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vendredi, 29 mars 2024

Scandaleusement vôtre

   Inspirée d'une histoire vraie, cette comédie sociétale britannique a pour cadre une petite ville de province des années 1920, dans une Angleterre très patriarcale. Le début nous plante le cadre de manière caustique, avec notamment cette rue ouvrière où se côtoient des ménages certes aux revenus modestes, mais aux modes de vie parfois diamétralement opposés.

   C'est le cas de deux familles voisines. La première est composée de protestants puritains, la dernière fille de la maison, restée célibataire, s'occupant de ses parents. Olivia Colman prête son ingénue fourberie à ce personnage plus complexe qu'il n'en a l'air. A ses côtés, Timothy Spall s'est coulé avec une évidente jubilation dans le rôle du vieux patriotard réactionnaire.

   La maison d'à côté (dont on perçoit à peu près tous les bruits un tant soit peu prononcés) est occupée par un couple de prolos, l'homme noir et la femme d'origine irlandaise, une petite souillon libre comme l'air et au langage particulièrement grossier.

   L'arrivée au courrier de plusieurs familles du quartier de lettres odieuses, insultantes et diffamatoires sème l'émoi et va mettre le feu aux poudres. C'est l'occasion pour les spectateurs de découvrir un poste de police peu dynamique, dirigé par des hommes pas particulièrement futés. Se distingue une jeune enquêtrice (d'origine indienne, sans doute), reléguée aux tâches subalternes, mais capable de faire preuve d'initiative. Dans le rôle, Anjana Vasan rappelle un peu Rebecca Liddiard dans Les Mystères de Londres ou Frankie Drake Mysteries. (On pense aussi à l'agent Trewlove de la série Morse.)

   Cependant, après une entame assez entraînante, souvent drôle et porteuse de sens, je trouve que la suite patine. Quand l'enquête pointe du doigt l'Irlandaise fantasque et qu'on se dirige vers le procès, cela devient plan-plan, peut-être parce que le propos militant prend le dessus sur l'ironie sociale.

   Fort heureusement, l'enquêtrice Gladys Moss, qui ne croit pas à la culpabilité de la jeune femme, va réunir une petite équipe de bras cassés pour éclaircir le mystère... dans le dos de ses supérieurs. L'intérêt remonte dans cette grosse dernière demi-heure. L'intrigue gagne même en épaisseur quand on comprend les motivations de la personne qui a écrit ces lettres : elle aussi est une victime et elle a vécu la rédaction des missives ordurières comme une sorte d'épreuve cathartique.

   P.S.

   Ne quittez pas la salle trop vite : le début du générique de fin expose en plein écran certains extraits des lettres, parmi les plus croustillants...

samedi, 23 mars 2024

La Jeune fille et les paysans

   Ce long-métrage est l'adaptation d'un roman culte en Pologne, Les Paysans. L'action se déroule au XIXe siècle, en pleine campagne, dans un village où les inégalités sont grandes et où la possession de la terre est est perçue comme la véritable source de richesses.

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   L'héroïne est Jagna (Kamila Urzedowska, formidable), fille de paysans modestes... mais d'une beauté à couper le souffle. Elle approche de l'âge adulte, toujours célibataire... et pas très ardente aux travaux de la ferme. Dans le village, elle a beaucoup de prétendants : le charpentier, le forgeron, le fils du plus gros propriétaire de la région (pourtant déjà marié)... et l'on sent que le délicat fils de l'organiste n'est lui non plus pas insensible à son charme. Jagna sait qu'elle est l'objet de tous les regards. Elle croit qu'elle pourra choisir et donc qu'elle peut se laisser conter fleurette à sa guise. Le problème est que, dans le village, les langues de pute vipère se déchaînent et lui font une réputation de petite traînée. (Signalons que l'ensemble des comédiennes mérite l'éloge. Toutes sont convaincantes, dans la jalousie comme dans la cruauté.)

   L'image est de même texture que dans le précédent film du couple Welchman, La Passion Van Gogh. Les prises de vue réelles ont été passées à la moulinette de la rotoscopie et retravaillées, pour donner un résultat hybride, proche d'un film d'animation. (Quelques aspects du travail réalisé sur les images sont montrés au début du générique de fin.) Par rapport à La Passion, l'impression BD est moins prononcée. On se croirait plus dans des tableaux de Jean-François Millet. C'est donc assez joli à voir, avec quelques effets de mise en scène. J'ajoute que la musique et les chants sont beaux (sauf quand une jeune paysanne fait des vocalises en plein champ).

   L'intrigue est organisée en suivant le rythme des saisons, bien que l'action semble se dérouler sur plusieurs années. On commence avec l'automne, qui nous fait découvrir la vie du village et les questionnements de l'héroïne. Les saisons suivantes nous guident vers un mariage et l'exacerbation des conflits, à la fois au sein du village et entre les paysans et le seigneur du coin. L'été clôt l'histoire, de manière à la fois violente et épiphanique.

   En sous-texte, on sent la volonté de dénoncer une forme de patriarcat. Les pères de famille (âgés) dominent la vie rurale. Au-dessous d'eux se trouvent les hommes jeunes, avides de prendre leur place et n'hésitant pas à se défouler sur les femmes. Parmi celles-ci, les matrones, mariées ou veuves, jouissent d'une certaine influence, surtout si elles sont financièrement à l'abri du besoin. Les femmes les plus jeunes sont des proies, soit pour les veufs âgés, soit pour les fils qui veulent s'installer. Le fait qu'elles disposent d'une dot plus ou moins fournie contribue (ou pas) à les rendre plus précieuses...

   C'est assez captivant. En 1h50, il se passe beaucoup de choses et les comédiens sont vraiment bons. Je suis toutefois un peu dubitatif devant le côté reconstitution. La majorité des habitants du village est visiblement pauvre, mais les auteurs semblent avoir cédé au désir de faire un beau tableau d'époque (peut-être parce qu'ils ont été influencés par des œuvres picturales). Ainsi, un village aussi modeste peut-il permettre à un petit orchestre local de vivre de son art ? Ceci dit, la mise en scène des fêtes ne manque pas de souffle.

   Et puis, il y a cette séquence finale, au cours de laquelle une bande de gilets jaunes d'aigris, de jaloux et de ratés se déchaîne contre un personnage au comportement jugé scandaleux. Rien que pour la dénonciation de cette "émotion populaire", le fil mérite le détour.

jeudi, 14 mars 2024

Madame de Sévigné

   Je me suis laissé tenter par cette production "qualité française", du cinéma classique mettant en valeur un pan de notre patrimoine culturel. J'ai été attiré par la distribution et le sujet, la célèbre (?) marquise étant une fine plume, pour ce que j'ai pu en lire.

   La réalisatrice Isabelle Brocard a choisi de mettre l'accent sur la relation mère-fille et l'idée d'indépendance. La vraie bonne surprise de ce film est l'interprétation d'Ana Girardot, que j'ai trouvée à la fois belle et touchante, crédible à trois âges/états différents : encore innocente à peine sortie de l'adolescence, prenant un peu d'assurance en jeune maman, adulte plus froide investie dans le rôle d'épouse... un quatrième état se révélant, à la fin.

   La principale réussite du film est la mise en scène de la réflexion sur l'indépendance des femmes. Karine Viard incarne celle qui fut veuve très jeune (à 25 ans) et évita soigneusement de se remarier, gérant prudemment la fortune familiale. Elle voudrait voir sa fille (qu'elle a mariée à un veuf beaucoup plus âgé qu'elle) suivre ses traces, mais celle-ci finit par considérer son mariage comme une manière de devenir indépendante de sa propre mère. Le problème est qu'en coupant le cordon ombilical, elle se place sous la coupe d'un époux pas particulièrement bienveillant.

   C'est l'occasion de signaler que les seconds rôles masculins sont bien campés, notamment par Cédric Kahn et Laurent Grévill.

   C'est la mise en images (et sons) de l'aspect littéraire de cette histoire qui pose problème. On entend lire certaines des lettres de la marquise... pas les plus brillantes à mon avis. Karine Viard ne paraît pas crédible en femmes de lettres, pas plus que Noémie Lvovsky en Madame de La Fayette (auteure - rappelez-vous - du roman préféré de Nicolas Sarkozy). Les scènes de salon sont ratées... et c'est vraiment dommage parce que, dans les dialogues, on sent parfois un effort d'écriture. Mais tout cela tombe à plat. (Je pense qu'une comédienne comme Sandrine Kiberlain aurait été plus emballante dans le rôle de la marquise.)

   Cci dit, de temps en temps, une scène sort du lot, comme celle qui voit la fille de Madame de Sévigné tenter de rentrer dans les bonnes grâces de Louis XIV. Celui-ci a autrefois manifesté du désir à son égard. La belle et jeune épouse du comte de Grignan espère que cette ferveur passée pourra servir les intérêts de son mari. (A cette occasion, on comprend que l'ex-jouvencelle a bien progressé dans l'art de l'intrigue.) De passage, le roi se montre davantage intéressé par les talents littéraires de la mère, provoquant du dépit chez la fille.

   Cela ne suffit toutefois pas à sauver complètement le film, un peu décevant.

   P.S.

   A lire, dans la collection (de poche) "Folio 3 euros" :

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dimanche, 10 décembre 2023

Fremont

   Le titre de cette fiction un peu austère, en noir et blanc, fait référence à une ville californienne, située au nord de la célèbre Silicon Valley... mais où vivent (et travaillent) des personnes moins fortunées que les geeks qui transforment notre monde.

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   On y trouve paraît-il la plus importante communauté afghane des États-Unis, y compris l'héroïne de l'histoire, Donya, ex-traductrice pour l'armée d'Oncle Sam, qui a réussi à fuir son pays avant de finir entre quatre planches...

   En s'installant aux States, elle a préservé sa liberté, mais connaît une forme de déclassement social : elle est simple employée dans une usine de fabrication de cookies fortune, ces petits gâteaux d'origine chinoise, dont la coque contient un papier sur lequel est inscrite une courte formule, en général sujette à plusieurs interprétations.

   Cette entreprise appartient à un couple de Sino-Américains, l'époux étant le fils du fondateur. Il est bienveillant avec la nouvelle employée, peut-être parce qu'elle est jolie, peut-être parce qu'elle est sérieuse... peut-être parce qu'elle lui rappelle ses propres débuts. C'est une autre migrante asiatique, qui tente de faire son trou au pays de la libre entreprise. L'épouse est beaucoup moins amicale avec le "petit personnel", comme on va pouvoir s'en rendre compte tout au long du film.

   Celui-ci est constitué d'un montage de plans presque tous fixes, souvent en champ-contrechamp, dans un nombre limité de lieux : l'usine de cookies, les logements des employées, le cabinet du psychiatre, le restaurant communautaire... On respire un peu plus vers la fin, quand la jeune femme tente de forcer son destin... (Je n'en dis pas plus.)

   Le début n'est pas le plus agréable à suivre. Il faut s'habituer au style du réalisateur (qui mise beaucoup sur l'implicite, le non-dit)... et supporter la description d'un quotidien au départ peu épanouissant.

   Petit à petit, cela s'éclaire, non pas tant parce que la situation s'améliore soudainement, mais parce que Donya se prend davantage en mains. Le cinéaste introduit aussi de rafraîchissantes petites pointes d'humour. Tout d'abord, il y a les circonstances dans lesquelles l'héroïne va connaître une promotion, au sein de l'entreprise. Il y a ensuite la drôle de relation médecin-patiente qui se noue, à tel point qu'on finit par se demander qui analyse l'autre ! Il y a aussi la découverte des messages dans les petits gâteaux... et les conséquences insoupçonnées de la tentative effectuée par Donya. (On ne sait jamais entre quelles mains peut tomber "son" message...) Il y a encore le comportement du patron du petit resto, accro à une sorte de télénovela afghane, et qui donne des conseils à sa cliente régulière. Il y a enfin la réaction de la jeune femme, à la fin, délicieuse.

