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jeudi, 30 novembre 2017

Le Brio

   J'ai un peu tardé à aller voir ce film, qui a bénéficié d'une promotion quasi-hollywoodienne. La vision de la bande-annonce m'avait donné l'impression de connaître déjà toute la trame de l'histoire, ce qui enlève quand même un peu l'envie. Mais, certains éléments laissaient présager une intrigue pas trop "politiquement correcte" et le bouche-à-oreille est très bon. Va donc pour Le Brio.

   La première (agréable) surprise arrive dès le début, avec ces extraits d'émissions télévisées, avec Serge Gainsbourg, Claude Lévi-Strauss, Romain Gary et surtout Jacques Brel, qui parle de la bêtise et du bonheur.

   Très vite, le principal argument de cette comédie sociétale surgit : la confrontation entre l'étudiante beurette banlieusarde pugnace et le prof de fac grand-bourgeois de droite. Les échanges entre les deux personnages sont souvent savoureux, notamment grâce au talent des interprètes, Daniel Auteuil (que je n'ai pas vu aussi  bon depuis longtemps) et la révélation Camélia Jordana (qui n'était jusqu'à présent pour moi qu'une -jolie- voix, celle qui interprète la chanson accompagnant le dernier film de Cédric Klapisch, Ce qui nous lie). On peut aussi signaler la prestation de Yasin Houicha en Mounir, le petit ami de Neïla.

   A ceux qui pensent que le pire (question propos stigmatisants) sort de la bouche de Pierre Mazard, je conseille de tendre l'oreille au début du concours de plaidoiries, lorsque le premier adversaire de l'héroïne Neïla soutient la thèse que "l'habit ne fait pas le moine". (C'est d'autant plus fort que le petit con en costume-cravate est très bien interprété.)

   Il y a toutefois un aspect conte de fées dans l'histoire. L'héroïne habite une cité du Val-de-Marne où il n'y a ni trafic ni agression, où presque aucune femme n'est voilée. Quant aux deux principaux protagonistes qu'au départ tout oppose, ils vont petit à petit surmonter leurs aprioris et changer, intérieurement comme extérieurement. Fort heureusement, le scénario ménage quelques retournements. La vie n'est pas aussi simple et, parfois, on peut tirer grandement profit de situations désagréables.

   Plusieurs scènes m'ont marqué. Il y a celles qui montrent le groupe de potes de banlieue, des jeunes (presque) comme les autres, qui se chambrent et jouent ensemble. J'ai aussi beaucoup aimé le repas de femmes, entre la grand-mère à peine francophone, la fille adolescente attardée et la petite-fille brillante mais habillée comme une souillon. Du point de vue de la mise en scène, c'est une plaidoirie de Neïla qui emporte le morceau, vers la fin. Elle ne survient pas dans le contexte auquel on s'attend, mais c'est quand même un bel hommage à l'enseignement qu'elle a reçu, puisqu'elle y exploite les petits trucs de son agaçant mentor.

   Et puis il y a cet épilogue assez cocasse, qui donne foi en l'avenir.

mardi, 28 novembre 2017

Les Conquérantes

   Ce film suisse évoque le combat des femmes pour l'obtention du droit de vote... et de plus de respect au quotidien de la part des hommes. Le début des années 1970 est une époque de remise en cause, chez nos voisins alpins comme ailleurs. Les spectateurs qui ont un peu de kilomètres au compteur retrouveront dans cette Suisse rurale et patriarcale un peu de la France des années 1970-1980, à ceci près que, dans l'Hexagone, c'est depuis 1944 que les femmes peuvent voter.

   Cela aurait pu donner un film pesant, militant, poussiéreux. Ce n'est heureusement rien de tout cela. C'est évidemment engagé, mais furieusement drôle, malgré la gravité des situations. Il y a d'abord le contraste entre ces femmes de la campagne, soumises bien qu'enragées de leur condition de bonnes à tout faire, et les jeunes qui ne veulent pas de la même vie de leur mère. Il y a aussi la beaufitude ridicule de certains hommes, vraiment pas subtils. Il y a enfin l'irruption de la révolution sexuelle, dans une scène hilarante au cours de laquelle des femmes revendiquent le mot "clitoris" et découvrent, pour certaines d'entre elles, qu'elles ont un tigre dans le moteur...

   On suit plus particulièrement l'évolution de Nora, une timide femme au foyer qui doit se fader un beau-père acariâtre, deux fils égocentriques et un mari gentil mais très sensible au qu'en-dira-t-on. L'une des scènes du début la montre pédalant à vélo, dans l'un des rares moments de totale liberté dont elle jouit. Le déclic est la révolte de sa nièce, dont Nora ne supporte pas la répression. Dans le même temps, elle suit les débats sur le référendum portant sur le droit de vote... et elle se dit qu'elle pourrait reprendre un travail.

   Cela fait beaucoup pour son mari Hans, un beau garçon maladroit qui ne l'a jamais fait jouir. Travailleur consciencieux, il est sur le point de bénéficier d'une promotion dans la scierie dirigée par une vieille bique ultraconservatrice. Son départ pour le service militaire va donner des ailes à Nora... et bouleverser le village.

   L'héroïne va trouver des alliées : une retraitée à moitié sénile mais audacieuse, une restauratrice d'origine italienne de moeurs très libres et même sa belle-soeur, lassée d'un mari décevant.

   Cela donne un ensemble instructif et très plaisant, toujours d'actualité à une époque où l'obscurantisme est loin d'avoir disparu.

   

dimanche, 26 novembre 2017

Thelma

   Visible à Rodez en version française comme en version originale, ce film fantastique nous vient de Norvège. Il débute de manière assez classique, par une scène issue du passé : un père emmène sa fille à la chasse. Rien n'est dit, tout est suggéré, mais l'on comprend que, lorsqu'une biche surgit devant les personnages, la gamine aimerait bien que son père ne la tue pas. Je vous laisse deviner comment cette enfant "un peu spéciale" lui fait comprendre qu'il ne devrait pas tirer...

   On retrouve Thelma des années plus tard. La petite fille de la campagne est devenue un joli brin de femme, étudiante dans une grande ville où elle a du mal à s'intégrer. Le réalisateur Joachim Trier part d'une vie quotidienne anodine pour suggérer que le feu couve sous la glace.

   Thelma a été élevée par des parents très croyants. Elle a été surprotégée. Du coup, elle apparaît un peu coincée à ses camarades de fac : elle est timide, ne boit pas d'alcool, ne sort pratiquement pas le soir et, quand elle s'exprime, a des opinions qui tranchent par rapport à ses camarades. Chaque jour, elle a au moins l'un de ses parents au téléphone. Ce n'est que plus tard que l'on comprend que la jeune femme a un secret, que connaissent ses parents. Les dialogues entre eux sont donc à double sens, suffisamment bien écrits pour que la posture des parents chrétiens hyper-protecteurs tienne la route.

   Cette deuxième partie un peu languissante voit Thelma se faire une amie, étudiante comme elle. Leur relation prend un tour inattendu, le tout filmé avec beaucoup de sensualité.

   Evidemment, cela va finir par déraper. Le passé enfoui ressurgit, déteignant sur le présent. Le fantastique (ou le surnaturel) prend de plus en plus de place, sans que le réalisateur ait besoin de recourir à une tonne d'effets spéciaux. En gros, seules trois scènes (une dans une clinique, une chez l'amie de Thelma et une sur le lac) ont nécessité des retouches numériques. Les autres suscitent le trouble voire la crainte grâce au jeu des acteurs, à la mise en scène et au montage.

   Le seul défaut du film est sa longueur. Je ne me suis jamais ennuyé, mais j'ai trouvé que, de temps en temps, on aurait pu accélérer le rythme. Notons toutefois qu'il se termine de manière surprenante, pas du tout "à l'américaine". Gageons qu'Hollywood va récupérer le scénario pour en produire une version plus conforme aux canons en vigueur outre-Atlantique.

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samedi, 25 novembre 2017

Detroit

   Kathryn Bigelow (la réalisatrice très inspirée de Démineurs et Zero Dark Thirty) s'est penchée sur les émeutes de 1967, dans ce qui était alors la capitale de l'automobile américaine. Le film met principalement en scène les tensions entre (certains) Noirs et (certains) Blancs, alors que la ségrégation venait à peine d'être supprimée.

   C'est une nouvelle fiction à caractère documentaire. La réalisatrice essaie de reconstituer ce qui s'est passé cette nuit-là, quasiment en temps réel, en suivant au plus près les principaux personnages, interprétés par des acteurs criants de vérité. Parmi ceux-ci, on reconnaît John Boyega (vu dans Le Réveil de la Force et The Circle) et Will Poulter (vu dans The Revenant).

   On sent que le film est à la fois très écrit et nourri par une part d'improvisation. C'est vraiment très bien foutu. Bigelow filme Detroit comme une ville en guerre du Moyen-Orient. Et que dire de la montée de tension qu'elle instaure, au point de rendre étouffantes certaines scènes en apparence anodines.

   Trois catégories de forces de l'ordre sont intervenues cette nuit-là : les militaires de la Garde nationale, des policiers de l'Etat de Michigan et ceux de la ville de Detroit, qui font plus penser à une milice désorganisée qu'à des défenseurs de la loi. C'est d'eux que vont surgir les dérapages.

   En même temps, Bigelow ressuscite une époque, celle d'un furieux appétit de liberté de la part d'une partie de la jeunesse, sur fond de musique Black.

   La limite du film est le décalage que j'ai ressenti par rapport à quasiment tous les personnages. Qu'ils soient des "bons", des "méchants" ou des "neutres", je n'ai pu m'identifier à aucun d'eux. Ils me sont apparus bouffis de préjugés ou lâches ou terriblement immatures. Alors que la mise en scène a pour but de nous immerger au coeur de l'intrigue, je suis resté un peu étranger à la représentation de cette flagrante injustice, pourtant très bien filmée.

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mercredi, 22 novembre 2017

Justice League

   DC Comics essaie de la jouer comme Marvel, en lançant une série de films de super-héros liés les uns aux autres. Voilà pourquoi celui-ci contient des allusions à Man of Steel et Batman vs Superman. Cependant, cela ne débute pas sous les meilleurs auspices. Je ne sais pas si c'est la version française qui pêche, mais, franchement, la plupart des dialogues sont à chier... et j'ai vraiment du mal avec la groooossse voix dont on a affublé Ben Affleck (décidément pas le meilleur Batman).

   Heureusement, à intervalle régulier, des traits d'humour viennent égayer l'intrigue, sans toutefois que cela soit aussi désopilant que dans le récent Thor : Ragnarok. L'une de ces saillies figure d'ailleurs dans la bande-annonce, à l'intérieur d'un dialogue entre Batman et un petit nouveau :

- Et vous, c'est quoi votre super-pouvoir ?

- Je suis riche.

   De manière générale, tout ce qui tourne autour de Flash (Ezra Miller, très bien) est réussi. J'ai beaucoup apprécié ce personnage de djeunse maladroit et blagueur, qui n'est pas sans rappeler le Vif-Argent des X-Men.

   L'humour est aussi de sortie à l'occasion de la résurrection d'un autre super-héros, dans une scène où celui-ci dialogue avec sa petite amie :

- Ça fait quoi d'être entre quatre planches ?

- Ça gratte.

[...]

- Tu sens bon !

- C'était pas le cas avant ?

   Enfin, plus loin, au cours d'une baston, deux des valeureux combattants de la liberté échangent des propos de la plus haute intensité :

- Mais t'es dingue !

- C'est pas moi qui suis venu avec une grosse fourchette.

   On retrouve un peu l'ambiance de 300 - La Naissance d'un empire, scénarisé par Zack Snyder, qui est ici derrière la caméra. Voilà pourquoi celle-ci s'attarde autant sur ces corps masculins bodybuildés (sacré Zack !), les personnages féminins étant nettement moins bien mis en valeur... à l'exception peut-être de Wonder Woman, qui a le charme et l'énergie de Gal Gadot, pourtant pas gâtée par son costume.

