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samedi, 29 avril 2023

L'Etabli

   Adapté du livre éponyme du philosophe Robert Linhart, ce film militant nous replonge dans les Trente Glorieuses, juste après les "événements" de Mai 68. L'essentiel de l'action se déroule au sein d'une usine secondaire du groupe Citroën (en plein Paris). Quelques scènes "de respiration" ont pour cadre un appartement bourgeois et un café.

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   Ce film engagé suscitant des réactions contrastées, j'ai choisi d'en rédiger deux critiques, une de gauche et une de droite.

LA CRITIQUE DE GAUCHE

      Mathias Gokalp, brillant cinéaste au talent mésestimé (remarqué jadis pour Rien de personnel), réussit le pari de l'adaptation d'un livre réputé inadaptable. Sa mise en scène habile et percutante ressuscite l'ambiance d'une chaîne de montage et des différents ateliers de l'usine Citroën. S'appuyant sur des comédiens (connus ou inconnus) investis dans leur rôle, il nous embarque dans cette palpitante aventure ouvrière, qui est une aventure humaine, en révolte contre le capitalisme arrogant.

   L'intrigue nous fait découvrir de manière assez fouillée le travail manuel en usine, à cette époque. Elle détaille aussi les tensions et les contradictions au sein de la classe ouvrière, entre Français et étrangers, entre immigrés anciens et ceux de fraîche date, entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux. Face à eux, le patronat apparaît dans toute sa vulgarité et sa misogynie, exploitant sans vergogne les classes populaires, mettant en œuvre un racisme systémique dans le monde du travail.

    Les scènes de famille (absentes du livre) apportent un utile contrepoint aux péripéties de l'usine. Le réalisateur n'esquive pas le problème du statut de « l'infiltré », évitant de surcroît de faire du héros un homme parfait. Ses doutes et ses faiblesses nous sont présentés sans détour, parfois avec humour. La solidarité dont font preuve certains ouvriers leur permet de contester le joug capitaliste, sans que cela débouche toutefois sur une victoire totale. Mais l'essentiel était bien d'initier le mouvement.

   C'est un grand film de société, à projeter dans toutes les écoles pour transmettre à notre jeunesse une vision objective du monde du travail qui les attend.

 

   Comme ce qui est écrit ci-dessus ne correspond que partiellement à ce que j'ai vu sur l'écran, je me dois de compléter ce billet. Voici donc...

 

LA CRITIQUE DE DROITE

      Mathias Gokalp, cinéaste médiocre qui n'est pas parvenu à percer, s'est jeté sur un livre culte de la gauche intellectuelle française pour tenter de relancer sa carrière. De L’Établi, il a modifié la structure et certains éléments clés pour servir un propos outrancier, dont on sent bien qu'il se rapporte plus à la France de 2022 qu'à celle de 1968 ou 1978.

   Tout d'abord, parmi la série d'ateliers auxquels le héros a été affecté (d'après le livre), il en est un où l'on ne voit jamais Robert évoluer dans le film : la soudure. En revanche, il travaille au boulonnage/rivetage, à la sellerie et aux balancelles. Cela pourrait se justifier par la volonté d'écourter le film (qui dure déjà deux bonnes heures...) et, peut-être, par la difficulté de filmer un atelier de soudure, surtout avec des comédiens novices en la matière. D'un autre côté, cela conduit le cinéaste à nous présenter l'usine d'abord sous l'aspect du travail à la chaîne, le boulonnage évoquant immanquablement (chez le public cultivé) Les Temps modernes de Chaplin (où le rythme était cependant beaucoup plus élevé que chez Citroën).

   Dans tous les cas, il est un détail d'importance qui a été modifié dans le film : la présence de gants. Dans le livre, à presque chaque poste l'ouvrier en bénéficie, alors que, dans le film, leur absence est un motif de revendication... et l'occasion de faire de belles images de « la momie », surnom donné à Robert à partir du moment où on le voit travailler les mains enveloppées dans des bandelettes de  tissu.

   D'autres éléments ont été tordus quasi systématiquement pour dénigrer un "camp" ou pour en survaloriser un autre. Ainsi, avant de tenter de revenir sur les concessions faites aux syndicats en mai 1968 (en faisant travailler les ouvriers trois quarts d'heure de plus chaque jour, sans augmentation de salaire), la direction de l'usine avait commencé par... réduire le temps de travail, la durée quotidienne passant de 10h à 9h15. (Mais de cela les spectateurs ne sont pas informés.)

   La manière dont sont traités les immigrés, certes injuste, est bien plus dégueulasse dans le long-métrage. Le personnage d'un collègue noir de Robert (à la sellerie) est développé pour le film, uniquement pour pour mettre en scène le racisme (supposé) des cadres de l'usine. (Ceux-ci sont d'ailleurs présentés de manière plus nuancée dans le bouquin, même si certains d'entre eux ont droit à des qualificatifs injurieux.) La même tactique est utilisée pour décrire le renvoi de certains de ces immigrés des foyers où ils logeaient, pour briser leur participation à la grève. Dans le livre, ces ouvriers découvrent leurs valises faites à l'entrée, lorsqu'ils retournent au foyer, alors que, dans le film, leurs affaires sont balancées sans ménagement sur le sol, à la sortie de l'usine.

   On pourrait aussi discuter de la nécessité de transformer un trio d'ouvriers masculins (yougoslaves) en trio féminin. Certes, cela permet d'introduire des questions intéressantes, mais celles-ci sont presque absentes du livre. (Le réalisateur aurait cependant pu introduire une scène concernant une ouvrière mère de famille, qui se fait bien voir de l'un des cadres. Dans le livre, Robert se montre compréhensif, à l'inverse de certains ouvriers.) Plus grave : pour éviter de nuire à l'image de certains ouvriers africains, le livre passe sous silence l'épisode au cours duquel l'un d'entre eux fait étalage de ses préjugés antisémites devant le héros.

   Au final, l'adaptation du livre se rapproche plus d'une fiction de propagande que de la fidèle représentation d'une époque révolue.

samedi, 25 mars 2023

La Syndicaliste (le livre)

   Rédigé par la journaliste de L'Obs Caroline Michel-Aguirre (qui, à l'époque, a suivi une partie de l'affaire), ce livre-enquête a visiblement inspiré les scénaristes du film. Il n'est donc pas illogique que sa sortie en poche soit illustrée d'une image issue de celui-ci.

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   A celles et ceux qui n'ont encore vu le film, je précise que l'image est extraite de la première partie, d'une scène se déroulant en Hongrie, où se rend l'héroïne, afin que les femmes licenciées par le sous-traitant local d'Areva bénéficient de conditions dignes.

   C'est le principal avantage du livre, dans ce cas-ci comme dans d'autres : il développe davantage certains aspects sur lesquels le film passe plus brièvement. Ainsi, on en sait plus sur le contexte politique du conflit, les arcanes des rivalités au sommet de l’État mais aussi dans le petit monde de l'industrie nucléaire. La sensibilité "de gauche" de Maureen Kearney (« guerrière courageuse ») est plus apparente : elle avait pris sa carte du PS en 2011.

   La journaliste a aussi été sensible à ce qu'on pourrait appeler une « connivence de classe » au cours de son enquête. Élus, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs du privé, patrons, médecins et magistrats sont parfois dépeints comme issus du même milieu, limite parlant la même langue. On sent qu'au-delà du propos féministe, Caroline Michel-Aguirre veut aussi dire que Maureen Kearney a été incomprise parce que ne venant pas du même monde que les personnes qui l'ont interrogée, à divers degrés.

   On comprend encore pourquoi l'un des aspects importants de sa vie personnelle a été passé sous silence dans le film : les agressions subies par son fils aîné. Dans le long-métrage, on ne voit explicitement que le second enfant, la fille étudiante.

   Concernant les adversaires de la syndicaliste, on ne découvre rien de particulier sur le PDG d'Areva... et absolument rien de négatif sur sa prédécesseure, alors que le film se montre plus ambigu sur la manière dont celle-ci s'est comportée. C'est surtout intéressant quand il est question d'EDF, de son PDG de l'époque (Henri Proglio)... et de celui qui est présenté comme son bras droit (pas mentionné dans le film). Directeur de la branche Asie-Pacifique, il vivait à mi-temps entre la France et la Chine. (Il a été mis fin à ses fonctions chez EDF en 2016.)

   Le cinéphile que je suis trouve toujours de l'intérêt à comparer une œuvre écrite à son adaptation sur grand écran. J'aime voir comment on a modifié, ajouté ou supprimé des détails et essayer de comprendre pourquoi.

   Ainsi la topographie de la maison où l'agression de Maureen Kearney a été commise est légèrement différente. Peut-être n'a-t-on pas réussi à trouver l'équivalent pour le tournage... ou peut-être, en situant le viol dans une sorte de cave, a-t-on voulu en accentuer l'aspect sordide.

   Autre modification importante : la rencontre avec la première victime d'agression, l'épouse d'un ancien cadre supérieur de Veolia. Dans le film, c'est l'héroïne qui va à sa rencontre. Dans le livre, c'est la journaliste. Je pense qu'évacuer ce personnage-ci rendait l'intrigue plus lisible, et permettait de davantage mettre en valeur Maureen Kearney.

   L'édition de poche est enrichie d'une préface inédite. On y trouve aussi une postface signée Pierre Péan, qu'il avait sans doute rédigée peu de temps avant sa mort.

jeudi, 19 janvier 2023

La Perspective Luigi

   En deux volumes, cette bande dessinée constitue un épisode hors-série des aventures des Lulus. Il se place après les trois premiers tomes, dont j'ai récemment parlé.

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   Dans le premier volet, on retrouve nos héros... en Allemagne. Je ne révèlerai pas comment ils s'y sont retrouvés. Sachez juste que le peu d'allemand appris auprès du déserteur Hans (dans le tome 2) va leur être très utile pour se faire passer pour des citoyens suisses, les Français n'étant pas très populaires à l'époque (1916) outre-Rhin, y compris dans les catégories populaires, particulièrement touchées par les pénuries.

   Les Lulus intègrent une bande de gamins des rues, sorte de version citadine (et teutonne) de nos orphelins de la forêt. Ils vont croiser un autre groupe, plus hostile celui-là, composé d'enfants plus âgés. L'ambiance oscille entre Victor Hugo et Charles Dickens. C'est très prenant... et superbement mis en images, par Damien Cuvillier, qui succède temporairement à Hardoc pour ces aventures. Au scénario officie toujours Régis Hautière.

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   Le deuxième volet de ces aventures nous transporte à Holzminden, dans un camp d'internement allemand, destiné aux civils étrangers. Ce n'est pas une invention du scénariste : il a bel et bien existé. C'est l'occasion de rappeler que cette bande dessinée, fictive, est nourrie de recherches historiques consciencieuses.

   L'histoire est toujours aussi rocambolesque. Les jeunes héros rencontrent  quelques salauds, mais aussi de belles âmes, qui vont leur permettre de surmonter l'adversité.

   Notons que ces aventures germaniques sont racontées par un Luigi devenu adulte, en 1936, alors qu'il n'était pas le narrateur des premiers albums.

dimanche, 23 octobre 2022

Jean Teulé

   L'écrivain-dessinateur-journaliste vient de nous quitter, d'une "belle mort" (un arrêt cardiaque, c'est toujours mieux qu'une longue agonie cancéreuse ou alzheimerienne). C'était un personnage de notre monde médiatico-culturel, à la fois très connu et un peu à la marge.

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   Je l'avais découvert à la télévision, dans les années 1980, comme chroniqueur dans l'excellente émission L'Assiette anglaise, présentée par Bernard Rapp. Comme le lien précédent mène à un numéro dans lequel Teulé n'intervient pas, en voici d'autres, qui donnent un bon aperçu du ton qu'il employait : "Commémoration de la mort de Louis XVI" (un reportage un peu décalé), "Loto tragique" (Teulé, qui a pris du galon, a désormais son fauteuil en plateau) et "Le mystère de l'inconnu du photomaton", qui a sans doute inspiré les scénaristes du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain.

   Je ne lisais pas régulièrement l'écrivain. De lui, j'ai notamment aimé Fleur de Tonnerre, consacré à la tueuse en série Hélène Jégado. Notons que son Magasin des suicides a été adapté au cinéma par Patrice Leconte.

