lundi, 12 juin 2023
L'Ile rouge
Cette île est Madagascar, en 1972. Le rouge y est la couleur d'une partie des terres... mais c'est aussi celle du sang et de la colère, qui couve dans les familles d'expatriés comme chez les Malgaches.
A partir de ses souvenirs familiaux (il est l'un des fils d'un sous-officier de l'armée française en poste en Afrique du Nord puis à Madagascar), Robin Campillo a tenté de construire une fiction entremêlant l'histoire familiale et celle, politique et sociale, de l'ancienne colonie française (indépendante depuis 1960).
Par les yeux de Thomas, dernier enfant d'un couple formé d'un adjudant et de son épouse, mère au foyer, nous découvrons les relations entre les adultes, français entre eux ou français et malgaches. L'esprit de l'enfance baigne cette partie de l'histoire : Thomas aime se cacher dans une petite cabane en bois, où personne ne fait attention avec lui. Il aime aussi jouer par terre... et lire les aventures de Fantômette, qu'il partage avec une camarade de classe sans doute d'origine indochinoise. Je me suis (en partie) retrouvé dans ce portrait d'enfant rêveur, qui ne comprend pas comment fonctionne le monde des adultes.
En sous-texte, on nous suggère que cette période a influé sur l'identité du garçon. La justicière masquée devient son modèle. L'un des moments-clés est celui au cours duquel sa mère (bien interprétée par Nadia Tereszkiewicz) lui remet une paire de collants noirs, pour que son déguisement soit plus conforme au personnage. La musique souligne un peu trop cet épisode, pour qu'on comprenne bien qu'à partir de ce moment-là, Thomas ne sera plus le même petit garçon. La mise en scène insiste aussi lourdement sur le fait que presque tous les couples hétérosexuels que Thomas observe sont des échecs, soit en raison de la mésentente, soit en raison des circonstances, qui finissent par séparer celles et ceux qui se sont aimés ou qui croient s'aimer.
Ce n'est de plus pas toujours bien joué. Certains dialogues manquent de naturel ou sont trop littéraires (notamment quand les enfants s'expriment). Certaines scènes m'ont paru bancales... peut-être les acteurs ont-ils été mal dirigés. Je pense en particulier à une soirée dansante, au cours de laquelle les messieurs vont se déhancher (voire plus) avec d'autres femmes que leurs épouses. La scène a évidemment pour but d'illustrer le fossé qui se creuse au sein du couple formé par les parents du héros. Mais Dieu que tout cela semble artificiel ! J'ai eu la même impression au cours d'une des scènes de la dernière partie, au mess des officiers, la nuit.
C'est pourtant au cours de cette même séquence que le film rebondit... et prend une nouvelle direction. Alors que, jusqu'à présent, il était centré sur la base militaire et les tensions familiales, il passe désormais du côté malgache, les comédiens s'exprimant dans leur langue maternelle. Au début, j'ai trouvé cela très bon. Le dialogue entre le soldat responsable du mess et l'employée chargée des parachutes est rafraîchissant, incisif, mais il arrive bien tard. La fin du film verse dans le militantisme sans nuance. Pour bien la comprendre, il faut se rappeler que l'année 1972-1973 fut une période de tension, qui aboutit à un changement de gouvernement et à la renégociation des accords de coopération entre la France et Madagascar. Les troupes françaises perdent la base de Diego-Suarez et sont obligées de quitter le pays. Tout ce contexte ne nous est pas clairement expliqué. On a juste droit au rappel du passé colonial (notamment celui des massacres de 1947), mais cela arrive un peu comme un cheveu sur la soupe et l'on a clairement l'impression de ne plus être dans le même film.
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mercredi, 17 mai 2023
Jeanne du Barry
Opération casse-gueule pour Maïwenn, qui s'est lancée dans un film en costumes, avec un comédien anglophone dans le rôle de Louis XV. Elle sait sans doute que les haineux du net (ainsi que certains « cultureux ») l'attendent au tournant, qu'elle se soit plantée ou pas.
Le début m'a fait un peu peur, avec cette voix-off trop présente. (Cela se calme par la suite.) Toutefois, l'actrice qui incarne la jeune Jeanne Bécu est convaincante (à tel point que je me suis demandé s'il n'aurait pas été possible de la garder pour tout le film), la ressemblance avec Maïwenn étant frappante.
Celle-ci (en tant que réalisatrice) évite plusieurs écueils, comme la tentation de la reconstitution historique plate (même si certaines scènes n'en sont pas loin) et le film militant (féministe) anachronique. Cela n'empêche pas la réalisatrice de glisser, ici ou là, quelques remarques sur la situation des femmes dans cette société patriarcale. Pour sortir de sa condition, Jeanne est devenue pute de luxe courtisane... Sa grande beauté, ajoutée à son habileté à mettre en action les bourses d'hommes riches et puissants, va lui procurer une forme d'ascension sociale.
Le film se concentre sur la liaison entre Jeanne et un Louis XV vieillissant. Je nourrissais quelques craintes concernant l'interprétation de Johnny Depp. Je trouve qu'il s'en sort plutôt bien, tout comme Maïwenn. Elle est évidemment trop âgée pour le rôle (celui d'une femme de 25-30 ans) et elle est d'une beauté moins classique que l'authentique comtesse du Barry. Mais elle a l'énergie nécessaire à son personnage et m'est apparue totalement crédible dans le rôle d'une maîtresse attachée au roi, à son page Zamor, ainsi qu'aux arts et lettres.
Parmi les seconds rôles, je distingue Benjamin Lavernhe, piquant et distingué en Laborde, le premier valet de chambre du roi. Ses interactions avec la du Barry sont pleines de sous-entendus. On sent les deux comédiens complices. En revanche, je regrette le choix d'un acteur "beau gosse", doté d'une chevelure digne d'un étudiant en philo, pour incarner le futur Louis XVI.
Au niveau de la mise en scène, c'est inégal. Des scènes plan-plan alternent avec d'autres, plus enlevées. J'ai particulièrement aimé celles qui décrivent l'arrière-cour de Versailles, de l'examen gynécologique de la future favorite aux relations avec la dauphine (Marie-Antoinette).
Du coup, je recommande plutôt. Sur un plan strictement cinématographique, c'est meilleur que ce à quoi je m'attendais et les scènes tournées à Versailles même sont assez jolies.
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samedi, 29 avril 2023
L'Etabli
Adapté du livre éponyme du philosophe Robert Linhart, ce film militant nous replonge dans les Trente Glorieuses, juste après les "événements" de Mai 68. L'essentiel de l'action se déroule au sein d'une usine secondaire du groupe Citroën (en plein Paris). Quelques scènes "de respiration" ont pour cadre un appartement bourgeois et un café.
Ce film engagé suscitant des réactions contrastées, j'ai choisi d'en rédiger deux critiques, une de gauche et une de droite.
LA CRITIQUE DE GAUCHE
Mathias Gokalp, brillant cinéaste au talent mésestimé (remarqué jadis pour Rien de personnel), réussit le pari de l'adaptation d'un livre réputé inadaptable. Sa mise en scène habile et percutante ressuscite l'ambiance d'une chaîne de montage et des différents ateliers de l'usine Citroën. S'appuyant sur des comédiens (connus ou inconnus) investis dans leur rôle, il nous embarque dans cette palpitante aventure ouvrière, qui est une aventure humaine, en révolte contre le capitalisme arrogant.
L'intrigue nous fait découvrir de manière assez fouillée le travail manuel en usine, à cette époque. Elle détaille aussi les tensions et les contradictions au sein de la classe ouvrière, entre Français et étrangers, entre immigrés anciens et ceux de fraîche date, entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux. Face à eux, le patronat apparaît dans toute sa vulgarité et sa misogynie, exploitant sans vergogne les classes populaires, mettant en œuvre un racisme systémique dans le monde du travail.
Les scènes de famille (absentes du livre) apportent un utile contrepoint aux péripéties de l'usine. Le réalisateur n'esquive pas le problème du statut de « l'infiltré », évitant de surcroît de faire du héros un homme parfait. Ses doutes et ses faiblesses nous sont présentés sans détour, parfois avec humour. La solidarité dont font preuve certains ouvriers leur permet de contester le joug capitaliste, sans que cela débouche toutefois sur une victoire totale. Mais l'essentiel était bien d'initier le mouvement.
C'est un grand film de société, à projeter dans toutes les écoles pour transmettre à notre jeunesse une vision objective du monde du travail qui les attend.
Comme ce qui est écrit ci-dessus ne correspond que partiellement à ce que j'ai vu sur l'écran, je me dois de compléter ce billet. Voici donc...
LA CRITIQUE DE DROITE
Mathias Gokalp, cinéaste médiocre qui n'est pas parvenu à percer, s'est jeté sur un livre culte de la gauche intellectuelle française pour tenter de relancer sa carrière. De L’Établi, il a modifié la structure et certains éléments clés pour servir un propos outrancier, dont on sent bien qu'il se rapporte plus à la France de 2022 qu'à celle de 1968 ou 1978.
Tout d'abord, parmi la série d'ateliers auxquels le héros a été affecté (d'après le livre), il en est un où l'on ne voit jamais Robert évoluer dans le film : la soudure. En revanche, il travaille au boulonnage/rivetage, à la sellerie et aux balancelles. Cela pourrait se justifier par la volonté d'écourter le film (qui dure déjà deux bonnes heures...) et, peut-être, par la difficulté de filmer un atelier de soudure, surtout avec des comédiens novices en la matière. D'un autre côté, cela conduit le cinéaste à nous présenter l'usine d'abord sous l'aspect du travail à la chaîne, le boulonnage évoquant immanquablement (chez le public cultivé) Les Temps modernes de Chaplin (où le rythme était cependant beaucoup plus élevé que chez Citroën).
Dans tous les cas, il est un détail d'importance qui a été modifié dans le film : la présence de gants. Dans le livre, à presque chaque poste l'ouvrier en bénéficie, alors que, dans le film, leur absence est un motif de revendication... et l'occasion de faire de belles images de « la momie », surnom donné à Robert à partir du moment où on le voit travailler les mains enveloppées dans des bandelettes de tissu.
D'autres éléments ont été tordus quasi systématiquement pour dénigrer un "camp" ou pour en survaloriser un autre. Ainsi, avant de tenter de revenir sur les concessions faites aux syndicats en mai 1968 (en faisant travailler les ouvriers trois quarts d'heure de plus chaque jour, sans augmentation de salaire), la direction de l'usine avait commencé par... réduire le temps de travail, la durée quotidienne passant de 10h à 9h15. (Mais de cela les spectateurs ne sont pas informés.)
La manière dont sont traités les immigrés, certes injuste, est bien plus dégueulasse dans le long-métrage. Le personnage d'un collègue noir de Robert (à la sellerie) est développé pour le film, uniquement pour pour mettre en scène le racisme (supposé) des cadres de l'usine. (Ceux-ci sont d'ailleurs présentés de manière plus nuancée dans le bouquin, même si certains d'entre eux ont droit à des qualificatifs injurieux.) La même tactique est utilisée pour décrire le renvoi de certains de ces immigrés des foyers où ils logeaient, pour briser leur participation à la grève. Dans le livre, ces ouvriers découvrent leurs valises faites à l'entrée, lorsqu'ils retournent au foyer, alors que, dans le film, leurs affaires sont balancées sans ménagement sur le sol, à la sortie de l'usine.
On pourrait aussi discuter de la nécessité de transformer un trio d'ouvriers masculins (yougoslaves) en trio féminin. Certes, cela permet d'introduire des questions intéressantes, mais celles-ci sont presque absentes du livre. (Le réalisateur aurait cependant pu introduire une scène concernant une ouvrière mère de famille, qui se fait bien voir de l'un des cadres. Dans le livre, Robert se montre compréhensif, à l'inverse de certains ouvriers.) Plus grave : pour éviter de nuire à l'image de certains ouvriers africains, le livre passe sous silence l'épisode au cours duquel l'un d'entre eux fait étalage de ses préjugés antisémites devant le héros.
Au final, l'adaptation du livre se rapproche plus d'une fiction de propagande que de la fidèle représentation d'une époque révolue.
vendredi, 28 avril 2023
Désordres
Une vallée située dans le canton de Berne semble être, dans les années 1870-1880, un centre de développement de l'idéologie anarchiste (à travers la Fédération jurassienne). On y croise des Russes, des Français, des Italiens, des Allemands... et, bien sûr, des Suisses, qui travaillent soit dans l'agriculture soit dans l'horlogerie, dominée par une grande entreprise familiale, qui semble quasi omnipotente dans le canton.