   La plus belle des rencontres n'est pas celle qu'elle avait prévue, et c'est à ce moment-là que la caméra se fait plus libre et que la vie de la jeune femme gagne en saveur.

   J'ai trouvé cela très beau.

   P.S. I

   En lisant Le Canard enchaîné de cette semaine, j'ai appris que la personne qui incarne Donya, Anaita Wali Zada, est une ancienne présentatrice de télévision, qui a dû fuir l'Afghanistan en 2021. Ses débuts d'actrice sont prometteurs.

   P.S. II

   Avec mon ticket d'entrée (pour la séance de ce film), j'ai reçu un cookie fortune, qui contenait le message suivant :

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   (Ce serait extrait d'une de ses œuvres : Discours sur les sciences et les arts.)

   Je crois qu'une puissance immanente m'incite à enfin parler d'un biopic qui ne m'a guère enchanté.

jeudi, 22 juin 2023

La Nuit du verre d'eau

   Liban, 1958. Dans un village de la vallée sainte, une famille est réunie, à l'écart des troubles qui agitent le pays. Les patriarches locaux (chrétiens) sont préoccupés par trois sujets : l'agitation musulmane, qui soutient la toute nouvelle République arabe unie prônée par l’Égyptien Nasser (et qui voudrait voir le Liban la rejoindre), la perspective de nouvelles élections, auxquelles l'un des chefs de famille envisage de se présenter... et l'éventuel mariage de sa deuxième fille, Eva, dont il ignore qu'elle a un amoureux, le fils d'un de ses métayers.

   L'héroïne de cette histoire est une autre fille de Cheikh Daoud, son aînée, Layla. Celle-ci semble être un modèle. Épouse d'un riche entrepreneur local, qui la vénère, elle a un fils adorable. Elle est belle, élégante et relativement indépendante : elle conduit sa propre voiture... mais, voilà, nous sommes en 1958, au Liban, et cette indépendance est toute relative. Layla n'a pas choisi son époux. En bonne fille de Cheikh Daoud, elle a accepté le mariage arrangé qu'il lui a concocté (comptant sans doute sur la fortune de son futur gendre pour financer ses ambitions électorales). Elle n'est pas heureuse en ménage. En public, elle arbore le masque de l'épouse comblée. En privé, le soir, au lit, elle essaie d'échapper au "devoir conjugal", ou bien elle simule, pendant l'acte. Une activité artistique (le dessin) lui permet de sublimer sa frustration.

   Cette partie-là est très bien filmée, je trouve, en tout cas mieux que la période de trouble qui débute avec l'arrivée de deux Français, une veuve (interprétée par Nathalie Baye, impeccable) et son fils... que Leyla trouve très à son goût. La romance furtive qui naît entre ces deux-là est plaisante à voir, mais la mise en scène peine à faire surgir le désir, alors qu'elle peut s'appuyer sur un Roméo bien de sa personne (Pierre Rochefort, pas très expressif toutefois) et une Emma Bovary vraiment très séduisante. (Soyez attentifs aux lectures de ces demoiselles, en particulier la benjamine, Nada.) Dans le rôle, Marilyne Naaman "dégage" quelque chose. En elle se mélangent le charme oriental et une sorte de glamour à l'américaine.

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   Dans son genre, chacune des trois sœurs va mener sa petite révolte : l'aînée infidèle, la cadette qui refuse le mariage et la benjamine qui veut poursuivre ses études pour devenir avocate. L'une des qualités du film est de ne pas réduire les principaux personnages masculins à des caricatures. Le mari de Leyla est un brave type et le père aime ses trois filles. Mais tous deux fonctionnent dans un système patriarcal, qui ne laisse que peu de liberté aux femmes, fussent-elles issues de la classe moyenne aisée.

   Les dialogues oscillent entre l'arabe et le français, de manière naturelle (bien mieux en tout cas que dans le récent Tel Aviv - Beyrouth). Ne vous fiez pas aux dénominations VO ou VF. Il n'y a qu'une version du film, mêlant les deux langues. Quant au titre français, une fois n'est pas coutume, je le trouve meilleur que celui d'origine (Terre d'illusion)... mais je laisse chacun(e) découvrir ce à quoi il fait allusion. Il faut attendre la fin pour comprendre... même si la dernière scène se prête à deux interprétations.

   J'ajoute que les paysages sont magnifiques et la musique bien choisie. Elle tranche avec la douceur apparente et suggère les tourments intérieurs.

   En dépit de quelques imperfections, je recommande donc ce film, qui ne manque pas de style.

samedi, 20 mai 2023

Sept hivers à Téhéran

   Ces sept hivers sont ceux passés en prison par une jeune Iranienne, Reyhaneh Jabbari, avant d'être exécutée pour meurtre. Cette histoire vraie nous est racontée par un documentaire allemand, qui utilise différents types d'images. Certaines sont de notre époque. Ce sont des extraits d'entretiens avec des membres de la famille, d'anciennes codétenues de Reyhaneh et son avocat.

   D'autres images ont été tournées au moment de l'affaire (souvent clandestinement), de l'arrestation à la nuit de l'exécution, en passant par le procès. S'y ajoutent des extraits audios (des entretiens téléphoniques entre la jeune femme et sa mère, principalement), des textes lus (ceux des lettres de Reyhaneh) et des films familiaux, datant des années 2000. On y découvre une famille de classe moyenne, pas très religieuse.

   Cela nous amène aux deux aspects de l'affaire. D'un côté, il y a l'acte extrême, celui d'une jeune adulte victime d'une agression sexuelle de la part d'un médecin âgé, marié, de bonne réputation. Pour échapper au viol, Reyhaneh poignarde son agresseur, qui meurt de sa blessure. Le problème est que celui-ci est proche des Gardiens de la Révolution, alors que la jeune femme est issue d'une famille jugée trop occidentalisée par les fanatiques du régime.

   La première partie du film nous relate les circonstances de l'agression, puis l'arrestation et la première détention de Reyhaneh, soumise à d'énormes pressions de la part de la police. Sans qu'aucune image de violence ne soit montrée, on est submergé par l'indignation, tant ce que subit la jeune femme est injuste.

   La deuxième partie raconte le procès, au cours duquel l'accusée espère faire entendre sa version des faits. Malheureusement pour elle, le président du tribunal, islamiste certes par attaché au respect des règles juridiques, est remplacé par un affidé du régime.

   La troisième partie évoque le gros de la détention de Reyhaneh et les efforts désespérés de ses proches pour obtenir le pardon de la famille du violeur, seule possibilité pour lui éviter la pendaison. La mise en scène des échanges téléphoniques et de textos est glaçante. On sent le poids des conventions qui pèsent aussi bien sur la famille de la condamnée que sur celle de la victime du coup de couteau. C'est aussi le moment où, dans les témoignages, on fait intervenir d'autres femmes. Celles-ci évoquent le quotidien de la prison et leur propre histoire, qui révèle l'ampleur des violences que subissent certaines femmes iraniennes. J'ai encore la nausée rien qu'en repensant à celle que son père a laissée entre les mains d'un ami, pour qu'il abuse d'elle dans sa propre chambre... (Cette partie m'a rappelé un autre formidable documentaire carcéral, Des Rêves sans étoiles, sorti en 2017.)

   C'est un film très fort, que j'ai trouvé particulièrement dur à supporter dans sa première demi-heure. Mais il nous permet de découvrir, a posteriori, le tempérament d'une jeune femme intelligente, indépendante, dont la vie a été écourtée par un régime barbare.

dimanche, 18 décembre 2022

Juste une nuit

   Ce que raconte ce film iranien (franco-iranien en fait) est d'une brûlante actualité, puisqu'il décrit les difficultés d'une jeune mère célibataire à Téhéran. La jeune Fereshteh élève seule, dans un petit appartement situé dans un bâtiment HLM, un enfant qu'elle vient d'avoir avec le fils d'un commerçant, curieusement absent. Elle a caché son état à ses parents, des provinciaux conservateurs (surtout le père), qui sont sur le point de débarquer dans la capitale. Le temps d'une nuit, elle doit trouver quelqu'un pour garder son enfant et dissimuler toutes les affaires présentes dans son appartement et qui témoignent de sa maternité.

   La première partie montre les tentatives de l'héroïne pour s'appuyer sur son réseau de connaissances. Elle semble avoir trouvé assez vite la personne prête à s'occuper de son bébé pendant la soirée, mais elle doit déployer de considérables efforts pour trouver où cacher ses affaires (au moins trois sacs et trois valises !). C'est l'occasion pour le cinéaste de montrer le statut inférieur des femmes, l'une de ses voisines devant demander l'autorisation de son mari avant d'accepter de garder l'un de ses sacs ne serait-ce qu'une nuit, tandis qu'on apprend qu'en certains endroits, une femme seule avec un enfant sera non seulement mal vue, mais aussi rejetée.

   Dans sa quête, Fereshteh rencontre quelques bons samaritains (une avocate impliquée politiquement, sa meilleure amie, étudiante, un conducteur d'ambulance, une habitante de son bloc) mais aussi une brochette d'hypocrites, certains pouvant représenter une menace (une de ses voisines, la compagne d'un ami, sans doute jalouse de sa grossesse réussie, le chef de service d'un hôpital...).

   La comédienne, Sadaf Asgari, est très bien. Elle réussit à nous faire sentir les tourments du personnage sans beaucoup s'exprimer. Elle est souvent filmée de près, par une caméra mobile. Notons que la jeune femme n'est pas si sympathique que cela : elle ment à presque tout le monde (l'exception étant sa meilleure amie... et encore) et l'on finit par apprendre qu'elle aurait pu vivre dans d'autres conditions, si elle s'était mieux entendue avec le père de l'enfant.

   Compte tenu de mon âge et de mon vécu, je pense avoir un point de vue biaisé sur l'histoire, celle d'une jeune femme, arrivée de province à Téhéran pour y poursuivre ses études, et qui lâche tout à cause d'une histoire d'amour et de sa volonté de garder l'enfant à tout prix. C'est un cauchemar que nombre de parents espèrent ne jamais avoir à vivre. Mais le film mérite d'être vu.

   P.S.

   Cela n'enlève rien à la force de l'histoire, mais deux éléments entachent un peu la crédibilité du film. Toutes les femmes que l'on y voit sont voilées, dans l'espace public comme dans l'espace privé. Or, par exemple, quand le réalisateur filme une mère seule avec son enfant dans son appartement, il devrait la montrer tête nue, alors que ce n'est jamais le cas. Il a fallu sans doute composer avec la censure islamique...

   D'autre part, cette jeune femme, employée dans une imprimerie, semble disposer de revenus assez importants, compte tenu de ce que l'on peut voir à l'écran. Certes, on nous la montre comme débrouillarde, mais entre le logement, le smartphone, les dépenses pour l'enfant et les fréquents déplacements en taxi (visiblement bon marché à Téhéran), on se demande comment elle fait pour s'en sortir. Sans doute faut-il admettre qu'elle reçoit une aide de ses parents, d'où son acharnement à leur cacher sa situation réelle.

  

samedi, 26 novembre 2022

She Said

   Elle a dit... mais on ne l'a pas écoutée. Ou alors, elle n'a pas osé dire... et personne ne lui a demandé. L'affaire Weinstein et la dénonciation du harcèlement sexuel (ainsi que du viol) à Hollywood sont au cœur de ce film militant, qui démarre par un détour... en 2016, avec Donald Trump. La misogynie du personnage est connue (et, soit dit en passant, ne semble pas déranger ses électrices). Son rappel, juste avant les mid-terms de 2022 (le film a commencé à être projeté en octobre dernier aux États-Unis) n'était évidemment pas anodin.

   Mais avant cela, on nous projette en Irlande, en 1992. On sent que quelque chose de très désagréable est arrivé à une ado. Il faut attendre plus d'une heure pour comprendre les dessous de cette histoire (et son importance dans le déroulement de l'affaire), lorsqu'une journaliste du New York Times retrouve la jeune femme, devenue mère de famille, loin du monde du cinéma.

