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samedi, 29 avril 2023

L'Etabli

   Adapté du livre éponyme du philosophe Robert Linhart, ce film militant nous replonge dans les Trente Glorieuses, juste après les "événements" de Mai 68. L'essentiel de l'action se déroule au sein d'une usine secondaire du groupe Citroën (en plein Paris). Quelques scènes "de respiration" ont pour cadre un appartement bourgeois et un café.

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   Ce film engagé suscitant des réactions contrastées, j'ai choisi d'en rédiger deux critiques, une de gauche et une de droite.

LA CRITIQUE DE GAUCHE

      Mathias Gokalp, brillant cinéaste au talent mésestimé (remarqué jadis pour Rien de personnel), réussit le pari de l'adaptation d'un livre réputé inadaptable. Sa mise en scène habile et percutante ressuscite l'ambiance d'une chaîne de montage et des différents ateliers de l'usine Citroën. S'appuyant sur des comédiens (connus ou inconnus) investis dans leur rôle, il nous embarque dans cette palpitante aventure ouvrière, qui est une aventure humaine, en révolte contre le capitalisme arrogant.

   L'intrigue nous fait découvrir de manière assez fouillée le travail manuel en usine, à cette époque. Elle détaille aussi les tensions et les contradictions au sein de la classe ouvrière, entre Français et étrangers, entre immigrés anciens et ceux de fraîche date, entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux. Face à eux, le patronat apparaît dans toute sa vulgarité et sa misogynie, exploitant sans vergogne les classes populaires, mettant en œuvre un racisme systémique dans le monde du travail.

    Les scènes de famille (absentes du livre) apportent un utile contrepoint aux péripéties de l'usine. Le réalisateur n'esquive pas le problème du statut de « l'infiltré », évitant de surcroît de faire du héros un homme parfait. Ses doutes et ses faiblesses nous sont présentés sans détour, parfois avec humour. La solidarité dont font preuve certains ouvriers leur permet de contester le joug capitaliste, sans que cela débouche toutefois sur une victoire totale. Mais l'essentiel était bien d'initier le mouvement.

   C'est un grand film de société, à projeter dans toutes les écoles pour transmettre à notre jeunesse une vision objective du monde du travail qui les attend.

 

   Comme ce qui est écrit ci-dessus ne correspond que partiellement à ce que j'ai vu sur l'écran, je me dois de compléter ce billet. Voici donc...

 

LA CRITIQUE DE DROITE

      Mathias Gokalp, cinéaste médiocre qui n'est pas parvenu à percer, s'est jeté sur un livre culte de la gauche intellectuelle française pour tenter de relancer sa carrière. De L’Établi, il a modifié la structure et certains éléments clés pour servir un propos outrancier, dont on sent bien qu'il se rapporte plus à la France de 2022 qu'à celle de 1968 ou 1978.

   Tout d'abord, parmi la série d'ateliers auxquels le héros a été affecté (d'après le livre), il en est un où l'on ne voit jamais Robert évoluer dans le film : la soudure. En revanche, il travaille au boulonnage/rivetage, à la sellerie et aux balancelles. Cela pourrait se justifier par la volonté d'écourter le film (qui dure déjà deux bonnes heures...) et, peut-être, par la difficulté de filmer un atelier de soudure, surtout avec des comédiens novices en la matière. D'un autre côté, cela conduit le cinéaste à nous présenter l'usine d'abord sous l'aspect du travail à la chaîne, le boulonnage évoquant immanquablement (chez le public cultivé) Les Temps modernes de Chaplin (où le rythme était cependant beaucoup plus élevé que chez Citroën).

   Dans tous les cas, il est un détail d'importance qui a été modifié dans le film : la présence de gants. Dans le livre, à presque chaque poste l'ouvrier en bénéficie, alors que, dans le film, leur absence est un motif de revendication... et l'occasion de faire de belles images de « la momie », surnom donné à Robert à partir du moment où on le voit travailler les mains enveloppées dans des bandelettes de  tissu.

   D'autres éléments ont été tordus quasi systématiquement pour dénigrer un "camp" ou pour en survaloriser un autre. Ainsi, avant de tenter de revenir sur les concessions faites aux syndicats en mai 1968 (en faisant travailler les ouvriers trois quarts d'heure de plus chaque jour, sans augmentation de salaire), la direction de l'usine avait commencé par... réduire le temps de travail, la durée quotidienne passant de 10h à 9h15. (Mais de cela les spectateurs ne sont pas informés.)

   La manière dont sont traités les immigrés, certes injuste, est bien plus dégueulasse dans le long-métrage. Le personnage d'un collègue noir de Robert (à la sellerie) est développé pour le film, uniquement pour pour mettre en scène le racisme (supposé) des cadres de l'usine. (Ceux-ci sont d'ailleurs présentés de manière plus nuancée dans le bouquin, même si certains d'entre eux ont droit à des qualificatifs injurieux.) La même tactique est utilisée pour décrire le renvoi de certains de ces immigrés des foyers où ils logeaient, pour briser leur participation à la grève. Dans le livre, ces ouvriers découvrent leurs valises faites à l'entrée, lorsqu'ils retournent au foyer, alors que, dans le film, leurs affaires sont balancées sans ménagement sur le sol, à la sortie de l'usine.

   On pourrait aussi discuter de la nécessité de transformer un trio d'ouvriers masculins (yougoslaves) en trio féminin. Certes, cela permet d'introduire des questions intéressantes, mais celles-ci sont presque absentes du livre. (Le réalisateur aurait cependant pu introduire une scène concernant une ouvrière mère de famille, qui se fait bien voir de l'un des cadres. Dans le livre, Robert se montre compréhensif, à l'inverse de certains ouvriers.) Plus grave : pour éviter de nuire à l'image de certains ouvriers africains, le livre passe sous silence l'épisode au cours duquel l'un d'entre eux fait étalage de ses préjugés antisémites devant le héros.

   Au final, l'adaptation du livre se rapproche plus d'une fiction de propagande que de la fidèle représentation d'une époque révolue.

samedi, 25 mars 2023

La Syndicaliste (le livre)

   Rédigé par la journaliste de L'Obs Caroline Michel-Aguirre (qui, à l'époque, a suivi une partie de l'affaire), ce livre-enquête a visiblement inspiré les scénaristes du film. Il n'est donc pas illogique que sa sortie en poche soit illustrée d'une image issue de celui-ci.

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   A celles et ceux qui n'ont encore vu le film, je précise que l'image est extraite de la première partie, d'une scène se déroulant en Hongrie, où se rend l'héroïne, afin que les femmes licenciées par le sous-traitant local d'Areva bénéficient de conditions dignes.

   C'est le principal avantage du livre, dans ce cas-ci comme dans d'autres : il développe davantage certains aspects sur lesquels le film passe plus brièvement. Ainsi, on en sait plus sur le contexte politique du conflit, les arcanes des rivalités au sommet de l’État mais aussi dans le petit monde de l'industrie nucléaire. La sensibilité "de gauche" de Maureen Kearney (« guerrière courageuse ») est plus apparente : elle avait pris sa carte du PS en 2011.

   La journaliste a aussi été sensible à ce qu'on pourrait appeler une « connivence de classe » au cours de son enquête. Élus, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs du privé, patrons, médecins et magistrats sont parfois dépeints comme issus du même milieu, limite parlant la même langue. On sent qu'au-delà du propos féministe, Caroline Michel-Aguirre veut aussi dire que Maureen Kearney a été incomprise parce que ne venant pas du même monde que les personnes qui l'ont interrogée, à divers degrés.

   On comprend encore pourquoi l'un des aspects importants de sa vie personnelle a été passé sous silence dans le film : les agressions subies par son fils aîné. Dans le long-métrage, on ne voit explicitement que le second enfant, la fille étudiante.

   Concernant les adversaires de la syndicaliste, on ne découvre rien de particulier sur le PDG d'Areva... et absolument rien de négatif sur sa prédécesseure, alors que le film se montre plus ambigu sur la manière dont celle-ci s'est comportée. C'est surtout intéressant quand il est question d'EDF, de son PDG de l'époque (Henri Proglio)... et de celui qui est présenté comme son bras droit (pas mentionné dans le film). Directeur de la branche Asie-Pacifique, il vivait à mi-temps entre la France et la Chine. (Il a été mis fin à ses fonctions chez EDF en 2016.)

   Le cinéphile que je suis trouve toujours de l'intérêt à comparer une œuvre écrite à son adaptation sur grand écran. J'aime voir comment on a modifié, ajouté ou supprimé des détails et essayer de comprendre pourquoi.

   Ainsi la topographie de la maison où l'agression de Maureen Kearney a été commise est légèrement différente. Peut-être n'a-t-on pas réussi à trouver l'équivalent pour le tournage... ou peut-être, en situant le viol dans une sorte de cave, a-t-on voulu en accentuer l'aspect sordide.

   Autre modification importante : la rencontre avec la première victime d'agression, l'épouse d'un ancien cadre supérieur de Veolia. Dans le film, c'est l'héroïne qui va à sa rencontre. Dans le livre, c'est la journaliste. Je pense qu'évacuer ce personnage-ci rendait l'intrigue plus lisible, et permettait de davantage mettre en valeur Maureen Kearney.

   L'édition de poche est enrichie d'une préface inédite. On y trouve aussi une postface signée Pierre Péan, qu'il avait sans doute rédigée peu de temps avant sa mort.

dimanche, 07 août 2022

Audrey

   Je ne suis pas trop amateur des biographies de stars. Je les soupçonne soit de verser dans l'hagiographie, soit de chercher à mettre en valeur des anecdotes graveleuses pour faire vendre. Et puis, concernant les acteurs, ce n'est pas tant leur vie privée que l'exercice de leur profession qui m'intéresse.

   J'ai fait une exception pour Audrey Hepburn, dont les films m'ont enchanté lors du dernier festival de cinéma de La Rochelle. Va donc pour ce bouquin (sorti en France en 1997) signé Barry Paris, un journaliste familier du monde du cinéma, qui a écrit une bio "à l'américaine", farcie de références (pour justifier ses affirmations). Pour rendre la lecture plus aisée, celles-ci sont repoussées en fin de volume.

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      L'un des intérêts de ce livre est sa première partie, consacrée à l'enfance de la future comédienne. Elle est née en 1929, aux Pays-Bas. Sa mère est une Van Heemstra, issue de l'aristocratie batave, tandis que son père, Joseph Hepburn-Ruston, était un homme d'affaires anglo-irlandais.

   Dans les années 1930, ses parents, résidant souvent au Royaume-Uni (dont Audrey a d'abord mieux maîtrisé la langue que celle de son pays d'origine), sont attirés par... le fascisme. La père ne s'en est d'ailleurs jamais vraiment détaché, ce qui lui a valu une période d'emprisonnement pendant la guerre. Le reste de la famille a passé le conflit aux Pays-Bas, où la jeune Audrey a vécu une période particulièrement difficile, connaissant la peur et la faim. Tout cela, ajouté à la séparation de ses parents (en clair : la fuite de son père), explique en partie la mentalité de la femme adulte, qui a toujours vécu dans la peur de l'abandon et le souhait de ne pas reproduire le schéma familial avec ses enfants. Cela a eu des conséquences sur sa carrière.

   La biographie permet de suivre celle-ci de manière détaillée. On découvre les premières participations de celle qui, au départ, se voyait danseuse de ballet, avant que son visage expressif et sa fraîcheur d'expression ne la fassent repérer par des réalisateurs et des producteurs. Le livre fourmille d'anecdotes sur les coulisses du tournage des films. Je vais me contenter de relever deux anecdotes, concernant des accidents (réels) qui sont devenus des péripéties dans deux longs-métrages.

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   Commençons par Charade, le petit chef-d’œuvre de Stanley Donen. Dans l'une des (nombreuses) scènes marquantes, on voit l'héroïne faire tomber malencontreusement une boule de glace sur le costume de son "protecteur" (incarné par Cary Grant), alors qu'ils se promènent sur les quais de Seine. Cet incident aurait été inspiré par une maladresse réelle d'Audrey Hepburn, qu'elle a commise lors de sa rencontre avec C. Grant, dans un restaurant. Elle a renversé sur lui le contenu d'une bouteille de vin rouge, en présence de Stanley Donen.