Les revendications politiques sont fortes, les tensions sociales intenses... mais tout cela s'exprime de manière feutrée. Ainsi, c'est courtoisement que le policier municipal demande à des militants au drapeau rouge de s'éloigner. C'est avec courtoisie qu'un duo de promeneurs désobéit à un autre policier. C'est tout aussi courtoisement qu'un groupe de militantes chante sa détestation du capitalisme et des patrons âpres au gain. La courtoisie n'est pas moindre quand un chef du personnel annonce leur licenciement à quatre ouvrières en horlogerie... et c'est sans faire de grabuge qu'elles quittent les lieux, après avoir reçu leurs indemnités.
Cela donne un tour quasi surréaliste à certaines scènes, d'une indéniable violence symbolique, mais très policées dans la forme.
... du moins c'est ainsi que je l'ai perçu. Une autre personne présente dans la salle a trouvé que les acteurs jouaient mal, toujours sur le même ton, avec un inconvénient supplémentaire : les scènes de groupe étant filmées en plan large, il faut en général un petit moment pour distinguer parmi les personnages présents quels sont ceux dont on est en train d'entendre le dialogue. Cela a le mérite de forcer les spectateurs à être attentifs à chaque plan. C'est donc un film qui se mérite.
Au centre de l'intrigue se trouvent les montres. La fabrication et la fixation de leurs rouages font l'objet de plans passionnants, tandis que le maintien de la "bonne" heure est l'obsession d'une partie de la population... d'autant que, dans la vallée, selon l'endroit où l'on se trouve, on est soit à l'heure de la gare (et du télégraphe), soit à celle de la fabrique (d'horlogerie), soit à celle de l'église... Il y a plusieurs minutes d'écart entre ces repères, ce qui n'est pas sans conséquence sur le temps de travail des ouvrières... et leur paie !
A l'arrière-plan se trouve le progrès technologique : la mesure du temps se précise et prend une place grandissante dans la vie quotidienne des Suisses, tout comme la photographie, le chemin de fer... et la cartographie. C'est l'activité qu'exerce Pierre Kropotkine, futur idéologue de l'anarchisme, qui découvre la région.
Le film est à la fois passionnant et déroutant, ressemblant parfois à du théâtre filmé.
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lundi, 24 avril 2023
La Conférence
Le titre de ce film allemand fait évidemment allusion à la Conférence de Wannsee, qui s'est tenue le 20 janvier 1942. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, dans la banlieue chic de Berlin, une brochette de cadres nazis discute de la déportation et de l'extermination des juifs, prudemment désignées par l'expression « Solution finale ».
Tous les participants sont des nazis convaincus, et ce depuis des années. Mais le film s'attache à montrer que deux profils se détachent : les SS (au premier rang desquels l'organisateur de la conférence, Reinhard Heydrich) et les "secrétaires", membres du gouvernement (et du NSDAP, le parti nazi), qui représentent un ministère, dont ils sont en général le numéro 2. Au contraire de certains SS et des gouverneurs des territoires envahis par le IIIe Reich, ces hauts fonctionnaires sont très diplômés : ils sont allés jusqu'à la thèse, ce qui fait qu'on se donne fréquemment du "Doktor" (ce qui équivaudrait à "Professeur", en français). Il est toutefois nécessaire de préciser que tout ce petit monde a achevé ses études secondaires et que presque tous ces hommes possèdent un diplôme de l'enseignement supérieur, sans être forcément allés jusqu'à la thèse. De ce fait, ils appartiennent à une "élite" (moins de 5% de la population), et une élite plutôt jeune, qui témoigne de l'adhésion massive des (anciens) étudiants allemands des années 1920-1930 aux idées nazies.
Les dialogues comme les interprètes excellent à nous faire sentir la morgue de ces nazis issus de l'université, à la fois arc-boutés sur les prérogatives de leur ministère et peu désireux de passer sous le commandement de ces brutes de SS, fût-ce pour se débarrasser des juifs. Par rapport au film, j'apporterai toutefois une nuance. Peut-être pour éviter de trop plomber l'ambiance, les scénaristes ont choisi de faire émerger un ou deux profils un peu plus « humanistes » (tout est relatif) que les autres. Je pense au contraire que tous les participants à cette réunion étaient des antisémites forcenés (plus ou moins policés dans leur manière de s'exprimer), que le sort des juifs n'émouvait aucunement.
Cette réunion a donc un fort enjeu de pouvoir. A qui revient de gérer « l'évacuation » et le « traitement spécial » des juifs ? (On notera l'utilisation d'euphémismes quasiment tout au long de la conférence.) L'ambitieux Heydrich (dont il est légitime de penser qu'il espérait succéder un jour à Hitler) veut que la SS (plus précisément le RSHA, l'Office central de la sûreté du Reich) soit maître d’œuvre dans cette opération. Il faut qu'il en convainque les autres participants, en maniant l'efficacité, la flatterie et, éventuellement, la menace. Ce n'est pas pour rien qu'il a à ses côtés son principal adjoint, le chef de la Gestapo, Heinrich Müller (très bien interprété par Jakob Diehl).
Au niveau des arguments "techniques", c'est un autre subordonné d'Heydrich, Adolf Eichmann (dont le rôle a été réévalué par les historiens) qui intervient. Je trouve que le comédien Johannes Allmayer réussit parfaitement à faire ressortir le mélange de technocratie et d'inhumanité qui caractérisait le personnage :
En face, du côté des "secrétaires", c'est le représentant du ministère de l'Intérieur qui se révèle le plus coriace. Ce n'est pas n'importe qui. Wilhelm Stuckart (Godehard Giese, excellent) est l'un des rédacteurs des lois de Nuremberg et, à l'époque du film, il est un peu considéré comme un ministre-bis, que Heydrich ne peut pas se permettre de traiter comme du menu fretin.
Il me reste à dire deux mots de l'interprète principal. Philipp Hochmair est chargé d'incarner le principal protagoniste (Heydrich), à une époque où il devient très puissant, mais quelques mois à peine avant qu'il ne se fasse assassiner. (Merci la résistance tchèque !)
Le film nous montre un manager du nazisme. Le régime, bien que pyramidal (avec Hitler à sa tête) et dictatorial, mettait en concurrence différents centres du pouvoir. Pour mener à bien son projet (l'extermination des juifs d'Europe), Heydrich a besoin de coordonner leur action. Pour assouvir son ambition, il doit les convaincre de le laisser diriger cette entreprise. L'acteur est convaincant dans le rôle du manager charismatique, mais il rend presque son personnage sympathique. Il n'apparaît pas assez impitoyable à mon goût. Bien que s'exprimant dans une autre langue que l'allemand, Jason Clarke m'a semblé plus percutant dans HHhH.
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jeudi, 20 avril 2023
C'est mon homme
J'ai longtemps hésité avoir d'aller voir ce film. Pourtant, le sujet (celui d'un poilu revenu amnésique de la Première Guerre mondiale) m'intéressait, mais je ne lisais et n'entendais que des critiques mitigées.
J'ai fini par tenter ma chance... et je ne le regrette pas.
Le film nous prend dès le début par une scène en apparence anodine (un couple qui vient se faire photographier chez une professionnelle), mais dont le sel n'apparaît que lorsque les amoureux se déplacent. Le dialogue précédent prend alors une autre saveur.
J'aime l'ambiguïté créée autour du passé du "héros". Le réalisateur nous fait d'abord suivre l'épouse photographe (Leïla Bekhti, très bien), avant que ne débarque l'épouse danseuse de cabaret (Louise Bourgoin, tout aussi convaincante dans un autre registre). On penche tour à tour pour telle ou telle... tout comme l'amnésique, un peu timide au départ, mais qui se laisse ensuite volontiers séduire par les deux !
Je sais que certains spectateurs sont sortis de la salle sans avoir tranché entre les deux épouses, alors qu'à mon avis, la mise en scène et le montage font pencher la balance d'un côté. L'ambiguïté persiste peut-être en raison du jeu de Karim Leklou, sobre, qui paraît presque étranger à sa propre vie.
J'ai aussi apprécié que l'intrigue joue avec les "valeurs" de l'époque. On s'attend à ce que le soldat, recouvrant peu à peu la mémoire, choisisse forcément de retourner auprès de sa légitime épouse. Mais la raison de son choix peut être tout autre : l'intérêt personnel (Quelle vie lui semble la plus intéressante : celle avec la photographe ou celle avec la danseuse ?)... ou l'amour inattendu, celui qui naît entre deux étrangers qui, sans la guerre, ne se seraient pas rencontrés.
J'ai été pris par cette histoire, pas flamboyante certes, mais qui, par petites touches, dit beaucoup de choses de l'humanité.
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samedi, 15 avril 2023
Chili 1976
Avant de passer derrière la caméra, Manuela Martelli a été actrice, notamment dans Mon Ami Machuca, dont l'action se déroule en 1973, au tout début de la dictature d'Augusto Pinochet.
Elle a choisi de planter son intrigue trois ans plus tard, alors que le régime est installé, la surveillance de la population bien en place... et la répression aussi discrète qu'efficace.
Pourtant, le début de l'histoire semble loin de ces préoccupations politiques. On suit une famille de la grande bourgeoisie, l'épouse du médecin chef d'un hôpital de Santiago supervisant les travaux d'embellissement de leur résidence secondaire, sur la côte Pacifique. La maîtresse de maison voudrait que tout soit prêt pour l'anniversaire de l'une de ses petites-filles. Tout cela ne nous est pas dit frontalement, mais suggéré au fur et à mesure des scènes, par petites touches. C'est l'un des grands mérites de ce film que de ne pas sombrer dans un didactisme pesant, tout en étant très engagé.
L'autre grand atout de cette histoire est la comédienne Aline Küppenheim, présente -je crois- dans toutes les scènes, à travers son personnage de Carmen. L'épouse distinguée a du temps libre, qu'elle consacre à sa maison, ses petits-enfants... et aux nobles causes que lui suggère le prêtre progressiste du coin. Bien que d'apparence assez épanouie, elle n'est pas fondamentalement heureuse : elle a jadis renoncé à ses études de médecine pour devenir mère au foyer et elle suit depuis plusieurs années un traitement contre la dépression. Un jour, le service particulier que lui demande le prêtre va donner un sens à sa vie.
A la chronique sociale du début (mettant discrètement en scène certaines inégalités de richesse) succède un quasi film d'espionnage, qui fait parfois sourire, mais au cours duquel on sent tout de même progressivement monter la tension. De coups de téléphone discrets en rendez-vous secrets, la bourgeoise prend de plus en plus de risques...
C'est passionnant. Dans la salle, la ribambelle de vieillard(e)s pipelet(te)s a fermé son clapet dès le début, pour ne le rouvrir qu'au générique de fin. C'est dire.
A signaler le rôle de la musique d'accompagnement. Elle n'est heureusement pas omniprésente, plutôt savamment dosée... et ce n'est pas une musique d'époque, mais contemporaine, qui se marie bien avec l'intrigue.
P.S.
La Peugeot 404 que l'on voit l'héroïne conduire était, à l'époque, passée de mode en France... mais sa production continuait dans plusieurs pays étrangers, en particulier en Argentine, d'où devait venir le modèle acheté par le mari de Carmen.
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dimanche, 09 avril 2023
Le Capitaine Volkonogov s'est échappé
Moins de trois ans après L'Ombre de Staline, centré sur la famine en Ukraine, la répression stalinienne est de nouveau à l'écran, dans cette fiction à caractère historique, une coproduction internationale tournée en russe... mais qui n'a pas été diffusée en Russie.
La première partie nous fait découvrir le capitaine Volkonogov : c'est un cadre du NKVD (ancêtre du KGB) de Leningrad, athlétique, plein d'avenir. Il est plutôt beau gosse, fier dans son uniforme... et il sait se faire craindre. Le problème est qu'en cette époque de Grande Terreur stalinienne, les purges touchent aussi le Parti communiste et ses satellites. Le jour même, Volkogonov voit son supérieur se suicider et ses collègues de la brigade subir un entretien inquisitorial. Il décide de s'enfuir avant que ne vienne son tour.
C'est d'abord un polar historique, avec pour toile de fond un régime totalitaire parmi les plus horribles que la Terre ait connus. Au NKVD, on sait tuer vite et pas cher, on n'a pas besoin de moyens hyper-sophistiqués pour faire avouer un suspect coupable... et l'on est devenu expert en disparition de cadavres.
(Je trouve intéressant que, dans une fiction destinée a priori à un public non spécialiste, on ait intégré à ce point les résultats de la recherche historique.)
