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samedi, 28 septembre 2024

Week-end à Taipei

   La bande-annonce présente un film d'action mâtiné de comédie... et elle n'est pas mensongère. Mais le début nous propose un peu plus, puisqu'on y découvre l'héroïne dans un décalque de l'introduction de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany's). Gwei Lun Mei fait une Audrey Hepburn contemporaine très convaincante. Elle porte à merveille une robe de soirée qui ne permet pas d'ignorer combien elle est bien gaulée... et elle se révèle redoutable au volant d'un bolide. Comme la Holly de Blake Edwards, Joey a dû faire des concessions pour survivre dans un monde de brutes... et pour protéger son fils.

   Celui-ci a été élevé (en partie) par un truand, le redoutable Kwang, devenu milliardaire par des moyens que la décence m'interdit de détailler. Il est (très bien) interprété par Sung Kang, dans lequel nombre de spectateurs des salles obscures reconnaîtront l'un des protagonistes de la franchise Fast & Furious. (Mais, ici, ce n'est pas lui le prodige du pilotage, c'est sa meuf.)

   Toutefois, l'enfant n'est pas de lui, mais d'un ancien policier infiltré, retourné aux États-Unis. On découvre très rapidement Luke Evans dans ses œuvres, dans un restaurant où, à l'aide de divers instruments de cuisine, il fait feu de tout bois lorsque débarque une bande de trafiquants. Cela donne une séquence virtuose, avec des combats chorégraphiés avec soin... et une bonne dose d'humour. (Aux manettes se trouve George Huang, révélé jadis par Swimming with sharks.)

   Les deux anciens tourtereaux ne le savent pas mais, sans le vouloir, un troisième protagoniste va provoquer leur rapprochement. John Lawlor est donc de retour à Taïwan, où il se découvre un fils. A partir de ce moment-là, même si l'action et les cascades restent de mise, le vaudeville prend parfois le dessus. C'est plus ou moins réussi. Gwen Lun Mei est très bien en mère à la fois aimante et autoritaire, mais Evans est moins convaincant en apprenti papounet. Je note que le gamin est un adolescent moins caricatural que ce que l'on trouve dans quantité de fictions aussi bien françaises qu'américaines : on n'a pas systématiquement envie de lui coller une paire de gifles.

   Le reste de l'histoire est enlevé, avec des poursuites en bagnole, des bastons, des cascades. La musique est chouette, avec notamment une réorchestration du Paint it Black des Stones. (Il me semble avoir aussi reconnu l'air de Moon River, issu de Diamants sur canapé.) J'ai passé un agréable moment... et le film ne dure qu'1h35. C'est un bon divertissement de début de soirée.

11:45 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

jeudi, 26 septembre 2024

Le Léopard des neiges

   Le titre de cette fiction onirique fait immanquablement penser au fantastique documentaire de Marie Amiguet, Vincent Munier et Sylvain Tesson, La Panthère des neiges. D'ailleurs, les deux noms désignent le même animal. Mais le projet du cinéaste tibétain n'est pas celui des Français.

   Au fin fond du Tibet chinois, des éleveurs (de yaks, de moutons ou de bharals) se plaignent des dégâts occasionnés par les léopards des neiges, plus précisément par une léoparde, qui se déplace avec son petit. Poussée par la faim, elle a réussi à pénétrer dans un enclos, où elle a provoqué la mort de « neuf béliers castrés bien gras », comme ne cesse de le répéter un éleveur local, très en colère et bigrement têtu.

   Il est rejoint par une équipe de tournage, qui s'adjoint les services d'un moine bouddhiste, lui-même fils d'éleveur et surnommé « le moine léopard des neiges », tant il paraît entretenir une sorte de lien mystique avec cette force de la nature. (Un peu plus tard, on découvre dans quelles circonstances est né ce lien.)

   Le début n'est pas très engageant. Les plans fixes des occupants d'un véhicule tout-terrain ne sont guère emballants, leur conversation n'ayant de surcroît aucun intérêt particulier. En revanche, dès qu'on arrive chez l'éleveur, cela devient prenant.

   Celui-ci maintient prisonnière la léoparde gloutonne, très calme depuis qu'elle est repue. Il menace de zigouiller cet animal protégé (au niveau national et international). On comprend assez vite qu'il veut être indemnisé pour la perte de ses béliers, qu'il estime de grande valeur. Les employés de l'Office de la faune sauvage ne sont guère compatissants... et finissent par en appeler aux forces de l'ordre. On est parfois proche du vaudeville rural.

   Cependant, tout cela manque un peu de réalisme. La léoparde est une (magnifique) création numérique. On peut en distinguer quelques défauts en la comparant avec les animaux réels figurant dans des extraits documentaires visionnés par les personnages installés dans le domicile du paysan (qui n'ose se montrer trop exigeant avec les cinéastes venus de la ville). On peut en voire d'autres ici.

   Et puis, petit à petit, on se rend compte que cette "histoire naturelle", à fond social, est passée à la moulinette de la propagande chinoise. En effet, l'action se déroule dans le Tibet historique, mais dans une région (le Qinghai) qui a été détachée de celle officiellement reconnue (par Pékin) comme le Tibet.

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   Cette périphérie est en voie de sinisation forcée, ce à quoi fait allusion un détail du dialogue du début, dans la voiture : un Tibétain s'y montre enjoué à l'idée d'apprendre le mandarin...

   La suite est du même tonneau. Les fonctionnaires du régime communiste sont présentés comme soucieux de (faire) respecter les règlements et, quand ils menacent de sévir, c'est en prenant des gants. Même le chef de la police locale, qui finit par arriver sur les lieux, se montre (relativement) à l'écoute des éleveurs tibétains, parfois très remontés contre la politique de protection des léopards. A ce sujet, je relève que le film insiste lourdement sur le fait que ce soit l’État chinois qui protège cette espèce, le niveau international n'étant évoqué qu'à une reprise...

   Au-delà de la propagande politique, il reste des scènes inspirantes, comme celles tournées en caméra subjective, censées nous mettre dans la peau des léopards. C'est assez bien foutu, même si l'ensemble du film m'est apparu bancal.

19:17 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

dimanche, 18 août 2024

City of Darkness

   Cette "cité de l'obscurité" (au sens littéral comme au sens figuré) est un quartier de la mégapole hongkongaise. Celle-ci a la forme d'un petit archipel, la péninsule de Kowloon se trouvant sur la partie continentale, au sud de Shenzhen.

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   On y trouvait (jusqu'aux années 1990) un gigantesque bidonville, étalé (en hauteur) sur une quinzaine d'étages. Le contrôle de cette "citadelle" (et des trafics qui y prospéraient, en toute impunité) fut l'objet de la rivalité entre deux bandes, l'une finissant par triompher de l'autre, des années auparavant. Dans le même temps, un autre gang a mis la main sur le reste de la ville chinoise.

   Deux trames historiques s'entremêlent donc dans ce film. A l'arrière-plan se trouve l'époque de lutte pour le contrôle de la citadelle, dans les années 1950. La majorité de l'action se déroule toutefois à la fin des années 1980, à une époque où l'on comprend que la présence britannique va tôt ou tard prendre fin. L'autonomie dont jouit la citadelle est du coup menacée.

   Celle-ci est un véritable personnage de l'histoire, pas uniquement un (vertigineux) décor. C'est à la fois un labyrinthe (pour qui n'en connaît pas la géographie), un lieu de vie, de mort, de chaleur humaine... et une verrue urbaine, marquée par le manque de lumière naturelle et une grande insalubrité.

   Soi Cheang (auquel on doit aussi le surestimé Limbo) réussit à rendre crédible sa reconstitution du quartier détruit. Il en tire très bien parti dans la construction de son film.

   Mais ce n'est pas forcément cet aspect qui va marquer les spectateurs. A l'écran, on est surtout frappé par la virtuosité des scènes de combat, que ce soient les anciennes (se déroulant trente ans auparavant) ou les nouvelles (celles des années 1980). Des jeunes voyous aux chefs de triade, ça castagne sec. On résout ses problèmes à coups de poings, de pieds... éventuellement de couteaux. Ce n'est qu'à l'ultime fin que l'on voit débarquer des armes à feu, entre les mains de personnages montrés comme foncièrement déloyaux.

   Dans ce monde en apparence sans foi ni loi, il existe pourtant des règles, dont va profiter un jeune réfugié (sans doute venu de Chine communiste). Il s'embrouille d'abord avec la triade de "Mr Big", avant d'atterrir dans la citadelle, "sécurisée" par les troupes de "Cyclone"... qui, étonnamment, va prendre le jeune homme sous son aile.

   Pour celui qu'on surnomme dans un premier temps "crâne d’œuf", l'existence au sein du bidonville représente une renaissance. Il y recouvre ses forces, trouve du travail, réussissant à mettre de l'argent de côté... et se fait même des amis, le patron des voyous incarnant une figure paternelle de substitution. Tous ces aspects sont bien mis en scène, tout comme la description de la vie quotidienne des habitants de la citadelle, majoritairement commerçants et artisans (avec leurs employés, plus ou moins bien traités). Cela donne au film une épaisseur sociale inattendue.

   Le passé finit par ressurgir et les bastons reprennent, encore plus sanglantes qu'au début. Certes, c'est remarquablement chorégraphié, filmé, monté... mais, au bout d'un moment, on tombe dans l'exagération, la vraisemblance ayant visiblement sombré dans les égouts de la cité. C'est un peu le retour de l'effet Chevaliers du Zodiaque, manga dans lequel, à de fréquentes reprises, les héros frôlaient la mort, se vidaient de leur sang, avant de finalement administrer une raclée au super-méchant qui semblait invincible auparavant.

   Ceci dit, dans ce film-ci, les défauts sont nettement moins présents que dans Limbo. C'est plus rigoureux, plus riche aussi sur le plan scénaristique... et toujours splendide sur le plan visuel.

15:46 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

lundi, 12 août 2024

Petit Panda en Afrique

   Comptant peut-être profiter du succès du Kung Fu Panda de DreamWorks (dont le quatrième volet est sorti au printemps dernier), cette coproduction internationale nous transporte entre Chine et Afrique australe.

   Le début de l'intrigue se déroule dans le "pays du milieu", dans un village de pandas pelucheux qui cohabitent avec... des dragons. Ceux-ci ne mettent pas le feu au village, mais contribuent à faire tomber la pluie. L'ambiance est donc un mélange de réalisme (les pandas représentant des "Chinois moyens") et de féérie, le tout sur fond de musique traditionnelle asiatique.

   On suit davantage les enfants que les adultes (signe que le film s'adresse davantage aux premiers qu'aux seconds). Il est question d'amitié mais aussi d'acquisition de maturité... et de courage, le petit panda partant à la recherche de son amie dragonne, qui se fait enlever.

   La séquence du trajet, sur le bateau d'un babouin commerçant, est plutôt réussie, aussi bien visuellement qu'au plan de l'humour.

   Pendant ce temps-là, en Afrique, on découvre un royaume fonctionnant sur le principe d'une régence : le couple de souverains lions est mort, d'une manière pas totalement claire. L'héritier du trône, un lionceau immature et capricieux, gouverne sous la férule de son oncle, redouté par tous les habitants de la savane... y compris les hyènes, réfugiées dans la forêt voisine et en conflit avec le royaume des lions. L'idée d'enlever un petit dragon vient du régent, qui a des projets en tête...

   C'est donc une histoire d'amitié, de courage et d'ambition, assez classique. On apprend aux jeunes qu'il faut aider un(e) ami(e) dans le besoin et qu'il ne faut pas se décourager devant les épreuves de la vie. Le scénario privilégie aussi la négociation à la violence pour résoudre les conflits.