   Ses congénères amazones sont d'ailleurs au cœur de la première séquence emballante du film, lorsque leur île est attaquée par Steppenwolf, un méchant très très vilain (et costaud). Il faut reconnaître que Snyder sait y faire côté baston. Il est servi par de très beaux décors et des effets spéciaux qui en jettent.

   Bref, au bout d'un moment, on se fiche un peu du pourquoi et du comment et l'on digère agréablement, confortablement installé dans une grande salle.

22:59 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films

mardi, 21 novembre 2017

Carbone

   Olivier Marchal signe un nouveau polar, dont l'intrigue s'inspire de l'affaire la fraude à la TVA sur les quotas de carbone. En août dernier, Le Monde a consacré une excellente série de papiers à cette arnaque tarabiscotée, qui a sombré dans le macabre.

   Par précaution et peut-être aussi pour mieux gérer la tension dramatique, les scénaristes se sont parfois un peu éloignés de l'histoire. Ainsi, le personnage principal, incarné par Benoît Magimel (correct, mais pas transcendant), est un mélange d'Arnaud et de Fabrice (pour ceux qui connaissent l'affaire). On a de plus rendu son personnage plus sympathique que dans la réalité... sinon il n'y aurait pas eu de film : les spectateurs lambdas n'auraient pas pu s'identifier à des escrocs minables et des salauds sans scrupule.

   Le début est un peu lourd, avec l'insistance mise sur ce courageux chef de PME que le fisc emmerde et qui, de surcroît, doit supporter la morgue de son richissime beau-père (Depardieu, potable). Les meilleures scènes surviennent quand il se retrouve avec ses potes, très bien interprétés. Parmi eux, je distingue Mickaël Youn et surtout Idir Chender, qui incarne le mec immature, qui ne va pas parvenir à gérer la pression et à qui le succès va faire perdre les pédales. Il est vraiment très convaincant. Signalons aussi la composition de Dany en matrone juive. Laura Smet n'est pas mal non plus en compagne du vainqueur du jour.

   Le principe de l'arnaque est expliqué sans trop de détails. Le but n'est pas de créer une fiction à caractère documentaire. Marchal veut manier la pâte humaine, à l'américaine, et brosser le tableau de l'ascension et de la chute d'une bande de potes. Au passage, il se vautre un peu dans la représentation du luxe ostentatoire (musique assourdissante, filles affriolantes, sexe, drogue, alcool, grosses voitures et montres rutilantes). Mais, comme c'est filmé avec style, ça passe. La tension monte efficacement, notamment à partir du moment où des truands patentés vont vouloir prendre leur part du gâteau... voire celle des autres.

   Le fait que cette arnaque ait été mise en oeuvre par des minorités (et que Marchal n'ait pas cherché à atténuer cet aspect communautaire) a gêné certains critiques (notamment celui du Monde). Oui les premiers arnaqueurs étaient presque tous des juifs du Sentier, oui leurs associés étaient des trafiquants maghrébins et oui les blanchisseurs de l'argent sale étaient d'origine chinoise. Et alors ?

   On peut très bien s'émanciper du contexte et se contenter de savourer un film d'action efficace, comme le cinéma français en propose peu.

20:59 Publié dans Cinéma, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

dimanche, 19 novembre 2017

Borg/McEnroe

   Au tournant des années 1970-1980, la rivalité entre ces deux joueurs de tennis a contribué à augmenter l'intérêt du public pour ce sport, de mieux en mieux servi par la télévision. Cette fiction à caractère documentaire est une véritable tranche de vie, une sorte de coupe géologique d'une époque, au coeur de laquelle se trouve le tournoi masculin de Wimbledon, en 1980. Le réalisateur est Janus Metz Pedersen, auquel on doit un très bon documentaire (sorti en 2010), Armadillo.

   Sans surprise, le début insiste sur ce qui oppose les deux hommes. John McEnroe (Shia LaBeouf, pas mal) est le jeune qui monte. Il a du tempérament (trop, disent certains), aime le rock'n'roll et déploie un tennis d'attaque qui en fait un adversaire très dangereux sur surface rapide. Il gagne déjà assez bien sa vie, mais ne peut pas (encore) se permettre de vivre dans le grand luxe. Il n'est pas très populaire en dehors des Etats-Unis.

   Au contraire, Björn Borg, la vedette du moment, fréquente les palaces, est l'objet de l'adulation des foules, en particulier les jeunes femmes et les fans de tennis. Il est calme, poli, intraitable sur le court, mais sans émotion apparente, jouant un tennis moins flamboyant que son jeune adversaire... mais diablement efficace. Il est incarné par Sverrir Gudnason, la révélation de ce film : j'ai vraiment eu l'impression de me retrouver face à la réincarnation du champion suédois.

   En lisant ce qui précède, les plus jeunes seront tentés de faire le rapprochement avec la rivalité Nadal-Federer. Mais, dans ce cas précis, c'est le joueur de fond de court (l'Espagnol) qui est explosif, l'attaquant (le Suisse) étant doté d'un tempérament plus flegmatique, ce qui (en plus de son jeu très agréable à regarder) lui a d'ailleurs valu les faveurs du public de Wimbledon.

   Le film gagne en épaisseur quand il dépasse l'opposition apparente, pour montrer ce qui rapproche les deux joueurs. Comme c'est une production suédoise, c'est la jeunesse de Borg qui est le plus montrée (et la finale de 1980, plutôt que celle de 1981). Les fans de tennis seront peut-être surpris d'apprendre que, dans son enfance et au début de son adolescence, Björn Borg était un gamin très expansif, hargneux, dont le caractère fougueux a failli torpiller la carrière tennistique. De surcroît, c'était un amateur de hockey sur glace, une pratique qui lui a servi dans le tennis, mais qui n'a pas contribué à en faire un type calme. L'un des enjeux de l'intrigue est de nous montrer comment il a changé, comment il a été façonné par son mentor. Des années plus tard, en dépit des apparences, il se reconnaît un peu en McEnroe.

   Celui-ci est issu d'une famille aisée, mais qui ne tient pas le tennis en très haute estime. Le père a semble-t-il des ambitions scientifiques pour son fils, auquel il fait travailler le calcul mental et les échecs. Lorsque le jeune John se prend de passion pour le tennis, les médias commencent à parler d'un prodige suédois dont les photographies vont orner la chambre de l'Américain : Borg.

   Le film montre bien que, pour réussir au plus haut niveau, les deux jeunes hommes ont dû "se battre contre". Pour eux, le tennis n'est pas qu'un sport, un moyen de rencontrer des filles ou de (bien) gagner sa vie : c'est une question de survie, au moins pendant l'adolescence et le début de l'âge adulte. On comprend mieux les sacrifices que chacun a dû faire.

   Incidemment, l'histoire pointe du doigt les dérives de ce sport-spectacle, avec l'arrivée massive de l'argent des sponsors et le poison de la presse de caniveau (mais la grande, la respectable, n'est pas gâtée non plus par le film). Les "partenaires commerciaux" des joueurs les poussent à disputer de juteux matchs-exhibition, sans se soucier du contexte politique. A la longue, c'est épuisant et cela a sans doute contribué à écourter la carrière de Borg, qui n'a vécu que pour le tennis de 15 à 25 ans et qui n'a sans doute pas supporté de risquer de ne devenir que le numéro 2 ou 3 mondial.

   Sur le plan de la réalisation, on peut signaler la qualité des échanges de tennis mis en scène (à Wimbledon), malgré leur brièveté. Alors que, comme dans le football, la représentation de ce spectacle a atteint aujourd'hui un haut degré de savoir-faire (sur le plan technique), ce modeste film de fiction réussit à rendre compte du mouvement et de la tension créés par un match. Il mérite vraiment le détour.

10:39 Publié dans Cinéma, Sport | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

vendredi, 17 novembre 2017

Phagocytose cinématographique

   Hier après-midi, quand la nouvelle est tombée, en Aveyron, elle a fait l'effet d'un coup de tonnerre : le groupe CGR va absorber son concurrent Cap Cinéma et ainsi devenir provisoirement (en nombre d'établissements, pas en nombre d'écrans) le premier exploitant de salles de France.

   Immédiatement une foule de questions se pose. Les multiplexes (tel celui de Rodez, inauguré en 2013) vont-ils changer de nom ? La programmation va-t-elle subir le contrecoup de cette sorte de fusion-acquisition ? On peut nourrir quelques inquiétudes quand on se souvient de la médiocrité de l'offre cinématographique des salles d'Albi, quand CGR gérait le Lapérouse et le Tivoli. (Pour nos amis tarnais, c'est donc une sorte de retour aux sources, puisque les cinémas albigeois, récemment passés des mains de Cinémovida à celles de Cap Cinéma, étaient auparavant sous l'étendard CGR. Ce groupe n'aura toutefois pas eu à financer la modernisation des salles albigeoises, ni la construction et l'aménagement du complexe des Cordeliers...)

   Notons que Philippe Dejust, le PDG de Cap Cinéma, n'a pas vendu l'intégralité des établissements de son groupe. De nombreux médias ont cité le nombre de 22 sur 24, ce qui a suscité quelques inquiétudes, notamment à Beaune, en Côte-d'Or. CGR aurait-il refusé d'acquérir quelques "canards boiteux", qui se retrouveraient désormais isolés, sans l'appui d'un grand groupe ? En réalité, Philippe Dejust a voulu conserver ses "petits bébés", les cinémas de Blois.

   Enfin, l'analyse des emplacements des cinémas des deux groupes (en noir ceux de CGR, en rouge ceux de Cap Cinéma) débouche sur une conclusion aussi surprenante qu'évidente : ils sont très complémentaires :

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   En aucun lieu Cap Cinéma et CGR ne sont véritablement concurrents. C'est dans l'agglomération parisienne que leurs établissements respectifs sont les plus proches. Mais, dans ce cas, la clientèle est tellement abondante qu'il serait malhonnête d'affirmer qu'ils se gênent mutuellement. Finalement, ce rapprochement pourrait s'avérer fructueux. Tout dépend de la manière dont la fusion va être gérée.

lundi, 13 novembre 2017

Zombillénium

   C'est l'adaptation de la bande dessinée d'Arthur de Pins (par lui-même, entre autres). Dès 2010, pour la sortie du tome 1, une courte vidéo avait été mise en ligne sur Youtube. Plus récemment, les personnages de l'histoire ont été mêlés aux membres du groupe Skip The Use, dans le clip (très sympa) illustrant la chanson Nameless World.

   Le style des dessins est assez original, avec un grand soin apporté à leur animation. Alors que nombre de productions numériques se contentent de mouvements hachés, manquant de fluidité, ici, le résultat est vraiment remarquable, avec de surcroît un bon sens du rythme. C'est en partie lié à la musique, qui mélange le rock et un ersatz de classique usuel dans les films d'action.

   Ceux qui connaissent rien à cet univers seront parfaitement mis dans le coup par le générique de début, qui raconte à lui seul tout une histoire. On comprend très vite que derrière l'humour noir (lié à la mort et aux monstres) se cache une virulente critique sociale, que je laisse à chacun le plaisir de découvrir. (Ce n'est pas pour rien qu'une des musiques d'accompagnement s'inspire d'une célèbre chanson de Pierre Bachelet...)

   Très vite, on découvre une galerie de personnage hauts en couleur : un loup-garou menaçant, une sorcière (horriblement gothique et sexy), une momie farceuse, un squelette syndicaliste, des zombis maladroits, un patron vampire... et des humains, notamment un père de famille carriériste, qui s'occupe trop peu de sa fille, malgré le décès de la mère de celle-ci.