   On peut le réentendre dans un florilège de l'émission Affinités culturelles, diffusé ce dimanche sur France Culture.

dimanche, 07 août 2022

Audrey

   Je ne suis pas trop amateur des biographies de stars. Je les soupçonne soit de verser dans l'hagiographie, soit de chercher à mettre en valeur des anecdotes graveleuses pour faire vendre. Et puis, concernant les acteurs, ce n'est pas tant leur vie privée que l'exercice de leur profession qui m'intéresse.

   J'ai fait une exception pour Audrey Hepburn, dont les films m'ont enchanté lors du dernier festival de cinéma de La Rochelle. Va donc pour ce bouquin (sorti en France en 1997) signé Barry Paris, un journaliste familier du monde du cinéma, qui a écrit une bio "à l'américaine", farcie de références (pour justifier ses affirmations). Pour rendre la lecture plus aisée, celles-ci sont repoussées en fin de volume.

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      L'un des intérêts de ce livre est sa première partie, consacrée à l'enfance de la future comédienne. Elle est née en 1929, aux Pays-Bas. Sa mère est une Van Heemstra, issue de l'aristocratie batave, tandis que son père, Joseph Hepburn-Ruston, était un homme d'affaires anglo-irlandais.

   Dans les années 1930, ses parents, résidant souvent au Royaume-Uni (dont Audrey a d'abord mieux maîtrisé la langue que celle de son pays d'origine), sont attirés par... le fascisme. La père ne s'en est d'ailleurs jamais vraiment détaché, ce qui lui a valu une période d'emprisonnement pendant la guerre. Le reste de la famille a passé le conflit aux Pays-Bas, où la jeune Audrey a vécu une période particulièrement difficile, connaissant la peur et la faim. Tout cela, ajouté à la séparation de ses parents (en clair : la fuite de son père), explique en partie la mentalité de la femme adulte, qui a toujours vécu dans la peur de l'abandon et le souhait de ne pas reproduire le schéma familial avec ses enfants. Cela a eu des conséquences sur sa carrière.

   La biographie permet de suivre celle-ci de manière détaillée. On découvre les premières participations de celle qui, au départ, se voyait danseuse de ballet, avant que son visage expressif et sa fraîcheur d'expression ne la fassent repérer par des réalisateurs et des producteurs. Le livre fourmille d'anecdotes sur les coulisses du tournage des films. Je vais me contenter de relever deux anecdotes, concernant des accidents (réels) qui sont devenus des péripéties dans deux longs-métrages.

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   Commençons par Charade, le petit chef-d’œuvre de Stanley Donen. Dans l'une des (nombreuses) scènes marquantes, on voit l'héroïne faire tomber malencontreusement une boule de glace sur le costume de son "protecteur" (incarné par Cary Grant), alors qu'ils se promènent sur les quais de Seine. Cet incident aurait été inspiré par une maladresse réelle d'Audrey Hepburn, qu'elle a commise lors de sa rencontre avec C. Grant, dans un restaurant. Elle a renversé sur lui le contenu d'une bouteille de vin rouge, en présence de Stanley Donen.

   Une autre péripétie, plus redoutable, a été incluse dans La Rose et la Flèche. On y voit le chariot conduit par Marianne (Hepburn) se renverser dans une rivière... ce qui n'était pas prévu au scénario ! Le réalisateur, Richard Lester, a décidé de garder la prise (unique) et de modifier la scène suivante pour intégrer le tout à l'intrigue.

   Les à-côtés sont particulièrement développés autour de My Fair Lady, Audrey Hepburn ayant remplacé au cinéma Julie Andrews, devenue très populaire grâce à la comédie musicale d'origine.

   La vie privée de la comédienne fut beaucoup moins joyeuse que la plupart des films dans lesquels elle a tourné. Elle semble n'avoir pas été très avisée dans le choix de ses compagnons... sauf le dernier. Le livre explique en détail, pour un public qui l'aurait oublié, les motivations de l'actrice, qui s'est faite rare au cinéma à partir du début des années 1970. Elle voulait connaître une vie conjugale harmonieuse et avoir des enfants. Elle a subi plusieurs fausses couches avant de donner naissance à deux garçons, de deux pères différents.

   Concernant l'image d'Audrey, on peut lire des passages intéressants sur sa silhouette, qui a fait couler beaucoup d'encre. D'après le couturier Hubert de Givenchy (qui fut pendant longtemps son "habilleur attitré"), elle a gardé les mêmes mensurations presque toute sa vie d'adulte. La biographie évoque des périodes de boulimie et d'autres de maigreur extrême, pour des raisons diverses.

    Certain(e)s seront aussi peut-être surpris(es) d'apprendre que l'actrice était une grosse fumeuse (sans accessoire longiligne) et qu'elle était amatrice de whisky (sans être alcoolique).

   Le paradoxe est que celle qui est devenue une icône de la mode et une incarnation de l'idéal féminin ne correspondait pas aux canons de beauté de l'époque à laquelle elle a débuté. On y préférait les femmes aux formes généreuses... et moins grandes que leurs partenaires masculins. Or, avec son mètre soixante-dix (et ses pieds taille 39), ses sourcils non épilés, sa taille de guêpe, sa poitrine riquiqui et sa dentition légèrement décalée, Audrey aurait pu passer pour un "vilain petit canard"... si elle n'avait eu ce regard malicieux, ce sens de la répartie... et une élégance innée.

   Les lecteurs français seront sensibles à certains détails de la biographie. Audrey parlait couramment notre langue et aimait notre pays. L'un de ses films préférés était Les Enfants du paradis et elle aurait aimé tourner avec l'acteur Philippe Noiret. Elle a rencontré l'écrivaine Colette, avec laquelle le courant semble être bien passé. En revanche, elle s'est fâchée avec une petite sommité du monde du cinéma français : Claude Renoir, fils de Pierre et neveu de Jean. Sur le tournage de Deux Têtes folles, elle l'a fait remplacer en tant que directeur de la photographie, jugeant que son travail ne la mettait pas bien en valeur. (Pour entendre la version de Claude Renoir, il faut se rendre ici.)

   La fin de l'ouvrage rend hommage à son travail pour l'UNICEF. Même si le livre est parfois trop en empathie avec la comédienne, je trouve qu'il regorge d'informations passionnantes pour qui s'intéresse à la vie et à la carrière d'Audrey Hepburn.

dimanche, 27 mars 2022

L'Ile aux 30 cercueils

   Depuis la semaine dernière, France 2 diffuse cette nouvelle adaptation du roman de Maurice Leblanc (dans lequel, contrairement à ce qu'il se passe dans la mini-série, Arsène Lupin finit par intervenir). Deux épisodes ont déjà été proposés aux téléspectateurs, les deux suivants étant programmés lundi 28 mars, les deux derniers lundi 4 avril. (L'intégralité est disponible sur le site de France Télévisions.)

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   Un couple se retrouve au cœur de la tourmente. De nos jours, Christine, une infirmière, retourne sur les lieux de son enfance, l'île (fictive) de Sarek, située à proximité des Glénan, dans le Finistère.

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   Des années auparavant, elle et son mari Raphaël avaient quitté les lieux, après la mort de leur enfant mort-né. Ils se sont reconstruits loin de là, mais sans enfant. Christine revient parce qu'elle a reçu une vidéo tournée au moment de son accouchement : le bébé aurait survécu. Elle se demande ce qu'il est devenu et essaie de l'identifier. Le problème est que deux garçons semblent correspondre... et que, dès son arrivée sur l'île, les morts violentes s'accumulent. Entre ceux qui savent quelque chose (et qui ne veulent pas remuer le passé) et ceux qui, bien que ne sachant rien, ont un avis bien tranché sur tout, l'infirmière doit la jouer finement, appuyée (discrètement) par le chef de la gendarmerie locale (secrètement amoureux d'elle) puis son mari, qui finit par la rejoindre.

   Par rapport au roman, beaucoup de choses ont été modifiées... et ce n'est pas forcément un mal. Qu'ont gardé les scénaristes ? La croyance en la perte de l'enfant, le départ puis le retour de la mère, l'existence de deux garçons, la crucifixion des femmes et l'histoire des fameux trente cercueils, une sombre prophétie qu'un tueur en série semble s'évertuer à accomplir.

   En dépit de certaines faiblesses, j'ai été pris par cette intrigue. La distribution est attrayante, avec Virginie Ledoyen, Charles Berling, Jean-François Stévenin (qu'on n'arrête pas de voir sur les écrans depuis qu'il est décédé !), Marilyne Canto, Dominique Pinon et une brochette de petits jeunes assez doués. On a envie de découvrir le fin mot de l'histoire, surtout dans sa forme double : la mort présumée du fils de Christine et le destin de cette autre femme, mère d'un autre enfant, qui a vécu sur la même île et qui a disparu quelques années auparavant.

   Le gros défaut de la mini-série est la peinture caricaturale qui est faite de ses habitants. Comme on a déplacé l'action principale de 1917 à 2021, on aurait pu nous éviter ces portraits de Bretons arriérés, superstitieux ou culs-bénits, alcooliques et violents, même si les derniers épisodes sont chargés de redorer quelque peu leur blason. Ceux-ci manquent d'ailleurs un peu de saveur si l'on a compris qui est à la manœuvre. Je conseille d'ailleurs de ne surtout pas (re)lire le roman avant de voir la série.

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   En revanche, après avoir vu cette adaptation assez éloignée de l'original, on peut se replonger dans la prose de Maurice Leblanc, un auteur à mon avis sous-estimé de notre littérature. La série diffusée récemment sur Netflix l'a remis au goût du jour... mais cela fait un petit moment qu'au Japon, par exemple, on lui rend hommage à travers le personnage d'Edgar de la Cambriole.

   Le roman de Leblanc est à mon avis plus ample que sa dernière adaptation télévisuelle. Celle-ci est centrée sur le drame intime et sur les tensions familiales, alors que l'histoire d'origine évoque des secrets millénaires et une tentation mégalomaniaque qui pourrait menacer l'humanité. Arsène Lupin n'intervient que dans le dernier tiers de l'intrigue, de manière déterminante. Je n'avais jamais lu ce roman (alors que je regardais jadis avec passion les aventures télévisuelles où brillait Georges Descrières). Je l'ai trouvé passionnant.

lundi, 01 novembre 2021

Eugénie Grandet

   Séance de rattrapage ce week-end prolongé, avec l'autre adaptation de Balzac encore sur nos écrans, celle-ci moins clinquante et moins populiste qu'Illusions perdues.

   Ce fut aussi l'occasion pour moi de me replonger dans un roman que j'avais découvert à l'adolescence. (François Mitterrand était président de la République... c'est vous dire si ça date !) Le film de Marc Dugain (dont j'avais bien aimé L'Échange des princesses) n'est pas une adaptation fidèle, plutôt une adaptation-transposition, avec une connotation féministe prononcée.

   C'est l'un des débats nés autour de ce film : ne dénature-t-il pas l'œuvre de Balzac, pour lui faire dire ce qu'il n'a pas écrit il y a près de 200 ans ? Ainsi, l'écrivain tourangeau n'était pas féministe, mais il s'est intéressé à la condition féminine. Je trouve que, dans ce domaine, les choix de Dugain sont pertinents, mettant en scène la lente émancipation de l'héroïne. (Dans le roman, elle finit par contracter un mariage blanc.)

   Un autre débat porte sur l'aspect esthétique. C'est réalisé de manière austère, certaines scènes semblant éclairées uniquement à la chandelle. Le but est de montrer la frugalité du quotidien de la famille Grandet, alors que le père a secrètement placé des millions, auxquels il ne veut pas toucher (et dont sa famille ignore tout). Incidemment, ces scènes sont d'une grande beauté formelle. J'aime cette austérité au service de l'ambiance.

   Je suis plus partagé sur l'aspect romantique de l'histoire. (L'ironie de Balzac a hélas été en partie gommée.) Dans l’œuvre d'origine, Eugénie est une jeune femme naïve, pas très jolie, qui s'entiche d'un cousin falot, totalement superficiel. Dans le film, il est impossible d'être insensible à la beauté simple de Joséphine Japy, le personnage de Charles ayant été modifié pour le rendre plus séduisant, moins superficiel.

