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dimanche, 14 octobre 2018

Dilili à Paris

   Deux ans après Ivan Tsarevitch et la princesse changeante, Michel Ocelot revient avec une fiction ancrée dans la Belle époque française, en plein Paris, au début du XXe siècle. C'est peu de dire que les vues de la capitale, sublimée par les couleurs et les effets de l'animation, contribuent fortement à l'intérêt du film.

   Dès le début, on nous fait comprendre qu'il ne s'agit pas que d'un divertissement. Dans un premier temps, l'oeil des spectateurs est volontairement trompé, avant que l'on ne découvre le zoo humain. (La scène s'inspire de l'Exposition coloniale de 1931.) Régulièrement, des éléments sont instillés pour détruire les préjugés : la gamine à la peau foncée parle très bien le français... et non, elle n'est pas noire, mais métis, victime du racisme aussi bien en Nouvelle-Calédonie qu'en France métropolitaine.

   Mais l'argument principal de l'intrigue est la défense de la cause des femmes, de 7 à 77 ans ai-je envie de dire. Cela commence par les enfants et Dilili en particulier, cette adorable Choupinette habillée comme une princesse et s'exprimant dans un français impeccable. Compte tenu de son vécu et de l'éducation qu'elle a reçue, elle est mûre pour son âge... et très courageuse.

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   Dans son périple pour retrouver les enfants enlevées par la mystérieuse bande des "Mâles Maîtres", Dilili va recevoir l'aide d'adultes, comme l'actrice Sarah Bernhardt, la chercheuse Marie Curie, la Goulue du Moulin rouge... et surtout la cantatrice (d'origine aveyronnaise) Emma Calvé, qui devient la protectrice attitrée de l'héroïne. (Natalie Dessay prête sa formidable voix à ce personnage rayonnant.)

   Pour la petite histoire, j'ajoute que l'Aveyron est aussi présent (indirectement) à travers les personnages de Toulouse-Lautrec (qui a passé une partie de sa jeunesse au château du Bosc) et d'Orel, le nouvel ami de Dilili. Celui-ci est l'homophone d'Aurel, le sculpteur parisien dont les célèbres chiens ornent la façade du musée Denys-Puech, à Rodez, dont la construction fut en partie financée par... Emma Calvé. Enfin, quand celle-ci évoque (dans le film) son château du Languedoc, elle fait sans doute allusion à celui de Cabrières, situé sur la commune de Compeyre, à côté de Millau.

   Grâce à la diligence d'Orel (qui roule en triporteur), Dilili est entraînée dans un tourbillon de rencontres, de l'écrivain Marcel Proust au clown Chocolat, en passant par des scientifiques (Louis Pasteur et Gustave Eiffel), des peintres (Monet, Renoir, Degas, Picasso, Matisse...), des sculpteurs (Auguste Rodin et Camille Claudel), des musiciens (Reynaldo Hahn et Claude Debussy) et des politiques (le prince de Galles et, tout à la fin, sans doute Georges Clemenceau). Cela constitue un catalogue que certains peuvent trouver lassant, mais c'est inséré avec une certaine habileté. Je reconnais néanmoins que l'on tombe parfois dans l'effet "carte postale". Je regrette aussi un certain schématisme esthétique : la tendance à faire des gentils des personnages séduisants, réservant la laideur physique aux méchants.

   Mais le principal défaut du film réside à mon avis dans ses dialogues, trop littéraires, pas assez marqués par l'oralité. Cela n'a cependant pas déconcerté les bambins de la salle, qui ont été emballés par le film, les petits Rouergats blancs de peau s'identifiant sans peine à la gamine métisse (ou peut-être à son grand copain débrouillard). C'est d'autant plus agréable que, sur le fond, le film dénonce les mauvais traitements faits aux femmes, au début du XXe siècle... mais aussi au début du XXIe. Au premier degré, l'intrigue vilipende les Blancs misogynes. Au second degré, le sort réservé aux "quatre-pattes", voilées de la tête aux pieds, ne peut pas ne pas faire penser aux victimes de l'islamo-fascisme.

   Pour toutes ces raisons, et en dépit des réserves émises, c'est un film à voir, par les petits et les grands.

   PS

   Le site dédié est sympa.

vendredi, 05 octobre 2018

Un président économe

   Le soixantième anniversaire de la naissance de la Ve République a donné lieu à des articles plus ou moins intéressants. L'un d'eux, publié dans Le Monde, a retenu mon attention : il est consacré à Jérôme Solal-Céligny, l'un des rédacteurs méconnus de notre Constitution, qui a travaillé, sous les ordres de Michel Debré, à mettre en forme les idées politiques de Charles de Gaulle. (Au passage, ceux qui l'ignoreraient apprendront que le futur président de la République voulait un texte limpide et que celui qu'il nous a légué, pour alambiqué qu'il puisse paraître parfois, est une version simplifiée de ce qui lui avait été soumis...)

   A partir de cet article, on peut rebondir sur un autre papier, publié au cours de cet été, dans le cadre d'une série consacrée aux présidents de la République, après leur départ de l'Elysée. Concernant de Gaulle, la journaliste Béatrice Gurrey rappelle son souci d'économiser les deniers publics. Après l'échec du référendum de 1969, le grand Charles a quitté la scène politique aussi brusquement que discrètement, renvoyant la protection rapprochée dont il bénéficiait et refusant de toucher aussi bien sa retraite de président que l'indemnité qui lui était due en tant que nouveau membre du Conseil constitutionnel. De surcroît, il a maintenu jusqu'au bout son refus d'obsèques nationales, souhaitant être enterré à Colombey-les-Deux-Eglises aux côtés de sa fille Anne, née trisomique et décédée à l'âge de 20 ans, en 1948.

   Cette (relative) austérité personnelle s'était vue dès le début de la Ve République, lorsque le tout nouveau président français avait lancé le rapprochement franco-allemand en recevant chez lui, à Colombey, le chancelier de la RFA, Konrad Adenauer. Certes, il y avait un peu de mise en scène dans cette rencontre supposée privée entre les deux dirigeants. Il n'est pas moins vrai que de Gaulle avait, à cette occasion, évité de recourir aux "Ors de la République" pour servir sa politique.

   Les plus âgés d'entre nous connaissent cette anecdote tant répétée autrefois, selon laquelle les époux de Gaulle payaient leurs factures de gaz et d'électricité de l'Elysée, veillant à ce que les lumières soient éteintes quand une pièce se vidait. C'était un autre temps...

   Il n'est peut-être pas si éloigné que cela. L'actuel président de la République, Emmanuel Macron, semble vouloir placer ses pas dans ceux de "Mongénéral", comme le révèlent plusieurs détails récemment rendus publics. Hier, il s'est rendu à Colombey-les-Deux-Eglises pour déposer une gerbe sur la tombe de son illustre prédécesseur, sans oublier de lâcher, au passage, une formule lapidaire dans le genre de celles qu'il affectionne. Dans la foulée, on a appris le retour de la croix de Lorraine sur le blason présidentiel.

   Ce ne fut pas une surprise pour les clients de la Boutique de l'Elysée (ni pour ceux du site parodique d'ailleurs), puisque sur les produits que l'on y commande figure le logo orné de ladite croix, comme ici :

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   Sans être un héritier officiel du général, Emmanuel Macron a perçu dans son propre parcours un écho à la geste gaullienne, en particulier quand, au début de la IVe République, l'ancien chef de la Résistance s'était lancé dans l'arène politique en fondant un mouvement, le RPF, qui avait ratissé large, à droite et à gauche, tout comme l'avait fait le nouveau parti gaulliste quand son fondateur était revenu aux affaires, en 1958. A l'époque, les commentateurs politiques doutaient de la survie du mouvement après le départ de de Gaulle, tant son existence semblait liée à la vie du grand homme...

   Cerise sur le gâteau, celui qui est régulièrement caricaturé comme "le président des riches" semble aussi s'inspirer des vertus domestiques de son (lointain) prédécesseur, puisque le couple Macron règlerait de sa poche la plupart de ses dépenses quotidiennes.

Chris the Swiss

   Ce documentaire prend racine dans les conflits yougoslaves de la fin du XXe siècle (autour de 1991-1995).  La réalisatrice Anja Kofmel a cherché à éclaircir les circonstances dans lesquelles son cousin (qu'elle adulait à l'époque) a été assassiné, dans l'est de la Croatie, du côté d'Osijek. Auparavant, il était passé par Karlovac, à l'autre bout du pays :

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   Pour ressusciter ce cousin aimé, elle recourt au dessin. A plusieurs reprises dans le film, on la voit "croquer" un élément du paysage ou un bâtiment. A l'aide de la palette graphique, elle met en scène des personnages décédés, ou auxquels elle n'a pas pu parler pour d'autres raisons.

   Il faut dire que le sujet sur lequel elle enquête gêne plusieurs de ses interlocuteurs. (Dans les anecdotes d'Allociné, on peut lire que des pressions ont été exercées pour empêcher le film d'aboutir.) Certains lui tiennent des propos convenus, très généraux, sur la dureté de la guerre, les risques encourus etc.

   La réalisatrice nous fait découvrir le jeune Christian Wurtenberg, passionné de rock, en quête de sensations fortes... au point de se rendre en Namibie et en Afrique du Sud (à l'époque de l'apartheid), où il a servi dans des forces militaires.

   Voilà qui contrebalance bigrement le portrait du journaliste sensible à la détresse humaine, que fut incontestablement ce Chris. Mais il semble avoir eu de très mauvaises fréquentations, qui l'ont conduit à intégrer une milice croate, composée de volontaires étrangers très très marqués politiquement...

   Ici les scènes animées, en noir et blanc, osent montrer ce que les personnages réels évitent de déclarer face à la caméra. Chris semble avoir été très naïf, même s'il subsiste un doute quant aux raisons de sa proximité régulière avec des types d'extrême-droite.

   Cela donne un film sombre, très intéressant pour qui cherche à connaître l'histoire des Balkans. (Au début, l'auteure se lance dans une courte introduction historique sur les tensions dans l'ex-Yougoslavie. Elle aurait quand même pu dire que Tito était croate !) Contrairement à d'autres, j'ai apprécié les passages en images animées, parfois très poétiques.

samedi, 15 septembre 2018

La préfecture de l'Aveyron sous le Consulat et l'Empire

   C'est le titre de la conférence donnée vendredi soir (au Centre culturel départemental, à Rodez) par Renaud Carrier, un universitaire spécialiste d'histoire du droit et des institutions. Bien qu'enseignant dans les Pyrénées-Atlantiques, il a des racines aveyronnaises, qui expliquent sans doute le choix du sujet de sa thèse, comme il l'a expliqué en introduction.

   Très vite, le conférencier a annoncé qu'il parlerait très peu des bâtiments. Deux raisons expliquent ce choix : la première est (semble-t-il) le manque de documentation sur l'Hôtel de préfecture. La seconde est que, sous Napoléon Bonaparte, les premiers préfets se sont installés... dans les locaux de l'évêché de Rodez (à côté de la cathédrale). Sous la Révolution (à partir de 1791), Rodez a eu deux évêques, un jureur (dit constitutionnel), l'autre réfractaire (suivi par la majorité des prêtres, à ce qu'il me semble). En 1801, la situation devait se décanter après la signature du Concordat entre le Premier consul et le pape Pie VII. L'ancien évêque réfractaire (le plus ancien des deux en poste) devait récupérer son siège... mais il a rejeté le Concordat. Le diocèse de Rodez a donc été rattaché à celui de Cahors, ce qui a libéré les locaux de l'évêché, déjà en très mauvais état à l'époque. (La plupart des Aveyronnais savent que l'évêque de Rodez a récemment déménagé avenue Victor-Hugo, dans l'ancien Carmel, tandis que le projet de transformation de l'ancien évêché en hôtel de luxe a été abandonné.)

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   Trois préfets ont officié en Aveyron sous Napoléon Bonaparte : François Godefroy de Sainthorent (parfois orthographié Saincthorent ou Saint-Horent) de 1800 à 1808, Michel-Augustin de Goyon (et non pas de Gozon, comme il est écrit sur le site de la préfecture) de 1808 à 1810 et Louis-Philippe Girod de Vienney, baron de Trémont, de 1810 à 1814.

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   D'après Renaud Carrier, la nomination du premier préfet a fait l'objet d'un véritable casting avant l'heure. Le ministre de l'Intérieur Lucien Bonaparte (frère de) aurait construit une grille d'analyse de la candidature Sainthorent qui, au départ, n'apparaissait qu'au bas d'une liste de 20 personnes. Cette fameuse grille permettait de comparer l'opinion d'une série de notables sur les candidats. Dans le cas qui nous occupe, plusieurs parlementaires aveyronnais (dont le député Jean-François Vezin, qui siégea au Tribunat et au Corps législatif) auraient soutenu la nomination de Sainthorent, tout comme des "huiles" parisiennes (Lebrun, Cambacérès, Clarke, Talleyrand, peut-être Chaptal). Il n'est pas exclu qu'un réseau franc-maçon ait milité en sa faveur. On peut aussi avancer l'argument du passé commun, Lucien Bonaparte et Sainthorent ayant été proches des Jacobins. Quant à Cambacérès (originaire de Montpellier) et Chaptal (né en Lozère, il est passé par Rodez... et a succédé à Bonaparte au ministère de l'Intérieur), ils avaient des raisons de s'intéresser à l'administration de l'Aveyron.

   Mais revenons à Sainthorent. Il a 34 ans, est issu d'une famille bourgeoise de la Creuse. De formation juridique, il a été journaliste et avocat. Sous le Directoire, il a été député au Conseil des Cinq-Cents (équivalent de notre Assemblée nationale). Il s'est taillé une réputation de spécialiste des questions fiscales, des biens nationaux, des routes... et il est réputé anticlérical.