   Le bureaucrate va se retrouver piégé dans le parc d'attraction devenu le repaire de divers monstres, dont les vampires tentent de prendre le contrôle, sous la houlette d'un beau gosse infatué qui a les traits d'un héros de Twilight ! C'est l'occasion de préciser que les scènes regorgent de clins d'oeil, à des vedettes du "chaud bise", à des films de fiction... et aux travers de nos contemporains. J'ai particulièrement aimé la propension des visiteurs du parc à se prendre en photographie à n'importe quelle occasion.

   Attention toutefois : il y a des méchants dans l'histoire, au premier rang desquels figure le Diable, qui communique avec ses subordonnés (et sa fille en stage) par visioconférence sulfureuse... Il peut s'appuyer sur quelques créatures maléfiques, comme ce terrible chien à trois têtes, qui, dans une scène hilarante, va finir par trouver son maître...

   C'est vraiment drôle, entraînant et porteur de sens. Les (pas trop) petits rigoleront de bon coeur et les grands passeront un bon moment.

18:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

samedi, 11 novembre 2017

Brooklyn Yiddish

   Cette courte (1h20 environ) fiction américaine fera découvrir à certains spectateurs la communauté hassidique new-yorkaise, plus précisément celle (originaire d'Europe orientale) parlant le yiddish, ce mélange d'allemand et d'hébreu dont on a pu entendre quelques phrases ces dernières années dans des films aussi différents que A serious man, Sous la ville, L'Antiquaire, l'excellent Fils de Saul et, l'an dernier, Les Enfants de la chance. A ce sujet, on remarque qu'à certaines occasions, le yiddish se mâtine d'anglo-américain et l'on reconnaît des mots comme homework, business, telephone ou job.

   Le héros Menashe est incarné par un acteur qui a vécu à peu près la même histoire : son épouse est décédée et on lui a retiré la garde de son fils. C'est une sorte de loser juif, maladroit, gaffeur, un peu obèse et pas d'une hygiène irréprochable. Mais c'est un chic type, qui tente de s'en sortir avec ses moyens et de vivre sa vie de père avec son gamin, sur lequel la belle-famille a mis la main. Au-delà du caractère communautaire de l'arrière-plan, c'est un sujet universel.

   Le film nous fait découvrir la communauté hassidique, excessivement pieuse... et assez réac. Les croyants en sont à se disputer à qui sera le plus fidèle à la Torah. Au début, on voit le héros se montrer très pointilleux quant à l'alimentation casher et l'observation du shabbat (devant ses coreligionnaires)... avant de se retrouver, plus tard, en difficulté face à son beau-frère hyper-rigoriste.

   L'histoire réserve aussi quelques moments poétiques, en particulier autour du poussin recueilli par le héros et qui va servir de lien avec son fils. Au départ, je trouvais cela un peu bateau, mais les scènes suivantes m'ont convaincu, tant elles sont réussies.

   Même si le ton n'est pas franchement à la comédie, on rit assez souvent, notamment des erreurs de Menashe... mais aussi de certaines situations. Je pense en particulier à une cérémonie commémorative, autour d'un déjeuner principalement constitué d'un kugel affreusement brûlé... et arrosé de vodka.

23:47 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

vendredi, 10 novembre 2017

Dans un recoin de ce monde

   Ce film d'animation japonais est l'oeuvre de Sunao Katabushi, qui a auparavant travaillé pour des studios prestigieux. Ici, il adapte le manga éponyme, créé par une dessinatrice née à Hiroshima, Fumiyo Kono. La particularité de cette histoire est que l'héroïne est une jeune femme d'Hiroshima, douée pour le dessin et dont nous allons suivre la vie dans les années 1930-1940.

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   Au départ, j'ai trouvé le dessin un peu naïf et pas particulièrement brillant. C'était trompeur. Certaines scènes voient le brio de l'auteur éclater, comme quand il montre l'héroïne en train de dessiner. Sous nos yeux, l'animation prend forme, avec une précision déconcertante.  Superbes aussi sont les scènes décrivant la manière dont l'observation de la nature inspire la jeune dessinatrice.

   L'intrigue nous conduit à suivre l'histoire japonaise à travers le regard de l'adolescente qui devient femme. Elle est bientôt mariée (sans qu'on lui demande trop son avis) au fils d'une famille de Kure, une grande ville proche d'Hiroshima et qui constitue la principale base navale de la mer Intérieure.

   La militarisation du Japon et son entrée en guerre (d'abord contre la Chine, puis contre les Etats-Unis) nous sont montrées par les yeux d'une épouse soumise et travailleuse... qui ne renonce pas toutefois à son passe-temps artistique, d'autant plus que l'époux qu'on lui a choisi se révèle un type attentionné. Délicates sont les scènes qui évoquent l'intimité du couple.

   Avec le reste de la belle-famille, les relations ne sont pas toujours faciles, d'autant qu'avec la guerre, la population souffre de pénuries grandissantes. La jeune Suzu va faire son apprentissage de femme au foyer, de belle-fille, de belle-soeur et de voisine. Touchante aussi est sa découverte de la grande ville, au cours d'une sortie qui la voit se perdre dans le quartier des prostituées.

   C'est donc moins "engagé" que le Gen d'Hiroshima de Keiji Nakazawa. On n'en perçoit pas moins les échos de la politique japonaise (avec l'intrusion de la redoutable Kempetai) et de la guerre, avec notamment les bombardements de la base navale de Kure, la voisine (et industrielle) Hiroshima semblant curieusement préservée.

   Vous vous doutez bien que, petit à petit, le film mène les personnages vers le 6 août 1945. L'explosion est filmée de manière indirecte, mais les conséquences elles sont clairement montrées à l'écran. Cela donne certaines des scènes les plus fortes de ce film, qui n'est pas sans rappeler le récent Lumières d'été.

vendredi, 03 novembre 2017

Opération Casse-noisette 2

   Comme le premier volet (sorti il y a trois ans et récemment diffusé sur France 4) m'avait plu, je me suis laissé tenter par la suite des aventures des animaux sauvages en environnement urbain. Dans cet épisode, ils vont devoir affronter un maire cupide, sa fille psychopathe et des sbires violents (mais pas très futés).

   Quoi qu'en aient dit certains critiques, l'animation est plutôt de bonne qualité : les mouvements des personnages sont très bien rendus et le pelage des deux écureuils est superbe sur un grand écran. Ce n'est certes pas aussi splendide que les meilleures productions Pixar, mais cela se regarde avec plaisir.

   L'intrigue est pétrie de morale. Il y a tout d'abord la condamnation de l'oisiveté des animaux, au début, qui se contentent de satisfaire leurs désirs immédiats en fournissant le moins d'effort possible. L'opiniâtre et charmante Roussette se charge de leur rappeler les vraies valeurs de la vie, celles du travail et de la persévérance. Voilà un message digne d'être entendu par nos chères têtes blondes (brunes, rousses...).

   Par certains côtés, c'est un film de gauche, pourfendant le capitalisme sans scrupule, la corruption des politiques et le non-respect de l'environnement. La charge est même très appuyée, les grands méchants de l'histoire étant un rouquin obèse et sa fille, non moins rouquine et déjà bien grasse. J'ai été un peu gêné par cette caricature. Il aurait été plus audacieux (et moins stigmatisant) de camper un duo de vilains plus proche de la réalité, avec par exemple un maire portant beau et une gamine mince et jolie, histoire de montrer que la méchanceté peut se cacher sous des dehors engageants.

   La principale nouveauté de cet opus est l'introduction de M. Feng et de sa "petite" communauté, une armée de souris aussi mignonnes qu'impitoyables :

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   C'est l'occasion de préciser que la coproduction américano-sud-coréenne s'est enrichie d'un partenaire chinois (une boîte de Shanghai), ceci expliquant peut-être cela. Quoi qu'il en soit, l'animation des visages (en particulier des yeux) des personnages est très réussie (même si, depuis la série des Shrek et Le Chat Potté, on est moins surpris).

   L'histoire est rythmée, avec de l'action, des rebondissements, de l'humour (les enfants ne comprendront pas forcément les jeux de mots). Ce n'est pas aussi drôle que le premier film, mais j'ai quand même passé un agréable moment.

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jeudi, 02 novembre 2017

Laissez bronzer les cadavres

   Ce film de genre se place visiblement dans la lignée des oeuvres de Sergio Leone, Quentin Tarantino et Robert Rodriguez. On ne s'étonnera donc pas de la profusion de (très) gros plans, de la construction en puzzle ni des retours en arrière. On ne s'offusquera pas non plus que les femmes soient filmées comme des objets sexuels (et incarnées par des actrices au corps sublime), ni que les hommes soient de gros durs mal rasés et/ou d'horribles traîtres (pas mieux rasés).

   Dans le lot, les cinéphiles reconnaîtront Bernie Bonvoisin, Marc Barbé et Elina Löwensohn (dont on a entendu la voix l'an dernier dans La Jeune Fille sans mains). ll ne faut cependant pas attendre des miracles des dialogues, pas d'une grande finesse et  pas toujours déclamés avec une ardente conviction.

   C'est essentiellement une oeuvre visuelle (s'appuyant sur une bande son "morriconienne"), filmée au plus près des corps et des visages. Il y a une volonté évidente de recherche (au-delà de l'hommage). Alors c'est parti pour des angles inhabituels, le contre-jour et un découpage volontairement déstabilisant.

   Cela aurait pu constituer un bon film de débutants, fraîchement sortis de l'école de cinéma. Le problème est que les auteurs commencent à avoir de la bouteille. Ils auraient donc pu un peu mieux travailler leur scénario... et faire rejouer certaines scènes.

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mardi, 31 octobre 2017

Thor : Ragnarok

   En dépit de tous les efforts déployés par Disney-Marvel pour inciter le public à voir tous les films de l'univers des super-héros (ou à acheter les DVD), il n'est pas nécessaire de s'être tapé l'ensemble des superproductions du genre (loin d'être toutes des réussites d'ailleurs) ni d'avoir des connaissances très fraîches sur leurs intrigues. Il y a juste quelques allusions (notamment au premier Avengers), mais qui n'ont guère d'importance dans le déroulement des péripéties.

   Cela commence par une séquence très enlevée, qui montre le héros apparemment en mauvaise posture face à un gros méchant diabolique. Cela va évidemment se conclure par une baston d'enfer, remportée (est-il utile de le préciser ?) par le dieu au marteau. Entre temps, on a pu goûter les pointes d'humour qui donnent toute sa saveur à une histoire un peu trop balisée.

   La dérision est d'ailleurs au cœur d'une des séquences suivantes, qui se déroule chez Docteur Strange. (Une scène post-générique du film sorti en 2016 annonçait les prochaines aventures de Thor.) Les dialogues sont bien écrits, mais, dans ce cas, ils sont plus que complétés par un montage facétieux.

    Les scènes se déroulant sur Asgard sont moins intéressantes. C'est en général de l'heroic fantasy de base. J'en excepte les interventions de Cate Blanchett, qui a visiblement pris du plaisir à incarner la maléfique (et excitante) Hela. J'ai aussi aimé la scène qui la voit se bâtir une armée, dans les tréfonds du palais. (Les inconditionnels de mythologie scandinave seront définitivement fâchés avec Marvel quand ils découvriront la généalogie de la méchante, complètement farfelue, tout comme celle de Loki d'ailleurs.)

   Mais la partie la plus dense de l'intrigue se joue sur une sorte de planète-déchetterie, dirigée par un tyran organisateur de combats de gladiateurs. Jeff Goldblum est très bien et les relations entre Thor et Hulk sont une source appréciable d'effets comiques. Leur affrontement est l'un des plus spectaculaires moments du film. C'est aussi l'occasion de découvrir un autre personnage attachant, celui d'une valkyrie... alcoolique ! (Elle est incarnée par Tessa Thompson, qu'on pu voir dans Selma.)