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   En revanche, le portrait du père Grandet (Olivier Gourmet, une fois de plus formidable) a été chargé, lui faisant notamment suggérer la "traite des nègres" comme activité commerciale à son neveu, alors que, pour Balzac, c'est le jeune homme parti en Asie qui a de lui-même choisi ce moyen plus immoral lucratif de gagner sa vie.

   J'ajoute que la scène (décisive) se déroulant une nuit, dans la chambre occupée par le cousin, est impensable dans la mentalité de l'époque. Dans le roman, cette nuit particulière est occupée par la rédaction puis la lecture de lettres, qui en apprennent beaucoup à l'héroïne.

   Quoi qu'il en soit, les acteurs sont excellents. C'est du beau travail, avec cette fin inédite dont on sent qu'elle a été conçue pour faire écho à notre époque.

   P.S.

   Je ne résiste pas au plaisir de citer un passage du roman d'Honoré de Balzac, écrivain lucide sur son époque... et sur la nôtre : « Il est dans le caractère français de s'enthousiasmer, de se colérer, de se passionner pour le météore du moment, pour les bâtons flottants de l'actualité. Les êtres collectifs, les peuples, seraient-ils donc sans mémoire ? »

vendredi, 22 octobre 2021

Astérix et le Griffon

   Hier 21 octobre est sorti le 39e album des aventures du célèbre Gaulois. C'est le cinquième de l'ère Ferri-Conrad, débutée en 2013 avec Astérix chez les Pictes. Je pense que tout le monde aura remarqué que cette sortie coïncide avec l'approche d'un week-end et, surtout, le début des vacances de Toussaint. Chez Hachette (qui a complètement avalé les éditions Albert René), la mercatique est une seconde nature !... mais pas le patriotisme économique, puisqu'on peut constater une nouvelle fois que l'ouvrage a été imprimé hors de France. Ces dernières années, l'éditeur alterne entre l'Italie (une localisation européenne qui pouvait à la rigueur paraître pertinente pour l'album Astérix et la Transitalique) et la Roumanie, d'où provient l'ouvrage parvenu entre mes mains.

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   Le titre et le début de l'histoire plongent leurs racines dans l'Antiquité et la mythologie. On va donc rencontrer (à nouveau) des Sarmates (croisés dans Astérix et la Transitalique) et -surtout- des Amazones, de redoutables guerrières (dotées de leurs deux seins) dont la représentation s'apparente à un pur fantasme masculin. Ceci dit, cela nous vaut plusieurs scènes cocasses.

   Les lecteurs attentifs noteront que, plus que les (supposées) Amazones antiques, ce sont les Russes qui semblent avoir inspiré ces personnages féminins, au niveau des noms, des jouets des enfants et du physique de certains personnages. (On pense aux Pussy Riot et à certaines Femen.)

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   Voilà nos héros partis pour l'Europe de l'Est, au nord de la mer Noire et du Caucase, pour une région où ils vont affronter des Romains, en quête non pas de territoire, mais d'animal fabuleux... et d'or. J'ai bien aimé la mise en scène de cette rivalité, sous l'œil goguenard des intrépides guerrières. (De même la résolution de l'énigme concernant le griffon est assez bien trouvée... voire vraisemblable !)

   L'humour est évidemment de la partie. Comme de coutume, on sera très attentif aux noms de personnes, aux jeux de mots, ainsi qu'aux détails de certaines vignettes. Covid oblige, on ne s'étonnera pas de croiser un personnage moustachu nommé Klorokine (pas très habile avec les potions...), ainsi que Fakenius, soldat romain complotiste ! Didier Conrad se montre un digne successeur d'Uderzo, dont il garde la patte et le sens du clin d'œil.

   Bref, en dépit de mes appréhensions (et de mon opinion quant à la politique commerciale d'Hachette), j'ai bien aimé cet album qui, comme la plupart de ceux conçus par le duo de successeurs, va sans doute gagner à être relu.

samedi, 03 octobre 2020

Téléfilmiquement correct

   Il y a moins de deux mois, la décision de changer la version française du titre du célèbre roman d'Agatha Christie (Dix Petits Nègres, Ten Little Niggers dans la version d'origine) a défrayé la chronique. (En écoutant le sujet radiophonique, vous apprendrez -si vous ne le saviez pas- que ce n'est pas que le titre qui a été changé, mais aussi le texte du roman, dans lequel, à chaque fois qu'il apparaissait, le mot "nègre" a été remplacé.)

   TF1 s'est coulé dans le moule. Sur sa plateforme de vidéo de rattrapage, on peut accéder à la présentation de tous les programmes diffusés (actuellement ou anciennement) sur l'une des chaînes du groupe télévisuel. On a bien "mis à jour" la page d'accueil de la mini-série adaptant l'oeuvre d'Agatha Christie :

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   Mais, dans notre monde numérique, hyperconnecté, rien ne se perd... tout se transforme ! En cherchant un peu, voici ce sur quoi l'on peut tomber :

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   Le plus cocasse est que, si le titre est ancien, sur la page, on trouve aussi la version retouchée ! Je pense que, dans un premier temps, on s'est contenté de modifier le titre, avant de réaliser que l'adresse de la page était l'ancienne.

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   D'où (sans doute) la décision d'en créer une nouvelle. C'est encore plus drôle quand on retourne à la page actuelle (la première que j'ai mentionnée). On peut accéder à un compte-rendu de la première diffusion de la mini-série :

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   Vous remarquerez que l'article originel a été écrit le 21 décembre 2016, le lendemain de la première diffusion des épisodes (en France)... mais qu'il a été très récemment modifié, le 24 septembre dernier. Toutefois, si le titre est bien conforme aux exigences du "politiquement correct", le corps de l'article n'a pas été retouché !... comme quoi, l'antiracisme ostentatoire (et mal placé) ne protège pas de la fainéantise !

   P.S.

   Dans la version britannique de la mini-série (datant de 2015), le lieu où se déroule l'intrigue est bien nommé "Soldier Island" et les personnages de la comptine sont bien désignés par l'expression "Ten little Soldier Boys". La réécriture de l'histoire littéraire s'est d'abord manifestée dans le monde anglo-saxon...

   P.S. II

   ... et elle a été plus précoce qu'on ne l'imagine dans l'Hexagone, puisque, dans la version française de la mini-série diffusée en décembre 2016, c'est dès le générique que l'on pouvait remarquer (à condition d'être très attentif et d'avoir de bons yeux) le remplacement du mot "nègre" (soit plus de trois ans avant la parution de la traduction retouchée du roman) :

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   P.S. III

   Précisons que la chanson d'origine, qui a inspiré l'écrivaine, a pour titre Ten Little Indians. Celle-ci n'avait pas choisi par hasard le titre que son descendant a décidé de faire disparaître.

   P.S. IV (un dernier, pour la route !)

   L'an dernier, France Culture a évoqué la sortie d'un livre proposant une résolution de l'énigme autre que celle donnée par la romancière.

jeudi, 20 août 2020

La rafle des notables

   C'est le titre du dernier livre publié par la journaliste Anne Sinclair qui, depuis une dizaine d'années, se repenche sur son histoire familiale, qui n'est pas sans liens avec notre histoire nationale.

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   Cette vague d'arrestations massives de juifs de France est bien moins connue que celle dite du Vel d'Hiv, qui a été popularisée (entre autre) par le film La Rafle. En France, l'année 1941 a été marquée par les premières grandes vagues d'arrestations avec, en mai, la "rafle du billet vert" et, en août, la deuxième grande rafle parisienne.

   En comparaison de ces vagues (portant chacune sur environ 4 000 personnes), l'arrestation de 743 "bourgeois" juifs paraît de moindre importance. Elle n'en était pas moins annonciatrice de la suite. Tout d'abord, elle porta au total sur un bon millier de personnes, environ 300 juifs originaires d'Europe centrale et orientale s'ajoutant aux notables français. De plus, contrairement à ce qui a jadis été dit, ces arrestations ont été opérées par des policiers français, associés à des militaires allemands et parfois, des agents de la Gestapo. Une bien belle "collaboration"...

   Après une phase de regroupement à l'Ecole militaire, les détenus ont été envoyés du côté de Compiègne, dans le camp de Royallieu, au nord de Paris :

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   Parmi les "notables" arrêtés figurait Léonce Schwarz, le grand-père paternel d'Anne Sinclair, entrepreneur dans le textile. C'est l'aïeul qu'elle n'a pas connu, puisqu'il est décédé peu après la Libération, en 1945. L'un des intérêts du livre est le récit du sauvetage du grand-père, tombé malade pendant sa détention, ce qui lui a permis d'être envoyé à l'hôpital, d'où son épouse a réussi à le faire sortir avant qu'il ne soit renvoyé à Compiègne (et, de là, déporté à Auschwitz).

   Durant sa détention, le grand-père d'Anne Sinclair a pu côtoyer le frère de Léon Blum, le mari de Colette, le fils de Tristan Bernard, un ancien ministre de Clemenceau et une foule de polytechniciens, ingénieurs, juristes... L'écrasante majorité de ces "notables" était toutefois composée de commerçants et d'artisans.

   Le livre mérite aussi le détour par la description des conditions de détention. Certes, ce n'était ni un camp de concentration, ni un centre d'extermination, mais les prisonniers n'en ont pas moins subi d'effroyables privations, sans parler des vexations.

   Un petit cahier de photographies complète l'ouvrage.

   En complément, on peut lire le précédent ouvrage historique d'Anne Sinclair, consacré à la branche maternelle de sa famille qui, à la même époque, a pu fuir la France pour le Portugal puis les Etats-Unis :

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   Au centre de cet ouvrage se trouve l'autre grand-père d'Anne Sinclair, Paul Rosenberg, le marchand d'art audacieux, qui a soutenu les peintres "modernes" de son temps, au premier rang desquels Picasso. Au-delà de la saga familiale, le livre passionne aussi par la description du fonctionnement du marché de l'art peu avant et peu après la Seconde Guerre mondiale.

   P.S.

   Pour la petite histoire, sachez que le nom Sinclair fut à l'origine le pseudonyme pris par le père d'Anne quand, jeune homme, il rejoignit la France Libre. Pour éviter que sa famille ne soit victime de représailles de la part de l'État français ou de l'occupant allemand, comme bien des résistants, il adopta un nom d'emprunt, qu'il fut autorisé à conserver après la guerre.

vendredi, 10 juillet 2020

Histoire d'une erreur judiciaire

   On en apprend tous les jours, notamment grâce à la bande-dessinée, devenue à la fois un véritable art et un excellent moyen de se cultiver. Je suis donc récemment tombé sur celle-ci :

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   Ce roman graphique est signé Xavier Bétaucourt (au scénario) et Olivier Perret (au dessin). De larges extraits sont lisibles ici.

   A Atlanta (en Géorgie, État du Sud-Est des États-Unis), en 1913, le corps d'une adolescente de 14 ans est découvert dans le sous-sol d'une usine. Elle a été violée. Très vite, la ville s'enflamme. Deux principaux suspects émergent : un employé noir de l'usine et le patron (Leo Frank). Celui-ci est juif... et c'est un Yankee, un Américain venu du Nord vainqueur de la Guerre de Sécession, dont les stigmates font encore souffrir.

   L'histoire nous est racontée sur trois temporalités : les événements de 1913, les souvenirs de celui qui n'était qu'un jeune coursier à l'époque (et qui témoigne en 1982)... et l'année 2017.

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   Le dessin n'a rien d'éblouissant. Par contre, je trouve que les ambiances sont très bien campées. On nous fait bien sentir quels étaient les préjugés de l'époque (le racisme, l'antisémitisme). L'enquête a été mal menée, sous la pression de l'opinion, des médias de l'époque (la presse, dont nombre d'organes vont s'adonner au sensationnalisme sans retenue)... et de quelques "faiseurs d'opinion".

   Entre le juif et le "nègre", la populace blanche balance. Les supposées "élites" locales, elles, ne se sont pas posées trop de questions et ont adopté un comportement radical.

   Cette injustice a été passée sous silence pendant des années. Même lorsque le principal témoin des faits a enfin osé raconter ce qu'il avait vu, on lui a demandé de se taire.

vendredi, 22 mai 2020

Le chien des Basqueville

   Non, il n'y a pas d'erreur. Ce billet a pour titre celui d'un polar historique signé Jean d'Aillon (auquel on doit aussi Une étude en écarlate, dont j'ai parlé la semaine dernière).

