des traductions en français. On y retrouve le style romantique qui a fait fureur au XIXe siècle, et qui nous paraît peut-être un peu daté, désuet. En revanche, l'admiration exprimée pour les beautés de la nature parle encore aux lecteurs du XXIe siècle.
La rédaction du roman prend la forme d'un enchevêtrement de récits. L'histoire nous est d'abord racontée par l'intermédiaire de lettres envoyées par un explorateur à sa sœur. C'est ce Walton qui rencontre Victor Frankenstein (qui, rappelons-le, est le créateur, pas la créature). Celui-ci se met à lui raconter sa vie... jusqu'au moment où il retombe sur sa créature, qui avait disparu peu après sa "naissance". C'est au tour du monstre de narrer à son créateur [qui parle à Walton, qui écrit à sa sœur...] comment il a pu survivre, ainsi qu'apprendre à parler, lire et écrire (en français !). Le dernier emboîtement vient de la maison à côté de laquelle la créature s'était réfugiée. Il y entend ses occupants raconter leurs malheurs.
A l'habileté littéraire s'ajoute une audace, celle de laisser (longuement) parler un criminel, et même de le laisser se justifier. Certes, les partisans de la thèse biographique affirment qu'à travers le monstre, c'est la femme trompée qui s'exprime, mais je trouve intéressant que dans un roman du XIXe siècle, on laisse autant la parole à l'auteur de crimes atroces, lui accordant une indéniable humanité.
C'est aussi une œuvre qui s'interroge sur les limites de la science et de ce que l'homme peut s'autoriser à faire. C'est enfin peut-être une réflexion sur la Révolution française et ses conséquences. A l'image de ce que Mary Shelley a connu à son adolescence, une explosion de liberté sans entrave ne débouche pas forcément sur le bonheur.
Le livre est encore plus à lire que le film à voir.
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samedi, 28 juillet 2018
Quand sonnera l'heure...
C'est le titre français d'un "vieux" roman du Britannique John Boynton Piestley, auteur qui connut son heure de gloire entre 1930 et 1960. Cette oeuvre est parue en 1937 sous le titre The Doomsday Men ("Les Hommes du dernier jour") :
L'intrigue suit les pérégrinations de trois personnages principaux, tous des hommes. Le premier est le Britannique Malcolm Darbyshire, un architecte féru de tennis, qui participe à un tournoi sur la Côte d'azur française. Il y rencontre sa partenaire de double, la mystérieuse Andréa Baker, fille d'un milliardaire américain, dont il tombe amoureux. C'est l'aspect romance énigmatique de l'histoire.
Dans le même temps, un jeune scientifique américain, George Hooker, s'est rendu au Royaume-Uni dans l'espoir de retrouver un brillant chercheur qui a disparu des écrans-radar deux ans auparavant. Il est persuadé que celui-ci est sur le point de réaliser une découverte fondamentale, à laquelle le jeune homme souhaiterait collaborer. Nous voilà plongés dans une enquête à l'anglaise, dans le brouillard.
Enfin, Jimmy Edlin, un aventurier qui s'est enrichi en Chine, débarque d'Hawaï en Californie pour résoudre le mystère de l'assassinat de son frère, un journaliste d'investigation qui s'est récemment intéressé à des gangs originaires de la côte Est. On retrouve l'ambiance des polars américains de cette époque.
Les trois hommes vont finir par se rencontrer et affronter une secte redoutable. Paru en 1937, ce roman est une curiosité parce qu'il est sans doute l'un des premiers à dénoncer les méfaits des mouvements sectaires... et à prévoir le danger que représente la recherche dans le domaine nucléaire. En dépit de certaines considérations datées (en particulier sur les femmes, même si deux d'entre elles jouent un rôle actif dans l'histoire), cette oeuvre est palpitante à lire et assez prémonitoire sur certains points.
13:31 Publié dans Livre, Loisirs, Science | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : livres, livre, société, littérature, culture, roman, romans
vendredi, 13 juillet 2018
La Maison de soie
Comme je m'intéresse à tout ce qui touche à Sherlock Holmes, j'ai dressé l'oreille quand on m'a dit qu'un romancier britannique avait obtenu l'accord des héritiers de Conan Doyle pour écrire de nouvelles aventures du célèbre détective. Ce romancier est Anthony Horowitz, qui s'est illustré dans la littérature de jeunesse et l'écriture de scénarios pour la télévision. Il a notamment œuvré sur plusieurs épisodes de la série "Hercule Poirot" (actuellement rediffusée sur TMC). Le fin connaisseur de l’œuvre d'Agatha Christie avait des atouts pour relancer la narration des enquêtes de Sherlock. Voyons ce qu'il en a fait.