   Évidemment, les personnes qui se disputent vont finir par unir leurs efforts pour vaincre la méchante... et son redoutable animal domestique, hélas peu exploité dans le film. Cela n'en reste pas moins un divertissement plaisant à voir, pas tellement pour les scènes d'action que pour les chamailleries et l'ironie qui émaillent l'intrigue, la plus belle trouvaille scénaristique étant peut-être le moyen grâce auquel les héros vont fuir la planète-déchetterie : un énorme anus ! (Quoi de plus logique pour sortir du trou du cul du monde ?)

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lundi, 30 octobre 2017

Numéro Une

   Emmanuelle Devos a été longtemps considérée comme "une actrice Desplechin". Heureusement pour elle, elle est bien plus que cela. C'est sous la direction d'autres metteurs en scène qu'elle a joué ses plus beaux rôles, dans Sur mes lèvres (de Jacques Audiard), Ceux qui restent (d'Anne Le Ny), Le Fils de l'autre (de Lorraine Lévy) et, plus récemment Moka (de Frédéric Mermoud).

   Ici, Tonie Marshall lui a confié le personnage d'Emmanuelle Blachey, une cadre supérieure d'une entreprise du secteur de l'énergie (qu'elle contribue à développer dans le secteur des éoliennes), à laquelle on va suggérer de viser plus haut et de briguer le poste de PDG d'une très grosse boîte, Anthéa (un décalque d'Engie ou de Vivendi).

   Son style comme son parcours ne sont pas sans rappeler ceux d'Anne Lauvergeon (ancienne PDG d'Areva), même si le film s'ingénie à brouiller les pistes. L'histoire n'est pas inspirée de la vie d'une seule femme. Les témoignages de plusieurs dirigeantes ont été mis à contribution. L'écriture du scénario a aussi bénéficié du renfort d'une journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué, qui connaît bien les arcanes du pouvoir parisien.

   C'est d'ailleurs à proximité de celui-ci que se déroule la majeure partie de l'action, que ce soit dans de luxueux immeubles de la capitale ou dans l'une des tours du quartier de la Défense, dont la terrasse constitue le dernier refuge des fumeurs (les cadres sup, la valetaille allant s'en griller une sur l'esplanade, en bas)... et un lieu où s'isoler du reste du monde. De temps à autre, on voit qu'Emmanuelle est un peu seule, comme lorsqu'elle attend ses collègues, dans la salle de réunion où elle est arrivée la première (toujours se montrer meilleure que les autres...) et où elle a le temps d'observer la collection de photographies représentant les cadres dirigeants, tous masculins...

   C'est filmé avec soin. L'image est propre, bien léchée, même quand ce qu'elle montre est dégueulasse. C'est un peu à l'image de ce milieu, où les apparences brillantes cachent des appétits sordides... et des manoeuvres plus ou moins légales. C'est que la désignation du nouveau PDG d'Anthéa fait l'objet d'une intense lutte d'influence, dans laquelle (presque) tous les coups sont permis. Les principaux adversaires d'Emmanuelle sont incarnés par Richard Berry et Benjamin Biolay, un beau duo d'enfoirés !

   Le film met aussi en valeur la vie intime de l'héroïne. Elle doit gérer l'éducation des enfants, la maladie de son père (un ancien prof de philo de gauche que le CAC 40 ne fait pas vibrer...), sa relation avec son compagnon avocat d'affaires... et ses propres interrogations, comme celles suscitées par la mort d'une inconnue, sur une plage de Deauville. L'ingénieure férue de mandarin, habituée à évoluer dans un monde d'hommes, n'est au départ pas particulièrement féministe. Une série de rencontres (des femmes de pouvoir aux employées d'un chantier de construction d'éoliennes) va la faire changer d'avis.

dimanche, 29 octobre 2017

Au revoir là-haut

   Quatre ans après la sortie de 9 mois ferme, j'attendais avec impatience la nouvelle œuvre d'Albert Dupontel. L'an dernier, on l'a vu jouer dans Les Premiers, les Derniers, mais, là, il a adapté l'excellent roman de Pierre Lemaitre (disponible en collection de poche).

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   Faut-il avoir lu le roman avant d'aller voir le film ? Non, d'autant plus que Dupontel a opéré plusieurs modifications dans l'intrigue et qu'il en a changé la fin. Ne pas avoir lu le roman laisse le plaisir total de la découverte... mais l'avoir lu avant permet d'en savourer mieux l'originalité.

   La première est ce grand retour en arrière, sur lequel est bâtie l'histoire. Il n'existe pas dans le roman, dont la trame suit une chronologie classique des événements. L'arrestation d'Albert Dupontel/Maillard est elle aussi une invention scénaristique. L'intrigue (bien que simplifiée par rapport au roman) étant foisonnante, l'ajout du commentaire de l'un des personnages principaux est apparue nécessaire pour faciliter la compréhension des péripéties par le grand public.

   Comme l'action débute pendant la Première guerre mondiale, Dupontel se savait attendu au tournant à propos des scènes de tranchées. Il ne déçoit pas, même si cet épisode fondateur est considérablement allégé : le romancier avait beaucoup développé la psychologie des personnages, un aspect que Dupontel n'a conservé que pour celui qu'il incarne !

   Ceci dit, les autres personnages principaux sont servis par des interprètes haut de gamme, certains correspondant parfaitement à l'image que je me faisais d'eux en lisant le roman. C'est le cas pour Niels Arestrup (Marcel Péricourt, le père du défiguré), Albert Dupontel, Héloïse Balster (la Gavroche à laquelle l'artiste ancien combattant va s'attacher) et surtout Laurent Lafitte (le rôle du lieutenant -puis capitaine- Pradelle semblant avoir été écrit pour lui). Nahuel Perez Biscayart est une révélation pour moi, dans le rôle de la "gueule cassée". On peut signaler aussi les excellentes compositions de Mélanie Thierry, de Michel Vuillermoz, de Philippe Uchan et d'Emilie Dequenne. Comme les dialogues sont très bien écrits (un peu moins truculents que dans le roman, toutefois), cela nous vaut d'excellents moments de comédie et quelques morceaux de bravoure, en matière de confrontation d'acteurs.

   Quand j'y réfléchis, dans presque toutes les scènes majeures intervient Laurent Lafitte. Il y a sa manière de persécuter les poilus, sa rivalité avec Péricourt/Arestrup et sa relation ambiguë avec la fille de celui-ci, qui débouche sur une scène magistrale, dans la chambre à coucher, se concluant par un plan filmé de derrière le lit, la caméra saisissant l'expression de Pradelle à travers les barreaux.

   C'est dire si la réalisation est soignée. Dupontel n'abuse pas des effets de caméra, mais c'est souvent brillant, les plans étant visiblement construits avec une extrême minutie, notamment au niveau des déplacements des personnages. Ajoutez à cela une photographie vraiment superbe et vous obtenez une œuvre ambitieuse sur le plan graphique.

   Sur le fond, Dupontel reprend la petite musique antimilitariste du roman, ainsi que la dénonciation des puissants. Il y ajoute une dose d'anticléricalisme, particulièrement sensible lors du séjour d'Edouard à l'hôpital militaire. Albert doit se jouer des religieuses pour parvenir à soulager son camarade de combat.

   Ensemble, les deux hommes vont monter une arnaque "héneaurme", autour de la fabrication (fictive) de monuments aux morts, pendant que le désormais capitaine Pradelle s'enrichit de son côté grâce à un autre type de fraude, lié à la création des cimetières militaires. (Historiquement, la première est fausse, alors que la seconde s'inspire de faits réels.)

   Pour faire tenir son film en deux heures, Dupontel a dû pratiquer quelques coupes (la plupart judicieuses... j'aurais néanmoins aimé qu'il en laisse davantage sur l'affrontement Pradelle-Péricourt). Les changements qu'il a opérés dans la dernière partie de l'histoire sont sans doute liés aux messages qu'il veut faire passer. Dupontel est un moraliste, ce qui permet de comprendre ce qui arrive à l'un des "méchants"... et pourquoi l'arrestation d'Albert prend un tour très inattendu, à la toute fin.

   C'est incontestablement l'un des meilleurs films de l'année.

samedi, 28 octobre 2017

CoeXister

- Aujourd'hui, pas de guerre, quelle qu'elle soit, pas de film d'animation, pas de film de gangster non plus... et pas de documentaire iranien svp !

- On va voir quoi, alors ?

- Une co-mé-die ! Et basique de préférence.

- Française ?...

- Il y en a de bonnes !

- Je sais bien ! On a vu Le Sens de la fête il n'y a pas longtemps !

- Il y en a d'autres au programme... On va quand même éviter Les Nouvelles Aventures de Cendrillon...

- Ça c'est bon pour tes collègues de boulot, les gros beaufs !

-Tsss... et je ne te sens pas très "chaud" pour L'Ecole buissonnière...

- Celui-là, tu iras le voir avec ta mère !

 - Pendant ce temps-là, toi, tu iras voir tout seul un film art et essai ouzbek sur un mendiant borgne qui découvre une caisse à outils dans un hamburger !... Bon, du coup, il ne nous reste plus que... CoeXister, tiens ! Un curé, un imam et un rabbin qui chantent ensemble ! Tu vas a-do-rer !

   Et c'est parti pour une séance de cinéma populaire, dans une salle assez bien garnie, de personnes âgées de dix à soixante-dix ans, à peu près.

   Je dois dire que le début m'a agréablement surpris. Certes, j'ai toujours un problème avec Fabrice Eboué. Il sait écrire un scénario qui tient à peu près la route, il filme correctement, mais, franchement, il ne joue pas très bien. Il aurait dû embaucher un mec pour tenir le rôle de Nicolas.

   Par contre, les gugusses qu'il a recrutés pour former le trio de chanteurs font le boulot avec un bel entrain. Pour moi, le meilleur des trois est Jonathan Cohen (vu l'an dernier dans Papa ou maman 2). Son personnage souffrant de sautes d'humeur assez importantes, il lui a fallu interpréter tantôt le juif dépressif, tantôt le rabbin arrogant, tantôt le type survolté. Il s'en sort très bien. Les deux autres jouent davantage sur leurs acquis. Ramzy fait du Ramzy (en faux imam). Guillaume de Tonquédec incarne de nouveau un mec coincé du cul (le curé). Mais, à travers les trois, Eboué fait passer quelques messages salutaires et se moque (gentiment) des religions. (Au passage, comme je sais que les producteurs français se ruent régulièrement sur ce blog, je leur conseille de dégoter un scénariste qui bâtisse une histoire solide autour d'un tueur en série ou d'un flic torturé, lequel aurait les traits de Guillaume de Tonquédec, un excellent acteur hélas sous-utilisé.)

   Le début m'a plu parce qu'il contient une séquence tordante, celle de la découverte des "démos" envoyées par d'apprentis-artistes qui se croient bourrés de talent. On a donc droit à des rappeurs homosexuels très très virils, une lolita vulgaire et un couineur boboïsant, sorte de mélange de Grégoire, Bénabar et Vincent Delerm (vidéos à l'appui). Dans sa voiture, Nicolas écoute la suite, un pot-pourri de ce que l'industrie du disque produit de plus débile... C'est réjouissant, tout comme les auditions qui suivent !

   C'est d'autant plus drôle que, lors de cette séquence, on découvre Sabrina, l'assistante du héros, interprétée par Audrey Lamy, qui est sensationnelle. En réalité, c'est elle qui porte le film, avec sa gouaille et son charme... ses gaffes aussi. Dans un rôle complètement différent (la patronne autoritaire et âpre au gain), Mathilde Seigner est elle aussi très bonne.

   Evidemment, au début, rien ne marche. Bien que Nicolas et Sabrina pensent avoir trouvé les bons chanteurs, ceux-ci ne s'entendent pas. Au-delà des opinions généreuses que chacun professe, il y a beaucoup de préjugés et des rancoeurs. Eboué en profite pour lancer quelques piques, tout en restant dans le registre de l'humour. Du coup, c'est parfois ambigu, puisque toutes les idées reçues et les propos dégradants ne sont pas explicitement condamnés. Chacun y voit ce qu'il veut y voir. Le film cherche visiblement à ratisser large. Quant aux premières productions du groupe, elles sont nunuches et sans saveur. Le clip vidéo constitue un bon moment de dérision.

