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dimanche, 29 janvier 2023

Babylon

   Un peu plus de quatre ans après l'emballant First Man, Damien Chazelle revient avec un film controversé, consacré au premier âge d'or d'Hollywood, au tournant des années 1920-1930. Liberté et créativité côtoyaient un certain amateurisme, une débrouillardise érigée en art (excellente séquence de tournage dans le désert à la clé). Ce système était dirigé par une poignée d'hommes riches, qui employaient essentiellement des marginaux, qui pouvaient nourrir les espoirs les plus fous. (C'est bien évidemment une illustration du Rêve américain.)

   La deuxième séquence (celle de la soirée orgiaque) donne le ton du film. Jeunes comme vieux, riches comme pauvres, hommes comme femmes, blancs comme noirs, asiatiques ou latinos, homos comme hétéros participent à cette fête démesurée, donnée par l'un des plus gros producteurs. On y boit beaucoup d'alcool, on y danse, on s'y drogue, on y baise, on y pisse... et, parfois, on y meurt.

   Je pense que cette séquence capitale, résultat d'un énorme de travail de préparation, est une métaphore à la fois du film et du monde du cinéma. C'est une illusion, celle que la vie doit être une fête et que travailler dans le cinéma permettrait de mener cette vie. Dès le lendemain (et dans les jours qui suivent), on découvre la (parfois triste) réalité : nombre des participants à la fête, étincelants ce soir-là, se réveillent dans un taudis. Leur "vie réelle" n'a que peu de rapport avec la nuit de folie qu'ils ont vécue. Sur ce point, la conclusion arrive plus de deux heures plus tard, dans la bouche de Nellie LaRoy, sur un ton désabusé.

   En attendant ce moment-là, Chazelle nous fait (re)découvrir tout un pan de l'histoire du cinéma, lorsque les vedettes du muet ont été confrontées à l'arrivée du parlant. On pense bien entendu à The Artist, mais cette thématique a déjà été abordée dans des séries comme dans d'autres films, le dernier en date étant Downton Abbey II. De ce point de vue, l'un des sommets est la séquence de tournage dans les conditions du direct, avec la nouvelle vedette LaRoy, une batterie de techniciens, un ingénieur-son vétilleux, une réalisatrice de plus en plus désabusée, un régisseur qui pète les plombs... et des producteurs dubitatifs. (L'un d'entre eux a une tête à la Harvey Weinstein, sans doute pas un hasard...)

   On a reproché à Chazelle le côté scabreux, voire provocant, de certaines scènes. Mais je trouve que, de manière générale, c'est justifié... et filmé avec malice. Cela commence bien sûr par la scène de l'éléphant (la première du film), elle aussi sans doute une métaphore du travail d'un créateur. Tel Sisyphe avec son rocher, Manuel tente de faire remonter la pente à un véhicule chargé d'un pachyderme (destiné à la fameuse fête du producteur). Je pense que c'est une allusion au travail nécessaire pour réaliser un film ambitieux, une entreprise périlleuse, qui nécessite de gigantesques efforts... pour parfois donner de la merde (ou se faire traiter comme de la merde, par des critiques pédants). Bien plus tard, les projections (excessives) de vomi de Nellie LaRoy sont sans doute une manière de manifester la rancune du cinéaste envers les bien-pensants de la côte Est, à un moment où les financiers new-yorkais tentent de mettre la main sur Hollywood. On retrouve un peu la même thématique dans la bouche de Jack Conrad, acteur sur le déclin, qui dénonce le snobisme des "théâtreux" et proclame que son art vaut bien le leur. (De surcroît, le passage au parlant a incité les producteurs à davantage recruter des comédiens qui avaient suivi une formation classique.)

   L'intrigue est donc foisonnante, tournant autour de quatre personnages principaux, tous très bien interprétés. On peut estimer que les véritables héros sont Manuel le Mexicain et Nellie la starlette. Diego Calva incarne à la perfection le jeune homme serviable, travailleur et ambitieux... mais qui tombe amoureux de la mauvaise personne. Margot Robbie est une nouvelle fois parfaite, dans le rôle de ce personnage à la fois toxique et pathétique, le plus souvent légèrement vêtu... (C'est d'ailleurs l'une des rares critiques que je formulerais à l'égard du film, qui s'appuie lourdement sur la plastique avantageuse d'une tripotée de jeunes femmes, se comportant comme ses augustes prédécesseurs des années 1920-1930.) Je recommande tout de même la scène qui voit l'apprentie comédienne masturber...  une statue de glace.

   Deux autres destins complètent ce duo : celui de l'acteur confirmé Jack Conrad et celui du trompettiste de jazz Sidney Palmer. Brad Pitt est encore et toujours impeccable, dans une forme physique révulsante étourdissante et réussissant à créer l'émotion autour de son personnage, d'abord flamboyant, devenu ensuite has-been. Jovan Adepo est tout aussi remarquable dans la peau d'un musicien qui hésite entre la réussite à tout prix et la préservation de son intégrité.

   D'autres personnages, plus secondaires, retiennent l'attention, comme celui de l'assistant et ami de Jack (qui se perd dans la quête d'un bonheur impossible), celui du mafieux bien tordu (Tobey Maguire, qui casse délicieusement son image) et celui de Lady Fay Zhu (Li Jun Li, marquante en artiste lesbienne), qui semble tout aussi talentueuse que les vedettes, mais à qui l'on ne confie que des tâches subalternes.

   Je crois que je pourrais encore longtemps parler de ce film, tant il est riche et inspirant. Il contient une brochette de moments d'anthologie et une réflexion pas idiote sur ce qu'est la vie et le métier d'acteur, le tout dans un superbe habillage (décor, lumières et musique). Il faut juste avoir une demi-journée à lui consacrer.

22:51 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

La Guerre des Lulus (le film)

   Il s'agit de l'adaptation de la bande dessinée à succès, plus précisément des trois premiers tomes, avec quelques modifications.