Mais ce n'est là qu'un arrière-plan. La deuxième partie (plus longue) met en scène, de manière parfois virtuose, la quête de Volkogonov (qui cherche à se faire pardonner ses crimes pour ne pas finir en enfer) et la traque dont il est l'objet de la part d'un commandant cancéreux. Sa quête débute à l'issue de l'enterrement de cadavres, pour lequel le NKVD a réquisitionné des vagabonds et des passagers des transports en commun. Sans le savoir (au départ), Volkogonov (dont l'identité est inconnue des autres) participe à l'enfouissement de ses anciens camarades ! La séquence est saisissante, tout comme le surgissement d'un rescapé.
C'est à l'occasion de la rencontre des proches de ses anciennes victimes que Volkonogov se rappelle ses "exploits" et nous permet de toucher du doigt l'abjection du régime qu'il a servi. Ces séquences sont particulièrement marquantes, qu'il s'agisse de l'ouvrier plaisantin, du bureaucrate soupçonneux, de l'enfant questionneuse ou de l'épouse statufiée. On prend une sacrée claque !
C'est de surcroît brillamment mis en scène. En deux plans trois mouvements, le duo de réalisateurs nous fait comprendre ce que sont l'oppression, la crainte, le désespoir, le sentiment d'injustice. Les décors sont particulièrement réussis.
Même s'il y a quelques longueurs, même si certaines scènes sont à la limite du soutenable, je recommande vivement ce film, une véritable œuvre d'art au service d'une vérité historique pas suffisamment enseignée.
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samedi, 01 avril 2023
The Lost King
Ce « roi perdu » est Richard III, le dernier souverain Plantagenêt (d'origine française) de l'Angleterre. Outre-Manche, dans la mémoire collective, il est resté comme un imposteur et le personnage principal d'une pièce de théâtre de William Shakespeare, durant laquelle il s'exclame « Mon royaume pour un cheval ! »
C'est d'ailleurs à l'issue d'une représentation de cette pièce que l'héroïne, Philippa Langley, décide d'approfondir le sujet, agacée par la légende noire qui colle au personnage, avec lequel elle semble se trouver des points communs.
Le problème (au regard des autres) est qu'elle n'a rien d'une historienne. C'est juste une passionnée, qu'une forme de désamour vis-à-vis de son métier conduit à se lancer dans une improbable entreprise : la localisation de la tombe de Richard III, réputée perdue. Ses recherches la font évoluer entre Édimbourg (en Écosse) et Leicester.
Dans le rôle principal, Sally Hawkins (déjà excellente dans La Forme de l'eau) est épatante. Elle réussit à incarner cette femme entre deux âges, ni laide ni vraiment belle, plutôt effacée et souffrant du syndrome de fatigue chronique... ce qui ne va pas arranger ses affaires.
Avec John (Steve Cogan, coscénariste du film, d'un flegme irrésistible), elle forme un couple/duo au fonctionnement atypique, l'ex-mari jouant parfois davantage le rôle d'un grand frère.
Cela nous vaut quelques échanges savoureux, l'un d'entre eux survenant après que Philippa a appris qu'en dépit de son engagement au travail, elle ne bénéficierait pas d'une promotion :
- De quoi as-tu besoin ?
- D'un pénis !
- Tu peux prendre le mien, il ne m'est guère utile ces temps-ci.
(C'est évidemment à déguster en version originale sous-titrée, pour profiter du talent de Cogan à exprimer l'équanimité de John, que rien ne semble déconcerter et qui, sur un ton égal, peut parler du repas du soir comme de son prochain rendez-vous galant.)
La situation se gâte lorsque Philippa commence à avoir des visions, celles de Richard III, en costume médiéval, avec lequel elle finit par engager la conversation ! C'est totalement improbable, mais Stephen Frears (ici celui de Philomena plus que du Confident royal) réussit à caser cela dans son intrigue, qui évolue entre deux dimensions, celle d'un réalisme extrême (jusque dans les recherches archéologiques) et celle d'un (doux) délire éveillé, grâce auquel l'héroïne retrouve goût à la vie.
Dans sa croisade historique, elle rencontre une galerie de personnages hauts en couleur, notamment les membres de la Richard III Society, avec lesquels les échanges ne manquent pas de saveur. Au détour d'une scène, on croise quelques figures connues, comme celle d'Amanda Abbington (vue récemment dans Safe et remarquée il y a quelques années en tant que Mary Watson, dans la série Sherlock).
J'ai adoré ce film, à la fois enquête archéologique, histoire de couple à rebondissements et hommage aux personnes ordinaires, passionnées par un sujet, qui, parfois, font plus pour la connaissance historique (et sa diffusion dans le grand public) qu'un universitaire pontifiant.
P.S.
Aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, il s'agit d'une histoire vraie, dont les développements archéologiques ont fait l'objet d'un passionnant documentaire, diffusé il y a quelques années sur France 5.
A l'époque, les médias avaient peu (voire pas) évoqué le rôle joué par Philippa dans la découverte du squelette. Le film a pour objectif de lui rendre hommage... sans épargner les autorités académiques (en particulier l'université de Leicester), qui ont traité la découvreuse comme quantité négligeable. Outre-Manche, cela a d'ailleurs suscité une petite polémique lors de la sortie du film, certains estimant que la contribution de la « chercheuse intuitive » était excessivement grandie par la fiction.
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samedi, 25 mars 2023
La Syndicaliste (le livre)
Rédigé par la journaliste de L'Obs Caroline Michel-Aguirre (qui, à l'époque, a suivi une partie de l'affaire), ce livre-enquête a visiblement inspiré les scénaristes du film. Il n'est donc pas illogique que sa sortie en poche soit illustrée d'une image issue de celui-ci.
A celles et ceux qui n'ont encore vu le film, je précise que l'image est extraite de la première partie, d'une scène se déroulant en Hongrie, où se rend l'héroïne, afin que les femmes licenciées par le sous-traitant local d'Areva bénéficient de conditions dignes.
C'est le principal avantage du livre, dans ce cas-ci comme dans d'autres : il développe davantage certains aspects sur lesquels le film passe plus brièvement. Ainsi, on en sait plus sur le contexte politique du conflit, les arcanes des rivalités au sommet de l’État mais aussi dans le petit monde de l'industrie nucléaire. La sensibilité "de gauche" de Maureen Kearney (« guerrière courageuse ») est plus apparente : elle avait pris sa carte du PS en 2011.
La journaliste a aussi été sensible à ce qu'on pourrait appeler une « connivence de classe » au cours de son enquête. Élus, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs du privé, patrons, médecins et magistrats sont parfois dépeints comme issus du même milieu, limite parlant la même langue. On sent qu'au-delà du propos féministe, Caroline Michel-Aguirre veut aussi dire que Maureen Kearney a été incomprise parce que ne venant pas du même monde que les personnes qui l'ont interrogée, à divers degrés.
On comprend encore pourquoi l'un des aspects importants de sa vie personnelle a été passé sous silence dans le film : les agressions subies par son fils aîné. Dans le long-métrage, on ne voit explicitement que le second enfant, la fille étudiante.
Concernant les adversaires de la syndicaliste, on ne découvre rien de particulier sur le PDG d'Areva... et absolument rien de négatif sur sa prédécesseure, alors que le film se montre plus ambigu sur la manière dont celle-ci s'est comportée. C'est surtout intéressant quand il est question d'EDF, de son PDG de l'époque (Henri Proglio)... et de celui qui est présenté comme son bras droit (pas mentionné dans le film). Directeur de la branche Asie-Pacifique, il vivait à mi-temps entre la France et la Chine. (Il a été mis fin à ses fonctions chez EDF en 2016.)
Le cinéphile que je suis trouve toujours de l'intérêt à comparer une œuvre écrite à son adaptation sur grand écran. J'aime voir comment on a modifié, ajouté ou supprimé des détails et essayer de comprendre pourquoi.
Ainsi la topographie de la maison où l'agression de Maureen Kearney a été commise est légèrement différente. Peut-être n'a-t-on pas réussi à trouver l'équivalent pour le tournage... ou peut-être, en situant le viol dans une sorte de cave, a-t-on voulu en accentuer l'aspect sordide.
Autre modification importante : la rencontre avec la première victime d'agression, l'épouse d'un ancien cadre supérieur de Veolia. Dans le film, c'est l'héroïne qui va à sa rencontre. Dans le livre, c'est la journaliste. Je pense qu'évacuer ce personnage-ci rendait l'intrigue plus lisible, et permettait de davantage mettre en valeur Maureen Kearney.
L'édition de poche est enrichie d'une préface inédite. On y trouve aussi une postface signée Pierre Péan, qu'il avait sans doute rédigée peu de temps avant sa mort.
jeudi, 23 février 2023
Natural Light
Inspiré d'un roman et de journaux écrits par des soldats de l'époque, ce film hongrois a pour cadre l'invasion de l'URSS par l'armée allemande et ses alliés, durant la Seconde Guerre mondiale. L'action se déroule en 1943, donc à un moment où le conflit est en train de basculer.
Durant 1h40, on ne verra toutefois ni uniforme de la Wehrmacht, ni uniforme de l'Armée rouge. A l'écran ne sont présents que des militaires hongrois et des civils ukrainiens... certains d'entre eux soutenant la résistance soviétique (ce sont des partisans).
La "lumière naturelle" évoquée par le titre (aussi bien en magyar qu'en anglais... du coup, pourquoi ne pas l'avoir traduit en français ?) est à double sens. Pour les spectateurs, c'est d'abord, de manière évidente, une référence à la manière dont le film a été tourné, en utilisant la lumière du soleil et, parfois, l'éclairage rudimentaire présent dans les habitations. Cela donne une ambiance austère et naturaliste à la plupart des scènes. Le résultat témoigne d'un réel tour de force, le réalisateur (Dénes Nagy) s'appuyant sur cette contrainte pour tourner ses scènes.
Tantôt c'est caméra à l'épaule qu'il suit le défilé de soldats, plus ou moins perdus dans ces forêts humides d'Europe de l'Est, qui semblent recéler nombre de pièges. Tantôt la caméra est posée dans la rue, ou à l'intérieur d'un bâtiment, dévoilant furtivement tel ou tel élément, le hors-champ jouant un rôle non négligeable dans la construction des plans.
Le non-dit est aussi très présent. Il est utilisé pour faire comprendre à quel point la situation des civils est précaire, coincés qu'ils sont entre les exactions des occupants et la crainte de représailles de la part des partisans s'ils se montrent trop accommodants avec les Hongrois, quand bien même certains d'entre eux se comporteraient de manière correcte.
C'est je pense l'autre sens de cette "lumière naturelle", ce fond humaniste qui tenaille le héros, Semetka, un type taiseux et obéissant devenu sous-officier. Par sa rectitude, il a gagné le respect de ses hommes. Par sa docilité, il a gagné la confiance de ses supérieurs. En clair, quoi qu'il pense, il ne la ramène pas... mais cela ne l'empêche pas, de temps à autre, de faire preuve d'indulgence et d'avoir, vis--vis des civils, le petit geste qui ne changera pas le cours de la guerre, mais rendra leur quotidien un peu moins exécrable.
Ainsi, il ne dénonce pas la petite combine d'une habitante, une jeune femme régulièrement violée par ses supérieurs... mais il ne consomme pas son port-de-vin, ayant peut-être un doute sur le rôle que joue le jeune homme qu'elle nourrit secrètement. Il fait aussi en sorte d'améliorer la situation des habitants rassemblés dans la grange, contre lesquels il n'envisage aucune mesure de rétorsion. Enfin, envoyé en patrouille hors du village, il fait semblant de ne pas voir une habitante en fuite, cachée dans ce qui semble être une tourbière, dans une scène saisissante, sans dialogue, au cours de laquelle on se demande longtemps si la jeune femme est morte et si le soldat hongrois l'a bien vue.
C'est hélas un film qui ne rencontre pas son public, alors que c'est pour moi l'un des meilleurs que j'ai vus en ce début d'année 2023.
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mardi, 21 février 2023
Emmett Till
Le film aurait plutôt dû s'intituler "Le Combat d'une mère", tant c'est ce personnage-là (Mamie Till-Mobley) qui occupe l'écran, même si le drame a d'abord frappé son fils Emmett.
Le début est une reconstitution soignée du Chicago de 1955. Les tons sont chauds. Une partie de la population afro-américaine a acquis une relative aisance matérielle, tout en bénéficiant (en théorie) des mêmes droits que les Blancs. Une scène dans un grand magasin est toutefois chargée de nous rappeler que cela passe moyennement auprès d'une partie de la population. Dans le Sud ségrégationniste, c'est bien pire, puisque les meurtres de "nègres" y sont en augmentation, dans un contexte d'incitation à voter aux élections.