   C'est un film-dossier et un hommage au travail des journalistes, symboles de ce « quatrième pouvoir » qui est bien utile quand les autres baissent les bras ou ferment les yeux. On pense à Dark Waters et aux Hommes du président, surtout dans les scènes filmées au sein de la rédaction du Times. C'est classique, mais efficace, avec Maria Shrader (I'm your man) derrière la caméra

   Même si (comme moi), on a suivi l'évolution de l'affaire, le film conserve l'attrait d'un polar haletant. Pour les journalistes, il s'agit d'identifier les victimes, d'arriver à les faire parler, de trouver des témoins et de s'appuyer sur les documents qui permettraient de corroborer leurs affirmations. Le scénario et le montage ont pour objectif de montrer l'ampleur (et la difficulté) de ce travail, les scènes professionnelles alternant avec la vie privée des héroïnes. Toutes deux sont heureuses en ménage, avec un compagnon compréhensif. Toutes deux sont mères... et, parfois (souvent ?) la vie professionnelle empiète sur la vie privée.

   Les actrices (Zoe Kazan et Carey Mulligan) sont épatantes. Elles peuvent s'appuyer sur des personnages secondaires bien campés... ainsi que sur certaines des protagonistes de l'affaire, qui jouent leur propre rôle.

   Je ne suis pas un inconditionnel du mouvement MeeToo, qui a donné lieu à des dérives (au nom du « name and shame »), mais je trouve passionnante la démarche des journalistes, qui ont mené une enquête serrée pour dénoncer un prédateur sexuel et mettre fin à ses agissements.

Charlotte

   Ce film d'animation retrace la vie de Charlotte Salomon, une Allemande juive qui s'est jadis réfugiée en France pour fuir le nazisme. Elle est connue pour avoir en quelque sorte inventé le roman graphique (Vie ? ou théâtre ?), à l'aide de ses peintures.

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   Le déroulement est chronologique, commençant par la vie en Allemagne, se poursuivant par la période française (autour de Nice). On découvre l'héroïne adolescente, dans une famille bourgeoise. Elle s'intéresse aux arts, mais on tente plutôt de la persuader de travailler dans la couture.

   Charlotte a du caractère et, semble-t-il, du talent. Elle réussit à entrer aux Beaux-Arts, en dépit de sa judéité. C'est l'époque où elle rencontre son premier amour. Elle commence à prendre un peu de distance vis-à-vis de ses parents. C'est un autre intérêt du film : montrer l'entrée dans l'âge adulte d'une jeune femme indépendante. Cela donne un ton très moderne à cette histoire.

   Le contexte familial est plus complexe que ce qu'il paraît de prime abord. On le découvre petit à petit. La femme que Charlotte appelle Paula (et pas maman) n'est pas sa mère biologique. Il y a aussi cette grande sœur disparue, dont on n'ose pas parler. Il y a enfin les grands-parents maternels, la grand-mère malade et le grand-père autoritaire, très traditionaliste, que Charlotte supporte de moins en moins.

   Elle est pourtant contrainte de le côtoyer de plus en plus, puisqu'à l'initiative de son père et de sa belle-mère, elle rejoint ses grands-parents sur la côté d'Azur, en sécurité pensent-ils. C'est l'époque où, hébergée chez une riche Américaine, Charlotte s'épanouit artistiquement. Elle est touchée par une frénésie de peindre, en même temps qu'elle retrouve l'amour.

   Graphiquement, le film n'est pas d'une grande virtuosité. L'animation est assez classique. On a toutefois fait des efforts pour tenter de nous faire percevoir ce qu'était le "coup de pinceau" de l'artiste. Ce n'est sans doute pas aussi joli que les gouaches et aquarelles de Charlotte, mais c'est tout de même très parlant. (L'intégralité de son œuvre est visible sur un site néerlandais.)

   Cette histoire, bien que tragique (elle s'interrompt en 1943...) est visible par tous. Dans les scènes les plus dures (la mort du grand-père, l'arrestation par la Gestapo...), les auteurs Tahir Rana et Eric Warin (à qui l'on doit Ballerina) pratiquent le hors-champ, évitant les images les plus choquantes. Le film se conclut par l'extrait d'un documentaire, où l'on voit les parents de Charlotte, qui ont survécu à la guerre.

lundi, 24 octobre 2022

Simone, le voyage du siècle

   Salle archi-comble à Rodez pour cette séance : plus aucun siège n'était inoccupé lorsque le film a commencé. C'est suffisamment rare pour être signalé.

   Olivier Dahan s'est visiblement inspiré des Mémoires de Simone Veil pour écrire un scénario kaléidoscopique, le montage faisant alterner quatre périodes chronologiques, sous la forme de retours en arrière.

   Ainsi, on va suivre "l'héroïne" dans les années 1940 (la jeunesse à Nice puis la déportation... et le retour en France), au tournant des années 1950-1960 (l'action de la juriste, notamment dans les prisons françaises), dans les années 1970-1990 (l'action gouvernementale et l'engagement européen) et, enfin, la retraite apaisée des années 2000-2010.

   Des deux interprètes de Simone Veil, c'est clairement Rebecca Marder (vue dans Une jeune fille qui va bien) qui m'a le plus impressionné. Avec Judith Chemla (qui incarne une de ses sœurs, Milou) et Elodie Bouchez (la mère, Yvonne Jacob), on a droit à un beau trio d'actrices, très convaincantes jusque dans les scènes de déportation.

   Je pense d'ailleurs qu'au delà des justifications avancées par le réalisateur Olivier Dahan, c'est la force des scènes de camp qui explique (au moins en partie) le découpage du film. Si celui-ci avait suivi la chronologie, il aurait commencé par les moments les plus forts, seuls les débats autour de la légalisation de l'IVG pouvant, bien plus tard, retrouver un peu de cette intensité. Voilà sans doute pourquoi la période des camps (qui a indubitablement marqué Simone Veil à vie) est présente un peu partout dans le film, à l'occasion de retours en arrière plus ou moins bien introduits. Le cinéaste a tenté à chaque fois de justifier par un événement de la vie de Simone le fait qu'on se replonge dans son passé (plus ou moins lointain). Cela semble parfois un peu trop mécanique, voire artificiel.

   Sur le plan historique, le film a le mérite de mettre en scène un aspect méconnu de la Shoah, les Marches de la mort, dernière phase de l'extermination, rarement montrée à l'écran. On pourrait discuter un peu la manière dont l'arrivée à Auschwitz est mise en scène mais, bon, il n'y a là rien de scandaleux. La partie judiciaire est elle aussi plutôt bien foutue. Celle qu'on avait fini par appeler "l'emmerdeuse" y fait merveille. J'ai trouvé l'épisode algérien lui aussi réussi.

   J'ai été un peu déçu par la séquence de la bataille pour l'avortement. Elsa Zylberstein se démène dans le rôle (pour lequel elle pris plusieurs kilos). Elle a été grimée de manière à ressembler à son modèle et elle a tenté de s'exprimer à sa manière, mais cela m'a paru très scolaire. Je trouve aussi que la manière ordurière dont la ministre de la Santé a été traitée par une partie de la droite et l'extrême-droite n'est pas assez bien montrée.

   Mais le principal défaut du film est la façon appuyée dont certains moments d'émotion sont soulignés. Dès que le piano est lancé, accompagné ensuite par les cordes, on comprend qu'il va falloir pleurer dans les chaumières. J'ai aussi été gêné par une scène, celle de l'opéra (en Allemagne), qui voit la jeune Simone quitter la représentation pour rentrer à son domicile, en pleine crise. J'ai eu un peu l'impression de revoir La Môme...

   En dépit de ces réserves, je recommande ce film, pour la leçon de vie qu'il constitue et pour le jeu des actrices.

dimanche, 07 août 2022

Audrey

   Je ne suis pas trop amateur des biographies de stars. Je les soupçonne soit de verser dans l'hagiographie, soit de chercher à mettre en valeur des anecdotes graveleuses pour faire vendre. Et puis, concernant les acteurs, ce n'est pas tant leur vie privée que l'exercice de leur profession qui m'intéresse.

   J'ai fait une exception pour Audrey Hepburn, dont les films m'ont enchanté lors du dernier festival de cinéma de La Rochelle. Va donc pour ce bouquin (sorti en France en 1997) signé Barry Paris, un journaliste familier du monde du cinéma, qui a écrit une bio "à l'américaine", farcie de références (pour justifier ses affirmations). Pour rendre la lecture plus aisée, celles-ci sont repoussées en fin de volume.

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      L'un des intérêts de ce livre est sa première partie, consacrée à l'enfance de la future comédienne. Elle est née en 1929, aux Pays-Bas. Sa mère est une Van Heemstra, issue de l'aristocratie batave, tandis que son père, Joseph Hepburn-Ruston, était un homme d'affaires anglo-irlandais.

   Dans les années 1930, ses parents, résidant souvent au Royaume-Uni (dont Audrey a d'abord mieux maîtrisé la langue que celle de son pays d'origine), sont attirés par... le fascisme. La père ne s'en est d'ailleurs jamais vraiment détaché, ce qui lui a valu une période d'emprisonnement pendant la guerre. Le reste de la famille a passé le conflit aux Pays-Bas, où la jeune Audrey a vécu une période particulièrement difficile, connaissant la peur et la faim. Tout cela, ajouté à la séparation de ses parents (en clair : la fuite de son père), explique en partie la mentalité de la femme adulte, qui a toujours vécu dans la peur de l'abandon et le souhait de ne pas reproduire le schéma familial avec ses enfants. Cela a eu des conséquences sur sa carrière.

   La biographie permet de suivre celle-ci de manière détaillée. On découvre les premières participations de celle qui, au départ, se voyait danseuse de ballet, avant que son visage expressif et sa fraîcheur d'expression ne la fassent repérer par des réalisateurs et des producteurs. Le livre fourmille d'anecdotes sur les coulisses du tournage des films. Je vais me contenter de relever deux anecdotes, concernant des accidents (réels) qui sont devenus des péripéties dans deux longs-métrages.

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   Commençons par Charade, le petit chef-d’œuvre de Stanley Donen. Dans l'une des (nombreuses) scènes marquantes, on voit l'héroïne faire tomber malencontreusement une boule de glace sur le costume de son "protecteur" (incarné par Cary Grant), alors qu'ils se promènent sur les quais de Seine. Cet incident aurait été inspiré par une maladresse réelle d'Audrey Hepburn, qu'elle a commise lors de sa rencontre avec C. Grant, dans un restaurant. Elle a renversé sur lui le contenu d'une bouteille de vin rouge, en présence de Stanley Donen.

   Une autre péripétie, plus redoutable, a été incluse dans La Rose et la Flèche. On y voit le chariot conduit par Marianne (Hepburn) se renverser dans une rivière... ce qui n'était pas prévu au scénario ! Le réalisateur, Richard Lester, a décidé de garder la prise (unique) et de modifier la scène suivante pour intégrer le tout à l'intrigue.

   Les à-côtés sont particulièrement développés autour de My Fair Lady, Audrey Hepburn ayant remplacé au cinéma Julie Andrews, devenue très populaire grâce à la comédie musicale d'origine.

   La vie privée de la comédienne fut beaucoup moins joyeuse que la plupart des films dans lesquels elle a tourné. Elle semble n'avoir pas été très avisée dans le choix de ses compagnons... sauf le dernier. Le livre explique en détail, pour un public qui l'aurait oublié, les motivations de l'actrice, qui s'est faite rare au cinéma à partir du début des années 1970. Elle voulait connaître une vie conjugale harmonieuse et avoir des enfants. Elle a subi plusieurs fausses couches avant de donner naissance à deux garçons, de deux pères différents.