   Une fois nommé, habilement, Sainthorent va recruter un prêtre local pour le conseiller. Il s'est aussi opposé au rattachement du diocèse de Rodez à celui de Cahors et semble avoir toujours manifesté du respect pour les conseils de fabrique. Travailleur acharné, il est économe des deniers publics, ne faisant effectuer que les travaux strictement nécessaires dans les locaux qu'il occupe, se souciant peu de son logement personnel.

   S'il est resté huit ans en place, c'est qu'il a dû donner satisfaction. Il a d'abord mis fin aux divers actes de brigandage qui pullulaient dans le département, mobilisant toutes ses troupes, appuyées par celles venues de Montpellier. Ceux qui ont échappé aux balles sur le terrain ont en général fini exécutés ou emprisonnés. Dans le même temps, le préfet met en place son administration, veillant à ce que les sous-préfets disposent de moyens dans leur circonscription, qui à "dégarnir" un peu le chef-lieu. Dans le souci de rendre la gestion du département plus efficace, Sainthorent a aussi poussé au regroupement des communes autour d'une mairie principale (par exemple ici)... une démarche qui n'est pas sans faire écho aux préoccupations contemporaines. Son principal échec porte sur la lutte contre le refus de la conscription, ce qui lui a peut-être valu sa révocation.

   Lui a succédé Michel-Augustin de Goyon, un ancien officier des Gardes françaises, qui fut classé "suspect" sous la Révolution et a émigré. Sous-préfet de Vendée (pas très loin de sa ville de naissance, Nantes), il aurait été furieux d'avoir été nommé dans l'Aveyron. Renaud Carrier a cité des extraits de sa correspondance avec Paris, où il se plaint du climat aveyronnais, de l'aspect montagneux du département... bref, c'est la déprime totale pour cet aristocrate conservateur, qui a finalement obtenu d'être nommé... préfet de la Méditerranée (en 1810) !

   Le troisième titulaire du poste a davantage marqué les esprits. Le baron de Trémont a laissé de bons souvenirs aux notables du cru, en raison des travaux d'embellissement des locaux de la préfecture qu'il a engagés... et des fêtes (notamment des bals) qu'il a données. Le conférencier ne s'est pas privé de citer quelques anecdotes croustillantes, l'une d'entre elles concernant les cornes qu'un notable marié portait allègrement (et sans en avoir connaissance). Monsieur le préfet était un homme à femmes (celles des autres).

   Si le baron a pu engager autant de travaux (notamment entre 1811 et 1813), c'est grâce au financement du Conseil général. A plusieurs reprises, Renaud Carrier a souligné que les deux têtes politiques du département ont la plupart du temps travaillé en bonne entente. Mais, en 1814, sentant le vent tourner, Trémont a tenté de "mettre à l'abri" chez des particuliers certains biens de la préfecture, qu'il estimait lui appartenir.  La manoeuvre s'étant ébruitée, des fournisseurs de la préfecture (inquiets à l'idée de ne pas être payés) se sont tournés vers le tribunal de Rodez, qui leur a donné raison. Même si le jugement a, dans un premier temps, été cassé sous la Restauration, les fournisseurs ont fini par recevoir leur dû... Au bilan du baron, on peut néanmoins porter le rétablissement d'une conscription efficace, au besoin en utilisant la force.

   Il s'est donc passé beaucoup de choses à l'époque napoléonienne. Les préfets ont contribué à relancer l'économie aveyronnaise (ses successeurs ayant suivi les traces de Sainthorent). Ce n'était pas gagné au départ. Le premier préfet a dû attendre un mois après sa nomination pour commencer à disposer des moyens (limités) de l'Etat. Il a déployé de grands efforts pour louer à bas prix des locaux destinés à ses collaborateurs. Il s'est montré efficace dans plusieurs domaines. Il a dépassé la demande de fournitures de chevaux (229 envoyés, contre 206 exigés). Il semble d'ailleurs avoir été très soucieux d'élevage équin (la cavalerie napoléonienne ayant de gros besoins). C'est encore Sainthorent qui a obtenu que Rodez soit le centre de gestion des étalons (au détriment de Saint-Affrique, solution un temps évoquée en raison de la proximité du Tarn, du Gard et de la Lozère, destinataires d'une partie des bêtes). C'est sous sa conduite que l'ancienne Chartreuse a été achetée (50 000 francs de l'époque), pour y installer le haras national. Le savoir-faire de l'établissement ruthénois a été rapidement reconnu : des étalons espagnols y ont recouvré la santé, tout comme des juments arabes qui avaient été envoyées par le haras de Pompadour !

   Le domaine textile a lui aussi connu une forte impulsion. Sainthorent a créé (en 1803) l'Ecole de la navette volante (grâce à deux Aveyronnais reçus à l'école de Passy). Le but était de former aux techniques modernes 30 personnes par an. Chaque arrondissement proposait 10 candidats (soit un total de 50), parmi lesquels étaient choisis les 30. L'intention était sans doute de faire "ruisseler" les bonnes pratiques sur l'ensemble du secteur textile, particulièrement répandu dans le département.

   Le premier préfet de l'Aveyron se piquait aussi d'agriculture et de botanique. Il a transformé les jardins de l'évêché en pépinière, y implantant de jeunes pommiers, poiriers, cerisiers, frênes, châtaigniers et noyers. Si les premières pousses ont succombé à une brusque sécheresse (celle de 1803, je pense), l'exploitation a pu être relancée par la suite, Sainthorent ayant sollicité l'aide de communes proches de Rodez (comme La Loubière). Il a ensuite tout fait pour répandre ses pratiques dans le département, encourageant la culture de la rhubarbe, dont il voyait l'utilité pour les hôpitaux et les pharmacies. Des graines de plantes médicinales (faciles à cultiver, sur des sols ingrats) ont ainsi été envoyées dans le sud du département. Il me semble même avoir entendu le conférencier parler de la subtilisation de "sauvageons" (plants) destinés à Cahors par... le sous-préfet de Villefranche-de-Rouergue (Pierre-François Flaugergues) ! On estime que, sous Sainthorent, plus de 40 000 arbres ont été produits dans les pépinières du département.

   Les préfets de l'Aveyron ont aussi agi contre les crues (les rives de l'Auterne ont ainsi été engazonnées) et pour protéger les forêts, un sujet auquel Renaud Carrier avait consacré un article en 1995. Les coupes sauvages ont été sévèrement sanctionnées et le Conseil général a accordé des primes aux propriétaires qui replantaient sur des terrains pentus (pour, évidemment, lutter contre l'érosion des terres).

   Le conférencier ne pouvait pas passer à côté de l'élevage, souvent présenté comme la principale source de richesse du département. En 1788, une enquête du diocèse de Rodez (peut-être incomplète) ne dénombrait que 15 000 boeufs et vaches dans un territoire correspondant grosso modo à celui du futur département. Douze ans plus tard, on compte environ 30 000 boeufs, autant de vaches et 15 000 veaux, auxquels s'ajoutent plus de 20 000 chevaux, plus de 45 000 cochons... et près de 600 000 "bêtes à laine". N'oublions pas que, jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, le cheptel ovin était ultra-dominant dans bien des départements du sud de la France métropolitaine.

   Cela a favorisé le développement des activités liées à l'agriculture. Le nombre de boucheries rurales a fortement augmenté et on note que les ménages rouergats consomment de plus en plus de volailles, des progrès que Sainthorent attribue aux transformations opérées sous la Révolution. A l'opposé, il est évident que, pour une partie de la population, la consommation régulière de châtaignes reste incontournable, faute de mieux.

   Concernant le fromage, c'est le Roquefort qui semble jouer les premiers rôles. A l'époque, il se vend déjà dans presque toute la France métropolitaine... et même un peu à l'étranger. Cependant, les profits tirés de ce commerce se concentrent dans un petit nombre de mains... Si Sainthorent déplorait cet état des choses, il ne s'en est pas moins appuyé (de manière générale) sur les quelque 500 grands propriétaires du département pour diffuser les progrès agricoles.

   Les productions aveyronnaises ont même fait l'objet d'une exposition parisienne, en 1803 je crois. Un fascicule vantant le savoir-faire rouergat a été édité, mais finalement non diffusé. Les autorités centrales ont apprécié l'esprit d'initiative aveyronnais, mais n'ont visiblement pas voulu s'engager dans une campagne de promotion qui aurait suscité des jalousies... ou lancé une vague qu'il aurait été difficile de contrôler.

   Au sein du département, une autre activité connaît un réel succès : le thermalisme, autour de Cransac et de Sylvanès. Dans le sud du département, les clients sont plutôt issus des départements voisins. Dans le nord-ouest, l'afflux de personnes n'a pas eu que des conséquences positives : des problèmes d'ordre public se sont posés, en particulier en 1806, en raison de la présence de... prostituées. Renaud Carrier a cité un texte qui évoque les maladies qui se propagent, soulignant que certains curistes repartent plus mal en point qu'ils ne sont arrivés !

   Il est cependant un domaine dans lequel l'action des préfets ne semble pas avoir été efficace, du moins à court ou moyen terme : les transports. L'Aveyron est réputé enclavé, formant comme une "isle" au sein de la France métropolitaine. Ainsi, le troisième préfet (le baron de Trémont) disait avoir mis plus de temps pour revenir de Hongrie (en réalité de Croatie) à Paris que pour, de la capitale, arriver à Rodez !

   Après celle de mars 2017, c'était donc une nouvelle conférence passionnante, que l'on doit à la Société des lettres, arts et sciences de l'Aveyron.

mercredi, 05 septembre 2018

Des infiltrés au Ku Klux Klan

   Après avoir vu BlacKkKlansman, le film de Spike Lee, je me suis procuré le livre qui l'a inspiré, Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan, de Ron Stallworth, qui fut le premier enquêteur afro-américain du Colorado.

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   Le bouquin permet de mieux comprendre certains aspects de l'intrigue du film. Ainsi, les policiers infiltrés bénéficient d'une ligne téléphonique intraçable et de plusieurs identités fictives. On apprend aussi que la police de Colorado Springs (aidée finalement par celle de Denver) a réussi à infiltrer non pas un, non pas deux, mais trois agents dans le Ku Klux Klan, à l'époque.

   A la surprise sans doute de certains spectateurs du film, le livre confirme certains éléments jugés invraisemblables, comme le fait que les interlocuteurs téléphoniques de Stallworth n'aient jamais suspecté quoi que ce soit... et pourtant, le policier a parfois poussé le bouchon très très loin. Les scènes montrant ses collègues pouffant de rire derrière lui, alors qu'il converse avec un membre du Klan, n'ont pas été inventées par Spike Lee.

   Le réalisateur a cependant créé le personnage de Patrice, tout comme l'intrigue sentimentale avec Stallworth et l'attentat qui la vise. Mais surtout, Spike Lee a totalement laissé de côté une magnifique anecdote du bouquin, qui montre à quel point le policier noir était opposé à tout communautarisme. Stallworth a refusé de soutenir un mouvement en faveur d'un ado noir qui avait descendu un type, sans raison. Il a même incité un proche de feu Martin Luther King, invité par les militants locaux, à ne pas se dévoyer dans ce combat. C'est un très beau passage, que, dans le film, Spike Lee a remplacé par le récit de Jerome Turner (Harry Belafonte, très émouvant), qui fait référence à une époque plus ancienne, quand le Klan était bien plus violent.

   On peut découvrir cette époque grâce au récit d'un autre infiltré, Stetson Kennedy, un journaliste blanc, neveu d'un authentique membre du Klan, qui a publié en 1959 J'ai appartenu au Ku Klux Klan.

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   Le Blanc floridien antiraciste a commencé à s'intéresser au Klan avant la Seconde Guerre mondiale. L'essentiel de son livre décrit son infiltration entre 1946 et 1952, d'abord en Géorgie, puis en Alabama et en Floride, où il est revenu sous sa véritable identité.

   La durée de cette infiltration explique l'importante quantité d'informations recueillies et la précision des descriptions de l'intérieur. C'est accablant, tant la violence est présente dans les Etats du Sud à cette époque. L'auteur a même assisté à l'assassinat d'un Noir qui avait eu la malchance de croiser la route de deux voitures bourrées d'abrutis suprémacistes. L'inaction voire la complaisance des forces de police et de la justice (d'Etat comme fédérale) sont consternantes. L'auteur, d'une audace folle, a réellement risqué sa vie à plusieurs reprises pour obtenir des informations susceptibles de mettre fin aux agissements du Klan. On constate que, dans cette entreprise, la presse peut être une authentique alliée et que, tout comme contre Al Capone, l'enquête fiscale est un bon moyen de faire condamner d'habiles criminels endurcis.

   C'est un document coup-de-poing, qui est ressorti en poche aux éditions de l'aube.

  

mardi, 21 août 2018

The Intruder

   Diffusé aussi sous le titre I Hate Your Guts, ce film de Roger Corman, datant de 1962, a été restauré. Il est de nouveau proposé dans certaines salles, alors que The BlacKkKlansman de Spike Lee est sur le point de sortir, ce qui n'est évidemment pas une coïncidence.

   Le contexte est celui des débuts de la déségrégation, dans une petite ville du Sud des Etats-Unis, où des adolescents noirs ambitionnent de suivre les cours du lycée des Blancs. Ceux-ci sont majoritairement hostiles au changement mais, par légalisme, semblent vouloir laisser les choses se dérouler dans le calme. Tourné dans le Missouri, le film propose une belle galerie de personnages de l'Amérique profonde, des gens modestes, pas mauvais sur le fond, mais susceptibles de déraper.

   La mèche va être allumée par un "intrus", Adam Cramer, qui affirme venir tantôt de Californie, tantôt de Washington. Il se réclame d'une association politique, la Patrick Henry Society, opposée à la fin de la ségrégation. Il a l'allure avenante de William Shatner, qui, à l'époque, n'avait pas encore endossé le costume du capitaine Kirk dans Star Trek.