   La suite semble être un décalque de Stars 80. Cette bande de branquignols va finir par rencontrer le succès, mais à partir du moment où les abcès auront été crevés et où c'est la sincérité qui l'emporte sur le produit fabriqué. Le succès va poser d'autres problèmes, sources de nouveaux gags. Le tout se dirige vers une fin prévisible (avec la formation d'un couple qu'on sent venir à des kilomètres), mais, franchement, j'ai passé un bon moment.

   PS

   Au niveau du message, j'ai apprécié que Fabrice Eboué ne tombe pas dans le politiquement correct à la mode, à savoir que la tolérance consiste à accepter les différences des autres (y compris celles qui nous paraissent parfois choquantes). C'est l'amour et les plaisirs de la vie qui réunissent les personnes de toutes origines et de toutes opinions (sauf les extrêmes).

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vendredi, 27 octobre 2017

Autour de "Blade Runner"

   Aux Etats-Unis, la sortie de Blade Runner 2049 été précédée par la mise en ligne de trois courts-métrages évoluant dans l'univers des films, et faisant le lien entre le premier et le deuxième.

   L'intrigue de Black Out 2022 se situe trois ans après celle du premier Blade Runner. C'est un film d'animation de Sinichiro Watanabe, un Japonais auquel on doit notamment Cowboy Bebop. On suit les aventures de deux réplicants (un homme et une femme), qui semblent avoir une mission à accomplir :

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   Ce n'est pas un travail bâclé en vue d'une banale promotion. La réalisation est soignée et l'intrigue donne des éléments permettant de comprendre le changement d'atmosphère sur Terre entre les deux films ainsi que la cause de la disparition des archives numériques. A l'écran, les images sont parfois superbes :

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   Les deux autres courts-métrages sont signés Luke Scott (l'un des fils de Ridley) et ont la même signature visuelle que le film sorti cette année, dont ils constituent des scènes additionnelles. 2036 : Nexus Dawn met en scène Niander Wallace (interprété, comme dans le film, par Jared Leto). L'entrepreneur rencontre des pontes gouvernementaux, pour tenter de les convaincre de le laisser relancer la production de réplicants.

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   Enfin, 2048 : Nowhere to run nous présente le personnage clé du début du deuxième film, Sapper Morton, un "vieux" réplicant. On comprend comment il a réussi à survivre dans sa ferme pendant toutes ces années et l'on découvre pourquoi il a fini par être débusqué.

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   Comme les héros du film d'animation, il cherche à comprendre ce que c'est qu'être humain. A certains égards, il fait d'ailleurs preuve de plus d'humanité que les authentique humains... ce qui va causer sa perte.

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jeudi, 26 octobre 2017

Des Rêves sans étoiles

   Ce documentaire iranien suit un groupe d'adolescentes et de jeunes femmes, âgées de 15 à 20 ans environ, toutes incarcérées dans une prison spéciale, sorte de refuge carcéral où sont envoyées les jeunes délinquantes et les fugueuses. Il a sans doute été tourné il y a plusieurs années puisque, la seule fois que l'on voit les héroïnes parler politique, elles mentionnent le président Mahmoud Ahmadinejad, en poste de 2005 à 2013.

   On commence avec du lourd. La première que l'on voit à l'écran a été mariée de force à 14 ans et a eu son premier enfant à 15. Âgée de 17 ans au moment du tournage, elle n'a pas revu son enfant depuis 7 mois. Elle était sous la tutelle d'un oncle, drogué et trafiquant, qui l'a forcée à participer à son "commerce". Elle n'avait pas de soutien à attendre de sa mère, elle-même droguée, qui n'hésitait pas à battre sa fille... voire à la brûler au réchaud à gaz.

   L'histoire de l'une des suivantes (Khatereh) n'est pas plus réjouissante. Elle a été violée par son père (me semble-t-il) et, rejetée par sa famille, s'est retrouvée à la rue, où elle est devenue une voleuse. Lorsqu'elle a été arrêtée, elle menaçait les gens avec une arme à feu, pour leur prendre leur voiture. Il lui est déjà arrivé auparavant de poignarder des personnes... et pourtant, cette jeune femme est lumineuse, malgré son désespoir. Elle fait partie de celles qui considèrent cette prison comme un havre de paix, faute de mieux. Un peu plus tard dans le film, on découvre qu'elle tient un journal intime (dans lequel le père est surnommé "Supplice"...), qu'elle illustre de ses dessins. Elle passe tellement bien à la caméra qu'elle pourrait être actrice. Mais, parfois, quand elle ne voit pas le bout du tunnel, elle craque, comme une enfant.

   Toutes ces jeunes femmes sont touchantes, chacune dans son style. Il y a la rebelle, qui ne porte pas le voile, se fout de la religion... et joue la comédie au tribunal. Il y a celle qui a connu une histoire d'amour avec un pauvre type et qui s'empare du micro-perche pour chanter à tue-tête. Il y a plusieurs jeunes mères qui se désespèrent de ne pas revoir leurs enfants. (L'une d'entre elles va gagner le droit de s'occuper de son nourrisson.) Il y a celle qui a tué son père, qui battait sa mère à coups de chaise. Il y a celle qui a fui le domicile familial, après avoir été violée par un oncle (supposé très pieux), le même qui avait abusé de sa sœur aînée. Une autre, droguée sévère, battait sa mère. Quant elles n'ont pas subi de violence dans le cercle familial, les jeunes femmes ont été rejetées par leurs proches, pour des raisons diverses.

   A l'arrière-plan, on perçoit les efforts des travailleurs sociaux, qui tentent de démêler le vrai du faux dans les déclarations des uns et des autres, et qui ont pour objectif principal de réinsérer les détenues, pour qu'elles retrouvent une ambiance familiale (au besoin auprès de grands-parents, quand les géniteurs sont défaillants). C'est donc, au-delà du cas des adolescentes, un portrait de société que nous offre ce film. C'est à la fois une tranche de vie iranienne (qui montre les ravages de la drogue et les problèmes sociaux) et une œuvre à portée universelle, tant les difficultés évoquées ne sont pas inconnues des autres pays.

   Les rares visites que reçoivent les jeunes femmes revêtent une importance capitale, tout comme les coups de fil autorisés sous la surveillance d'un agent de la prison. Au quotidien, elles sont rassemblées dans un dortoir, où elles disposent d'une chaîne hi-fi et de la télévision. Cette prison-refuge semble adepte de méthodes ouvertes concernant le traitement des délinquantes. On les informe à propos du sida. On les initie au maniement des marionnettes (qui vont faciliter leur prise de parole, avec la distanciation nécessaire)... et on leur impose le culte hebdomadaire, avec un imam qui débat avec elles de sujets de société... sans trop de succès, apparemment. On en voit aussi plusieurs lire... ô surprise !... des bandes dessinées : les aventures de Tintin et Milou !

   Dans la seconde partie du documentaire, le ton se fait plus optimiste, avec le cas d'une fugueuse qui va se réconcilier avec sa famille et ceux d'autres détenues qui trouvent une porte de sortie. Celles qui restent sont autorisées à préparer une fête pour le nouvel an persan, avec des tapis d'occasion, des décorations... et de la musique dance ou techno !

   Ce court documentaire (1h15) est une fabuleuse pépite, à saisir si elle passe près de chez vous.

mercredi, 25 octobre 2017

Barry Seal

   C'est l'histoire d'un mec, pilote doué, qui s'ennuyait à convoyer des civils dans des avions de ligne, à l'intérieur des Etats-Unis. L'occasion lui est donnée de travailler dans l'intérêt de son pays... et de se faire un max de blé. Le tout n'est pas sans risques, mais, comme le jeune homme est à la recherche de sensations fortes, il ne va pas trop se faire prier.

   Tordant quelque peu la réalité des faits, l'intrigue mêle trafic de drogue, lutte anti-communiste et jeux politiques washingtoniens, pour déboucher sur un film d'action drôle et rythmé, presque complètement immoral, mais qui a le mérite de mettre à jour certains aspects de l'interventionnisme états-unien en Amérique latine, au début des années 1980.

   Tom Cruise (qui n'en finit plus de rajeunir) incarne avec fougue le jeune pilote qui rêve d'une vie moins conventionnelle. Attention toutefois : s'il va enfreindre quantité de lois, il reste fidèle à son épouse bien aimée (qu'il couvre de cadeaux) et, quand il s'éclate, il boit de l'alcool mais ne consomme pas de cocaïne. C'est qu'il fallait un héros positif à cette histoire remplie de crapules. (Dans la réalité, si Barry Seal était bien un pilote doué -mais pas aussi beau gosse que Cruise, c'était un type foncièrement malhonnête, qui n'a pas eu besoin des agences gouvernementales pour tomber du côté obscur du commerce de marchandises... et sa vie privée fut plus chaotique que ce qui nous est dit.)

   Mais, bon, tout cela nous est présenté de manière humoristique, dans un habillage vintage. Ce n'est pas sans rappeler le récent Infiltrator, qui traite d'un sujet très proche. L'un des atouts du film est le choix des retours en arrière, commentés par le "héros". Cela donne davantage de recul à l'histoire.

   Celle-ci est drôle parce qu'on y croise une brochette de pieds-nickelés qui vont considérablement s'enrichir en profitant du contexte de Guerre froide. La description de la corruption politique en Amérique centrale vaut aussi son pesant de cacahuètes. Quant aux Contras nicaraguayens, ils sont un peu facilement réduits à une bande de désoeuvrés, surtout attirés par les lunettes de soleil, le whisky et les revues porno que Barry Seal leur apporte pour les amadouer. Ah, le Rêve américain...

   Toutes ces facilités passent parce que c'est bien mis en scène. Le réalisateur Doug Liman n'est d'ailleurs pas un inconnu : on lui doit, entre autres, La Mémoire dans la peau et Edge of tomorrow (avec Tom Cruise). Les avions sont très bien filmés... et c'est important, au vu du rôle qu'ils jouent dans l'intrigue. (Dans la réalité comme dans la fiction, ce fut parfois très limite.) J'ai aussi aimé les scènes qui montrent la problématique accumulation de pognon (illégal), qu'on cherche à stocker par tous les moyens possibles (après en avoir déjà beaucoup dépensé). Le réalisateur (tout comme le trafiquant) sait aussi jouer avec les cabines téléphoniques publiques, dont les appels sont à l'époque intraçables. L'un des moments les plus drôles reste celui d'un atterrissage forcé de Barry, qui finit couvert de poudre, dans un quartier défavorisé, s'enfuyant sur un vélo trop petit pour lui !

   Voilà. C'est techniquement très bien fait. Mais les aspects négatifs des activités du héros sont atténués voire passés sous silence. On ne nous dit rien des ravages causés par la drogue et on n'a qu'un petit aperçu de la violence dont les trafiquants colombiens étaient capables.

   PS

   L'histoire se déroule sous les présidences de Jimmy Carter et Ronald Reagan. Mais l'on entend et aperçoit trois autres (futurs) présidents. Ainsi, la procureure de l'Arkansas reçoit un coup de téléphone du gouverneur de l'époque, un certain... Bill Clinton. De son côté, Barry, quand il se retrouve à la Maison Blanche, discute brièvement avec un jeune homme qui lui dit avoir été pilote dans la Garde nationale. Très vite, "Junior" est prié d'entrer dans un bureau, dont on devine qu'il s'agit de celui du vice-président de l'époque, George Bush, son père, accessoirement ancien chef de la CIA et coordonnateur de la lutte anti-drogue...

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mardi, 24 octobre 2017

Les Oubliés

   J'avais raté ce film à sa sortie. Il n'était resté qu'une semaine au programme à Rodez, en version française, à des horaires peu compatibles avec mon emploi du temps. Actuellement, il continue à tourner dans quelques cinémas et il est sorti en DVD.