   Une autre péripétie, plus redoutable, a été incluse dans La Rose et la Flèche. On y voit le chariot conduit par Marianne (Hepburn) se renverser dans une rivière... ce qui n'était pas prévu au scénario ! Le réalisateur, Richard Lester, a décidé de garder la prise (unique) et de modifier la scène suivante pour intégrer le tout à l'intrigue.

   Les à-côtés sont particulièrement développés autour de My Fair Lady, Audrey Hepburn ayant remplacé au cinéma Julie Andrews, devenue très populaire grâce à la comédie musicale d'origine.

   La vie privée de la comédienne fut beaucoup moins joyeuse que la plupart des films dans lesquels elle a tourné. Elle semble n'avoir pas été très avisée dans le choix de ses compagnons... sauf le dernier. Le livre explique en détail, pour un public qui l'aurait oublié, les motivations de l'actrice, qui s'est faite rare au cinéma à partir du début des années 1970. Elle voulait connaître une vie conjugale harmonieuse et avoir des enfants. Elle a subi plusieurs fausses couches avant de donner naissance à deux garçons, de deux pères différents.

   Concernant l'image d'Audrey, on peut lire des passages intéressants sur sa silhouette, qui a fait couler beaucoup d'encre. D'après le couturier Hubert de Givenchy (qui fut pendant longtemps son "habilleur attitré"), elle a gardé les mêmes mensurations presque toute sa vie d'adulte. La biographie évoque des périodes de boulimie et d'autres de maigreur extrême, pour des raisons diverses.

    Certain(e)s seront aussi peut-être surpris(es) d'apprendre que l'actrice était une grosse fumeuse (sans accessoire longiligne) et qu'elle était amatrice de whisky (sans être alcoolique).

   Le paradoxe est que celle qui est devenue une icône de la mode et une incarnation de l'idéal féminin ne correspondait pas aux canons de beauté de l'époque à laquelle elle a débuté. On y préférait les femmes aux formes généreuses... et moins grandes que leurs partenaires masculins. Or, avec son mètre soixante-dix (et ses pieds taille 39), ses sourcils non épilés, sa taille de guêpe, sa poitrine riquiqui et sa dentition légèrement décalée, Audrey aurait pu passer pour un "vilain petit canard"... si elle n'avait eu ce regard malicieux, ce sens de la répartie... et une élégance innée.

   Les lecteurs français seront sensibles à certains détails de la biographie. Audrey parlait couramment notre langue et aimait notre pays. L'un de ses films préférés était Les Enfants du paradis et elle aurait aimé tourner avec l'acteur Philippe Noiret. Elle a rencontré l'écrivaine Colette, avec laquelle le courant semble être bien passé. En revanche, elle s'est fâchée avec une petite sommité du monde du cinéma français : Claude Renoir, fils de Pierre et neveu de Jean. Sur le tournage de Deux Têtes folles, elle l'a fait remplacer en tant que directeur de la photographie, jugeant que son travail ne la mettait pas bien en valeur. (Pour entendre la version de Claude Renoir, il faut se rendre ici.)

   La fin de l'ouvrage rend hommage à son travail pour l'UNICEF. Même si le livre est parfois trop en empathie avec la comédienne, je trouve qu'il regorge d'informations passionnantes pour qui s'intéresse à la vie et à la carrière d'Audrey Hepburn.

lundi, 01 novembre 2021

Eugénie Grandet

   Séance de rattrapage ce week-end prolongé, avec l'autre adaptation de Balzac encore sur nos écrans, celle-ci moins clinquante et moins populiste qu'Illusions perdues.

   Ce fut aussi l'occasion pour moi de me replonger dans un roman que j'avais découvert à l'adolescence. (François Mitterrand était président de la République... c'est vous dire si ça date !) Le film de Marc Dugain (dont j'avais bien aimé L'Échange des princesses) n'est pas une adaptation fidèle, plutôt une adaptation-transposition, avec une connotation féministe prononcée.

   C'est l'un des débats nés autour de ce film : ne dénature-t-il pas l'œuvre de Balzac, pour lui faire dire ce qu'il n'a pas écrit il y a près de 200 ans ? Ainsi, l'écrivain tourangeau n'était pas féministe, mais il s'est intéressé à la condition féminine. Je trouve que, dans ce domaine, les choix de Dugain sont pertinents, mettant en scène la lente émancipation de l'héroïne. (Dans le roman, elle finit par contracter un mariage blanc.)

   Un autre débat porte sur l'aspect esthétique. C'est réalisé de manière austère, certaines scènes semblant éclairées uniquement à la chandelle. Le but est de montrer la frugalité du quotidien de la famille Grandet, alors que le père a secrètement placé des millions, auxquels il ne veut pas toucher (et dont sa famille ignore tout). Incidemment, ces scènes sont d'une grande beauté formelle. J'aime cette austérité au service de l'ambiance.

   Je suis plus partagé sur l'aspect romantique de l'histoire. (L'ironie de Balzac a hélas été en partie gommée.) Dans l’œuvre d'origine, Eugénie est une jeune femme naïve, pas très jolie, qui s'entiche d'un cousin falot, totalement superficiel. Dans le film, il est impossible d'être insensible à la beauté simple de Joséphine Japy, le personnage de Charles ayant été modifié pour le rendre plus séduisant, moins superficiel.

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   En revanche, le portrait du père Grandet (Olivier Gourmet, une fois de plus formidable) a été chargé, lui faisant notamment suggérer la "traite des nègres" comme activité commerciale à son neveu, alors que, pour Balzac, c'est le jeune homme parti en Asie qui a de lui-même choisi ce moyen plus immoral lucratif de gagner sa vie.

   J'ajoute que la scène (décisive) se déroulant une nuit, dans la chambre occupée par le cousin, est impensable dans la mentalité de l'époque. Dans le roman, cette nuit particulière est occupée par la rédaction puis la lecture de lettres, qui en apprennent beaucoup à l'héroïne.

   Quoi qu'il en soit, les acteurs sont excellents. C'est du beau travail, avec cette fin inédite dont on sent qu'elle a été conçue pour faire écho à notre époque.

   P.S.

   Je ne résiste pas au plaisir de citer un passage du roman d'Honoré de Balzac, écrivain lucide sur son époque... et sur la nôtre : « Il est dans le caractère français de s'enthousiasmer, de se colérer, de se passionner pour le météore du moment, pour les bâtons flottants de l'actualité. Les êtres collectifs, les peuples, seraient-ils donc sans mémoire ? »

mardi, 22 décembre 2020

Le Grand Secret

   Récemment, j'ai repassé mon linge en écoutant France Culture. (C'est d'un chic !). Mon attention fut attirée par l'émission Toute une vie, consacrée ce jour-ci à l'écrivain René Barjavel. Jusque-là, j'avais une image assez floue de cet auteur, perçu comme un précurseur français (après Jules Verne, bien sûr) du roman de science-fiction. Il y a des années de cela, j'ai dû lire Ravage, dont il est d'ailleurs question au cours de l'émission.

   Celle-ci, fort bien conçue, alterne archives radiophoniques (de l'écrivain), commentaires de spécialistes et lecture d'extraits de ses œuvres. Cela m'a donné envie de me (re)plonger dans celles-ci. En cherchant, j'ai été intrigué par le roman intitulé Le Grand Secret, que je me suis rapidement procuré.

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   Pourquoi ai-je choisi celui-ci ? Parce qu'il y est question d'un virus, susceptible de provoquer l'extermination de l'humanité. Bien qu'écrit il y a presque cinquante ans, j'ai trouvé que cela résonnait bien avec notre époque. C'est aussi une œuvre conspirationniste, qui présente certains événements historiques (l'assassinat de Kennedy, Mai 68 en France, le rapprochement américano-chinois sous Nixon...) sous l'angle d'un complot mondial, que je me garderai bien de révéler ici. Enfin, c'est une histoire d'amour qui se dédouble. L'auteur nous présente d'abord l'adultère passionné entre Roland et Jeanne avant que, dans la seconde partie, il ne nous fasse suivre l'amour naissant entre deux adolescents, sur une île mystérieuse.

   Dans un premier temps, on ne comprend pas tout. Au cœur des années 1950, un complot (voire plusieurs) semble être à l’œuvre. Des disparitions surviennent, des meurtres sont commis, des objets sont volés ou détruits. Au cœur de l'intrigue se trouve la découverte d'un scientifique indien, dont le secret va être transmis à plusieurs dirigeants du monde : le Premier ministre indien (Nehru), le président des États-Unis (Eisenhower), la reine d'Angleterre (Elizabeth II), le secrétaire du PCUS (Khrouchtchev), le président chinois (Mao Zedong) et l'ex-chef du GPRF français Charles de Gaulle, destiné à rejouer un rôle de premier plan. (Quand on écrit après les événements, il n'est pas difficile de faire preuve de prescience...)

   Dans la seconde partie, on découvre l'autre versant de l'intrigue, notamment ce qu'il se passe sur l'île mystérieuse. On revoit aussi les événements du début, sous un autre angle... Cela ne vous rappelle rien ? C'est le schéma de Tenet, le dernier film de Christopher Nolan. Ce n'est pas la première fois que le cinéma utilise ce procédé... et il n'est pas étonnant que Barjavel y ait eu recours, puisqu'une partie de sa carrière a été consacrée à l'écriture de scenarii et de dialogues pour le septième art. (Il a notamment contribué au succès des films de la série Don Camillo.)

   Cette seconde partie du roman est l'occasion pour Barjavel de développer une forme d'utopie. Quelque part entre Le Meilleur des Mondes et Sa Majesté des mouches, l'auteur se demande si l'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche, hors des contraintes politiques et sociales.

   Le roman se lit facilement. Il est écrit dans une langue fluide, parsemée de traits d'humour.

samedi, 03 octobre 2020

Téléfilmiquement correct

   Il y a moins de deux mois, la décision de changer la version française du titre du célèbre roman d'Agatha Christie (Dix Petits Nègres, Ten Little Niggers dans la version d'origine) a défrayé la chronique. (En écoutant le sujet radiophonique, vous apprendrez -si vous ne le saviez pas- que ce n'est pas que le titre qui a été changé, mais aussi le texte du roman, dans lequel, à chaque fois qu'il apparaissait, le mot "nègre" a été remplacé.)

   TF1 s'est coulé dans le moule. Sur sa plateforme de vidéo de rattrapage, on peut accéder à la présentation de tous les programmes diffusés (actuellement ou anciennement) sur l'une des chaînes du groupe télévisuel. On a bien "mis à jour" la page d'accueil de la mini-série adaptant l'oeuvre d'Agatha Christie :

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   Mais, dans notre monde numérique, hyperconnecté, rien ne se perd... tout se transforme ! En cherchant un peu, voici ce sur quoi l'on peut tomber :

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   Le plus cocasse est que, si le titre est ancien, sur la page, on trouve aussi la version retouchée ! Je pense que, dans un premier temps, on s'est contenté de modifier le titre, avant de réaliser que l'adresse de la page était l'ancienne.

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   D'où (sans doute) la décision d'en créer une nouvelle. C'est encore plus drôle quand on retourne à la page actuelle (la première que j'ai mentionnée). On peut accéder à un compte-rendu de la première diffusion de la mini-série :

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   Vous remarquerez que l'article originel a été écrit le 21 décembre 2016, le lendemain de la première diffusion des épisodes (en France)... mais qu'il a été très récemment modifié, le 24 septembre dernier. Toutefois, si le titre est bien conforme aux exigences du "politiquement correct", le corps de l'article n'a pas été retouché !... comme quoi, l'antiracisme ostentatoire (et mal placé) ne protège pas de la fainéantise !

   P.S.

   Dans la version britannique de la mini-série (datant de 2015), le lieu où se déroule l'intrigue est bien nommé "Soldier Island" et les personnages de la comptine sont bien désignés par l'expression "Ten little Soldier Boys". La réécriture de l'histoire littéraire s'est d'abord manifestée dans le monde anglo-saxon...

   P.S. II

   ... et elle a été plus précoce qu'on ne l'imagine dans l'Hexagone, puisque, dans la version française de la mini-série diffusée en décembre 2016, c'est dès le générique que l'on pouvait remarquer (à condition d'être très attentif et d'avoir de bons yeux) le remplacement du mot "nègre" (soit plus de trois ans avant la parution de la traduction retouchée du roman) :

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   P.S. III

   Précisons que la chanson d'origine, qui a inspiré l'écrivaine, a pour titre Ten Little Indians. Celle-ci n'avait pas choisi par hasard le titre que son descendant a décidé de faire disparaître.