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   La première partie de l'histoire nous le présente comme un beau parleur, séduisant, entreprenant avec les femmes. La caractérisation est intéressante, parce qu'un cinéaste du camp opposé pourrait tout à fait créer un personnage miroir, un militant de la déségrégation envoyé par les élites de Washington pour "éclairer" la population locale.

   Petit à petit, Cramer dévoile son jeu et enflamme les foules par des discours où percent un anticommunisme sans nuance... ainsi qu'un indéniable antisémitisme. C'est un peu trop théâtral à mon goût, mais assez efficace. Le réalisateur réussit mieux à mettre en scène la montée de tension et les risques de dérapage : la population locale, chauffée à blanc (!) par l'activiste raciste, ne suit pas tout à fait la feuille de route établie par lui. La fin est évidemment morale.

   P.S.

   L'an dernier, un autre film de la même sensibilité, Du Silence et des ombres (To Kill a Mockingbird dans la version originale), était ressorti sur les écrans français. L'action se déroule dans les années 1930, avec un beau portrait social d'une petite ville du Sud, où un avocat (incarné par Gregory Peck) va tenter de vaincre les préjugés racistes pour faire triompher la justice.

mardi, 07 août 2018

Happiness Road

   Ce film d'animation est une oeuvre autobiographique de la Taïwanaise Hsin-Yin Sung, qui s'étend des années 1970 à nos jours. Grosso modo, on suit deux trames chronologiques : celle, actuelle, de la vie d'une expatriée, mariée à un Américain, qui revient (seule) au pays et celle (ancienne) d'une enfant au tempérament affirmé, que l'on voit grandir dans une dictature asiatique occidentalisée.

   Le paradoxe de ce film est que, si l'animation semble plutôt destinée à des enfants (cela ressemble un peu aux séries japonaises des années 1980), le fond s'adresse clairement à des adultes. Pour bien saisir toutes les subtilités de l'intrigue, il convient de connaître un peu l'histoire de Taïwan.

   L'une des grandes réussites de ce film est la résurrection du monde de l'enfance, avec sa naïveté, ses rêves, ses craintes, ses engouements et ses rivalités. Pour l'héroïne, Tchi, le moment clé est celui de l'entrée à l'école. Ses parents parlent une langue taïwanaise (une sorte de cantonais, je crois), mais c'est en mandarin que les cours sont donnés. Les sous-titres tentent de traduire quelques jeux de mots. Cela se complique un peu quand on apprend que la grand-mère de l'héroïne est une aborigène, une catégorie de population méprisée (à l'époque) sur l'île. Mais elle est dépositaire d'un savoir et de coutumes ancestrales, qui fascinent sa petite-fille... tout autant passionnée par les séries japonaises, tout spécialement Candy !

   La narratrice va se faire des amis, en particulier une enfant métis, une blonde dont le père est un soldat américain. Il y a aussi le turbulent maigrichon de la rangée de derrière, qu'elle revoit des années plus tard, juste avant un tremblement de terre. Il y a encore le petit gros, le seul élève de la classe à posséder une montre digitale. C'est le fils du maire... et, lorsque l'héroïne revient au pays pour l'enterrement de sa mémé, elle le croise à son tour en campagne pour être élu.

   La vie politique se trouve le plus souvent à l'arrière-plan de l'histoire mais, parfois, elle passe devant. A l'entrée de l'école se trouve une statue de Tchang Kaï-Chek, le fondateur de la République de Chine (autre nom de Taïwan). Au lycée, l'héroïne croise la fille de l'opposant Chen Shui-bian, futur maire de Taipei et président de la République. (L'actuelle présidente, Tsai Ing-wen, est une de ses anciennes ministres.) On a aussi un écho des manifestations pour la démocratisation de l'île, dans les années 1980-1990.

   Tchi a pu suivre des études supérieures parce que ses parents se sont saignés aux quatre veines. Dès le primaire et le secondaire, on sent que l'argent joue un rôle important : certains élèves sont favorisés pour la préparation des épreuves. Les parents, des travailleurs modestes, misent beaucoup sur la réussite scolaire de leur fille unique. A un moment, Tchi a voulu rompre avec l'avenir qu'on avait tracé pour elle. De retour au pays, elle comprend mieux ses parents, qui ont l'âge de la retraite, mais continuent à tirer le diable par la queue. Tchi ne sait plus trop où elle en est : taïwanaise/chinoise/américaine, traditionaliste/moderne, célibataire/mariée/divorcée. Tout cela est assez bien vu, et mis en scène avec délicatesse.

   P.S.

   Cette histoire ressemble beaucoup à celle vécue par une autre Taïwanaise, Li-Chin Lin partie elle vivre en France. Il y a six ans, elle a publié un excellent roman graphique, Formose, qui mériterait d'être adapté au cinéma.

lundi, 16 juillet 2018

Histoire du football

   Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, le football occupe une place importante dans les sociétés contemporaines, en France comme ailleurs. Son histoire est d'ailleurs fort intéressante. J'ai récemment lu deux ouvrages qui en éclairent certains aspects.

   A tout seigneur tout honneur. La Coupe du monde 2018 s'étant déroulée en Russie, commençons par le livre de Régis Genté et Nicolas Jallot :

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   Très bien écrit, l'ouvrage part de l'introduction du football en Russie (par des Anglais) à la gestion poutinienne de ce qui est d'abord perçu comme un outil de propagande. Cela ne date pas du XXIe siècle. Très vite populaire (mais aussi apprécié par des intellectuels comme le compositeur Dmitri Chostakovitch), ce nouveau sport a bénéficié de l'action des frères Starostine, avant la Seconde guerre mondiale. Des supporteurs russes se souviennent encore aujourd'hui de ces précurseurs, dont trois ont été par la suite envoyés au Goulag, sans doute sur ordre de Lavrenti Beria, le chef du NKVD (ancêtre du KGB, dont est issu l'actuel FSB).

   Cela-ci a tenté de promouvoir sa "caste" (celle des policiers politiques) à travers des clubs appelés "Dynamo" (ou "Dinamo"). Il y a d'abord eu celui de Tbilissi (Beria étant géorgien), puis ceux de Moscou et de Kiev. Mais à Moscou, le club fondé par les frères Starostine était le Spartak, le grand rival, soutenu successivement par les coopératives agricoles et les Komsomol (l'union des jeunesses communistes). L'histoire des rivalités internes à la Russie épouse en partie celle des rivalités politiques, la fierté locale venant se greffer dessus. D'autres clubs sont apparus à Moscou, le CSKA (l'équipe de l'armée), le Torpedo (l'équipe du secteur automobile) et le Lokomotiv (soutenu, comme son nom l'indique, par les chemins de fer).

   Le livre fourmille d'anecdotes, notamment sur la période de la Seconde guerre mondiale. Si certains joueurs vedettes ont été envoyés en front, d'autres ont été préservés pour jouer des matchs de propagande (notamment à Leningrad -aujourd'hui Saint-Pétersbourg, ville qui a subi un siège de 900 jours ainsi qu'une épouvantable famine). Pour l'anecdote, je signale que l'un des sites de la coupe du monde (celui de Saint-Pétersbourg) a été aménagé à l'emplacement du stade utilisé par l'une des équipes de la ville avant-guerre, là précisément où, en 1942, se serait déroulé le match famélique de propagande, retransmis à la radio jusque sur les lignes de combat.

   Il est aussi question du "match de la mort", une légende encore vivace aujourd'hui en Russie, sur une rencontre entre des soldats allemands et des joueurs ukrainiens, qui auraient été menacés de mort et, pour certains, fusillés après la rencontre. Les auteurs décryptent parfaitement bien la construction du mythe.

   Après la Seconde guerre mondiale, l'URSS rejoint les instances internationales sportives (la FIFA en 1946, le CIO en 1951). On l'a oublié, mais les succès sont arrivés assez vite. La sélection soviétique a remporté l'épreuve aux JO de 1956 (à Melbourne). Elle est devenue championne d'Europe en 1960, lors de la première édition de l'Euro... en France. Quatre ans plus tard, l'équipe est allée jusqu'en finale, battue seulement par l'Espagne, pays organisateur. En Coupe du monde, le bilan est moins flatteur, avec un quart de finale en 1958 et une demi-finale en 1966, en Angleterre (performance que l'actuelle équipe de Russie n'est donc pas parvenue à égaler cette année). Cette édition a été marquée par l'unique victoire des "Trois Lions"... et le rôle de l'arbitre de la finale, qui était soviétique. (C'est très bien expliqué dans le bouquin.)

   Cette époque (la fin des années 1950 et les années 1960) est marquée par une figure devenu mythique, le gardien de but Lev Yachine, seul de sa catégorie à avoir décroché le Ballon d'or, en 1963. C'est donc à juste titre que ce joueur a été retenu comme emblème de la toute récente coupe du monde, sur une affiche au style rétro, rappelant immanquablement l'époque soviétique, dont l'actuel président Vladimir Poutine est tant nostalgique :

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   Au niveau des clubs, c'est dans les années 1970-1980 que les résultats les plus spectaculaires ont été obtenus. Cela coïncide avec l'arrivée à maturité d'une génération dorée, notamment venue d'Ukraine (du Dynamo de Kiev), où ont été mises en pratiques des méthodes scientifiques d'entraînement. Cela s'est répercuté sur l'équipe soviétique, qu'on a commencé à revoir pointer le bout de son nez en 1982 mais surtout en 1986, au Mexique. Avec le Danemark, c'est l'équipe qui a marqué les esprits dans la première partie de la compétition.

   La fin de l'ouvrage est centrée sur la période poutinienne et le rôle des oligarques dans la vie des clubs. Il est question aussi bien du Zénith Saint-Pétersbourg que des clubs du Daghestan et de Tchétchénie. C'est tout aussi passionnant que ce qui précède.

   On continue avec un livre aux ambitions plus modestes. Il s'agit de la réédition d'un ouvrage publié en 1954 (sous la plume de Jules Rimet), augmenté de plusieurs textes divers :

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   Le fondateur du Red Star, qui présida la FIFA de 1921 à 1954, y raconte les premières Coupes du monde, celles auxquelles il a assisté. Cela commence par celle de 1930, en Uruguay. Les dirigeants de la FIFA et les équipes européennes invitées à y participer ont fait le trajet en paquebot. Rimet emporte avec lui le trophée qui ne porte pas encore son nom et qui a été sculpté par un certain Abel Lafleur, né à... Rodez !

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   Ce n'est pas la seule référence à l'Aveyron que contient ce récit de voyage. Sur le paquebot se trouvent deux chanteurs d'opéra, le Russe Fédor Chaliapine et une certaine Marthe Nespoulous. Les Rouergats qui lisent ce billet auront immédiatement dressé l'oeil l'oreille : c'est un nom assez répandu dans notre département.

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   Par contre, s'il est assez facile de dénicher, sur la Toile, des enregistrements (audio) de la soprano, les informations biographiques manquent cruellement. En Aveyron, on a plutôt retenu la carrière de son aînée, la cantatrice Emma Calvé, dont une place porte le nom à Rodez.

   Mais revenons à nos moutons (en short). Après l'Uruguay, ce fut au tour de l'Italie d'accueillir (et de remporter) la Coupe du monde, en 1934. Avec le recul, Jules Rimet, s'il se félicite de la qualité de l'organisation, semble éprouver quelques regrets, puisqu'il s'est montré accommodant avec le régime fasciste. (Dans un entretien publié en fin d'ouvrage, le petit-fils reconnaît que son grand-père a tendu le bras -comme les autres personnes présentes- lors de la cérémonie d'inauguration.)

   Pour populaire qu'il soit, le spectacle des équipes nationales se défiant dans un stade n'est pas forcément rentable, au début. C'est avec réticence que la France accepte d'organiser la Coupe du monde de 1938. A l'époque, l'écho des troubles politiques se fait encore plus grand. Ainsi, l'équipe d'Autriche est contrainte de se retirer de la compétition après l'Anschluss. Fort prudemment, les autorités décident de ne pas prévoir de compétition pour 1942. Pour l'organiser, il était question du Brésil et de l'Allemagne nazie...

   En 1950, c'est donc au Brésil que s'est déroulée la quatrième édition. Ce chapitre est écrit de manière à faire comprendre aux lecteurs que les Brésiliens n'envisageaient pas d'autre résultat que la victoire de leur équipe nationale... et que le résultat final fut une tragédie (que l'humiliation en demi-finale face à l'Allemagne, en 2014, est venue raviver).

   L'un des textes qui succèdent à ce récit fait le point sur les convictions de Jules Rimet, que l'on a parfois jadis rapproché de Pierre de Coubertin. C'était un contresens. Celui-ci était un aristocrate, qui voyait dans l'amateurisme l'incarnation d'un certain élitisme. Fervent adepte de la professionnalisation du sport en général et du football en particulier, Jules Rimet défendait une vision populaire (et méritocratique) de la pratique du sport. Il n'a cependant pas perçu combien l'introduction massive de l'argent allait le dénaturer.

   Mais son livre est bigrement intéressant, de surcroît bien écrit.

   P.S.

   La fameuse "coupe Jules Rimet" n'existe plus. Donnée au Brésil en 1970, à l'issue de la troisième victoire de ce pays dans la compétition, elle a été volée (et sans doute fondue). Les vainqueurs reçoivent désormais une copie du nouveau trophée (que l'on doit à un Italien).

   Cela n'a pas empêché un journaliste du Monde de commettre une boulette, dans l'euphorie de la victoire française hier en finale. Plusieurs photographies ont montré le joueur Kylian Mbappé embrassant le trophée. Dans la version papier du quotidien, il est fait référence à Jules Rimet :

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   L'erreur a été corrigée dans la version numérique de l'article (qui s'appuie sur une autre photographie) :

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vendredi, 13 juillet 2018

Hedy Lamarr : from extase to wifi

   C'est un documentaire dont j'attendais impatiemment l'arrivée à Rodez. Il est consacré à une actrice hollywoodienne qui fut célèbre en son temps et qui incarna la brune "glamour" voire la tentatrice dans des productions destinées au grand public. Par contre, on ignore en général qu'elle s'intéressait à la technologie et qu'on lui doit sans doute une invention révolutionnaire.