   Il raconte l'histoire vraie de soldats allemands (ici des adolescents mobilisés à la fin de la Seconde guerre mondiale), faits prisonniers et envoyés déminer les plages danoises, en 1945. C'est un type de sujet qu'on a évité d'aborder pendant des années : l'armée allemande ayant commis tant de crimes horribles, on n'a pas jugé utile de dénoncer le sort de ces jeunes soldats. Rappelons tout de même que ces mines avaient été posées par l'occupant allemand. Les gamins eux-mêmes avaient subi l'endoctrinement des Jeunesses hitlériennes... et il n'est pas impossible que certains d'entre eux fussent des fils de SS.

   Le film pose la question de la responsabilité collective. Alors que les Danois, à l'image de tant de peuples européens, ont souffert à cause des Allemands pendant la guerre, devaient-ils le faire payer aux enfants de ces soldats ?

   On leur a confié une tâche délicate et ultra-dangereuse. Ils n'ont reçu qu'une formation express, suffisante toutefois pour effectuer un travail basique, insuffisante quand ils se trouvent face à un dispositif plus élaboré... voire vicieux (une mine en cachant une autre).

   Au départ, le sous-officier danois (Roland Møller, vu dans Hijacking, excellent) qui s'occupe d'eux se montre extrêmement dur,  déversant sur eux sa haine des Allemands. Mais, petit à petit, il réalise que ce ne sont que des gamins et qu'on fait peser sur leurs épaules une charge qui n'est pas de leur âge. Au fur et à mesure que le temps passe, la petite troupe s'amenuise, amputée de ceux qui périssent dans une explosion. Notons que, si la mise en scène joue avec nos nerfs, elle ne tombe pas dans la facilité. Le réalisateur a voulu éviter que certains événements ne soient trop prévisibles. De la même manière, l'amélioration des relations entre le tuteur danois et la troupe de jeunes démineurs ne suit pas une courbe régulière. Il y a des hauts et des bas.

   Je trouve que tous les acteurs sont bons, qu'ils incarnent les Allemands ou les Danois, les civils ou les militaires. Sur un sujet casse-gueule, le réalisateur a construit un film subtil, qui se conclut par un acte d'une grande humanité.

Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

   C'est le titre original (traduit) du roman qui a inspiré le film Blade Runner. Je ne sais plus si je l'avais déjà lu. En tout cas, il ne faisait pas partie de ma bibliothèque. La récente sortie (au cinéma) de la suite, Blade Runner 2049, m'a donné envie de me (re)plonger dans l'oeuvre de Philip K. Dick.

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   Le livre a d'ailleurs été récemment réédité en collection de poche. Je note que, bien que J'ai lu soit une filiale de Flammarion (maison d'édition française), elle-même intégrée au groupe Madrigall (une holding contrôlée par Gallimard), l'exemplaire que j'ai acheté en librairie a été imprimé... en Slovaquie.

    Mais revenons au roman. A sa lecture, on constate que Ridley Scott y a apporté de nombreux changements que, grosso modo, j'approuve. Ils ont contribué à rendre le film plus romantique et plus poétique que l'oeuvre d'origine, qui est noire voire empreinte de désespoir. (Et je ne parle pas de l'ambiance visuelle, ni de la musique de Vangelis, qui n'ont pas peu contribué au succès du film.)

   Dans le roman, Rick Deckard est marié... et pas très heureux en ménage. Tout cet aspect de sa vie quotidienne a été gommé, pour mettre l'accent sur sa rencontre avec Rachael, qui est moins romantique que dans le film.

   De manière générale, les "réplicants" sont présentés comme plus froids que dans le film, où Scott a insisté sur leur part d'humanité. Question spectacle, leur chasse par Deckard comporte plus de péripéties que dans l'oeuvre de Dick, à part un épisode, qui a été exclu de l'adaptation : Deckard se fait arrêter par d'autres policiers, certains étant des humains, d'autres des "réplicants". Les scénaristes ont préféré resserrer l'intrigue, mais sans négliger complètement le matériau de départ, qui introduit le doute quant à la nature même de Deckard.

   Un autre élément du fond du roman a disparu au moment de l'adaptation : l'aspect religieux, avec le mercérisme, sorte de doctrine officielle, propagée par la télévision et qui sert en quelque sorte d'opium du peuple (en complément des drogues autorisées, que les habitants de la Terre s'auto-administrent). Ce n'est pas qu'un décorum, puisque, vers la fin, un événement surnaturel sauve la mise à Deckard, qui n'était pas censé survivre à la traque des trois derniers "réplicants" en fuite.

   Quant au contexte post-apocalyptique (nucléaire), il est utilisé dans la suite se déroulant trente ans plus tard... en fait trente ans après le premier film, le roman (écrit dans les années 1960) situant l'action en 1992. De ce point de vue, c'est bien une oeuvre de Guerre froide, qui imagine que tôt ou tard, la rivalité entre les deux Blocs va dégénérer. (Le roman a été écrit quelques années après la crise de Cuba de 1962.) Mais, en 1966, Philip K. Dick voit encore des policiers soviétiques en 1992...

   Toutes ces différences rendent le roman encore plus passionnant à lire. Je l'ai dévoré presque d'une traite. Dans l'édition que j'ai eue entre les mains se trouve une postface, qui donne quelques éléments d'explication et des informations inédites. Sachez que les producteurs du film voulaient au départ que Dick réécrive son roman, en fasse l'équivalent d'une novélisation qui aurait remplacé l'oeuvre originale. L'écrivain a refusé, ce qui a conduit à l'embauche de scénaristes pour reformater l'intrigue, pour le plus grand bonheur des cinéphiles.

lundi, 23 octobre 2017

Kingsman : Le Cercle d'or

   Le premier opus (sorti il y a deux ans et demi) était plutôt divertissant. On se demande néanmoins ce qui pouvait justifier une suite (à part tenter d'amasser encore plus de pognon, bien sûr). Le début m'a quand même mis dans de bonnes dispositions, avec une séquence totalement hallucinante de baston en voiture. Ces 5-10 minutes de folie justifient peut-être à elles seules la vision du film. Le problème est qu'il s'agit de la meilleure séquence. Après ça, il reste donc encore plus de deux heures à s'enquiller...

   Ne soyons pas trop sévères : on nous ménage d'autres moments de bravoure, notamment quand un cowboy prend les choses en mains dans un bar glauque du Kentucky, ou quand un vol d'antidote dégénère en téléphérique fou... un épisode qui se conclut de manière proprement merdique !!! Je signale aussi la séquence qui voit les héros s'attaquer au refuge de la méchante de l'histoire (Julianne Moore, qui fait le job, sans brio mais sans déshonneur). On peut compléter par le combat final, qui oppose deux personnages à un adversaire plutôt inattendu. On notera au passage la contribution d'Elton John, ridiculisé au début de l'histoire, mais à qui la production permet par la suite de prendre sa revanche.

   Sur le fond, il s'agit pour nos héros de contrer un cartel de la drogue très vilain et très puissant... et de se méfier d'un président des Etats-Unis odieux. (Eh oui, c'est un film engagé !) Dans un premier temps, les espions britanniques vont se faire damner le pion par les méchants. Ils vont avoir besoin de l'aide de leurs "cousins" d'Amérique, membres d'une succursale qui fonde sa richesse sur la production de... whisky ! Le deuxième tiers de l'intrigue nous met en contact avec ces agents totalement décomplexés, arrogants sur les bords... et pas très attirés par les méthodes subtiles. Comme ce sont nos amis britanniques qui sont aux commandes, de petites piques sont régulièrement lancées en direction des alliés yankees, dont on sous-entend qu'ils sont des dragueurs pitoyables (dotés de surcroît d'un petit pénis) et d'incurables profiteurs, mus principalement par l'appât du gain. Autant de considérations susceptibles de séduire les spectateurs français...

   Le problème est qu'entre les scènes d'action (réussies) que j'ai signalées plus haut, on s'ennuie ferme. J'ai plusieurs fois regardé ma montre et esquissé un bâillement ou deux. Si la production d'un troisième épisode se confirme (ce qui est sous-entendu par la conclusion de l'intrigue), il va falloir resserrer tout ça.

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dimanche, 22 octobre 2017

Blade Runner 2049

   J'ai hésité avant de me décider à aller voir cette suite. C'est la deuxième fois en moins d'un an qu'un de mes films-cultes est "retouché" (Ghost in the Shell) ou gratifié d'une suite. J'avais d'autant plus d'appréhension que c'est à Denis Villeneuve qu'on a confié la tâche délicate de succéder à Ridley Scott. Je trouve que ce réalisateur a beaucoup de talent, mais sa première incursion dans le genre de la science-fiction (Premier Contact) ne m'a pas convaincu.

   Honnêtement, le boulot est bien fait. Villeneuve et son (abondante) équipe ont réussi à se couler dans l'univers graphique créé par Ridley Scott, en y apportant leur touche, qui se justifie d'autant plus que l'action se déroule des années après le premier film. Les séquences du début sont de toute beauté.

   On peut y ajouter plusieurs références explicites à l’œuvre de l'auguste devancier. Le héros K (Ryan Gosling, très bon) rencontre une réplicante d'élite avec laquelle on sent que cela pourrait "accrocher" (comme entre Rachel et Deckard). Sur sa route, il croise une autre réplicante, une prostituée dont la tenue et le comportement ne sont pas sans évoquer Pris (interprétée par Daryl Hannah, dans le premier opus).

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   En fait, ce personnage a été dédoublé, donnant naissance aux deux femmes précédemment citées. Autre retour à l'écran, celui de l'ancien collègue de Deckard, le passionné d'origami, dans une courte scène correctement troussée. Et puis il y a cette autopsie numérique, dont la mise en scène rappelle les interrogatoires menés jadis par Deckard... interrogatoires dont on nous propose quelques extraits audio. La musique aussi est pleine de réminiscences "vangélisiennes". (Je suis d'ailleurs en train d'écouter le CD de la BO.) Un morceau du premier film est même repris note pour note, à la fin, dans une scène qui fait écho à l'un des plus beaux moments de l’œuvre de Ridley Scott

   Villeneuve a quand même eu l'opportunité d'apposer sa patte, d'autant qu'il a pu s'appuyer sur un scénario bien charpenté. En clair : on a permis au créatif de s'exprimer, sans pour autant lui autoriser n'importe quoi. La meilleure trouvaille est peut-être cette assistante numérique qui fait office de femme au foyer. Au départ, son image est hyper-traditionnelle, misogyne même. Elle va se révéler très utile au héros et forme avec lui un couple inhabituel, furieusement romantique... qui n'est pas sans rappeler ce qu'on a vu dans Her.

   C'est l'occasion d'évoquer la place des personnages féminins. Ils sont assez développés... et toujours incarnés par des femmes au physique très avantageux, dont on ne nous laisse guère ignorer de détails. C'est le côté "film de mecs" (hétérosexuels), avec nudité (au moins partielle) obligatoire pour certaines actrices, sans que cela se justifie pleinement. Dans le rôle de l'assistante numérique, il y a Ana de Armas (déjà vue dans War Dogs), qui arrive de temps à autre à sortir du statut de femme-objet :

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   Mais le personnage le plus marquant est celui de la "méchante" de l'histoire, Luv (Sylvia Hoeks, très convaincante, un peu dans le style de Sofia Boutella dans Kingsman), l'une des rares réplicantes de nouvelle génération à avoir reçu un nom.

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   C'est à la fois une rivale et une partenaire potentielle du héros, qui lui sauve la mise au cours d'une embuscade, à distance, à l'aide de drones commandés à la voix et au scanner rétinien. La séquence est bluffante. Soulignons aussi la bonne prestation de Robin Wright, la patronne de K, qui, à un moment, est tentée de se la jouer cougar avec son employé modèle. (Je trouve quand même un peu gros que toutes les femmes canons tombent sous le charme du héros ! On est au XXIe siècle, merde !)