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   Évidemment, le titre est un clin d'oeil à l'oeuvre d'Arthur Conan Doyle (Le Chien des Baskerville). Dans cette nouvelle enquête, le Sherlock Holmes médiéval va faire la rencontre de Gracieux, un... chien, appartenant à la famille des Basqueville. Il va aider notre héros... et parfois se montrer redoutable. Mais ce n'est pas un véritable tueur d'hommes. Non, en ce domaine, les bipèdes sont hélas bien plus efficaces.

   Outre la présence d'un chien, l'autre point commun est qu'une affaire d'héritage et de filiation est au coeur de l'intrigue. Mais l'auteur ne se contente pas de décaler l'histoire d'origine, il la replace dans le contexte des années 1420 et des complots politiques qui animent l'époque.

   A la fin de l'ouvrage, Jean d'Aillon prend un malin plaisir à préciser que le nom de famille n'est pas inventé. Il cite même une étude historique (ancienne). Les Baskerville anglais descendraient de Basqueville normands ! Les curieux peuvent aussi se rendre sur un site internet consacré à l'actuelle commune de Bacqueville-en-Caux.

   Dans cette deuxième (en réalité troisième, la deuxième figurant dans un recueil) enquête, on retrouve Edward Holmes et Gower Watson installés dans la demeure acquise à la fin de leurs précédentes aventures. Le clerc perspicace a désormais l'oreille de la reine Isabeau, qui fait appel à lui quand une affaire délicate nécessite intelligence et discrétion.

   Cette fois-ci, Holmes (un Anglais de Paris, rappelons-le) est chargé de se rendre en Normandie, pour récupérer un mystérieux coffret, auquel tiennent à la fois une ravissante veuve et la reine Isabeau. La première partie du roman relate le voyage, qui évidemment ne va pas se dérouler comme prévu. Holmes le clairvoyant va se faire berner.

   Durant la seconde partie, l'intrigue fait intervenir de nouveaux protagonistes. Outre la reine, le duc de Bourgogne et la belle-mère du dauphin (futur Charles VII) se mettent en quête du contenu du coffret, pendant que sévissent d'étranges maîtres-chanteurs.

   Contrairement à la trame narrative d'Une étude écarlate, celle-ci ménage longtemps le suspens quant à l'identité de certains comploteurs. Par contre, le même procédé est mis en oeuvre : des groupes de personnages au départ ignorants les uns des autres vont se croiser, voire s'affronter.

   C'est toujours aussi bien écrit (avec parfois un foisonnement excessif de détails), documenté... et enlevé. Aux amateurs de l'univers holmsien, je signale que ce roman marque l'apparition d'un enquêteur judiciaire nommé Grégoire Lestrade. On y voit aussi le héros recruter ses deux premiers informateurs irréguliers.

   Comme le précédent, j'ai adoré.

samedi, 16 mai 2020

Sherlock au Moyen Age

   Récemment, je butinais dans les rayons d'une librairie, en quête de nourriture spirituelle divertissante, lorsque je suis tombé sur ceci :

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   C'est le titre qui a attiré mon attention. C'est une référence transparente à la première enquête de Sherlock Holmes publiée par Arthur Conan Doyle, Une Étude en rouge. Ce n'est qu'ensuite que j'ai lu le petit texte, qui évoque les aventures d'un Edward Holmes et d'un Gower Watson. Ils évoluent au début du XVe siècle (dans les années 1420), en France, le plus souvent à Paris, un Paris gouverné par les Anglais et leurs alliés Bourguignons. Nous sommes en pleine guerre de Cent-Ans.

   L'auteur Jean d'Aillon (qui utilise un pseudonyme) est un économiste de formation, ancien haut-fonctionnaire reconverti dans le polar historique. Sa documentation semble solide, ce qui ajoute de l'intérêt à ses intrigues policières inventées.

   Le tout début du livre présente la manière (supposée) dont l'auteur a découvert l'existence putative de ce Sherlock médiéval. C'est à la fois facétieux et érudit, à la manière dont Jean d'Aillon construit ses intrigues.

   La particularité de ce polar est que l'histoire qui nous est contée ne consiste pas en la progressive découverte de la manière dont un criminel a agi (ni de son identité). Non, ici, il s'agit d'un complot, qui fait intervenir les rivaux français (armagnacs et bourguignons), la corporation des bouchers de Paris (acteur à part entière, qu'il est bon de ne pas négliger), les Parisiens "ordinaires", les autorités anglaises... et d'autres ressortissants d'outre-Manche, dont les intentions semblent louches.

   C'est donc un roman fouillé, avec un arrière-plan historique travaillé et de multiples intrigues secondaires. Tout va se jouer dans une mystérieuse demeure, la Maison de Mélusine, où vont se croiser (parfois sans se rencontrer) des bouchers criminels, un aristocrate ivre de vengeance (ce qui relie ce roman à celui de Conan Doyle), un bourgeois prétentieux, des complotistes anglais... et nos enquêteurs.

   Edward Holmes est un clerc désargenté, dont deux des demi-frères viennent de décéder (à cause de ces Bloody Frenchies !). Il se cherche une occupation rémunérée... et rencontre un archer, Watson, vétéran de la bataille d'Azincourt, de glorieuse mémoire pour les sujets de la perfide Albion. C'est d'ailleurs l'originalité de cette série de romans (d'un auteur français) que de mettre à l'honneur des personnages de l'autre camp, celui qui combat le dauphin, futur Charles VII.

   Dans cette aventure-ci, on croise des personnages historiques, certains connus comme la reine Isabeau de Bavière et le dauphin Charles, d'autres plus anonymes comme Tanneguy du Châtel et  Jean Chuffart, un chanoine auteur présumé du Journal d'un bourgeois de Paris (hostile aux Armagnacs et donc, plus tard, hostile à Jeanne d'Arc). Ces figures de l'Histoire croisent des personnages inventés, parfois avec malice comme ce greffier (et logeur) Jacques Bonacieux, dont la jeune épouse Constance fait tourner quelques têtes...

   Cela donne une idée des influences littéraires de Jean d'Aillon. Il mêle Conan Doyle à Alexandre Dumas et, globalement, au roman populaire du XIXe siècle. Les chapitres sont courts, avec un aspect feuilletonnant. L'importance de l'arrière-plan historique et le souci du détail "vrai" rapprochent ce roman d'autres séries, comme les Napoléon Bonaparte d'Arthur Upfield (le héros étant un inspecteur métis évoluant dans l'Australie de la première moitié du XXe siècle), les aventures du juge Ti de Robert van Gulik, les oeuvres de Tony Hillerman situées en réserve Navajo ou, plus récemment, les enquêtes du brahmane Doc de Sarah Dars ou celles de Nicolas Le Floch, par Jean-François Parot.

   J'ai lu cette étude en écarlate en moins de deux jours, malgré le boulot, au risque d'écourter une nuit, tellement j'ai trouvé cela passionnant.

lundi, 23 décembre 2019

Star Wars : 350 anecdotes

   La sortie de ce livre est fort opportune, juste avant que l'épisode IX ne soit diffusé dans les salles françaises. Il contient une foultitude de détails, certains connus, d'autres moins. L'auteur Chris Pavone s'est livré à un impressionnant travail de compilation. L'ensemble est bien écrit, facile à lire... et constitue le cadeau de Noël idéal (et pas cher : 10 euros) pour les fans de la série.

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   Beaucoup d'anecdotes évoquent la création de l'habillage visuel ou sonore des films. Ceux qui l'ignoreraient découvriront qu'avant l'ère du numérique, on bidouillait beaucoup. (On continue encore...) Ainsi, le son des sabres-lasers est constitué d'un mélange du bruit fait par le moteur d'un projecteur de cinéma et d'interférences micro. Pour la petite histoire, je signale que la premier sabre-laser à sortir du "canon" (bleu/rouge) est celui de Mace Windu, interprété par Samuel Jackson. Celui-ci avait exigé de disposer d'un sabre personnalisé... violet !

   Sans surprise, les références au monde des samouraïs abondent. Le terme Jedi est d'ailleurs un décalque du japonais "Jidai Geki", qui désigne, au pays du soleil levant, un genre théâtral, cinématographique et télévisuel.

   Au niveau des sons, sachez que le cri d'un monstre marin est en réalité la déformation du... rot du bébé de l'un des membres de l'équipe. Autre détail croustillant : dans l'épisode VII, c'est le ronronnement d'un chat qui a été utilisé pour exprimer l'usage de la Force. Un dernier bidouillage, pour la route : dans l'épisode I, le public de la course est représenté à l'aide de cotons tiges !

   Passons aux personnages principaux. Sachez que Chewbacca a été inspiré à George Lucas par son... chien, un Malamute d'Alaska nommé... Indiana ! (Le livre regorge d'ailleurs de réflexions sur les liens entre Lucas et Spielberg). Sa fourrure est faite de poils de yak et de mohair.

   Autre second rôle emblématique de la saga, R2-D2 bénéficie de plusieurs notes dans le livre. On y apprend l'origine de son nom ("Reel 2 Dialog 2"), les tourments de l'un des acteurs (nain) chargé de mouvoir le robot de l'intérieur (un jour, il a été oublié par l'équipe partie déjeuner) et le pourquoi de ses "bips" qui semblent tellement choquer C-3PO.

   J'ai gardé mon préféré pour la fin. Sous ses identités successives, Dark Vador a été interprété (physiquement et vocalement) par onze acteurs différents tout au long de la saga... le pire étant peut-être Hayden Christensen, dont la carrière a d'ailleurs périclité après le tournage de la prélogie. Signalons que le masque qui apparaît à la fin de celle-ci a été créé par un Français, Martin Rezard. Je pense que personne ne sera étonné d'apprendre que cet objet culte est inspiré d'un masque samouraï, le pectoral lui trouvant son inspiration dans l'Ancien Testament. Le masque a rencontré un tel succès qu'il a inspiré une gargouille de la cathédrale de Washington !

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   Bonne lecture !

samedi, 17 août 2019

Lune rouge

   C'est le titre du dernier album des aventures de Guy Lefranc, sorti fort opportunément 50 ans après le succès de la mission Apollo XI :

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   On le doit à Christophe Alvès et François Corteggiani, le duo qui était déjà à l'oeuvre il y a quelques années sur Le Principe d'Heisenberg, dont l'intrigue se déroule partiellement dans l'Aveyron.

   Ici, on est en pleine Guerre froide. Le héros journaliste va partir à la recherche d'un scientifique disparu... et collaborer avec la CIA, puisque les "méchants" de l'histoire sont les communistes soviétiques et nord-coréens, auxquels vont s'ajouter les Chinois, qui commencent à se la jouer perso. Sur son chemin, Guy Lefranc va de nouveau croiser un vieil ennemi à lui...

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   Les lecteurs qui ont un minimum de culture BD verront les ressemblances avec les albums d'Hergé (Objectif Lune et On a marché sur la Lune)... et avec la série Blake et Mortimer, en particulier au niveau du style du dessin (mais aussi avec la résurrection de l'antagoniste principal, sorte de décalque d'Olrik). C'est bien fichu, documenté pour donner un peu de vraisemblance à une histoire abracadabrantesque : en 1959, même avec l'aide des Soviétiques, les Nord-Coréens n'avaient pas les moyens de monter le projet qui est décrit dans l'album. Celui-ci est finalement davantage révélateur des préoccupations du début du XXIe siècle, avec l'émergence de la puissance chinoise et le développement de l'arme nucléaire par le régime de Kim Jong-un.

   Cela se lit néanmoins avec plaisir, en raison de la propreté du dessin et des rebondissements qui parsèment l'intrigue.

jeudi, 18 juillet 2019

Chez Adolf

   Le premier tome de cette bande dessinée, intitulé sobrement "1933", vient de paraître aux éditions Delcourt. il est signé d'un trio : Rodolphe (pour le scénario), Ramón Marcos (pour les dessins) et Dimitri Fogolin (pour la colorisation).

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   Le narrateur est le personnage principal (l'homme barbu portant chapeau et lunettes, sur la couverture), Karl Stieg, un enseignant (apolitique) d'un collège pour garçons. Célibataire, il jouit d'une bonne réputation et loge dans un appartement situé juste à côté d'une brasserie, où il a ses habitudes.