   De belles valeurs sont mises en avant, appuyées par une animation assez réussie, en particulier les pandas et les hyènes, celles-ci très mignonnes et, une fois n'est pas coutume, présentées de manière sympathique. Ce n'est toutefois pas aussi brillant que les productions Pixar ou DreamWorks. Un œil avisé pourra distinguer, ici ou là, quelques défauts dans les mouvements ou les décors, mais c'est globalement du bon boulot. Je regrette quand même la quasi-absence de double niveau de lecture. Si les enfants aiment le film (qui apprendra aux tout-petits à reconnaître certains animaux), les adultes risquent d'un peu s'ennuyer.

 

   P.S.

   Le fond de l'histoire n'est pas tout à fait innocent. C'est grâce à des animaux chinois (un panda et une dragonne) que les peuples africains en conflit (ici principalement les lions et les hyènes) vont apprendre à cohabiter pacifiquement. On pourrait être tenté d'y voir une justification de la présence chinoise en Afrique, de plus en plus importante ces dernières années.

12:19 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

vendredi, 12 juillet 2024

Only the river flows

   Ce titre anglais cache une œuvre chinoise, un polar un peu poisseux, dont l'action se déroule milieu-fin des années 1980, dans le sud du pays.

   Un jour, sur les rives d'un fleuve, un gamin découvre le cadavre d'une femme. Les habitants du coin soupçonnent très vite un vagabond un peu fou. Mais d'autres suspects font progressivement leur apparition, comme le cadre (marié... et infidèle) d'une usine voisine, une comptable... et un coiffeur, fiché comme délinquant sexuel. Des questions se posent aussi à propos d'une grande femme brune, aux cheveux longs et bouclés, qui a été aperçue dans les parages.

   La collecte d'indices se révèle difficile, les fréquentes averses orageuses compliquant le travail des enquêteurs. Ceux-ci sont membres d'une brigade qui se veut "politiquement correcte" à la chinoise (communiste) : on travaille en groupe, pour le bien de la collectivité... même s'il n'est pas mauvais, de temps à autre, de se mettre en avant. Pour rester en forme, le commissaire recommande la pratique du ping pong... et ferme les yeux sur la consommation excessive de tabac par ses subordonnés. Il finit par mettre de plus en plus la pression à son équipe, parce que de nouveaux meurtres, visiblement liés au premier, sont commis...

   Le début fait furieusement penser à Memories of Murder, ainsi qu'aux films qu'il a sans doute inspirés, en Asie orientale : The Strangers (autre production sud-coréenne) et les chinois Limbo et Une Pluie sans fin.

   Si, pour moi, aucune de ces copies n'atteint la puissance de l'original, ici, on comprend assez vite qu'on a affaire à un réalisateur de talent (Shujun Wei). Le cadrage, l'éclairage, les décors nous plongent presque immédiatement dans cette ambiance noire que j'aime tant au cinéma. Les acteurs n'en font pas des caisses, ce qui est appréciable dans une production d'Asie orientale.

   Le principal enquêteur ne porte pas d'uniforme, contrairement à la plupart de ses collègues. Vêtu d'un blouson de cuir et coiffé comme un Occidental, Ma Zhe est un flic méthodique, très investi dans son travail, au point de négliger un peu sa ravissante épouse, tombée enceinte. Sans trop de surprise là, les problèmes de couple vont rejaillir sur le travail du policier. Ce n'est pas la meilleure partie du film.

   En revanche, la manière dont l'enquête progresse, par petites touches, avec des avancées et des reculs, est passionnante à suivre. Il convient d'être attentif, parce que tout n'est pas dit dans les dialogues... et que l'un des personnages commence à faire des cauchemars, puis à avoir des visions. Tout ce qui nous est montré à l'écran n'est pas forcément réel.

   Même si j'ai été un peu déçu par la résolution de l'énigme, j'ai trouvé ce film assez puissant et fort divertissant.

22:43 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

samedi, 30 mars 2024

Kung Fu Panda IV

   Il aura fallu huit ans pour que DreamWorks sorte la suite des aventures de Po (que, pour ma part, j'avais abandonnées après le premier volet, sans que je me souvienne pourquoi, puisque j'avais plutôt apprécié).

   Graphiquement, c'est réussi. On sent qu'entre 2008 et 2024 la technologie a progressé. Les mouvements des personnages sont spectaculaires, les couleurs chatoyantes et la texture des pelages très bien rendue.

   Durant la grosse heure et demi que durent les aventures de Po, on ne s'ennuie pas. On rit souvent même, et ce, dès le début, grâce à l'insertion visuelle des voix intérieures du "guerrier dragon". La très bonne idée des auteurs de ce volet est l'introduction du personnage de Zhen, une renarde à la queue très touffue... assez virtuose dans son genre. (Dans la VF, elle est doublée par Olivia Dalric.) Sa rencontre avec le héros ne manque pas de piquant.

   La suite est tout aussi savoureuse, avec le passage par un restaurant particulièrement louche (inspiré sans doute des tavernes de pirates des films de jadis)... et un bateau piloté par un Pélican (sorte de vieux loup de mer). J'ai aussi beaucoup apprécié l'arrivée du duo à Hong Kong Junivers City, avec une trépidante poursuite "taurine" à la clé. Mais le meilleur moment est sans doute quand les personnages débarquent dans le monde souterrain, cette ville sous la ville où tout semble exacerbé.

   Le scénario est suffisamment élaboré pour retenir l'attention des adultes, assez facile à suivre pour des enfants pas trop petits. (Dans la salle où je me trouvais, les 5-6 ans ont ri aux gags du début, avant de lâcher prise... parfois à côté de parents hors du coup... ou peut-être simplement captivés par ce qu'ils voyaient à l'écran.) Le personnage de la méchante Caméléone est bien choisi, vraiment diabolique. De surcroît, l'intrigue véhicule des valeurs positives : l'amitié, l'entraide, l'altruisme... et la gourmandise !

   Mon principal regret est la quasi-absence des acolytes de Po, les Cinq Cyclones, dont la fin du film sous-entend qu'ils seront sans doute de retour dans le prochain épisode.

20:27 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

jeudi, 22 février 2024

Le Royaume des abysses

   Cette animation chinoise (que j'ai pu voir, au cinéma de Rodez, en mandarin sous-titré... trop la classe !) puise à de multiples inspirations : chinoises bien sûr, mais aussi japonaises et françaises (les œuvres de Jules Verne).

   Dès l'introduction, on sent la volonté de se calquer sur le modèle japonais qui a réussi : le studio Ghibli. En effet, sur l'un des cartons qui précède le début de l'histoire, on peut voir dessiné un rongeur, emblème de la maison de production chinoise. La conception de l'image rappelle le logo du studio japonais, qui introduit les films d'Hayao Miyazaki.

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   On est rapidement saisi par la qualité de l'animation, la profusion de couleurs, la fluidité des mouvements. Clairement, ce film marque l'arrivée des studios chinois dans la cour des grands. Ils ont désormais les moyens techniques de rivaliser avec Disney-Pixar, DreamsWorks et leurs concurrents japonais (entre autres). Toutefois, à la longue, cette richesse visuelle devient fatigante. Elle n'est pas toujours utilisée à bon escient, selon moi. Ceci dit, sur un très grand écran, c'est très plaisant à voir.

   L'intrigue joue sur un double niveau de lecture. On commence par suivre une famille de classe moyenne, avec deux enfants. On comprend assez vite qu'après départ de sa première épouse, le père de l'héroïne s'est remarié... et vient d'avoir un garçon avec sa nouvelle compagne. Le gamin devient le "petit empereur" de la famille recomposée. La fille aînée, Shenxiu, se sent délaissée, d'autant que sa mère biologique semble avoir coupé les ponts avec sa vie d'avant. La pré-ado est en pleine dépression, ce que presque personne dans son entourage ne remarque. Elle voudrait retrouver sa vie d'avant, surtout la relation forte qu'elle entretenait avec sa mère (qu'elle appelle "Mama" dans la version originale). Une sorte de berceuse sert de leitmotiv à cette relation. C'est je crois une composition d'origine occidentale (au violoncelle), peut-être du Beethoven (ou du Schumann). Au cours d'une croisière, elle se retrouve perdue dans l'océan, où elle pense retrouver sa mère, par l'intermédiaire de créatures fabuleuses. Et c'est parti pour de trépidantes aventures.

   C'est agité, avec de l'humour et un fond de cafard. Shenxiu rencontre un chef restaurateur, capitaine d'un bateau-restaurant amphibie, où le personnel comme les clients sont des animaux aux comportements humains. C'est l'occasion pour le cinéaste de se moquer quelque peu de l'attitude des riches Chinois en vacances (réputés pour leur sang-gêne... un peu comme les Français d'ailleurs). Ils sont représentés comme arrogants, obèses, grossiers... Le chef, quant à lui, utilise ses talents culinaires pour s'enrichir, quitte à profiter indûment des créatures de la mer.

   Deux d'entre elles attirent l'attention : une sorte de poulpe protéiforme, qui se prend d'amitié pour l'héroïne, et le fantôme rouge qui, quand il surgit, se révèle particulièrement menaçant.

   Au bout d'1h30, je commençais à me lasser de la débauche d'effets et d'une petite tendance larmoyante quand s'est produit un coup de théâtre, un twist qui a redonné à tout ce qui précède une saveur supplémentaire. Certes, la fin est un peu trop explicative, jusqu'au générique qui contient des scènes ultérieures, sans doute pour rassurer  le public auquel cette histoire un peu sombre aurait fichu le bourdon. (Allez, je vous le dis : ça se termine bien.)

   Je pense malgré tout que ce Tang Xiaopeng est un réalisateur à suivre.

00:14 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

vendredi, 01 décembre 2023

Testament

   Quatre ans après avoir clôturé sa trilogie autobiographico-sociétale (avec La Chute de l'empire américain), le Québécois Denys Arcand revient avec une comédie sociétale acide, que la critique bien-pensante (notamment celle du Monde) a détesté. Essayons de comprendre pourquoi.

   L'histoire a pour cadre un EHPAD une maison de retraite des aînés, dont la cuisine propose quantité de menus adaptés à toutes les allergies, tous les (dé)goûts, toutes les fulgurances à la mode. C'est un établissement plutôt haut-de-gamme, dont les résidents vivent dans des appartements privés. Le narrateur Jean-Michel est l'un de ces résidents, documentaliste à la retraite, septuagénaire du genre anar, libertaire, qui pose un regard goguenard sur son époque. (C'est évidemment un double du réalisateur.)

   L'une des rares fois où on le suit hors de sa résidence, il assiste à une remise de prix littéraires, dont il est le seul lauréat masculin, les récompenses étant quasi monopolisées par des femmes. Celles-ci sont censées représenter toutes les "catégories" à valoriser, puisqu'on rencontre une lesbienne, une Afro-américaine, une obèse, une musulmane (intégriste)... Bref, on nage en plein politiquement correct, à la sauce multiculturelle. Ce n'est pas leur talent littéraire que l'on a primé, mais le fait que les auteures appartiennent à telle ou telle catégorie de "personnes opprimées". La satire n'est pas d'une grande finesse, mais elle est diablement efficace : dans la salle, le public (majoritairement féminin) riait de bon cœur.

   L'hospice (comme il est appelé à une reprise, par une personne qui ne manie pas la langue de bois) n'est pas sans mystères. Ainsi, on se demande ce que peut bien faire Jean-Michel chaque semaine, pendant  une heure, lorsqu'il reçoit une sculpturale beauté blonde. On se dit aussi que l'apparence rigide de la directrice doit cacher quelques lourds secrets... et l'on se demande bien pourquoi la fresque qui orne la salle de musique de l'établissement suscite une telle polémique.