   Du côté masculin, force est de constater qu'on n'a pas laissé beaucoup d'espace autour de Ryan Gosling. Seul Harrison Ford parvient à exister. Jared Leto, sorte de milliardaire de la nouvelle économie qui se prend pour un nouveau Dieu tout-puissant, m'a laissé une impression médiocre. Et que dire des considérations pseudo-philosophiques, le pire survenant dans une scène putassière, qui voit Niander Wallace triturer son nouveau "produit". C'est inutilement grandiloquent et voyeuriste.

   Quoi qu'il en soit, le meilleur atout de ce film est sans doute ses effets spéciaux. C'est à la fois beau et emballant du point de vue de la mise en scène. Les décors sont vraiment réussis, y compris dans des scènes plus anodines, comme celles qui se déroulent dans un orphelinat installé dans un ancien complexe industriel.

   L'intrigue recèle quelques mystères, qu'un spectateur averti décryptera sans trop de problème. La première partie de l'histoire nous incite gentiment à croire quelque chose concernant le passé de K. Mais, pour qui sait voir et écouter, sa rencontre avec un personnage inattendu donne déjà les clés pour comprendre de quoi il retourne. Cela n'enlève rien au plaisir de la découverte de la suite. On attendait la rencontre K-Deckard avec impatience et Villeneuve ne déçoit pas : il la traite de manière surprenante... et en introduisant un troisième intervenant, du genre poilu sur quatre pattes (et qui aime le whisky !).

   La dernière partie de l'intrigue reprend la trame policière, avec une séquence achment bien foutue dans l'eau, comme une réponse au combat du premier Blade Runner, qui s'achève sous la pluie. On se demande longtemps comment le scénariste a décidé de conclure l'histoire. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a matière à une suite...

   PS

   Sur le fond, ce film se démarque légèrement du premier, en tentant de le prolonger. Chez Ridley Scott (et Philip K Dick), c'est la capacité à aimer qui fait l'humain. Villeneuve ajoute la capacité à enfanter, qui semble prendre le dessus. Je trouve cela un peu restrictif... et pas forcément juste. (Cela ne distingue pas l'humain des autres mammifères.)  La faculté de créer quelque chose et la conscience de soi me paraissent de meilleurs critères d'humanité.

18:06 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

samedi, 21 octobre 2017

Une Famille syrienne

   C'est à Beyrouth (dans le Liban voisin) qu'a été tournée cette fiction ayant pour cadre une ville syrienne touchée par la guerre. Ce pourrait être Alep, dans le nord-ouest du pays. Néanmoins, on ne saura pas à quelle communauté sont censés appartenir les héros : sont-ils chrétiens, chiites ou sunnites ? A observer le grand-père (qui manipule son chapelet musulman à côté de sa bibliothèque) et sa (belle-) fille (attentive à la pudeur mais ne portant pas le voile) on se dit qu'on a affaire à des sunnites modérés.

   C'est sans doute une famille de la bourgeoisie alépine, qui possède un grand appartement en ville. Celui-ci sert de refuge à trois générations : le grand-père, le couple (dont on ne voit que l'épouse), leurs deux filles et un fils. S'ajoutent des voisins (deux jeunes adultes et leur bébé), le fils d'amis de la famille (qui en pince pour l'une des filles de l'héroïne) et l'employée de maison.

   Cela nous donne un excellent huis-clos, tendu presque du début à la fin, où il est d'abord question de survie, mais aussi d'amour, d'honnêteté... et d'hygiène.

   L'appartement en lui-même est un personnage de l'histoire. Le principal meuble est... la porte d'entrée, barricadée comme si ses occupants étaient paranoïaques. Mais, quand on a ne serait-ce qu'un aperçu de ce qu'il se passe à l'extérieur, on trouve cette barricade encore trop fragile...

   A l'opposé, les fenêtres sont masquées par des rideaux occultants, le balcon étant protégé par une sorte de moucharabieh, le tout permettant de voir sans être vu. Situé au deuxième étage de l'immeuble, l'appartement semble relativement protégé d'une intrusion venue de la rue.

   Le début est empreint de douceur, celle d'un matin calme. On nous fait découvrir les principaux protagonistes. J'ai été particulièrement touché par le jeune couple, en particulier la femme, une blonde incarnée par Diamand Bou Abboud (la révélation du film, pour moi). Vu les vêtements qu'elle porte, il est possible qu'on veuille sous-entendre que cette arabophone est d'origine russe. Clin d'oeil du réalisateur : dans la chambre qu'elle occupe avec son compagnon et leur bébé, les spectateurs attentifs remarqueront la présence d'une affiche (en russe) célébrant le cosmonaute Youri Gagarine. Comme c'est l'une des chambres de la famille qui les accueille, on peut présumer qu'elle révèle qu'un de ses membres a été communiste ou sympathisant, du temps où le pays, gouverné par Hafez el-Assad (le père de Bachar), était dans le camp soviétique.

   C'est dire le soin qui a été apporté aux détails, dans ce petit film où l'ingéniosité compense largement la modestie des moyens.

   Mais le personnage principal est une autre femme, l'épouse du combattant qu'on ne voit jamais, la mère des deux filles et du garçon, Oum Yazan. Elle a les traits de Hiam Abbass, une formidable actrice israélienne qu'on a pu voir il y a deux ans dans Dégradé. Faute de mari à la maison, elle devient la patronne, régissant la vie des occupants, ne reconnaissant que l'autorité morale du grand-père et pourrissant, si besoin est, le quotidien des enfants et de la bonne, si elle estime que leur comportement met en danger la survie du groupe.

   C'est aussi une obsédée de la propreté, une gageure dans un contexte de pénurie d'eau. Cela nous vaut quelques moments cocasses quand il est question d'assouvir des besoins naturels. Passer derrière le grand-père n'est visiblement pas une partie de plaisir...

   Ces pointes d'humour ne doivent pas faire oublier le drame dans lequel baigne l'histoire. Un événement traumatisant, survenu au début du film, va changer le comportement de certains personnages, qui vont tenter de garder un secret. Vers la fin du deuxième tiers, un nouvel événement traumatisant, d'un autre genre, fait basculer l'intrigue et va inciter certains personnages à tenter une sortie.

   Je me garderai bien de révéler la fin, mais je peux vous dire que je suis sorti de là assez secoué.

   PS

   Le réalisateur, Philippe Van Leeuw, semble sensible à la cause des femmes. Il a, entre autres, été chef opérateur de Claire Denis sur le tournage des Bureaux de Dieu, il y a un peu moins de dix ans.

The Square

   Cela fait déjà un paquet d'années que je ne me rue plus avec gourmandise sur la palme d'or de l'année à Cannes. Le "Carré" primé en 2017 est à sens multiple. C'est bien entendu une figure géométrique qui, par certains aspects, peut exprimer la perfection ou l'égalité (moins que le cercle toutefois). C'est aussi, pour le réalisateur suédois, une allusion aux gated communities, ces quartiers fermés (urbains) qui sont apparus dans son pays après tant d'autres. Enfin, dans le film, c'est le titre d'une exposition d'art contemporain qui va susciter la polémique... et bouleverser la vie de certains personnages.

   Le héros Christian (Claes Bang, impeccable) est presque une caricature de bobo. Conservateur du musée royal, il a de l'allant : très sûr de lui, plutôt bel homme, le style savamment négligé (barbe de trois jours, chemise avec deux boutons défaits... mais costume de prix et chaussures chics), il est présenté comme un type à la fois brillant et un peu puant. Au fur et à mesure que l'intrigue évolue, ses défauts ressortent.

   Un incident qui se produit dans la rue, au début, va prendre des proportions insoupçonnées, sans doute à cause d'un pickpocket. Cela va notamment conduire Christian dans un quartier populaire, dont les habitants sont les anonymes de l'histoire (et de la vie publique en Suède, selon le réalisateur).

   Le héros nous est aussi montré en Don Juan, un dragueur en vérité assez pathétique, pour qui le sexe est une sorte de gymnastique. Mais, lors de la scène de copulation, le meilleur arrive à la fin (après son orgasme à lui... mais pas celui de sa partenaire). Je ne dirai rien ici, mais sachez que la scène prend un tour boulevardier inattendu et fort plaisant. C'est dû aussi à la composition d'Elisabeth Moss (vue récemment dans Truth, l'étonnant Outsider et High Rise). Son personnage n'est pas particulièrement gâté par le début de cette scène, mais elle est délicatement resplendissante lors de sa rencontre avec le conservateur, une scène là encore piquante, puisqu'elle voit la jeune femme questionner Christian sur des propos abscons qu'il a tenus naguère et que lui-même peine à clairement expliquer. Il y a donc de la satire dans ce film, mais à la scandinave, de manière subreptice... et "à froid". (Je fais partie de ceux qui ont particulièrement goûté les conséquences de l'action d'un homme de ménage sur l'un des "dispositifs" de l'exposition, un de ces exemples de création prétentieuse et vide.)

   Le tout est mis en scène de manière brillante. Les plans sont très bien construits. Chaque chose, chaque personne est à sa place. C'est aussi très bien éclairé. Comme le film est long (et le rythme peu soutenu), je me suis parfois amusé à rechercher des défauts dans certains plans. Franchement, tout est nickel... et c'est parfois brillant, comme ces vues de l'intérieur de l'appartement du conservateur, quand on finit par comprendre que l'on ne voit que le reflet de la scène sur une paroi vitrée... interne ! C'est d'un chic !

   Le film a donc un aspect conceptuel. Au premier degré, il dénonce l'inadéquation entre les propos généreux tenus par les bobos suédois et leur mode de vie, qui évite soigneusement tout contact avec les pauvres, voire les instrumentalise, comme dans la campagne de publicité provocatrice ou comme lorsque Christian, à la recherche de ses filles perdues dans le centre commercial, redécouvre l'existence du mendiant qu'il avait auparavant rembarré... Certains de ces bobos ont d'ailleurs mauvaise conscience, puisqu'ils répugnent à exclure d'une conférence de presse un homme atteint du syndrome Gilles de La Tourette, alors qu'il leur pourrit la vie, certes involontairement. (En poussant l'analyse très loin, on pourrait affirmer aussi que leur mauvaise conscience les pousse à accepter l'inacceptable, sorte de préfiguration de la séquence-choc ultérieure.)

   Au second degré, il me semble que le film tente d'illustrer certains des propos artistiques tenus par les personnages. Le tout début est une sorte de mise en abyme, avec cet ouvrier qui construit le carré de pavés qui va symboliser l'exposition dont il est exclu (alors que le carré est sensé être inclusif). Je pense aussi au questionnement concernant l’œuvre d'art, au surgissement incongru d'un objet (ou d'une personne, considérée comme un objet...) dans un lieu.

   C'est dans cette optique qu'il faut considérer la "performance" de l'homme-singe (incarné par Terry Notary, qui fut Alpha, dans La Planète des singes : les origines, et Rocket dans les suites, L'Affrontement et Suprématie). A la base, il s'agit d'une création artistique, en liaison avec le thème de l'exposition, puisque cet homme incongru pénètre dans le "carré VIP" des bobos invités à l'inauguration. Pour les spectateurs attentifs, c'est le signe que quelque chose de sexuel (et lié au pouvoir) va se passer, comme la dernière fois qu'on a vu un gorille à l'écran (chez Anne). Je ne vais pas aller plus loin, mais le dérapage dans le dérapage est chargé sur le plan métaphorique : c'est l'expression de la revanche des riches, face à la peur que leur a inspirée le pauvre. Mais la séquence instille le malaise, en raison de son ambiguïté : qu'est-ce que le réalisateur est réellement en train de filmer ? Peter Greenaway et le Festen de Thomas Vinterberg ne sont pas loin.