   Le début de l'histoire voit celle-ci changer de nom. Son propriétaire, prénommé Adolf, trouve porteur de transformer "Les Joyeux Amis" en "Chez Adolf". S'il éprouve de la sympathie pour le nouveau chancelier, il n'est pas un nazi militant. D'ailleurs, quand le boycott des juifs est lancé, il accepte d'en recevoir dans son établissement.

   Ce volume ambitionne de nous montrer la montée en puissance du régime nazi qui, petit à petit, va quadriller toute la société allemande et se révéler de plus en plus menaçant. De son côté, Karl est amené à faire des choix : adhérer ou pas au parti nazi ? faire le salut hitlérien ou pas ? donner un coup de main (ou pas) à ses voisins juifs ? tolérer (ou pas) la propagande nazie sortant de la bouche de certains de ses élèves ? sauver la mise (ou pas) à sa (charmante) collègue militante antinazie ? (Ce dernier choix va embarquer le héros dans une aventure nocturne rocambolesque à souhait.)

   Le style du dessin est classique, sans copier la "ligne claire" hergéenne ou les albums de Blake et Mortimer. (On peut feuilleter les premières pages ici.)

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   J'ai aimé l'ambiance de polar, mêlée à la description de la vie quotidienne des protagonistes. Deux tomes sont à venir, le suivant se déroulant en 1939. J'ai hâte de les découvrir.

lundi, 13 août 2018

Mary Shelley

   Qu'est-ce qui peut pousser une réalisatrice saoudienne (à laquelle on doit le formidable Wadjda) à s'intéresser à l'auteure de Frankenstein, une Britannique du XIXe siècle ? On pense à des raisons artistiques, chacune tentant de percer dans un domaine jusqu'alors dévolu aux hommes. On ne doit pas négliger les ressemblances qui existent entre le Royaume-Uni des années 1810-1820 et l'Arabie saoudite d'aujourd'hui. Outre-Manche, les femmes ne sont pas contraintes de se voiler, mais elles sont souvent considérées comme quantité négligeable, des filles obéissantes futures mères et épouses respectables, ou bien des objets du désir que l'on peut jeter quand on s'en est lassé. Le carcan religieux est un autre point commun aux deux époques. A travers le poids de l'anglicanisme, il est certain que la réalisatrice saoudienne dénonce celui du wahhabisme.

   Mary Wollstonecraft Godwin est la fille d'un libraire et d'une militante féministe décédée peu après sa naissance. Elle ne supporte pas sa belle-mère et passe son temps à lire, s'essayant à l'écriture, en secret. Sur le plan sentimental, c'est un peu une oie blanche, que ses mésaventures vont endurcir.

   Dans un premier temps, le film nous place dans une atmosphère romantique, avec costumes et coiffures (!) d'époque. La belle adolescente (Elle Fanning, très très bien) tombe amoureuse du séduisant poète Percy Shelley (Douglas Booth, vu dans une récente adaptation du Dix Petits Nègres d'Agatha Christie). L'avenir s'annonce radieux pour eux, pour peu que le succès littéraire ne les ignore pas.

   La seconde partie est celle des premières désillusions. On voit un peu mieux à quel point Londres est une ville crasseuse. La vie de nos littérateurs n'est pas rose et Mary se rend compte que Percy n'a pas exactement la même conception de l'amour qu'elle. C'est donc aussi l'histoire d'une femme intelligente qui ouvre les yeux et qui doit malgré tout se frayer un chemin dans la vie. S'ajoutent à cela les drames de l'existence : Mary voit mourir trois des quatre enfants auxquels elle adonné naissance (sans compter une fausse couche). Le film se contente d'évoquer une seule de ces morts.

   Le séjour chez Byron (Tom Sturridge, excellent) est le point de bascule. Mary se détache irrémédiablement de cette vie de libertin... mais elle trouve enfin l'inspiration pour rédiger (achever ?) Frankenstein. La thèse du film est que l'histoire est fortement inspirée de la biographie de l'auteure (pas uniquement de ce séjour). Les aspects macabres de la vie de Mary expliquent sans doute un peu l'ambiance du roman. Mais cet accouchement littéraire marque aussi l'émancipation définitive de la jeune femme, qui va davantage se réaliser en tant qu'écrivaine qu'en tant qu'épouse ou mère. Et ça, c'est furieusement moderne.

   Par sa facture classique et les aspects sombres de son intrigue, le film a semble-t-il un peu déconcerté. On peut certes déplorer le manque de flamboyance, mais je trouve très honnête de n'avoir pas cherché à rendre l'histoire plus rose qu'elle ne l'avait été.

   Du coup, j'ai décidé de m'intéresser au roman. Je l'avoue, je n'avais jamais lu Frankenstein ou le Prométhée moderne.

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   Je me suis procuré l'une des traductions en français. On y retrouve le style romantique qui a fait fureur au XIXe siècle, et qui nous paraît peut-être un peu daté, désuet. En revanche, l'admiration exprimée pour les beautés de la nature parle encore aux lecteurs du XXIe siècle.

   La rédaction du roman prend la forme d'un enchevêtrement de récits. L'histoire nous est d'abord racontée par l'intermédiaire de lettres envoyées par un explorateur à sa sœur. C'est ce Walton qui rencontre Victor Frankenstein (qui, rappelons-le, est le créateur, pas la créature). Celui-ci se met à lui raconter sa vie... jusqu'au moment où il retombe sur sa créature, qui avait disparu peu après sa "naissance". C'est au tour du monstre de narrer à son créateur [qui parle à Walton, qui écrit à sa sœur...] comment il a pu survivre, ainsi qu'apprendre à parler, lire et écrire (en français !). Le dernier emboîtement vient de la maison à côté de laquelle la créature s'était réfugiée. Il y entend ses occupants raconter leurs malheurs.

   A l'habileté littéraire s'ajoute une audace, celle de laisser (longuement) parler un criminel, et même de le laisser se justifier. Certes, les partisans de la thèse biographique affirment qu'à travers le monstre, c'est la femme trompée qui s'exprime, mais je trouve intéressant que dans un roman du XIXe siècle, on laisse autant la parole à l'auteur de crimes atroces, lui accordant une indéniable humanité.

   C'est aussi une œuvre qui s'interroge sur les limites de la science et de ce que l'homme peut s'autoriser à faire. C'est enfin peut-être une réflexion sur la Révolution française et ses conséquences. A l'image de ce que Mary Shelley a connu à son adolescence, une explosion de liberté sans entrave ne débouche pas forcément sur le bonheur.

   Le livre est encore plus à lire que le film à voir.

samedi, 28 juillet 2018

Quand sonnera l'heure...

   C'est le titre français d'un "vieux" roman du Britannique John Boynton Piestley, auteur qui connut son heure de gloire entre 1930 et 1960. Cette oeuvre est parue en 1937 sous le titre The Doomsday Men ("Les Hommes du dernier jour") :

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   L'intrigue suit les pérégrinations de trois personnages principaux, tous des hommes. Le premier est le Britannique Malcolm Darbyshire, un architecte féru de tennis, qui participe à un tournoi sur la Côte d'azur française. Il y rencontre sa partenaire de double, la mystérieuse Andréa Baker, fille d'un milliardaire américain, dont il tombe amoureux. C'est l'aspect romance énigmatique de l'histoire.

   Dans le même temps, un jeune scientifique américain, George Hooker, s'est rendu au Royaume-Uni dans l'espoir de retrouver un brillant chercheur qui a disparu des écrans-radar deux ans auparavant. Il est persuadé que celui-ci est sur le point de réaliser une découverte fondamentale, à laquelle le jeune homme souhaiterait collaborer. Nous voilà plongés dans une enquête à l'anglaise, dans le brouillard.

   Enfin, Jimmy Edlin, un aventurier qui s'est enrichi en Chine, débarque d'Hawaï en Californie pour résoudre le mystère de l'assassinat de son frère, un journaliste d'investigation qui s'est récemment intéressé à des gangs originaires de la côte Est. On retrouve l'ambiance des polars américains de cette époque.

   Les trois hommes vont finir par se rencontrer et affronter une secte redoutable. Paru en 1937, ce roman est une curiosité parce qu'il est sans doute l'un des premiers à dénoncer les méfaits des mouvements sectaires... et à prévoir le danger que représente la recherche dans le domaine nucléaire. En dépit de certaines considérations datées (en particulier sur les femmes, même si deux d'entre elles jouent un rôle actif dans l'histoire), cette oeuvre est palpitante à lire et assez prémonitoire sur certains points.

vendredi, 13 juillet 2018

La Maison de soie

   Comme je m'intéresse à tout ce qui touche à Sherlock Holmes, j'ai dressé l'oreille quand on m'a dit qu'un romancier britannique avait obtenu l'accord des héritiers de Conan Doyle pour écrire de nouvelles aventures du célèbre détective. Ce romancier est Anthony Horowitz, qui s'est illustré dans la littérature de jeunesse et l'écriture de scénarios pour la télévision. Il a notamment œuvré sur plusieurs épisodes de la série "Hercule Poirot" (actuellement rediffusée sur TMC). Le fin connaisseur de l’œuvre d'Agatha Christie avait des atouts pour relancer la narration des enquêtes de Sherlock. Voyons ce qu'il en a fait.

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   L'histoire nous est racontée du point de vue du docteur Watson. C'est un cas particulièrement délicat, qui aurait été dissimulé au public pendant des dizaines d'années, tant le sujet est sensible, à différents niveaux.

   L'intrigue entremêle deux affaires, liées par une personne qu'un lecteur attentif soupçonnera assez vite. La plus terrible des deux affaires a trait aux enfants des rues que Sherlock utilise parfois pour collecter des informations. Ceux qui ont beaucoup lu/vu de polars comprendront assez vite de quoi il retourne et quels sont les personnages impliqués.

   L'autre affaire, qui surgit en premier d'ailleurs, est liée au séjour effectué par l'un des protagonistes (le marchand d'art) aux États-Unis. L'intrigue est très bien nouée. Il va falloir du temps pour démêler tous les nœuds, d'autant plus que la seconde affaire va percuter la première. La principale conséquence est que la vie de Sherlock est menacée, par un complot qu'il est assez facile (pour les lecteurs) de mettre au jour.

   C'est passionnant. J'ai retrouvé l'esprit de Conan Doyle. Les relations entre les deux personnages principaux sont bien campées et le décor du Royaume-Uni de la fin du XIXe siècle est bien planté. J'ai commencé à lire le roman avant une séance de cinéma. J'ai repris ma lecture après le repas du soir et je n'ai pas lâché le livre avant la nuit. Même s'il y a des facilités et si l'une des affaires est un peu trop transparente à mon goût, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.

dimanche, 08 avril 2018

L'Eté de cristal

   Il y a environ deux semaines est décédé Philip Kerr, écrivain britannique connu pour ses polars. Il a situé l'intrigue de certains de ses romans dans le monde du football. Mais ce sont les aventures de Bernhard "Bernie" Gunther, détective dans l'Allemagne nazie, qui lui ont valu la reconnaissance internationale. Il y a quelques années, les premiers romans faisant intervenir ce personnage ont été retraduits et publiés en un volume, en collection de poche :

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   L'Eté de cristal constitue la première partie du volume. L'action démarre peu de temps avant les Jeux Olympiques de Berlin, en 1936. L'ancien policier, viré parce qu'il n'était pas un nazi militant, est devenu détective privé, mais évite d'enquêter sur les histoires d'adultère, qu'il juge trop dangereuses. Il parvient néanmoins à gagner sa vie avec les affaires de disparition, très nombreuses en Allemagne depuis 1933...

   Cette fois-ci, il va être recruté par un riche industriel, dont la fille et le gendre ont été retrouvés morts dans une maison incendiée... avec chacun une balle dans le corps. De surcroît, un collier de diamants et de mystérieux papiers ont disparu.

   Voilà Bernie embarqué dans une enquête périlleuse. Il doit veiller à ne pas marcher sur les plates-bandes de la Kripo (police criminelle), tout en se méfiant de la Gestapo : certains de ses membres s'immiscent dans l'affaire, à la demande d'Hermann Goering, qui connaît le riche industriel. S'ajoutent à cela les SS, qui s'inquiètent que l'un des leurs (le gendre) ait pu être assassiné. N'oublions pas non plus les voleurs et les assassins, qui n'ont pas intérêt à être retrouvés.