   Elle devient l'objet de la colère d'un groupe de jeunes activistes, qui prétendent représenter les "nations premières" du pays... alors qu'aucun d'entre eux n'en fait partie. Leur langage comme leurs manifestations sont rodés. Ce sont des habitués de l'agitprop, des enfants de la classe moyenne, inscrits à l'université, mais qui passent plus de temps à manifester qu'à étudier. Le portrait qui en est brossé par Arcand pourrait sembler exagéré mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de croiser certains individus de cette espèce (en France), je n'ai pas eu l'impression qu'il grossissait le trait.

   Si le film se limitait à cette distrayante satire, il pourrait sembler anecdotique (bien que nécessaire, à une époque où de nouveaux curés de la pensée tentent d'imposer leurs interdits). Fort heureusement, Arcand y a aussi instillé de la tendresse, celle qui existe, de manière surprenante, entre le héros et sa "visiteuse", celle qui naît, de manière tout aussi étonnante, entre la directrice et le pensionnaire. Commence alors une autre histoire, celle d'une réconciliation familiale et du début d'une nouvelle vie, malgré l'âge avancé.

   Le cinéaste n'oublie cependant pas son projet initial. La troisième partie est le théâtre d'un délicieux retournement, au cours duquel on voit notamment une députée progressiste défendre avec la même conviction que dans la première partie une position presque antagoniste à la précédente... Bravo à la comédienne !

   Le film se conclut sur un triple clin d’œil. Le premier concerne le héros et sa nouvelle vie, qui a des conséquences sur ses opinions. Le second est une vision futuriste, qui ne manque pas de saveur. Le troisième est constitué par la chanson finale, qui renvoie de manière ironique à un dialogue du film.

   Je suis sorti de là d'excellente humeur !

samedi, 15 juillet 2023

Limbo

   Dans une métropole d'Asie orientale, des crimes horribles sont commis contre des jeunes femmes. La traque est menée par un duo de policiers mal assortis : un jeune, rigoureux, adepte de méthodes "à l'américaine" et un plus âgé, plus expérimenté, plus tourmenté... et moins scrupuleux vis-à-vis du règlement...

   ... Cela ne vous rappelle rien ? Mais si, bien sûr ! Memories of murder, de Joon-Ho Bong (récompensé par la suite pour Parasite). Ce petit bijou de polar en a déjà inspiré d'autres, coréens comme The Strangers, chinois comme Une Pluie sans fin.

   Là aussi on s'en mange, de la pluie. Au début, au milieu, à la fin, par dessus, par dessous, quand y a meurtre, quand y a pas meurtre... ce qui ne facilite pas la tâche des enquêteurs, qui ne pensent jamais à se munir de parapluie (ni à se servir d'un objet de substitution pour se préserver de l'eau). Ils en sont encore à présenter des photographies d'identification sur papier (alors que les spectateurs des scènes de crime filment tout sur smartphone)... Bref, on se fout un peu de notre gueule.

   Je reconnais toutefois que c'est plutôt bien filmé, très bien photographié... mais pas très bien joué/dirigé. Trop d'emphase, de clichés, de cris, de pleurnicheries. La crasse, la dégueulasserie, ça ne me dérange pas... même si personne en Chine, encore moins à Hongkong, n'imagine des quartiers de la ville aussi sales. (Cela a été exagéré pour le film.) Les acteurs ont tendance à en faire des caisses, avec cependant la prestation de Yase Liu à sauver. Vu ce qu'on lui demande de faire, la jeune actrice fournit de louables efforts et contribue à rendre l'intrigue intéressante à suivre.

   Mais, trop souvent, un problème de vraisemblance se pose. Cela commence par ces femmes sans-abri qui toutes ont une dentition exceptionnelle. Cela continue avec des coïncidences qui n'en sont pas (mais dont le réalisateur a besoin pour tenter de mener son histoire à son terme). Il y a surtout ce tueur insubmersible, capable de défoncer deux flics vigoureux, alors qu'il s'est déjà pris un tournevis dans le poumon gauche, un éclat de verre dans le bide et un autre dans le dos. Je ne vous parle même pas des coups qu'il a reçus...

   Cela donne un film pas indigne, pas désagréable à regarder, mais qui a été un poil survendu et finit par devenir agaçant.

21:20 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

lundi, 21 février 2022

H6

   C'est le nom de code du sixième hôpital de Shanghai, où ce documentaire franco-chinois a été tourné (avant la pandémie de covid). En un peu moins de deux heures, la réalisatrice Ye Ye ambitionne de nous faire découvrir le travail des professions médicales, la vie quotidienne des malades et le rôle joué par les proches, au sein d'un véritable hôpital-usine.

   Si la mise en scène ne va pas jusqu'à en présenter le gigantisme ni le dédale des couloirs, il ne faut pas longtemps aux spectateurs pour comprendre l'importance de la machinerie médicale. À cet égard, certaines scènes sont particulièrement éclairantes, comme celle montrant la préparation des poches de soin ou celle illustrant la confection des repas. C'est un travail à la chaîne que la direction de l'hôpital a voulu rendre aussi rigoureux (et sanitairement correct) que possible...

   Le documentaire démarre pourtant sur un sacré contraste, qui va guider l'ensemble du film : l'opposition entre la Chine rurale, peu (pas) touchée par la modernité et le cœur de la mégapole, dont les habitants, habitués à évoluer dans un métro ultramoderne, ont le plus souvent les yeux rivés sur l'écran de leur smartphone.

   C'est ainsi que l'on découvre certains patients et leur famille. Dans le groupe filmé, il ne semble pas y avoir de très riches (qui vont sans doute se faire soigner dans des établissements plus sélectifs), mais la classe moyenne et les pauvres. On arrive facilement à les distinguer à l'aide de leurs téléphones et de leurs vêtements. Certains d'entre eux ignorent la caméra, d'autres semblent la fuir, tandis que quelques-uns jouent visiblement avec elle.

   Qu'est-ce qui surprendra les spectateurs français ? La faible amplitude de l'horaire des visites, le petit nombre de visiteurs autorisés, l'aspect "usine" de l'accueil aux urgences... et le fait que les membres des familles couchent sur place ! Nombre d'entre eux viennent avec un siège pliant, un sac rempli d'affaires et de la nourriture. La nuit, ils sont autorisés à occuper les couloirs, mais, le jour, il faut libérer la place, tout en espérant obtenir un "ticket d'entrée" pour les visites.

    Il convient aussi d'avoir de l'argent liquide avec soi, pour s'offrir des à-côtés... mais, surtout, pour améliorer l'ordinaire des patients. Si l'accueil aux urgences et les soins de base sont gratuits, tout le reste est payant, du coiffeur à l'opération chirurgicale, en passant par le service supplémentaire des aides-soignantes.

   Celles-ci constituent l'un des corps de métiers de l'établissement. On voit très peu les administratifs, à peine plus les infirmières. Le documentaire est concentré sur les médecins et l'une des aides-soignantes, que l'on met un petit moment à identifier comme telle : la plupart du temps, elle ne porte pas de blouse... mais, durant ses pauses, elle surveille les cours de la bourse sur son téléphone dernier cri !

   Une conclusion s'impose : le système de santé chinois semble moins "socialiste" que le français. Pour obtenir une opération cruciale, il faut payer un important supplément, ce qui conduit les patients les plus pauvres à s'endetter, voire à se ruiner. On suit plus particulièrement le cas de ce paysan, tombé d'un arbre un jour de congé, pas pris en charge par l'assurance de base. Il survit péniblement. Les médecins et les membres de la famille engagent une discussion pénible sur la nécessité et faisabilité (financière) de l'opération.

   D'autres cas sont tout aussi tragiques. Il y a cette petite fille qui, alors qu'elle jouait à proximité de l'étal de son père commerçant (après avoir échappé à la surveillance de sa grand-mère), s'est fait renverser par un bus. La compagnie d'autocars rechigne à payer et la famille n'a pas les moyens d'assumer l'intégralité des soins... Une autre gamine a eu un accident de voiture en compagnie de sa mère. Elle n'a aucune nouvelle de celle-ci. Le père est omniprésent à l'hôpital. Quand il n'a pas de ticket de visite, il reste à proximité et chante (très fort) pour donner du courage à sa fille. J'ai aussi été ému par ce couple âgé, l'homme venant le plus souvent possible apporter du réconfort à sa compagne en phase terminale, dans un mouroir dortoir de soins où n'existe aucune intimité. Il y a aussi l'un des fils rouges de l'histoire, un homme boiteux, mal habillé, pas du tout à l'aise dans la grande ville, où il est invisible à la plupart des regards. On apprend son histoire dans la dernière parti du film.

   J'ai gardé pour la fin le portrait de ce médecin hors-norme, qui fait son jogging tous les matins. Très âgé, il n'opère plus, mais joue le rôle d'une sorte de rebouteux. Il s'occupe de cas délicats, ceux de patients que l'hôpital n'a pas envie d'opérer parce qu'ils sont pauvres, et auxquels on propose des soins de seconde catégorie, qui vont certes éviter le pire mais, la plupart du temps, les laisser avec des séquelles durables. À l'image des rares infirmières que l'on entend parler, il demande aux patients d'accepter leur situation, de faire preuve de courage face à l'adversité... et surtout de se résigner. Cela ressemble bigrement au comportement politique que les dirigeants (supposés) communistes attendent de la population.

   C'est passionnant. Un peu long, certes, mais riche de nombreuses anecdotes. On n'est pas très loin du Short Cuts de Robert Altman (l'aspect trépidant en moins).

vendredi, 31 décembre 2021

Copyright Van Gogh

   Ce surprenant documentaire chinois a été tourné dans le sud du "pays du milieu", mais aussi en France et aux Pays-Bas. Curieusement, à l'écran, jamais personne ne porte de masque... et pour cause : les images datent de 2015-2016. C'est à la fois si loin et si proche...

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   La majeure partie de « l'action » se déroule dans le village de Dafen, un gros bourg situé à la périphérie de Shenzhen, la mégapole industrielle qui fait face à Hongkong. Certains des « ouvriers-peintres » qui nous sont présentés (en particulier Zhao Xiaoyong) sont originaires d'une région rurale du Hunan, une province située un peu plus au nord.

   La première partie du documentaire nous montre ces familles de peintres au travail. On pense que plusieurs milliers de personnes ont pour activité principale la production de copies (à différentes échelles) des chefs-d’œuvre occidentaux, notamment ceux de Vincent Van Gogh, qui jouit d'une faveur particulière. Le film s'attarde sur seulement quelques ateliers. C'est du travail à la chaîne, intense, par des artisans dont certains semblent particulièrement doués. Ceux qui se sont spécialisés dans l’œuvre de Van Gogh sont quasiment devenus des experts du peintre. Pourtant, ils ne le connaissent (ainsi que ses tableaux) que par des livres et des vidéos. Apparemment, au sein des ateliers, chacun accomplit une tâche particulière. Les copies sont le plus souvent des œuvres collectives, même si les plus doués (comme Zhao Xiaoyong) sont capables d'en réaliser une à eux seuls.

   La deuxième partie suit un petit groupe de peintres chinois en Europe. Passionnés par leur travail et désireux de voir en vrai les tableaux qu'ils copient depuis des années, ils ont économisé pour financer un voyage qui est tout autant un enrichissement personnel qu'un investissement professionnel. Le principal client de Zhao, un Néerlandais résidant à Amsterdam, est prêt à les loger.