   Celles-ci sont visibles dès le début. J'ai bien aimé l'accent mis sur la forme d'abandon que connaît Ludwig (dont le scénario accentue le côté intello, ce qui est plutôt bien vu). Son arrivée à l'orphelinat est l'occasion de mettre en scène le harcèlement dont les jeunes peuvent être victimes, à l'époque comme aujourd'hui. Là aussi, cet ajout à l'histoire d'origine est bienvenu. De plus, dans le rôle de l'instituteur, Alex Lutz est convaincant.

   En revanche, je n'ai pas du tout apprécié la manière dont les personnages de Lucien et Luce ont été modifiés. On les a vieillis pour en faire des adolescents (dès 1914) et introduire une idylle à rebondissements, très maladroite. Le Lucien de la bande dessinée est moins crétin que le "bogosse" égocentrique du film... et, surtout, Luce est moins superficielle. La jeune Paloma Lebeaut a heureusement un peu de charisme et contribue à rendre son personnage intéressant.

   Mes préférés sont Luigi et Lucas. Le premier reste le glouton de la BD, un costaud pas très subtil qui se révèle très utile dans des circonstances difficiles. L'humour vient aussi du benjamin de la bande, un petit gars qui en a marre de ne jamais être écouté... et parfois oublié par les autres. A la longue, c'est toutefois un peu agaçant.

   Parmi les adultes que la troupe rencontre, les plus intéressants sont incontestablement Hans, le soldat allemand déserteur (comme dans la BD) et l'espèce de sorcière qui vit seule en forêt. Celle-ci est incarnée par Isabelle Carré, qui joue une figure maternelle atypique.

   La suite est malheureusement moins réussie. Certaines péripéties ne sont pas crédibles et le jeu de certains acteurs pas toujours convaincant. (Par exemple, la référence à La Grande Vadrouille tombe à plat, tant la copie fait pâle figure en comparaison de l'original.) Le pire est atteint dans la séquence des tranchées, totalement invraisemblable. (Ces derniers temps, entre ce film et le médiocre Tirailleurs, on n'est décidément pas gâté question véracité historique.)

   Le passage par le familistère de Guise m'a aussi déçu. Enfin, la conclusion de l'histoire est tirée par les cheveux. On a essayé de la faire concorder avec la bande dessinée, mais c'est mal mis en scène.

   Du coup, cela semble destiné à un très jeune public... auquel on ne peut que recommander de plutôt lire la BD !

samedi, 28 janvier 2023

Mayday

   Cet appel de détresse est lancé par un avion de ligne américain, un soir de 31 décembre, quelque part entre Singapour et Tokyo. L'atterrissage forcé se produit dans les Philippines, au cœur d'une région contrôlée par des rebelles au pouvoir qui, accessoirement, pratiquent enlèvement, extorsion, trafics et, parfois, exécutions.

   Ce que ces gars-là ignorent, c'est que le commandant de l'avion en question est incarné par Gerard « Grosses Burnes » Butler. Même si les chairs sont plus flasques qu'à la glorieuse époque de 300, le type a encore de la ressource. Depuis Greenland, il s'est découvert une vocation de sauveur du monde et (surtout) de papa poule. Ici, il va pouvoir s'appuyer sur... un dangereux criminel, qui choisit d'épauler les passagers contre la bande de fous furieux qui les retient en otages. Ce Louis Gaspare est moyennement fiable : du genre irritable, hyper-violent et assez attiré par les liasses de billets. Mais, formé à la Légion étrangère, il est devenu expert en meurtre. (Réjouissons-nous qu'un film hollywoodien rende hommage à ce savoir-faire français.) De surcroît, l'avion aux performances flageolantes n'étant pas un Airbus, les spectateurs hexagonaux n'auront aucun motif de mécontentement.

   Aux manettes se trouve d'ailleurs un Frenchie, Jean-François Richet, que j'ai découvert il y a bien longtemps avec État des lieux. Ces dernières années, l'auteur de Mesrine s'est contenté d'un Empereur de Paris et d'un Blood Father efficaces, sans affoler le box-office.

    On sait ce qu'on va  voir : un film d'action, avec des effets spéciaux... et un niveau philosophique accessible à un élève de terminale moyen.

   Côté spectaculaire, il y a les turbulences dans lesquelles l'avion est pris, atterrissage d'urgence à la clé. On en a déjà vu d'autres, mais c'est quand même bien foutu. Le réalisateur en a gardé un peu sous la semelle pour l'avant-dernière séquence, qui m'a davantage plu.

   Côté action, on est servi par une première scène de baston, principalement à mains nues, dans une usine désaffectée. Butler et son antagoniste auraient tourné ça d'une traite. C'est bien chorégraphié et l'on sent qu'à la fin l'essoufflement du commandant n'est pas feint.

   Plus spectaculaire (et fort bien mise en scène) est la séquence de délivrance des otages. Je crois pouvoir affirmer que certains personnages sont complètement à la masse... Sauce tomate garantie !

   Pour les amateurs de gros guns, je recommande la suite. Dans des circonstances que je me garderai bien de révéler, une bande de mercenaires va débarquer sur l'île. Les mecs sont des pros... et bigrement bien outillés. On sent que ça va chier grave.

   Comme vous pouvez le constater, il n'y a pas grand chose de subtil là-dedans, mais je me suis régalé. C'est un film comme hélas on en voit de moins en moins souvent dans les salles. Je conseille de saisir l'occasion s'il passe près de chez vous.

23:33 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films

jeudi, 26 janvier 2023

Saloum

   Un trio de mercenaires (un Iroquois, un marabout et le « chacal ») met la main sur un tas d'or et un trafiquant de drogue. On est en Guinée-Bissau, en plein coup d’État et ce petit monde a envie de se faire oublier. Direction le Sénégal... avec une halte imprévue en Gambie. Dans la région frontalière du Saloum vont retentir les coups de feu... et se produire des phénomènes surnaturels.