   Il faut donc un peu s'y connaître en histoire allemande (au besoin en révisant ici) pour savourer tout le sel de ce roman. L'auteur s'est visiblement beaucoup documenté et, même s'il prend parfois des libertés avec l'Histoire, le tableau qu'il brosse de la société urbaine allemande sous le IIIe Reich m'a l'air tout à fait fidèle. On y découvre notamment des aspects de la vie quotidienne, parfois méconnus.

   J'ajoute que c'est bien écrit (et traduit). L'histoire est racontée du point de vue du détective, un peu cynique, souvent sarcastique. Il n'hésite pas à tourner en ridicule tel personnage important ou tel élément de la propagande. Du point de vue des autorités, même s'il n'est pas nazi, il est relativement fiable car pas suspect de "philocommunisme". Il passe pour un conservateur modéré... mais Bernie finit par reconnaître qu'il lui est arrivé de voter SPD (socialiste) !

   Comme l'auteur s'inspire des romanciers américains du milieu du XXe siècle, il fait rencontrer quelques femmes fatales à son héros. Les deux plus marquantes sont l'actrice, seconde épouse du vieil industriel, et la journaliste intrépide, qu'il associe à son enquête, mais dont on finit par perdre la trace...

   Pour en savoir plus, il faut lire les aventures suivantes (La Pâle Figure et Un Requiem allemand), qui se déroulent en 1938 et 1947. A l'origine, je pense que le romancier n'avait pas prévu de s'attarder davantage sur son héros. Mais, comme ses livres ont rencontré le succès, il a, par la suite, écrit d'autres romans, dont l'action s'intercale entre ces trois oeuvres, ou les prolonge. En voici la chronologie (incomplète, toute l'oeuvre n'ayant pas encore été publiée en français) :

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vendredi, 16 février 2018

Trois héros américains

   Il s'agit bien évidemment d'Anthony Sadler, Alek Skarlatos et Spencer Stone, les trois jeunes hommes qui ont déjoué, en 2015, l'attaque terroriste dans le train Thalys. Dans son dernier film, Clint Eastwood a raconté leur histoire, adaptée d'un livre qu'ils ont coécrit avec un journaliste, Jeffrey E. Stern :

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   Le bouquin se lit très facilement. Il est construit sous forme de courts chapitres, rédigés de deux manières différentes. L'essentiel du texte est une narration qui s'appuie sur les témoignages des trois héros. On part de l'enfance (et même du passé familial) pour rejoindre août 2015 et ses conséquences. A la fin de certains chapitres sont ajoutés des éléments plus strictement liés à l'attentat, avec une graphie différente. Parfois, c'est le journaliste qui ajoute des explications, comme lorsqu'il présente (schématiquement) le fonctionnement de l'espace Schengen à son lectorat américain ou lorsqu'il évoque la situation de la minorité arabo-musulmane en France (et dans les pays voisins, comme la Belgique). Il analyse la situation avec sa grille de lecture états-unienne (sous l'angle de la ghettoïsation) et évoque très peu la religion.

   A la lecture, cela donne une série de retours en arrière... qui ont parfois été intégralement "pompés" par la scénariste d'Eastwood, Dorothy Blyskal (par exemple : la rencontre entre les mères de famille et la directrice d'école, la découverte, par Anthony, des armes avec lesquelles le jeune Spencer joue ou encore la visite de Berlin à vélo, anecdote sur Hitler à la clé).

   Le livre est néanmoins beaucoup plus riche en détails. Il est encore plus clair qu'Eastwood sur l'aspect religieux de la vocation des jeunes hommes. A plusieurs reprises, on tente de nous faire accroire que rien de tout ceci n'est arrivé par hasard, qu'il faut y voir la réalisation d'un projet divin. Il est vrai que le parcours suivi par les trois futurs héros (de leur rencontre à leurs débuts dans la vie active), tout comme les péripéties de la lutte dans le train (avec les armes qui s'enraient au bon moment), ne manquent pas d'étonner.

   Parmi les éléments qui n'ont pas été retenus pour construire le scénario du film, il y a l'histoire familiale du djihadiste et sa vie en Europe. A mon avis, Eastwood a fait le bon choix (cinématographique) en campant un être maléfique sans voix, même si je regrette la mise sous le boisseau de l'islam intégriste. A ce sujet, on remarque que, dans le livre (qui détaille davantage la période de vacances en Europe), on comprend que deux des jeunes hommes sont étonnés (voire choqués) de croiser autant de femmes voilées en Allemagne...

   L'autre matériau qui a été négligé est le vécu particulier d'Anthony Sadler, le Noir de la bande, qui est fan de rap et s'intéresse à tout ce qui touche à sa "communauté", des deux côtés de l'Atlantique. Sa relation avec son père pasteur est aussi très intéressante, surtout à partir du moment où intervient Barack Obama. Celui qui était à l'époque le président des Etats-Unis a téléphoné directement au jeune homme, avant de recevoir les trois à la Maison Blanche. Quand on connaît l'hostilité qu'éprouve Eastwood à l'égard du premier président métis, on comprend qu'il ait "zappé" ces éléments, préférant mettre en valeur la ferveur populaire qui a accueilli les héros de retour au pays.

   Le livre les suit d'ailleurs au-delà. Alek le seul vrai militaire de la bande (à l'origine) est devenu une vedette de la télé-réalité : il a participé à l'émission Danse avec les stars... qu'il a remportée ! Anthony poursuit ses études et Spencer, naguère rejeté par l'armée, est désormais au service de l'US Air Force !

   Et la France dans tout ça ? Elle a une place ambiguë. La réputation des Parisiens à l'étranger est encore plus exécrable que ce qui apparaît dans le film. A plusieurs reprises, des personnes ont tenté de dissuader les jeunes hommes de se rendre dans la Ville Lumière, l'Allemagne et (surtout) l'Espagne apparaissant plus accueillantes. Le passage par les Pays-Bas est l'excellente surprise de leur voyage (peut-être pas pour des raisons avouables...). Concernant la France, de l'autre côté de l'Atlantique, les parents ont encore en mémoire les attentats de 2015. (Il est plusieurs fois fait allusion à Charlie.) Mais la culture française est quand même présente (y compris par une référence à La Guerre des boutons), tout comme la maîtrise technologique (à travers le fonctionnement du train). Un bref mais incontestable hommage est aussi rendu au Français qui, le premier, s'est opposé au terroriste du train.

   Voilà. Le bouquin fourmille d'anecdotes et, à mon avis, il est bien plus intéressant que le film.

vendredi, 26 janvier 2018

Les Gardiennes (le roman)

   Ayant apprécié le film réalisé par Xavier Beauvois, j'ai voulu en savoir plus sur le roman qui l'avait inspiré, d'autant plus qu'il y aurait de notables différences entre l'oeuvre d'Ernest Pérochon et le long-métrage.

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   Je me suis procuré un exemplaire d'époque, publié en 1924. (C'est mon côté snob.) Je l'ai trouvé d'une lecture agréable, plutôt facile. Ce sont les descriptions "à la Zola" qui m'ont le moins enchanté, Pérochon n'ayant pas le talent du pape du naturalisme.

   Par contre, l'écrivain sait camper une situation et dramatiser une scène. L'intrigue est plus noire que dans le film et un peu plus fouillée. Elle compte plus de personnages, y compris dans la famille qui est au coeur de l'histoire. Hortense (incarnée par Nathalie Baye au cinéma) a eu quatre et non pas trois enfants. Il manque Norbert, le fils aîné (lui aussi parti au front), dont l'épouse peine à gérer seule la petite exploitation du ménage, à proximité de celle de ses beaux-parents. Hortense a encore son mari, qu'elle mène à la baguette.

   Les caractères sont les mêmes que dans le film. Celui d'Hortense est encore plus intense : elle peut se montrer plus dure, mais on la sent aussi davantage souffrir. Beauvois a donc un peu limé les angles, tout comme il a rendu sa fille Solange plus sympathique. Dans le roman, c'est vraiment une grosse feignasse... et elle trompe réellement son époux Clovis.

   Au niveau des autres fils, il n'y pas grand chose à dire. Ils correspondent à ce que l'on peut voir dans le film, à ceci près que Constant n'est pas instituteur dans le roman. Quant à l'interprétation de Francine par Iris Bry, elle est en totale conformité avec ce que j'ai pu lire, même si l'actrice rousse interprète une jeune femme brune.

   Les personnages secondaires pimentent un peu plus l'intrigue dans le roman. Il y a les deux valets (renvoyés quand débute le film) et, surtout, il y a Maxime, le fils de Norbert et Léa (et donc le petit-fils d'Hortense), un chenapan qui va se prendre d'affection pour Francine. Grâce à lui et à Georges, la jeune femme découvre les marais de la région, avec leurs chenaux à la limite du praticable, un aspect de l'histoire totalement évacué du film, qui n'évoque que la plaine céréalière.

   Je termine par l'un des personnages-clés, Marguerite, secrètement amoureuse de Georges. Dans le film, elle est la fille que Clovis a eue d'un premier mariage (la mère étant morte en couches), alors que, dans le roman, elle est une cousine, qu'Hortense verrait bien épouser son dernier fils. Le roman la montre avec son frère tenter de garder à flot la boulangerie, alors que le père est sous les drapeaux. La rivalité amoureuse n'est pas aussi tendue que dans le film.

   Quant à la conclusion, elle diffère un peu. Dans le roman, Francine finit par recroiser Hortense et a une explication avec elle. Elle s'éloigne alors qu'elle n'a pas encore accouché, mais elle est devenue une femme indépendante.

   Même si le style et certaines considérations sociétales sont un peu datés, cette lecture fut une agréable surprise.

samedi, 02 décembre 2017

Le principe d'Heisenberg

   Que l'on se rassure. Je ne vais pas me lancer ici dans un exposé de physique nucléaire. Cette notion scientifique est en fait le titre d'un album de bandes dessinées, le dernier mettant en scène Guy Lefranc, journaliste-enquêteur créé par Jacques Martin (pas l'ancien animateur, hein, le scénariste auquel on doit, entre autres, les aventures d'Alix).

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   Je ne suis pas un lecteur de cette série. Je m'y suis intéressé parce que cet épisode tourne autour d'un double meurtre horrible commis dans une région réputée sauvage et peu accessible... l'Aubrac ! L'action se déroule dans les années 1950, sous la IVe République donc, mais, surtout, en pleine Guerre froide.

   Comment un journaliste parisien, dont l'employeur suit plutôt les affaires "sérieuses" (Le Globe est sans doute un décalque du quotidien Le Monde), est-il amené à se rendre en plein Rouergue ? La raison est amenée de manière assez cocasse :

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   L'une des connaissances de Guy Lefranc est ce qu'on pourrait appeler un "Aveyronnais de Paris", retourné au pays pour des vacances bien méritées... mais sa conscience professionnelle, elle, n'est pas en congé !

   L'un des mérites de cette bande dessinée est d'apprendre à ceux qui l'ignoreraient quel périple cela représentait à l'époque de relier en voiture la capitale au Nord Aveyron. Cela nous vaut quelques images de carte postale, à Nevers, Moulins, au viaduc de Garabit et, finalement, à Saint-Geniez-d'Olt (aujourd'hui Saint-Geniez-d'Olt-et-d'Aubrac). En chemin, le héros a croisé quelques bêtes à cornes caractéristiques. Une fois arrivé à bon port, il déguste un aligot. Cette péripétie gastronomique donne naissance à une note de bas-de-page, pour expliquer au commun des mortels (non aveyronnais) en quoi consiste ce mets succulent. Je laisse à chacun apprécier la qualité de l'information donnée...

   Très vite, l'intrigue policière reprend le dessus. Espionnage, meurtres, dissimulation et coups foireux sont au programme, le tout représenté dans un style très classique, proche de la "ligne claire" chère à Hergé. J'ai toutefois été un peu gêné par l'abondance de scènes de nuit, certes parfaitement justifiées par le déroulement de l'histoire, mais qui réclament une excellente luminosité pour être appréciées à leur juste valeur.