   Concernant l'image d'Audrey, on peut lire des passages intéressants sur sa silhouette, qui a fait couler beaucoup d'encre. D'après le couturier Hubert de Givenchy (qui fut pendant longtemps son "habilleur attitré"), elle a gardé les mêmes mensurations presque toute sa vie d'adulte. La biographie évoque des périodes de boulimie et d'autres de maigreur extrême, pour des raisons diverses.

    Certain(e)s seront aussi peut-être surpris(es) d'apprendre que l'actrice était une grosse fumeuse (sans accessoire longiligne) et qu'elle était amatrice de whisky (sans être alcoolique).

   Le paradoxe est que celle qui est devenue une icône de la mode et une incarnation de l'idéal féminin ne correspondait pas aux canons de beauté de l'époque à laquelle elle a débuté. On y préférait les femmes aux formes généreuses... et moins grandes que leurs partenaires masculins. Or, avec son mètre soixante-dix (et ses pieds taille 39), ses sourcils non épilés, sa taille de guêpe, sa poitrine riquiqui et sa dentition légèrement décalée, Audrey aurait pu passer pour un "vilain petit canard"... si elle n'avait eu ce regard malicieux, ce sens de la répartie... et une élégance innée.

   Les lecteurs français seront sensibles à certains détails de la biographie. Audrey parlait couramment notre langue et aimait notre pays. L'un de ses films préférés était Les Enfants du paradis et elle aurait aimé tourner avec l'acteur Philippe Noiret. Elle a rencontré l'écrivaine Colette, avec laquelle le courant semble être bien passé. En revanche, elle s'est fâchée avec une petite sommité du monde du cinéma français : Claude Renoir, fils de Pierre et neveu de Jean. Sur le tournage de Deux Têtes folles, elle l'a fait remplacer en tant que directeur de la photographie, jugeant que son travail ne la mettait pas bien en valeur. (Pour entendre la version de Claude Renoir, il faut se rendre ici.)

   La fin de l'ouvrage rend hommage à son travail pour l'UNICEF. Même si le livre est parfois trop en empathie avec la comédienne, je trouve qu'il regorge d'informations passionnantes pour qui s'intéresse à la vie et à la carrière d'Audrey Hepburn.

samedi, 30 juillet 2022

La première femme vainqueure aux Jeux Olympiques

   Aujourd'hui, en lisant Le Monde, un détail a piqué ma curiosité. Au détour d'un article consacré à l'équipe états-unienne de cyclisme féminin, le nom de Cynisca est apparu. (Elle a été choisie pour dénommer la nouvelle équipe américaine.) Née sans doute vers 440 avant JC, elle a remporté à deux reprises la course de chars lors des Jeux Olympiques antiques, vraisemblablement en 396 et 392 avant JC.

   Certains de mes lecteurs, férus d'histoire, pourraient arguer de l'impossibilité de ces victoires, les femmes étant exclues de ces Jeux, des participants comme du public (sous peine de mort). En revanche, les femmes non mariées pouvaient participer à des jeux spécifiques, dits héréens (les Heraia).

   Ce serait négliger un détail : aux Jeux était déclaré vainqueur non le conducteur du char, mais son propriétaire (et entraîneur). Cynisca, sœur du roi de Sparte Agesilas II, a bel et bien possédé un équipage, à l'entraînement duquel elle aurait veillé. Les historiens ont longtemps débattu du rôle réel de cette aristocrate. Les auteurs de l'Antiquité (souvent misogynes) avaient tendance à présenter la candidature de Cynisca comme un moyen pour son frère de ridiculiser les Jeux et leur prétention à couronner une forme de « mérite ». Des études plus récentes (et plus poussées) tendent à montrer que Cynisca aurait agi avec une relative indépendance, sans doute avec le soutien discret et bienveillant de son frère, qui voyait là un moyen de rehausser le prestige de sa cité et de sa lignée. Il convient donc de se garder de tout anachronisme : les victoires de l'équipage de Cynisca sont celles d'une Spartiate et d'une (riche) aristocrate plus que celles d'une femme.

   Elle a été glorifiée de son vivant et après sa mort, avant de tomber progressivement dans l'oubli. D'autres femmes réussirent à inscrire aussi leur nom au palmarès : la Spartiate Euryléonis et la Macédonienne Bérénice, devenue reine d’Égypte.

   Cynisca n'a pas attendu le XXIe siècle pour voir son image utilisée à des fins féministes. Ainsi, au début du XIXe siècle, l'écrivaine Sophie de Renneville (qui a notamment participé à l'Athénée des dames) l'a représentée en conductrice de char :

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   Si vous avez lu attentivement le début de ce billet, vous savez que cette représentation est mensongère, puisque les femmes ne pouvaient pas participer aux Jeux Olympiques. Peut-être faut-il plutôt y voir une allégorie...

   Plus récemment, à l'occasion des Jeux de Tokyo, une série a été produite, sous forme de mini-manga. Elle met en scène Moa, une adolescente sportive (sans doute japonaise), qu'un génie facétieux (baptisé Oly) envoie régulièrement dans l'Antiquité. L'un des épisodes lui fait rencontrer Cynisca :

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   Dans cette historiette, si l'on voit à plusieurs reprises l'héroïne conduire un char, c'est dans la vie quotidienne et à l'entraînement (ce qui est plausible). Pas en compétition. (C'est la tâche assignée au jeune garçon se trouvant à sa droite, qu'elle va devoir former.) Toutefois, ce petit film est entaché de deux erreurs majeures : Cynisca y assiste à la course finale (faux) et elle semble être âgée (au plus) d'une vingtaine d'années, la moitié de son âge à l'époque des faits.

 

mardi, 17 mai 2022

Ma Famille afghane

   Ce film d'animation tchèque, réalisé par une femme (Michaela Pavlatova), est adapté d'un roman écrit par une travailleuse humanitaire, tchèque aussi (Petra Prochazkova). L'action se déroule au début du XXIe siècle, dans un Afghanistan (partiellement) contrôlé par les Américains et libéré de la tutelle des talibans.

   Cela explique qu'une jeune Tchèque, tombée amoureuse d'un réfugié afghan, ait décidé de le suivre au Moyen-Orient, n'ayant plus rien qui la retient dans son pays natal. Sur place, en dépit du changement de régime, on s'attend tout de même à un choc culturel, qui se produit, mais ce n'est qu'une étape dans cette fiction à caractère documentaire, qui présente la vie d'une famille de l'intérieur, avec ses traditions, ses contraintes et un bel appétit de vivre.

   L'héroïne se rend rapidement compte que, bien que les talibans aient été vaincus, la mentalité patriarcale reste solidement implantée, y compris dans l'esprit de certains de leurs adversaires afghans. Son beau-frère et la famille de celui-ci incarnent l'archaïsme des mœurs, tandis que le grand-père, la belle-sœur et la nièce sont ouverts à la modernité.

   Le portrait de l'époux est plus nuancé. Nazir est un homme doux, pacifique, très amoureux de sa blonde épouse. Mais, de retour en Afghanistan, il subit l'influence de la mentalité dominante... et sent peser sur lui le regard de ceux qui se demandent s'il est "un vrai homme". L'amour que lui et et Herra se vouent sauve le couple, qui doit traverser de multiples épreuves.

   L'une d'entre elles est la fondation d'une famille. Herra se découvre stérile, une calamité dans un pays où la virilité d'un homme se mesure à l'importance de sa progéniture. Le couple de héros va néanmoins élever un enfant, un garçon handicapé rejeté par sa famille d'origine, doté d'un tempérament très indépendant. (Dans la version originale, le titre My Sunny Maad est une allusion à cet enfant.)

   Sur le plan technique, l'animation n'a rien d'extraordinaire. Le film vaut surtout pour son aspect documentaire. Mais il arrive après bien d'autres, comme Parvana et Les Hirondelles de Kaboul (autres films d'animation), ou encore Le Cahier, Wajma, une fiancée afghane, Syngué Sabour (des fictions) et le documentaire Nothingwood, qui en disaient autant (voire plus) sur la société afghane.

   J'ai l'air de faire la fine bouche, mais j'ai tellement entendu parler du film en bien que j'ai été déçu par la projection. De surcroît, je ne trouve pas l'héroïne très intéressante. Pour moi, elle fait un peu trop souvent de mauvais choix.

samedi, 12 février 2022

Vaillante

   Salle comble à Rodez pour ce film d'animation féministe, avec, dans le public, outre les bambins (et bambines) habituel(le)s, des adultes... dont, me semble-t-il, quelques "soldats du feu".

   La première partie de l'histoire se situe en dehors de l'univers des pompiers, puisqu'elle montre un papa... couturier, veuf, tentant d'élever une intrépide garçonne (Georgia) qui rêve de passer plus tard ses journées sur un camion rouge. Problème : nous sommes à New York, en 1920. Il n'est pas question qu'un individu de sexe féminin puisse rejoindre la rugueuse confrérie des manieurs de lance à incendie.

   Une dizaine d'années plus tard, "Pistache" a grandi et semble avoir oublié ses rêves d'enfant... au grand soulagement de son père. Mais, dans la "grosse pomme", un mystérieux pyromane détruit les théâtres les uns après les autres, provoquant la disparition de presque tous les pompiers de la ville. Déguisée en garçon, Georgia contribue à former, en compagnie de son père, d'un chauffeur de taxi farfelu et d'un chimiste du dimanche, la dernière équipe de secours.

   La suite est une farandole d'aventures, avec cascades, humour, rebondissements et émotion (autour des relations père-fille). J'ai ri, j'ai été pris par le suspens... et j'ai eu les yeux qui piquent (vers la fin).

   Je recommande vivement cette production française. Aux manettes se trouve Laurent Zeitoun, l'un des scénaristes de Ballerina.

   P.S. I

   Ne quittez pas la salle trop vite : le générique de fin est accompagné d'images d'archives, des photographies des premières pompières dans plusieurs pays. Figure dans le florilège la Française Françoise Mabille.

   P.S. II

   Les spectateurs attentifs noteront le soin apporté au contexte états-unien de l'intrigue. Les décors urbains ont été vraiment bien travaillés. Au niveau des personnages, il est évident que Shawn Nolan (le papa) est en réalité "Sean", un Irlando-Américain, souvent habillé de vert. Dans la famille, on a la passion du service public, tout comme d'autres descendants de migrants catholiques, les Reagan, policiers au cœur de la série Blue Bloods.

vendredi, 31 décembre 2021

Le Dernier Duel

   Séance de rattrapage pour ce film (anti)chevaleresque, signé Ridley Scott et sorti en octobre dernier. À l'époque, la charge de travail et la durée du film (2h30) m'avaient un peu découragé, d'autant qu'à partir de la deuxième semaine, à Rodez, il n'était plus proposé qu'en dernière séance (après 22 heures). J'ai enfin pu le voir récemment... et lire dans la foulée l'ouvrage historique qui l'a inspiré.

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   Le film commence alors que le duel judiciaire est sur le point de s'engager. S'en suit un long retour en arrière, constitué de la version successive des trois protagonistes : le mari Jean de Carrouges (Matt Damon, très bon dans un rôle inhabituellement antipathique), le violeur présumé Jacques Le Gris (Adam Driver, presque un peu trop bon dans le personnage) et l'épouse présumée violée, Marguerite de Carrouges (Jodie Comer, vue l'été dernier dans Free Guy, et qui parvient à susciter un peu d'ambiguïté autour de son personnage).

   La première version, celle de Jean de Carrouges, correspond à la vision que nous donnent depuis des décennies nombre d’œuvres médiévales. Quand vient le tour de Jacques Le Gris, on sourit aux écarts de perception entre les deux anciens amis, le même événement nous étant raconté sous deux angles différents. Ce n'est pas nouveau nouveau, mais c'est bien fichu.

   On attend évidemment la version de l'épouse. Beaucoup de cinéphiles se sont étonnés qu'elle ne s'écarte pas plus de celles des messieurs. Elle n'en propose pas moins une autre vision du mariage, tel qu'il a été imposé à la jeune femme, avec un prétendant certes valeureux, mais pas très bon amant... Quant à la version du "viol", il n'est pas nécessaire qu'elle soit très différente de celle du "violeur". Les nuances de détail ont une importance capitale. (Dans l'ouvrage de l'historien, on trouve davantage d'anecdotes et une argumentation serrée qui ne permet pas de douter de ce qu'il s'est réellement passé à l'époque.)