  Le film aurait dû s'arrêter là, au bout de deux heures. Malheureusement, on nous a rajouté un épilogue d'une vingtaine de minutes qui prend la forme d'un horrible prêchi-prêcha moralisateur... et d'une rédemption de l'un des personnages. C'est lourdingue et inutile. Cela n'enlève rien aux qualités qui précèdent, mais, du coup, je suis sorti de là moins enthousiaste que prévu.

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mercredi, 18 octobre 2017

Le Sens de la fête

   L'année 2017 aura été un grand cru pour Jean-Pierre Bacri : avant d'interpréter Max, l'organisateur de mariages festifs, il a incarné (avec talent) l'un des croque-mort de Grand froid. C'est donc pour moi l'occasion de retrouver celui que j'ai considéré, à une époque, comme mon alter ego cinématographique, quand il se glissait dans la peau du râleur désabusé, prompt à se lancer dans d'improbables tirades, sous les yeux d'un entourage tendrement amusé ou agacé.

   Il m'a quand même fallu quelques minutes pour me réhabituer à ce nouveau Bacri, amaigri (certains diront svelte), vieilli et peut-être aussi sortant de maladie. On est malgré tout rapidement pris dans les mailles du filet de cette comédie très écrite. Le duo Nakache-Toledano (auquel on doit Intouchables) a soigné les dialogues, il est vrai servis par des acteurs formidables. Outre Bacri, on remarque les performances de Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve (qui nous la joue un peu Jean-Claude Dusse), Eye Haidara, Hélène Vincent... et Benjamin Lavernhe (vu l'an dernier dans L'Odyssée), une révélation dans le rôle de Pierre, le mari... un connard de première ! C'est du niveau de ce que pourrait faire un Laurent Lafitte, c'est dire !

   Si le film n'innove pas au niveau de la mise en scène, il s'inspire de recettes qui ont fait leurs preuves, oscillant entre le rythme trépidant d'un Birdman (avec plusieurs plans-séquences à la clé) et la satire un brin misanthrope de La photo de mariage de Jean-Marie Bigard. Le plus étonnant est que cet attelage acrobatique fonctionne ! Dès le début, j'ai marché à ces détails cocasses, comme la voiture du héros. J'ai souri à cette peinture des travers, des faiblesses voire des ridicules de nos contemporains. C'est juste sans être méchant. Bacri lui-même n'en fait pas trop, se révélant parfois touchant.

   Évidemment, le repas de mariage ne va pas se dérouler comme prévu. Je dois dire que la succession de contretemps est assez inattendue, avec quelques facilités parfois (comme les gags récurrents). Particulièrement croustillante est la découverte de la cause d'un incident de cuisine...

   L'action culmine dans le dernier tiers de l'histoire, avec une séquence au départ grand-guignolesque (avec le mari mégalomane), qui se révèle finalement poétique. Bacri/Max jusque-là plutôt pince-sans-rire finit par se lâcher (façon Bigard dans le sketch). Mais, même quand on est au fond du trou, une lueur peut surgir et (presque) tout rattraper. C'est un autre point fort de cette histoire que d'ouvrir de nouvelles portes là où l'on pensait que l'intrigue était conclue.

   La salle où je me trouvais était bien garnie et le public a beaucoup ri. J'ai passé un très bon moment.

23:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

lundi, 16 octobre 2017

La Passion Van Gogh

   C'est à une coproduction anglo-polonaise que l'on doit cet hommage à l'un des peintres les plus imaginatifs de tous les temps. Au lieu de se contenter d'un biopic poussiéreux, les auteurs nous proposent une enquête picturale, qui voit l'une des connaissances de Van Gogh chercher à transmettre une lettre, avant d'enquêter sur la mort du peintre, sur laquelle plane un mystère.

   Techniquement, on a utilisé la rotoscopie, déjà à l’œuvre dans A Scanner darkly, Valse avec Bachir ou encore Aloïs Nebel. A l'écran, les décalques des acteurs se meuvent dans les oeuvres du peintre, soudain mises en mouvement. On a notamment beaucoup puisé dans la période arlésienne, ainsi que dans son séjour à Auvers-sur-Oise.

   Au début, il faut s'accrocher un peu, pour s'habituer au procédé et à la conception de l'intrigue. Notre guide est un personnage réel, Armand Roulin, qui a été peint par Van Gogh :

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   Dans ses pas, on découvre plusieurs des lieux visités par le peintre, à commencer par le fascinant café nocturne, où l'on va rencontrer une galerie de personnages hauts en couleur :

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   Parmi ceux qui m'ont marqué, dont on voit les traits fixes soudain s'animer, je peux citer le soldat zouave ou encore Paul-Eugène Milliet :

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   A partir de là, le héros-enquêteur va aller à la rencontre des logeurs de Van Gogh, notamment la patronne d'un bar et la fille du docteur Gachet, ce dernier finissant par apparaître à l'écran, sous les traits de Jerome Flynn :

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   Cette juxtaposition de l’œuvre d'origine et de sa transposition cinématographique est très représentative du talent mis en œuvre dans cette fiction picturale, particulièrement réussie au niveau des portraits. On pense évidemment à ceux que Van Gogh a faits de lui-même, spécialement à ceux qui le montrent avec l'oreille coupée (droite sur les tableaux peints en miroir, gauche dans la réalité). Mais le plus beau (pour moi) est sans conteste celui qui le montre portant un chapeau et que l'on voit s'animer sous l'effet de coups de pinceau numériques :

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   On comprend pourquoi l'on considère Van Gogh comme un précurseur du fauvisme. Cela nous conduit tout naturellement aux paysages peints par l'artiste. Les champs de Provence sont superbement emballés de couleurs chaudes, tandis que les scènes nocturnes prennent un relief particulier quand les lumières s'animent :

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   Je recommande aussi la scène qui montre l'une des chambres où a logé Van Gogh, avec une flamme d'huile (numérique) qui vacille et fait danser les ombres de la pièce.

   C'est une œuvre extraordinaire, à voir a-bso-lu-ment !

   PS

   En complément, je conseille la lecture du numéro 1 de la nouvelle collection "Le Musée idéal", publiée par Le Monde en partenariat avec Géo :

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lundi, 09 octobre 2017

Le Jeune Karl Marx

   Méfiez-vous des programmes de présentation : ce film n'est diffusé que dans une seule version, multilingue, puisqu'on y parle (principalement) allemand, (sinon) français et (occasionnellement) anglais. C'est lié à la distribution (internationale) et aux péripéties de la vie du jeune Karl Marx, qui a vadrouillé entre Prusse (rhénane), France, Belgique et Royaume-Uni.

   Il est incarné par un très bon acteur allemand, August Diehl, qu'on a récemment pu voir dans En mai, fais ce qu'il te plaît et Diamant noir. Je suis moins convaincu par Stefan Konarske en Friedrich Engels, un rôle certes difficile, puisque c'est un fils à papa qui va se révéler très sensible à la cause ouvrière.

   Le film mérite aussi le détour pour les interprètes féminines, en particulier Vicky Krieps (vue dans Colonia) en Jenny Marx et Hannah Steele en Mary Burns, la compagne d'Engels. Subrepticement, le film montre que nos esprits (masculins) rebelles ont encore du chemin à faire, puisque, dans leurs rapports aux femmes, ils se révèlent des mecs comme les autres... et encore, le film n'ose suggérer que Marx a engrossé la bonne de la famille, comme n'importe quel bourgeois phallocrate !

   La fin des années 1840, sur laquelle se concentre le film, est celle des révélations pour le duo Marx-Engels, qui va se constituer et, au contact l'un de l'autre, affiner sa pensée. Ils vont notamment se démarquer de Proudhon (Olivier Gourmet, excellent) et de Bakounine, tout en récupérant le mouvement socialiste prophétique anglais. Pour que le tableau soit complet, il nous manque les "socialistes utopiques" (sans doute caricaturés par la catégorie précédente), qui ont hélas été oubliés dans l'histoire de la gauche contestataire, alors que les doctrinaires souvent sectaires tiennent encore aujourd'hui le haut du pavé.

   Quant à la classe ouvrière, elle fait l'objet d'assez peu d'attention dans le film. Le début est chargé de nous montrer la difficile condition des employées du textile, mais, à l'image du personnage d'Engels, le réalisateur et le scénariste n'en ont qu'une connaissance externe, limite intellectualisée. Du coup, le film perd beaucoup en force, d'autant plus qu'il manque de rythme. Cela m'a un peu fait l'impression d'une collection de vignettes, plutôt destinée à des intellos. Le capitalisme sans foi ni loi a encore de beaux jours devant lui, vu la maladresse de ceux qui le critiquent...

mercredi, 04 octobre 2017

Confident Royal

   Opération My taylor is rich aujourd'hui, avec le nouveau film de Stephen Frears, en version originale sous-titrée à Rodez ! Ces derniers temps, le cinéma britannique aime à revisiter les moments marquants du passé national (antérieurs à l'adhésion à la CEE...). En juin dernier, on a pu voir un Churchill compatissant au sort des soldats participant au débarquement de Normandie. En juillet, c'est le stoïcisme et le sens du devoir des tommies en 1940 qui fut à l'honneur dans Dunkerque. On a aussi eu droit à l'abnégation du couple Mountbatten dans Le Dernier Vice-Roi des Indes.

   Le récent auteur de Florence Foster Jenkins s'est attaqué à un autre monument national, la reine Victoria (vieillissante), remarquablement interprétée par Judi Dench, qui retrouve ainsi le réalisateur de Philomena. Dans le rôle principal, l'actrice assume ses rides et ses dents manquantes, pour composer un formidable portrait de la souveraine, à la fois protégée et corsetée par l'étiquette de la cour. C'est l'occasion de découvrir une brochette de seconds rôles bien campés, entre vieilles badernes et culs pincés, le tout sur fond d'ambitions personnelles.

   L'arrivée de serviteurs indiens musulmans va mettre le feu aux poudres. On a un peu rapidement présenté cette histoire comme une totale révélation, issue de la découverte des carnets de l'ancien favori de la reine, en 2010. En réalité, des historiens spécialisés avaient déjà évoqué la chose (certes sans y consacrer un livre entier). En français, une biographie de Victoria datant de l'an 2000 (et signée Roland Marx) consacrait un peu moins d'une demi-page à la petite révolution de cour qui agita le microcosme à l'extrême fin du XIXe siècle.

   C'est donc un film orienté (à l'image des récentes productions historiques britanniques), tout à la gloire de la reine, très dur pour "Bertie" (le futur Édouard VII) qui pourtant, une fois devenu roi, engagea le rapprochement avec la France, qui mena à la signature de l'Entente Cordiale. Un autre personnage subit un traitement (à mon avis) injuste : Lady Churchill (la maman de Winston, une Américaine qui a des ancêtres... français), présentée comme une intrigante revêche... sans qu'on ose préciser qu'elle fut (entre autres) l'une des (nombreuses) maîtresses du futur Édouard VII.

   Le début est assez drôle, avec la découverte d'une reine gourmande, pas très propre à table et dont le médecin s'enquiert de la qualité des selles... La rencontre avec l'Indien Abdul est aussi assez comique, avec, au centre de l'attention, un de ces horribles desserts à la gelée dans lequel je n'ai pas pu m'empêcher de voir des allusions sexuelles.

   La suite est hélas plus plan-plan, manquant de rythme, malgré la qualité de l'interprétation. (Je recommande tout particulièrement la déclaration que Judi/Victoria assène, en gros plan, à un trio d'emmerdeurs masculins dans son bureau.) A voir si l'on se pique d'anglomanie, ou si l'on peut se contenter de suivre les évolutions de Judi Dench à l'écran.

   PS

   C'est la deuxième fois que Stephen Frears gâche un splendide matériau. Il y a une dizaine d'années, la performance d'Helen Mirren (Elizabeth II dans The Queen) n'avait été que médiocrement servie par un film décevant.