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   Le cinéaste Jean-Luc Herbulot (auquel on doit plusieurs épisodes de la série Falco) a planté sa caméra dans ce far west africain, avec en tête des références à Sergio Leone, aux films de narcos, à La Isla minima (pour l'ambiance et certains vues du ciel)... et au genre horrifique. C'est bien filmé, avec des plans inventifs, d'autres tout simplement superbes. On y voit des paysages inhabituels (pour un Européen)... et des « gueules » d'acteurs, des trognes façon Leone, des tronches en biais, plus ou moins grimaçantes, plus ou moins en sueur... le tout dans une ambiance moite, qui devient vite délétère.

   Le trio devenu quatuor débarque dans... un village de vacances, où les clients, pour payer leur séjour, contribuent au fonctionnement des lieux et à l'animation de la région. On se dit que tout ce petit monde n'est pas réuni là par hasard... et que cela risque de dégénérer. Quant à la région, plus on la découvre, plus on est intrigué, tant rien ne semble normal dans ce coin de l'Afrique.

   En arrière-plan, les connaisseurs du continent percevront les remous de son histoire, dont les secousses se font encore sentir des années plus tard.

   Voilà. Cela dure moins d'1h30 et l'on ne s'ennuie pas une minute. La musique est chouette et j'ai trouvé original le mélange des genres, même si tout n'est pas abouti dans le film. C'est une expérience à tenter.

22:26 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

dimanche, 22 janvier 2023

Hinterland

   Cet « arrière-pays » pourrait être le Front de l'Est de la Première Guerre mondiale, où ont été projetés de jeunes Autrichiens, qui reviennent au pays après des mois de captivité, en 1920. La Vienne qu'ils redécouvrent n'a plus grand chose à voir avec celle qu'ils ont connue six ans auparavant : les civils font tout pour oublier les traces de la guerre, alors qu'eux sont marqués à vie. La splendeur de naguère, celle de l'Empire austro-hongrois (sans doute idéalisée), a cédé la place à un monde fait de pauvreté et de violence traversé par les tentations révolutionnaires.

   L'un de ces soldats est Peter Berg, officier de police dans le civil. (Il est interprété par Murathan Muslu, vu récemment dans Code 7500.) Il découvre que son épouse a déménagé (avec leur fille) et que sa belle-famille a été ruinée par la guerre. A ces conditions matérielles difficiles s'ajoutent ses propres tourments : il revient de la guerre fracassé sur le plan psychologique. Cela tombe mal, puisque c'est le moment que choisit un tueur en série pour commencer à sévir. Les enquêteurs vont assez rapidement découvrir qu'il existe un lien entre les meurtres et ce qu'a vécu l'unité où se trouvait Peter, à l'est.

   On sent que les auteurs ont voulu mettre beaucoup de choses dans ce film. On y croise (comme dans Les Fragments d'Antonin) des soldats victimes de stress post-traumatique, des travailleurs manuels et des intellectuels tentés par le communisme, des citadins tenaillés par l'antisémitisme, une femme qui cherche à vivre libre... et, globalement, une population viennoise dont la vie a été chamboulée : la ville, naguère phare d'un des plus puissants empires, a été reléguée au rang de capitale d'un État devenu secondaire.

   C'est intéressant mais parfois surligné. Le réalisateur, Stefan Ruzowitzky (qui s'est fait connaître jadis avec Les Faussaires) aime filmer la crasse des soldats, la misère des enfants des rues. Il conduit ses scènes souvent de manière trop prévisible : on sent que Peter va jeter le verre qu'il tient à l'autre bout de la pièce, on est certain que, la première fois, il ne va pas oser aller jusqu'à son épouse et sa fille et l'on sent tout aussi bien qu'avec la charmante médecin-légiste (qui fait un peu penser à l’Émilie Grace des Enquêtes de Murdoch), cela va vite "coller".

   L'intrigue policière est nettement mieux ficelée et elle maintient l'intérêt jusqu'au bout. Le film mérite le détour parce que l'intrigue est servie par un emballage original, quasi entièrement numérique : les décors sont parfois inspirés de vues réelles, le plus souvent reconstituées et restituées sous la forme de distorsions. Dans ce monde né de la guerre, tout est tordu, de travers : les bâtiments, les rues, les sentiments, les corps, les valeurs. Cela convient très bien à certains personnages. D'autres ont beaucoup de mal à s'habituer à la Vienne moderne.

   Je trouve que ces décors numériques sont parfois trop voyants (mais c'est aussi un peu le but, je crois), même si leur agencement (couplé à une musique bien choisie) contribue à planter une ambiance d'étrangeté qui bénéficie au film.

   C'est parfois un peu surjoué, pas toujours écrit avec subtilité, mais je recommande tout de même ce polar historico-horrifique.

jeudi, 19 janvier 2023

La Perspective Luigi

   En deux volumes, cette bande dessinée constitue un épisode hors-série des aventures des Lulus. Il se place après les trois premiers tomes, dont j'ai récemment parlé.

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   Dans le premier volet, on retrouve nos héros... en Allemagne. Je ne révèlerai pas comment ils s'y sont retrouvés. Sachez juste que le peu d'allemand appris auprès du déserteur Hans (dans le tome 2) va leur être très utile pour se faire passer pour des citoyens suisses, les Français n'étant pas très populaires à l'époque (1916) outre-Rhin, y compris dans les catégories populaires, particulièrement touchées par les pénuries.

   Les Lulus intègrent une bande de gamins des rues, sorte de version citadine (et teutonne) de nos orphelins de la forêt. Ils vont croiser un autre groupe, plus hostile celui-là, composé d'enfants plus âgés. L'ambiance oscille entre Victor Hugo et Charles Dickens. C'est très prenant... et superbement mis en images, par Damien Cuvillier, qui succède temporairement à Hardoc pour ces aventures. Au scénario officie toujours Régis Hautière.