   Au cours de ses aventures, Guy Lefranc croise une veille connaissance à lui, employée par la presse à sensation, qui se délecte des faits divers les plus sordides. Ce Marco di Angelo est dessinateur à ses heures. On nous propose d'ailleurs l'un de ses croquis :

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   L'intrigue est vraiment fouillée. Elle tient en haleine jusqu'au dénouement, qui survient dans une belle bâtisse que tout le monde reconnaîtra, d'autant plus qu'elle a été au coeur d'une autre bande dessinée, parue il y a quelques années :

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   PS

   Je me suis rappelé un détail croustillant : l'expression graphique du bruit fait par un pistolet fonctionnant avec un silencieux :

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samedi, 28 octobre 2017

Fermeture d'une autre librairie à Rodez

   L'année 2017 aura décidément été fatale au commerce de livres en tout genre à Rodez. Après la fermeture de la petite libraire Mot à Mot en mars dernier, c'est au tour de Cubik (ex-Culture BD) d'annoncer la baisse (définitive) du rideau pour le 1er décembre prochain. En quelques mois, c'est un pan de l'histoire économique récente de Rodez qui aura disparu.

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   Remontons un peu dans le temps. Sur le Piton, depuis des années, c'est la Maison du Livre (numéro 1 sur le plan) qui tient le haut du pavé. Fondée au sortir de la Seconde guerre mondiale, cette librairie (religieuse au départ) a un peu bougé dans la ville, puisque avant de s'installer Passage des Maçons (à la fin des années 1950), elle a été localisée boulevard Denys-Puech puis rue Louis Blanc (où se trouvent aujourd'hui les locaux de La Dépêche du Midi).

   En 2008, elle a profité de la récente fermeture du cinéma Le Family (le premier ouvert dans la ville, en 1922, dans les locaux de l'ancien couvent Notre-Dame !) pour récupérer le bâtiment et en faire une annexe dédiée à la papeterie et aux bandes dessinées (numéro 1 bis sur le plan). Il me semble que l'opération a été facilitée par la proximité capitalistique qui a autrefois existé entre les Cinémas de Rodez et la Maison du Livre. (Je crois aussi que le fait de récupérer l'espace du cinéma a permis de rapatrier le stock en centre-ville, alors qu'auparavant, un local était loué du côté du boulevard du 122e RI, à l'intersection de la rue Saint-Michel, tout à gauche du plan ci-dessus.) Voici l'aspect extérieur actuel, comparé à une vue ancienne (datant sans doute du début des années 1920, puisque Le Cheikh, avec Rudolph Valentino, est à l'affiche) :

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   La Maison du Livre se porte donc bien. Elle serait l'une des principales librairies indépendantes de la région Midi-Languedoc (la deuxième de l'ancienne Midi-Pyrénées)... et, en 2013, elle a racheté un établissement toulousain, Privat (preuve que la ville de Rodez n'est pas la seule où les librairies connaissent des difficultés).

   Si l'on remonte dans le temps, on constate que la situation était quelque peu différente à Rodez, il y a une vingtaine d'années. Place de la Cité (dans les locaux d'une actuelle agence de voyages, numéro 2 sur le plan) se trouvait la librairie-papeterie Majuscule, qui a fermé au tout début du XXIe siècle, l'activité papeterie étant relocalisée sous un autre nom, sur le tour de ville, boulevard Ramadier (numéro 2 bis).

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    Avec la fermeture de Mot à Mot, ouverte rue Saint-Cyrice (numéro 3) au milieu des années 1990, ce sont donc deux concurrents de la Maison du Livre qui ont disparu. Un troisième va bientôt fermer ses portes. En 2001, un jeune homme entreprenant (Rodolphe Cosson) ouvrait la première librairie de bandes dessinées de l'Aveyron, place du Bourg (numéro 4 sur le plan), dans ce qui fut la maison natale du peintre Maurice Bompard (anecdote rappelée par une plaque située au-dessus du magasin).

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   Je suis un client irrégulier, partageant mes achats avec l'annexe de la Maison du Livre (où je me suis par exemple procuré le dernier album des aventures d'Astérix). L'ouverture de celle-ci, en 2008, a dû porter un coup au chiffre d'affaires de l'ex-Culture BD. (Apparemment, en 2014, le bénéficie ne s'est monté qu'à 4 500 euros....)

   Mais je pense que c'est l'essor d'un autre concurrent qui lui a fait le plus de mal (à lui et aux autres) : l'Espace culturel Leclerc. Quand celui-ci a ouvert (lui aussi au tout début du XXIe siècle, me semble-t-il), il était beaucoup plus proche du centre-ville de Rodez, puisqu'il se trouvait entre le carrefour Saint-Eloi et le rond-point Saint-Félix (numéro 5 sur le plan), où il a été remplacé depuis par un "drive" du même groupe. L'emplacement semblait excellent : à proximité immédiate d'une zone à forte circulation, doté d'un parking gratuit (mais vite saturé), bientôt complété par une station d'essence. Là où les patrons de Leclerc ont eu du nez, c'est quand ils ont décidé de déplacer l'Espace culturel sur la zone du Comtal (à Sébazac-Concourès), à proximité de l'hypermarché inauguré en 2006. Ils ont compris qu'une part non négligeable de la clientèle veut se garer le plus près possible des commerces, quitte à faire de la route. Surtout, ne pas marcher !

   Quand j'habitais au Faubourg, il m'arrivait de me rendre à l'Espace culturel. Quand il a déménagé, j'ai décidé de réserver mes achats aux librairies du centre-ville. Mais j'aurais peut-être dû me rendre plus souvent chez Cubik. Incontestablement, c'est l'établissement le plus "pointu" en matière de BD sur le Grand Rodez. J'espère que les associés ont trouvé une solution de repli, sur le plan professionnel.

dimanche, 30 juillet 2017

Après trois ans de guerre

   C'est le titre d'un fascicule édité en 1917, et que je me suis procuré (pour un euro) dans une brocante aujourd'hui :

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   Il sort d'une imprimerie parisienne (aujourd'hui disparue). C'est un document gouvernemental (français), dont la préface est signée Théodore Steeg. Elle nous indique que le texte est destiné aux écoliers. Quoi de plus normal, puisque l'auteur de la préface est à l'époque ministre de l'Instruction publique (ente mars et septembre 1917) ?

   C'est évidemment un plaidoyer en faveur de l'action du gouvernement français et une charge anti-allemande. Indirectement, ce texte est révélateur des mentalités de l'époque... et il contient plusieurs informations intéressantes.

   Il évoque l'ambiance qui était celle du pays avant la déclaration de guerre. D'après lui, la longue crise créée par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo n'a, dans un premier temps, pas suscité trop d'inquiétude dans la population. Celle-ci pensait que la diplomatie viendrait à bout des tensions, comme ce fut le cas quelques années auparavant lors de la crise marocaine (franco-allemande). Ensuite est venu le temps de la résignation et de la détermination à faire son devoir... pas de "fleur au fusil" donc, même si l'on dit que les wagons transportant les troupes avaient été abondamment décorés.

   L'auteur passe ensuite aux nombreux torts de l'Allemagne, les premiers étant d'avoir préparé et provoqué cette guerre. Au passage, le sort du caporal Peugeot (remis en lumière en 2014) est évoqué.

   Les combats du front ouest sont racontés sobrement, mais avec un tropisme français très marqué. Les échecs allemands sont exagérés, au besoin en recourant à des anecdotes symboliques, comme celle évoquant les suites de la bataille de la Marne : "Nos soldats goûtent la joie enivrante de courir sur les talons ferrés de l'envahisseur et de le reconduire par des routes où des milliers de bouteilles vidées attestent son amour des vins de France." (Ce fut aussi le cas en 1940, mais dans le cadre d'une victoire allemande cette fois-ci.)

   L'auteur en appelle au patriotisme et à la justice. Pour le premier, les figures mises en avant vont de Roland de Roncevaux au chevalier Bayard en passant par Du Guesclin et Jeanne d'Arc. On trouve aussi une référence aux combattants de 1792. Du point de vue de la justice, l'auteur défend l'idée que cet affrontement est, du point de vue français, la "guerre du droit". Pour accréditer son opinion, il énonce les ralliements de pays, le dernier à avoir rejoint l'Entente étant les Etats-Unis. On compte sur eux pour renforcer le poids des adversaires de l'Allemagne, qui a disposé, dans un premier temps, d'une supériorité mécanique liée à sa puissance industrielle.

   L'ouvrage s'achève sur des considérations concernant la paix future, nécessairement victorieuse. L'auteur craint que l'on soit trop magnanime avec l'Allemagne, provoquant l'incompréhension des peuples agressés par celle-ci.

22:14 Publié dans Histoire, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, livres, france

vendredi, 28 juillet 2017

L'Empire des mille planètes

   C'est le titre de l'un des premiers albums des aventures de Valérian et Laureline, publié en 1971 et récemment réédité en relation avec la sortie du film de Luc Besson, qu'il a inspiré :

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   Je ne suis pas un fan de la série, mais je la trouve intéressante (pour ce que j'en ai lu). C'est un mélange de science-fiction et de références historiques et archéologiques, avec une bonne pincée d'humour :

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   Dans cet épisode, un objet mystérieux (pour des humains du XXVIIIe siècle... encore plus pour des extraterrestres) se retrouve au coeur de l'intrigue, un peu par hasard :

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   Pour des lecteurs profanes, l'histoire pourrait avoir un goût de déjà-vu. Il est question de voyages spatio-temporels, d'expéditions disparues, d'écarts de niveaux de technologie. En réalité, ce sont les auteurs de la bande dessinée (Pierre Christin et Jean-Claude Mézières) qui ont inspiré beaucoup de monde (certains diront qu'ils ont été abondamment copiés).

   Malgré son âge, la bande dessinée garde un parfum de fraîcheur. C'est divertissant, avec un scénario élaboré... mais en moins de 50 pages, la trame n'est pas suffisamment étoffée. Je trouve que l'action avance très vite, laissant de côté certains aspects qui auraient dû être développés. C'est peut-être lié à la publication originelle sous forme de feuilleton, dans la revue Pilote.

   PS

   La réédition de 2017 comporte quelques bonus (mineurs) en relation avec le film de Luc Besson.

jeudi, 27 juillet 2017

Simone Veil (bis)

   Comme j'ai été emballé par la lecture d'Une Jeunesse au temps de la Shoah, je me suis procuré l'édition intégrale des mémoires de Simone Veil, en collection de poche.

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   La jeune magistrate qu'elle fut a peu travaillé dans les tribunaux. Très vite, elle a été repérée et utilisée comme technicienne du droit, notamment au ministère de la Justice. On la sent préoccupée par le mauvais état du système judiciaire et soucieuse d'améliorer la situation dans les prisons.

   Sa carrière politique a suivi des chemins détournés. Elle écrit avoir voté tantôt à droite, tantôt à gauche (mais pas pour les communistes). Elle n'avait pas la fibre gaulliste et a même voté NON au référendum de 1969 (celui qui a abouti à la démission de Charles de Gaulle). Elle qui fut "embauchée" par Valéry Giscard d'Estaing avait voté pour Chaban-Delmas au premier tour de la présidentielle de 1974. On sent qu'elle a apprécié Georges Pompidou et que, si elle reconnaissait l'intelligence de VGE, elle se sentait plus proche de Jacques Chirac, l'euroscepticisme en moins.

   Le grand moment de son passage au gouvernement fut évidemment le vote de la loi autorisant l'IVG. Le discours qu'elle prononça à cette occasion à l'Assemblée nationale est d'ailleurs intégralement reproduit en annexe. Alors qu'à d'autres occasions elle a parfois la dent dure pour les personnes qu'elle a côtoyées, elle ne se montre pas revancharde en narrant cet épisode, alors qu'elle a été traînée dans la boue.

   Elle préfère remercier ceux qui l'ont aidée, comme ce sénateur du Cantal nommé Mézard... Cela ne vous dit rien ? Avant d'entrer dans le gouvernement Philippe (au titre de ministre de l'Agriculture puis de ministre de la Cohésion des territoires), l'avocat Jacques Mézard a été sénateur du Cantal pendant presque neuf ans... tout comme son père (qui était médecin) : Jean Mézard a été sénateur de 1971 à 1980. Bien que membre du CNIP (réputé très conservateur), il a soutenu le projet de Simone Veil.

   L'ancienne ministre est beaucoup moins amène envers deux autres de ses anciens collègues : Raymond Barre et Maurice Papon (celui-ci pas tant pour ce qu'il avait fait que pour son absence de regrets).