C'est très proprement mis en scène, avec de belles couleurs, de beaux costumes, auxquels ne manque aucun bouton. C'est plutôt bien joué, avec cependant une énorme réserve : le personnage principal, celui de la mère, semble, comme les spectateurs, s'attendre à la suite. Je veux bien qu'une mère afro-américaine s'inquiète de ce qui pourrait arriver à son fils parti en vacances dans le Mississippi, mais, tout de même, c'est trop appuyé. C'est d'autant plus regrettable que la comédienne, Danielle Deadwyler, est remarquable tout au long du film. Elle campe une femme indépendante, une veuve d'abord préoccupée par sa vie de famille, mais que le destin va conduire à faire d'autres choix.
Le premier moment fort (en terme de mise en scène) est la séquence clé de l'épicerie, où le gamin va commettre un acte presque bénin, pas très malin certes, mais qui ne méritait pas de susciter un tel déchaînement de violence.
Notons que si le film est parfois un peu biaisé sur certains détails (sur lesquels je reviendrai), il évite de montrer le lynchage qu'a subi le jeune Emmett. On entend (un peu) ce qu'il lui arrive, avant, assez tard, de découvrir les conséquences du lynchage. Parce que le sujet du film n'est pas tant l'immonde traitement infligé au gamin que la douleur de sa mère et le combat qu'elle a mené, qui a contribué à lancer le mouvement des Droits civiques.
Ici aussi, je suis partagé. Je trouve surjouée la scène d'arrivée du cercueil à la gare, avec de surcroît une représentation très "genrée" du deuil, les femmes se montrant particulièrement expressives, alors que les hommes ne manifestent quasiment pas d'émotion (seuls les jeunes cousins sont au bord des larmes). En revanche, j'ai beaucoup aimé la scène de la morgue, en particulier le moment où la mère se retrouve seule avec le cadavre de son fils. Les spectateurs sont confrontés aux conséquences du massacre, à l'image de ce qui va se produire ensuite auprès du grand public, la mère ayant décidé de procéder aux funérailles cercueil ouvert. Celles-ci sont bien mises en scène, malgré là encore une tendance au pathos.
La suite est passionnante, autour de l'organisation du soutien à Mamie et de la préparation du procès. D'après les images publiées dans Life, la reconstitution est très fidèle, jusque dans le choix des figurants (composition du public et membres du jury). Je laisse à chacun le loisir de découvrir comment cela se conclut.
P.S.
J'en viens maintenant à mes réserves concernant les petites "retouches" effectuées à l'histoire d'origine. L'opinion des spectateurs est d'abord guidée par les choix des acteurs. Dans le film, souvent, on a privilégié des comédiens qui ressemblaient aux personnages... sauf pour deux femmes : Mamie (la mère) et Carolyn Bryant (la commerçante, dont on sait maintenant qu'elle a menti au procès). Pour incarner la première, on a volontairement choisi une très belle femme (plus "sexy" que la Mamie d'origine).
A l'inverse, pour la commerçante, on a choisi une représentation qui la dévalorise quelque peu : elle est surmaquillée et engoncée dans une robe moche, alors que la Carolyn Bryant d'origine était une ancienne reine de beauté :
On a volontairement enlaidi la comédienne Hayley Bennett (vue notamment dans Equalizer).
Sur le fond, le scénario a choisi de privilégier l'hypothèse la plus favorable au gamin qui, dans le magasin, se serait contenté de siffler la commerçante, après lui avoir parlé. (Même si, dans la réalité, il s'est peut-être montré un peu plus familier, cela ne justifie en rien ce qu'on lui a infligé ensuite.)
Il y aurait aussi des choses à dire sur certains personnages masculins. Le père (décédé) d'Emmett est présenté comme un combattant de la Seconde Guerre mondiale, qui a donné sa vie pour son pays. On a su après le procès que sa mort ne fut peut-être pas si glorieuse que cela. A l'inverse, le film se garde bien de préciser que les auteurs du lynchage (Bryant et son demi-frère), sont eux aussi des vétérans, l'un d'entre eux même décoré. Cela n'excuse en rien leur geste abominable, mais cela nous confirme que les concepteurs du film ont effectué des choix, dans un but précis... et il est atteint : le film est marquant et l'on sort de là bouleversé.
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samedi, 18 février 2023
Titina
Le héros éponyme est... une chienne abandonnée, qu'un ingénieur italien recueille, dans les années 1920, en pleine période fasciste. Cet Umberto Nobile est marié, a une fille, qui se réjouit de l'arrivée de l'affectueux animal dans la famille. Son nom lui a été donné en référence à une chanson populaire (Je cherche après Titine), qui a connu de multiples versions, l'une d'entre elles ayant été interprétée (à sa manière) par Charlie Chaplin dans Les Temps modernes.
Le concepteur italien de dirigeables est engagé par l'explorateur norvégien Roald Amundsen (découvreur du pôle sud), qui voudrait être le premier à parvenir au pôle nord par ce moyen de transport.
Ce film d'animation norvégien prend la forme d'un semi-documentaire, composé de dessins et d'images d'actualité (parfois saisissantes). On pouvait s'attendre à ce qu'il donne le beau rôle à Amundsen... eh bien pas du tout, puisque c'est l'Italien qui est à l'honneur, notamment parce qu'il emmène la chienne dans ses pérégrinations.
Toute cette histoire nous est présentée sous la forme d'un grand retour en arrière, le film débutant chez un Umberto très âgé, dont la petite fille vient s'occuper. Bien qu'il y ait près de cinquante ans d'écart entre cette scène et le voyage en dirigeable, la chienne nous est montrée encore vivante... ce qui est impossible. Mais, à la toute fin, quand on est de retour dans l'appartement, on comprend que cette présence n'était peut-être qu'une illusion.
Le début est savoureux pour la vision ironique du (premier) fascisme qu'il nous livre, Mussolini ressemblant presque à un personnage de manga, avec sa tête disproportionnée.
La rencontre entre les Italiens et les Norvégiens ne manque pas de sel non plus, les premiers, tactiles et enjoués, contrastant avec les seconds, distants et réservés. Les deux équipes vont plus ou moins fraterniser... avant qu'une certaine rivalité n'émerge, autour de la paternité de la découverte du pôle nord. Le film, bien que norvégien, met, dans un premier temps, davantage en valeur Nobile, ingénieur méticuleux très attaché à sa chienne, face à un Amundsen très imbu de sa personne.
Cela devient un véritable roman d'aventures, un peu à la Jules Verne, avec des éléments déchaînés, des humains courageux... et une baleine amicale.
Le ton change ensuite, la comédie cédant la place à une histoire plus triste. Les anciens associés sont devenus rivaux. Si Amundsen garde son tempérament, Nobile est montré comme plus renfermé, orgueilleux. Je laisse à chacun le soin de découvrir comment cela se termine.
Le dessin m'est apparu assez simple, peu raffiné, convenant plutôt à des enfants. J'ai en revanche beaucoup aimé la musique d'accompagnement, qui entremêle des airs traditionnels italiens, du jazz et au moins une mélodie que j'avais déjà entendue dans The Grand Budapest Hotel.
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lundi, 06 février 2023
Radio Metronom
Bucarest, automne 1972. La Roumanie (adulte) vit au rythme de la finale de coupe Davis, qui oppose les locaux (conduits par Ilie Nastase) aux Américains (menés par Stan Smith). De leur côté, des lycéens en apparence sages, portant l'uniforme scolaire, s'ennuient ferme dans le (prétendu) paradis communiste de Nicolae Ceausescu. Au-delà de leurs différences, leur goût pour la musique anglo-saxonne (pop-rock) les réunit. Ils prévoient de se retrouver un soir, dans le grand appartement d'une fille de bourgeois, pour écouter cette musique occidentale honnie... et écrire au programme roumain de Radio Free Europe, le média de contre-propagande financé par la CIA et le Congrès des États-Unis.
En dépit de l'intérêt que revêt la reconstitution de l'époque, à l'image des protagonistes, on s'emmerde un peu dans cette première partie. La caractérisation des personnages ne suffit pas à nous extraire de la torpeur grisâtre qui imprègne le film.
L'intérêt rebondit dès le début de la soirée estudiantine. Les jeunes se lâchent un peu, boivent de l'alcool, écoutent de la bonne zique, dansent... voire baisent. Écrit ainsi, cela semble mécanique, mais c'est bien amené et bien joué. Je retiens aussi deux bonnes blagues roumaines, tournant en dérision le dictateur Ceausescu. Voici la première :
Voulant savoir pourquoi le timbre à son effigie se vendait très peu, le dictateur se rend incognito dans un bureau de poste. Un employé lui répond que les timbres ne collent pas. Surpris, Ceausescu en prend un, crache au dos et le place sur une enveloppe, où il se fixe sans problème. Il le fait remarquer à l'employé, qui lui répond que les usagers ont tendance à cracher sur l'autre côté du timbre...
Allez, puisque vous avez été sages, voici la seconde :
A son arrivée aux États-Unis, à la douane, un exilé roumain ouvre ses bagages. L'un de ses amis remarque qu'il s'y trouve un portrait du dictateur honni et s'en étonne auprès de son camarade. Celui-ci lui répond qu'il a voulu prendre ce portrait pour se garantir contre le mal du pays. Dès qu'il sent celui-ci le gagner, il regarde le portrait et perd alors toute envie de retourner en Roumanie...
L'arrivée de la redoutée Securitate vient "pimenter" la soirée étudiante. Les jeunes vont se retrouver confrontés à un système coercitif qui, pour employer des moyens qu'on qualifierait aujourd'hui d'artisanaux, n'en est pas moins diablement efficace. C'est incontestablement la séquence la plus marquante du film.
C'est aussi le moment où l'héroïne connaît son éveil politique. Cette aventure va sceller son destin, faire d'elle une femme adulte, sur le plan sentimental comme civique, le tout accompagné d'un fort recul critique vis-à-vis de ses parents.
En dépit de quelques mollesses, cet éveil sensuel et intellectuel d'une adolescente en pleine période dictatoriale ne manque pas d'attrait.
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samedi, 04 février 2023
Vaincre ou mourir
Le titre de cette fiction à caractère documentaire est un décalque de deux devises révolutionnaires : "Vivre libre ou mourir" et "La liberté ou la mort", cette dernière étant celle du club des Jacobins. Je pense que ce n'est pas un hasard, puisque le film dénonce l'action du gouvernement français, principalement à l'époque où les Jacobins étaient au pouvoir (1793-1794).
C'est le principal apport du long-métrage : mettre en scène les crimes de guerre commis par les armées de la République lors des conflits qui ont embrasé l'ouest de la France métropolitaine (la Vendée bien sûr, mais aussi les départements limitrophes et, un peu plus tard, la Bretagne avec la chouannerie). C'est donc parfois violent à l'écran, mais c'est hélas justifié. Le problème, sur le plan historique, vient de l'introduction (sous forme d'interventions d'historiens ou de personnes présumées telles) : même si le mot "génocide" n'est pas prononcé, le propos liminaire comme certains détails de scènes ultérieures ne laissent aucun doute quant à la thèse défendue par le scénario, une thèse rappelons-le à laquelle ne souscrit aucun chercheur sérieux.
Pour certains, cela suffit à disqualifier totalement le film, au point de ne lui reconnaître aucune qualité. Ce n'est pas mon avis. D'abord, je trouve parfaitement légitime de montrer sur grand écran les horreurs auxquelles la guerre civile a pu mener. La Révolution a sa face noire, qu'il convient de ne pas dissimuler, d'autant que je ne suis pas persuadé que les leçons de cette époque aient été retenues par certains républicains radicaux du XXIe siècle.
C'est de surcroît plutôt bien joué. Hugo Becker est très crédible en François-Athanase Charette. Un œil avisé reconnaîtra autour de lui quelques acteurs confirmés, dans des rôles de Vendéens révoltés ou de républicains. Du côté féminin, je pense que les spectateurs seront peut-être surpris de rencontrer des "amazones", ces royalistes (souvent d'extraction noble) qui ont combattu aux côtés des insurgés. (Dans le film, elles sont toutes mignonnes...) Les épisodes guerriers ne sont pas indignes, loin de là. On nous montre assez bien la différence entre la première partie de la révolte, au cours de laquelle les Vendéens ont tenté de mener une guerre classique, et la seconde période, marquée par de petits coups de force, une guérilla du bocage qui, à l'écran, a un petit air de maquis de la Seconde Guerre mondiale, les troupes républicaines jouant le rôle d'une occupation nazie avant l'heure... (A ce sujet, une scène de destruction de village me semble mise en scène de manière à évoquer le massacre d'Oradour-sur-Glane.)