   P.S. IV (un dernier, pour la route !)

   L'an dernier, France Culture a évoqué la sortie d'un livre proposant une résolution de l'énigme autre que celle donnée par la romancière.

jeudi, 20 août 2020

La rafle des notables

   C'est le titre du dernier livre publié par la journaliste Anne Sinclair qui, depuis une dizaine d'années, se repenche sur son histoire familiale, qui n'est pas sans liens avec notre histoire nationale.

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   Cette vague d'arrestations massives de juifs de France est bien moins connue que celle dite du Vel d'Hiv, qui a été popularisée (entre autre) par le film La Rafle. En France, l'année 1941 a été marquée par les premières grandes vagues d'arrestations avec, en mai, la "rafle du billet vert" et, en août, la deuxième grande rafle parisienne.

   En comparaison de ces vagues (portant chacune sur environ 4 000 personnes), l'arrestation de 743 "bourgeois" juifs paraît de moindre importance. Elle n'en était pas moins annonciatrice de la suite. Tout d'abord, elle porta au total sur un bon millier de personnes, environ 300 juifs originaires d'Europe centrale et orientale s'ajoutant aux notables français. De plus, contrairement à ce qui a jadis été dit, ces arrestations ont été opérées par des policiers français, associés à des militaires allemands et parfois, des agents de la Gestapo. Une bien belle "collaboration"...

   Après une phase de regroupement à l'Ecole militaire, les détenus ont été envoyés du côté de Compiègne, dans le camp de Royallieu, au nord de Paris :

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   Parmi les "notables" arrêtés figurait Léonce Schwarz, le grand-père paternel d'Anne Sinclair, entrepreneur dans le textile. C'est l'aïeul qu'elle n'a pas connu, puisqu'il est décédé peu après la Libération, en 1945. L'un des intérêts du livre est le récit du sauvetage du grand-père, tombé malade pendant sa détention, ce qui lui a permis d'être envoyé à l'hôpital, d'où son épouse a réussi à le faire sortir avant qu'il ne soit renvoyé à Compiègne (et, de là, déporté à Auschwitz).

   Durant sa détention, le grand-père d'Anne Sinclair a pu côtoyer le frère de Léon Blum, le mari de Colette, le fils de Tristan Bernard, un ancien ministre de Clemenceau et une foule de polytechniciens, ingénieurs, juristes... L'écrasante majorité de ces "notables" était toutefois composée de commerçants et d'artisans.

   Le livre mérite aussi le détour par la description des conditions de détention. Certes, ce n'était ni un camp de concentration, ni un centre d'extermination, mais les prisonniers n'en ont pas moins subi d'effroyables privations, sans parler des vexations.

   Un petit cahier de photographies complète l'ouvrage.

   En complément, on peut lire le précédent ouvrage historique d'Anne Sinclair, consacré à la branche maternelle de sa famille qui, à la même époque, a pu fuir la France pour le Portugal puis les Etats-Unis :

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   Au centre de cet ouvrage se trouve l'autre grand-père d'Anne Sinclair, Paul Rosenberg, le marchand d'art audacieux, qui a soutenu les peintres "modernes" de son temps, au premier rang desquels Picasso. Au-delà de la saga familiale, le livre passionne aussi par la description du fonctionnement du marché de l'art peu avant et peu après la Seconde Guerre mondiale.

   P.S.

   Pour la petite histoire, sachez que le nom Sinclair fut à l'origine le pseudonyme pris par le père d'Anne quand, jeune homme, il rejoignit la France Libre. Pour éviter que sa famille ne soit victime de représailles de la part de l'État français ou de l'occupant allemand, comme bien des résistants, il adopta un nom d'emprunt, qu'il fut autorisé à conserver après la guerre.

vendredi, 10 juillet 2020

Histoire d'une erreur judiciaire

   On en apprend tous les jours, notamment grâce à la bande-dessinée, devenue à la fois un véritable art et un excellent moyen de se cultiver. Je suis donc récemment tombé sur celle-ci :

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   Ce roman graphique est signé Xavier Bétaucourt (au scénario) et Olivier Perret (au dessin). De larges extraits sont lisibles ici.

   A Atlanta (en Géorgie, État du Sud-Est des États-Unis), en 1913, le corps d'une adolescente de 14 ans est découvert dans le sous-sol d'une usine. Elle a été violée. Très vite, la ville s'enflamme. Deux principaux suspects émergent : un employé noir de l'usine et le patron (Leo Frank). Celui-ci est juif... et c'est un Yankee, un Américain venu du Nord vainqueur de la Guerre de Sécession, dont les stigmates font encore souffrir.

   L'histoire nous est racontée sur trois temporalités : les événements de 1913, les souvenirs de celui qui n'était qu'un jeune coursier à l'époque (et qui témoigne en 1982)... et l'année 2017.

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   Le dessin n'a rien d'éblouissant. Par contre, je trouve que les ambiances sont très bien campées. On nous fait bien sentir quels étaient les préjugés de l'époque (le racisme, l'antisémitisme). L'enquête a été mal menée, sous la pression de l'opinion, des médias de l'époque (la presse, dont nombre d'organes vont s'adonner au sensationnalisme sans retenue)... et de quelques "faiseurs d'opinion".

   Entre le juif et le "nègre", la populace blanche balance. Les supposées "élites" locales, elles, ne se sont pas posées trop de questions et ont adopté un comportement radical.

   Cette injustice a été passée sous silence pendant des années. Même lorsque le principal témoin des faits a enfin osé raconter ce qu'il avait vu, on lui a demandé de se taire.

vendredi, 22 mai 2020

Le chien des Basqueville

   Non, il n'y a pas d'erreur. Ce billet a pour titre celui d'un polar historique signé Jean d'Aillon (auquel on doit aussi Une étude en écarlate, dont j'ai parlé la semaine dernière).

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   Évidemment, le titre est un clin d'oeil à l'oeuvre d'Arthur Conan Doyle (Le Chien des Baskerville). Dans cette nouvelle enquête, le Sherlock Holmes médiéval va faire la rencontre de Gracieux, un... chien, appartenant à la famille des Basqueville. Il va aider notre héros... et parfois se montrer redoutable. Mais ce n'est pas un véritable tueur d'hommes. Non, en ce domaine, les bipèdes sont hélas bien plus efficaces.

   Outre la présence d'un chien, l'autre point commun est qu'une affaire d'héritage et de filiation est au coeur de l'intrigue. Mais l'auteur ne se contente pas de décaler l'histoire d'origine, il la replace dans le contexte des années 1420 et des complots politiques qui animent l'époque.

   A la fin de l'ouvrage, Jean d'Aillon prend un malin plaisir à préciser que le nom de famille n'est pas inventé. Il cite même une étude historique (ancienne). Les Baskerville anglais descendraient de Basqueville normands ! Les curieux peuvent aussi se rendre sur un site internet consacré à l'actuelle commune de Bacqueville-en-Caux.

   Dans cette deuxième (en réalité troisième, la deuxième figurant dans un recueil) enquête, on retrouve Edward Holmes et Gower Watson installés dans la demeure acquise à la fin de leurs précédentes aventures. Le clerc perspicace a désormais l'oreille de la reine Isabeau, qui fait appel à lui quand une affaire délicate nécessite intelligence et discrétion.

   Cette fois-ci, Holmes (un Anglais de Paris, rappelons-le) est chargé de se rendre en Normandie, pour récupérer un mystérieux coffret, auquel tiennent à la fois une ravissante veuve et la reine Isabeau. La première partie du roman relate le voyage, qui évidemment ne va pas se dérouler comme prévu. Holmes le clairvoyant va se faire berner.

   Durant la seconde partie, l'intrigue fait intervenir de nouveaux protagonistes. Outre la reine, le duc de Bourgogne et la belle-mère du dauphin (futur Charles VII) se mettent en quête du contenu du coffret, pendant que sévissent d'étranges maîtres-chanteurs.

   Contrairement à la trame narrative d'Une étude écarlate, celle-ci ménage longtemps le suspens quant à l'identité de certains comploteurs. Par contre, le même procédé est mis en oeuvre : des groupes de personnages au départ ignorants les uns des autres vont se croiser, voire s'affronter.

   C'est toujours aussi bien écrit (avec parfois un foisonnement excessif de détails), documenté... et enlevé. Aux amateurs de l'univers holmsien, je signale que ce roman marque l'apparition d'un enquêteur judiciaire nommé Grégoire Lestrade. On y voit aussi le héros recruter ses deux premiers informateurs irréguliers.

   Comme le précédent, j'ai adoré.

samedi, 16 mai 2020

Sherlock au Moyen Age

   Récemment, je butinais dans les rayons d'une librairie, en quête de nourriture spirituelle divertissante, lorsque je suis tombé sur ceci :

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   C'est le titre qui a attiré mon attention. C'est une référence transparente à la première enquête de Sherlock Holmes publiée par Arthur Conan Doyle, Une Étude en rouge. Ce n'est qu'ensuite que j'ai lu le petit texte, qui évoque les aventures d'un Edward Holmes et d'un Gower Watson. Ils évoluent au début du XVe siècle (dans les années 1420), en France, le plus souvent à Paris, un Paris gouverné par les Anglais et leurs alliés Bourguignons. Nous sommes en pleine guerre de Cent-Ans.

   L'auteur Jean d'Aillon (qui utilise un pseudonyme) est un économiste de formation, ancien haut-fonctionnaire reconverti dans le polar historique. Sa documentation semble solide, ce qui ajoute de l'intérêt à ses intrigues policières inventées.

   Le tout début du livre présente la manière (supposée) dont l'auteur a découvert l'existence putative de ce Sherlock médiéval. C'est à la fois facétieux et érudit, à la manière dont Jean d'Aillon construit ses intrigues.

   La particularité de ce polar est que l'histoire qui nous est contée ne consiste pas en la progressive découverte de la manière dont un criminel a agi (ni de son identité). Non, ici, il s'agit d'un complot, qui fait intervenir les rivaux français (armagnacs et bourguignons), la corporation des bouchers de Paris (acteur à part entière, qu'il est bon de ne pas négliger), les Parisiens "ordinaires", les autorités anglaises... et d'autres ressortissants d'outre-Manche, dont les intentions semblent louches.

   C'est donc un roman fouillé, avec un arrière-plan historique travaillé et de multiples intrigues secondaires. Tout va se jouer dans une mystérieuse demeure, la Maison de Mélusine, où vont se croiser (parfois sans se rencontrer) des bouchers criminels, un aristocrate ivre de vengeance (ce qui relie ce roman à celui de Conan Doyle), un bourgeois prétentieux, des complotistes anglais... et nos enquêteurs.

   Edward Holmes est un clerc désargenté, dont deux des demi-frères viennent de décéder (à cause de ces Bloody Frenchies !). Il se cherche une occupation rémunérée... et rencontre un archer, Watson, vétéran de la bataille d'Azincourt, de glorieuse mémoire pour les sujets de la perfide Albion. C'est d'ailleurs l'originalité de cette série de romans (d'un auteur français) que de mettre à l'honneur des personnages de l'autre camp, celui qui combat le dauphin, futur Charles VII.

   Dans cette aventure-ci, on croise des personnages historiques, certains connus comme la reine Isabeau de Bavière et le dauphin Charles, d'autres plus anonymes comme Tanneguy du Châtel et  Jean Chuffart, un chanoine auteur présumé du Journal d'un bourgeois de Paris (hostile aux Armagnacs et donc, plus tard, hostile à Jeanne d'Arc). Ces figures de l'Histoire croisent des personnages inventés, parfois avec malice comme ce greffier (et logeur) Jacques Bonacieux, dont la jeune épouse Constance fait tourner quelques têtes...

   Cela donne une idée des influences littéraires de Jean d'Aillon. Il mêle Conan Doyle à Alexandre Dumas et, globalement, au roman populaire du XIXe siècle. Les chapitres sont courts, avec un aspect feuilletonnant. L'importance de l'arrière-plan historique et le souci du détail "vrai" rapprochent ce roman d'autres séries, comme les Napoléon Bonaparte d'Arthur Upfield (le héros étant un inspecteur métis évoluant dans l'Australie de la première moitié du XXe siècle), les aventures du juge Ti de Robert van Gulik, les oeuvres de Tony Hillerman situées en réserve Navajo ou, plus récemment, les enquêtes du brahmane Doc de Sarah Dars ou celles de Nicolas Le Floch, par Jean-François Parot.