   La dernière partie de l'intrigue est constituée de la séquence de duel, brillamment mise en scène par R. Scott. (J'ai retrouvé le réalisateur de Kingdom of Heaven, bien meilleur que dans son médiocre Robin des Bois.)

   Au final, les 2h30 passent comme un charme, que l'on privilégie la reconstitution d'époque, l'ambiance de chevalerie ou le propos féministe, la forme s'accordant bien au fond. Ce sera sans aucun doute un de mes films de l'année.

vendredi, 26 novembre 2021

L'Événement

   Je n'ai pas lu le roman d'Annie Ernaux, mais le sujet du film m'a incité à tenter l'expérience. Derrière la caméra se trouve Audrey Diwan, scénariste de Cédric Jimenez (et, accessoirement, sa compagne).

   Anne est étudiante, sans doute en propédeutique Lettres. (Aux jeunes qui liraient ce billet, je signale qu'il y a bien longtemps, pour les étudiants se destinant à la fac, il existait une année de transition entre la terminale et le début de la licence à proprement parler.) Elle est belle, intelligente et indépendante. Elle a envie de tout vivre : ses études, son amour de la littérature, les sorties rock'n'roll... et les garçons. Hélas pour elle, nous sommes en 1963, au début de la Ve République, sous le premier mandat de Charles de Gaulle. Contraception comme avortement sont illégaux. Quant à l'enseignement des "choses de la vie", il s'effectue plutôt par l'intermédiaire des revues de charme...

   La première partie est saisissante. La caméra suit l'héroïne (incarnée par Anamaria Vartolomei, déjà remarquée dans L'Échange des princesses et La Bonne Épouse), de dos, de face, de côté, du dessus. Je rassure les cinéphiles qui auraient le mal de mer, on n'est pas chez les Dardenne grande époque. Ces mouvements de caméra sont parfaitement justifiés. Ils instillent du mystère autour de la personnalité de cette jeune femme, assez mutique. Ils nous font aussi comprendre quel poids pèse sur ses épaules : celui du patriarcat, de la pesanteur sociale, du conservatisme religieux et de la chosification des jeunes femmes, surtout si elles sont jolies.

   Autour d'Anamaria gravite une brochette de comédiens de talent. Sandrine Bonnaire interprète une mère traditionnelle, besogneuse et aimant sa fille, qu'elle a de plus en plus de mal à comprendre. Pio Marmai prête son physique avantageux à un prof de fac qui a repéré l'étincelle de talent chez Anne. (Bien que je doute que le film rencontre un grand succès public, il pourrait néanmoins contribuer à l'augmentation du nombre d'inscriptions de lycéennes en fac de Lettres. Une cruelle déception les y attend...)

   J'ai trouvé que la deuxième partie patinait un peu. Enceinte, l'héroïne ne sait trop comment s'en sortir. Petit à petit, elle se coupe de toutes les personnes qui pourraient l'aider.

   Fort heureusement, l'intérêt rebondit dans la troisième partie, qui prend quasiment la forme d'un thriller. Anne se rend chez une "faiseuse d'anges", qui a la voix rocailleuse d'Anna Mouglalis. La séquence est extraordinaire d'intensité, avec une étonnante économie de moyens. À partir de ce moment-là, la tension ne retombe plus, portée par une actrice formidable... jusqu'à une conclusion que je ne révèlerai pas.

   Je recommande vivement ce film coup-de-poing, bourré de talents.

samedi, 16 octobre 2021

Les Mystères de Londres

   Cette série policière britannico-canadienne date de 2016 et elle vient d'arriver sur la TNT, plus précisément sur TF1. Son action se déroule au début du XXe siècle et l'ambiance oscille entre celle de Sherlock Holmes et celle des Enquêtes de Murdoch. Elle nous fait suivre les aventures de trois personnages, deux d'entre eux ayant donné leur nom à la série, dans la version originale (Houdini and Doyle).

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   Voici donc Harry Houdini (Michael Weston), le pétulant illusionniste, au faîte de sa gloire. Quoi qu'habitant encore avec sa mère, il mène une vie de patachon et regarde son époque avec un œil ironique. C'est un fervent rationaliste.

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   Il doit (amicalement) croiser le fer avec Arthur Conan Doyle (Stephen Mangan), écrivain reconnu qui, au début de la série, vient de "tuer" Sherlock Holmes. Mais ce sont d'autres aspects de sa vie qui passent ici au premier plan : son activité de médecin, ses soucis familiaux... et son penchant pour le paranormal, l'ésotérique.

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   Navré pour ces deux mâles dominants, mais le véritable personnage principal est Adelaide Stratton, première femme officier de police à Scotland Yard... mais reléguée jusqu'à présent à des tâches subalternes. Elle est incarnée par la délicieuse Rebecca Liddiard, dont j'avais déjà remarqué (entre autres) les jolis sourcils dans Frankie Drake Mysteries.

   Le premier épisode, intitulé L'Assassin fantôme, met en scène la formation du trio. Il se réunit au cours d'une enquête sur la mort mystérieuse d'une nonne.

   Le deuxième épisode, intitulé Vengeance d'une vie passée, plonge les spectateurs dans l'énigme d'une possible réincarnation, celle d'un homme disparu dans le corps d'un enfant meurtrier. Excellent !

   Le dernier épisode diffusé la semaine dernière s'intitule Croire ou ne pas croire. L'intrigue tourne autour d'un étrange guérisseur et de morts inexpliquées. Dans le même temps, la femme de Conan Doyle voit son état de santé changer de manière spectaculaire, tandis qu'Houdini tombe subitement malade.

   J'aime beaucoup l'ambiance de la série, très bien servie par les décors, les costumes et l'éclairage. Elle aborde de surcroît des thèmes intéressants, de la religion au féminisme en passant par les croyances populaires.

dimanche, 26 septembre 2021

Les Sorcières d'Akelarre

   En langue basque, aquelarre désigne le "pré du bouc", l'endroit où de présumées sorcières sont censées se livrer au sabbat. Au début du XVIIe siècle, l'Inquisition pourchasse, outre les divers hérétiques, les femmes soupçonnées de se livrer à des actes contraires à la morale catholique.

   Dans ce village de la côte basque, les hommes sont absents la moitié de l'année, partis pêcher au loin, jusqu'à Terre-Neuve. Des rumeurs circulent quant au comportement des épouses et des filles. Cinq d'entre elles (puis une sixième) sont arrêtées et soumises à un interrogatoire de plus en plus poussé.

   La meilleure partie du film est constituée de ces scènes, soit de cellule (les femmes étant enfermées ensemble), soit de questionnement, qui finit par prendre la forme d'une torture. Au départ, les jeunes femmes n'en reviennent pas d'avoir été arrêtées pour des comportements innocents (elles se promènent en forêt, dansent sur des chants traditionnels). Pour prouver à quel point les accusations qui pèsent sur elles sont absurdes, elles vont entrer dans le jeu de l'inquisiteur... au risque que le cours des événements dérape.

   Les images tournées dans l'obscurité ou la semi-obscurité sont belles. Elles se marient bien avec le fond de l'intrigue, l'enquête ecclésiastique peinant à déterminer si ces jeunes femmes sont de simples "dévergondées" ou d'authentiques "satanistes". Le propos du film est évidemment militant : il dénonce l'oppression des femmes par des religieux exclusivement masculins... et, incidemment, l'oppression des Basques par la Castille. Du côté français comme du côté espagnol, le "pays basque" (au sens large) a peut-être été la région la plus marquée par de supposés épisodes de sorcellerie. Toutefois, à l'époque à laquelle se déroule notre histoire, en particulier du côté espagnol, l'action de l'Inquisition fut plus modérée que ce que montre le film.

   Son propos est gâché par la fin et la séquence du sabbat, totalement grotesque. D'un côté, je comprends que le réalisateur Pablo Aguero (remarqué il y a quelques années avec Eva ne dort pas) ait voulu tourner en ridicule la petite troupe inquisitoriale. Mais c'est sa séquence elle-même qui manque de crédibilité, sans parler de la fin. C'est dommage, parce que le film charrie une force incontestable, sur des thématiques qui parlent aux spectateurs du XXIe siècle.

   P.S.

   Sorcellerie et satanisme (mélangés un peu n'importe comment) se trouvent aussi à l'arrière-plan de la Trilogie du Baztan, une production Netflix récemment mise en ligne sur le site d'Arte. L'action se déroule de nos jours, en Navarre, à proximité de la frontière avec la France. La police locale reçoit le renfort d'une enquêtrice originaire de la région, qui a travaillé avec le FBI. Ils ne seront pas de trop pour démêler une série de crimes sordides, dans une ambiance glauque, pluvieuse à l'excès. Les trois films sont adaptés des romans de Dolores Redondo. Je recommande surtout le premier volet, intitulé Le Gardien invisible (qui a peut-être inspiré la série française Zone blanche). Les deux films suivants sont de moins bonne qualité : leur intrigue ne tient pas sur la longueur et le réalisme cède petit à petit la place au grotesque.

samedi, 05 juin 2021

Promising Young Woman

   On pourrait traduire le titre de ce film par "Jeune Femme prometteuse" ou "Jeune Femme promettant"... ce qui n'a pas le même sens... mais serait tout aussi valable. L'héroïne Cassandra est à la fois une ancienne étudiante brillante (qui a brusquement quitté la fac de médecine, pour des raisons inconnues) et une amie qui semble avoir fait une promesse qu'elle s'évertue à tenir.

   Cette promesse concerne les hommes. Dans un premier temps, on découvre Cassie (Carey Mulligan très bien, déjà remarquée dans Les Suffragettes) dans un curieux rapport aux individus de sexe masculin. Certains soirs, elle hante les bars jusqu'à plus soif, dans l'attente qu'une bonne âme se propose pour la raccompagner... sauf que cette bonne âne n'a en général pas que des intentions louables... et ça tombe bien, puisque Cassie n'est (presque) jamais ivre ! Le lendemain, elle annote son carnet, d'une couleur différente selon la manière dont la soirée a tourné...

   Petit à petit, on comprend qu'une vengeance est à l'oeuvre, dont la source remonte au passé estudiantin de l'héroïne. On va finir par découvrir pourquoi, à trente ans, l'ex-future médecin est caissière dans un café et pourquoi elle vit toujours chez ses parents, sans fréquentations régulières. Là, le scénario, qui pourrait sembler prévisible, se montre malin, avec des rebondissements inattendus. Certains concernent Ryan, un ancien camarade de fac pas considéré comme un "porc". Voilà Cassie écartelée entre son désir de vengeance et la possibilité (inenvisageable jusqu'à présent) d'une nouvelle vie. La réalisatrice mêle adroitement les styles, entre thriller, film d'ado et comédie romantique.

   Même si le sujet de fond est des plus sérieux, l'intrigue est émaillée d'humour, parfois sarcastique. Le tout début plante le décor, avec ces plans serrés sur l'aine de mâles trentenaires un peu bedonnants. Tout aussi drôle est la séquence qui suit immédiatement celle d'une "soirée spéciale". Dans un premier temps, la mise en scène suggère tout autre chose que ce que l'on peut constater ensuite, quand le plan s'élargit sur l'héroïne qui marche dans la rue.

   L'usage de la musique est lui aussi futé. On joue sur les codes, liés aux films de jeunes et aux comédies romantiques... mais, quand c'est trop "sucré", il vaut mieux se méfier. J'ai aussi trouvé particulièrement réussie la réorchestration d'un "tube" de Britney Spears.