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   Le documentaire commence par revenir sur la jeunesse de celle qui s'appelait Hedwig Kiesler. Cette Autrichienne est née dans un milieu privilégié (son père était banquier) et, contrairement à la majorité des jeunes femmes de son époque, a bénéficié d'une assez grande liberté. La relation avec le père était forte. Celui-ci était féru d'inventions. il semble avoir communiqué sa passion à sa fille, qui s'amusait à démonter des jouets pour en comprendre le fonctionnement.

   A l'écran, on alterne les témoignages de proches, les images d'archives et les documents divers (dont une entrevue oubliée de l'actrice, devenue âgée). C'est l'occasion de (re)découvrir l'Autriche de l'Entre-deux-guerres, avant que les nazis ne mettent la main dessus. Au départ, la jeune femme, issue d'une famille juive convertie au catholicisme, ne voit pas le danger. Elle continue à fréquenter les élites... mais va vite comprendre qu'il vaut mieux prendre le large.

   Sa carrière cinématographique commence en Autriche, sous le parfum du scandale. Extase est le titre d'un film où, encore mineure, elle apparaît nue et simule un orgasme. Scandale dans le pays et dans sa famille... et même ailleurs puisque, lorsque la jeune femme faits ses débuts aux Etats-Unis, on lui impose de jouer vêtue...

   On comprend assez vite que le joli minois cache un caractère d'acier. (Elle se qualifiait d'enfant terrible, en français dans le texte.) Bien que d'une grande beauté, l'actrice a dû provoquer la chance pour s'imposer... et se faire payer correctement par la production (la MGM, tenue Louis Mayer). La suite nous raconte donc le succès de l'actrice, ainsi que ses déboires sentimentaux.

   La Seconde guerre mondiale conduit la vedette autrichienne pas encore naturalisée américaine à soutenir le moral des troupes yankees... et à réfléchir à une technique de guidage des torpilles ! C'est pour moi la principale révélation de ce documentaire. Même si l'actrice s'est appuyée sur le travail d'un musicien ingénieux, il est incontestable qu'elle a eu l'intuition du système de "saut de fréquence", qui, aujourd'hui encore, sert de base aux télécommunications modernes. A l'époque, le projet de l'actrice est traité par le dédain. Elle a pourtant déposé un brevet, qui ne lui a finalement rien rapporté...

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   La troisième partie est moins gaie. Elle montre le déclin de l'artiste, les difficultés de sa vie personnelle... et les dégâts de la chirurgie esthétique, dont elle fut l'une des premières utilisatrices. Au début, c'était discret, mais, à la fin, c'était horrible. J'ai pensé à Elizabeth Taylor, de la génération suivante, mais qui a connu une évolution assez proche.

   Le film est un bel hommage à une femme ravissante et intelligente, qui a voulu vivre libre dans un monde de machos. Ce n'est pas un hasard s'il sort en 2018, produit par l'actrice Susan Sarandon.

lundi, 25 juin 2018

Bienvenue en Sicile !

   Une fois n'est pas coutume, je trouve le titre français meilleur que l'original (At War for Love ou In Guerra per amore), que l'on pourrait traduire par "A la guerre par amour". Celui-ci fait allusion à l'histoire d'amour contrariée qui sert de squelette à l'intrigue, alors que le titre français évoque, sur le ton de la comédie, le débarquement des Américains en Sicile, en 1943.

   C'est donc d'abord une comédie à l'italienne, avec ses caricatures, son exubérance, sa joie de vivre (et cette langue si musicale). Arturo le charmeur sans le sou rêve d'épouser la belle Flora, que son oncle envisage de marier au fils de l'une de ses relations. On est dans le petit monde des Italo-américains new-yorkais, limite (voire franchement) mafieux. Or, à la même époque, les Alliés préparent l'opération Husky. Du côté américain, on compte s'appuyer sur les liens qui existent entre certains immigrés et le pays d'origine de leurs parents. D'ailleurs, le propre père de Flora vit encore là-bas. Sa bénédiction serait bien utile à Arturo pour empêcher le mariage arrangé par l'oncle. Mais le (possible) futur beau-père de Flora possède lui aussi des relations dans son pays natal. Il va tenter de contrecarrer le projet du rival de son fils.

   L'aspect comédie est renforcé par la truculence des villageois qui vont voir débarquer les Yankees. Il y a cet étrange duo, composé d'un aveugle et d'un boiteux, qui seront mêlés à la plupart des péripéties siciliennes. Il y a ce père de famille, dont le fils porte l'uniforme italien (fasciste) et qui garde religieusement une statue du Duce dans un placard. Une intense rivalité l'oppose à sa voisine qui, au moindre bombardement, sort mettre à l'abri une statue de la Vierge. Il est aussi souvent question d'ânes, des vrais, des symboliques... et ceux d'une chanson pour enfant, à laquelle un garçon est particulièrement attaché. C'est l'un des fils rouges de l'intrigue, avec une photographie d'amoureux (maladroitement) prise devant un pont new-yorkais. Cet ancêtre du selfie devient le running gag de l'histoire.

   Et puis il y a ces trognes de mafieux. Ah, pour sûr, ils sont gratinés ! Le chef local est une pourriture débonnaire et ventripotente. Ses sbires portent d'horribles moustaches et froncent les sourcils. Vous avez compris que l'on rit souvent à cette comédie... avant que le ton ne change, dans le dernier tiers de l'histoire. Celle-ci s'appuie sur des faits réels. Le gouvernement américain, soucieux de se ménager des soutiens sur place, a conclu un pacte avec le chef mafieux Lucky Luciano. Résultat : le débarquement allié s'est très bien passé (avec peu de pertes). En contrepartie, les conquérants du jour vont confier les clés du pouvoir à des truands, certains se parant des couleurs d'un nouveau parti tout propre, la Démocratie chrétienne.

   C'est l'une des forces de ce film (hélas passé quasi inaperçu) que de parvenir à mêler une bluette sentimentale (inspirée de la commedia dell'arte) et une réflexion politique sur un sujet qui a, aujourd'hui encore, un impact sur la société italienne.

mardi, 19 juin 2018

La Révolution silencieuse

   Cette "salle de classe silencieuse" (titre originel, en allemand) est celle de lycéens de RDA (l'Allemagne communiste), sur le point de passer leur Abitur (baccalauréat), en 1956. Un jour, par solidarité avec les Hongrois révoltés contre la domination soviétique, ils décident de se taire pendant deux minutes, en cours d'histoire. Ce battement d'ailes de papillons va déclencher une tempête politique.

   Ce n'est pas la première fois que le cinéma allemand se lance dans l'analyse de la période de Guerre froide. Les cinéphiles se souviennent de l'excellent La Vie des autres, en 2007. Plus récemment, on a eu droit à De l'autre côté du mur (dont l'actrice principale est présente ici) et D'une vie à l'autre. L'originalité du film est de se situer avant la construction du Mur de Berlin, quand seuls des contrôles policiers séparaient les deux parties de la ville.

   L'univers adolescent est bien restitué, montrant des garçons qui cherchent à voir des femmes nues et des couples qui se forment, avec la maladresse des premières amours et des malentendus. L'habileté du scénario consiste à intégrer l'aspect sentimental à l'intrigue politique. On est visiblement dans un lycée au recrutement populaire (et provincial), avec un public mélangé, puisque les enfants d'un vétérinaire et le fils d'un membre éminent du conseil municipal côtoient des rejetons d'ouvriers. Compte tenu de la relative uniformisation vestimentaire qui régnait à l'époque, il n'est pas facile de les distinguer à leur apparence.

   Les auteurs ont aussi voulu éviter le film uniquement à charge. D'un côté, ils montrent quand même que ce pays dirigé par d'anciens opposants au nazisme est devenu une prison pour une grande partie de sa population (la Stasi se comportant quasiment comme la Gestapo). D'un autre côté, les défenseurs du régime communiste (et contempteurs de la démocratie bourgeoise, assimilée au fascisme...) ont voix au chapitre. Concernant l'éducation, le propos n'est pas sans faire écho à notre époque, où se pose la question de la réussite scolaire des enfants des catégories populaires.

   Mais il s'agit surtout de l'histoire d'une rébellion pacifique, celle de lycéens en quête d'absolu, mais auxquels on va tenter d'imposer des préoccupations plus terre-à-terre. Le harcèlement moral qu'ils subissent est particulièrement bien mis en scène. (Le réalisateur, Lars Kraume, est aussi l'auteur de Fritz Bauer, un héros allemand, dans lequel joue celui qui incarne le père de l'un des lycéens) Cela fait remonter les vieilles histoires du passé, celui de l'Entre-deux-guerres (avec les allusions au Front Rouge, auquel a appartenu le père de l'un des élèves), celui de la Seconde guerre mondiale... et celui, plus récent, de la révolte ouvrière de Berlin-Est.

   C'est dire la richesse des thématiques abordées par ce film qui, de surcroît, s'inspire d'une histoire vraie. (Restez pendant le générique de fin.) Alors, même si c'est parfois un peu mélo, j'ai beaucoup aimé, tant les acteurs sont convaincants et l'arrière-plan historique soigné.

dimanche, 08 avril 2018

L'Eté de cristal

   Il y a environ deux semaines est décédé Philip Kerr, écrivain britannique connu pour ses polars. Il a situé l'intrigue de certains de ses romans dans le monde du football. Mais ce sont les aventures de Bernhard "Bernie" Gunther, détective dans l'Allemagne nazie, qui lui ont valu la reconnaissance internationale. Il y a quelques années, les premiers romans faisant intervenir ce personnage ont été retraduits et publiés en un volume, en collection de poche :

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   L'Eté de cristal constitue la première partie du volume. L'action démarre peu de temps avant les Jeux Olympiques de Berlin, en 1936. L'ancien policier, viré parce qu'il n'était pas un nazi militant, est devenu détective privé, mais évite d'enquêter sur les histoires d'adultère, qu'il juge trop dangereuses. Il parvient néanmoins à gagner sa vie avec les affaires de disparition, très nombreuses en Allemagne depuis 1933...

   Cette fois-ci, il va être recruté par un riche industriel, dont la fille et le gendre ont été retrouvés morts dans une maison incendiée... avec chacun une balle dans le corps. De surcroît, un collier de diamants et de mystérieux papiers ont disparu.

   Voilà Bernie embarqué dans une enquête périlleuse. Il doit veiller à ne pas marcher sur les plates-bandes de la Kripo (police criminelle), tout en se méfiant de la Gestapo : certains de ses membres s'immiscent dans l'affaire, à la demande d'Hermann Goering, qui connaît le riche industriel. S'ajoutent à cela les SS, qui s'inquiètent que l'un des leurs (le gendre) ait pu être assassiné. N'oublions pas non plus les voleurs et les assassins, qui n'ont pas intérêt à être retrouvés.

   Il faut donc un peu s'y connaître en histoire allemande (au besoin en révisant ici) pour savourer tout le sel de ce roman. L'auteur s'est visiblement beaucoup documenté et, même s'il prend parfois des libertés avec l'Histoire, le tableau qu'il brosse de la société urbaine allemande sous le IIIe Reich m'a l'air tout à fait fidèle. On y découvre notamment des aspects de la vie quotidienne, parfois méconnus.

   J'ajoute que c'est bien écrit (et traduit). L'histoire est racontée du point de vue du détective, un peu cynique, souvent sarcastique. Il n'hésite pas à tourner en ridicule tel personnage important ou tel élément de la propagande. Du point de vue des autorités, même s'il n'est pas nazi, il est relativement fiable car pas suspect de "philocommunisme". Il passe pour un conservateur modéré... mais Bernie finit par reconnaître qu'il lui est arrivé de voter SPD (socialiste) !

   Comme l'auteur s'inspire des romanciers américains du milieu du XXe siècle, il fait rencontrer quelques femmes fatales à son héros. Les deux plus marquantes sont l'actrice, seconde épouse du vieil industriel, et la journaliste intrépide, qu'il associe à son enquête, mais dont on finit par perdre la trace...

   Pour en savoir plus, il faut lire les aventures suivantes (La Pâle Figure et Un Requiem allemand), qui se déroulent en 1938 et 1947. A l'origine, je pense que le romancier n'avait pas prévu de s'attarder davantage sur son héros. Mais, comme ses livres ont rencontré le succès, il a, par la suite, écrit d'autres romans, dont l'action s'intercale entre ces trois oeuvres, ou les prolonge. En voici la chronologie (incomplète, toute l'oeuvre n'ayant pas encore été publiée en français) :

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mercredi, 28 février 2018

La Juste Route

   Ce film en noir et blanc a pour cadre la Hongrie de l'immédiat après-guerre. En 1945, un bourg est en fête : l'épicier local marie enfin son fils, avec une fille de paysans (auparavant entichée d'un gars parti rejoindre la résistance communiste). Au village, tout le monde (ou presque) s'y prépare. Dans le même temps, à la gare ferroviaire voisine, descendent deux rescapés de la Shoah, qui transportent avec eux deux mystérieuses caisses, qui contiendraient des parfums ou des articles d'hygiène.

   Très vite, la nouvelle se répand dans le village. L'intrigue se déploie alors sur deux plans : on suit le parcours des juifs (à pieds) et des deux caisses (sur un chariot), de la gare jusqu'au centre du village. On ne sait pas trop où ils vont exactement ni ce qu'ils viennent faire ici... d'autant que les deux hommes (un âgé, l'autre jeune adulte) sont quasiment mutiques.

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   Au sein de la population du village, trois familles semblent en savoir plus. La venue de ces juifs ne les arrange pas du tout et réveille des souvenirs que l'on voudrait bien voir rester enfouis. C'est un peu comme si un battement d'ailes de papillon était sur le point de provoquer la naissance d'un cyclone dans ce village.