L'un des problèmes vient toutefois du choix de placer Charette au centre de l'histoire, alors qu'il n'a longtemps été qu'un acteur annexe du conflit vendéen. De plus, ce n'était sans doute pas le meilleur des généraux insurgés... à tel point qu'on a pu lui reprocher d'avoir fait échouer plusieurs opérations des rebelles. Enfin, sur le plan visuel, je n'ai pas trouvé emballantes les scènes de questionnement personnel, tournées sur fond noir. En dépit du talent du comédien, l'intériorité du personnage n'a pas grand chose d'intéressant.
Concernant le camp républicain, le début du film m'a fait un peu peur, tant c'était unilatéral. Durant la deuxième partie, cela devient plus nuancé.
Je suis sorti de la séance assez partagé.
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vendredi, 03 février 2023
Interdit aux chiens et aux Italiens
Cette formule, qui fleure bon la xénophobie ségrégationniste, est le titre d'un étonnant film d'animation, tourné avec la technique du stop motion, que l'on a déjà vue à l’œuvre dans Junk Head, L'Ile aux chiens ou encore Le Sens de la vie pour 9,99 $.
En moins d'1h15, on nous conte l'histoire de quatre générations d'une famille franco-italienne, des arrière-grands-parents piémontais au "petit" dernier, le réalisateur du film, Alain Ughetto. On l'aperçoit à peine, mais on voit souvent sa main ou son avant-bras intervenir dans l'histoire, soit pour monter un élément de maquette, soit pour interagir avec l'un des personnages, des poupées qui figurent les membres de sa famille.
J'ai beaucoup aimé ce procédé, qui pourrait sembler artificiel de prime abord, mais qui apporte souvent une touche d'humour salutaire dans une histoire parfois très triste.
C'est d'abord la grande pauvreté qui frappe la famille, poussant les jeunes adultes de la deuxième génération à tenter leur chance de l'autre côté des Alpes, en France. Une carte disponible dans le dossier de presse (téléchargeable sur le site de la maison de production) donne une idée de l'ampleur des déplacements du grand-père du cinéaste :
Très (trop) souvent, les Italiens pauvres venus travailler en France sont l'objet de moqueries ou d'insultes. L'auteur ne s'appesantit cependant pas dessus. Les efforts de Luigi lui ont permis de devenir contremaître et la famille a pu s'installer dans son petit coin de paradis, en France, assez loin du fascisme naissant, pensait-on.
La guerre a toutefois plusieurs fois rattrapé les Franco-Italiens, d'abord celle de 1914 (qui a vu mourir deux des grands-oncles du cinéaste, côté italien), puis celle de 1940. (C'est à ce sujet que j'ai un regret : une certaine confusion dans la chronologie des événements, l'un des hommes semblant prendre le maquis dès 1940, pour échapper à une occupation italienne puis allemande qui n'est venue que plus tard.)
Fort heureusement, l'humour est présent au cours des périples familiaux. Cela passe notamment par le regard des enfants, ou une anecdote particulièrement bien mise en scène, comme l'arrivée de l'électricité au "Paradis".
Le plus souvent, l'histoire nous est racontée par l'intermédiaire de la grand-mère Cesira, à qui la comédienne Ariane Ascaride prête sa voix.
Les spectateurs attentifs remarqueront le soin apporté aux détails, pour un rendu qui a dû demander un travail de fou.
C'est un film à voir, si vous en avez l'occasion.
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dimanche, 29 janvier 2023
La Guerre des Lulus (le film)
Il s'agit de l'adaptation de la bande dessinée à succès, plus précisément des trois premiers tomes, avec quelques modifications.
Celles-ci sont visibles dès le début. J'ai bien aimé l'accent mis sur la forme d'abandon que connaît Ludwig (dont le scénario accentue le côté intello, ce qui est plutôt bien vu). Son arrivée à l'orphelinat est l'occasion de mettre en scène le harcèlement dont les jeunes peuvent être victimes, à l'époque comme aujourd'hui. Là aussi, cet ajout à l'histoire d'origine est bienvenu. De plus, dans le rôle de l'instituteur, Alex Lutz est convaincant.
En revanche, je n'ai pas du tout apprécié la manière dont les personnages de Lucien et Luce ont été modifiés. On les a vieillis pour en faire des adolescents (dès 1914) et introduire une idylle à rebondissements, très maladroite. Le Lucien de la bande dessinée est moins crétin que le "bogosse" égocentrique du film... et, surtout, Luce est moins superficielle. La jeune Paloma Lebeaut a heureusement un peu de charisme et contribue à rendre son personnage intéressant.
Mes préférés sont Luigi et Lucas. Le premier reste le glouton de la BD, un costaud pas très subtil qui se révèle très utile dans des circonstances difficiles. L'humour vient aussi du benjamin de la bande, un petit gars qui en a marre de ne jamais être écouté... et parfois oublié par les autres. A la longue, c'est toutefois un peu agaçant.
Parmi les adultes que la troupe rencontre, les plus intéressants sont incontestablement Hans, le soldat allemand déserteur (comme dans la BD) et l'espèce de sorcière qui vit seule en forêt. Celle-ci est incarnée par Isabelle Carré, qui joue une figure maternelle atypique.
La suite est malheureusement moins réussie. Certaines péripéties ne sont pas crédibles et le jeu de certains acteurs pas toujours convaincant. (Par exemple, la référence à La Grande Vadrouille tombe à plat, tant la copie fait pâle figure en comparaison de l'original.) Le pire est atteint dans la séquence des tranchées, totalement invraisemblable. (Ces derniers temps, entre ce film et le médiocre Tirailleurs, on n'est décidément pas gâté question véracité historique.)
Le passage par le familistère de Guise m'a aussi déçu. Enfin, la conclusion de l'histoire est tirée par les cheveux. On a essayé de la faire concorder avec la bande dessinée, mais c'est mal mis en scène.
Du coup, cela semble destiné à un très jeune public... auquel on ne peut que recommander de plutôt lire la BD !
10:08 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
dimanche, 22 janvier 2023
Hinterland
Cet « arrière-pays » pourrait être le Front de l'Est de la Première Guerre mondiale, où ont été projetés de jeunes Autrichiens, qui reviennent au pays après des mois de captivité, en 1920. La Vienne qu'ils redécouvrent n'a plus grand chose à voir avec celle qu'ils ont connue six ans auparavant : les civils font tout pour oublier les traces de la guerre, alors qu'eux sont marqués à vie. La splendeur de naguère, celle de l'Empire austro-hongrois (sans doute idéalisée), a cédé la place à un monde fait de pauvreté et de violence traversé par les tentations révolutionnaires.
L'un de ces soldats est Peter Berg, officier de police dans le civil. (Il est interprété par Murathan Muslu, vu récemment dans Code 7500.) Il découvre que son épouse a déménagé (avec leur fille) et que sa belle-famille a été ruinée par la guerre. A ces conditions matérielles difficiles s'ajoutent ses propres tourments : il revient de la guerre fracassé sur le plan psychologique. Cela tombe mal, puisque c'est le moment que choisit un tueur en série pour commencer à sévir. Les enquêteurs vont assez rapidement découvrir qu'il existe un lien entre les meurtres et ce qu'a vécu l'unité où se trouvait Peter, à l'est.
On sent que les auteurs ont voulu mettre beaucoup de choses dans ce film. On y croise (comme dans Les Fragments d'Antonin) des soldats victimes de stress post-traumatique, des travailleurs manuels et des intellectuels tentés par le communisme, des citadins tenaillés par l'antisémitisme, une femme qui cherche à vivre libre... et, globalement, une population viennoise dont la vie a été chamboulée : la ville, naguère phare d'un des plus puissants empires, a été reléguée au rang de capitale d'un État devenu secondaire.
C'est intéressant mais parfois surligné. Le réalisateur, Stefan Ruzowitzky (qui s'est fait connaître jadis avec Les Faussaires) aime filmer la crasse des soldats, la misère des enfants des rues. Il conduit ses scènes souvent de manière trop prévisible : on sent que Peter va jeter le verre qu'il tient à l'autre bout de la pièce, on est certain que, la première fois, il ne va pas oser aller jusqu'à son épouse et sa fille et l'on sent tout aussi bien qu'avec la charmante médecin-légiste (qui fait un peu penser à l’Émilie Grace des Enquêtes de Murdoch), cela va vite "coller".
L'intrigue policière est nettement mieux ficelée et elle maintient l'intérêt jusqu'au bout. Le film mérite le détour parce que l'intrigue est servie par un emballage original, quasi entièrement numérique : les décors sont parfois inspirés de vues réelles, le plus souvent reconstituées et restituées sous la forme de distorsions. Dans ce monde né de la guerre, tout est tordu, de travers : les bâtiments, les rues, les sentiments, les corps, les valeurs. Cela convient très bien à certains personnages. D'autres ont beaucoup de mal à s'habituer à la Vienne moderne.
Je trouve que ces décors numériques sont parfois trop voyants (mais c'est aussi un peu le but, je crois), même si leur agencement (couplé à une musique bien choisie) contribue à planter une ambiance d'étrangeté qui bénéficie au film.
C'est parfois un peu surjoué, pas toujours écrit avec subtilité, mais je recommande tout de même ce polar historico-horrifique.
09:48 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
jeudi, 19 janvier 2023
La Perspective Luigi
En deux volumes, cette bande dessinée constitue un épisode hors-série des aventures des Lulus. Il se place après les trois premiers tomes, dont j'ai récemment parlé.
Dans le premier volet, on retrouve nos héros... en Allemagne. Je ne révèlerai pas comment ils s'y sont retrouvés. Sachez juste que le peu d'allemand appris auprès du déserteur Hans (dans le tome 2) va leur être très utile pour se faire passer pour des citoyens suisses, les Français n'étant pas très populaires à l'époque (1916) outre-Rhin, y compris dans les catégories populaires, particulièrement touchées par les pénuries.
Les Lulus intègrent une bande de gamins des rues, sorte de version citadine (et teutonne) de nos orphelins de la forêt. Ils vont croiser un autre groupe, plus hostile celui-là, composé d'enfants plus âgés. L'ambiance oscille entre Victor Hugo et Charles Dickens. C'est très prenant... et superbement mis en images, par Damien Cuvillier, qui succède temporairement à Hardoc pour ces aventures. Au scénario officie toujours Régis Hautière.
Le deuxième volet de ces aventures nous transporte à Holzminden, dans un camp d'internement allemand, destiné aux civils étrangers. Ce n'est pas une invention du scénariste : il a bel et bien existé. C'est l'occasion de rappeler que cette bande dessinée, fictive, est nourrie de recherches historiques consciencieuses.
L'histoire est toujours aussi rocambolesque. Les jeunes héros rencontrent quelques salauds, mais aussi de belles âmes, qui vont leur permettre de surmonter l'adversité.
Notons que ces aventures germaniques sont racontées par un Luigi devenu adulte, en 1936, alors qu'il n'était pas le narrateur des premiers albums.
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jeudi, 05 janvier 2023
Tirailleurs
Omar Sy a coproduit le film dans lequel il interprète le rôle principal, celui d'un éleveur peul, qui s'engage dans l'armée française, en 1917, pour tenter de sauver la vie de son fils enrôlé de force dans les tirailleurs sénégalais.
Trois thématiques s'entrecroisent : le drame familial, la reconstitution historique (de la guerre) et l'exploitation coloniale. La relation père-fils constitue peut-être ce qu'il y a de plus réussi dans le film. Ce père qui ne parle quasiment pas un mot de français est touchant dans son obstination à préserver la vie de son fils aîné, que celui-ci apparaisse faible (au début) ou bien plus fort (quand il monte en grade). Néanmoins, la mise en scène de la relation conflictuelle manque un peu de finesse... et j'ai noté au moins deux maladresses. Ainsi, rien ne nous permet de comprendre comment le lieutenant a deviné que Thierno est le fils de Bakary, alors que leur secret, bien gardé, n'a pas été éventé par les autres Africains de la troupe. Le montage lui aurait mérité d'être plus soigné : lors d'une dispute père-fils, le mouvement est haché par une coupure qui ne se justifie nullement.
La reconstitution historique a de la gueule. Les scènes de tranchées sont très honnêtement filmées et l'image m'est apparue assez soignée. Mais l'on a déjà vu aussi bien (voire mieux) ailleurs... et, là encore, il y a quelques maladresses. Ainsi, il n'est pas plausible que lors d'une annonce faite à la troupe (au garde-à-vous), aucun gradé ne fasse remarquer au soldat Bakary qu'il n'a pas son équipement au complet (notamment son casque). Dans la foulée, son unité est dirigée vers une zone de combat. Un de ses camarades lui apporte son "barda", casque inclus. Le problème est que, lorsque Bakary rejoint son unité, il ne porte tout d'abord pas son casque sur la tête... mais, au plan suivant (se déroulant dans la foulée, à la seconde près), il est montré totalement équipé, sans qu'on l'ait vu esquisser le moindre geste pour mettre son casque ! Le pire est atteint une nuit, lorsque le père s'extrait de sa tranchée pour partir à la rescousse du fils : là encore, il n'a pas pris son casque, alors que, pas très loin de là, des coups de feu sont échangés. Le réalisateur aurait dû faire rejouer ces scènes à sa vedette, pour qu'elles gagnent en crédibilité.