   J'ai lu cette étude en écarlate en moins de deux jours, malgré le boulot, au risque d'écourter une nuit, tellement j'ai trouvé cela passionnant.

lundi, 23 décembre 2019

Star Wars : 350 anecdotes

   La sortie de ce livre est fort opportune, juste avant que l'épisode IX ne soit diffusé dans les salles françaises. Il contient une foultitude de détails, certains connus, d'autres moins. L'auteur Chris Pavone s'est livré à un impressionnant travail de compilation. L'ensemble est bien écrit, facile à lire... et constitue le cadeau de Noël idéal (et pas cher : 10 euros) pour les fans de la série.

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   Beaucoup d'anecdotes évoquent la création de l'habillage visuel ou sonore des films. Ceux qui l'ignoreraient découvriront qu'avant l'ère du numérique, on bidouillait beaucoup. (On continue encore...) Ainsi, le son des sabres-lasers est constitué d'un mélange du bruit fait par le moteur d'un projecteur de cinéma et d'interférences micro. Pour la petite histoire, je signale que la premier sabre-laser à sortir du "canon" (bleu/rouge) est celui de Mace Windu, interprété par Samuel Jackson. Celui-ci avait exigé de disposer d'un sabre personnalisé... violet !

   Sans surprise, les références au monde des samouraïs abondent. Le terme Jedi est d'ailleurs un décalque du japonais "Jidai Geki", qui désigne, au pays du soleil levant, un genre théâtral, cinématographique et télévisuel.

   Au niveau des sons, sachez que le cri d'un monstre marin est en réalité la déformation du... rot du bébé de l'un des membres de l'équipe. Autre détail croustillant : dans l'épisode VII, c'est le ronronnement d'un chat qui a été utilisé pour exprimer l'usage de la Force. Un dernier bidouillage, pour la route : dans l'épisode I, le public de la course est représenté à l'aide de cotons tiges !

   Passons aux personnages principaux. Sachez que Chewbacca a été inspiré à George Lucas par son... chien, un Malamute d'Alaska nommé... Indiana ! (Le livre regorge d'ailleurs de réflexions sur les liens entre Lucas et Spielberg). Sa fourrure est faite de poils de yak et de mohair.

   Autre second rôle emblématique de la saga, R2-D2 bénéficie de plusieurs notes dans le livre. On y apprend l'origine de son nom ("Reel 2 Dialog 2"), les tourments de l'un des acteurs (nain) chargé de mouvoir le robot de l'intérieur (un jour, il a été oublié par l'équipe partie déjeuner) et le pourquoi de ses "bips" qui semblent tellement choquer C-3PO.

   J'ai gardé mon préféré pour la fin. Sous ses identités successives, Dark Vador a été interprété (physiquement et vocalement) par onze acteurs différents tout au long de la saga... le pire étant peut-être Hayden Christensen, dont la carrière a d'ailleurs périclité après le tournage de la prélogie. Signalons que le masque qui apparaît à la fin de celle-ci a été créé par un Français, Martin Rezard. Je pense que personne ne sera étonné d'apprendre que cet objet culte est inspiré d'un masque samouraï, le pectoral lui trouvant son inspiration dans l'Ancien Testament. Le masque a rencontré un tel succès qu'il a inspiré une gargouille de la cathédrale de Washington !

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   Bonne lecture !

samedi, 02 novembre 2019

Le Roman des Goscinny

   La récente sortie de La Fille de Vercingétorix (par le duo Conrad-Ferri) est une invitation à se replonger dans les aventures plus anciennes d'Astérix et Obélix, en particulier celles scénarisées par René Goscinny (1926-1977), auquel un roman graphique a été consacré. Il est paru cet été. Je viens d'en achever la lecture.

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   La couverture annonce parfaitement le contenu du livre. On y voit, de profil, René Goscinny et sa fille Anne, qui ne s'est jamais remise complètement de la mort précoce de son père, qu'elle a de surcroît assez peu connu : elle avait neuf ans quand il est décédé.

   Elle en a d'ailleurs beaucoup voulu au cardiologue qui avait fait pratiquer un test d'effort sur son père, au coeur fragile. Cela permet de comprendre les rares séquences dessinées sur fond rose, qui montrent une Anne Goscinny plus jeune, avide de vengeance.

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   Mais la majorité de cette bande dessinée nous est présentée soit sur fond jaune, soit sur fond bleu. Les chapitres dessinés sur fond jaune montrent l'oeuvre en construction, notamment les discussions entre Anne Goscinny et l'auteure Catel, à laquelle on doit, entre autres, une biographie en images d'Olympe de Gouges. L'artiste est face à un dilemme : soit elle continue à privilégier les projets concernant les femmes, soit elle se lance dans ce travail sur René Goscinny qui, quoiqu'homme, a bercé sa jeunesse et inspiré son travail. Elle a fini par dire oui à la fille du scénariste et a eu accès aux archives familiales.

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   Cela lui a permis de construire les séquences sur fond bleu, dans lesquelles on voit René Goscinny s'exprimer à la première personne et raconter l'histoire de sa vie.

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   Ceux qui l'ignoreraient apprendront que la famille de Goscinny est composée majoritairement de juifs ayant fui l'Europe de l'Est antisémite. Les parents de René n'ont d'ailleurs échappé au génocide que parce que, dans l'Entre-deux-guerres, ils sont partis s'installer en Argentine, un pays alors riche en opportunités, en particulier pour un ingénieur comme Stanislas (le père).

   Très tôt, le jeune René se révèle un boute-en-train, plutôt bon élève. Mais il est assez vite atteint par le virus du cinéma (notamment Laurel et Hardy) puis de la bande-dessinée. Il se fait la main en reproduisant des planches déjà publiées ou en caricaturant des personnages célèbres.

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   Ce n'est pas l'un des moindres intérêts de ce livre que d'y trouver des reproductions de documents authentiques, la plupart de la main de Goscinny. Ce n'était pas un dessinateur maladroit, l'un de là.

   Après le décès de son père, c'est aux Etats-Unis que René tente de percer dans son hobby. Fort heureusement pour nous, il n'a pas réussi. Mais il a côtoyé les fondateurs de Mad. A la fois dessinateur et scénariste à ses débuts (et même souvent homme à tout faire), René va petit à petit se spécialiser dans l'écriture de scenarii, où son imagination fertile et son humour ravageur vont faire merveille.

   Le succès n'est venu qu'en Europe, une fois qu'il s'est associé à plusieurs dessinateurs très talentueux, comme Sempé, Morris et Uderzo. Le livre ne nous raconte que les tout débuts, à savoir la rencontre entre Goscinny et tel ou tel acteur de l'histoire de la bande-dessinée francophone (souvent belge, rappelons-le), ainsi que les premières productions.

   Pour qui s'intéresse un tant soit peu à l'histoire en général et celle de la bande dessinée "française" en particulier, c'est un ouvrage indispensable.

vendredi, 25 octobre 2019

La Fille de Vercingétorix

   C'est l'événement éditorial de la fin du mois d'octobre : la sortie du 38e album des aventures des plus célèbres Gaulois de fiction du monde. Deux ans après Astérix et la Transitalique, on retrouve nos héros au contact de la fille du plus célèbre Gaulois ayant existé. Certaines vignettes aux teintes brunes évoquent les souvenirs d'anciens combattants de certains membres du village... ou de leurs invités-surprises :

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   La scène est digne des batailles napoléoniennes. Je recommande d'être particulièrement attentif aux visages. Les expressions de certains combattants sont assez cocasses... et l'on remarque la jolie frimousse de la future héroïne de l'histoire.

   Ce début est marqué par l'introduction de personnages arvernes, dont l'accent chuintant n'est pas chans rappeler chelui d'un anchien président de la République... On ne s'étonnera donc pas de la présence de nombreux anachronismes (comme l'histoire abracadabrantesque de l'invention de la casquette !), ou de simples clins d'oeil à l'époque contemporaine. L'un de ces clins d'oeil concerne un chanteur décédé l'an dernier, dont le visage semble avoir inspiré celui de l'un des membres de  l'équipe de pirates :

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   Les lecteurs attentifs repèreront au moins deux autres occurrences de ce personnage, à chaque fois en liaison avec l'une de ses chansons.

   Fort logiquement, on retrouve aussi une brassée de jeux de mots, en général réussis, comme lorsque le fils du poissonnier, surchargé de travail, déclare : "Mais, papa, j'ai déjà beaucoup de bulots !" Certains sont surprenants, d'autres attendus, comme l'évidente "montée d'Adrénaline" (quand la fille de Vercingétorix grimpe au mat d'un bateau).

   Parlons donc de cette héroïne. Fille du célèbre chef de guerre arverne, elle ne manque pas de tempérament... et elle est rousse ! Le scénariste en fait une sorte de djeunse, mais pas une caricature de pétasse qui serait éminemment antipathique. Adrénaline est juste une ado orpheline de père (en fait pas encore, si l'intrigue se déroule avant -46), qui voudrait vivre sa vie en s'émancipant de la lourdeur des contraintes imposées par les adultes. Je trouve que ce personnage féminin est une réussite. De surcroît, elle permettra à de nombreux lecteurs de découvrir le nom que l'on donnait aux chaussures gauloises.

   Cela m'amène à une limite historique (parmi d'autres). Outre le fait que l'existence d'une descendance de Vercingétorix ne soit pas prouvée, je relève une erreur concernant la localisation de la capitale des Arvernes, appelée Nemessos. Dans une vignette du début, une note l'assimile à Clermont-Ferrand, alors que la fouille d'un oppidum, à Corent (à une vingtaine de kilomètres de là, dans le département du Puy-de-Dôme) a récemment rebattu les cartes.

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   P.S.

   Je signale l'existence d'une "planche fantôme", absente de l'album, mais qui a été parfois utilisée (totalement ou partiellement) pour faire sa promotion :

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   P.S. II

   Paradoxe du monde de l'édition : ce volume de la bande-dessinée "franchouillarde" par excellence, qui met en avant (indirectement) l'un des personnages historiques figurant au Panthéon national, a été imprimé (en partie)... en Roumanie. Il n'est pas inutile de préciser que les éditions Albert-René sont désormais contrôlées par le groupe Hachette...

samedi, 17 août 2019

Lune rouge

   C'est le titre du dernier album des aventures de Guy Lefranc, sorti fort opportunément 50 ans après le succès de la mission Apollo XI :

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   On le doit à Christophe Alvès et François Corteggiani, le duo qui était déjà à l'oeuvre il y a quelques années sur Le Principe d'Heisenberg, dont l'intrigue se déroule partiellement dans l'Aveyron.

   Ici, on est en pleine Guerre froide. Le héros journaliste va partir à la recherche d'un scientifique disparu... et collaborer avec la CIA, puisque les "méchants" de l'histoire sont les communistes soviétiques et nord-coréens, auxquels vont s'ajouter les Chinois, qui commencent à se la jouer perso. Sur son chemin, Guy Lefranc va de nouveau croiser un vieil ennemi à lui...

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   Les lecteurs qui ont un minimum de culture BD verront les ressemblances avec les albums d'Hergé (Objectif Lune et On a marché sur la Lune)... et avec la série Blake et Mortimer, en particulier au niveau du style du dessin (mais aussi avec la résurrection de l'antagoniste principal, sorte de décalque d'Olrik). C'est bien fichu, documenté pour donner un peu de vraisemblance à une histoire abracadabrantesque : en 1959, même avec l'aide des Soviétiques, les Nord-Coréens n'avaient pas les moyens de monter le projet qui est décrit dans l'album. Celui-ci est finalement davantage révélateur des préoccupations du début du XXIe siècle, avec l'émergence de la puissance chinoise et le développement de l'arme nucléaire par le régime de Kim Jong-un.

   Cela se lit néanmoins avec plaisir, en raison de la propreté du dessin et des rebondissements qui parsèment l'intrigue.

lundi, 13 août 2018

Mary Shelley

   Qu'est-ce qui peut pousser une réalisatrice saoudienne (à laquelle on doit le formidable Wadjda) à s'intéresser à l'auteure de Frankenstein, une Britannique du XIXe siècle ? On pense à des raisons artistiques, chacune tentant de percer dans un domaine jusqu'alors dévolu aux hommes. On ne doit pas négliger les ressemblances qui existent entre le Royaume-Uni des années 1810-1820 et l'Arabie saoudite d'aujourd'hui. Outre-Manche, les femmes ne sont pas contraintes de se voiler, mais elles sont souvent considérées comme quantité négligeable, des filles obéissantes futures mères et épouses respectables, ou bien des objets du désir que l'on peut jeter quand on s'en est lassé. Le carcan religieux est un autre point commun aux deux époques. A travers le poids de l'anglicanisme, il est certain que la réalisatrice saoudienne dénonce celui du wahhabisme.