   Le plus gratiné est l'épicier, qui est aussi secrétaire de mairie. Dans l'arrière-boutique, il conserve un étrange album de famille. Quant au coffre de la mairie, il renferme quelques documents compromettants. Plusieurs des adultes du village sont prêts à en découdre avec les arrivants, bien que ceux-ci ne formulent a priori aucune revendication ni menace. D'un autre côté, certains habitants ne supportent plus cette ambiance délétère, ni le poids de la culpabilité.

   C'est tout l'intérêt de ce film que de montrer les différentes attitudes des habitants et les conséquences de leur choix sur leur vie de tous les jours. Il convient aussi d'éclaircir le mystère de la présence de ces voyageurs, qui ne sont pas du village, mais sont peut-être apparentés à certains des habitants.

   C'est un petit film bien ficelé, bien filmé, qui joue beaucoup sur le non-dit. Dans sa conclusion, il est assez ambigu, mais à nous, Français, dont le pays a aussi connu une période d'occupation allemande (et un gouvernement collaborateur), il évoque bien des choses.

samedi, 24 février 2018

Pentagon Papers

   Le titre "français" du dernier film de Steven Spielberg est une nouvelle illustration du snobisme de certains distributeurs, qui remplacent le titre d'origine (en anglais), non pas par un équivalent en français, mais par... un autre titre anglais ! (On a récemment vu le même procédé à l'œuvre pour The Passenger et 24H Limit.)

   The Post (dans la version originale, dont nous avons d'ailleurs pu bénéficier au CGR de Rodez... un mois après la sortie du film) raconte comment un rapport secret, faisant le bilan de la politique américaine au Vietnam, a fini par être publié, au début des années 1970, d'abord par le The New York Times (pas très content de la manière dont cette histoire est contée par Spielberg), puis par The Washington Post.

   Ce film est donc une ode à la liberté de la presse (démocrate), une dénonciation de l'unilatéralisme du pouvoir présidentiel (incarné ici par Richard Nixon, dont les coups de fil du soir sont sans doute une allusion aux tweets nocturnes de son lointain épigone) et l'histoire de l'affirmation professionnelle d'une femme, Katharine Graham (magistralement interprétée par Meryl Streep).

   C'est tourné comme un film d'espionnage, avec ses rendez-vous secrets, ses documents ultra-confidentiels, ses coups fourrés et ses (petites et grandes) trahisons. Fidèle à son style, Spielberg a aussi voulu rendre hommage et faire œuvre d'historien. Certaines scènes ont donc un but strictement documentaire, comme celles qui montrent la machinerie d'une entreprise de presse, de la conception à l'impression et la distribution des journaux.

   Les comédiens ont dû se fondre dans leur rôle, d'autant plus que nombre d'acteurs de l'époque sont encore vivants, ou du moins très présents dans les mémoires, outre-Atlantique. Voilà donc Meryl Streep et Tom Hanks (excellent en rédac' chef roublard) dotés de coiffures aussi originales que démodées :

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   Deux personnages se trouvent au centre de l'intrigue. Il y a tout d'abord le (premier) lanceur d'alerte, Daniel Ellsberg, qui va être la source primaire du Times puis du Post. A travers lui, Spielberg veut rendre hommage à ses lointains successeurs, comme Bradley Manning et Edward Snowden (qui, lui, a déjà eu les honneurs d'un documentaire et d'une fiction signée Oliver Stone)... persécutés sous une administration démocrate (celle d'Obama).

   Il y a surtout cette "Kay" Graham, l'héritière du Washington Post, qui a dû succéder en catastrophe à son mari infidèle (et suicidaire). C'était il y a plus de quarante ans. A l'époque, la presse était dirigée et rédigée par des hommes, qui ne concevaient pas qu'un esprit en jupon puisse rivaliser avec eux. De surcroît, bien que connaissant parfaitement ce milieu, Kay Graham passait au départ pour une simple rentière. La mise en scène de Spielberg (bien aidée par l'interprétation de M. Streep) se charge de nous faire comprendre quelle était la pression qui pesait sur les épaules de cette femme. Au début, elle tâtonne, intimidée malgré sa connaissance des dossiers. Le film montre sa progressive montée en puissance, jusqu'à cette très belle scène, un soir de réception, dans un salon où, face à une troupe de vieux mecs en costume, Kay va tenir bon. C'est le grand talent de Spielberg que d'avoir réussi à créer quelques-uns de ces moments jubilatoires qui font passionnément aimer le cinéma.

mardi, 13 février 2018

La Douleur

   Je me suis décidé à aller voir l'adaptation du livre autobiographique de Marguerite Duras, appelée ici Marguerite Antelme, puisqu'elle est l'épouse du résistant Robert Antelme, que la Gestapo parisienne (française...) vient d'arrêter. Quand j'étais plus jeune, c'est de l'époux dont j'avais entendu parler : son témoignage (L'Espèce humaine) est considéré un peu comme l'équivalent de Si c'était un homme (de Primo Levi), pour les camps de concentration. Ce n'est que bien plus tard que j'ai réalisé qu'il avait été marié à la célèbre (et atypique) écrivaine.

   La première partie est très prenante. Elle prend la forme d'un jeu du chat et de la souris entre la frêle et tenace Marguerite (Mélanie Thierry, éblouissante) et l'inquiétant Pierre Rabier (Benoît Magimel, très bon), un gestapiste qui se pique de littérature. (Derrière ce personnage se cache quelqu'un de bien réel, Charles Delval.) Le trouble de l'héroïne est restitué par la mise en scène, qui joue sur la netteté des images et les reflets. Un bon point pour le réalisateur Emmanuel Finkiel (auteur, entre autres, de Voyages et de Je ne suis pas un salaud). A un moment, j'ai même cru reconnaître le visage de Duras âgée dans le reflet d'un reflet de Mélanie Thierry.

   Hélas, la seconde partie (qui dure quand même plus d'une heure...) plombe le film. Rabier a disparu, laissant Marguerite face à ses doutes et à son angoisse. Celle-ci prend la forme de pesants monologues, en voix off. Dans ce magma de lourdeur pédante, je distingue toutefois une étincelle (outre la prestation de M. Thierry) : Shulamit Adar, qui incarne Mme Katz, une mère juive persuadée de bientôt retrouver sa fille, qui a été déportée en Europe de l'Est...

   Par dessus le marché, c'est le moment où le personnage de Dionys (interprété par Benjamin Biolay, dont le visage semble ne pouvoir prendre qu'une seule expression) devient très présent... trop présent. Du coup, quand on n'a pas succombé à l'envie de piquer un somme, on attend la fin avec impatience.

   Dommage.

vendredi, 02 février 2018

L'Echange des princesses

   Par un curieux détour du destin, ce film, adapté d'un roman français, coproduit par France 3, réalisé par un Français, dans lequel ont tourné nombre d'acteurs français et où (conformément à la réalité historique) on parle français, même à la cour d'Espagne, est nommé aux César 2018 dans la catégorie... "meilleur film étranger".

   Il est réalisé de manière très classique, à tel point qu'on peut dire à son sujet qu'il s'agit d'une nouvelle illustration de la "qualité française". Certains trouvent cela ennuyeux. Moi, j'ai aimé cette mise en scène académique, parfois quasi picturale, à l'image du plan du début, décalque d'un tableau filmé en zoom arrière.

   Je suis aussi "client" des films en costumes, avec ces robes invraisemblables et ces tuniques amidonnées et boutonnées. J'en profite pour rendre hommage au travail des bruiteurs, qui ont parfaitement restitué les frottements des tissus, très agréables aux oreilles.

   Mais cette histoire de mariages (arrangés) croisés entre les familles royales de France et d'Espagne vaut surtout pour le jeu des acteurs... et des actrices. On a parlé d'Olivier Gourmet (qui incarne le Régent) et de Lambert Wilson (qui interprète un Philippe V tonitruant). On n'a pas assez souligné la performance d'une brochette de comédiennes épatantes.

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   A tout seigneur tout honneur. Voici donc Andréa Ferréol, qui incarne la princesse Palatine, la belle-sœur de feu Louis XIV, dont la verve est redoutée à la Cour, mais qui va s'attacher à la toute jeune princesse espagnole que l'on destine à Louis XV encore mineur.

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   C'est une autre figure tutélaire, de plus modeste extraction, que l'on voit assez souvent dans le film, Mme de Ventadour, gouvernante du futur roi de France puis de sa promise d'outre-Pyrénées. Dans le rôle, Catherine Mouchet (inoubliable jadis dans Thérèse) est impeccable de rigueur et de tendresse contenue.

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   De son côté, la piquante Ananamaria Vartolomei incarne la fille rebelle du duc d'Orléans, promise au très falot prince des Asturies. Sa beauté a visiblement conquis celui-ci à distance, puisque l'on suggère qu'il a rapidement pris l'habitude de se pogner devant le portrait de Louise Elisabeth...

   Mais la véritable révélation de ce film est une adorable poussinette, j'ai nommé Juliane Lepoureau, qui a la lourde tâche de rendre vraisemblable le personnage de la gamine espagnole donnée en pâture au futur roi de France. Elle est vraiment adorable, avec un regard où pétille l'intelligence :

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   Je me suis laissé prendre à cette étonnante intrigue, portée par la qualité de l'interprétation et la beauté de certains plans. L'information historique est ponctuellement mêlée à la fiction, à travers certains détails de la vie quotidienne ainsi que de petites incrustations évoquant le contexte ou le devenir des principaux personnages.

vendredi, 26 janvier 2018

Les Heures sombres

   Décidément, ces dernières années, nos amis anglo-saxons ne cessent de se passionner pour les deux dirigeants britanniques qui ont joué un rôle majeur au début des années 1940, à savoir Winston Churchill et George VI. Celui-ci tint le premier rôle dans Le Discours d'un roi, quand celui-là fut à l'affiche de Churchill. Même si Gary Oldman et Ben Mendelsohn ne font pas oublier ceux qui les ont précédés, ils "assurent" très correctement.

   Le premier problème est l'impression de déjà-vu qui se dégage de nombreuses scènes. Que ce soit le Churchill intime, sa relation avec sa secrétaire ou le bégaiement de George VI, à de nombreuses occasions, ce ne sont pas les images de ce film qui s'imposent à l'esprit, mais celles d'autres oeuvres.

   Pourtant, je dois reconnaître qu'il y a des efforts de mise en scène. Du (presque) Premier ministre allumant son cigare dans le noir au ballet des doigts de sa secrétaire répondant aux ébauches de discours du même, on est agréablement surpris, et à plusieurs reprises, par certains effets. J'ai aussi en mémoire le moment où la porte de l'une des salles du bunker souterrain se referme sur Churchill, ne laissant voir que son visage dans la petite lucarne, comme s'il était prisonnier.

   Ce film a au moins le mérite d'apprendre au public non spécialiste (et de rappeler à ceux qui l'auraient oublié) que le courant pacifiste (celui de l'apaisement) fut très influent au Royaume-Uni et que même Churchill douta parfois de la marche à suivre. Cependant, c'est mis en en scène de manière excessivement mélodramatique : le personnage de Churchill, presque seul contre tous est plongé dans le doute, à un point où il semble prêt de basculer, avant de repartir à la conquête de l'opinion. De la même manière, on ne comprend pas bien comment le roi a changé d'avis, ni comment Churchill a retourné une partie de la Chambre des Communes.

   Cela ressemble trop souvent à une enluminure, avec des longueurs et, paradoxalement, des raccourcis historiques malvenus. (La vision des Français est caricaturale et je laisse les spectateurs de Dunkerque juger de l'évocation de l'opération Dynamo...). C'est de surcroît trop complaisant vis-à-vis de l'élite aristocratique britannique. Et que dire de ces acteurs qui prennent la pose ! La caméra s'attarde trop souvent de manière emphatique. Ah, pour sûr, on a remarqué qu'untel a soudainement levé le sourcil ou que tel autre a fermé les yeux quand il a senti venue sa défaite politique. Quant à la séquence dans le métro, si elle commence de manière tonique, elle s'enlise assez vite dans une sorte de politiquement correct meringué.

   Bref, en dépit de quelques qualités perceptibles à l'écran, c'est une déception.

vendredi, 12 janvier 2018

La Promesse de l'aube

   C'est l'adaptation de l’œuvre autobiographique de Romain Gary, pseudonyme de Romain Kacew, né dans la ville qui s'appelle aujourd'hui Vilnius, emmené par sa mère en France dans l'Entre-deux-guerres. Le film balance entre ses deux personnages principaux, la mère occupant le devant de la scène dans la première partie, la seconde étant davantage centrée sur le fils. Mais c'est la relation œdipienne entre les deux qui est au cœur de l'intrigue.

   Charlotte Gainsbourg incarne avec talent cette mère juive (qui prie dans une église orthodoxe !), à la fois possessive et ambitieuse pour son fils. L'actrice a acquis une démarche et un accent qui contribuent à renforcer l'authenticité de son personnage, d'autant plus qu'elle s'est révélée  crédible lorsqu'elle parle polonais. Aux spectateurs juifs comme aux non-juifs, elle rappellera bien des mamans, parfois excessives dans la manifestation de leur amour.

   Le début, en Lituanie polonaise (ou en Pologne lituanienne, c'est selon), est réussi parce qu'il ressuscite une ambiance et une époque aujourd'hui révolues. On perçoit bien les tensions intercommunautaires, tout comme la rage de réussir de Nina (la mère), qui ne recule pas devant l'escroquerie pour s'en sortir. Du côté des enfants, je n'ai pas été très convaincu par celui qui incarne Gary jeune. Par contre, les petits Polonais catholiques sont très bien campés. Du côté des guests, on peut signaler Didier Bourdon (partie 1) et Jean-Pierre Darroussin (partie 2), dans des rôles toutefois un peu stéréotypés.