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   Le deuxième volet de ces aventures nous transporte à Holzminden, dans un camp d'internement allemand, destiné aux civils étrangers. Ce n'est pas une invention du scénariste : il a bel et bien existé. C'est l'occasion de rappeler que cette bande dessinée, fictive, est nourrie de recherches historiques consciencieuses.

   L'histoire est toujours aussi rocambolesque. Les jeunes héros rencontrent  quelques salauds, mais aussi de belles âmes, qui vont leur permettre de surmonter l'adversité.

   Notons que ces aventures germaniques sont racontées par un Luigi devenu adulte, en 1936, alors qu'il n'était pas le narrateur des premiers albums.

mercredi, 18 janvier 2023

La Guerre des Lulus (tomes 1, 2 et 3)

   Cette bande dessinée en huit tomes (plus un épisode double hors série) vient de faire l'objet d'une adaptation cinématographique (dont je parlerai bientôt).

   Elle nous conte l'histoire d'un quatuor de garçons, tous orphelins : Lucien, Luigi, Ludwig et Lucas. Ils se sont rencontrés dans un orphelinat, tenu par des religieux et situé dans le département de l'Aisne.

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   Le premier tome s'intitule La Maison des enfants trouvés. L'action se déroule en 1914 (année qui donne son sous-titre à l'album). Après avoir présenté les principaux personnages, les auteurs (Régis Hautière et Hardoc) nous font suivre les débuts de la Première Guerre mondiale, au niveau des enfants, une bande de petits canaillous qui aime vivre des aventures indépendamment des autres. Il leur faut assurer leur subsistance... et échapper aux Allemands, qui progressent dans la région. Bientôt, ils rencontrent une jeune fille belge, séparée de sa famille. Luce vient grossir les rangs de la tribu des Lulus.

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   Le deuxième tome s'intitule sobrement Hans. Il a pour cadre l'année 1915, au cours de laquelle les héros font la rencontre d'un déserteur allemand, qui va leur rendre bien des services. Ils deviennent plus habiles dans leur quête de nourriture et découvrent les joies de la baignade en groupe. C'est aussi le moment (délicat) où Luce devient adolescente. Les enfants, toujours confrontés à la faim (et aux poux), touchent de plus près les horreurs de la guerre. J'ai beaucoup aimé cet épisode, qui prend le risque de présenter un soldat allemand de manière plus favorable qu'un « poilu ». Voilà qui ne manque pas de courage.

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   Dans le troisième tome, on retrouve nos héros en 1916. Ils ont décidé de quitter leur forêt d'origine, pour se rapprocher des villes. En chemin, ils croisent un drôle de sabotier, avant de débarquer clandestinement dans un familistère (d'où le titre du volume : Le Tas de briques). Cette structure originale, qui permet aux ouvriers, grâce à un riche philanthrope, d'échapper un peu à leur condition, a réellement existé. Dans l'album, le familistère n'est pas qu'un décor, il constitue presque un personnage à part entière. Les rebondissements sont multiples. C'est passionnant à lire.

mardi, 17 janvier 2023

Les Survivants

   Au sens littéral, ces survivants sont des migrants, rescapés de la traversée de la Méditerranée, qui tentent un nouveau passage périlleux, celui des Alpes, à la frontière franco-italienne. Au sens figuré, les survivants sont sont ceux qui peinent à surmonter une perte (le décès d'un.e proche).

   Dans le rôle de la migrante, on trouve Zar Amir Ebrahimi, révélée au public international par Les Nuits de Mashhad. Dans le rôle du montagnard fracassé par la vie, on a Denis Ménochet, acteur à la filmographie éclectique, remarqué notamment dans Seules les bêtes.

   L'intérêt repose sur trois éléments : l'utilisation du cadre alpin, à la fois magnifique et oppressant, la relation ambiguë qui se noue entre le passeur et la migrante et le choix de traiter l'intrigue sous la forme d'un thriller. La montée progressive en tension est bien maîtrisée, avec une séquence particulièrement remarquable, celle tournée dans un hôtel-restaurant à l'abandon, un labyrinthe où tout semble possible, en particulier le pire.

   J'ai aussi bien aimé l'idée que chaque membre du duo apporte quelque chose à l'autre. Samuel fait profiter Chehreh de sa connaissance de la montagne. Celle-ci se révèle très utile face à la menace qui pointe (celle de la traque menée par les identitaires) : elle est habituée à fonctionner en mode survie. Cette entraide se double progressivement d'une meilleure compréhension mutuelle, d'où la tendresse n'est pas absente...

   Le gros problème est le traitement manichéen du sujet. On ne laisse aucune liberté aux spectateurs, sommés de compatir pour le duo de héros, tandis que leurs antagonistes anti-immigration sont dépeints de la pire des manières, le sommet étant atteint avec la caractérisation du personnage de Justine (très bien interprété par Victoire du Bois, ceci dit). On ne peut pas ne pas détester le trio de traqueurs, alors que la migrante est si sympathique, à la fois belle, forte et fragile, le passeur faisant immanquablement penser à un gros nounours, affectueux, un peu maladroit... et parfois en colère.

   C'est vraiment dommage, parce qu'il y avait un beau sujet de société à traiter, que le réalisateur a escamoté pour mettre l'accent sur la relation entre Samuel et Chehreh.

samedi, 14 janvier 2023

Année zéro

   Je viens d'achever le visionnage du quatrième et ultime épisode de cette mini-série fantastique (intégralement disponible sur ma Box, alors que seuls les deux derniers épisodes sont gratuitement accessibles sur le site du diffuseur, M6), qui associe le polar, les intrigues sentimentales à un événement surnaturel : le 31 décembre 2023, à minuit, trois personnages se retrouvent bloqués dans l'ascenseur d'un hôpital... et ramenés un an en arrière.