   Mary Wollstonecraft Godwin est la fille d'un libraire et d'une militante féministe décédée peu après sa naissance. Elle ne supporte pas sa belle-mère et passe son temps à lire, s'essayant à l'écriture, en secret. Sur le plan sentimental, c'est un peu une oie blanche, que ses mésaventures vont endurcir.

   Dans un premier temps, le film nous place dans une atmosphère romantique, avec costumes et coiffures (!) d'époque. La belle adolescente (Elle Fanning, très très bien) tombe amoureuse du séduisant poète Percy Shelley (Douglas Booth, vu dans une récente adaptation du Dix Petits Nègres d'Agatha Christie). L'avenir s'annonce radieux pour eux, pour peu que le succès littéraire ne les ignore pas.

   La seconde partie est celle des premières désillusions. On voit un peu mieux à quel point Londres est une ville crasseuse. La vie de nos littérateurs n'est pas rose et Mary se rend compte que Percy n'a pas exactement la même conception de l'amour qu'elle. C'est donc aussi l'histoire d'une femme intelligente qui ouvre les yeux et qui doit malgré tout se frayer un chemin dans la vie. S'ajoutent à cela les drames de l'existence : Mary voit mourir trois des quatre enfants auxquels elle adonné naissance (sans compter une fausse couche). Le film se contente d'évoquer une seule de ces morts.

   Le séjour chez Byron (Tom Sturridge, excellent) est le point de bascule. Mary se détache irrémédiablement de cette vie de libertin... mais elle trouve enfin l'inspiration pour rédiger (achever ?) Frankenstein. La thèse du film est que l'histoire est fortement inspirée de la biographie de l'auteure (pas uniquement de ce séjour). Les aspects macabres de la vie de Mary expliquent sans doute un peu l'ambiance du roman. Mais cet accouchement littéraire marque aussi l'émancipation définitive de la jeune femme, qui va davantage se réaliser en tant qu'écrivaine qu'en tant qu'épouse ou mère. Et ça, c'est furieusement moderne.

   Par sa facture classique et les aspects sombres de son intrigue, le film a semble-t-il un peu déconcerté. On peut certes déplorer le manque de flamboyance, mais je trouve très honnête de n'avoir pas cherché à rendre l'histoire plus rose qu'elle ne l'avait été.

   Du coup, j'ai décidé de m'intéresser au roman. Je l'avoue, je n'avais jamais lu Frankenstein ou le Prométhée moderne.

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   Je me suis procuré l'une des traductions en français. On y retrouve le style romantique qui a fait fureur au XIXe siècle, et qui nous paraît peut-être un peu daté, désuet. En revanche, l'admiration exprimée pour les beautés de la nature parle encore aux lecteurs du XXIe siècle.

   La rédaction du roman prend la forme d'un enchevêtrement de récits. L'histoire nous est d'abord racontée par l'intermédiaire de lettres envoyées par un explorateur à sa sœur. C'est ce Walton qui rencontre Victor Frankenstein (qui, rappelons-le, est le créateur, pas la créature). Celui-ci se met à lui raconter sa vie... jusqu'au moment où il retombe sur sa créature, qui avait disparu peu après sa "naissance". C'est au tour du monstre de narrer à son créateur [qui parle à Walton, qui écrit à sa sœur...] comment il a pu survivre, ainsi qu'apprendre à parler, lire et écrire (en français !). Le dernier emboîtement vient de la maison à côté de laquelle la créature s'était réfugiée. Il y entend ses occupants raconter leurs malheurs.

   A l'habileté littéraire s'ajoute une audace, celle de laisser (longuement) parler un criminel, et même de le laisser se justifier. Certes, les partisans de la thèse biographique affirment qu'à travers le monstre, c'est la femme trompée qui s'exprime, mais je trouve intéressant que dans un roman du XIXe siècle, on laisse autant la parole à l'auteur de crimes atroces, lui accordant une indéniable humanité.

   C'est aussi une œuvre qui s'interroge sur les limites de la science et de ce que l'homme peut s'autoriser à faire. C'est enfin peut-être une réflexion sur la Révolution française et ses conséquences. A l'image de ce que Mary Shelley a connu à son adolescence, une explosion de liberté sans entrave ne débouche pas forcément sur le bonheur.

   Le livre est encore plus à lire que le film à voir.

samedi, 28 juillet 2018

Quand sonnera l'heure...

   C'est le titre français d'un "vieux" roman du Britannique John Boynton Piestley, auteur qui connut son heure de gloire entre 1930 et 1960. Cette oeuvre est parue en 1937 sous le titre The Doomsday Men ("Les Hommes du dernier jour") :

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   L'intrigue suit les pérégrinations de trois personnages principaux, tous des hommes. Le premier est le Britannique Malcolm Darbyshire, un architecte féru de tennis, qui participe à un tournoi sur la Côte d'azur française. Il y rencontre sa partenaire de double, la mystérieuse Andréa Baker, fille d'un milliardaire américain, dont il tombe amoureux. C'est l'aspect romance énigmatique de l'histoire.

   Dans le même temps, un jeune scientifique américain, George Hooker, s'est rendu au Royaume-Uni dans l'espoir de retrouver un brillant chercheur qui a disparu des écrans-radar deux ans auparavant. Il est persuadé que celui-ci est sur le point de réaliser une découverte fondamentale, à laquelle le jeune homme souhaiterait collaborer. Nous voilà plongés dans une enquête à l'anglaise, dans le brouillard.

   Enfin, Jimmy Edlin, un aventurier qui s'est enrichi en Chine, débarque d'Hawaï en Californie pour résoudre le mystère de l'assassinat de son frère, un journaliste d'investigation qui s'est récemment intéressé à des gangs originaires de la côte Est. On retrouve l'ambiance des polars américains de cette époque.

   Les trois hommes vont finir par se rencontrer et affronter une secte redoutable. Paru en 1937, ce roman est une curiosité parce qu'il est sans doute l'un des premiers à dénoncer les méfaits des mouvements sectaires... et à prévoir le danger que représente la recherche dans le domaine nucléaire. En dépit de certaines considérations datées (en particulier sur les femmes, même si deux d'entre elles jouent un rôle actif dans l'histoire), cette oeuvre est palpitante à lire et assez prémonitoire sur certains points.

vendredi, 13 juillet 2018

La Maison de soie

   Comme je m'intéresse à tout ce qui touche à Sherlock Holmes, j'ai dressé l'oreille quand on m'a dit qu'un romancier britannique avait obtenu l'accord des héritiers de Conan Doyle pour écrire de nouvelles aventures du célèbre détective. Ce romancier est Anthony Horowitz, qui s'est illustré dans la littérature de jeunesse et l'écriture de scénarios pour la télévision. Il a notamment œuvré sur plusieurs épisodes de la série "Hercule Poirot" (actuellement rediffusée sur TMC). Le fin connaisseur de l’œuvre d'Agatha Christie avait des atouts pour relancer la narration des enquêtes de Sherlock. Voyons ce qu'il en a fait.

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   L'histoire nous est racontée du point de vue du docteur Watson. C'est un cas particulièrement délicat, qui aurait été dissimulé au public pendant des dizaines d'années, tant le sujet est sensible, à différents niveaux.

   L'intrigue entremêle deux affaires, liées par une personne qu'un lecteur attentif soupçonnera assez vite. La plus terrible des deux affaires a trait aux enfants des rues que Sherlock utilise parfois pour collecter des informations. Ceux qui ont beaucoup lu/vu de polars comprendront assez vite de quoi il retourne et quels sont les personnages impliqués.

   L'autre affaire, qui surgit en premier d'ailleurs, est liée au séjour effectué par l'un des protagonistes (le marchand d'art) aux États-Unis. L'intrigue est très bien nouée. Il va falloir du temps pour démêler tous les nœuds, d'autant plus que la seconde affaire va percuter la première. La principale conséquence est que la vie de Sherlock est menacée, par un complot qu'il est assez facile (pour les lecteurs) de mettre au jour.

   C'est passionnant. J'ai retrouvé l'esprit de Conan Doyle. Les relations entre les deux personnages principaux sont bien campées et le décor du Royaume-Uni de la fin du XIXe siècle est bien planté. J'ai commencé à lire le roman avant une séance de cinéma. J'ai repris ma lecture après le repas du soir et je n'ai pas lâché le livre avant la nuit. Même s'il y a des facilités et si l'une des affaires est un peu trop transparente à mon goût, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.

mardi, 24 octobre 2017

Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

   C'est le titre original (traduit) du roman qui a inspiré le film Blade Runner. Je ne sais plus si je l'avais déjà lu. En tout cas, il ne faisait pas partie de ma bibliothèque. La récente sortie (au cinéma) de la suite, Blade Runner 2049, m'a donné envie de me (re)plonger dans l'oeuvre de Philip K. Dick.

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   Le livre a d'ailleurs été récemment réédité en collection de poche. Je note que, bien que J'ai lu soit une filiale de Flammarion (maison d'édition française), elle-même intégrée au groupe Madrigall (une holding contrôlée par Gallimard), l'exemplaire que j'ai acheté en librairie a été imprimé... en Slovaquie.

    Mais revenons au roman. A sa lecture, on constate que Ridley Scott y a apporté de nombreux changements que, grosso modo, j'approuve. Ils ont contribué à rendre le film plus romantique et plus poétique que l'oeuvre d'origine, qui est noire voire empreinte de désespoir. (Et je ne parle pas de l'ambiance visuelle, ni de la musique de Vangelis, qui n'ont pas peu contribué au succès du film.)

   Dans le roman, Rick Deckard est marié... et pas très heureux en ménage. Tout cet aspect de sa vie quotidienne a été gommé, pour mettre l'accent sur sa rencontre avec Rachael, qui est moins romantique que dans le film.

   De manière générale, les "réplicants" sont présentés comme plus froids que dans le film, où Scott a insisté sur leur part d'humanité. Question spectacle, leur chasse par Deckard comporte plus de péripéties que dans l'oeuvre de Dick, à part un épisode, qui a été exclu de l'adaptation : Deckard se fait arrêter par d'autres policiers, certains étant des humains, d'autres des "réplicants". Les scénaristes ont préféré resserrer l'intrigue, mais sans négliger complètement le matériau de départ, qui introduit le doute quant à la nature même de Deckard.

   Un autre élément du fond du roman a disparu au moment de l'adaptation : l'aspect religieux, avec le mercérisme, sorte de doctrine officielle, propagée par la télévision et qui sert en quelque sorte d'opium du peuple (en complément des drogues autorisées, que les habitants de la Terre s'auto-administrent). Ce n'est pas qu'un décorum, puisque, vers la fin, un événement surnaturel sauve la mise à Deckard, qui n'était pas censé survivre à la traque des trois derniers "réplicants" en fuite.

   Quant au contexte post-apocalyptique (nucléaire), il est utilisé dans la suite se déroulant trente ans plus tard... en fait trente ans après le premier film, le roman (écrit dans les années 1960) situant l'action en 1992. De ce point de vue, c'est bien une oeuvre de Guerre froide, qui imagine que tôt ou tard, la rivalité entre les deux Blocs va dégénérer. (Le roman a été écrit quelques années après la crise de Cuba de 1962.) Mais, en 1966, Philip K. Dick voit encore des policiers soviétiques en 1992...

   Toutes ces différences rendent le roman encore plus passionnant à lire. Je l'ai dévoré presque d'une traite. Dans l'édition que j'ai eue entre les mains se trouve une postface, qui donne quelques éléments d'explication et des informations inédites. Sachez que les producteurs du film voulaient au départ que Dick réécrive son roman, en fasse l'équivalent d'une novélisation qui aurait remplacé l'oeuvre originale. L'écrivain a refusé, ce qui a conduit à l'embauche de scénaristes pour reformater l'intrigue, pour le plus grand bonheur des cinéphiles.

vendredi, 20 octobre 2017

Astérix et la Transitalique

   Voici donc le 37e album de l'une des plus célèbres séries de BD francophones. Aux manettes, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad tentent de prolonger la magie des aventures gauloises, qui, cette fois-ci, mènent les héros dans la péninsule italienne :

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   Dès le début, on est (re)mis dans l'ambiance, avec une série de vignettes qui a dû bénéficier de beaucoup d'attention :

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   Tout y est (ou presque : on ne voit pas les héros). Il y a le ton faussement grandiloquent, qu'un événement cocasse va rompre. Il y a (à travers le texte et la borne) la première référence à un proverbe que l'on va retrouver dans l'album. Il y a bien évidemment le calembour sur le nom du dépanneur et l'introduction du thème principal de l'histoire : l'univers de l'automobile, qui va se prêter à beaucoup d'anachronismes...