   Quand la petite troupe débarque en Europe, elle va de surprise en surprise. Contrairement à leurs homologues chinoises, les « grandes » villes du vieux continent (notamment Amsterdam et Paris) ne sont pas constellées de gratte-ciel. Dans des villes plus modestes (comme Arles), une politique patrimoniale intelligente a préservé les bâtiments. On sent qu'une tentation taraude Zhao : rester sur place, là où van Gogh a vécu, et y vivre de son art : quand il se met à peindre des copies, à Arles, elles rencontrent un succès immédiat.

   Cet enthousiasme contrebalance certaines déceptions : loin d'être exposées dans des galeries d'art, les copies de Zhao sont vendues dans une boutique de souvenirs installée à proximité du musée Van Gogh. De plus, il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que son généreux client réalise une belle "culbute" avec ses œuvres : les plus grandes, achetées 40-50 euros au copieur chinois, sont revendues 500... À un moment, on sent qu'une négociation s'ébauche devant la caméra. On n'en voit pas la conclusion, mais, au vu de la suite, on comprend que le client néerlandais n'a sans doute pas accepté de payer plus...

   Du coup, quand le groupe est de retour en Chine, Zhao se demande s'il ne devrait pas se lancer dans la création de ses propres peintures, tout en conservant le marché rémunérateur des copies. Ainsi, sans que ce soit peut-être l'intention des auteurs, le film démontre que l'activité picturale chinoise suit le même chemin que l'industrie : au départ sous-traitante des Occidentaux, dont elle copie les créations à moindre coût, elle devient par la suite capable de produire ses propres œuvres qui, peut-être, vont pouvoir concurrencer celles des anciens donneurs d'ordre.

   Le documentaire mérite aussi le détour pour la plongée qu'il offre dans la Chine contemporaine. Outre le gros village de Dafen (une petite ville, en réalité), on voit la mégapole moderne de Shenzhen, qui abrite un incroyable parc d'attractions (appelé « Window of the World ») contenant les répliques de nombreux monuments du monde. On découvre aussi une autre Chine, plus rurale, plus âgée, plus traditionnelle... et plus pauvre... mais avec une belle scène de cimetière à la clé.

   Ne ratez pas ce film formidable !

samedi, 22 mai 2021

Une Vie secrète

   Sorti en France fin octobre 2020, ce film espagnol figurait sur ma liste d'envies quand les salles de cinéma furent de nouveau fermées. Le distributeur a eu l'excellente idée de lui donner une seconde chance. Si l'intrigue en elle-même est fictionnelle, elle a été construite à partir de fragments de la vraie vie de ceux qu'on a surnommé "les taupes".

   Il ne s'agit pas d'espions de la Guerre froide, mais de républicains antifranquistes qui, pour échapper à la mort, se sont terrés pendant des dizaines d'années, parfois dans une pièce secrète aménagée au domicile familial.

   Le film est porté par ses deux acteurs principaux, Belén Cuesta (inconnue au bataillon, mais excellente) et Antonio de la Torre, formidable comédien (de Volver à Compañeros, en passant par Balada triste, La Isla minima, Que Dios nos perdone et El Reino).

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   On se prend les premières séquences (trépidantes) en pleine gueule. L'action se déroule en 1936, dans le Sud de l'Espagne. Des franquistes viennent régler leur compte aux "rouges" du village. On ne peut qu'être en empathie avec le couple de héros, qui fait tout pour que l'époux échappe à cette rafle qui s'accompagne d'exécutions sommaires. (Il y a toutefois un peu trop de caméra à l'épaule.)

   La période passée ensuite dans la première cachette met en place un dispositif de semi huis-clos. Seul le héros (par les yeux duquel on perçoit une partie de l'action) le subit, cloîtré dans le trou aménagé sous l'escalier intérieur de la maison. De son côté, l'épouse se doit au contraire de laisser sa porte ouverte et de frayer avec les villageois, dont certains les ont dénoncés à la Guardia Civil. Petit à petit, on apprend d'ailleurs que plusieurs républicains espagnols du coin ont des choses à se reprocher. C'est peut-être le cas du héros.

   Aussi intéressant le film soit-il, je me demandais comment il pourrait tenir les 2h25 annoncées. C'est lié au changement de cachette. La précarité de sa situation (et les pressions que subit son épouse Rosa) incite Higinio à se réfugier ailleurs, chez son père, qui a le temps de lui aménager une pièce secrète.

   La suite est pleine de paradoxes. Le cloîtré, qui, au départ, ne supportait pas sa réclusion volontaire, finit par prendre goût à son petit cocon, le monde extérieur étant perçu comme uniquement menaçant. Mais, psychologiquement, c'est quand même dur. Higinio perd parfois le contact avec la réalité.

   De son côté, Rosa acquiert de l'autonomie. Unique secours de son époux après la mort du père, elle devient de plus en plus indépendante. D'exécutrice des volontés de son mari, elle devient actrice de leur vie clandestine, proposant des modifications... qui ne plaisent pas toujours à son conjoint. Celui-ci passe du statut d'homme d'action (élu local marqué à gauche) à celui de fugitif apeuré, assistant couturier de son épouse.

   C'est donc plus qu'un film historique. Il y est question du couple, de féminité, de paternité, de vengeance... et de modernité : le ménage passe du poste à galène au transistor et à la télévision... qui fascine le reclus. L'ancien révolutionnaire voit l'Espagne de Franco évoluer, goûter aux prémices de la société de consommation... et, surtout, jouir de la bienveillance des États-Unis. Loin de vouloir renverser Franco après la Seconde Guerre mondiale, Oncle Sam s'est appuyé sur ce bastion de l'anticommunisme dans sa stratégie d'endiguement durant la Guerre froide.

   Concernant le style de la réalisation, j'ai du mal à formuler un avis... puisque trois façons de faire sont entremêlées. Globalement, j'aime les phases de réclusion, moins les moments d'intimité du couple (surtout dès qu'il y a l'enfant). J'ai été marqué par l'hyperréalisme de certaines scènes, tout en déplorant les facilités : les héros font trop de bruit dans la première partie de l'histoire (leur stratagème aurait dû être découvert bien plus tôt), la coïncidence entre la tentative de viol et l'incendie du matelas est énorme (mais nécessaire du point de vue scénaristique, si l'on pense aux conséquences à long terme) ; enfin, l'intrusion de l'ennemi personnel de Higinio (arrêté juste à temps) est un peu "too much".

   Ces réserves exprimées, le film n'en constitue pas moins une œuvre marquante, portée par des interprètes très convaincants.

jeudi, 17 septembre 2020

Bal des faux-culs à Béthune

   Lorsqu'hier mercredi l'entreprise Bridgestone a annoncé la prochaine fermeture de l'usine de production de pneus de Béthune (dans le Pas-de-Calais), nous avons eu droit à un splendide concert d'indignations, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, en passant par le gouvernement libéral dirigé par Jean Castex. Quelle belle bande d'hypocrites !

   Certes, d'un côté, il y a une puissante firme transnationale japonaise, qui contrôle l'américain Firestone depuis la fin des années 1980 et le français Speedy depuis 2016. Ce groupe est le plus gros vendeur de pneumatiques au monde, devant Michelin, Goodyear et Continental :

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   Cependant, la filiale française a vu sa situation se dégrader, ces dernières années, dès avant la crise provoquée par la pandémie de covid-19 :

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   A mon avis, il ne faut pas accorder trop de crédit au redressement du chiffre d'affaires en 2017-2018. Je pense que c'est lié au rachat de Speedy. Il faut plutôt s'inquiéter du creusement des pertes et ce, alors que le marché automobile français ne se portait pas si mal avant la période de confinement de 2020.

   Au niveau des pneumatiques, c'est dès 2019 que la situation s'était dégradée, tendance confirmée et même accentuée en 2020. Au conjoncturel (les conséquences de la pandémie) s'ajouteraient des causes structurelles, à la fois mondiales et locales.

   Au niveau international, le principal changement survenu ces dernières années est l'arrivée massive des pneus chinois en Europe (et Amérique du Nord). Entendons-nous bien : il  y a pneu chinois et pneu chinois. Le "pays du milieu" est peut-être devenu le premier pays de fabrication des pneus, certains de conception chinoise, d'autres de conception européenne, nord-américaine voire est-asiatique. (Ainsi, Michelin possède deux sites de production et un site de recherche & développement en Chine.)

   Récemment, ce sont les pneus de conception et de fabrication chinoises qui ont cassé les prix (ils sont de 30 à 50 % moins chers). Ils couvrent une large gamme de modèles et portent des noms de marque qui n'évoquent pas leur pays d'origine : Antares, Atlas, Goodride, Fortuna, Rockstone... Ils se vendent souvent sur la Toile, qui prend de plus en plus de place dans le marché du pneu (entre 10% et 20 % du total, selon les sources). Problème concernant ces produits bon marché : si, dans l'ensemble, ils sont d'une qualité acceptable en conduite sur sol sec, ils se révèlent souvent dangereux par temps humide ou en cas de freinage d'urgence. Sur ce point, les tests pratiqués par des équipes aussi diverses que celles de la RTBF, de L'Argus et d'Auto Plus convergent.

   Cela nous ramène aux indignations vertueuses du début. Ce n'est pas aux dirigeants de Bridgestone que devraient s'en prendre nos chers politiciens de tout bord... mais aux consommateurs français qui, depuis plusieurs années, torpillent sciemment la filière pneumatique nationale.

   S'ajoute à cela le contexte local. L'usine de Béthune serait la moins productive des sites européens dépendant de Bridgestone. Il aurait fallu la moderniser. Le Conseil régional des Hauts-de-France aurait contacté l'entreprise dans cette optique, en 2019. Bridgestone aurait décliné... signe qu'à l'époque, la décision de fermer l'usine était déjà prise ? Peut-être. Quoi qu'il en soit, c'est une autre coïncidence qui m'a frappé : quelques mois avant de repousser l'offre du Conseil régional, Bridgestone avait proposé aux salariés de s'engager dans une procédure de modernisation... proposition qui fut largement rejetée par le personnel. Dans ce contexte, au vu de la concurrence internationale, on comprend que la direction n'ait pas considéré l'offre du Conseil régional avec beaucoup d'intérêt. Et puis, Xavier Bertrand pense tellement à la présidentielle, le matin en se rasant, qu'il n'est pas exclu que la démarche engagée par la collectivité qu'il préside n'ait eu d'autre but que de ménager sa possible candidature, en 2022.

   P.S.

   A lire, en complément, l'analyse (teintée d'humour) d'un professeur d'économie.

samedi, 22 août 2020

La Femme des steppes, le flic et l'oeuf

   Cette femme est une bergère, qui élève des ovins, des bovins et des chevaux. Elle vit seule, même si l'on finit par apprendre qu'elle a eu une relation avec un "voisin" (un homme ne vivant qu'à quelques dizaines de kilomètres de sa yourte !) et même qu'elle est déjà tombée deux fois enceinte.

   L'intrigue de ce faux polar se déroule au fin fond de la Mongolie, avec des paysages superbes, des personnages du genre taiseux... et un mystère concernant le corps d'une femme.

   Le réalisateur, Quanan Wang (auquel on doit Le Mariage de Tuya), aime les plans-séquences un brin contemplatifs. Cela commence en caméra subjective, par un dialogue à l'intérieur d'une voiture en mouvement, la nuit, sur la steppe. Une brume étrange enveloppe les êtres. Au gré des divagations du véhicule, la lumière projetée par les phares nous permet d'apercevoir la prairie, des chevaux à demi sauvages... et une forme blanche immobile.