    L'autre grande aventure politique de sa vie est la construction européenne. Le grand public a souvent retenu sa présidence du Parlement européen (pendant deux ans et demi), mais elle y a siégé au total 14 ans. Elle pointe le manque d'investissement des députés français, plus occupés à leurs calculs politiciens hexagonaux qu'aux grands enjeux continentaux. Là aussi elle décerne quelques bons points... et éreinte copieusement une autre figure du centrisme : François Bayrou. A deux reprises, elle en dresse un portrait peu flatteur, le peignant en arriviste hypocrite.

   On n'apprend pas grand chose quand elle évoque son retour en politique, dans le gouvernement Balladur (celui de la deuxième cohabitation). Elle n'est pas non plus très loquace sur son passage au Conseil constitutionnel (de 1998 à 2007). Par contre, certains lecteurs seront peut-être un peu surpris par ses opinions sur la vie politique française du début du XXIe siècle. Une Vie a été publié dans le dernier tiers de l'année 2007. Il a sans doute été rédigé durant  les mois qui ont précédé. Simone Veil s'y montre séduite par Nicolas Sarkozy (ce qui n'est pas une surprise pour qui a suivi l'actualité de l'époque)... et par Rachida Dati, à propos de laquelle elle écrit : "Rachida Dati, dont la lucidité et le courage font mon admiration" ! Pour le coup, c'est Mme Veil qui semble avoir manqué de lucidité. De surcroît, elle ne dit rien de la création d'un ministère de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale, confié au très progressiste Brice Hortefeux.

   Elle a au moins le mérite de la franchise et le courage de ses opinions. Ses mémoires sont d'une lecture facile et riches d'enseignements. Ils permettent de nuancer le portrait statufié que les médias ont eu tendance à dresser de l'ancienne ministre.

jeudi, 20 juillet 2017

Dunkerque 1940 - Une tragédie française

   C'est le titre du livre écrit par Jacques Duquesne, un vétéran du journalisme, originaire du Nord-Pas-de-Calais (Hauts-de-France), connu aussi pour ses ouvrages historiques, principalement consacrés au christianisme et à la Seconde guerre mondiale.

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   Ici, le témoin se mêle à l'historien, puisque Jacques Duquesne, âgé de dix ans à l'époque, a vécu l'opération Dynamo, qui a permis le rembarquement d'environ 350 000 soldats alliés (majoritairement britanniques) entre la fin fin du mois de mai et le début du mois de juin 1940.

   Le livre vaut donc d'abord pour les anecdotes qui ponctuent l'histoire. On y découvre les chansons anti-allemandes entonnées par les gamins de la ville, les débuts de la guerre maritime (avec l'emploi des mines) et le désordre dans lequel vivait la population locale.

   S'ajoute à cela le contexte historique. Jacques Duquesne a voulu raconter, vue du Nord, cette "étrange défaite" qui a tant marqué les esprits à l'époque. Il commence par la "drôle de guerre" et insiste sur le manque de préparation des armées alliées, françaises comme britanniques. L'exemple le plus flagrant est l'emploi généralisé de la radio... par les troupes allemandes, alors que leurs adversaires en sont encore aux pigeons voyageurs (même si les moyens modernes de communication se développent). La maîtrise des transmissions a été un élément-clé de la bataille de France.

   Il est bien entendu question des avions et des chars. C'est de leur utilisation combinée et intelligente qu'est née la victoire allemande alors que, sur le papier, les Alliés disposaient d'un matériel équivalent en quantité, les chars français soutenant même la comparaison avec les panzers. Mais ils ont été en général mal utilisés, sauf par un colonel (bientôt général) à l'époque peu connu, un certain Charles de Gaulle, dont Duquesne évoque l'action du côté de Montcornet et d'Abbeville, en Picardie.

   L'auteur ne cache pas les aspects négatifs de l'histoire, notamment les désaccords entre Français et Britanniques. Au niveau local, c'est la débandade, avec son cortège de lâchetés et d'actes d'héroïsme. A petites touches, Duquesne fait l'éloge de son défunt père, policier non mobilisé qui a pris des risques insensés pour tenter de maintenir un semblant d'ordre en ville.

   C'est passionnant, parce que le livre fourmille d'anecdotes et qu'il est très bien écrit. J'avais commencé à le lire après le dîner et je n'ai pas pu m'arrêter, achevant la lecture tard dans la nuit !

   Quelques bémols, histoire de ne pas tomber dans le dithyrambe. J'ai relevé une erreur, à propos de la date de l'Anschluss (page 84) : il est présenté comme réalisé en 1937, alors qu'il a eu lieu en 1938. Je ne suis de plus pas tout à fait d'accord avec la manière lapidaire de présenter la politique étrangère des Etats-Unis après la Première guerre mondiale (page 44). Enfin, j'aurais aimé que l'auteur s'étende davantage sur la rumeur de la grève des cheminots belges.

   Je termine par un avertissement aux futurs lecteurs : n'attendez pas la description minutieuse du processus de rembarquement des troupes. L'opération nous est présentée dans sa globalité, avec des détails certes, mais c'est surtout à la résurrection de l'atmosphère de l'époque que Jacques Duquesne s'est consacré... avec talent.

   PS

   Sur la cause du soudain arrêt des troupes allemandes, le 24 mai, Jacques Duquesne développe une hypothèse intéressante, qui ne fait toutefois pas l'unanimité parmi les historiens. Voir par exemple les explications de François Delpla, un des meilleurs spécialistes français de cette époque.

vendredi, 28 octobre 2016

"Le Canard enchaîné" en bande dessinée

   Il y a quelques semaines est sorti aux éditions des Arènes un ouvrage intitulé L'incroyable histoire du Canard enchaîné. Les auteurs (Didier Convard et Pascal Magnat) ne sont pas membres de l'équipe de l'hebdomadaire satirique, mais ils en sont des sympathisants. Et comme cette année, on célèbre le "centenaire bis" de la naissance du journal, l'occasion était belle.

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   Le début rappelle à ceux qui l'ignoreraient que Le Canard est né deux fois, la première version, créée en 1915, n'ayant pas connu le succès. Pourtant, dès le début, les journalistes ont pour ambition de dénoncer les mensonges de la mauvaise presse, au service de la propagande de guerre. C'est aussi l'occasion de mettre un visage sur des noms qui soit figurent encore en page 7 du journal, soit sont régulièrement cités lorsqu'il est question de son passé.

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   Je vous laisse goûter le jeu de mots qui orne l'une des vignettes. Le style du dessin est classique, même si les auteurs ne s'interdisent pas, de temps en temps, un peu de fantaisie. Dans cette histoire, notre guide est un canard qui parle... et qui a même la langue bien pendue.

   Ce livre n'est toutefois pas une hagiographie. Il ne cache pas l'aveuglement dont l'hebdomadaire a fait preuve face à la montée du nazisme. Il fait aussi le bilan du comportements de ses rédacteurs et dessinateurs pendant la Seconde guerre mondiale. Tous n'ont pas été honorables.

   La lecture est globalement instructive. La vie du journal suit celle du pays. Certaines anecdotes sont peu connues, comme le cas de ce concurrent marseillais, nommé Le Merle blanc, qui avait un temps débauché une partie de l'équipe du Canard. Il est aussi question de la tentative de meurtre dont Léon Blum fut la cible, en février 1936, et de l'histoire du numéro imprimé à Londres, pendant la Seconde guerre mondiale.

   En 1944, le journal reparut mais connut des temps difficiles. Sa dernière mue intervint avec la Ve République. L'hebdomadaire développe les enquêtes et se pose en organe d'opposition au pouvoir gaulliste, qui le lit avec attention.

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   C'est la Une du 4 juin 1958, une de celles qui sont reproduites dans l'ouvrage. Mais la période gaulliste a été surtout marquée par la chronique "La Cour" (par Ribaud et Moisan), qui associait langage relevé et dessin chiadé pour brosser un tableau satirique du nouveau régime.

   A partir des successeurs de de Gaulle, l'histoire prend la forme de vignettes, qui toutes évoquent une "affaire" dans laquelle des puissants ont trempé. Gauche et droite n'en sortent pas grandis et l'on peut se désoler que la chronique de la Ve République puisse se limiter à une série de scandales. C'est néanmoins un rappel salutaire, qui permet de prendre du recul par rapport à notre époque.

   A la fin, le ton en général enjoué se fait chagrin, avec la liste des morts successives de collaborateurs victimes de l'âge ou d'un accident. Il devient même grave avec le rappel des récentes tueries parisiennes, de janvier et novembre 2015 :

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   Notez le choix des couleurs : le noir associé au rouge, avec du blanc, comme sur le drapeau à croix gammée.

   Malgré les drames, malgré la médiocrité de notre personnel politique, malgré l'arrogance des riches, les auteurs ont voulu terminer sur une note d'humour, cette arme si utile pour ridiculiser les puissants.

   P.S.

   Dans ce travail de grande qualité, il me semble avoir repéré deux petites erreurs : page 126 une confusion entre Gérard et Philippe de Villiers ; page 133 une autre confusion, entre millions et milliards à propos de l'affaire des frégates de Taïwan.

lundi, 25 juillet 2016

L'Engrenage - Mémoires d'un trader

   Les éditions J'ai Lu (une filiale du groupe Flammarion) ont profité de la sortie en salles du film L'Outsider pour rééditer (avec une nouvelle couverture) le livre que Jérôme Kerviel avait écrit au cours de l'instruction de son premier procès.

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   A sa lecture, on s'aperçoit qu'il a beaucoup inspiré le scénario du film de Christophe Barratier. On part de la découverte de ses prises de positions extrêmement risquées (et frauduleuses), avant de revenir en arrière. Le livre remonte plus loin que le film, puisqu'il évoque le parcours scolaire de Jérôme Kerviel. Mais il est plus discret sur sa vie sentimentale. Il semble que, dans l'adaptation cinématographique, le personnage incarné par Sabrina Ouazani soit un mélange de deux des amies du "héros".

   Au niveau du travail à la banque, c'est plus détaillé que dans le film. On comprend mieux en quoi cela consiste, même si je dois avouer que, parfois, j'ai un peu lâché prise. C'est quand même très technique pour un profane comme moi.

   Au détour d'une page, on se rend compte des petites modifications auxquelles on a procédé pour tourner le film. On a eu raison de couper, pour rendre l'intrigue plus lisible.

   Mais c'est la troisième partie de l'ouvrage qui m'a le plus intéressé : elle traite du parcours judiciaire de Jérôme Kerviel, de son arrestation à la veille de son premier procès (ce qu'on ne voit pas dans le film). Plus tôt dans l'ouvrage, le jeune homme a affirmé éprouver de l'admiration pour le juge Renaud Van Ruymbeke. La première partie de l'instruction semble l'avoir confirmé dans ce sentiment. Mais, plus le temps a passé, plus Kerviel a senti qu'il était considéré comme le coupable désigné. La Société Générale semble avoir "bétonné" les déclarations de ses employés, afin de rejeter toute la faute sur un seul homme : Kerviel. Les juges d'instruction auraient été abusés par les manoeuvres de la banque, qui aurait profité de leur mauvaise connaissance du fonctionnement d'une salle des marchés.

   On suit ce nouveau "présumé coupable" dans le tourbillon médiatique et la farandole des avocats, beaucoup n'ayant proposé leurs services que pour se faire de la publicité. De temps en temps, l'auteur se livre un peu plus : on sent qu'il est sorti de là complètement lessivé.

   Même si c'est un plaidoyer pro domo, ce livre n'en mérite pas moins le détour, pour la vision interne qu'il propose et pour le portrait d'une société (la nôtre) tombée dans le vertige de l'argent facile et des paillettes médiatiques.

   P.S.

   Le texte est (parfois) entrecoupé de documents, les plus nombreux figurant en fin d'ouvrage. Ce sont des courriels, des contrats ou des extraits d'autres types de documents. Ils sont là pour appuyer les affirmations de Jérôme Kerviel. Les plus saisissants sont ceux situés tout à la fin, anonymisés, qui évoquent les conditions dans lesquelles certains de ses anciens collègues ont négocié leur licenciement... et leur silence. Seul regret : dans la version de poche, les caractères de ces documents sont vraiment très petits.