   L'histoire prend de l'ampleur quand le garçon grandit (à Nice, puis à Paris), qu'il commence à s'émanciper (un peu) de sa mère... et à regarder sous les jupes des filles. Son passage par l'armée lui apprend que les préjugés antisémites ne sont pas le privilège des seuls Polonais. La Seconde guerre mondiale constitue évidemment un tournant, le jeune homme devenant enfin un écrivain... mais aussi un héros de l'aviation. Cela nous vaut quelques scènes bien troussées, comme celles qui se déroulent dans le ciel... mais aussi celles qui ont pour cadre l'Afrique.

   Même si la mise en scène recourt à quelques facilités c'est un spectacle de qualité, assez prenant.

mardi, 26 décembre 2017

Qui était Fernand Forestier ?

   Ceux qui l'ignoraient ont pu l'apprendre récemment en lisant la presse aveyronnaise, tout d'abord La Dépêche du Midi, avec un article publié il y a une dizaine de jours, article repris presque mot pour mot avant-hier dans Centre Presse :

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   Originaire du Bassin (plus précisément d'Auzits, ce qui explique la diligence de La Dépêche), il est devenu gendarme. On remarque qu'il a officié en Tunisie avant d'être nommé dans le Lot, à Figeac. Ce n'est d'ailleurs pas très loin de là qu'il a été fusillé le 8 juin 1944 : à Gramat, selon la fiche (hélas entachée d'une faute) disponible sur le site "mémoire des hommes" :

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   C'est dans La Dépêche que l'on peut trouver la plus grande précision quant aux auteurs de la fusillade qui a coûté la vie à Fernand Forestier : ce sont des membres de la tristement célèbre division SS "Das Reich", qui, le lendemain, frappait à Tulle, avant de se déchaîner à Oradour-sur-Glane.

   Pour les habitants d'Auzits, ce gendarme résistant n'est pas un inconnu, puisque son nom figure sur le monument aux morts de la commune :

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   Pour la petite histoire, signalons que ledit monument a été conçu par un architecte qui avait pignon sur rue à l'époque : André Boyer. On lui doit aussi les monuments de Bertholène, Buzeins et Recoules-Prévinquières. A Rodez, il est connu pour avoir donné sa physionomie actuelle au Broussy... et pour avoir projeté de transformer la zone du Foirail, entre la place d'Armes et la gare de Paraire.

samedi, 23 décembre 2017

Le Dalaï-lama bientôt en Chine ?

   C'est la question que se pose (entre autres) le correspondant du Monde en Chine, Brice Pedroletti, dans un article paru il y a deux jours. Le guide spirituel des Tibétains aurait manifesté le désir de revenir en Chine... et Pékin ne s'y serait pas montré hostile. Etonnant, non ?

   Le Dalaï-lama souhaiterait se rendre sur une montagne sacrée pour les bouddhistes, qu'ils soient tibétains, chinois ou mongols : le Wutaishan. Or, cette montagne se trouve dans la province du Shanxi, dans l'est de la Chine, en dehors donc de la zone de peuplement tibétain (et donc, a fortiori, à l'extérieur de la région autonome du Tibet). Voilà qui pourrait expliquer l'accueil non défavorable des autorités chinoises.

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   Sur la carte ci-dessus, j'ai placé un losange jaune approximativement à l'emplacement du Wutaishan, dans le Shanxi. Un autre losange se trouve, dans le sud, dans la province du Yunnan, à Kunming, où l'envoyé du Dalaï-lama aurait été autorisé à se rendre. Là encore, c'est en dehors de la région autonome du Tibet et au-delà des limites du Tibet historique revendiqué par certains indépendantistes tibétains.

   Une troisième zone est coloriée en jaune : le nord-ouest de la province du Yunnan, où l'envoyé du Dalaï-lama (selon l'article) aurait aussi été autorisé à se rendre. Ici, on est toujours en dehors de la région autonome, mais à l'intérieur du "Tibet historique", dans un de ces fragments que les autorités chinoises ont disjoints du noyau tibétain pour perturber le combat politique de leurs adversaires. C'est incontestablement une faveur faite à l'envoyé du Dalaï-lama, qui est originaire de cette région. (Pour la petite histoire : on y trouve un district qui a été rebaptisé Shangri-la pour attirer les touristes...)

   Précisons que, vis-à-vis des touristes étrangers, les organismes du "pays du milieu" (comme celui-ci) continuent à présenter la région autonome comme le seul et unique territoire tibétain :

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   Pékin surveille comme le lait sur le feu ces régions tibétaines "de l'extérieur", où se sont déclenchés, en 2008, la plupart des mouvements de contestation de la domination chinoise, comme en témoigne une carte publiée naguère dans Courrier International :

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   2018 sonnera le dixième anniversaire de ces événements. Il est possible que les ouvertures faites au Dalaï-lama soient une manière de désamorcer d'éventuelles velléités de "célébration" des mouvements de protestation. Du côté du guide bouddhiste, le choix du lieu de pèlerinage pourrait être interprété comme une preuve de sa volonté de conciliation.

samedi, 16 décembre 2017

Les Gardiennes

   Xavier Beauvois (Des Hommes et des Dieux) s'est décidé à adapter, à sa manière, le roman éponyme d'Ernest Pérochon (paru en 1924). Il a le mérite de mettre au premier plan ce que, pendant la Première guerre mondiale, on appelait "l'arrière". Cette histoire est donc celle des femmes qui, dans les campagnes, ont fait "tourner la boutique" pendant que les hommes étaient au front, ne pouvant s'appuyer que sur les vieillards, les enfants et les soldats en permission.

   Ces femmes de tout âge (de la gamine en chaussettes à la veuve vêtue de noir) sont incarnées par une pléiade d'actrices talentueuses. On a, avec raison, souligné la performance de Nathalie Baye (formidable). On a un peu moins parlé de la révélation de ce film, Iris Bry, totalement inconnue, mais qui irradie aussi bien dans les scènes d'intérieur que dans les prises de vue extérieures. Cette orpheline, placée chez des patrons successifs, va se révéler une excellente fermière... et elle possède un joli filet de voix !

   Je suis par contre moins convaincu par Laura Smet, qui n'a vraiment pas la tête d'une paysanne... non pas qu'elle doive être laide ou grossière, mais on sent trop la citadine. Même si je comprends le choix de la distribution (réunir la mère et la fille dans une histoire familiale), je trouve que cela n'apporte rien au film.

   Celui-ci revêt souvent un aspect documentaire. On suit les travaux et les jours, dans cette grosse exploitation où les femmes triment du matin au soir. Ainsi, à l'époque, il faut avoir les bras solides pour tenir la charrue tirée par les boeufs. L'essentiel des travaux se fait à la main, y compris la moisson, le seul outil étant à la faucille (et le fléau, pour le battage). L'intrigue s'étendant sur plusieurs années (de 1915 à 1920), on voit débarquer les premières machines : la moissonneuse-lieuse McCormick (tirée par les boeufs) et un tracteur (rudimentaire) Ford (sous la marque Fordson). Heureusement, à cette époque, dans les campagnes, on se serrait un peu les coudes. Mais le film est assez subtil pour nous faire entrevoir les jalousies.

   L'amour va se greffer sur cette histoire pleine de deuils. L'un des hommes de la maison est l'objet de convoitises... tout comme, à partir de la fin de 1917, les jeunes et vigoureux soldats américains venus au secours des Français. Cela donne un tour sensuel à certaines scènes.

   Le principal défaut du film est son rythme, très lent. A trop vouloir restituer le mode de vie rural, Beauvois peine parfois à se débarrasser de l'accessoire. Il s'attarde aussi un peu trop sur certains plans. Cela n'enlève rien aux qualités mentionnées plus haut, mais cela creuse un fossé entre ce qui reste un bon film et ce qui aurait pu être un chef-d'oeuvre.

vendredi, 10 novembre 2017

Dans un recoin de ce monde

   Ce film d'animation japonais est l'oeuvre de Sunao Katabushi, qui a auparavant travaillé pour des studios prestigieux. Ici, il adapte le manga éponyme, créé par une dessinatrice née à Hiroshima, Fumiyo Kono. La particularité de cette histoire est que l'héroïne est une jeune femme d'Hiroshima, douée pour le dessin et dont nous allons suivre la vie dans les années 1930-1940.

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   Au départ, j'ai trouvé le dessin un peu naïf et pas particulièrement brillant. C'était trompeur. Certaines scènes voient le brio de l'auteur éclater, comme quand il montre l'héroïne en train de dessiner. Sous nos yeux, l'animation prend forme, avec une précision déconcertante.  Superbes aussi sont les scènes décrivant la manière dont l'observation de la nature inspire la jeune dessinatrice.

   L'intrigue nous conduit à suivre l'histoire japonaise à travers le regard de l'adolescente qui devient femme. Elle est bientôt mariée (sans qu'on lui demande trop son avis) au fils d'une famille de Kure, une grande ville proche d'Hiroshima et qui constitue la principale base navale de la mer Intérieure.

   La militarisation du Japon et son entrée en guerre (d'abord contre la Chine, puis contre les Etats-Unis) nous sont montrées par les yeux d'une épouse soumise et travailleuse... qui ne renonce pas toutefois à son passe-temps artistique, d'autant plus que l'époux qu'on lui a choisi se révèle un type attentionné. Délicates sont les scènes qui évoquent l'intimité du couple.

   Avec le reste de la belle-famille, les relations ne sont pas toujours faciles, d'autant qu'avec la guerre, la population souffre de pénuries grandissantes. La jeune Suzu va faire son apprentissage de femme au foyer, de belle-fille, de belle-soeur et de voisine. Touchante aussi est sa découverte de la grande ville, au cours d'une sortie qui la voit se perdre dans le quartier des prostituées.

   C'est donc moins "engagé" que le Gen d'Hiroshima de Keiji Nakazawa. On n'en perçoit pas moins les échos de la politique japonaise (avec l'intrusion de la redoutable Kempetai) et de la guerre, avec notamment les bombardements de la base navale de Kure, la voisine (et industrielle) Hiroshima semblant curieusement préservée.

   Vous vous doutez bien que, petit à petit, le film mène les personnages vers le 6 août 1945. L'explosion est filmée de manière indirecte, mais les conséquences elles sont clairement montrées à l'écran. Cela donne certaines des scènes les plus fortes de ce film, qui n'est pas sans rappeler le récent Lumières d'été.

dimanche, 29 octobre 2017

Au revoir là-haut

   Quatre ans après la sortie de 9 mois ferme, j'attendais avec impatience la nouvelle œuvre d'Albert Dupontel. L'an dernier, on l'a vu jouer dans Les Premiers, les Derniers, mais, là, il a adapté l'excellent roman de Pierre Lemaitre (disponible en collection de poche).

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   Faut-il avoir lu le roman avant d'aller voir le film ? Non, d'autant plus que Dupontel a opéré plusieurs modifications dans l'intrigue et qu'il en a changé la fin. Ne pas avoir lu le roman laisse le plaisir total de la découverte... mais l'avoir lu avant permet d'en savourer mieux l'originalité.

   La première est ce grand retour en arrière, sur lequel est bâtie l'histoire. Il n'existe pas dans le roman, dont la trame suit une chronologie classique des événements. L'arrestation d'Albert Dupontel/Maillard est elle aussi une invention scénaristique. L'intrigue (bien que simplifiée par rapport au roman) étant foisonnante, l'ajout du commentaire de l'un des personnages principaux est apparue nécessaire pour faciliter la compréhension des péripéties par le grand public.

   Comme l'action débute pendant la Première guerre mondiale, Dupontel se savait attendu au tournant à propos des scènes de tranchées. Il ne déçoit pas, même si cet épisode fondateur est considérablement allégé : le romancier avait beaucoup développé la psychologie des personnages, un aspect que Dupontel n'a conservé que pour celui qu'il incarne !

   Ceci dit, les autres personnages principaux sont servis par des interprètes haut de gamme, certains correspondant parfaitement à l'image que je me faisais d'eux en lisant le roman. C'est le cas pour Niels Arestrup (Marcel Péricourt, le père du défiguré), Albert Dupontel, Héloïse Balster (la Gavroche à laquelle l'artiste ancien combattant va s'attacher) et surtout Laurent Lafitte (le rôle du lieutenant -puis capitaine- Pradelle semblant avoir été écrit pour lui). Nahuel Perez Biscayart est une révélation pour moi, dans le rôle de la "gueule cassée". On peut signaler aussi les excellentes compositions de Mélanie Thierry, de Michel Vuillermoz, de Philippe Uchan et d'Emilie Dequenne. Comme les dialogues sont très bien écrits (un peu moins truculents que dans le roman, toutefois), cela nous vaut d'excellents moments de comédie et quelques morceaux de bravoure, en matière de confrontation d'acteurs.

   Quand j'y réfléchis, dans presque toutes les scènes majeures intervient Laurent Lafitte. Il y a sa manière de persécuter les poilus, sa rivalité avec Péricourt/Arestrup et sa relation ambiguë avec la fille de celui-ci, qui débouche sur une scène magistrale, dans la chambre à coucher, se concluant par un plan filmé de derrière le lit, la caméra saisissant l'expression de Pradelle à travers les barreaux.

   C'est dire si la réalisation est soignée. Dupontel n'abuse pas des effets de caméra, mais c'est souvent brillant, les plans étant visiblement construits avec une extrême minutie, notamment au niveau des déplacements des personnages. Ajoutez à cela une photographie vraiment superbe et vous obtenez une œuvre ambitieuse sur le plan graphique.

   Sur le fond, Dupontel reprend la petite musique antimilitariste du roman, ainsi que la dénonciation des puissants. Il y ajoute une dose d'anticléricalisme, particulièrement sensible lors du séjour d'Edouard à l'hôpital militaire. Albert doit se jouer des religieuses pour parvenir à soulager son camarade de combat.