   Succède à cette introduction une scène de jour, qui fait intervenir les policiers locaux (dont le 4x4 est tombé en panne) et la fameuse paysanne, sur son chameau de Bactriane (plus précisément, un chameau mandchou). Pourquoi se trouve-t-elle là ? D'abord parce qu'elle est la seule habitante à des kilomètres à la ronde. Ensuite parce qu'elle peut se déplacer (son chameau ne souffrant d'aucune panne mécanique). Enfin parce qu'elle est armée (d'un fusil)... dont elle sait adroitement se servir. (Le but est d'effaroucher les loups, attirés par l'odeur du cadavre.)

   Il y a donc un aspect ethnographique à cette intrigue. Les spectateurs découvrent le mode de vie de cette paysanne, jusque dans ses aspects un peu crus : la mise à mort (et le dépeçage) d'un mouton et la mise-bas d'une vache. Âmes sensibles s'abstenir !

   L'aspect criminel de l'histoire n'est qu'un prétexte... mais il permet de mettre en contact la paysanne et le jeune policier (âgé de 18 ans). Il est un peu le larbin de la brigade, pas très dégourdi. La paysanne va lui apprendre la vie ! (Je n'en dis pas plus...)

   Quant à l'œuf, c'est celui d'un dinosaure, trouvé par l'ex-compagnon de la paysanne (qui aimerait bien remettre le couvert). C'est aussi le symbole de la procréation, qui pourrait permettre la perpétuation d'un mode de vie ancestral (même si la majorité des habitants se déplace désormais à moto, en voiture ou en train). J'ajoute que "dinosaure" est le surnom de la paysanne, une des dernières de son genre.

   Ce film un peu lent, à la photographie superbe, est une nouvelle bouffée d'air frais en période estivale.

12:41 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

mardi, 04 août 2020

La Nuit venue

   "C'est beau, une ville, la nuit"... notamment Paris, que j'ai découverte dans une autre vie, il y a plus de vingt ans. J'ai un peu retrouvé de cette magie dans le premier long-métrage de Frédéric Farrucci, où la capitale française (et sa banlieue proche) forme l'écrin d'une romance sur fond d'immigration.

   L'arrière-plan a quasiment valeur de documentaire. C'est une plongée dans la vie de clandestins chinois, devenus chauffeurs VTC pour le compte d'un mafieux, dont les associés se trouvent dans le "pays du milieu", mais dont l'organisation a des ramifications en Europe.

   Conduire une berline haut-de-gamme, même si l'on est mal payé, constitue une promotion sociale par rapport à celles et ceux qui triment sur le trottoir ou dans les ateliers textiles (illégaux). Tout ce petit monde loge en foyer... et doit accepter la surveillance du "patron" (par géolocalisation, du portable comme du véhicule, comme on finit par le comprendre). La plupart de ces figurants sont des acteurs non professionnels, notamment Guang Huo, qui incarne Jin, le beau ténébreux qui pense avoir bientôt finir de "payer sa dette".

   Un soir, il prend en charge la cliente qui va changer sa vie, Naomi, "go-go danseuse" qui se prostitue, interprétée par Camélia Jordana (bien meilleure actrice que sociologue ou historienne...). A la rencontre surprenante vont succéder une phase de flirt (pas à-coups), les premiers baisers (à la sauvette) et, enfin, un vrai rendez-vous.

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   J'ai été touché par cette histoire d'amour improbable (pas des plus originales, j'en suis conscient). Les deux tourtereaux ont déjà été abîmés par la vie. S'ils sont sortis de la misère, ils restent d'une certaine manière enchaînés. Leur rencontre laisse entrevoir un espoir de bonheur.

   Voilà. C'est bien joué, assez bien écrit, bien filmé, le tout dans une ambiance musicale particulière (oeuvre de Rone).

lundi, 27 juillet 2020

Ipman 4

   Il était une fois, dans un grand pays oriental, un maître du kung-fu, à la fois puissant et sage. Dans sa jeunesse, il avait vaillamment combattu l'invasion du méchant voisin japonais. En Occident, on le connaît pour avoir formé une vedette du cinéma et des arts martiaux : Bruce Lee.

   En 1964, se sachant atteint d'une maladie incurable et se faisant beaucoup de souci à propos de son unique et turbulent rejeton, le maître consentit à se rendre en Californie, croyant que dans le pays de la liberté, où tant de ses compatriotes avaient émigré, un avenir radieux s'offrait à lui et à son fils.

   Hélas ! Hélas ! Trois fois hélas ! Dans le pays des hommes au long nez qui mâchent de la gomme sucrée et boivent de l'eau colorée qui fait roter, le maître ne rencontre que racisme et incompréhension. Nombre de ses compatriotes (ou de leurs descendants, tous considérés comme d'authentiques Chinois...) courbent l'échine face au Blanc dominateur... et n'acceptent pas la Voie de la modernité proposée par l'élève Bruce. Dans le même temps, la gentille fille de l'un des maîtres des arts martiaux locaux est persécutée par une petite peste blanche de son lycée, soutenue par de grands crétins joueurs de hockey. On est content quand maître Yip Man vient corriger cette bande d'impudents.

   De son côté, l'élève Bruce met tranquillement sa race à un grand baraqué en pyjama bleu... sans même enlever sa jolie veste en cuir.

   Mais le mal rôde sans cesse autour des gentils Chinois. Il a le visage de l'entraîneur de karaté des Marines (plus baraqué et plus vilain que le type en pyjama bleu) et de son chef, un sergent encore plus baraqué et encore plus méchant que le plus baraqué d'avant. Tous ces Blancs arrogants vont se prendre une branlée faire sévèrement rappeler à l'ordre par maître Yip Man, facilement au début, un peu moins facilement à la fin.

   Moralité : la Chine est belle et grande, tolérante, respectueuse et pleine de sagesse, tandis que les Zaméricains, c'est rien que des grosses brutes racistes avec un sourire de dentifrice.

23:15 Publié dans Chine, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, film, films

lundi, 10 février 2020

First Love, le dernier yakuza

   J'ai enfin pu voir ce film de genre japonais. Pour sa sortie en France, on nous l'a présenté comme s'apparentant à certaines oeuvres de Quentin Tarantino (Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Kill Bill, entre autres). Il faudrait y ajouter les productions Grindhouse, ainsi que quelques films d'action américains récents comme Equalizer (à cause de la séquence du magasin de bricolage).

   Le début nous présente, façon puzzle, les principaux personnages : le jeune boxeur orphelin, les yakuzas japonais, âgés comme jeunes, les mafieux chinois, les policiers plus ou moins honnêtes, les petites frappes locales... et une étrange jeune femme, un peu cinglée, droguée en quête de sa dose, retenue prisonnière.

   L'objet de convoitise, qui va déclencher un engrenage de violences, est un "colis" de cocaïne, qui rentre dans le trafic de la bande de yakuzas et que l'un d'entre eux veut détourner à son profit. Un flic corrompu se greffe là-dessus, sans savoir que la mafia chinoise veut mettre le main sur le "paquet"... et, éventuellement, se débarrasser de la concurrence japonaise.

   Evidemment, rien ne va se passer comme prévu, de la jeune prisonnière qui s'échappe à l'agression du livreur de coke qui dérape, sans parler de l'exécution de sa compagne, qui prend un tour particulièrement surprenant.

   A partir du moment où les flingues et les sabres sont de sortie, cela devient vraiment intéressant... parce que, sinon, c'est un peu mou du genou, parfois même agaçant en raison du jeu outré de certains comédiens, en particulier deux des actrices (la prisonnière, à laquelle on a envie de filer des claques, et la veuve furieuse, qu'on se lasse d'entendre hurler).

   L'ensemble des protagonistes (du moins, ceux qui ont survécu jusque-là) se retrouve dans une grande surface de bricolage, pour une séquence riche en sauce tomate. Dans une semi-obscurité, presque tous les personnages vont s'entretuer, à coups de flingues, de fusil à pompe, de couteau, de sabres et de poings. Même si la fin n'est pas des plus réussies, je suis sorti de là assez satisfait.

23:59 Publié dans Chine, Cinéma, Japon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

mercredi, 05 février 2020

L'Adieu

   Ironiquement, une incrustation placée au tout début informe les spectateurs que l'intrigue du film est inspirée... d'un mensonge. Celui-ci est au coeur de la réunion de famille qui s'organise un peu à l'arrache, en Chine, officiellement pour célébrer le mariage de l'un des petits-enfants. En réalité, les adultes de la "tribu" ont appris que la grand-mère est en phase terminale de son cancer du poumon, un état de santé qu'on lui a jusqu'à présent soigneusement caché.

   Avant d'en arriver aux retrouvailles, on nous présente les différentes branches de la famille. Les deux fils de la matriarche se sont expatriés des dizaines d'années auparavant (si on lit entre les lignes : quelques années à peine après la répression du printemps de Pékin...). Le premier couple vit à New York, en plus ou moins bons termes avec la fille unique, une trentenaire pas encore fixée sur ce qu'elle veut faire de sa vie. Le second couple vit au Japon, où est né le fils sur le point de convoler avec une ressortissante nippone. En Chine, on découvre le reste de la famille : la tante et les cousins.

   Cette histoire pleine de délicatesse se déguste d'abord pour la description du fossé culturel qui s'est creusé entre les expatriés, leurs enfants et les Chinois de Chine. Les premiers ne parlent plus aussi bien leur langue maternelle, méconnaissent les traditions, tandis que, chez les seconds, on sent un petit complexe d'infériorité, ainsi qu'une observance quasi servile des rituels surannés..

   L'humour n'est pas absent. En fil rouge, il y a cette plaisanterie de fin de repas, qu'on nous raconte au début. Je laisse à chacun le plaisir de découvrir ce que cache l'euphémisme "monter sur le toit"... Toutefois, qu'on ne s'attende pas à de la franche rigolade. C'est un humour discret, saupoudré (à bon escient) en quelques endroits.

   L'autre intérêt du film est sa mise en scène des relations entre femmes. C'est d'ailleurs peut-être le moment de préciser que la réalisation est due à une représentante du "deuxième sexe", Lulu Wang. Elle a clairement choisi de mettre l'accent sur les personnages féminins... et elle a eu raison, tant ceux-ci sont bien incarnés. Il y a bien sûr la grand-mère, une femme simple, qui, dans les difficultés de la vie, a acquis une sagesse dont elle tente de faire profiter ses cadettes. Il y a aussi l'une de ses brus, dotée d'une forte personnalité, et qui semble "porter la culotte" dans son ménage. Il y a enfin Billi, la petite-fille préférée, l'artiste un peu ratée, le cul entre deux chaises, mal à l'aise dans la culture chinoise comme dans l'hyper-urbanité individualiste new-yorkaise. Dans le rôle, Awkwafina (vue notamment dans Ocean's 8 et Jumanji 2) est formidable.

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   L'un des sommets du film est le repas de mariage, avec déclarations convenues et karaoké consternant. Mais deux autres scènes m'ont davantage marqué. La première est le petit affrontement entre Billi et sa mère, au cours duquel chacune vide son sac. Dans un premier temps, la réalisatrice semble diriger notre sympathie vers la jeune (qui est très attachée à sa grand-mère). Mais la scène bascule quand la mère révèle quelques aspects de sa vie passée et affirme nettement son caractère, ce qu'elle évite de faire en public, aux côtés de son mari.

   La deuxième scène marquante est le dialogue, dans une chambre, entre la grand-mère et la petite-fille. Il s'y dit beaucoup de choses. On en sous-entend d'autres, plus difficilement exprimables. C'est superbement joué et j'ai été ému.