   En dépit du plaisir que j'ai éprouvé à regarder ce film, j'ai deux réserves à émettre. Tout d'abord, les scènes "sucrées" le sont un peu trop à mon goût (je pense qu'il ne faut pas toujours y voir du second degré) mais, surtout, je trouve la vision des mecs globalement caricaturale (mais juste dans le détail). La construction du scénario me convient, dans le sens où elle montre que le machisme continue à faire des ravages même des années après, y compris dans la classe moyenne, mais je ne peux pas accepter une représentation presque intégralement négative de la gent masculine.

lundi, 19 octobre 2020

Calamity

   On doit ce film d'animation féministe à Rémi Chayé, déjà auteur du superbe Tout en haut du monde (il y a quatre-cinq ans). Il fut aussi jadis l'une des chevilles ouvrières de Brendan et le secret de Kells.

   C'est l'histoire de Martha Jane Canary, une pré-adolescente dont la mère est récemment décédée. On est au XIXe siècle, en plein Far West, et elle doit assumer le rôle de maman de substitution pour ses jeunes frère et soeur. Mais la gamine a le sang qui bouillonne. Elle rêve d'indépendance, d'aventures. Elle apprend à monter à cheval, à manier le lasso et à conduire un chariot.

   Elle se prend souvent la tête avec les garçons du convoi. Une vingtaine de familles se sont unies pour gagner l'Oregon, avec l'espoir d'une vie meilleure. Ce sont des puritains, qui ne conçoivent la société que régie par des règles ancestrales, avec une répartition sexuée des tâches.

   Martha se fait rapidement traiter de "calamité" : elle jure comme un charretier, veut porter le pantalon et n'obéit qu'avec beaucoup de réticences aux adultes... quand elle leur obéit. Je me suis pris d'affection pour cette gamine au caractère bien trempé, capable de clouer le bec au jeune con qui l'emmerde, en lui lançant un vibrant "Tête de bouse ! Ta bouche, elle sent les pieds !"

   La première partie de l'histoire pose ces principes. Dans des circonstances que je me garderai de révéler, Martha se retrouve coupée du convoi. Elle va suivre sa propre voie, notamment en compagnie d'un adolescent pas très honnête... et pas si futé que cela : il n'a pas compris que ce jeune "Marcus" aux cheveux courts était une fille...

  Le meilleur est à venir, lors du séjour dans la ville minière. L'histoire s'emballe, devient follement drôle, pleine de péripéties. Martha fait la connaissance d'une autre femme indépendante, une géologue chercheuse d'or (doublée par Alexandra Lamy). On se bidonne bien aussi pendant la séquence dans le camp militaire.

   Attention toutefois, c'est plus un roman d'apprentissage qu'un véritable film historique sur la jeune Calamity Jane. Les auteurs ont tenté de combler les vides dans la biographie de la plus célèbre cow-girl de l'Ouest. Cela dure 1h20 et c'est follement plaisant à regarder, même si je trouve que l'animation n'est pas d'aussi bonne qualité que dans les précédents films de Rémi Chayé.

  

samedi, 17 octobre 2020

Made in Bangladesh

   J'ai raté ce film à sa sortie dans les salles, l'an dernier. (Sauf erreur de ma part, il n'a pas été programmé à Rodez.) J'ai profité d'un festival pour remédier à ce manque, dans une salle assez copieusement garnie, ma foi. (Comme quoi, les choix de programmation audacieux peuvent s'avérer payants...)

   Depuis dix-quinze ans, les étiquettes de certains vêtements vendus à bas prix en France (et ailleurs) ont vu le remplacement de la mention "made in China" (ou "made in PRC") par une référence à un pays d'Asie du Sud ou du Sud-Est. Ce peut-être le Vietnam, l'Inde, le Pakistan ou le Bangladesh. (D'ailleurs, l'économie de ce pays-ci souffre beaucoup des conséquences de la pandémie.)

   Chez nous, c'est la catastrophe du Rana Plaza, il y a sept ans, qui a marqué l'entrée du Bangladesh sur la scène économique internationale. Elle a sans doute inspiré l'une des premières scènes du film, au cours de laquelle meurt une amie de l'héroïne Shimu.

   La suite est l'histoire chaotique d'une tentative d'émancipation, à plusieurs niveaux. Shimu la musulmane pieuse (mais pas intégriste) est présentée comme l'une des nombreuses victimes de l'exploitation capitaliste (nationale et internationale), des mentalités archaïques (en particulier le patriarcat), de la corruption et d'une bureaucratie inefficace.

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   La réalisatrice a mis en scène différents exemples d'oppression : le harcèlement sexuel, le chantage au licenciement, la violence conjugale... L'ensemble pourrait former une histoire déprimante, s'il n'y avait pas quelques moments de grâce (comme la fête de mariage) et des moments de courage, qui montrent ces femmes peu éduquées, conditionnées à la soumission depuis leur plus jeune âge, tenter de prendre leur destin en mains.

   P.S.

   Quand il a été tourné, le film semble avoir été prémonitoire, puisque l'année 2019 a été marquée, au Bangladesh, par un gigantesque mouvement de grèves dans les usines textiles.

dimanche, 05 juillet 2020

Be natural

   C'est ce que lançait Alice Guy-Blaché à ses acteurs, il y a plus de cent ans de cela... et c'est le titre du documentaire consacré à la première femme cinéaste, injustement oubliée. L'an dernier, j'avais consacré un billet à cette réalisatrice dont j'ignorais jusqu'alors l'existence.

   Alors que cette pionnière est française, il a fallu attendre qu'une Américaine s'intéresse à son cas pour que ce film soit tourné. L'histoire d'Alice Guy se mêle aux débuts du cinéma. A l'origine, c'est une simple secrétaire de Léon Gaumont. Mais elle est curieuse de tout et plutôt entreprenante. Comme le cinématographe naissant n'est pas perçu comme un genre majeur, en France, on pouvait laisser une femme s'y adonner... à condition que son travail de secrétaire n'en pâtisse pas !

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   Ce film est aussi l'occasion de voir et d'entendre la pionnière. La réalisatrice Pamela Green a beaucoup utilisé un entretien télévisuel datant de 1957, un autre du début des années 1960, ainsi qu'une émission radiophonique de la même époque. (On peut entendre un extrait ici.)

   Le documentaire est aussi intéressant pour ce qu'il dit de l'occultation des femmes de l'histoire du cinéma. Du côté français comme du côté états-unien, les anthologistes semblent avoir été longtemps saisis de la même fièvre sélective... misogyne. Alice Guy a même été doublement victime, puisque non seulement on a attribué nombre de ses oeuvres à des hommes, mais qu'en plus on lui a dénié la place de première femme réalisatrice, la remplaçant souvent par une comédienne qu'elle avait lancée.

   C'est toutefois aux Etats-Unis qu'Alice Guy-Blaché a connu la prospérité. Avec son mari, elle a monté un studio de production (Solax) qui rencontra le succès. On nous en décrit le fonctionnement en détail. Cette partie américaine fera découvrir à certains spectateurs qu'avant Hollywood, il y eut le New Jersey. Le film raconte dans quelles circonstances les producteurs et les cinéastes ont fini par partir s'installer en Californie.

   Le documentaire est aussi une enquête généalogique. Alice Guy-Blaché a une descendance aux Etats-Unis. Grâce à des animations (notamment cartographiques), on suit le film en construction, à travers les déplacements et les échanges téléphoniques de Pamela Green. Elle nous fait partager son enthousiasme pour ses découvertes. Elle finit par mettre la main sur quantité de documents, se trouvant aux Etats-Unis mais aussi dans le reste du monde (jusqu'en Australie !). Il existait donc bien  de nombreuses sources sur la vie et le travail d'Alice Guy. La longue occultation de son oeuvre n'en est que plus scandaleuse.

   C'est d'ailleurs une limite de ce film : la profusion de documents mis à l'écran, parfois pendant à peine une ou deux secondes. On sent que la réalisatrice a voulu éviter que ses spectateurs ne s'ennuient. C'est réussi, mais au prix d'un défilement parfois trop rapide. J'aurais aimé pouvoir m'attarder sur certaines photographies ou certains extraits de films.

   Ce documentaire n'en reste pas moins passionnant et nécessaire.

   P.S.

   Dans la salle où je l'ai vu (dans un cinéma lotois reconstruit), j'étais seul !

dimanche, 15 mars 2020

La Bonne Epouse

   Cette comédie évoque une époque que les moins de vingt ans ne peuuuuvent pas connaîtreuuuu. En ce temps-là, en France, les femmes n'étaient pas les égales des hommes. Une partie d'entre elles achevaient leur scolarité dans des "écoles ménagères", où on leur apprenait à bien tenir un ménage... et à rester soumises à leur (futur) mari.

   Le pari de Martin Provost et de sa coscénariste Séverine Werba est de traiter ce sujet grave sur un ton léger. Cela fonctionne parce que le trio d'actrices principales est formidable. Le directrice, classe et coincée, est incarnée par Juliette Binoche, qui, dès le début, donne le ton en énonçant les sept règles de la bonne ménagère.

   Sa belle-soeur est jouée par Yolande Moreau. Une fois de plus, celle-ci interprète un personnage un peu pataud, mais elle s'en sort très bien. L'interaction avec la brochette de jeunes comédiennes incarnant les pensionnaires fonctionne à merveille. Je recommande tout particulièrement la scène de confection des crêpes, de toute beauté !

   A ce duo s'ajoute Noémie Lvovsky, méconnaissable en bonne-sœur acariâtre. J'ai adoré ! On sent que les comédiennes ont eu plaisir à endosser ces rôles certes un peu caricaturaux, mais hauts en couleur.

   Du côté des messieurs, c'est un binôme qui s'impose. François Berléand incarne avec son savoir-faire habituel l'époux vieillissant libidineux, "à l'ancienne", tandis qu'Edouard Baer est chargé de représenter la version moderne de l'idéal masculin des femmes adultes : cet ancien résistant (l'action se déroule dans les années 1960) ne manque pas de charme et a une bonne situation professionnelle. De surcroît, il repasse ses chemises, reprise ses chaussettes... et fait la cuisine ! On finit aussi par comprendre qu'il n'est pas maladroit au lit... N'en jetez plus ! Toutefois, comme on ne le voit déshabillé que de dos, on ne saura pas si son abdomen est aussi irréprochable que ceux de Brad Pitt et Harrison Ford...

   Le début du film montre le fonctionnement de l'école ménagère, avec ses rigueurs et plusieurs anicroches. Le décès accidentel d'un des personnages vient corser l'affaire, libérant quelques énergies. L'arrivée de Mai 68 va définitivement changer la donne, pour les enseignantes comme pour les élèves. Cela se termine en comédie musicale militante (une référence à Hair ?), correctement chorégraphiée, mais pas trop dans mon goût.

   Cela n'enlève rien aux (nombreux) mérites de ce film, qui relève le niveau de la comédie française contemporaine.

samedi, 14 mars 2020

Un Divan à Tunis

   C'est l'histoire d'une psychanalyste française (parisienne) qui part s'installer dans le pays d'origine de ses parents, après la chute du régime de Ben Ali. Elle y découvre une société fragmentée, pétrie de non-dits. Elle va aussi devoir s'adapter aux usages locaux, sans rien renier sur le fond.

   Comme cette psychanalyste a les traits de Golshifteh Farahani, on a évidemment les yeux de Chimène pour l'héroïne, belle, intelligente et audacieuse. Dans la première partie, on sourit aux rencontres qu'elle fait, dans le cadre professionnel comme dans le cadre personnel.

   Du boulanger homosexuel à la patronne expansive d'un salon d'épilation, en passant par l'ancien prisonnier politique complotiste, le policier dragueur et la jeune fille voilée, on a droit à un échantillon extrêmement diversifié de la société tunisienne. S'y ajoutent un imam dépressif (et non barbu), une cousine adepte de l'islamiquement correct et des fonctionnaires ministériels paresseux, incompétents et/ou malhonnêtes.