D'autres invraisemblances émaillent le scénario. Il n'est pas possible qu'un double meurtre, commis en plein camp de transit des tirailleurs, ne donne lieu à aucune enquête. Cette séquence a pour seul but de montrer comment les soldats se procurent l'argent nécessaire au financement de leur fuite, mais elle est totalement déconnectée de l'ambiance de guerre. De la même façon, plus tard, quand l'un des fuyards revient au camp, on le laisse entrer comme ça, après deux vagues mots d'explication. On est en 1917 et, à l'époque, on ne plaisante pas avec la désertion. Le soldat ne pouvait qu'être arrêté... mais cela l'aurait empêché de rejoindre la tranchée où était partie son unité.
Enfin, l'hypothèse (séduisante en théorie) du soldat inconnu tirailleur sénégalais est hautement improbable. Quand, en 1920, les militaires chargés de recueillir les restes des neuf (puis huit) soldats sur les différents champs de bataille ont procédé à des exhumations, ils se sont d'abord assurés qu'il s'agissait de soldats français (et pas d'Allemands) et qu'ils ne soient pas identifiables individuellement (auquel cas leur dépouille aurait dû être remise à leur famille). D'après l'historien Jean-François Jagielski (qui cite l'écrivain Roland Dorgelès), à au moins deux reprises, sur le champ de bataille de Verdun, on a écarté du choix les dépouilles de soldats qui semblaient être issus des colonies.
De surcroît, la scène d'exhumation montrée dans le film (en deux parties, au tout début et à la fin) fait apparaître des os bien blancs, dégagés de tout muscle, chair ou graisse. Or, le soldat décédé a été enterré sur place, totalement habillé, seulement trois ans auparavant. Il me semble qu'atteindre un tel état de squelettisation nécessite plus de temps, au moins cinq ans.
Il nous reste à aborder la thématique coloniale. Les relations entre les Français métropolitains et les Africains colonisés sont mises en scène sans trop de manichéisme. Il y a bien domination des Blancs sur les Noirs, mais aussi des Noirs sur d'autres Noirs... et la majorité des Blancs représentés ne sont pas des figures négatives. L'armée est même montrée comme un facteur de promotion sociale pour les colonisés. Le propos général n'est pas une dénonciation hargneuse, revendicative, excessive, mais le souhait de préserver un certain "vivre ensemble" tout en reconnaissant le passif de l'histoire. Du film émanent paradoxalement de la douceur et de la dignité, même si, là encore, maladresse et approximation ne sont pas absentes. Je me contenterai de citer l'exemple des comportements alimentaires. Musulmans pieux, le père et le fils sénégalais s'interdisent de consommer du porc (et de l'alcool). Or, il semble qu'on en leur serve, dans le camp de transit. Aux vertueuses âmes promptes à s'indigner de l'ignoble comportement de la République colonialiste, il faut révéler que, durant le conflit, l'armée française s'est montrée très soucieuse du respect des convictions et traditions de ses soldats issus des colonies : les Indochinois ont été destinataires de rations supplémentaires de riz (et même d'assaisonnement traditionnel), tandis que les musulmans ont pu, la plupart du temps, bénéficier de repas sans porc (et remplacer le vin par du café ou du thé). De la même manière, ils ont été autorisés à suivre le jeûne du ramadan et des salles de prière ont été aménagées à leur intention, à l'arrière des combats, les aumôniers catholiques des armées étant priés de ne pas tenter de convertir. Au niveau de l'équipement, plusieurs unités ont été autorisées à personnaliser leur coiffe ou à diversifier leur armement (avec la présence autorisée de couteaux traditionnels).
Bref, ce n'est pas un film déshonorant, ni puant sur le fond. Mais il contient pas mal d'approximations, alors qu'il risque d'être pris par une partie de son public comme une irréprochable œuvre d'histoire.
23:10 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire, france
vendredi, 30 décembre 2022
Caravage
Ce film ambitieux, engagé, n'est pas un biopic, puisqu'il ne s'intéresse qu'aux dernières années de la vie du peintre italien Michelangelo Merisi, surnommé en France Le Caravage (du nom de la petite ville d'où est originaire sa famille). L'action se déroule entre la toute fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, principalement entre Rome et Naples, où habitent les puissantes familles qui soutiennent ou détestent le peintre anticonformiste. Un envoyé du Pape dirige une enquête de moralité sur Le Caravage. Au fur et à mesure des entretiens qu'il mène, on découvre le passé récent du peintre, par l'entremise de retours en arrière.
Plus que sa technique ou ses choix de couleurs, le réalisateur s'étend sur sa vie et ses opinions, qui ont choqué l’Église catholique (où il a cependant trouvé quelques soutiens) et les bien-pensants de l'époque. Avec gourmandise, Michele Placido filme un peintre bien membré, jouisseur, bisexuel et partouzeur. Ses amours, masculines comme féminines, sont multiples. Dans le lot, il est d'ailleurs difficile de distinguer ce qui ressort de l'inclination naturelle ou du calcul.
La force du film tient dans la mise en scène des choix de l'artiste, qui ose prendre des gueux et des prostituées comme modèles, pour peindre des scènes de la Bible ! Cependant, on ne le voit pas à l’œuvre. Quelques plans ont été insérés pour nous montrer son matériel et des ébauches dans un atelier, mais il manque la technique picturale, les retouches, l'art de créer. On sent que ce n'est pas ce qui intéresse le réalisateur, qui fait un film politique. Au passage, il évoque le statut des femmes, priées de choisir entre le statut de quasi-sainte et celui de prostituée. Celles qui, comme la jeune Artemisia Gentileschi, voudraient tracer leur propre chemin, sont mal vues.
Au niveau de la forme, je pense que Placido a conçu son film lui-même comme un hommage aux peintures. Un gros travail semble avoir été fait sur la lumière et les décors. Il y règne une ambiance souvent sombre, en clair-obscur, avec des illuminations. Saleté, sueur, pisse et sperme côtoient la grâce et le génie.
L'interprétation est correcte, mais un peu scolaire, ou parfois outrancière (théâtrale ?). Riccardo Scamarcio (vu dans John Wick 2 et Les Traducteurs) tient la route dans la peau du peintre. Son principal antagoniste est un inquisiteur appelé "L'Ombre", interprété par Louis Garrel. Il est très bon dans le registre sombre, inquiétant. Son jeu atteint ses limites quand il est question de faire sentir que son personnage, bien que moralement outré par la vie du peintre, est conquis par son œuvre.
La fin est un peu trop rocambolesque à mon goût... et sans doute pas conforme à la réalité historique. Mais le réalisateur avait besoin de conclure sur un moment fort.
18:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, cinema, film, films, peinture, histoire, art
samedi, 26 novembre 2022
Charlotte
Ce film d'animation retrace la vie de Charlotte Salomon, une Allemande juive qui s'est jadis réfugiée en France pour fuir le nazisme. Elle est connue pour avoir en quelque sorte inventé le roman graphique (Vie ? ou théâtre ?), à l'aide de ses peintures.
Le déroulement est chronologique, commençant par la vie en Allemagne, se poursuivant par la période française (autour de Nice). On découvre l'héroïne adolescente, dans une famille bourgeoise. Elle s'intéresse aux arts, mais on tente plutôt de la persuader de travailler dans la couture.
Charlotte a du caractère et, semble-t-il, du talent. Elle réussit à entrer aux Beaux-Arts, en dépit de sa judéité. C'est l'époque où elle rencontre son premier amour. Elle commence à prendre un peu de distance vis-à-vis de ses parents. C'est un autre intérêt du film : montrer l'entrée dans l'âge adulte d'une jeune femme indépendante. Cela donne un ton très moderne à cette histoire.
Le contexte familial est plus complexe que ce qu'il paraît de prime abord. On le découvre petit à petit. La femme que Charlotte appelle Paula (et pas maman) n'est pas sa mère biologique. Il y a aussi cette grande sœur disparue, dont on n'ose pas parler. Il y a enfin les grands-parents maternels, la grand-mère malade et le grand-père autoritaire, très traditionaliste, que Charlotte supporte de moins en moins.
Elle est pourtant contrainte de le côtoyer de plus en plus, puisqu'à l'initiative de son père et de sa belle-mère, elle rejoint ses grands-parents sur la côté d'Azur, en sécurité pensent-ils. C'est l'époque où, hébergée chez une riche Américaine, Charlotte s'épanouit artistiquement. Elle est touchée par une frénésie de peindre, en même temps qu'elle retrouve l'amour.
Graphiquement, le film n'est pas d'une grande virtuosité. L'animation est assez classique. On a toutefois fait des efforts pour tenter de nous faire percevoir ce qu'était le "coup de pinceau" de l'artiste. Ce n'est sans doute pas aussi joli que les gouaches et aquarelles de Charlotte, mais c'est tout de même très parlant. (L'intégralité de son œuvre est visible sur un site néerlandais.)
Cette histoire, bien que tragique (elle s'interrompt en 1943...) est visible par tous. Dans les scènes les plus dures (la mort du grand-père, l'arrestation par la Gestapo...), les auteurs Tahir Rana et Eric Warin (à qui l'on doit Ballerina) pratiquent le hors-champ, évitant les images les plus choquantes. Le film se conclut par l'extrait d'un documentaire, où l'on voit les parents de Charlotte, qui ont survécu à la guerre.
samedi, 19 novembre 2022
Amsterdam
C'est un film à voir en version originale sous-titrée, ne serait-ce que pour la manière dont les acteurs anglophones prononcent le nom de la ville néerlandaise. En français, c'est haché, comme des montagnes russes (Am-ster-dam), alors qu'en anglais, l'accent tonique est placé sur première syllabe. Cela donne (surtout dans la bouche de Margot Robbie, mais pas que) une aura sensuelle à ce nom, qui évoque une période heureuse, faite de créativité artistique, d'amour et de liberté.
Mais ça, c'est le passé, que l'on découvre par l'un des retours en arrière. Le paradoxe est que ces moments de bonheur sont nés par accident, juste après la Première Guerre mondiale, alors que deux des trois héros sortent fracassés du conflit. (Ils se sont battus en France.)
L'intrigue principale se déroule au début des années trente, outre-Atlantique, lors du premier mandat de Franklin Roosevelt. Il s'agit d'une histoire vraie, celle d'un complot menée par certaines élites économiques pour installer un régime fasciste aux États-Unis.
David O. Russel (qui réalisa jadis Les Rois du désert) choisit de mettre cela en scène avec beaucoup de dérision. C'est l'une des réussites de ce film, de mêler des tons différents, celui du drame (autour du complot politique et des assassinats), celui de la comédie (ce sont des bras cassés qui tentent de le déjouer) et celui de la romance (celle entre Valerie et Harold et celle, à peine naissante, entre Burt et Irma).
Russel s'appuie sur une distribution brillante. J'étais bien entendu transi devant Margot Robbie (en brune ce coup-ci), très à l'aise dans la peau d'un personnage qui associe force et faiblesses. J'ai aussi beaucoup apprécié la composition de Christian Bale, dont le réalisateur a su exploiter le potentiel comique. Dans ce registre, il faut noter la prestation d'un improbable duo, les Laurel & Hardy de l'espionnage, interprétés par Michael Shannon et Mike Myers. Du côté des dames, il faut signaler Zoe Saldana et Anya Taylor-Joy (délicieusement vénéneuse). Chez les messieurs, Washington Junior, Rami Malek, Chris Rock, Matthias Schoenaerts et Robert de Niro font bien le job.
Le choix des acteurs et l'écriture des personnages révèlent un autre aspect de l'histoire : les relations interethniques. Du côté des "gentils", on a deux couples mixtes et des soldats/officiers qui ne se laissent pas guider par les préjugés racistes. Du côté des "méchants", les modèles sont certes européens, mais ceux des années 1930... On note que le trio de héros, en plus de franchir la "barrière des races", transcende les inégalités de condition sociale.
Du coup, même s'il y a des longueurs, même si le scénario suit parfois des détours qui pourraient paraître inutiles, je me suis régalé. Russel a visiblement voulu profiter au maximum des interprètes qu'il avait sous la main. On sent le plaisir de jouer et de faire jouer. Finalement, au-delà de la politique et du social, c'est peut-être tout simplement un film sur le bonheur.