   P.S.

   Ne partez pas trop vite à la fin : on découvre que cette intrigue mensongère est inspirée d'une histoire vraie.

21:28 Publié dans Chine, Cinéma, Japon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

samedi, 25 janvier 2020

Les Mystérieuses Cités d'or, saison 3

   France 4 vient d'achever la rediffusion de la troisième saison de la série animée. Depuis un peu plus d'un an, la première saison (culte), qui date des années 1980, est disponible intégralement sur le site de la chaîne. Jadis, l'annonce de la mise en chantier d'une suite (composée de deux saisons) avait suscité l'intérêt. Mais la diffusion de la saison 2, si elle avait conquis un public enfantin, avait déçu les adultes, qui en ont trouvé le ton plus immature que dans la première mouture. Sur le fond, les épisodes associent toujours histoire et science-fiction, avec un mini-documentaire en toute fin. L'intrigue, située en Chine, avait sans doute contribué au succès.

   Cela s'est nettement amélioré dans la saison trois, je trouve. Les héros sont transportés du Japon en Inde puis en Iran, dans une farandole de civilisations propre à émerveiller et éveiller la curiosité des enfants. C'est plus rythmé, moins puéril, avec même l'ébauche d'une histoire d'amour adulte entre deux personnages (Mendoza et Laguerra).

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   Cette redoutable et ravissante jeune femme est d'ailleurs la plus belle révélation de la troisième saison. C'est la fille d'un personnage aperçu dans la saison 1, qui a été recueillie par le méchant de l'histoire (lui-même très réussi). L'effrayant Zarès en a fait sa comparse, une comparse particulièrement redoutable au fouet et à l'épée... mais qui n'a pas mauvais fond. Son apparition coïncide avec la mise en avant de Zia, le membre féminin du trio de héros enfants. Elle se découvre des pouvoirs insoupçonnés et, contrairement à ce qui se passait dans la saison 1, elle va sauver la mise des garçons à plusieurs reprises :

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   A l'issue de cette troisième saison, quatre cités d'or ont été découvertes : en pays maya, au Tibet, à proximité des côtes japonaises et en Iran. Celles et ceux qui connaissent la série savent que, dès la première saison, il était question de sept cités. Mais, du côté français, TF1 semblait avoir renoncé à financer la suite. C'est France Télévisions qui a pris le relais. L'année 2020 verra la diffusion de la quatrième et dernière saison, dont on présume qu'elle conduira les héros en Afrique... et peut-être quelque part en Europe.

jeudi, 02 janvier 2020

Séjour dans les monts Fushun

   Cette fresque chinoise s'étend sur un peu plus d'une année. L'action se déroule à proximité de la ville de Hangzhou, située au sud-ouest de Shanghai.

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   La séquence introductive est une fête d'anniversaire, celui de la matriarche, mère de quatre fils, dont celui qui tient le restaurant qui les accueille. C'est l'aîné. Le deuxième est pêcheur sur la rivière Fushun. Le troisième vivote sans parvenir à garder un emploi. Le quatrième, appelé souvent "Cadet" (le benjamin en réalité) est le seul à ne s'être jamais marié.

   Certains d'entre vous ont peut-être été surpris en lisant que la matriarche a eu quatre enfants. Elle a pourtant dû vivre à l'époque où était imposée la politique de l'enfant unique. Oui et non. Tout d'abord, on finit par apprendre qu'elle a eu ses enfants de deux pères différents, ses deux maris successifs. (On perçoit d'ailleurs un écart de génération entre les deux premiers et les deux derniers enfants.) Les deux aînés sont de toute évidence nés avant l'entrée en vigueur de la politique de restriction des naissances. Quant au plus jeune, il a 37 ans, ce qui, si l'action débute en 2015-2016, le ferait naître en 1978-1979.

   Par contre, les trois fils qui se sont mariés n'ont eu qu'un seul enfant. Le couple de restaurateurs a une fille, à qui la mère compte bien faire épouser un beau parti de la région (les filles étant moins nombreuses que les garçons, elles sont très recherchées, surtout si elles sont mignonnes...). Les pêcheurs n'ont qu'un fils, sur le point de convoler. Le troisième enfant de la matriarche a eu un fils, trisomique.

   Toutes ces précisions sont importantes pour comprendre l'un des enjeux de l'intrigue : les stratégies matrimoniales et le comportement des membres de la famille vis-à-vis des traditions. Vaut-il mieux privilégier la sécurité matérielle et l'acquisition d'un bel appartement ou bien prendre le risque de conclure un mariage d'amour, le sentiment n'étant pas voué à durer éternellement ? Les anciens, qui ont connu la misère ou du moins les difficultés financières, veulent (en général) voir leurs enfants à l'abri du besoin. Les plus jeunes n'ont pas le même point de vue.

   C'est la maladie de la matriarche qui va mettre au jour toutes ces tensions. Elle ne peut plus vivre seule. La tradition veut qu'elle soit hébergée par ses enfants, qui se refilent la "patate chaude", comptant sur l'aîné pour assumer cette charge... quitte même à le payer pour cela !

   Clairement, les soucis d'argent sont omniprésents dans l'intrigue. Les cadeaux (objets de prestige ou sommes d'argent) sont un puissant liant social, auquel on ne peut déroger sous peine de perdre la face. Et puis les Chinois sont désormais pris dans la société de consommation. Certains dépensent plus qu'ils ne gagnent. D'autres jouent. D'autres investissent dans l'immobilier, pas toujours à bon escient. Le réalisateur a aussi voulu montrer que cette Chine de l'Est urbanisée, enrichie, subit les contrecoups de la modernisation libérale : les prix de l'immobilier s'envolent et le coût de la santé peut sérieusement grever le budget des ménages.

   Tout cela est mis en scène avec grâce. Le réalisateur Gu Xiaogang (dont c'est le premier film) a vécu dans la région qu'il filme. Il recourt souvent à des plans-séquences, le plus impressionnant étant sans doute celui qui suit l'action le long de la berge de la rivière, de l'arrivée d'un couple d'amoureux à leur passage sur un ferry, en passant par une promenade et même une séance de natation ! Je crois que ce plan dure plus d'un quart d'heure et il n'est nullement ennuyeux.

   C'est d'ailleurs l'une des qualités de ce film très écrit. Bien que durant 2h30, il n'est ni langoureux ni soporifique... et il dit beaucoup de choses sur la Chine d'aujourd'hui mais aussi sur le sens de la vie. Si vous avez l'occasion de le voir, précipitez-vous !

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dimanche, 22 décembre 2019

Un été à Changsha

   Ce polar chinois, premier film du réalisateur Zu Feng, a pour cadre une ville de l'intérieur du pays, en pleine expansion, où, l'été, règnent des températures caniculaires :

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   Cela commence par la découverte de morceaux d'un cadavre, celui d'un jeune homme disparu. Ce crime va faire remonter à la surface d'autres histoires, de la mort (accidentelle ?) d'une enfant à diverses tromperies conjugales, en passant par le suicide d'une petite amie délaissée (auquel va répondre un autre suicide, ainsi que plusieurs tentatives).

   Cette accumulation pourrait laisser croire que le film est sinistre. C'est inexact. C'est d'abord une enquête prenante, celle menée par un duo de flics atypiques, l'un plutôt sanguin (et pas très propre), l'autre du genre taiseux :

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   On sent que le réalisateur connaît ses classiques, occidentaux comme orientaux. Cela nous vaut quelques bonnes scènes de comédie, l'une des meilleures étant, pour moi, la poursuite drôlatique entre un flic blessé et un délinquant un peu gras du bide...

   Cependant, petit à petit, ce sont les relations sentimentales qui prennent le dessus sur l'intrigue policière. Dans cette grande ville en construction, les habitants deviennent de plus en plus anonymes. Les personnages principaux appartiennent à la classe moyenne, mais ne semblent pas très heureux. Le scénario s'ingénie à les faire se croiser ; ceux qui semblent destinés à se rencontrer ne vont pas forcément concrétiser et ceux que tout semble opposer de prime abord peuvent très bien finir ensemble. Comme dans la vie.

   Pour un premier film, je trouve que l'auteur réussit à mêler les thématiques avec un certain brio. A découvrir.

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mercredi, 30 octobre 2019

Abominable

   C'est l'un des films d'animation proposés aux spectateurs adultes et enfants en cette période de congés scolaires. Même s'il comporte des scènes comiques, il joue moins sur l'humour qu'Angry Birds 2 et La Ferme contre-attaque.

   L'intrigue mêle le merveilleux à l'admiration pour la nature. Cela peut paraître paradoxal pour une production DreamWorks, mais je pense que les auteurs ont été influencés par des longs-métrages de chez Disney-Pixar... plutôt pour le meilleur. (La réalisatrice Jill Culton a d'ailleurs débuté chez Pixar.)

   J'ai vu le film dans une grande salle et je reconnais que l'image est, en général, jolie. Concernant la musique, je suis plus partagé : les morceaux interprétés au violon sont assez chouettes, mais la musique d'accompagnement est très moyenne. Je profite de l'occasion pour signaler une bourde relevée dans la rubrique "secrets de tournage", sur Allociné :

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   C'est évidemment d'un instrument datant de plus de 300 ans (et non 3 000) que les musiciens ont pu jouer...

   L'intrigue est classique. L'héroïne est une enfant unique de Shanghaï, dont le papa est décédé, et qui rêve d'accomplir un périple, en hommage à son père. Elle fait la rencontre d'un drôle de Yéti, dont on finit par comprendre que c'est un jeune mâle : il aime se goinfrer, rote de manière effroyable... et fait des bêtises. Le début nous présente d'autres jeunes citadins chinois du XXIe siècle : un petit gros attiré par la malbouffe et une bande d'abruti.e.s fasciné.e.s par leurs ordiphones...

   Les aventures que vont vivre l'héroïne, le petit gros et le bogosse superficiel vont les faire mûrir... et nous faire découvrir une partie de la Chine, à tel point que l'on pourrait considérer le film comme un très long spot publicitaire pour le "pays du milieu". C'est de plus idéologiquement orienté, puisqu'il n'est dit nulle part que l'Everest se trouve à la frontière du Népal et du Tibet. Seule la Chine est mentionnée... Mais les protestations les plus vives ont été émises en Asie du Sud-Est, en raison de la présence (sur la carte murale située dans l'abri de l'héroïne) de la fameuse "ligne en neuf traits", expression de l'impérialisme chinois, dont les revendications maritimes empiètent considérablement sur les zones économiques exclusives de ses voisins.

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   Ci-dessus, on remarque que les tirets (que j'ai surlignés en rouge) incluent l'île (indépendante) de Taïwan dans le territoire chinois, sans même parler des espaces maritimes des Philippines, du Vietnam, de l'Indonésie et de la Malaisie...

   Si l'on fait abstraction de ces considérations géopolitiques, on peut profiter du spectacle entraînant et d'une histoire sympathique. Notons qu'il est affirmé à plusieurs reprises qu'une espèce sauvage (comme le Yéti) a vocation à vivre dans son environnement naturel (donc loin des humains).

   J'ai quand même tiqué devant un autre biais idéologique : les personnages positifs sont tous des Chinois et les méchants ont quasiment tous une tête d'Occidental. Moralité ? Le soft power chinois est en marche, et DreamWorks lui sert de cheval de Troie !

samedi, 17 août 2019

Lune rouge

   C'est le titre du dernier album des aventures de Guy Lefranc, sorti fort opportunément 50 ans après le succès de la mission Apollo XI :

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   On le doit à Christophe Alvès et François Corteggiani, le duo qui était déjà à l'oeuvre il y a quelques années sur Le Principe d'Heisenberg, dont l'intrigue se déroule partiellement dans l'Aveyron.