   Les amateurs de figures autoritaires vont rapidement retrouver Jules César, ici en comploteur, dans la bouche duquel les auteurs placent un jeu de mots savoureux...

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    Comme ceux de l'époque Goscinny, cet album se veut un miroir tendu à notre époque, accro aux rallyes automobiles et globalement aux compétitions sportives, quitte à fermer les yeux sur la triche et le dopage. C'est aussi une variante sur les cultures régionales, les Romains ayant imposé la leur aux autres peuples de la péninsule. Difficile de ne pas y voir une pique lancée au parisianisme qui regarde avec condescendance la Province (mot d'origine latine, tiens).

   En gros, la course de chars revêt peu d'intérêt. C'est le portrait des divers concurrents (certains connus des lecteurs fidèles) qui retient l'attention, avec un véritable kaléidoscope de peuples. Je retiens les auriges africaines, qui s'amourachent... d'Idéfix, à la stupeur d'Obélix !

   Au cours de la compétition, nos héros vont découvrir une cité lacustre en construction, du côté de Venise, puis une ville en plein essor culturel, à Florence, et une région placée sous la menace d'une montagne qui fume, à proximité de Naples.

  Voilà, le cahier des charges est rempli. C'est correctement dessiné et sympatoche sur le fond. Il manque juste le grain de folie qui faisait tout le sel des albums écrits par René Goscinny.

mercredi, 27 avril 2016

Le (vrai) Livre de la jungle

   La sortie de la nouvelle adaptation de Disney m'a incité à me (re)plonger dans l'oeuvre de Rudyard Kipling, dont on parle souvent sans l'avoir lue. Dans ma jeunesse, je n'ai eu entre les mains qu'une version en bande dessinée du Livre de la jungle. Ce week-end, ce fut donc une quasi-découverte.

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   La première surprise est de constater que les aventures de Mowgli ne constituent qu'une partie du livre, une centaine de pages sur l'ensemble, qui est un recueil de "contes coloniaux". Les héros en sont le plus souvent des animaux, qui parlent. Ainsi, on suit les aventures d'un phoque blanc intrépide, puis d'une mangouste courageuse, d'un jeune dresseur d'éléphants et enfin de plusieurs petits troupeaux au service de l'armée britannique.

   Le plus étonnant est que ce n'est pas dans le premier, mais le second tome que les scénaristes du film ont puisé l'un des arguments principaux, à savoir la "trêve de l'eau", déclenchée quand un rocher apparaît à l'air libre dans un lac.

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   D'autres différences existent entre la version livresque et le film. Ce n'est pas Bagheera (la panthère) qui apporte le garçon aux loups. De plus, celle-ci est un ancien animal de cirque. Elle est présente dès la première réunion importante des loups (tout comme Baloo, l'ours). Ce sont d'ailleurs ces deux personnages emblématiques qui défendent la cause de Mowgli. L'ours devient rapidement l'instructeur du garçon, un instructeur autrement plus intransigeant que ce qui est montré dans les adaptations cinématographiques.

   Du côté des loups, on remarque que deux mâles adultes (et non pas un) jouent un rôle important : Akela le chef et Père Loup, le compagnon de la mère qui prend en charge Mowgli. D'autres personnages sont absents de l'adaptation : le chacal Tabaqi (proche du tigre Shere Khan) et le vautour Chil. On a aussi minoré les apparitions des éléphants (une excellente trouvaille du film d'animation de 1967) et coupé une partie de l'histoire concernant les singes.

   Mais le principal changement intervient au niveau des "méchants", Shere Khan et Kaa le python. Le premier n'est pas borgne, mais boite. Il apparaît finalement moins dangereux que le serpent, qui joue un rôle important dans la cité des singes. La récente adaptation a simplifié l'intrigue et fait de Shere Khan une sorte de serial killer, qui meurt dans des circonstances différentes, mais qui mettent tout autant en valeur l'ingéniosité de Mowgli. Dans la nouvelle, celui-ci devient vite très débrouillard... et il effectue un séjour chez les humains, avant de retourner dans la jungle. Peut-être nous garde-t-on cela pour un prochain film...

   Pour savoir ce qu'est devenu Mowgli, il faut lire le "prequel" (littéraire) Dans la jungle, écrit par Kipling avant les deux autres. On y découvre un jeune homme qui a grandi dans les bois et qui entre en contact avec des agents britanniques chargés de la gestion de la forêt.

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vendredi, 22 août 2014

Le jour le plus sang

   Plusieurs journaux (notamment Libération, Le Monde, Le Figaro, La Croix et Ouest-France) ont pensé à faire allusion à l'événement. Ce vendredi 22 août 2014, nous nous trouvons pile cent ans après le jour le plus meurtrier de la Première guerre mondiale... et même le plus meurtrier de tous les temps pour l'armée française (avec 27 000 morts, 40 000 en quatre jours). Un livre vient de lui être consacré :

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   Quand on pense à la Grande Guerre, on a souvent à l'esprit certaines batailles meurtrières, comme celles de Verdun et de la Somme, ou l'offensive ratée du Chemin des Dames. On oublie ou l'on ignore que les deux premières années du conflit ont été les plus meurtrières et que les mois les plus terribles ont été - et de loin - ceux d'août et septembre 1914, avec respectivement 84 500 et 99 000 morts côté français. A titre de comparaison, le mois d'avril 1917, qui fut le théâtre de l'inutile et sanglante offensive du Chemin des Dames, vit "seulement" 40 700 soldats français perdre la vie.

   L'auteur de l'ouvrage n'est pas historien de formation, même s'il a fait des efforts pour en acquérir les techniques. Habitué à manier les chiffres, il s'inspire notamment de travaux anglo-saxons. Le Royaume-Uni, contrairement à la France, commémore régulièrement "son" jour le plus sanglant de la guerre, le 1er juillet 1916 (avec 20 000 victimes, consécutives à la bataille de la Somme).

   Les deux premiers chapitres reviennent en détails sur les combats du 22 août 1914. Il apparaît que le commandement français a été défaillant, peu réactif, mal organisé, fonctionnant sur des schémas rendus obsolètes par la mécanisation des armées.

   Le troisième chapitre ("De Francfort à Rossignol") revient sur la période 1871-1914. Il ne refait pas toute l'histoire des tensions franco-allemandes. Il met en exergue les points qui expliquent l'organisation de chaque armée et ses choix stratégiques, aussi abordés dans le chapitre suivant.

   Puis sont abordés l'entrée en guerre et les premiers combats, notamment en Belgique. Ils sont déterminants pour expliquer la journée du 22 août et permettront au public français de mieux percevoir le début du conflit chez nos voisins d'outre-Quiévrain.

   Particulièrement intéressant est le chapitre 8 ("L'armée allemande face aux civils"). L'auteur y revient sur les "atrocités allemandes", qui ont été bien réelles. Cherchant les facteurs d'explication, il remonte à la guerre de 1870-1871, mais aussi aux conflits coloniaux et à l'intervention européenne en Chine, à l'occasion de la révolte des Boxers. Le pire est atteint dans le Sud-Ouest africain (la future Namibie), avec le génocide des Hereros, dont les modalités ressemblent étrangement à ce que l'Europe a connu une quarantaine d'années plus tard...

   Dans l'épilogue, Jean-Michel Steg raconte sa venue sur le terrain des combats acharnés de ce jour-là et termine par une histoire bouleversante.

   Bien que pas très long (à peine plus de 200 pages), le livre regorge d'anecdotes, puisées dans les archives ou d'autres ouvrages spécialisés. On y croise des troupes coloniales, des réservistes du Midi, des noms connus (l'oncle du futur général Leclerc et le jeune De Gaulle). De longs passages sont consacrés aux perfectionnements de l'armement (fusils, mitrailleuses et canons à obus). On en sort globalement consterné que l'armée française ait été aussi mal dirigée et que tant de vie aient été sacrifiées sur l'autel de "l'offensive à outrance".

mercredi, 04 décembre 2013

Young Perez champion

   Sous ce titre est réédité le livre Quatre boules de cuir, écrit par André Nahum et racontant la vie de Victor Younki, l'ancien champion du monde de boxe auquel un film vient d'être consacré.

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   Même si elle reconnaît le bien-fondé du choix de Brahim Asloum pour incarner le boxeur, la fille du biographe n'a pas trop apprécié le film, qui s'écarte trop, pour elle, de la véritable vie de Perez, telle qu'elle est décrite dans l'ouvrage de son père (qui lui est d'ailleurs dédié).

   Celui-ci n'est pas un livre d'histoire "classique". Il n'est pas fardé de notes de bas de page et contient beaucoup de séquences de dialogues reconstituées, ce que l'on peut apprécier... ou pas. En tout cas, cela rend le livre vivant et sa lecture aisée.

   Il a le grand avantage de nous faire toucher du doigt la vie du ghetto juif de la Hara. On y découvre plusieurs figures sympathiques, au premier rang desquelles le cordonnier Léon Benamou, originaire d'Algérie, ancien combattant qui possède la nationalité française, contrairement à la majorité des juifs tunisiens de l'époque. On croise aussi l'avocat Fernand Mossé, qui a découvert Perez. Dans le film, son personnage est fusionné avec celui du manager parisien Bellières, incarné par Patrick Bouchitey.

   J'ai particulièrement aimé les passages qui évoquent le retour de Perez en Tunisie, où il distribue généreusement son argent. Il paie une maison neuve à ses parents et finance l'installation de douches publiques dans son quartier d'origine.

   La partie parisienne de la vie de Perez est intéressante. Il fut employé chez un vendeur de chaussures (et non dans un bar de luxe, contrairement à ce que l'on voit dans le film). Lorsqu'il découvre la gloire, ce sont deux actrices qui ont attiré son attention, une Américaine et la fameuse Mireille Balin, avec laquelle André Nahum est plus indulgent que les auteurs du film.

   Petite déception : le livre s'attarde peu sur la déportation du boxeur. Il révèle qu'il a été arrêté par la Milice française, sur dénonciation... On découvre aussi que le frère du héros ne fut pas déporté à Auschwitz, puisqu'il était rentré en Tunisie. D'autres personnes ont été proches de lui dans ces moments difficiles, notamment un certain Bibi Burah, lui aussi boxeur.

   Sur les pages 2 et 3 de couverture ont été imprimés des documents d'époque. On trouve deux extraits du Miroir des sports (un hebdomadaire spécialisé aujourd'hui disparu) qui évoquent des moments-clés de la carrière du boxeur, ainsi que des photographies du jeune homme (et une de l'actrice).

   C'est donc un petit livre intéressant, sur un sujet méconnu.

lundi, 28 octobre 2013

Astérix chez les Pictes

   Les aventures des héros créés par René Goscinny et Albert Uderzo ont bercé mon enfance. Lorsque le dessinateur s'est retrouvé seul pour continuer la série, j'ai suivi, au départ. Mais j'ai été assez rapidement déçu. Avant aujourd'hui, l'album le plus récemment sorti que j'avais lu était Astérix chez Rahazade, que l'on m'avait offert. A l'époque, j'avais remercié pour le cadeau, mais la lecture m'avait convaincu de définitivement arrêter. C'est la présence de Jean-Yves Ferri au scénario qui m'a incité à retenter l'expérience.
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   J'avais aimé son De Gaulle à la plage et les extraits du nouvel album qui ont été diffusés m'ont encouragé à l'acheter. Le dessin y est en effet fidèle à la tradition : les personnages n'ont pas physiquement changé. En revanche, au cours de l'histoire, les hommes du village, sous la pression de leurs femmes, vont devoir troquer les braies gauloises contre des habits plus "tendance", dont la mode a été introduite par un drôle d'invité, le Picte Mac Oloch.