10:34 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire
mercredi, 16 novembre 2022
Babi Yar. Contexte
Ce documentaire ukrainien s'appuie sur des images d'archives en partie inédites, celles des propagandes allemande et soviétique, ainsi que celles tournées par des soldats (surtout allemands). Le montage de ces images, accompagnées de son, donne un film d'une force considérable.
La première partie montre l'invasion de l'URSS par l'armée allemande à l'été 1941, suivie des débuts de l'occupation de l'Ukraine. On ne voit quasiment pas de scène de combat, mais les résultats : les Soviétiques ont laissé derrière eux quantité de matériel plus ou moins abîmé, des morts et (surtout) de nombreux prisonniers, que la propagande allemande tente de montrer comme bien traités. (On sait qu'en réalité il n'en fut rien.)
En ville, la population semble accueillir favorablement les nouveaux maîtres du pays. Il faut dire que les Ukrainiens ont subi, dans les années trente, une famine génocidaire (l'Holodomor) et les purges staliniennes. Je pense que le bon accueil du début n'est pas que factice. Méconnaissant l'idéologie nazie, de nombreux Ukrainiens ont cru en une possible liberté, sous tutelle allemande. On voit qu'ils ont assez vite déchanté, puisque, quelques mois plus tard, quand Kiev reçoit la visite du gouverneur de Pologne, Hans Frank (un nazi de la première heure), les visages sont fermés, les sourires forcés.
Entre temps, un horrible massacre s'est déroulé à la périphérie de Kiev, à Babi Yar. En quelques jours, plus de trente mille juifs ont été fusillés par les nazis, épaulés par des collaborateurs ukrainiens. Certains d'entre eux faisaient peut-être partie de ces citadins filmés par la propagande nazie en train de maltraiter leurs concitoyens juifs.
Le massacre lui-même n'est pas montré. On en découvre les détails quand aux images allemandes succèdent celles de la propagande soviétique.
A son tour, l'Armée rouge est bien accueillie. On a visiblement voulu illustrer la solidarité entre les peuples composant l'URSS. Les soldats soviétiques se comportent bien. Alors qu'une nouvelle chape de plomb est sur le point de tomber sur l'Ukraine, ce sont des scènes de libération qui nous sont montrées.
On en arrive assez vite aux images du procès qui s'est tenu juste après la guerre. Les témoignages des Ukrainiens ordinaires, qu'ils soient juifs ou pas, qu'ils soient des rescapés, des parents de victimes ou tout simplement des habitants du coin, sont poignants. Je recommande tout particulièrement le récit des rescapés, certains étant parvenus par miracle à s'extraire d'une fosse commune où ils s'étaient laissé tomber.
Les images étant sonorisées, on réalise que les autorités officielles tentent de masquer le caractère antisémite du massacre de Babi Yar. Les victimes sont désignées comme « citoyens soviétiques » ou « habitants de l'Ukraine soviétique ». Seul un témoin ose faire entendre un autre son de cloche et n'hésite pas à parler de juifs. Ce qu'il est advenu du ravin de Babi Yar après guerre est révélateur de la politique de déni menée par le pouvoir soviétique.
C'est passionnant et moins éprouvant que ce que je craignais.
P.S.
Le massacre a été très tôt évoqué, par des enquêteurs soviétiques (souvent juifs) chargés de collecter des témoignages dans la perspective des procès organisés contre les criminels nazis. Ils ont été rassemblés sous la forme d'un Livre noir, publié sous la direction de Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg. Le massacre de Babi Yar est évoqué dans le premier tome publié en livre de poche :
A écouter aussi, une émission de France Culture, diffusée en novembre 2020 : « Staline et le Livre noir ».
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mercredi, 09 novembre 2022
Couleurs de l'incendie
Clovis Cornillac succède à Albert Dupontel dans l'adaptation des romans de Pierre Lemaitre. La distribution est entièrement renouvelée, bien que ce film-ci se place dans la continuité d'Au revoir là-haut. Il m'a d'ailleurs fallu un peu de temps pour m'habituer à voir Léa Drucker en Madeleine Péricourt.
J'ai trouvé le début un peu mou, en dépit d'un événement traumatique. Léa Drucker fait bien l'empotée, la petite privilégiée qui, par la force du destin, se retrouve à la tête d'une fortune colossale... mais précaire : nous sommes en 1929 et le tout-Paris discute de la crise américaine, qu'on redoute de voir débarquer en Europe.
S'en suit la mise en scène de deux arnaques. Lemaitre aime bien cela et, dans Au revoir là-haut, c'était brillant. Ici, c'est plus plan-plan, surtout la première manigance, qui voit des hommes expérimentés et cupides berner l'héritière. C'est tout de même savoureux parce que les deux enfoirés de service sont incarnés par Olivier Gourmet et Benoît Poelvoorde. S'ajoute une galerie de personnages secondaires bien campés, par Alice Isaaz, Jérémy Lopez et Alban Lenoir.
Je suis un peu plus réservé à propos de Clovis Cornillac, qui s'est donné le beau rôle... et ça se sent. Je suis aussi partagé concernant Fanny Ardant. Au début, c'est limite catastrophique, en tout cas terriblement conventionnel, en particulier à l'opéra. Au fur et à mesure que le personnage de la cantatrice acquiert de l'épaisseur, on perçoit mieux le talent de la comédienne... jusqu'au petit coup de théâtre allemand.
J'ai aussi été agacé par le personnage du fils, qu'il soit enfant ou adolescent. On devrait éprouver de la sympathie pour lui, vu ce qu'il a subi. Mais j'ai trouvé que l'interprétation manquait de chair.
Heureusement, la mise en place de la seconde arnaque (la vengeance) a retenu mon attention. C'est très agréable à suivre, en dépit de quelques invraisemblances. Les décors sont soignés, les acteurs percutants. C'est souvent filmé avec malice. Attention toutefois (surtout si l'on n'a pas lu le bouquin au préalable) : il convient de maintenir son attention pendant les quelque 2h15, puisque (gros roman oblige) on a pratiqué des ellipses.
Même si la conclusion de l'intrigue est un peu appuyée, on passe un agréable moment, en bonne compagnie. Ce n'est toutefois pas du niveau d'Au revoir là-haut.
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lundi, 31 octobre 2022
Les Harkis
Cela fait un petit moment que je suis le réalisateur Philippe Faucon : depuis Samia (2000). Même si son dernier film (Amin) m'avait un peu déçu, j'ai retenté l'expérience, convaincu par ses précédentes œuvres, notamment le prémonitoire La Désintégration.
Le début nous présente ceux qu'on va appeler les Harkis, qui ne sont qu'une partie des Algériens engagés dans l'armée française. (Seule une minorité était membre d'une unité appelée harka.) Le premier quart d'heure est chargé de nous faire comprendre que ces hommes étaient principalement motivés par la solde : s'engager était vu comme le meilleur moyen de sortir de la misère ou d'assurer l'avenir économique de la famille. S'ajoutent à cela des motifs personnels : le désir de vengeance, des inimitiés locales... voire, dans de rares cas, les effets d'un retournement : un ancien fellagha ayant dénoncé des types du FLN n'avait plus guère de choix s'il voulait avoir une chance de s'en sortir vivant. Le panorama n'est pas complet. A priori, cela n'a rien de choquant dans un film d'1h20. Mais, quand on comprend qu'aucun des hommes montrés à l'écran ne semble s'être engagé avec l'idée de s'opposer à l'indépendance de l'Algérie, on se dit qu'il y a quand même un certain parti pris. Rappelons que, dans un territoire peuplé (à l'époque) de 9-10 millions d'habitants, les "engagés français de souche nord-africaine" ont été environ 250 000, soit presque autant que les indépendantistes algériens, membres du FLN ou de sa branche armée ALN (estimés à environ 300-350 000).
Mais revenons au film. Il a le grand mérite de nous mettre en immersion, au cœur de l'action d'une petite unité, dans le bled algérien. On suit le quotidien de ces soldats de diverses origines, les officiers français s'appuyant sur des vétérans algériens (sous-off) sortis du rang, ceux-ci faisant le lien avec les engagés récents, le plus souvent uniquement arabophones. Ils évoluent dans un cadre naturel âpre et superbe, essentiellement montagnard. On retrouve un peu l'ambiance de L'Ennemi Intime et du récent Loin des hommes (ceux-ci toutefois plus réussis, selon moi).
Le scénario comprend des épisodes d'affrontement, mais c'est plutôt sur les tourments psychologiques qu'il met l'accent. Les Harkis se posent de plus en plus de questions, sur la manière dont ils sont considérés par l'armée française... et sur leur propre avenir, au fur et à mesure que se profile la perspective de négociations (entre le gouvernement français et le FLN)... voire l'indépendance. C'est en général bien fichu.
La partie la plus novatrice concerne le devenir des Harkis à la fin de la guerre. En France, jusqu'à présent, cela a plutôt été traité dans des téléfilms. Ici, c'est la thèse de l'abandon par Paris qui est soutenue. C'est vraiment intéressant, mais inachevé, puisqu'il n'est pas question des débuts de la vie en France métropolitaine, ni du rôle des camps d'internement, comme celui de Rivesaltes (mais aussi celui du Larzac). C'est dommage, parce que Faucon avait la matière pour conclure son film, d'autant que celui-ci est bref.
Reste en suspens la représentation de la violence. Faucon choisit de montrer celle exercée par certains Harkis (torture, pillage, meurtre...) et d'être allusif concernant celle exercée par l'autre camp, celui du FLN. On la voit au début (ce qui se trouve dans un panier) et vers la fin (juste le couteau sous la gorge), sans qu'à chaque fois soit mentionnée l'appartenance des auteurs de ces crimes. C'est quand même gênant, puisqu'on estime qu'entre 60 000 et 80 000 de ces engagés auraient été massacrés par le FLN. Aucun de ces massacres n'est évoqué dans le film.
Des questions restent pendantes concernant le devenir des Harkis. On estime aujourd'hui à 500 000 le nombre formé par ceux-ci, leur famille et leurs descendants. C'est difficile à concevoir si l'on en reste aux 90 000 réfugiés de 1962. Vu que beaucoup de rapatriements ont été effectués clandestinement (de Gaulle ne voulant pas d'une seconde arrivée massive en Métropole, après celle des pieds noirs), il est possible qu'on les sous-estime. Ou alors, c'est le nombre de Harkis massacrés par le FLN qui est sous-estimé. Faites le compte : sur 250 000 engagés, si seuls 40 000 sont arrivés sains et saufs en France métropolitaine, que sont devenus les 210 000 autres ? De mon côté, je pense que, localement, certains ont pu se réinsérer, à condition de ne pas avoir commis d'acte grave et de se faire discret. Le film n'ose pas aller dans cette direction, même si l'on sent à un moment que la possibilité est dans l'air. Il est aussi probable que ceux qui n'ont pu s'embarquer pour la France aient choisi l'exil dans un autre pays, pour échapper à la mort.
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lundi, 24 octobre 2022
Simone, le voyage du siècle
Salle archi-comble à Rodez pour cette séance : plus aucun siège n'était inoccupé lorsque le film a commencé. C'est suffisamment rare pour être signalé.
Olivier Dahan s'est visiblement inspiré des Mémoires de Simone Veil pour écrire un scénario kaléidoscopique, le montage faisant alterner quatre périodes chronologiques, sous la forme de retours en arrière.
Ainsi, on va suivre "l'héroïne" dans les années 1940 (la jeunesse à Nice puis la déportation... et le retour en France), au tournant des années 1950-1960 (l'action de la juriste, notamment dans les prisons françaises), dans les années 1970-1990 (l'action gouvernementale et l'engagement européen) et, enfin, la retraite apaisée des années 2000-2010.
Des deux interprètes de Simone Veil, c'est clairement Rebecca Marder (vue dans Une jeune fille qui va bien) qui m'a le plus impressionné. Avec Judith Chemla (qui incarne une de ses sœurs, Milou) et Elodie Bouchez (la mère, Yvonne Jacob), on a droit à un beau trio d'actrices, très convaincantes jusque dans les scènes de déportation.
Je pense d'ailleurs qu'au delà des justifications avancées par le réalisateur Olivier Dahan, c'est la force des scènes de camp qui explique (au moins en partie) le découpage du film. Si celui-ci avait suivi la chronologie, il aurait commencé par les moments les plus forts, seuls les débats autour de la légalisation de l'IVG pouvant, bien plus tard, retrouver un peu de cette intensité. Voilà sans doute pourquoi la période des camps (qui a indubitablement marqué Simone Veil à vie) est présente un peu partout dans le film, à l'occasion de retours en arrière plus ou moins bien introduits. Le cinéaste a tenté à chaque fois de justifier par un événement de la vie de Simone le fait qu'on se replonge dans son passé (plus ou moins lointain). Cela semble parfois un peu trop mécanique, voire artificiel.