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   A gauche se trouve Juliette, une policière venue chercher les affaires de son mari, décédé sur une table d'opération, à cause croit-elle de la maladresse du chirurgien, Marc, époux de sa voisine d'ascenseur, Anna. Celle-ci vient de trouver son mari, qui a été assassiné dans son bureau... mais par qui, mystère. A droite est placé Cédric, le meilleur ami du couple, un ambulancier qui a noué une relation forte avec une victime d'accident de la route.

   Quand les trois personnages émergent de l'ascenseur, ils débarquent dans le hall d'entrée de l'hôpital, où le personnel fête le 1er janvier... 2023. Donc le chirurgien est encore vivant, tout comme le mari de la policière... mais Cédric n'a pas encore rencontré la femme de sa vie. Les trois héros vont essayer d'améliorer le passé récent, tout en menant leur petite enquête sur le potentiel assassin de Marc, quelqu'un qui travaille à l'hôpital et semble être responsable de récentes morts inexpliquées.

   Le premier épisode nous présente d'abord les principaux personnages, dans le "présent" d'origine (le 31 décembre 2023 et les semaines qui l'ont précédé). Chaque héros est confronté à une situation de crise : un mariage foutu pour Anna, le veuvage et une carrière en demi-teinte pour Juliette, le handicap pour Cédric. Les acteurs sont convaincants, en particulier Emilie Dequenne, Marc Riso, Elisa Erka et Loup-Denis Elion. Je suis moins convaincu par Claire Keim, peut-être parce que j'ai trouvé son personnage plutôt antipathique.

   Après l'incident de l'ascenseur, ce sont les contrastes (changements) entre le nouveau présent et celui du début qui sont mis en évidence. C'est accentué dans le deuxième et le troisième épisodes, avec les conséquences de l'action des protagonistes. On retrouve la mise en scène d'un "effet papillon", moins brillamment toutefois que dans le récent Tourbillon de la vie.

   Si, à la toute fin du deuxième épisode, il ne reste guère de doute sur l'identité de l'auteur des meurtres, l'incertitude demeure sur ses motivations (révélées seulement au cours du quatrième volet). Le suspens porte sur la capacité des "rescapés du futur" à changer le cours de l'année 2023... et sur le rôle d'une quatrième personne qui, d'une manière que je me garderai bien de révéler, a aussi été projetée dans le passé.

   C'est globalement bien fichu, prenant, pas mal réalisé du tout. A l'écran, quand une scène du nouveau présent est le résultat d'un changement initié par l'un des héros, le passé ressurgit soudain, encadré de flou. J'ai bien aimé le procédé.

   L'histoire se conclut sur une pirouette, qui semble indiquer qu'une suite est prévue.

mercredi, 11 janvier 2023

Les "Riton" 2022

   L'an dernier, je n'ai pas eu le courage d'établir un palmarès. Le précédent remonte donc à 2020. Je vais distinguer une cinquantaine d’œuvres, celles qui m'ont le plus marqué, pour différentes raisons. Aucune ne sort du lot, mais une dizaine me semble incontournable.

 

   Certains films à effets spéciaux m'ont redonné goût au cinéma.

- Riton du film de super-héros : The Batman

- Riton du film de magiciens : Les Animaux fantastiques 3

- Riton du film transgenre : Matrix IV

- Riton du film post-apocalyptique : Vesper Chronicles

- Riton du film n'importe nawak : Everything Everywhere All at Once (un de mes films de l'année)

 

   J'ai aussi particulièrement apprécié des "films de genre" (action, polar et thriller).

- Riton du film ferroviaire : Bullet train (un de mes films de l'année)

- Riton du film médical : Ambulance

- Riton du film musical : Petite fleur

- Riton du film de Noël : Violent Night (un de mes films de l'année)

- Riton du film de l'Avent  : Novembre (un de mes films de l'année)

- Riton du film de l'après : Les Cinq Diables

- Riton du vrai film iranien : Marché noir

- Riton du faux film néerlandais : Amsterdam

- Riton de l'enquête inaboutie : Decision to leave (un de mes films de l'année)

- Riton de l'enquête truquée : La Conspiration du Caire (un de mes films de l'année)

 

   Dans ce monde hostile, empli de violence et d'imbécillité, j'ai pu compter sur quelques bonnes comédies pour me remonter le moral.

- Riton du film de chambre à air : Fumer fait tousser

- Riton du film de chambre mal aérée : Maison de retraite

- Riton du film de sport en chambre : Sans filtre (un de mes films de l'année)

- Riton du film de fantasme : Super-héros malgré lui

- Riton du film de justicier : The Duke

- Riton du film de justiciable : El buen patron

- Riton du film de rebelles : Choeur de rockers

 

   Les comédies abordent souvent des sujets de société, certains d'entre eux ayant été traités par des films "sérieux".

- Riton du film d'enseignant : L’École du bout du monde

- Riton du film journalistique : She Said

- Riton du film d'employée précaire : Ouistreham

- Riton du film de patron : Un autre monde

- Riton du film de classe moyenne : Don't worry darling

- Riton du film de gros bourges : Downton Abbey II (un de mes films de l'année)

- Riton du film de gros pas bourge : Wild Men

 

   Parfois, la fiction est inutile ; un (bon) documentaire suffit.

- Riton du film de piqûre : H6

- Riton du film de griffure : Lynx (un de mes films de l'année)

- Riton du film mordant : Poulet frites

- Riton du film accablant : Babi Yar. Contexte

 

   Cela m'amène tout naturellement aux films à caractère historique, un genre que d'habitude j'affectionne, mais qui m'a souvent déçu l'année passée, la plupart des œuvres vues n'étant qu'à moitié réussies.

- Riton du film de procès : L'Affaire Collini

- Riton du film familial : Les Secrets de mon père

- Riton du film pictural : Charlotte

 

   Je termine sans surprise par la catégorie la plus fournie, celle des films d'animation. Quand bien même Disney snoberait de plus en plus les salles françaises, la diversité et la qualité de la production sont telles qu'on y survit sans peine.