L'histoire nous est racontée du point de vue du docteur Watson. C'est un cas particulièrement délicat, qui aurait été dissimulé au public pendant des dizaines d'années, tant le sujet est sensible, à différents niveaux.
L'intrigue entremêle deux affaires, liées par une personne qu'un lecteur attentif soupçonnera assez vite. La plus terrible des deux affaires a trait aux enfants des rues que Sherlock utilise parfois pour collecter des informations. Ceux qui ont beaucoup lu/vu de polars comprendront assez vite de quoi il retourne et quels sont les personnages impliqués.
L'autre affaire, qui surgit en premier d'ailleurs, est liée au séjour effectué par l'un des protagonistes (le marchand d'art) aux États-Unis. L'intrigue est très bien nouée. Il va falloir du temps pour démêler tous les nœuds, d'autant plus que la seconde affaire va percuter la première. La principale conséquence est que la vie de Sherlock est menacée, par un complot qu'il est assez facile (pour les lecteurs) de mettre au jour.
C'est passionnant. J'ai retrouvé l'esprit de Conan Doyle. Les relations entre les deux personnages principaux sont bien campées et le décor du Royaume-Uni de la fin du XIXe siècle est bien planté. J'ai commencé à lire le roman avant une séance de cinéma. J'ai repris ma lecture après le repas du soir et je n'ai pas lâché le livre avant la nuit. Même s'il y a des facilités et si l'une des affaires est un peu trop transparente à mon goût, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.
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dimanche, 08 avril 2018
L'Eté de cristal
Il y a environ deux semaines est décédé Philip Kerr, écrivain britannique connu pour ses polars. Il a situé l'intrigue de certains de ses romans dans le monde du football. Mais ce sont les aventures de Bernhard "Bernie" Gunther, détective dans l'Allemagne nazie, qui lui ont valu la reconnaissance internationale. Il y a quelques années, les premiers romans faisant intervenir ce personnage ont été retraduits et publiés en un volume, en collection de poche :
L'Eté de cristal constitue la première partie du volume. L'action démarre peu de temps avant les Jeux Olympiques de Berlin, en 1936. L'ancien policier, viré parce qu'il n'était pas un nazi militant, est devenu détective privé, mais évite d'enquêter sur les histoires d'adultère, qu'il juge trop dangereuses. Il parvient néanmoins à gagner sa vie avec les affaires de disparition, très nombreuses en Allemagne depuis 1933...
Cette fois-ci, il va être recruté par un riche industriel, dont la fille et le gendre ont été retrouvés morts dans une maison incendiée... avec chacun une balle dans le corps. De surcroît, un collier de diamants et de mystérieux papiers ont disparu.
Voilà Bernie embarqué dans une enquête périlleuse. Il doit veiller à ne pas marcher sur les plates-bandes de la Kripo (police criminelle), tout en se méfiant de la Gestapo : certains de ses membres s'immiscent dans l'affaire, à la demande d'Hermann Goering, qui connaît le riche industriel. S'ajoutent à cela les SS, qui s'inquiètent que l'un des leurs (le gendre) ait pu être assassiné. N'oublions pas non plus les voleurs et les assassins, qui n'ont pas intérêt à être retrouvés.
Il faut donc un peu s'y connaître en histoire allemande (au besoin en révisant ici) pour savourer tout le sel de ce roman. L'auteur s'est visiblement beaucoup documenté et, même s'il prend parfois des libertés avec l'Histoire, le tableau qu'il brosse de la société urbaine allemande sous le IIIe Reich m'a l'air tout à fait fidèle. On y découvre notamment des aspects de la vie quotidienne, parfois méconnus.
J'ajoute que c'est bien écrit (et traduit). L'histoire est racontée du point de vue du détective, un peu cynique, souvent sarcastique. Il n'hésite pas à tourner en ridicule tel personnage important ou tel élément de la propagande. Du point de vue des autorités, même s'il n'est pas nazi, il est relativement fiable car pas suspect de "philocommunisme". Il passe pour un conservateur modéré... mais Bernie finit par reconnaître qu'il lui est arrivé de voter SPD (socialiste) !
Comme l'auteur s'inspire des romanciers américains du milieu du XXe siècle, il fait rencontrer quelques femmes fatales à son héros. Les deux plus marquantes sont l'actrice, seconde épouse du vieil industriel, et la journaliste intrépide, qu'il associe à son enquête, mais dont on finit par perdre la trace...