   Le nom "Picte", sans doute d'origine latine, désignait les habitants du nord de la Grande Bretagne restés indépendants de Rome. Sur le terrain, le terme est plutôt un générique sous lequel on regroupait différentes populations "peintes", c'est-à-dire tatouées :

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   On ne sera donc pas étonné de constater que Mac Oloch arbore de curieux dessins sur son torse :

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   Notons que cet "indigène" n'est pas sans rappeler un autre grand costaud créé par Goscinny et Uderzo, l'Indien des plaines Oumpah-pah :

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(extrait de Oumpah-pah et la mission secrète)

   Comme l'Indien, le Picte sait se battre, même si on le voit peu à l'oeuvre dans cette histoire. De plus, ses cheveux sont arrangés de manière particulière et il lui arrive régulièrement de lancer un cri de ralliement qui n'est pas sans rappeler le cri de guerre de l'Indien.

   Ici s'arrête la ressemblance. Mac Oloch est un personnage somme toute secondaire. L'intrigue, si elle tourne autour d'une rivalité au sein de sa tribu, est portée par les deux héros, le chien Idéfix ne participant pas à l'expédition outre-mer... et, au vu de la pratique sportive qu'affectionnent les Pictes (le lancer de tronc d'arbre), c'est sans doute mieux. Par contre, on voit souvent Astérix et Obélix se chamailler. C'est parfois un peu outrancier.

   Du côté des réussites, il faut signaler les jeux de mots et les clins d'oeil anachroniques, marque de fabrique de cette bande dessinée. Du centurion Taglabribus au petit frère de Mac Oloch, nommé Mac Mini, on ne s'ennuie pas à déchiffrer ces traits d'esprits.

   Ceci dit, cela manque un peu de folie. C'est bien conçu, mais de manière assez sage, presque scolaire. Même l'intervention d'un célèbre monstre, pour pertinente qu'elle soit, manque de relief. On n'a sans doute pas voulu prendre le moindre risque pour l'album de la passation des pouvoirs. Espérons que, par la suite, les auteurs "se lâcheront" un peu plus.

vendredi, 04 octobre 2013

Nostalgie aveyronnaise

   L'an dernier, j'avais signalé la parution d'un excellent livre consacré à l'Aveyron des années 1950-1960, illustré par les photographies prises jadis par Jean Ribière. Le succès (mérité) rencontré par l'ouvrage explique sans doute que les éditions du Rouergue aient décidé de décliner la formule en fascicules thématiques. Quatre sont récemment sortis, au prix de 12 euros l'unité.

   Celui qui a pour titre Dans les burons de l'Aubrac est particulièrement bien conçu.

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   Après une introduction de Daniel Crozes, le travail des éleveurs est décrit avec minutie, le tout s'appuyant sur de magnifiques photographies en noir et blanc, toujours issues du fonds Jean Ribière. Voici par exemple comment on brisait le caillé :

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   Plus mystérieuse, l'image suivante montre le début du salage, une opération stratégique dans le processus de fabrication de la tome :

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   Daniel Crozes a aussi signé la préface du volume Dans les fermes et caves de Roquefort :

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   Les cabanières sont à l'honneur dans ce livre, qui, coïncidence, paraît au moment où leur fonction est supprimée chez Lactalis...

   Les deux autres fascicules sont présentés par Marie-Claude Dupin-Valaison, qui avait déjà signé les légendes du livre Le Temps de la terre (1950-1960). On reste dans le Sud Aveyron avec Chez les gantiers de Millau :

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   Cet ouvrage suscitera peut-être plus d'intérêt parce que les gestes qui sont montrés ont été en grande partie oubliés aujourd'hui. Voici par exemple l'étirement des peaux, par le coupeur, armé d'un couteau à déborder :

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   Les femmes sont très présentes dans le processus de fabrication. En général, on nous les montre installées devant une machine à coudre de marque Singer. Certains travaux nécessitent encore plus de doigté et sont exécutés à la main :

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   Le quatrième volume est intitulé Sur les chemins de Saint-Jacques :

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   C'est celui où l'imprégnation religieuse est la plus grande, par exemple lorsqu'il est question des préparatifs de la procession d'Estaing :

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   Les curieux observeront avec attention les images de l'église abbatiale de Conques, dont les vitraux n'avaient pas encore été remplacés par ceux de Pierre Soulages :

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   Heureuse époque ?

   P.S.

   Cette fois-ci, les ouvrages ont été imprimés en France, plus précisément à Péronnas, dans l'Ain, alors que le livre paru l'an dernier sortait d'une imprimerie espagnole. Les mois suivants, une mini-polémique avait agité le département, à propos du (trop ?) grand nombre de livres consacrés à l'Aveyron imprimés sous des cieux plus exotiques...

samedi, 13 octobre 2012

Aveyron : le temps de la terre (1950 - 1960)

   C'est le titre d'un livre événement, sorte de compilation de magnifiques photographies en noir et blanc, prises par Jean Ribière au coeur de ce qu'on a appelé "les Trente Glorieuses" :

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   Marie-Claude Dupin-Valaison signe les légendes (souvent très pertinentes) d'un florilège classé en quatre thèmes.

   Une large place est consacrée à l'ensemble des activités agricoles. Fait remarquable, le rôle des femmes est particulièrement mis en valeur, à l'image de cette vachère tricoteuse, placée en introduction :

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   Un peu plus loin, l'intégralité de la photographie nous est proposée... et l'on se rend compte à quel point le cadrage peut changer le sens d'une image :

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   L'auteure pose cette grave question : le chien est-il en train de s'abriter du soleil ou de soulager une envie pressante ?

   Dans cette première partie, titrée Le Temps des campagnes, j'ai aimé la représentation des travaux des champs, à l'ancienne. On se croirait dans Farrebique, l'excellent documentaire-fiction de Georges Rouquier. Au détour d'une page, on découvre une scène surprenante, avec là encore une femme :

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   Cette photographie a été prise à Réquista. On pourrait donc croire que la paysanne transporte du lait de brebis à la laiterie. La légende précise cependant qu'il s'agit de lait de vache, ce que la forme du bidon semble confirmer.

   Un peu plus loin, toujours dans l'esprit de Farrebique, on voit un vieil agriculteur se coupant une tranche de pain.

   On les attendait... et elles finissent par arriver. Je veux bien entendu parler des vaches Aubrac, héroïnes d'une scène particulièrement attendrissante :

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   On en revoit à plusieurs reprises, notamment dans la troisième partie du livre, où une photographie illustre une scène de traite, avec une explication très pédagogique de la marche à suivre pour que la mère Aubrac livre son lait.

   La deuxième partie est titrée Le Temps des foires et des marchés. Plusieurs figures émergent de ce tableau commercial, à commencer par le marchand de cordes :

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   La légende précise qu'il est cantalien... et l'on remarque la fascination que son activité semble exercer sur une petite fille, placée en bas à droite de l'image, un peu comme le chien dont il a été question plus haut. Ce photographe avait visiblement un sens du cadrage très développé. On peut voir dans cette pratique une sorte de préfiguration du tic adopté par certains dessinateurs (Gotlib, Plantu), qui ont pris l'habitude de disposer dans un coin de leurs oeuvres un petit personnage donnant du sens à l'ensemble.

   Un peu plus loin nous est proposée une (reconstitution de) scène de négociation entre un maquignon et un éleveur. Paradoxalement, les deux donnent l'impression d'avoir fait une bonne affaire...

   Etonnante est cette autre image, assez mystérieuse de prime abord :

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   Il s'agit d'une vue de l'arrière de la voiture d'un boulanger !

   On passe ensuite à la troisième partie, titrée Le Temps de l'artisanat et de l'industrie. On retrouve les vaches Aubrac dans le cadre des burons, avec un descriptif des étapes de la fabrication du fromage Laguiole. En contrepoint est proposée une série d'images du Larzac, des troupeaux de brebis à l'affinage du Roquefort. Les cabanières ne sont pas oubliées.

   Une bouffée de nostalgie nous saisit ensuite lorsque l'on se retrouve face aux images du travail de ganterie, à Millau. On réalise à quel point le monde a changé :

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   Eh non, il ne s'agit pas d'un atelier travaillant pour un parti fascisant, adepte du bras tendu !... L'étape représentée ici est le repassage, grâce à la "main chaude", une matrice métallique comportant quatre doigts, sur laquelle était enfilé le gant.

   Cette séquence est suivie d'images pittoresques, comme celle d'un élevage de truites à Laguiole (qu'un lecteur inattentif pourrait prendre pour une station d'épuration). Impressionnante est aussi cette photographie d'un casseur de pierres du Nord Aveyron, plus forte encore que celle du barrage de Sarrans. Incontestablement, c'est le travail des hommes que Jean Ribière a voulu mettre en valeur.

   La quatrième partie, titrée Le Temps de la fête et de la foi, nous offre notamment des scènes champêtres : certaines messes avaient lieu en plein air. On y découvre aussi les Aveyronnais s'amusant, comme ces danseurs de la place du Taureau, à Laguiole :

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   L'auteure de la légende présume qu'au pied du tas de vêtements se trouve un magnétophone ou l'un des premiers postes à transistor, qui diffuse la musique sur laquelle évoluent les couples.

   Originale est aussi la photographie de ces pêcheurs, quasiment placés au pied du Vieux Palais d'Espalion, vu en contre-plongée.

   L'ouvrage s'achève sur une note optimiste, avec ce garçon au caneton, très poétique :

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   Alors, n'hésitez pas à acheter ce livre. Il fourmille d'images passionnantes, de bien meilleure qualité que les reproductions qui figurent dans ce billet.

   Il coûte 25 euros. Il est publié aux éditions du Rouergue... mais a été imprimé en Italie (à Vérone) !

mardi, 10 juillet 2012

Formose

   C'est le titre d'un roman graphique signé Li-Chin Lin, qui partage sa vie entre la France et Taïwan, où elle est née. Il s'agit donc d'une oeuvre autobiographique.

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   L'histoire de l'ancienne Formose est vue aux travers des yeux de l'enfant puis de l'adolescente qu'elle fut. Petite, elle est une sorte de Mafalda chinoise. On peut se faire une idée du style (bourré d'humour) de la dessinatrice grâce à l'extrait mis en ligne par les éditions çà et là.

   L'auteure a l'honnêteté de se décrire comme une enfant docile, très perméable à la propagande du régime fondé par Chiang Kai-Shek. Elle n'en dénonce pas moins les crimes et la corruption.

   On découvre aussi des aspects méconnus de l'histoire de la civilisation taïwanaise, comme le plurilinguisme, à l'image des origines métissées de la population :

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   Les langues locales, parlées par la population la plus âgée et les ruraux, sont méprisées par les médias officiels, au profit du mandarin. L'anglais jouit aussi d'une bonne image, au contraire du japonais, parlé encore par les grands-parents : c'est la langue de l'ancien colonisateur... qui a peut-être été moins cruel que les Chinois continentaux qui ont débarqué en 1949, ceux qu'on appelle waï shen ren, et qui ont longtemps dominé la vie politique de ce petit Etat.

   L'auteure nous conte son adhésion juvénile aux idéaux du régime, son côté bon élève même. Très intéressant est le récit de son basculement et de sa découverte des aspects les plus sombres de la dictature. C'est le moment où la culture de sa famille, originaire du sud rural de l'île, acquiert une plus grande importance à ses yeux.

   La description du système scolaire local mérite aussi le détour, tant l'auteure sait allier l'ironie mordante à la lucidité sur son propre cas. D'un point de vue graphique, elle sait sortir du cadre pour donner plus d'ampleur et d'originalité à son dessin. Les vignettes "classiques" n'en sont pas moins ouvragées, souvent inventives :

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   Ce livre vaut aussi par la manière dont les événements du printemps de Pékin sont décrits, vus de Taïwan. On comprend aussi mieux les arcanes de la politique contemporaine de l'île, notamment l'apparition d'un tiers-parti et les ressorts des dernières élections présidentielles. (Il faut néanmoins signaler une erreur, à propos de Sun Yat-Sen, qui n'a pas pu être chassé de Chine par Mao en 1949, puisqu'il est mort en 1925...)

   La jeune femme achève son déniaisement en Europe, où elle découvre que les démocraties qu'elle tient pour des modèles infaillibles sont loin d'être parfaite. Elle en fait l'expérience cruelle en Suisse.

   Bref, c'est drôle, inventif et très instructif.

   P.S.