- Riton de l'animation historique : My Favourite War

- Riton de l'animation géopolitique : Le Voyage en Charabie

- Riton de l'animation féérique : Le Pharaon, le sauvage et la princesse

- Riton de l'animation héroïque : Buzz l'éclair

- Riton de l'animation pompière : Vaillante

- Riton de l'animation forestière : Le Roi cerf

- Riton de l'animation zoologique : Les Bad Guys

- Riton de l'animation féline : Samouraï Academy

- Riton de l'animation délinquante : Les Minions 2 (un de mes films de l'année)

- Riton de l'animation policière : Détective Conan - La Fiancée de Shibuya

- Riton de l'animation japonaise : Inu-Oh (un de mes films de l'année)

- Riton de l'animation inclassable : Junk Head (un de mes films de l'année)

 

    Malgré mes préventions envers les films français, une douzaine de films hexagonaux figurent dans ce palmarès, preuve que notre abondante production recèle quelques trésors. Le meilleur de 2022 vient toutefois (pour moi) en grande majorité de l'étranger.

 

16:34 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films

samedi, 07 janvier 2023

César Wagner

   C'est le titre d'une série créée par France Télévisions en 2020. Le sixième épisode, intitulé « L’œil du lynx », a été diffusé hier vendredi. Il est disponible en ligne jusqu'en mai prochain.

   L'action se déroule dans la région Grand Est, de préférence autour de Strasbourg, même si ici on nous emmène dans la forêt des Vosges, où chasseurs et écologistes sont en conflit. Le meurtre d'une journaliste militante intervient en période de forte tension.

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   L'enquête est dirigée par un capitaine de police hypocondriaque et maniaque, incarné par Gil Alma. Il s'appuie sur ses subordonnés, notamment une lieutenante consciencieuse mais assez peu conventionnelle, interprétée par Coralie Russier. Mais l'aide la plus importante semble provenir de la pétillante médecin-légiste, jouée par Olivia Côte. Ses interactions avec le capitaine sont souvent cocasses, en tout cas toujours remuantes. Elle est autant exubérante et spontanée que lui est prudent et réservé. J'aime beaucoup ce duo, qui n'est pas sans rappeler celui formé par Audrey Fleurot et Mehdi Nebbou dans HPI.

   Les scénaristes ont travaillé les seconds rôles, parmi lesquels on trouve un substitut du procureur casse-pieds, la maire de Strasbourg (et mère du capitaine !) ainsi qu'un médecin empathique et homosexuel.

   Dans cet épisode-ci, il faut signaler la présence de quelques invités remarquables : Patrick Chesnais en chasseur bourru (un rôle sur mesure) et Elodie Frenck, la Marlène des Petits Meurtres d'Agathie Christie (saison 2).

   L'intrigue est suffisamment complexe pour retenir l'attention des amateurs de polar. S'ajoutent à cela des scènes forestières inspirées, certaines d'entre elles nous permettant d'apercevoir un des lynx qui y résident :

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   PS I

   Je profite de l'occasion pour signaler que le fabuleux documentaire Lynx, sorti en 2022, est disponible en DVD... et qu'il figure à mon palmarès de l'année écoulée.

   PS II

   Si la série vous tente, sachez que vous pouvez visionner d'anciens épisodes sur le site de France Télévisions : « Sombres desseins » (troisième de la série, disponible jusqu'au 9 mars), « Tout l'or du Rhin » (épisode 4, en ligne jusqu'au 5 mars) et « Un doigt de mystère » (épisode 5, diffusé en octobre 2021).

jeudi, 05 janvier 2023

Tirailleurs

   Omar Sy a coproduit le film dans lequel il interprète le rôle principal, celui d'un éleveur peul, qui s'engage dans l'armée française, en 1917, pour tenter de sauver la vie de son fils enrôlé de force dans les tirailleurs sénégalais.

   Trois thématiques s'entrecroisent : le drame familial, la reconstitution historique (de la guerre) et l'exploitation coloniale. La relation père-fils constitue peut-être ce qu'il y a de plus réussi dans le film. Ce père qui ne parle quasiment pas un mot de français est touchant dans son obstination à préserver la vie de son fils aîné, que celui-ci apparaisse faible (au début) ou bien plus fort (quand il monte en grade). Néanmoins, la mise en scène de la relation conflictuelle manque un peu de finesse... et j'ai noté au moins deux maladresses. Ainsi, rien ne nous permet de comprendre comment le lieutenant a deviné que Thierno est le fils de Bakary, alors que leur secret, bien gardé, n'a pas été éventé par les autres Africains de la troupe. Le montage lui aurait mérité d'être plus soigné : lors d'une dispute père-fils, le mouvement est haché par une coupure qui ne se justifie nullement.

   La reconstitution historique a de la gueule. Les scènes de tranchées sont très honnêtement filmées et l'image m'est apparue assez soignée. Mais l'on a déjà vu aussi bien (voire mieux) ailleurs... et, là encore, il y a quelques maladresses. Ainsi, il n'est pas plausible que lors d'une annonce faite à la troupe (au garde-à-vous), aucun gradé ne fasse remarquer au soldat Bakary qu'il n'a pas son équipement au complet (notamment son casque). Dans la foulée, son unité est dirigée vers une zone de combat. Un de ses camarades lui apporte son "barda", casque inclus. Le problème est que, lorsque Bakary rejoint son unité, il ne porte tout d'abord pas son casque sur la tête... mais, au plan suivant (se déroulant dans la foulée, à la seconde près), il est montré totalement équipé, sans qu'on l'ait vu esquisser le moindre geste pour mettre son casque ! Le pire est atteint une nuit, lorsque le père s'extrait de sa tranchée pour partir à la rescousse du fils : là encore, il n'a pas pris son casque, alors que, pas très loin de là, des coups de feu sont échangés. Le réalisateur aurait dû faire rejouer ces scènes à sa vedette, pour qu'elles gagnent en crédibilité.