Pour en savoir plus, il faut lire les aventures suivantes (La Pâle Figure et Un Requiem allemand), qui se déroulent en 1938 et 1947. A l'origine, je pense que le romancier n'avait pas prévu de s'attarder davantage sur son héros. Mais, comme ses livres ont rencontré le succès, il a, par la suite, écrit d'autres romans, dont l'action s'intercale entre ces trois oeuvres, ou les prolonge. En voici la chronologie (incomplète, toute l'oeuvre n'ayant pas encore été publiée en français) :
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mardi, 24 octobre 2017
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
C'est le titre original (traduit) du roman qui a inspiré le film Blade Runner. Je ne sais plus si je l'avais déjà lu. En tout cas, il ne faisait pas partie de ma bibliothèque. La récente sortie (au cinéma) de la suite, Blade Runner 2049, m'a donné envie de me (re)plonger dans l'oeuvre de Philip K. Dick.
Le livre a d'ailleurs été récemment réédité en collection de poche. Je note que, bien que J'ai lu soit une filiale de Flammarion (maison d'édition française), elle-même intégrée au groupe Madrigall (une holding contrôlée par Gallimard), l'exemplaire que j'ai acheté en librairie a été imprimé... en Slovaquie.
Mais revenons au roman. A sa lecture, on constate que Ridley Scott y a apporté de nombreux changements que, grosso modo, j'approuve. Ils ont contribué à rendre le film plus romantique et plus poétique que l'oeuvre d'origine, qui est noire voire empreinte de désespoir. (Et je ne parle pas de l'ambiance visuelle, ni de la musique de Vangelis, qui n'ont pas peu contribué au succès du film.)
Dans le roman, Rick Deckard est marié... et pas très heureux en ménage. Tout cet aspect de sa vie quotidienne a été gommé, pour mettre l'accent sur sa rencontre avec Rachael, qui est moins romantique que dans le film.
De manière générale, les "réplicants" sont présentés comme plus froids que dans le film, où Scott a insisté sur leur part d'humanité. Question spectacle, leur chasse par Deckard comporte plus de péripéties que dans l'oeuvre de Dick, à part un épisode, qui a été exclu de l'adaptation : Deckard se fait arrêter par d'autres policiers, certains étant des humains, d'autres des "réplicants". Les scénaristes ont préféré resserrer l'intrigue, mais sans négliger complètement le matériau de départ, qui introduit le doute quant à la nature même de Deckard.
Un autre élément du fond du roman a disparu au moment de l'adaptation : l'aspect religieux, avec le mercérisme, sorte de doctrine officielle, propagée par la télévision et qui sert en quelque sorte d'opium du peuple (en complément des drogues autorisées, que les habitants de la Terre s'auto-administrent). Ce n'est pas qu'un décorum, puisque, vers la fin, un événement surnaturel sauve la mise à Deckard, qui n'était pas censé survivre à la traque des trois derniers "réplicants" en fuite.
Quant au contexte post-apocalyptique (nucléaire), il est utilisé dans la suite se déroulant trente ans plus tard... en fait trente ans après le premier film, le roman (écrit dans les années 1960) situant l'action en 1992. De ce point de vue, c'est bien une oeuvre de Guerre froide, qui imagine que tôt ou tard, la rivalité entre les deux Blocs va dégénérer. (Le roman a été écrit quelques années après la crise de Cuba de 1962.) Mais, en 1966, Philip K. Dick voit encore des policiers soviétiques en 1992...
Toutes ces différences rendent le roman encore plus passionnant à lire. Je l'ai dévoré presque d'une traite. Dans l'édition que j'ai eue entre les mains se trouve une postface, qui donne quelques éléments d'explication et des informations inédites. Sachez que les producteurs du film voulaient au départ que Dick réécrive son roman, en fasse l'équivalent d'une novélisation qui aurait remplacé l'oeuvre originale. L'écrivain a refusé, ce qui a conduit à l'embauche de scénaristes pour reformater l'intrigue, pour le plus grand bonheur des cinéphiles.
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vendredi, 24 mars 2017
Clin d'oeil holmsien
M6 poursuit la diffusion de la saison 4 de la série Elementary. Elle se révèle toujours aussi intéressante, en particulier grâce à l'interprétation de Jonny Lee Miller. Celui-ci excelle à incarner un Sherlock devenu new-yorkais, assez différent de celui que joue (le non moins excellent) Benedict Cumberbatch dans la version britannique des aventures contemporaines du célèbre détective.
Ce vendredi, l'épisode 17 a été l'occasion de croiser l'ancien et le moderne. L'intrigue tourne autour de citoyens ordinaires tentés de jouer aux super-héros. L'un d'entre eux, qui se prend pour le "Midnight Ranger", a été assassiné. Sherlock se demande s'il ne faut pas chercher la clé de l'énigme dans les bandes dessinées publiées au cours de plusieurs dizaines d'années. Voici la conclusion à laquelle il arrive :
La cinquième manière dont le super-héros est décédé (celle qui a la faveur du détective) fait écho à un épisode des aventures de Sherlock Holmes rédigé par Arthur Conan Doyle. En effet, dans Le Dernier Problème, le détective affronte le redoutable Moriarty, les deux finissant par tomber dans les chutes du Reichenbach, en Suisse.