   Ici, on est en pleine Guerre froide. Le héros journaliste va partir à la recherche d'un scientifique disparu... et collaborer avec la CIA, puisque les "méchants" de l'histoire sont les communistes soviétiques et nord-coréens, auxquels vont s'ajouter les Chinois, qui commencent à se la jouer perso. Sur son chemin, Guy Lefranc va de nouveau croiser un vieil ennemi à lui...

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   Les lecteurs qui ont un minimum de culture BD verront les ressemblances avec les albums d'Hergé (Objectif Lune et On a marché sur la Lune)... et avec la série Blake et Mortimer, en particulier au niveau du style du dessin (mais aussi avec la résurrection de l'antagoniste principal, sorte de décalque d'Olrik). C'est bien fichu, documenté pour donner un peu de vraisemblance à une histoire abracadabrantesque : en 1959, même avec l'aide des Soviétiques, les Nord-Coréens n'avaient pas les moyens de monter le projet qui est décrit dans l'album. Celui-ci est finalement davantage révélateur des préoccupations du début du XXIe siècle, avec l'émergence de la puissance chinoise et le développement de l'arme nucléaire par le régime de Kim Jong-un.

   Cela se lit néanmoins avec plaisir, en raison de la propreté du dessin et des rebondissements qui parsèment l'intrigue.

vendredi, 19 juillet 2019

Tiananmen 1989, nos espoirs brisés

   Cette bande dessinée paraît 30 ans après le printemps de Pékin et sa répression par le gouvernement communiste chinois. Elle est coscénarisée par l'un des rescapés du mouvement étudiant rebelle, Lun Zhang. Les dessins sont d'Ameziane :

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   Comme c'est une BD historique, mais que le public français ne connaît pas forcément très bien les événements qui se sont déroulés à l'époque, au début, une double-page présente rapidement les principaux protagonistes, qu'ils soient membres du mouvement étudiant, intellectuels contestataires ou cadres du parti communiste.

   L'histoire nous est racontée de deux manières. Soit Lun Zhang s'adresse directement au lecteur, sous sa forme dessinée, soit l'on voit l'illustration de ses propos, un peu sous la forme d'un film noir, avec une incontestable volonté de sortir du cadre classique de la BD documentaire.

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   Comme il s'agit d'une tragédie (l'échec de l'instauration d'une démocratie libérale en Chine), l'action est découpée en actes. Le premier conte la jeunesse du narrateur et l'ouverture économique de la Chine après la mort de Mao Zedong.

   L'acte II aborde les débuts de la révolte étudiante, suite à la mort d'un cadre du PC réputé réformateur. L'acte III évoque la radicalisation du mouvement et le lancement des grèves de la faim (un aspect souvent oublié aujourd'hui). On nous montre un mouvement rebelle massif, mais où apparaissent des dissensions. De son côté, le pouvoir communiste hésite encore sur la stratégie à suivre.

   L'acte IV montre un début de durcissement de le part du pouvoir. Les étudiants tentent de rester mobilisés. L'acte V, souvent dessiné sur fond noir, est consacré à la répression du mouvement et à la fuite des rescapés.

   C'est une belle leçon d'histoire, riche en détails, avec des images parfois poignantes, qui rendent hommage à des jeunes avides de vivre libres.

lundi, 15 juillet 2019

So long, my son

   On pourrait traduire le titre de ce film par "Au revoir, mon fils". Cet au revoir peut être compris comme porteur d'espoir ("A bientôt") ou comme définitif ("Adieu"). Tout dépend du fils auquel il s'adresse. Dans l'histoire, le couple de héros (ouvriers dans la même usine du nord de la Chine, à l'origine) n'a d'abord qu'un seul enfant.

   Pour démêler les fils de l'intrigue, il convient d'être particulièrement attentif, parce que Wang Xiaoshuai (auquel on doit, entre autres, Beijing Bicycle et Red Amnesia) a construit son film sous la forme d'un puzzle, les séquences ne se suivant pas dans un ordre chronologique (sauf dans les trois derniers quarts d'heure, qui se déroulent de nos jours). Pour se repérer, je conseille d'être attentif aux personnages enfants ou adolescents.

   La première séquence n'est pas la plus ancienne chronologiquement, mais c'est celle autour de laquelle s'organisent les autres. On y suit deux gamins, qui rejoignent un groupe de copains autour d'un plan d'eau. Le drame qui survient à cet endroit va bouleverser la vie de tous les protagonistes. Les séquences qui nous sont proposées par la suite se placent soit avant le drame, soit (bien) après.

   Dans les séquences "anciennes", on découvre les deux couples au moment de la naissance des fils. On les voit à l'usine. On rencontre aussi leurs frères et sœurs, dans une génération qui n'avait pas encore subi la politique de l'enfant unique (décrétée à la toute fin des années 1970). Le réalisateur veut montrer l'impact que celle-ci a eu sur des vies ordinaires. A cet égard, le personnage principal est celui de la mère, formidablement interprétée par une actrice que je ne connaissais pas : Yong Mei. D'une manière ou d'une autre, cette femme a "perdu" successivement trois enfants. La comédienne, sans effet de manche, fait très bien sentir la douleur éprouvée par son personnage... et quelle belle scène de retrouvailles avec son ancienne collègue d'usine, des années plus tard, sur un lit d'hôpital !

   Au bout d'une heure et demie (environ), on comprend qu'après le drame, le couple de héros (qui, de surcroît, a fini par être licencié de l'usine) a déménagé dans le sud, du côté de Canton, où il s'est mis à son compte, dans une Chine qui s'ouvre à l'Occident et à l'économie de marché. On va les retrouver à la fin des années 1980, dans les années 1990 et (sans doute) au début des années 2000. Au fur et à mesure que les héros vieillissent, la Chine se transforme, surtout à l'est, dont l'apparence prend celle d'un pays développé. On sent que le metteur en scène a voulu insister sur la métamorphose de son pays (qu'il a vécue, puisqu'il est né en 1966).

   Par contre, l'aspect politique a été gardé sous le boisseau. Certes, il y a une critique implicite de la politique de l'enfant unique (facilitée par son abandon définitif en 2015), mais les héros passent presque quarante ans sans subir aucun des soubresauts de l'époque. J'ai été par exemple étonné que le réalisateur ne fasse pas la moindre allusion au printemps de Pékin. Concernant les personnages les plus âgés, quelques dialogues évoquent l'envoi à la campagne, pendant la Révolution culturelle. On comprend que cela n'a pas été une époque heureuse, mais Wang Xiaoshuai se garde d'en exprimer davantage. Vers la fin, il montre même ses personnages principaux, de retour dans leur région d'origine des années plus tard, saluer une statue de Mao Zedong...

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   La mise en scène semble avoir été au moins autant travaillée que le scénario. Que ce soit dans la Mongolie intérieure ou le Fujian (voisin du Guangdong, où est censée se dérouler la seconde vie des héros), on a droit à de superbes plans extérieurs. Les scènes d'intérieur sont elles aussi très maîtrisées, avec notamment un usage habile du panoramique. Le réalisateur joue parfois avec les spectateurs, comme lorsqu'il filme le couple, devenu âgé, en légère contreplongée, autour d'une tombe à moitié abandonnée... avant de retourner la caméra. La scène prend un tout autre sens. Il faut se méfier aussi des fausses transitions, comme lorsqu'on voit le père porter son épouse suicidaire jusqu'à l'hôpital. La suite démarre dans un autre hôpital, des années plus tard... et la malade dont il est question n'est pas la même personne.

   Tout cela pour dire qu'il s'agit d'un film extrêmement brillant, d'un cinéaste au sommet de son art. Il ne se donne pas au spectateur sans effort, sur une durée longue (3 heures). On n'est pas loin du chef-d’œuvre.

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dimanche, 12 mai 2019

La Chinoise

   Pendant des années, le samedi, en début d'après-midi, j'ai eu l'habitude de repasser mon linge en écoutant, sur France Inter, l'émission de Patrick Pesnot Rendez-vous avec X. Le programme s'est malheureusement arrêté en 2015, sans que le mystère sur le personnage de "Monsieur X" ait été totalement levé.

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   La bonne nouvelle est que les éditions Glénat ont récemment lancé une série de bandes dessinées inspirée de l'émission de radio. Le premier volume s'appuie sur celle qui a été diffusée pour la première fois le 17 février 2001. Ce n'est pas un simple décalque du programme radio. Comme c'est la première BD (mais que ce n'était pas la première émission diffusée), les auteurs ont choisi d'y mettre en scène la rencontre entre le journaliste Pesnot et le fameux Monsieur X, alors que celle-ci a été évoquée dès la première émission de radio, consacrée (en 1997) à La Cinquième Colonne.

   L'action démarre en 1964 (et se poursuit jusqu'à nos jours), principalement en Chine. Entre Guerre froide et amour de la Chine, l'employé de l'ambassade de France Bernard Boursicot (dont, curieusement, la page Wikipédia en anglais est plus développée que son homologue française...) et l'artiste Shi Pei Pu vont vivre une étrange relation, qui conserve encore aujourd'hui une part d'obscurité.

   C'est au point que les auteurs de la bande dessinée ont choisi de garder les pseudonymes que Patrick Pesnot avait utilisés dans l'émission de radio : Pierre (Bernard dans la BD) Prudhon et Xian Djuan. A l'époque (en 2001), les deux protagonistes étaient encore vivants.

   L'histoire est prenante, bien mise en image, avec un incontestable savoir-faire au niveau des décors. Le style rappelle celui de la peinture à l'eau. C'est assez classique dans la forme. La couleur de l'arrière-plan (rouge, gris, jaune...) change en fonction du lieu ou de l'époque.

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   A la fin se trouve un cahier historique, qui présente plus en détail le contexte de l'histoire... ainsi que les véritables protagonistes. Les auteurs ne vont pas toutefois jusqu'à nommer l'ambassadeur de France en Chine, que les bons connaisseurs de l'époque décrivent comme très très très proche de Pékin. Pourtant, son identité n'est pas secrète : il s'agit d'Etienne Manac'h, décédé en 1992.

   A celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur l'espionnage chinois, je conseille la lecture d'un livre régulièrement réédité et augmenté, Les Services secrets chinois de Mao à nos jours, de Roger Faligot. Une vingtaine de pages est consacrée à l'affaire.

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   P.S.

   Quant au fameux "Monsieur X", il reste (partiellement) entouré d'un parfum de mystère. La manière dont il est représenté dans la bande dessinée rappelle l'aspect qu'il avait lorsqu'il a accepté, en 2015, de s'exprimer au micro de France Inter :

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   De nombreuses hypothèses ont été émises à son sujet. Il me semble évident qu'il s'agit d'un acteur, qui interprète un texte écrit pour lui par Patrick Pesnot, ce que ce dernier a fini par reconnaître, il y a quelques années, sur RTL. Il reste à découvrir le nom de cet acteur brillant, qui a su rendre vivant (et crédible) ce personnage d'ancien espion érudit.

samedi, 29 décembre 2018

Derniers jours à Shibati

   Le Français Hendrick Dusollier a effectué trois séjours en un an dans la mégapole chinoise de Chongqing, une ville située le long du Yangzi Jiang et qui a statut de municipalité spéciale, en Chine. (Elle s'étend sur une superficie équivalente à celle des Emirats arabes unis ou de l'Autriche.)