   C'est d'ailleurs un peu trop "chargé" à mon goût, en particulier quand il est question de l'obtention de l'autorisation d'exercer. La fonctionnaire que rencontre l'héroïne mange comme une malpropre et fait preuve d'un esprit commercial assez agressif. Cela nuit à l'ambiance du film, plus réussi quand il reste sur le cocasse, la légèreté que quand il appuie le trait.

   Au sens métaphorique, pour la réalisatrice, c'est la société tunisienne en son entier qui a besoin d'une psychanalyse. Sa schizophrénie se manifeste à travers plusieurs personnages, comme l'oncle qui dissimule sa consommation d'alcool dans une canette de soda, la fille voilée qui tient surtout à ce qu'on ne remarque pas sa coupe de cheveux ratée ou l'imam délaissé qui tente maladroitement de s'implanter une marque de piété sur le front.

   Tout cela est bien vu et certains moments sont vraiment drôles. Hélas, le personnage principal n'est pas assez fouillé. On n'en apprendra guère sur l'héroïne Selma et les raisons qui l'ont réellement poussée à quitter Paris pour la Tunisie. Même la séquence du stop avec un célèbre psy (défunt) ne marche qu'à moitié. C'est dommage, parce qu'avec l'actrice dont elle disposait, Manele Labidi avait les moyens de creuser davantage son sujet.

vendredi, 13 mars 2020

Radioactive

   Sous ce titre choc se cache une biographie de Marie Curie adulte (de son arrivée en France à son décès). Derrière la caméra officie Marjane Satrapi, auteure de The Voices et surtout de Persepolis. Elle nous offre un mélange de fresque historique et de film militant (féministe), avec un arrière-plan scientifique.

   Dans le rôle de Marie Curie, Rosamund Pike est é-blou-i-ssante. Elle est crédible aussi bien en jeune femme craintive qu'en épouse mûre et en vieillarde certes affaiblie, mais diablement intelligente et lucide. La comédienne, remarquée jadis dans Gone Girl (et qui était aussi très bien dans HHhH et Hostiles) y fait montre de son talent pour ressusciter une scientifique incomparable et entêtée, une femme farouchement indépendante... et une amoureuse qui n'hésite pas à écrire qu'elle aime le sexe (avec son compagnon).

   C'est dire si le film embrasse une matière riche. L'une des premières séquences est particulièrement réussie. Il s'agit d'un spectacle de danse (celui de Loïe Fuller), auquel assistent (entre autres) la jeune Maria Sklodowska et un homme qu'elle a croisé peu de temps auparavant dans la rue : Pierre Curie. Le dialogue entre les deux héros est savoureux.

   La suite montre la progression des recherches du duo, qui finit par devenir un couple. La réalisatrice prend bien soin de montrer qu'au sein de celui-ci, la plus douée est Marie. C'était aussi une travailleuse acharnée. D'un point de vue scientifique, le film tente de rendre accessibles des notions de physique comme la radioactivité ou la réaction en chaîne. Pour le profane que je suis, c'est convaincant.

   Le plus étonnant, pour le public du XXIe siècle, est la fascination naïve que les découvertes du couple Curie vont exercer. Des commerçants se mettent à sortir des tas de produits au radium, du dentifrice à la crème pour visage... Marie elle-même n'échappe pas au fétichisme imprudent : la fiole dans laquelle elle a placé un échantillon de l'élément qu'elle a isolé pour la première fois lui sert de "doudou", accompagnant et éclairant ses nuits. A l'écran, c'est superbe...ment dangereux !

   Cela m'amène à l'autre propos du film : la mise en perspective des recherches de l'époque (Pierre et Marie n'étant pas les seuls à travailler sur l'atome). Si les apports ne sont pas cachés (en radiographie et lutte contre le cancer), il est quand même surtout question des conséquences négatives, d'Hiroshima à Tchernobyl. Même si le propos est louable, ce n'est pas (à mon avis) la partie du film la plus réussie.

   Marjane Satrapi excelle dans les portraits de femmes, ceux de Marie, de sa soeur, de sa fille aînée Irène (qui a marché sur ses traces) et de sa cadette Eve (qui s'engagea des années plus tard dans la France Libre). D'ailleurs, c'est poussée par sa fille aînée que la scientifique a fini par s'engager durant la Première Guerre mondiale. C'est un aspect moins connu de sa vie que le film a le mérite d'aborder.

   Celle qui fut détestée comme Polonaise et femme libre finit par être reconnue pour son apport à la science, au point de figurer (seule femme !) parmi l'équipe de chercheurs réunie aux conférences de Solvay. Le film nous propose une photographie datant de 1927. En voici une autre de 1911, sur laquelle figure aussi un certain Albert Einstein (avant-dernier, à droite):

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   P.S.

   Cerise sur le gâteau : ce film féministe, à l'image de son héroïne, ne reste pas dans les clous. Ainsi, lorsque Marie Curie se rend en Suède (avec Irène) pour recevoir son second prix Nobel (celui de chimie), elle déclare, dans la salle d'attente, qu'une partie du public n'a pas su séparer en elle la femme de la scientifique... une autre manière de dire qu'elle pensait qu'il fallait séparer l'homme de l'oeuvre... Bravo au dialoguiste !

jeudi, 05 décembre 2019

Chichinette, ma vie d'espionne

   Ce court documentaire (1h25) a été pour moi l'occasion de découvrir l'histoire de cet étonnant bout de femme (mesurant 1m50, selon une ancienne carte d'identité visible à l'écran), née Marthe Hoffnung à Metz juste après la Première Guerre mondiale, résistante puis espionne une vingtaine d'années plus tard.

   La première partie du film nous fait découvrir la nonagénaire entre voyages et conférences avec, en parallèle, sa "vie d'avant" (la Seconde Guerre mondiale). On fait la connaissance d'une petite fille juive, plutôt rebelle, qui n'aimait pas l'école et se destinait au métier d'infirmière. Elle est d'ailleurs tombée amoureuse d'un futur médecin.

   Le déclenchement d'un nouveau conflit avec l'Allemagne incite la famille à se replier sur Poitiers. Pour les parents de Marthe, la vie devient plus compliquée, parce qu'ils ne parlent quasiment qu'allemand, vu qu'ils ont vécu toute leur jeunesse en Lorraine annexée. Marthe elle est parfaitement bilingue, une aptitude qui va lui sauver la vie et permettre d'en sauver d'autres.

   Mais la guerre est d'abord source de douleurs, avec l'arrestation puis la déportation de la soeur aînée de notre héroïne, puis la mort de son amoureux, engagé lui aussi en résistance. Quant à Marthe, grâce à des faux papiers sur lesquels ne figure pas la mention de sa judéité, elle passe entre les gouttes.

   Si cette histoire ancienne s'avère passionnante, la vie actuelle de l'arrière-grand-mère de 96 ans (le film a été tourné en 2016) ne manque de sel non plus. Comme elle aime à le préciser, dans son couple, Chichinette a vu la relation s'inverser. Pendant toute sa vie professionnelle, elle a assisté son époux américain (médecin). Depuis que son histoire a été rendue publique, à sa retraite, c'est elle qui mène la danse, l'époux prévenant s'étant transformé en majordome de l'icône de la Résistance.

   C'est en fin de film que l'on découvre son principal fait d'armes, en Allemagne, en avril 1945. Sa maîtrise de l'allemand, son courage et son sang-froid lui ont permis de rendre de considérables services aux armées alliées qui progressaient en territoire germanique.

   C'est à la fois un vibrant morceau d'histoire et une magnifique leçon de vie.

   P.S.

   Il est regrettable qu'il ait fallu attendre si longtemps pour rendre un hommage filmé à cette courageuse française. Il est encore plus étonnant que ce long-métrage soit une production... allemande !

jeudi, 29 août 2019

La première cinéaste

   En son temps, cette Française fut la femme la mieux payée des Etats-Unis (25 000 dollars de l'époque par an !). Elle innova beaucoup dans le cinéma, tourna des centaines de films. Elle fut même décorée de la légion d'honneur et rédigea son autobiographie. Pourtant, elle a été oubliée... jusqu'à ce que le XXIe siècle ne la redécouvre. Cette femme est Alice Guy :

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   J'ai appris son existence grâce à un article d'Emmanuelle Lequeux, publié il y a quelques semaines dans Le Monde, dans le cadre d'une série d'été consacrée aux femmes artistes oubliées. Cet article est le dernier d'une série commencée en 2014 par Hélène Février pour TV5 Monde. On peut compléter par la lecture d'un billet paru l'an dernier sur le site du CNC et celle d'un récent article de Ouest France, plus centré sur la vie privée de la pionnière.

   C'est dès 1896 qu'Alice Guy a réalisé son premier court-métrage, La Fée aux choux. Aujourd'hui, il nous paraît très daté, mais ce fut le premier film de fiction. La cinéaste s'est essayée à tous les genres, recherchant aussi à chaque fois l'innovation technique. Ainsi, on est saisi par la fraîcheur de Miss Dundee et ses chiens savants (datant aussi de 1902) et de Madame a des envies (1906), dont le personnage principal est une femme enceinte qui s'autorise toutes les folies : voler la sucette d'une gamine, boire le verre d'absinthe du client d'un café, s'emparer du morceau de hareng d'un clochard et même de la cigarette d'un colporteur ! On le voit, la Française maîtrisait les saynètes avant même l'apparition des Keaton et Chaplin. (Ce film est aussi resté dans les mémoires pour son usage des plans rapprochés.)

   L'année 1906 fut décidément fructueuse pour Alice Guy. Elle réalisa ce qui est considéré par certains spécialistes comme son chef-d'oeuvre, La Naissance, la vie et la mort du Christ, qui est à la fois le premier péplum jamais tourné et un film d'une durée faramineuse pour l'époque : 35 minutes au total.

   Toujours en 1906, la réalisatrice suscita des réactions contrastées avec Les Résultats du féminisme, une fable sarcastique qui ne plut ni aux militantes féministes pures et dures ni aux misogynes. L'histoire fonctionne sur le principe du retournement des stéréotypes : les femmes sont violentes, fument et picolent, tandis que les hommes sont de petites choses dévouées aux tâches ménagères. Avec le recul de plus d'un siècle, je pense qu'on peut apprécier la charge contre la société patriarcale... et une fin "politiquement correcte" (pour l'époque), sans doute imposée par son employeur Léon Gaumont.

   J'aime aussi beaucoup Une Héroïne de quatre ans, une oeuvre parfois (comme tant d'autres) attribuée à l'un de ses collaborateurs, ici son assistant Louis Feuillade, dont elle a contribué à lancer la carrière. Dans ce flm, on découvre une gamine intrépide, qui échappe à la surveillance de la gouvernante de la famille. Elle va déjouer une agression commise à côté du jardin public où elle se promène, puis aider un vieillard à traverser un canal et enfin éviter à quelques poivrots de se faire renverser par un train. Je me demande si ce personnage n'a pas inspiré celui que Walt Disney a ensuite mis en scène dans Alice Comedies. Dans ce cas, le nom de l'héroïne pourrait être une référence aussi bien à la cinéaste française qu'au personnage de Lewis Carroll. (A ceux que cela intéresse, je signale que, cet été, France Culture a consacré une passionnante série d'émissions à celui qui fut l'un des fondateurs du dessin animé.)