   Ensemble, les deux hommes vont monter une arnaque "héneaurme", autour de la fabrication (fictive) de monuments aux morts, pendant que le désormais capitaine Pradelle s'enrichit de son côté grâce à un autre type de fraude, lié à la création des cimetières militaires. (Historiquement, la première est fausse, alors que la seconde s'inspire de faits réels.)

   Pour faire tenir son film en deux heures, Dupontel a dû pratiquer quelques coupes (la plupart judicieuses... j'aurais néanmoins aimé qu'il en laisse davantage sur l'affrontement Pradelle-Péricourt). Les changements qu'il a opérés dans la dernière partie de l'histoire sont sans doute liés aux messages qu'il veut faire passer. Dupontel est un moraliste, ce qui permet de comprendre ce qui arrive à l'un des "méchants"... et pourquoi l'arrestation d'Albert prend un tour très inattendu, à la toute fin.

   C'est incontestablement l'un des meilleurs films de l'année.

mardi, 24 octobre 2017

Les Oubliés

   J'avais raté ce film à sa sortie. Il n'était resté qu'une semaine au programme à Rodez, en version française, à des horaires peu compatibles avec mon emploi du temps. Actuellement, il continue à tourner dans quelques cinémas et il est sorti en DVD.

   Il raconte l'histoire vraie de soldats allemands (ici des adolescents mobilisés à la fin de la Seconde guerre mondiale), faits prisonniers et envoyés déminer les plages danoises, en 1945. C'est un type de sujet qu'on a évité d'aborder pendant des années : l'armée allemande ayant commis tant de crimes horribles, on n'a pas jugé utile de dénoncer le sort de ces jeunes soldats. Rappelons tout de même que ces mines avaient été posées par l'occupant allemand. Les gamins eux-mêmes avaient subi l'endoctrinement des Jeunesses hitlériennes... et il n'est pas impossible que certains d'entre eux fussent des fils de SS.

   Le film pose la question de la responsabilité collective. Alors que les Danois, à l'image de tant de peuples européens, ont souffert à cause des Allemands pendant la guerre, devaient-ils le faire payer aux enfants de ces soldats ?

   On leur a confié une tâche délicate et ultra-dangereuse. Ils n'ont reçu qu'une formation express, suffisante toutefois pour effectuer un travail basique, insuffisante quand ils se trouvent face à un dispositif plus élaboré... voire vicieux (une mine en cachant une autre).

   Au départ, le sous-officier danois (Roland Møller, vu dans Hijacking, excellent) qui s'occupe d'eux se montre extrêmement dur,  déversant sur eux sa haine des Allemands. Mais, petit à petit, il réalise que ce ne sont que des gamins et qu'on fait peser sur leurs épaules une charge qui n'est pas de leur âge. Au fur et à mesure que le temps passe, la petite troupe s'amenuise, amputée de ceux qui périssent dans une explosion. Notons que, si la mise en scène joue avec nos nerfs, elle ne tombe pas dans la facilité. Le réalisateur a voulu éviter que certains événements ne soient trop prévisibles. De la même manière, l'amélioration des relations entre le tuteur danois et la troupe de jeunes démineurs ne suit pas une courbe régulière. Il y a des hauts et des bas.

   Je trouve que tous les acteurs sont bons, qu'ils incarnent les Allemands ou les Danois, les civils ou les militaires. Sur un sujet casse-gueule, le réalisateur a construit un film subtil, qui se conclut par un acte d'une grande humanité.

lundi, 09 octobre 2017

Le Jeune Karl Marx

   Méfiez-vous des programmes de présentation : ce film n'est diffusé que dans une seule version, multilingue, puisqu'on y parle (principalement) allemand, (sinon) français et (occasionnellement) anglais. C'est lié à la distribution (internationale) et aux péripéties de la vie du jeune Karl Marx, qui a vadrouillé entre Prusse (rhénane), France, Belgique et Royaume-Uni.

   Il est incarné par un très bon acteur allemand, August Diehl, qu'on a récemment pu voir dans En mai, fais ce qu'il te plaît et Diamant noir. Je suis moins convaincu par Stefan Konarske en Friedrich Engels, un rôle certes difficile, puisque c'est un fils à papa qui va se révéler très sensible à la cause ouvrière.

   Le film mérite aussi le détour pour les interprètes féminines, en particulier Vicky Krieps (vue dans Colonia) en Jenny Marx et Hannah Steele en Mary Burns, la compagne d'Engels. Subrepticement, le film montre que nos esprits (masculins) rebelles ont encore du chemin à faire, puisque, dans leurs rapports aux femmes, ils se révèlent des mecs comme les autres... et encore, le film n'ose suggérer que Marx a engrossé la bonne de la famille, comme n'importe quel bourgeois phallocrate !

   La fin des années 1840, sur laquelle se concentre le film, est celle des révélations pour le duo Marx-Engels, qui va se constituer et, au contact l'un de l'autre, affiner sa pensée. Ils vont notamment se démarquer de Proudhon (Olivier Gourmet, excellent) et de Bakounine, tout en récupérant le mouvement socialiste prophétique anglais. Pour que le tableau soit complet, il nous manque les "socialistes utopiques" (sans doute caricaturés par la catégorie précédente), qui ont hélas été oubliés dans l'histoire de la gauche contestataire, alors que les doctrinaires souvent sectaires tiennent encore aujourd'hui le haut du pavé.

   Quant à la classe ouvrière, elle fait l'objet d'assez peu d'attention dans le film. Le début est chargé de nous montrer la difficile condition des employées du textile, mais, à l'image du personnage d'Engels, le réalisateur et le scénariste n'en ont qu'une connaissance externe, limite intellectualisée. Du coup, le film perd beaucoup en force, d'autant plus qu'il manque de rythme. Cela m'a un peu fait l'impression d'une collection de vignettes, plutôt destinée à des intellos. Le capitalisme sans foi ni loi a encore de beaux jours devant lui, vu la maladresse de ceux qui le critiquent...

dimanche, 08 octobre 2017

L'affaire Fualdès, le sang et la rumeur

   Jusqu'au 31 décembre 2017, le musée Fenaille de Rodez propose une passionnante exposition consacrée à un fait divers qui a défrayé la chronique il y a 200 ans, en Aveyron bien sûr, mais aussi au plan national et même international.

   Dès le vestibule, on est accueilli par la reproduction d'une gravure datant sans doute de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe siècle. On y découvre une vue d'un Rodez exigu (peuplé à l'époque de seulement 6 500 habitants), entouré d'espace rural, en particulier sur les pentes aujourd'hui presque intégralement bâties.

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   De là, on pénètre dans la première salle, consacrée au crime en lui-même. On nous présente Antoine-Bernardin Fualdès, ancien révolutionnaire ardent devenu bonapartiste et procureur impérial au criminel. C'est dire qu'il a dû se faire des ennemis dans le passé, d'autant plus qu'il est franc-maçon (de tendance antimonarchique), une étiquette délicate à porter en 1817, au début de la Restauration, juste après la Terreur blanche.

   Le mystère plane toujours sur ce qui s'est passé le soir de ce 19 mars 1817. Vers 20 heures, Fualdès a quitté son domicile ( 1 aujourd'hui situé au début de la rue de Bonald, où l'on peut encore voir la porte d'origine, qui a été légèrement reculée par rapport à la rue, sans doute pour ménager un abri). Il faisait sombre à Rodez, mais le cafetier voisin (2) a reconnu l'ancien procureur parti se promener, une serviette de documents sous le bras, semble-t-il. Au bout de la place de la cité, il a tourné à droite, rue Terral (3). A partir de là, les versions divergent.

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   L'enquête (bâclée) et la rumeur publique ont très tôt désigné la maison Bancal (4) comme étant le lieu du crime. N'a-t-on pas retrouvé à proximité de celle-ci, rue des Hebdomadiers (aujourd'hui rue Séguy) un mouchoir qui ne peut qu'avoir servi de bâillon ? N'a-t-on pas retrouvé la canne de Fualdès à peine plus loin, rue Terral ? Dans la salle du musée sont proposés plusieurs plans d'époque, ainsi qu'une carte postale du tout début du XXe siècle, permettant de localiser les principaux endroits liés (de manière réelle ou supposée) au crime. Notons que la mairie de Rodez avait fait imprimer l'un de ces plans, dont la vente devait servir à soulager les nécessiteux de la commune.

   Le corps de Fualdès ayant été retrouvé en contrebas de la ville, sur les berges de l'Aveyron, à Layoule, aux confins de Rodez et du Monastère, les imaginations se sont déchaînées sur la manière dont le corps y avait été transporté. Contrairement à ce qu'un esprit contemporain pourrait croire, ce n'est pas le chemin le plus court qui a été emprunté. Celui-ci traversait une partie de la cité (la partie Nord), où, le soir, le moindre bruit est susceptible d'éveiller l'attention.

  Les assassins (car ils étaient sans doute plusieurs) ont sans doute transporté Fualdès (vivant ou mort) en longeant les remparts de la cité. Ils seraient sortis par la porte Saint-Martial qui, à l'époque, faisait le lien entre l'évêché et la cathédrale. Une fois à l 'extérieur, il y avait peu de chances qu'ils soient dérangés, la zone étant quasi inhabitée... et peu fréquentée le soir.

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(gravure présentant une vue de la place d'Armes à la fin du XVIIIe siècle)

   La deuxième partie de la première salle propose divers objets en lien avec l'affaire : une reconstitution des vêtements que portait Fualdès ce soir-là, la mise en scène du crime, telle que la version officielle l'a transmise, une vielle comme celle dont devaient jouer les musiciens présents en cette période de foire... et une maquette de la désormais fameuse maison Bancal, réalisée en 1820 par David Niépce. Ce nom ne vous est peut-être pas inconnu : il s'agit du cousin de Nicéphore, l'inventeur de la photographie. Officier des dragons, il s'ennuyait un peu dans le chef-lieu aveyronnais. Et puis cette maison suscitait une telle curiosité... à tel point que les gens y venaient en nombre, prêts à payer pour la visiter. Curiosité supplémentaire : la maquette a été conçue de manière à ce qu'une partie soit amovible, dévoilant l'espace intérieur, minutieusement reconstitué.

   L'engouement pour ce fait divers fait l'objet de la deuxième salle, consacrée aux productions de l'époque, particulièrement des années 1817-1818. Aujourd'hui, on dirait que l'affaire "a fait le buzz"... sauf qu'alors n'existent ni internet, ni la télévision, ni la radio, ni le téléphone... C'est donc par les illustrations et les écrits que les informations (les fausses comme les vraies) ont été véhiculées. C'est l'âge d'or de la lithographie, de nombreuses étant exposées dans le musée. Des peintres se sont même déplacés pour faire le portrait des principaux protagonistes, pour la plupart des gens du peuple, dont la renommée va désormais égaler (temporairement) celle des puissants. L'histoire de ce meurtre a donné lieu à des productions théâtrales... et même à la création d'un "cabinet de cire", où a été reconstitué la scène du crime, telle que la rumeur l'a propagée.

   Au niveau des écrits,il y a profusion d'édition de feuilles volantes. Pour les plus fortunés, on publie les actes des procès. L'essentiel est publié par la presse, locale comme nationale, puisque des journalistes parisiens ont fait le déplacement. L'un d'entre eux, Hyacinthe Thabaud, a visiblement été traumatisé par Rodez, une ville sombre, peuplée de chauve-souris et de porcs en liberté...

   L'une des publications les plus célèbres est les Mémoires de Clarisse Manzon, la fille d'un juge ruthénois, une mythomane qui va précipiter la chute de certains des accusés. Ce livre a été réédité à de nombreuses reprises et même traduit (en anglais, danois...). On a ainsi entendu parler de l'affaire Fualdès dans toute l'Europe, jusqu'aux  États-Unis !

   La troisième salle fait le point sur les suites judiciaires, ainsi que sur les zones d'ombre. Plusieurs hypothèses sont évoquées quant aux véritables causes de la mort de Fualdès. Rappelons tout d'abord qu'il y eut trois procès, le premier (celui de Rodez), ayant été cassé pour un vice de forme. Les deux suivants ont eu lieu à Albi, le troisième étant en quelque sorte la queue de comète du deuxième. Voilà pourquoi les trois condamnés à mort ont été exécutés en terre albigeoise, le 3 juin 1818. D'autres accusés ont été condamnés à la prison à perpétuité, d'autres à des peines plus légères. Quelques-uns ont été acquittés.

   Dans cette salle, il est question des mensonges et omissions dans lesquels l'affaire a été engluée. Aucun meurtre n'a été commis dans la maison Bancal, dont les enfants ont pu imaginer un récit fantasmagorique, sans cesse renouvelé, sans susciter le scepticisme des enquêteurs. C'est à l'image de la majorité des témoins (plus de 300 lors des deux premiers procès), comme ce meunier qui, sur son lit de mort, a fini par reconnaître qu'il avait tout inventé pour pouvoir voir du pays ! Le summum est peut-être atteint avec ces lettres anonymes de menace, reçues par Clarisse Manzon... qui se les était envoyées elle-même !

   Et encore, l'exposition ne dit pas tout. La lecture de l'excellent catalogue (issu notamment d'un gros travail de fond de Jacques Miquel) nous en apprend d'autres. Je pense à ces témoins à décharge qu'on a tenté de faire revenir sur leurs déclarations, où ceux dont on a totalement négligé les paroles. Parmi eux, il y a ce réfugié espagnol, ancien juge, qui logeait juste au-dessus des Bancal (et donc du lieu présumé du crime)... et qui n'a rien entendu d'inhabituel ce soir-là, tout comme le voisin des Bancal, qui était un ami de Fualdès ! On a aussi "perdu" ces pierres tachées de sang, découvertes à Layoule, ce qui tendait à prouver que c'est là que le meurtre avait été perpétré, et non dans la maison Bancal.