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   Chongqing a déjà servi de cadre à l'intrigue de plusieurs films de fiction : Still Life en 2007, People Mountain People Sea en 2013 et Fantasia en 2015. Ici, il s'agit d'un documentaire (bref : il ne dure qu'une heure) consacré à l'un des quartiers du centre-ville ancien, en pleine transformation. Petit à petit, l'habitat traditionnel disparaît, remplacé par des constructions modernes. Les habitants ne sont pas relogés dans les luxueux immeubles construits sur place, mais dans des tours situées en périphérie, à côté d'une zone industrielle, reliée au centre par une ligne de métro.

   Le réalisateur s'est attaché à trois personnages : un coiffeur (qui vit avec sa mère), un jeune garçon (qui le guide dans les ruelles) et une grand-mère (qui récupère des déchets). Il les a rencontrés lors de son premier séjour, durant lequel il n'était pas tout le temps accompagné d'un traducteur. Il s'est débrouillé avec son mandarin débutant... et a suffisamment d'autodérision pour avoir inclus dans son montage des passages où les habitants se moquent de lui ! Il est revenu six mois plus tard, puis de nouveau six mois après, accompagné de traducteurs.

   Le coiffeur n'a que des hommes dans sa clientèle. Il pratique une coupe traditionnelle, la nuque bien dégagée. C'est l'un des derniers à quitter le quartier, d'abord parce qu'il continue à y avoir des clients, mais aussi (et surtout) parce que, son fils étant engagé dans l'armée, il bénéficie d'une relative bienveillance de la part des autorités locales. Il ne comprend pas trop ce que vient faire ce Français en Chine et demeure persuadé que Roosevelt et Churchill sont d'anciens dirigeants de notre pays !

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   Le gamin connaît déjà les deux visages de la ville, l'ancien et le nouveau, où sa mère l'interdit pourtant de se rendre. Il est attiré par les paillettes de l'urbanisation moderne, alors que ses parents tirent le diable par la queue. On va d'ailleurs les suivre dans leurs démarches pour obtenir un nouveau logement, tout neuf mais en lointaine banlieue.

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   La plus attachante des habitantes est sans conteste la grand-mère. On la découvre à la fois récupératrice et logeuse. Elle passe ses journées à récupérer et trier des déchets. Elle en garde une partie dans son taudis. Paradoxalement, cela contribue à enjoliver sa vie. Elle arrondit ses revenus en louant un lit à des personnes de passage, pour 3 à 5 yuans (40 à 60 centimes d'euro) la nuit. Elle n'est pas éblouie par la ville contemporaine. Elle s'y approvisionne en déchets. Elle aussi va être obligée de partir en banlieue, rejoindre son fils dans un appartement exigu. Elle essaie d'y recréer un jardin secret, dans un coin où subsiste de la végétation. Elle était très attachée à la sociabilité de son quartier pauvre, où tout le monde se connaissait, parfois s'entraidait.

   Ce sont des tranches de vie, qui rappelleront à certains les transformations subies par la France dans les années 1950-1960. La Chine nouvelle aime le clinquant, est fière de ses progrès technologiques. Le réalisateur semble vouloir montrer qu'à coups de modernisation forcée, Chongqing a perdu son âme...

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samedi, 01 décembre 2018

La Vallée des immortels

   C'est le titre du dernier album des aventures de Blake & Mortimer, toujours scénarisé par Yves Sente, mais mis en bulles cette fois-ci par le duo Teun Berserik et Peter van Dongen, deux illustrateurs marqués par la "ligne claire" chère à Hergé et Edgar P. Jacobs.

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   Certaines pages sont d'ailleurs nourries de références aux oeuvres des grands anciens. Cela commence par la couverture, qui est un clin d'oeil à l'une des vignettes du Lotus bleu d'Hergé (située page 6) :

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   C'est encore plus évident si l'on resserre le cadre :

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   Signalons que l'image qui a été utilisée pour la couverture de l'album se retrouve à l'intérieur, légèrement modifiée :

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   Si la posture de Philip Mortimer est presque identique à celle de la couverture, l'expression du visage du conducteur du pousse-pousse est très différente. En resserrant le cadre, le dessinateur a évacué la menace représentée (sur la couverture) par l'homme au pistolet. Sur la droite, l'apparence des commerces a elle aussi été légèrement modifiée.

   Aux inconditionnels d'Hergé, je signale que, sur une autre vignette, on reconnaît, à l'arrière-plan, l'un des célèbres compagnons de Tintin, assis à proximité de... bouteilles de whisky, ce qui n'étonnera personne !

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   Et l'intrigue dans tout ça ? Elle est passionnante. L'action se déroule après Le Secret de l'espadon, en Chine, entre la fin de la Seconde guerre mondiale et l'arrivée au pouvoir des communistes. Les Britanniques essaient de préserver leurs intérêts à Hongkong, pendant que, dans la région, un seigneur de la guerre se la joue perso.

   La découverte de statuettes très anciennes, contenant chacune un objet de grande valeur (vous avez dit L'Oreille cassée ?) met en branle quantité d'ambitions, parmi lesquelles celle du vieil ennemi de nos héros, l'infâme Olrik. Dans le même temps, Philip Mortimer travaille à l'achèvement d'une nouvelle arme révolutionnaire.

   Bref, on ne s'ennuie pas et, si l'on apprécie le style des dessins, c'est même un régal.

samedi, 13 octobre 2018

Détective Dee - La Légende des rois célestes

   Séance rattrapage avec ce film de Tsui Hark, sorti confidentiellement en France en août dernier... et qui a fait un bide. Et pourtant... Son personnage principal (Di Renjié) est un enquêteur impérial (chinois) du VIIe siècle qui a réellement existé. En Occident, il a été popularisé (sous le nom de Juge Ti) par les romans policiers de Robert van Gulik. Le réalisateur hong-kongais (prolifique) en a fait le héros d'une série de films de cape et d'épée fantasmagoriques.

   Bien que l'action se déroule dans la Chine du VIIe siècle, plusieurs éléments "parlent" aux spectateurs du XXIe. Il s'agit tout d'abord d'une histoire de complot politique, avec son contingent de faux-semblants, de manipulations et de trahisons. C'est aussi je pense une réflexion sur l'altérité, le salut des "gentils" venant de la sagesse indienne. (Précisons que l'intrigue se place sous le règne de l'impératrice qui a contribué à développer l'implantation du bouddhisme en Chine.) Il y aurait aussi des choses à dire sur le super-pouvoir des méchants, consistant à produire des illusions collectives, bien pratiques quand il s'agit de mener à bien un complot.

   Comme j'ai vu le film en version originale sous-titrée, il m'a semblé entendre soit deux langues, soit deux accents différents. Quelques personnages partagent une origine commune, Tiele, ce qui les distingue des Hans parlant mandarin. Mais ils sont parfaitement intégrés au groupe dominant... ce qui se serait effectivement produit au VIIe siècle. Là, il est possible que l'on soit face à une insidieuse propagande, mettant l'accent sur l'unité du peuple chinois.

   Il faut dire qu'ils ont fort à faire d'abord avec une clique de magiciens très moches, recrutés par une personne ambitieuse au possible. Cependant, petit à petit, on comprend que derrière ces protagonistes se cachent des individus bien plus dangereux, qui attentent leur tour, en coulisses.

   Le héros enquêteur (chef du Temple) est donc confronté à un double mystère et à des adversaires particulièrement redoutables, contre lesquels il doit se battre, dans un premier temps, sans l'aide de son meilleur ami, membre éminent de la Garde impériale et donc sous les ordres de la perfide impératrice.

   On comprend que l'intrigue est feuilletonnesque. On y a glissé quelques pointes d'humour, notamment à travers la romance tumultueuse (hyper prévisible) qui naît entre l'assistant maladroit de Dee et une intrépide ninja, qui n'hésite ni à reluquer des hommes nus, ni à cogner rageusement. On a  aussi droit à une petite parodie de King Kong. Le tout est servi par une débauche d'effets spéciaux, des costumes, des décors somptueux et une musique entraînante. Parfois, c'est vraiment "trop". Mais c'est très agréable à suivre.

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mardi, 07 août 2018

Happiness Road

   Ce film d'animation est une oeuvre autobiographique de la Taïwanaise Hsin-Yin Sung, qui s'étend des années 1970 à nos jours. Grosso modo, on suit deux trames chronologiques : celle, actuelle, de la vie d'une expatriée, mariée à un Américain, qui revient (seule) au pays et celle (ancienne) d'une enfant au tempérament affirmé, que l'on voit grandir dans une dictature asiatique occidentalisée.

   Le paradoxe de ce film est que, si l'animation semble plutôt destinée à des enfants (cela ressemble un peu aux séries japonaises des années 1980), le fond s'adresse clairement à des adultes. Pour bien saisir toutes les subtilités de l'intrigue, il convient de connaître un peu l'histoire de Taïwan.

   L'une des grandes réussites de ce film est la résurrection du monde de l'enfance, avec sa naïveté, ses rêves, ses craintes, ses engouements et ses rivalités. Pour l'héroïne, Tchi, le moment clé est celui de l'entrée à l'école. Ses parents parlent une langue taïwanaise (une sorte de cantonais, je crois), mais c'est en mandarin que les cours sont donnés. Les sous-titres tentent de traduire quelques jeux de mots. Cela se complique un peu quand on apprend que la grand-mère de l'héroïne est une aborigène, une catégorie de population méprisée (à l'époque) sur l'île. Mais elle est dépositaire d'un savoir et de coutumes ancestrales, qui fascinent sa petite-fille... tout autant passionnée par les séries japonaises, tout spécialement Candy !

   La narratrice va se faire des amis, en particulier une enfant métis, une blonde dont le père est un soldat américain. Il y a aussi le turbulent maigrichon de la rangée de derrière, qu'elle revoit des années plus tard, juste avant un tremblement de terre. Il y a encore le petit gros, le seul élève de la classe à posséder une montre digitale. C'est le fils du maire... et, lorsque l'héroïne revient au pays pour l'enterrement de sa mémé, elle le croise à son tour en campagne pour être élu.

   La vie politique se trouve le plus souvent à l'arrière-plan de l'histoire mais, parfois, elle passe devant. A l'entrée de l'école se trouve une statue de Tchang Kaï-Chek, le fondateur de la République de Chine (autre nom de Taïwan). Au lycée, l'héroïne croise la fille de l'opposant Chen Shui-bian, futur maire de Taipei et président de la République. (L'actuelle présidente, Tsai Ing-wen, est une de ses anciennes ministres.) On a aussi un écho des manifestations pour la démocratisation de l'île, dans les années 1980-1990.

   Tchi a pu suivre des études supérieures parce que ses parents se sont saignés aux quatre veines. Dès le primaire et le secondaire, on sent que l'argent joue un rôle important : certains élèves sont favorisés pour la préparation des épreuves. Les parents, des travailleurs modestes, misent beaucoup sur la réussite scolaire de leur fille unique. A un moment, Tchi a voulu rompre avec l'avenir qu'on avait tracé pour elle. De retour au pays, elle comprend mieux ses parents, qui ont l'âge de la retraite, mais continuent à tirer le diable par la queue. Tchi ne sait plus trop où elle en est : taïwanaise/chinoise/américaine, traditionaliste/moderne, célibataire/mariée/divorcée. Tout cela est assez bien vu, et mis en scène avec délicatesse.

   P.S.

   Cette histoire ressemble beaucoup à celle vécue par une autre Taïwanaise, Li-Chin Lin partie elle vivre en France. Il y a six ans, elle a publié un excellent roman graphique, Formose, qui mériterait d'être adapté au cinéma.