   D'autres invraisemblances émaillent le scénario. Il n'est pas possible qu'un double meurtre, commis en plein camp de transit des tirailleurs, ne donne lieu à aucune enquête. Cette séquence a pour seul but de montrer comment les soldats se procurent l'argent nécessaire au financement de leur fuite, mais elle est totalement déconnectée de l'ambiance de guerre. De la même façon, plus tard, quand l'un des fuyards revient au camp, on le laisse entrer comme ça, après deux vagues mots d'explication. On est en 1917 et, à l'époque, on ne plaisante pas avec la désertion. Le soldat ne pouvait qu'être arrêté... mais cela l'aurait empêché de rejoindre la tranchée où était partie son unité.

   Enfin, l'hypothèse (séduisante en théorie) du soldat inconnu tirailleur sénégalais est hautement improbable. Quand, en 1920, les militaires chargés de recueillir les restes des neuf (puis huit) soldats sur les différents champs de bataille ont procédé à des exhumations, ils se sont d'abord assurés qu'il s'agissait de soldats français (et pas d'Allemands) et qu'ils ne soient pas identifiables individuellement (auquel cas leur dépouille aurait dû être remise à leur famille). D'après l'historien Jean-François Jagielski (qui cite l'écrivain Roland Dorgelès), à au moins deux reprises, sur le champ de bataille de Verdun, on a écarté du choix les dépouilles de soldats qui semblaient être issus des colonies.

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   De surcroît, la scène d'exhumation montrée dans le film (en deux parties, au tout début et à la fin) fait apparaître des os bien blancs, dégagés de tout muscle, chair ou graisse. Or, le soldat décédé a été enterré sur place, totalement habillé, seulement trois ans auparavant. Il me semble qu'atteindre un tel état de squelettisation nécessite plus de temps, au moins cinq ans.

   Il nous reste à aborder la thématique coloniale. Les relations entre les Français métropolitains et les Africains colonisés sont mises en scène sans trop de manichéisme. Il y a bien domination des Blancs sur les Noirs, mais aussi des Noirs sur d'autres Noirs... et la majorité des Blancs représentés ne sont pas des figures négatives. L'armée est même montrée comme un facteur de promotion sociale pour les colonisés. Le propos général n'est pas une dénonciation hargneuse, revendicative, excessive, mais le souhait de préserver un certain "vivre ensemble" tout en reconnaissant le passif de l'histoire. Du film émanent paradoxalement de la douceur et de la dignité, même si, là encore, maladresse et approximation ne sont pas absentes. Je me contenterai de citer l'exemple des comportements alimentaires. Musulmans pieux, le père et le fils sénégalais s'interdisent de consommer du porc (et de l'alcool). Or, il semble qu'on en leur serve, dans le camp de transit. Aux vertueuses âmes promptes à s'indigner de l'ignoble comportement de la République colonialiste, il faut révéler que, durant le conflit, l'armée française s'est montrée très soucieuse du respect des convictions et traditions de ses soldats issus des colonies : les Indochinois ont été destinataires de rations supplémentaires de riz (et même d'assaisonnement traditionnel), tandis que les musulmans ont pu, la plupart du temps, bénéficier de repas sans porc (et remplacer le vin par du café ou du thé). De la même manière, ils ont été autorisés à suivre le jeûne du ramadan et des salles de prière ont été aménagées à leur intention, à l'arrière des combats, les aumôniers catholiques des armées étant priés de ne pas tenter de convertir. Au niveau de l'équipement, plusieurs unités ont été autorisées à personnaliser leur coiffe ou à diversifier leur armement (avec la présence autorisée de couteaux traditionnels).

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   Bref, ce n'est pas un film déshonorant, ni puant sur le fond. Mais il contient pas mal d'approximations, alors qu'il risque d'être pris par une partie de son public comme une irréprochable œuvre d'histoire.

dimanche, 01 janvier 2023

Le Tourbillon de la vie

   Julia, fille de facteurs-réparateurs de pianos, est une adolescente virtuose, peut-être sur le point d'embrasser une brillante carrière internationale. Mais nous sommes en novembre 1989 et l'adolescente sage a envie de connaître l'aventure, notamment à Berlin. Le fait qu'elle concrétise ou pas ce séjour allemand (clandestin) aura de considérables conséquences sur sa vie personnelle et sa carrière. La chute d'un simple passeport peut tout faire basculer.

   Vous avez sans doute reconnu le principe de « l'effet papillon », popularisé il y a une vingtaine d'années par une fiction sentimentale portant ce titre. On peut actuellement le voir à l’œuvre dans la mini-série Vortex... et, surtout, les (vieux) cinéphiles se rappellent du diptyque Smoking / No Smoking d'Alain Resnais, avec Pierre Arditi et Sabine Azéma.

   Cette fois-ci, le rapport masculin / féminin est déséquilibré, puisque c'est le personnage de Julia qui occupe le devant de la scène. Ce sont ses actes qui déterminent l'apparition de futurs alternatifs. Va-t-elle percuter ou non le petit chariot, dans la librairie ? Une fois arrivée en caisse, va-t-elle laisser tomber l'un de ses achats, provoquant la rencontre avec le potentiel homme de sa vie ? Sera-t-elle suffisamment sûre d'elle le jour du concours Clara Schumann, au point de le remporter... ou pas ? Sera-t-elle victime d'un accident de scooter, ou pas ?

   C'est un couple, Camille et Olivier Treiner, qui a tissé les mailles de ce scénario foisonnant, dont le résultat est bien maîtrisé, grâce à un montage judicieux. Cela nécessite un minimum d'attention, mais on ne perd pas le fil. Il convient d'être vigilant à plusieurs détails : la coupe de cheveux de Julia, ses habits, la présence (ou non) d'une cicatrice sur la main droite... On passe d'une vie à l'autre, où tout n'est toutefois pas différent. Quels que soient les choix de l'héroïne, elle finit par croiser ou recroiser certains personnages de sa vie et certains événements semblent incontournables. C'est dire le tour de force qu'il a fallu pour relier d'une manière ou d'une autre tous les fils narratifs.