   On peut entendre la dessinatrice, interrogée sur Le Mouv' lors de la sortie de son livre, le mois suivant sur France Inter.

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mercredi, 13 juillet 2011

Lagarde les pieds dans le Tapie

   ... ou comment la lecture d'un ouvrage consacré à l'affaire Tapie - Crédit Lyonnais nous mène à la nouvelle directrice générale du FMI. Cet ouvrage est sorti à la fin de l'année 2008 ; il s'agit de Sous le Tapie, de Laurent Mauduit, un ancien du Monde aujourd'hui membre de la rédaction de Mediapart.

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   L'auteur reprend en détail tous les aspects de l'affaire, qui remonte en fait au second septennat de François Mitterrand. C'est dire que, si l'ouvrage (comme on va le voir) dresse un portrait sombre du pouvoir sarkozyen, le mitterrandisme triomphant n'en sort pas plus grandi.

   L'un des points clés est le choix, par le gouvernement Fillon, de l'arbitrage pour régler le conflit qui oppose Bernard Tapie au C.D.R., une structure chargée de gérer les "affaires pourries" du Crédit Lyonnais. Deux arguments principaux sont développés par L. Mauduit : l'illégalité d'une telle procédure et surtout son inutilité. L'arbitrage n'est pas légal car, pour accepter cette procédure, le CDR devait avoir l'autorisation de sa maison mère, l'EPFR (Établissement Public de Financement et de Restructuration), qui n'avait juridiquement pas le droit de la lui donner. Cela n'a pas empêché le gouvernement (par l'intermédiaire de sa ministre) d'ordonner à ses représentants aux conseils de ces organismes de voter le recours à l'arbitrage...

   Qui plus est, c'était inutile, puisque la Cour de cassation, en séance plénière (fait rarissime), venait d'annuler le jugement de la Cour d'appel favorable à Bernard Tapie. Une autre Cour d'appel devait donc examiner l'affaire et, compte tenu des attendus de la décision de la Cour de cassation, il ne faisait aucun doute que Bernard Tapie allait subir une déconvenue. (On pourrait ajouter que, vu les circonstances, l'arbitrage n'était pas non plus la procédure la plus adaptée.)

   Dans cette histoire, en gros, la puissance publique a constamment joué contre son camp. L'intérêt du livre de L. Mauduit est de donner une vision nuancée de la chose : à chaque étape, si de mauvais esprits ont œuvré en faveur des intérêts de B. Tapie, d'autres se sont élevés contre les manigances. C'est tout à leur honneur.

   Un autre élément important est la personnalité des trois "arbitres", Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et Pierre Estoup. Les deux parties ont dû se mettre d'accord sur ces noms. On peut donc penser qu'on a choisi des spécialistes des questions en cause, présentant de surcroît des garanties d'indépendance incontestables.

   Cela semble être le cas pour Pierre Mazeaud. Même s'il était encarté à l'UMP, ce gaulliste historique, docteur en droit (tout juste retiré du Conseil constitutionnel), traînait avec lui une réputation d'intégrité. Il était de surcroît chiraquien, désigné dans une procédure initiée par le pouvoir sarkozyen... mais il n'était pas du tout familier de l'arbitrage, au contraire des deux autres. Précisons aussi qu'à l'époque où Pierre Mazeaud présidait le Conseil constitutionnel (début 2007), l'institution a censuré une disposition législative (introduite en douce... peut-être à l'instigation d'un ministre de l'Intérieur...) autorisant un établissement public à recourir à l'arbitrage. Pierre Mazeaud devait donc être conscient que la procédure à laquelle il participait n'était pas irréprochable sur le plan juridique.

   Jean-Denis Bredin faisait aussi figure de personnalité incontestable. Il est avocat de formation. Le cabinet auquel il appartient est coutumier de l'activité d'arbitrage. Il s'est aussi fait remarquer par plusieurs ouvrages historiques de bonne facture, notamment L'Affaire (sur l'affaire Dreyfus) et une biographie de l'abbé Sieyès. C'est aussi un militant "de gauche"... plus précisément un ancien vice-président du M.R.G., le Mouvement des Radicaux de Gauche... qui a compté Bernard Tapie parmi ses membres ! Aïe ! A cela s'ajoute un vieille affaire d'arbitrage, à laquelle J-D Bredin a participé. Il était question des frégates de Taïwan et de rétrocommissions, à travers des personnes aussi dignes de confiance qu'Alfred Sirven et Christine Deviers-Joncour.

   Mais c'est sans conteste la figure de Pierre Estoup, ancien président de la Cour d'appel de Versailles, qui a le plus pesé sur la rédaction de la décision d'arbitrage. A priori, il semblait donner toutes les garanties de rigueur et d'indépendance. Mais l'analyse de son activité laisse planer quelques doutes...

   Dans le livre de Laurent Mauduit, on trouvera aussi de quoi méditer sur le "préjudice moral" subi par Bernard Tapie : il est bien sûr inexistant... et, quand il est malgré tout reconnu valable, on le chiffre à des millions d'euros, somme à comparer avec les vrais préjudices, subis par exemple par les victimes de l'amiante ou d'erreurs judiciaires... (Tout compris, B. Tapie aura touché quelque 130 millions d'euros, devenant ainsi par la grâce d'une procédure de complaisance, l'un des hommes les plus riches de France... et ce alors qu'à l'origine, il n'a pas déboursé un sou pour prendre le contrôle d'Adidas !)

   L'un des apports les plus intéressants du livre reste son analyse des liens entre Bernard Tapie et la droite, plus précisément Nicolas Sarkozy. Les deux hommes se connaissent depuis 1983. Mais, à l'époque, l'homme d'affaires cherche en priorité à se rapprocher du pouvoir mitterrandien, ce à quoi il est finalement parvenu. C'est durant la deuxième cohabitation (entre 1993 et 1995) que, sentant sans doute le vent tourner, Tapie, aux prises avec la justice, rejoint les balladuriens. Le livre de Laurent Mauduit décrit en détail les détours de la procédure judiciaire en fonction des aléas politiques du moment : le gouvernement Balladur a envisagé d'utiliser la candidature Tapie pour torpiller celle de Jacques Delors ! Une fois celle-ci écartée, l'homme d'affaires a vu sa protection se déliter...

   Curieusement, le livre ne relève pas de relation particulière entre Tapie et Jacques Chirac. Pourtant, les deux hommes ne sont pas sans point commun. Mais, sous la troisième cohabitation (entre 1997 et 2002), Bernard Tapie s'est rapproché de la gauche. C'est d'ailleurs à cette époque que, sous l'impulsion de Laurent Fabius, l'idée d'un arbitrage est lancée... mais le Premier ministre Lionel Jospin ne pouvait pas encadrer l'homme d'affaires...

   C'est donc sous le quinquennat de Jacques Chirac que les petites affaires de B. Tapie se remettent à prospérer. Le livre trace les liens qui mènent à Nicolas Sarkozy, soit comme ministre de l'Intérieur, soit comme ministre de l'Économie et des Finances. Moins connu est le rôle d'intermédiaire joué par "l'ami de trente ans" Brice Hortefeux.

   Depuis 2007, les choses se sont accélérées. C'est là qu'intervient Christine Lagarde. Elle a été un bon petit soldat du sarkozysme, assumant des décisions qu'elle n'a pas dû prendre seule... et mentant publiquement à plusieurs reprises. Le livre insiste aussi sur l'action de son ancien directeur de cabinet, Stéphane Richard (aujourd'hui PDG de France Télécom...). Le récit de la manière dont le monsieur a fait fortune (et celui de son redressement fiscal) mérite le détour.

   Après cette salve anti-droite, ne croyez pas pour autant que le livre épargne la gauche. C'est quand même elle qui a contribué à créer le phénomène Tapie. Plusieurs chapitres évoquent les années Mitterrand, loin du vernis doré dont on a récemment tenté de les parer. Quelques piques bien senties sont lancées en fin d'ouvrage. Force est de remarquer la lâcheté de nombre de députés socialistes...

   L'affaire Tapie n'est pas terminée. Certains croient encore en la justice. Des procédures sont en cours.

   Reste le cas Lagarde. Je laisse de côté (pour l'instant) la Cour de Justice de la République. Parlons plutôt de sa nomination à la tête du FMI. De deux choses l'une : soit c'est une personne hyper-compétente, et alors le gouvernement Fillon s'est séparé d'un talent difficilement remplaçable, soit elle n'est qu'une baudruche médiatique.

   Dans le premier cas, on peut se demander ce qui a motivé les dirigeants français. On peut penser que, s'ils jugent Christine Lagarde compétente, elle servira les intérêts de la France (et de l'Union européenne) à la tête du FMI. C'est oublier un peu vite l'exigence d'impartialité qui va lui être imposée, même si, au sein du Conseil d'administration de l'organisme, les pays de l'UE disposent ensemble d'une minorité de blocage.

   Dans le second cas, on se dit que le gouvernement français a voulu réaliser un "coup" médiatique. Christine Lagarde "passe" bien et elle ne semble pas aussi marquée politiquement que nombre de ses collègues UMP. C'est un moyen de rehausser le prestige du gouvernement aux yeux des électeurs, qui seront tentés de se dire : ah ben tiens, c'est bien, on a une Française à la tête du FMI. C'est aussi une manière comme une autre de faire passer au second plan d'autres sujets d'actualité.

   Un élément pourrait accréditer la deuxième thèse : la négligence avec laquelle on a procédé au remplacement de la ministre de l'Économie. Le ballet des importants et les crises de gamins qui ont abouti à la nomination de François Baroin laissent penser que ce n'est pas là que se décide la politique économique de notre pays.

vendredi, 20 mai 2011

Petite histoire des colonies françaises

   C'est le titre d'une série de quatre ouvrages de bandes dessinées (signés Grégory Jarry et Otto T.) d'un genre très spécial. L'oeuvre a une prétention historique... et elle semble bien documentée (elle fourmille d'anecdotes qui souvent, hélas, ne sont pas inventées). Mais ce qui pourrait être un horrible pensum est dynamité par la verve satirique : c'est méchant, sarcastique, sans pitié... souvent à hurler de rire.

   La forme est originale : les livres sont rectangulaires ("à l'italienne", comme on dit dans le milieu de l'édition), précédés d'une petite introduction (dont le ton parodie celui des manuels de la Troisième République) centrée sur le narrateur de ces histoires : "papy de Gaulle". Ensuite, chaque page est organisée suivant le même modèle : la partie supérieure contient un court texte explicatif, parfois sérieux, parfois ironique, parfois complètement barré ; le reste de la page est dessiné, en théorie pour illustrer le propos, souvent en contrepoint.

   Le premier tome a pour sous-titre L'Amérique française :

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   Il est découpé en six chapitres :

- La rivalité franco-anglaise

- La Floride

- Le Canada

- La Louisiane

- Les Antilles

- L'effondrement

   Il aborde une période méconnue de notre histoire, durant laquelle la France tenta de s'implanter dans des régions que l'on a oubliées aujourd'hui, comme ce fut le cas en Floride :

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   Il est aussi bien évidemment question des pionniers... mais sans légende dorée :

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   Le deuxième tome a pour sous-titre L'Empire :

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   Les faits racontés dans cet album sont mieux connus. Il est ainsi question de la conquête de l'Algérie... qui ne s'est pas effectuée dans la dentelle :

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   (Je recommande aussi la représentation de l'incident qui a servi de prétexte à l'invasion française.)

   Dans le cadre de la prise de contrôle du Maroc, les positions de Jean Jaurès sont abordées... de manière ironique évidemment :

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   Le tome 3 a pour sous-titre La décolonisation :

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   Les dessinateurs excellent à mettre en images les arrière-pensées des acteurs de cette période (toujours avec une distance ironique), comme Hô Chi Minh :

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   Il est aussi fortement question des violences, avec (notamment)  l'exemple de l'Algérie :

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   Le tome 4 a pour sous-titre La Françafrique :

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   Là, ô surprise, papy de Gaulle cède la parole à ses successeurs, papy Pompidou et papy Giscard (qui parlent peu), "Tonton" (Mitterrand)... et même un peu papy Chirac et cousin Sarko (vêtu d'un costume très révélateur...). Dans ce volume, les plus jeunes découvriront un personnage-clé de cette époque, Jacques Foccart :

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   Le livre vaut aussi pour la dénonciation du comportement prédateur des élites françaises... et africaines :

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   Moi je trouve que cela pourrait constituer un beau cadeau de fête des mères !