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   Et puis, il y a ces "liaisons coupables", ces attaches familiales qui unissent les notables royalistes de Rodez et de ses alentours à de prestigieuses familles françaises (comme celle de Decazes). Une hypothèse tient la corde (sans être la seule envisageable), celle d'une vengeance des Chevaliers de la Foi, cette conjuration qui a tenté de remettre Louis XVIII sur le trône, en 1814, et qui a échoué notamment à cause du procureur impérial Fualdès. La bande de royalistes a commis bien des méfaits, qui n'ont jamais été sanctionnés par une condamnation en justice. Quant au procureur et à l'officier de gendarmerie chargés de l'affaire en 1817, il ont été ensuite rapidement décorés de la légion d'honneur... Ils avaient sans doute bien mérité de la Patrie !

   PS

   Sur le site du musée Fenaille, on peut accéder à un très bon web-documentaire.

   PS II

   On peut aussi, sur la Toile (ré)écouter des émissions radiophoniques (de RTL et France Inter) qui ont été consacrées à l'affaire.

   PS III

   Enfin, ne partez pas du musée sans réclamer la reproduction du plan d'époque de la cité de Rodez. (C'est gratuit.) Il est annoté de manière à faciliter la déambulation dans les rues de la ville, tout en suivant l'affaire Fualdès.

mercredi, 04 octobre 2017

Confident Royal

   Opération My taylor is rich aujourd'hui, avec le nouveau film de Stephen Frears, en version originale sous-titrée à Rodez ! Ces derniers temps, le cinéma britannique aime à revisiter les moments marquants du passé national (antérieurs à l'adhésion à la CEE...). En juin dernier, on a pu voir un Churchill compatissant au sort des soldats participant au débarquement de Normandie. En juillet, c'est le stoïcisme et le sens du devoir des tommies en 1940 qui fut à l'honneur dans Dunkerque. On a aussi eu droit à l'abnégation du couple Mountbatten dans Le Dernier Vice-Roi des Indes.

   Le récent auteur de Florence Foster Jenkins s'est attaqué à un autre monument national, la reine Victoria (vieillissante), remarquablement interprétée par Judi Dench, qui retrouve ainsi le réalisateur de Philomena. Dans le rôle principal, l'actrice assume ses rides et ses dents manquantes, pour composer un formidable portrait de la souveraine, à la fois protégée et corsetée par l'étiquette de la cour. C'est l'occasion de découvrir une brochette de seconds rôles bien campés, entre vieilles badernes et culs pincés, le tout sur fond d'ambitions personnelles.

   L'arrivée de serviteurs indiens musulmans va mettre le feu aux poudres. On a un peu rapidement présenté cette histoire comme une totale révélation, issue de la découverte des carnets de l'ancien favori de la reine, en 2010. En réalité, des historiens spécialisés avaient déjà évoqué la chose (certes sans y consacrer un livre entier). En français, une biographie de Victoria datant de l'an 2000 (et signée Roland Marx) consacrait un peu moins d'une demi-page à la petite révolution de cour qui agita le microcosme à l'extrême fin du XIXe siècle.

   C'est donc un film orienté (à l'image des récentes productions historiques britanniques), tout à la gloire de la reine, très dur pour "Bertie" (le futur Édouard VII) qui pourtant, une fois devenu roi, engagea le rapprochement avec la France, qui mena à la signature de l'Entente Cordiale. Un autre personnage subit un traitement (à mon avis) injuste : Lady Churchill (la maman de Winston, une Américaine qui a des ancêtres... français), présentée comme une intrigante revêche... sans qu'on ose préciser qu'elle fut (entre autres) l'une des (nombreuses) maîtresses du futur Édouard VII.

   Le début est assez drôle, avec la découverte d'une reine gourmande, pas très propre à table et dont le médecin s'enquiert de la qualité des selles... La rencontre avec l'Indien Abdul est aussi assez comique, avec, au centre de l'attention, un de ces horribles desserts à la gelée dans lequel je n'ai pas pu m'empêcher de voir des allusions sexuelles.

   La suite est hélas plus plan-plan, manquant de rythme, malgré la qualité de l'interprétation. (Je recommande tout particulièrement la déclaration que Judi/Victoria assène, en gros plan, à un trio d'emmerdeurs masculins dans son bureau.) A voir si l'on se pique d'anglomanie, ou si l'on peut se contenter de suivre les évolutions de Judi Dench à l'écran.

   PS

   C'est la deuxième fois que Stephen Frears gâche un splendide matériau. Il y a une dizaine d'années, la performance d'Helen Mirren (Elizabeth II dans The Queen) n'avait été que médiocrement servie par un film décevant.

jeudi, 24 août 2017

Lumières d'été

   Jean-Gabriel Périot (auquel on doit le médiocre Une Jeunesse allemande) mêle ici fiction et documentaire pour parler d'Hiroshima et de ses conséquences.

   Dans la salle où j'ai vu le film, il était précédé d'un court-métrage du même auteur, 200 000 fantômes, constitué d'un diaporama construit à partir de la superposition de vues du Dôme de Genbaku, le seul bâtiment resté debout au niveau de l'épicentre de l'explosion atomique. En fond sonore, on entend un poème dit en anglais (et non traduit). Le concept de base est intéressant, mais le résultat manque de lisibilité. Les images défilent trop vite et pas dans un ordre strictement chronologique. On comprend quand même que les vues présentent le Dôme avant l'explosion, juste après et dans les phases de reconstruction de la ville.

   Le film en lui-même démarre ensuite, par une séquence dont tout le monde a parlé : le témoignage d'une hibakusha, une rescapée de l'explosion atomique. J'ai beau avoir beaucoup lu et vu sur le sujet, j'ai été saisi par les paroles de cette vieille femme digne. J'ai repensé au formidable manga Gen d'Hiroshima, dont l'auteur Keiji Nakazawa était (il est mort en 2012) un autre rescapé du bombardement. Cette séquence est d'autant plus réussie que le témoin est... une actrice.

   Le réalisateur du documentaire, un Japonais qui vit à Paris, sort quelque peu bouleversé de cet entretien. Il se trouve dans le parc de la Paix lorsqu'il fait une curieuse rencontre : Michiko, une jeune femme en kimono, délicieusement désuète, qui semble en savoir beaucoup sur la ville d'Hiroshima et les conséquences de l'explosion atomique. Voilà qu'on nous embarque dans une déambulation romantique, à pieds, en train, en ville, au bord de la mer. On assiste à une partie de pêche, un repas entre amis, une cérémonie en l'honneur des ancêtres et un concours de lueurs. Même si on comprend assez vite qui est la jeune femme, c'est assez inattendu, plein de délicatesse et de poésie, culminant dans une scène de chant indescriptible.

   Certains critiques ont beau faire la fine bouche, j'ai été très touché par cette histoire, portée par deux actrices formidables : Mamako Yoneyama et Akane Tatsukawa.

dimanche, 30 juillet 2017

Après trois ans de guerre

   C'est le titre d'un fascicule édité en 1917, et que je me suis procuré (pour un euro) dans une brocante aujourd'hui :

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   Il sort d'une imprimerie parisienne (aujourd'hui disparue). C'est un document gouvernemental (français), dont la préface est signée Théodore Steeg. Elle nous indique que le texte est destiné aux écoliers. Quoi de plus normal, puisque l'auteur de la préface est à l'époque ministre de l'Instruction publique (ente mars et septembre 1917) ?

   C'est évidemment un plaidoyer en faveur de l'action du gouvernement français et une charge anti-allemande. Indirectement, ce texte est révélateur des mentalités de l'époque... et il contient plusieurs informations intéressantes.

   Il évoque l'ambiance qui était celle du pays avant la déclaration de guerre. D'après lui, la longue crise créée par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo n'a, dans un premier temps, pas suscité trop d'inquiétude dans la population. Celle-ci pensait que la diplomatie viendrait à bout des tensions, comme ce fut le cas quelques années auparavant lors de la crise marocaine (franco-allemande). Ensuite est venu le temps de la résignation et de la détermination à faire son devoir... pas de "fleur au fusil" donc, même si l'on dit que les wagons transportant les troupes avaient été abondamment décorés.

   L'auteur passe ensuite aux nombreux torts de l'Allemagne, les premiers étant d'avoir préparé et provoqué cette guerre. Au passage, le sort du caporal Peugeot (remis en lumière en 2014) est évoqué.

   Les combats du front ouest sont racontés sobrement, mais avec un tropisme français très marqué. Les échecs allemands sont exagérés, au besoin en recourant à des anecdotes symboliques, comme celle évoquant les suites de la bataille de la Marne : "Nos soldats goûtent la joie enivrante de courir sur les talons ferrés de l'envahisseur et de le reconduire par des routes où des milliers de bouteilles vidées attestent son amour des vins de France." (Ce fut aussi le cas en 1940, mais dans le cadre d'une victoire allemande cette fois-ci.)

   L'auteur en appelle au patriotisme et à la justice. Pour le premier, les figures mises en avant vont de Roland de Roncevaux au chevalier Bayard en passant par Du Guesclin et Jeanne d'Arc. On trouve aussi une référence aux combattants de 1792. Du point de vue de la justice, l'auteur défend l'idée que cet affrontement est, du point de vue français, la "guerre du droit". Pour accréditer son opinion, il énonce les ralliements de pays, le dernier à avoir rejoint l'Entente étant les Etats-Unis. On compte sur eux pour renforcer le poids des adversaires de l'Allemagne, qui a disposé, dans un premier temps, d'une supériorité mécanique liée à sa puissance industrielle.

   L'ouvrage s'achève sur des considérations concernant la paix future, nécessairement victorieuse. L'auteur craint que l'on soit trop magnanime avec l'Allemagne, provoquant l'incompréhension des peuples agressés par celle-ci.

22:14 Publié dans Histoire, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, livres, france

jeudi, 27 juillet 2017

Simone Veil (bis)

   Comme j'ai été emballé par la lecture d'Une Jeunesse au temps de la Shoah, je me suis procuré l'édition intégrale des mémoires de Simone Veil, en collection de poche.

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   La jeune magistrate qu'elle fut a peu travaillé dans les tribunaux. Très vite, elle a été repérée et utilisée comme technicienne du droit, notamment au ministère de la Justice. On la sent préoccupée par le mauvais état du système judiciaire et soucieuse d'améliorer la situation dans les prisons.

   Sa carrière politique a suivi des chemins détournés. Elle écrit avoir voté tantôt à droite, tantôt à gauche (mais pas pour les communistes). Elle n'avait pas la fibre gaulliste et a même voté NON au référendum de 1969 (celui qui a abouti à la démission de Charles de Gaulle). Elle qui fut "embauchée" par Valéry Giscard d'Estaing avait voté pour Chaban-Delmas au premier tour de la présidentielle de 1974. On sent qu'elle a apprécié Georges Pompidou et que, si elle reconnaissait l'intelligence de VGE, elle se sentait plus proche de Jacques Chirac, l'euroscepticisme en moins.

   Le grand moment de son passage au gouvernement fut évidemment le vote de la loi autorisant l'IVG. Le discours qu'elle prononça à cette occasion à l'Assemblée nationale est d'ailleurs intégralement reproduit en annexe. Alors qu'à d'autres occasions elle a parfois la dent dure pour les personnes qu'elle a côtoyées, elle ne se montre pas revancharde en narrant cet épisode, alors qu'elle a été traînée dans la boue.

   Elle préfère remercier ceux qui l'ont aidée, comme ce sénateur du Cantal nommé Mézard... Cela ne vous dit rien ? Avant d'entrer dans le gouvernement Philippe (au titre de ministre de l'Agriculture puis de ministre de la Cohésion des territoires), l'avocat Jacques Mézard a été sénateur du Cantal pendant presque neuf ans... tout comme son père (qui était médecin) : Jean Mézard a été sénateur de 1971 à 1980. Bien que membre du CNIP (réputé très conservateur), il a soutenu le projet de Simone Veil.

   L'ancienne ministre est beaucoup moins amène envers deux autres de ses anciens collègues : Raymond Barre et Maurice Papon (celui-ci pas tant pour ce qu'il avait fait que pour son absence de regrets).

    L'autre grande aventure politique de sa vie est la construction européenne. Le grand public a souvent retenu sa présidence du Parlement européen (pendant deux ans et demi), mais elle y a siégé au total 14 ans. Elle pointe le manque d'investissement des députés français, plus occupés à leurs calculs politiciens hexagonaux qu'aux grands enjeux continentaux. Là aussi elle décerne quelques bons points... et éreinte copieusement une autre figure du centrisme : François Bayrou. A deux reprises, elle en dresse un portrait peu flatteur, le peignant en arriviste hypocrite.

   On n'apprend pas grand chose quand elle évoque son retour en politique, dans le gouvernement Balladur (celui de la deuxième cohabitation). Elle n'est pas non plus très loquace sur son passage au Conseil constitutionnel (de 1998 à 2007). Par contre, certains lecteurs seront peut-être un peu surpris par ses opinions sur la vie politique française du début du XXIe siècle. Une Vie a été publié dans le dernier tiers de l'année 2007. Il a sans doute été rédigé durant  les mois qui ont précédé. Simone Veil s'y montre séduite par Nicolas Sarkozy (ce qui n'est pas une surprise pour qui a suivi l'actualité de l'époque)... et par Rachida Dati, à propos de laquelle elle écrit : "Rachida Dati, dont la lucidité et le courage font mon admiration" ! Pour le coup, c'est Mme Veil qui semble avoir manqué de lucidité. De surcroît, elle ne dit rien de la création d'un ministère de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale, confié au très progressiste Brice Hortefeux.

   Elle a au moins le mérite de la franchise et le courage de ses opinions. Ses mémoires sont d'une lecture facile et riches d'enseignements. Ils permettent de nuancer le portrait statufié que les médias ont eu tendance à dresser de l'ancienne ministre.