   Notons que l'intrigue ménage plusieurs possibilités de bonheur et de réussite professionnelle à Julia.  Dans chacune de ses vies, elle connaît au moins un échec. Elle s'en relève plus ou moins bien. C'est touchant et parfois très émouvant, comme lorsqu'une mère alitée entend, grâce à la radio, le lointain récital donné par une fille qu'elle voit peu ou quand, à la toute fin, une ancienne prof de chant est invitée à un concert privé.

   L'interprétation est très bonne. Dans le rôle des parents de Julia, on retrouve Isabelle Carré et Grégory Gadebois (qu'on a déjà vus en couple dans Délicieux). Je me dois de mettre l'accent sur un nom : Lou de Laâge qui, selon moi, réalise une performance exceptionnelle (qui mériterait un César). On l'avait remarquée dans Les Innocentes et Boîte noire mais là, franchement, elle éclabousse le film de sa beauté et (surtout) de son talent.

22:31 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

Vivre

   Sorti sous le titre originel Living, ce film est le remake britannique de l'une des œuvres du maître japonais Akira Kurosawa (auquel on doit, entre autres, Rashōmon, Les Sept Samouraïs, Les Bas-Fonds, Kagemusha, Ran...). L'action se déroule au début des années 1950, dans un Londres en pleine croissance, mais où subsistent des traces de la Seconde Guerre mondiale.

   Le film repose en grande partie sur le talent de Bill Nighy, qui incarne Mr Williams, chef de service dans l'administration londonienne. Ce gentleman, comme il aime s'appeler, est un symbole de la modération conservatrice. Il s'habille toujours de la même manière (foncée), est réglé comme une horloge, se montre courtois mais un peu froid. On ne l'entend jamais prononcer un mot plus haut que l'autre et, afin d'éviter tout conflit ou esclandre, il use de la litote à la perfection.

   La première partie du film nous présente une Angleterre vintage, avec des cols blancs habitant en banlieue proche de la capitale (ici, dans le Surrey), où ils se rendent quotidiennement en train. On découvre un monde fait d'apparences et de rituels, dont nous sommes informés en suivant les débuts d'un nouvel employé du service des Travaux publics. C'est aussi, indirectement, une satire de la fonction publique municipale, où beaucoup de monde fait semblant de travailler et se défausse à la première occasion sur un autre service. Les pérégrinations d'un trio de femmes cherchant à accélérer l'aménagement d'une aire de jeux ne sont pas sans rappeler celles d'un duo de célèbres Gaulois dans Les 12 travaux d'Astérix...

   La routine ennuyeuse du héros est perturbée par un rendez-vous médical, qui l'oblige -fait exceptionnel- à quitter son travail plus tôt que prévu. Mais, surtout, il apprend à cette occasion qu'il est atteint d'une maladie incurable. Cela remet en question toutes ses certitudes. La mise en scène suggère qu'il a d'abord songé au suicide... avant de se raviser. Il choisit de goûter un peu plus aux plaisirs de la vie, ce à quoi il avait renoncé après le décès précoce de son épouse, se consacrant pleinement à son travail et à l'éducation de son fils unique.

   Deux personnes vont aider Mr Williams à mieux profiter de la vie : un ancien fêtard, qui lui fait découvrir le Londres underground et une jeune employée de la mairie, si fraîche et colorée à côté du terne fonctionnaire. Mais cela ne va pas suffire à celui-ci. Une nouvelle rupture intervient, que je ne vais pas raconter.

   Comme son devancier japonais, le film britannique ne s'achève pas à la mort du héros. Le dernier tiers de l'histoire se déroule après celle-ci. Certains retours en arrière permettent de combler les ellipses de la deuxième partie. C'est aussi à ce moment-là que le questionnement personnel se fait le plus fort : qu'as-tu fait de ta vie et que comptes-tu en faire à présent ? C'est très fort et Bill Nighy est particulièrement émouvant dans le rôle principal.

   Ce n'est clairement pas le film le plus gai du moment, mais c'est pour moi l'un des plus beaux.

17:14 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

Unicorn Wars

   Cette coproduction franco-espagnole est un film d'animation destiné aux adultes. On peut y voir de charmants oursons mener une guerre sanguinaire contre des licornes, au sein d'une forêt magique où vit un monstre, tapi dans l'ombre.

   Le début montre la formation des oursons guerriers. Ces sortes d'enfants / d'adolescents en peluche subissent un entraînement qui n'est pas sans rappeler celui mis en scène dans Full Metal Jacket, avec un instructeur odieux, éructant des insanités. La suite de l'histoire contient d'autres références à des films de guerre (sur le Vietnam), comme Platoon, Apocalypse now et peut-être Voyage au bout de l'enfer.

   Le propos est clairement antimilitariste et anti-guerre, mélangeant la fausse innocence des oursons à la violence physique et morale de leur entraînement. Certains des personnages en sortent traumatisés et l'un d'entre eux se révèle psychopathe.

   Au départ, le procédé est intéressant, mais le mélange de situations quasi enfantines et de la violence guerrière finit par lasser. En face on nous dépeint le monde des licornes comme magnifique et enchanté... sauf quand elles doivent affronter les oursons. Là, cela devient franchement gore.

   Cela donne le ton de la suite, avec une guerre qui commence comme une escarmouche, pour s'achever en génocide, le tout accompagné de l'exaltation factice de l'héroïsme guerrier et d'un habillage religieux fanatisant.

   La morale de l'histoire ? Ce monde mi-enchanteur mi-cauchemardesque est l'ancêtre du nôtre, puisque les humains sont issus du mélange des oursons et des licornes.

11:49 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films