P.S.
Le coeur de l'intrigue (le meurtre d'un citoyen ordinaire vêtu d'un costume de super-héros) n'est pas sans rappeler un épisode de la saison 2 des Experts Manhattan.
23:55 Publié dans Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : télévision, actualité, médias, littérature, roman
mercredi, 11 mai 2016
Inculture américaine
Lundi soir, France 2 a diffusé l'avant-dernier épisode de la saison 5 de la série Rizzoli & Isles. On y découvre que le médecin-légiste, interprété par la charmante Sasha Alexander (qui fit jadis les beaux jours de NCIS), a été nommée présidente de l'ordre des médecins de la Nouvelle-Angleterre (la région située dans le nord-est des Etats-Unis) :
En son honneur, ses amis ont organisé une petite sauterie, au cours de laquelle se produit un de ces couacs culturels qui marque, aux yeux du téléspectateur américain moyen, l'écart qui sépare l'intello bourgeoise Maura Isles de ses collègues et amis du commissariat de Boston :
Pour être juste, il faudrait faire l'expérience en France. Quelle proportion de gens ordinaires ignore que Nemo est le nom de l'un des plus célèbres héros de Jules Verne, un capitaine ombrageux qui apparaît dans Vingt mille lieues sous les mers et L'Ile mystérieuse ?
Pour les médecins de Boston, Nemo est l'acronyme de l'association médicale. Pour les autres, c'est juste un poisson coloré, héros d'un film d'animation, l'un des premiers gros succès des studios Pixar.
00:18 Publié dans Livre, Loisirs, Télévision | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médias, littérature, livres, culture, roman, littérature française
mercredi, 29 août 2012
Spermatofolie
C'est le titre d'un roman de Guillaume Cochin, publié en 2007 :
Le narrateur est un homme, dont on suit la première moitié de l'existence. C'est un rouquin timide, qui se distingue par un T.O.C. : l'enfant porte de manière compulsive la main à son "robinet", au désespoir de sa maman un peu coincée. S'en suivent des séances chez le médecin.
Arrive l'adolescence : le héros devient le roi de la branlette... et le dernier de la classe. Mais, enfant unique tardivement né, il est chouchouté par ses parents. Il est entretenu jusqu'à l'âge adulte, habitant dans un petit appartement loué par ses géniteurs. Il vit à l'écart du monde, obsédé par sa seule queue.
Sa vie va prendre une autre direction quand il apprend qu'il peut donner son sperme. Ses masturbations vont enfin avoir du sens ! Monsieur adopte donc des horaires de bureau, passant quotidiennement (matin ET après-midi) verser son obole -en liquide- au laboratoire, où travaille une charmante infirmière. La description du processus qui le conduit à devenir donneur anonyme vaut son pesant de papier hygiénique !
Le drame, pour lui, est qu'on finit par ne plus avoir besoin de ses services. Il perd ensuite son père, puis sa mère. Il vivote sur l'héritage, hiberne chez lui en gros crasseux. Et puis un jour... il va pouvoir à nouveau se rendre utile. Je ne vous raconte pas dans quelles circonstances, mais sachez qu'il découvre qu'il a 367 enfants ! Rouquins comme lui ! La fin du bouquin le voit commencer une nouvelle vie.
En lisant cela, vous vous dites peut-être que vous connaissez peu ou prou cette histoire. Elle ressemble à celle du (médiocre) film Starbuck, dont j'ai causé le 13 juillet dernier.
Et voici ce sur quoi je suis tombé dans Le Monde du 22 juillet :
Il est vrai que les ressemblances entre les deux histoires sont troublantes. Le Journal de Montréal les a listées. Restent les différences :
- le film n'évoque pas la jeunesse du héros et passe (hélas) rapidement sur sa manie de la branlette
- le film fait de son personnage principal quelqu'un de sociable, inséré dans un réseau de relations et travaillant dans l'entreprise familiale, même s'il n'est pas un salarié modèle
- la cause de la découverte de la pluripaternité n'est pas la même
- le personnage principal du film tient, dans un premier temps, à préserver son anonymat
- le film développe la volonté du héros d'améliorer le sort de ses "enfants"
- les ennuis financiers du héros du film ne sont pas ceux du narrateur du roman
Après, c'est à chacun de se faire son opinion. L'éditeur et l'écrivain auraient-ils mis en route la machine judiciaire si le film n'avait pas rencontré le succès ? J'en doute. Quant aux auteurs de celui-ci, sont-ils de bonne foi quand ils affirment ne jamais avoir lu ni même entendu parler du livre avant aujourd'hui ? Affaire à suivre...
20:44 Publié dans Cinéma, Livre, Société | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : société, littérature, écriture, cinéma, humour, roman