   Cela nous mène tout naturellement aux liens entre Alice Guy et les Etats-Unis, où elle vécut pendant près de quinze ans d'affilée au début du XXe siècle. Elle y fonda une société de production (sur la Côte Est), devint riche et célèbre, puis perdit mari et fortune, en même temps qu'émergeaient les studios d'Hollywood, en Californie. Falling Leaves est un bon exemple d'oeuvre qu'elle a réalisée là-bas. Moins classique, A Fool and his money a la particularité de n'avoir été tourné qu'avec des acteurs noirs :

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   Sur cet épisode comme sur d'autres, les sources anglo-saxonnes nous sont précieuses : le talent d'Alice Guy est davantage reconnu outre-Altantique (où elle est d'ailleurs enterrée) que dans son pays d'origine. C'est sur un site académique états-unien qu'on lira le plus de détails sur son aventure américaine. Pour une courte biographie, on peut consulter la vidéo d'un universitaire du Nebaska. On ne s'étonnera pas non plus que ce soit une Américaine qui ait récemment tourné un documentaire sur Alice Guy. On espère que le film de Pamela Green, Be Natural : The Untold Story of Alice Guy-Blaché, va bientôt sortir sur les écrans français.

dimanche, 24 mars 2019

Frankie Drake Mysteries

   C'est une série canadienne, diffusée depuis quelques semaines sur France Ô. Les deux héroïnes (Frankie et Trudy) sont des détectives privées, qui ont monté une agence dans le Toronto des années 1920. Ce sont deux femmes libres, la trentaine, célibataires :

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   Frankie est interprétée par Lauren Lee Smith, que les amateurs de séries policières ont déjà vue dans Les Experts Las Vegas : durant la saison 9, elle jouait l'une des techniciennes de scènes de crime, Riley Adams.

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   Deux autres personnages féminins épaulent les enquêtrices : une légiste (Flo) et un agent de la police des mœurs, en uniforme (Mary).

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   Cette dernière est mon personnage préféré. Les scénaristes en ont fait une jeune femme très prude, mais d'une grande conscience professionnelle. Elle rêve de devenir une "vraie" policière. C'est aussi une ressource précieuse pour les deux enquêtrices. Je dois avouer que j'ai un faible pour l'actrice qui l'incarne (Rebecca Liddiard). On a beau l'avoir enlaidie pour le rôle, elle a un charme fou et joue très bien des expressions de son visage pour donner un aspect comique à son personnage.

   Comme Arte avec Meurtres à Sandhamn, France Télévisions offre la possibilité de (re)voir les épisodes plus d'une semaine, jusqu'au 5 avril prochain. C'est d'autant plus intéressant que la programmation de la série (inédite en France) est presque discrète, en catimini, sur une chaîne de la TNT vouée à disparaître.

   Le premier épisode permet à l'héroïne d'en savoir plus sur son passé. Ses parents sont censés être tous les deux décédés... et c'étaient des voleurs de banques et des arnaqueurs. Frankie va aller de surprise en surprise...

   Le deuxième épisode voit les héroïnes s'infiltrer dans une usine où sévirait de la propagande communiste. (Rappelons que nous sommes au début des années 1920.) C'est l'occasion de dépeindre les conditions de travail difficiles des femmes de l'époque, auxquelles pouvait s'ajouter le harcèlement sexuel.

   Le troisième épisode évolue dans les milieux de la boxe et de la spéculation immobilière. Frankie s'y montre plus transgressive que jamais. Elle côtoie, entre autres, un jeune journaliste nommé Ernest Hemingway.

   Au centre du quatrième épisode se trouve une fille de pasteur, chanteuse talentueuse et guérisseuse présumée. Nous voilà plongés dans le milieu du jazz. Le scénario pose la question du choix de leur vie par les jeunes femmes. On en apprend aussi davantage sur la famille de Trudy, l'associée noire de Frankie.

   Le cinquième épisode propulse les héroïnes dans le monde du cinéma, avec ses paillettes et ses extravagances. C'est plein de clins d'œil (notamment à Blow up, d'Antonioni) et sans complaisance pour le "septième art".

   La contrebande d'alcool est au cœur du sixième épisode, construit sous la forme de retours en arrière. Précisons que Frankie est une adepte des boissons fortes (comme le fameux "thé froid", dont je laisse à chacun le loisir de découvrir la véritable nature) et qu'elle possède un petit alambic personnel... en pleine période de prohibition.

   Enfin, vendredi dernier ont été diffusés les épisodes 7 et 8. Le septième a pour cadre Chinatown et l'immigration chinoise au Canada, avec tous les trafics qui peuvent lui être liés. Le huitième plonge l'héroïne (ravie) dans le petit monde de l'aviation... et de l'eugénisme. On y croise quelques vieilles connaissances, comme Laurence Fox :

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   Pendant une dizaine d'années, il a incarné James Hathaway, l'adjoint de l'inspecteur Lewis, dans la série du même nom (qui est dérivée d'Inspecteur Morse).

   L'autre invité de marque est un certain George Crabtree... eh oui, l'ancien adjoint de William Murdoch :

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   Son personnage a quelque peu vieilli et c'est normal, puisque l'action de Frankie Drake se déroule environ vingt ans après celle des Enquêtes de Murdoch. Cette présence n'est en rien due au hasard... et ce n'est pas la première fois qu'une connexion est établie entre les deux séries. Ainsi, en 2017, pour lancer Frankie Drake, la chaîne CBC (qui produit les deux programmes) a diffusé une mini-série, dont les six épisodes sont accessibles en ligne, en version originale uniquement. On y voit les héroïnes féminines côtoyer deux partenaires masculins pas comme les autres : l'inspecteur Watts et Brackenreid, présenté comme commissaire à la retraite :

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   L'intrigue oscille entre les années 1905 et 1921, ce qui permet de voir les personnages de la série Murdoch à deux époques de leur vie.

   J'apprécie Frankie Drake Mysteries en raison du talent des actrices, de leur charme, du piquant des dialogues, de la reconstitution d'époque, des couleurs et de la musique. Je reconnais que c'est parfois limite invraisemblable et que les scénaristes ont quelque peu gommé la ségrégation à l'œuvre à l'époque. Cela n'en reste pas moins un divertissement plaisant, dans la lignée de ce que les Australiens ont produit il y a quelques années avec Miss Fisher enquête.

vendredi, 13 juillet 2018

Hedy Lamarr : from extase to wifi

   C'est un documentaire dont j'attendais impatiemment l'arrivée à Rodez. Il est consacré à une actrice hollywoodienne qui fut célèbre en son temps et qui incarna la brune "glamour" voire la tentatrice dans des productions destinées au grand public. Par contre, on ignore en général qu'elle s'intéressait à la technologie et qu'on lui doit sans doute une invention révolutionnaire.

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   Le documentaire commence par revenir sur la jeunesse de celle qui s'appelait Hedwig Kiesler. Cette Autrichienne est née dans un milieu privilégié (son père était banquier) et, contrairement à la majorité des jeunes femmes de son époque, a bénéficié d'une assez grande liberté. La relation avec le père était forte. Celui-ci était féru d'inventions. il semble avoir communiqué sa passion à sa fille, qui s'amusait à démonter des jouets pour en comprendre le fonctionnement.

   A l'écran, on alterne les témoignages de proches, les images d'archives et les documents divers (dont une entrevue oubliée de l'actrice, devenue âgée). C'est l'occasion de (re)découvrir l'Autriche de l'Entre-deux-guerres, avant que les nazis ne mettent la main dessus. Au départ, la jeune femme, issue d'une famille juive convertie au catholicisme, ne voit pas le danger. Elle continue à fréquenter les élites... mais va vite comprendre qu'il vaut mieux prendre le large.

   Sa carrière cinématographique commence en Autriche, sous le parfum du scandale. Extase est le titre d'un film où, encore mineure, elle apparaît nue et simule un orgasme. Scandale dans le pays et dans sa famille... et même ailleurs puisque, lorsque la jeune femme faits ses débuts aux Etats-Unis, on lui impose de jouer vêtue...

   On comprend assez vite que le joli minois cache un caractère d'acier. (Elle se qualifiait d'enfant terrible, en français dans le texte.) Bien que d'une grande beauté, l'actrice a dû provoquer la chance pour s'imposer... et se faire payer correctement par la production (la MGM, tenue Louis Mayer). La suite nous raconte donc le succès de l'actrice, ainsi que ses déboires sentimentaux.

   La Seconde guerre mondiale conduit la vedette autrichienne pas encore naturalisée américaine à soutenir le moral des troupes yankees... et à réfléchir à une technique de guidage des torpilles ! C'est pour moi la principale révélation de ce documentaire. Même si l'actrice s'est appuyée sur le travail d'un musicien ingénieux, il est incontestable qu'elle a eu l'intuition du système de "saut de fréquence", qui, aujourd'hui encore, sert de base aux télécommunications modernes. A l'époque, le projet de l'actrice est traité par le dédain. Elle a pourtant déposé un brevet, qui ne lui a finalement rien rapporté...

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   La troisième partie est moins gaie. Elle montre le déclin de l'artiste, les difficultés de sa vie personnelle... et les dégâts de la chirurgie esthétique, dont elle fut l'une des premières utilisatrices. Au début, c'était discret, mais, à la fin, c'était horrible. J'ai pensé à Elizabeth Taylor, de la génération suivante, mais qui a connu une évolution assez proche.

   Le film est un bel hommage à une femme ravissante et intelligente, qui a voulu vivre libre dans un monde de machos. Ce n'est pas un hasard s'il sort en 2018, produit par l'actrice Susan Sarandon.

lundi, 30 octobre 2017

Numéro Une

   Emmanuelle Devos a été longtemps considérée comme "une actrice Desplechin". Heureusement pour elle, elle est bien plus que cela. C'est sous la direction d'autres metteurs en scène qu'elle a joué ses plus beaux rôles, dans Sur mes lèvres (de Jacques Audiard), Ceux qui restent (d'Anne Le Ny), Le Fils de l'autre (de Lorraine Lévy) et, plus récemment Moka (de Frédéric Mermoud).

   Ici, Tonie Marshall lui a confié le personnage d'Emmanuelle Blachey, une cadre supérieure d'une entreprise du secteur de l'énergie (qu'elle contribue à développer dans le secteur des éoliennes), à laquelle on va suggérer de viser plus haut et de briguer le poste de PDG d'une très grosse boîte, Anthéa (un décalque d'Engie ou de Vivendi).

   Son style comme son parcours ne sont pas sans rappeler ceux d'Anne Lauvergeon (ancienne PDG d'Areva), même si le film s'ingénie à brouiller les pistes. L'histoire n'est pas inspirée de la vie d'une seule femme. Les témoignages de plusieurs dirigeantes ont été mis à contribution. L'écriture du scénario a aussi bénéficié du renfort d'une journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué, qui connaît bien les arcanes du pouvoir parisien.

   C'est d'ailleurs à proximité de celui-ci que se déroule la majeure partie de l'action, que ce soit dans de luxueux immeubles de la capitale ou dans l'une des tours du quartier de la Défense, dont la terrasse constitue le dernier refuge des fumeurs (les cadres sup, la valetaille allant s'en griller une sur l'esplanade, en bas)... et un lieu où s'isoler du reste du monde. De temps à autre, on voit qu'Emmanuelle est un peu seule, comme lorsqu'elle attend ses collègues, dans la salle de réunion où elle est arrivée la première (toujours se montrer meilleure que les autres...) et où elle a le temps d'observer la collection de photographies représentant les cadres dirigeants, tous masculins...

   C'est filmé avec soin. L'image est propre, bien léchée, même quand ce qu'elle montre est dégueulasse. C'est un peu à l'image de ce milieu, où les apparences brillantes cachent des appétits sordides... et des manoeuvres plus ou moins légales. C'est que la désignation du nouveau PDG d'Anthéa fait l'objet d'une intense lutte d'influence, dans laquelle (presque) tous les coups sont permis. Les principaux adversaires d'Emmanuelle sont incarnés par Richard Berry et Benjamin Biolay, un beau duo d'enfoirés !

   Le film met aussi en valeur la vie intime de l'héroïne. Elle doit gérer l'éducation des enfants, la maladie de son père (un ancien prof de philo de gauche que le CAC 40 ne fait pas vibrer...), sa relation avec son compagnon avocat d'affaires... et ses propres interrogations, comme celles suscitées par la mort d'une inconnue, sur une plage de Deauville. L'ingénieure férue de mandarin, habituée à évoluer dans un monde d'hommes, n'est au départ pas particulièrement féministe. Une série de rencontres (des femmes de pouvoir aux employées d'un chantier de construction d'éoliennes) va la faire changer d'avis.