Sur le plan historique, le film a le mérite de mettre en scène un aspect méconnu de la Shoah, les Marches de la mort, dernière phase de l'extermination, rarement montrée à l'écran. On pourrait discuter un peu la manière dont l'arrivée à Auschwitz est mise en scène mais, bon, il n'y a là rien de scandaleux. La partie judiciaire est elle aussi plutôt bien foutue. Celle qu'on avait fini par appeler "l'emmerdeuse" y fait merveille. J'ai trouvé l'épisode algérien lui aussi réussi.
J'ai été un peu déçu par la séquence de la bataille pour l'avortement. Elsa Zylberstein se démène dans le rôle (pour lequel elle pris plusieurs kilos). Elle a été grimée de manière à ressembler à son modèle et elle a tenté de s'exprimer à sa manière, mais cela m'a paru très scolaire. Je trouve aussi que la manière ordurière dont la ministre de la Santé a été traitée par une partie de la droite et l'extrême-droite n'est pas assez bien montrée.
Mais le principal défaut du film est la façon appuyée dont certains moments d'émotion sont soulignés. Dès que le piano est lancé, accompagné ensuite par les cordes, on comprend qu'il va falloir pleurer dans les chaumières. J'ai aussi été gêné par une scène, celle de l'opéra (en Allemagne), qui voit la jeune Simone quitter la représentation pour rentrer à son domicile, en pleine crise. J'ai eu un peu l'impression de revoir La Môme...
En dépit de ces réserves, je recommande ce film, pour la leçon de vie qu'il constitue et pour le jeu des actrices.
samedi, 08 octobre 2022
Novembre
La sortie du film de Cédric Jimenez, consacré aux premiers jours de l'enquête judiciaire consécutive aux attentats du 13 novembre 2015, est l'événement de la semaine. Ces dernières années, du côté français, la fiction s'est plutôt intéressée aux terroristes, par exemple avec La Désintégration (de Philippe Faucon) et Made in France (de Nicolas Boukhrief). Du côté des forces de l'ordre, on n'a guère que L'Assaut à se mettre sous la dent.
C'est la première originalité de film de Jimenez : il suit pas à pas l'évolution d'une galerie de policiers, de grades différents, de fonctions différentes, appartenant à des services et des unités différents. Par sa diversité (et grâce à un montage nerveux), ce patchwork n'est pas sans rappeler le Short Cuts de Robert Altman.
L'histoire commence pourtant de tout autre manière. L'action se déroule en Grèce. Plusieurs forces antiterroristes (grecques, françaises, américaines...) interviennent conjointement pour "serrer" les membres d'une cellule... surtout un, en fait. La conclusion de cette intervention a eu des répercussions, jusqu'en France...
C'est aussi l'occasion de découvrir le "héros" de l'histoire, un commissaire pugnace, habité par son travail, formidablement incarné par Jean Dujardin. (Dans le jeu de l'acteur, quel contraste avec le dernier OSS 117 !)
Une ellipse nous conduit à Paris, quelques mois plus tard. la tension est retombée. La population, qu'elle soit au travail ou sortie pour se détendre, suit plus ou moins attentivement le match de football qui se déroule ce soir-là au Stade de France. Parmi les anonymes, des policiers sortis du boulot, qui vont vite être rappelés.
Commence alors une course contre-le-montre. Une fois les attentats commis, il s'agit de mettre la main sur les terroristes encore vivants, en fuite. Les policiers en viennent rapidement à penser que les tueurs ont une dernière cible en tête. La mise en scène, survitaminée, nous met dans les pas des policiers, entre filatures, écoutes téléphoniques, interrogatoires, consultation des bases de données, échanges d'informations entre services... C'est passionnant. Les scénaristes ont visiblement consulté le rapport parlementaire de juillet 2016 (en particulier le tome 1, pages 42-53 et 61-69). Ils semblent avoir aussi puisé dans des sources annexes. Bref, c'est documenté, mais ne vise pas à l'exhaustivité : on a fait des choix (pertinents), pour tenir la ligne dramatique du sujet.
Le film a l'élégance de ne pas sombrer dans le pathos. Des rescapés nous sont montrés, à l'hôpital, interrogés par des policiers. C'est digne sans être appuyé. Ces moments touchants constituent presque des pauses de douceur dans la course frénétique pour tenter d'attraper les suspects.
J'ai aussi apprécié que les personnages des tueurs ne soient pas développés. Ce sont des ombres, qui parviennent longtemps à filer entre les doigts de la police. Les deux femmes musulmanes sont des exceptions. L'une est la cousine de l'un des terroristes, l'autre une amie qui l'héberge. Ce sont d'ailleurs, selon moi, les deux personnages féminins les mieux incarnés. Ils sont plus convaincants que ceux des policières, que j'ai trouvé un peu caricaturaux (ou pas suffisamment crédible : Anaïs Demoustier en Inès... bof).
Viennent alors les questionnements autour du personnage de Samia, la logeuse qui informe la police (très bien interprétée par Lyna Khoudri). En contradiction avec la réalité, les scénaristes ont choisi d'en faire une musulmane intégriste (voilée)... mais qui ne soutient pas le terrorisme. Certains y verront un prêchi-prêcha gauchisant, tendant à faire accepter à la masse de la population française que les femmes voilées sont tout à fait respectables. D'autres y verront plutôt une forme de propagande à destination de nos concitoyens musulmans, tentant de leur faire admettre l'idée qu'un musulman, même très pieux, ne peut pas soutenir des terroristes. Choisissez votre version !
Cette tension converge vers l'apogée que tout le monde attend : l'assaut du dernier repaire des terroristes. Cette séquence tonitruante, filmée dans une semi-obscurité, est particulièrement impressionnante, dans une grande salle. (J'ai un peu pensé à la fin de Zero Dark Thirty.) Elle conclut de manière magistrale un très bon film d'action, qui ne juge pas ses personnages, mais qui met l'accent sur ceux qui ont choisi de défendre la vie.
vendredi, 30 septembre 2022
Les Secrets de mon père
1959, en Belgique. Dans une famille juive de la classe moyenne, deux frères vivent une préadolescence mêlée d'insouciance et d'incompréhension. L'insouciance est celle d'enfants suivant une scolarité normale, dans un pays qui connaît croissance économique et plein-emploi. L'incompréhension est ressentie vis-à-vis du père, peu communicatif, en particulier sur sa jeunesse pendant la guerre. Il s'enferme régulièrement dans son bureau, pour se consacrer à une tâche mystérieuse.
A partir du récit autobiographique du caricaturiste Michel Kichka, Véra Belmont (Rouge Baiser, avec Charlotte Valandrey, mais aussi Survivre avec les loups) a construit un film d'animation drôle et émouvant, bénéficiant au doublage de voix francophones connues : celles de Michèle Bernier, Jacques Gamblin et Arthur Dupont.
C'est dans la première partie que l'humour est le plus présent. On nous propose la vision des enfants, qui s'étonnent des silences des adultes... en particulier à propos du « numéro de téléphone » tatoué sur leur avant-bras. La séquence chez la commerçante est à cet égard particulièrement réussie. Les deux gamins font des bêtises, grimpent par où il ne faudrait pas grimper, entrent là où il leur a été interdit d'entrer... et commencent à découvrir ce passé pas si vieux, dont on parle peu.
C'est un autre mérite de ce film : rappeler à un public qui s'estime parfois saturé d'informations que, dans les années d'après-guerre, on évoquait peu l'extermination des juifs (et son aspect particulier). Les rescapés eux-mêmes n'étaient en général pas très loquaces, préférant se consacrer au présent. Je trouve que le fossé de générations est très bien rendu dans l'histoire.
Il s'accentue dans la deuxième partie (plus sombre), en raison d'un événement traumatique que je me garderai bien de révéler. L'un des fils rompt franchement avec son père, alors pourtant que celui-ci s'est mis à parler de son passé. (La publicité faite autour du procès Eichmann a contribué à délier les langues, jusque dans les familles.)
La troisième partie voit renaître un peu l'espoir. Le fils aîné s'installe en Israël, plus par envie de s'éloigner de sa famille que par adhésion au sionisme. (On note d'ailleurs qu'il refuse d'hébraïser son identité, en dépit des pressions exercées sur lui.) Il vit l'expérience du kibboutz (peut-être le seul exemple de communisme démocratique qui ait réellement existé), rencontre l'amour et se lance dans le dessin de presse. Il aura finalement l'occasion de renouer avec son père.
C'est vraiment une belle (et authentique) histoire, mise en images sobrement, sans effet de manche, même si certaines scènes sont dures. C'est visible par tous les publics. Cela ne dure qu'1h15.
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samedi, 24 septembre 2022
Le Tigre et le Président
Il est difficile de définir ce film : c'est une sorte de comédie historique... à ceci près qu'elle n'est guère drôle et qu'elle véhicule des mensonges ou des vérités déformées.
J'y suis allé entre autres en raison de la distribution. Le « Tigre » (à droite ci-dessus) est Georges Clemenceau, interprété par André Dussolier. Clairement, celui-ci cachetonne. On ne lui a visiblement pas donné pour consigne de jouer la subtilité. A gauche se trouve le « Président », Paul Deschanel, incarné (avec talent) par Jacques Gamblin. Sa dénomination est paradoxale puisque, dans l'esprit de la majorité de la population française de l'époque, le vrai président est Clemenceau, qui a dirigé le gouvernement de 1917 à 1920 (en tant que président du Conseil). De son côté, Deschanel présidait la Chambre des députés (ancêtre de notre Assemblée nationale)... et il est parvenu à se faire élire président de la République, damnant le pion à Clemenceau.
Cette rivalité est l'objet de la première partie du film, avant que l'intrigue ne bifurque vers « l'incident du train », qui a valu à Deschanel de sombrer dans le ridicule. L'Histoire ne fut guère indulgente pour Deschanel, dont la carrière a été réduite à sa fin de vie dépressive, tandis que son rival, « le Père la Victoire » a été placé sur un piédestal, donnant même son nom à l'un de nos porte-avions. Au départ, je ne voyais pas d'un mauvais œil qu'on déboulonne la statue du commandeur et qu'on réévalue le bilan politique de Deschanel, un authentique républicain modéré.
Je pense que, pour écrire le scénario, on s'est inspiré d'un ouvrage (récemment réédité) paru il y a une trentaine d'années (et que j'ai lu) :
Le problème est que, de cet ouvrage, les scénaristes n'ont retenu que ce qui pouvait embellir le personnage de Deschanel, négligeant presque tous les éléments critiques (pourtant pas très nombreux, dans cette biographie très empathique, pas très bien accueillie par la profession lors de sa sortie).
Pour revenir au film, j'ai trouvé la prestation de Gamblin bien meilleure que celle de son comparse. Il incarne très bien cet authentique dandy, coureur de jupons, vieux célibataire marié sur le tard. Incontestablement républicain, il a su évoluer de manière adroite dans les institutions de la IIIe République. C'était, selon les témoins, un habile discoureur, dont la voix était écoutée à la Chambre des députés. Il était aussi très sensible à la critique. Le jeu de Gamblin nous permet de comprendre que le fait de ne pas se sentir à la hauteur de ses aspirations politiques a contribué à faire déraper le président élu.
Là s'arrête l'Histoire et commencent les mensonges ou déformations. Certains d'entre eux sont pointés sur le site du musée Clemenceau.
De mon côté, j'ai été agacé que, dès le début, on présente Deschanel comme le seul orateur habile, laissant un Clemenceau vieillissant sans voix. A presque quatre-vingts ans, le vieux tigre avait encore de la répartie. Ainsi, à un adversaire qui se plaignait que la France soit gouvernée, à la fin de la guerre, par un homme qui avait un pied dans la tombe, le Vendéen moustachu aurait rétorqué : "Quand bien même j'aurais un pied dans la tombe, l'autre serait sur ton cul !" Évidemment, si l'on veut que Deschanel prenne le dessus sur Clemenceau dans le film, il ne faut surtout pas que le second soit présenté en train de prononcer une des saillies dont il avait le secret.
Un autre problème se pose au niveau de la présentation de Deschanel. Celui qui va barrer la route de l’Élysée à Clemenceau n'est pas un perdreau de l'année. C'est un cacique de la IIIe République, d'ailleurs pas très éloigné politiquement du Clemenceau de 1919-1920 (situé plus à droite qu'à ses débuts). A deux reprises, Deschanel a présidé la Chambre des députés : entre 1898 et 1902 (il y a une erreur sur le site de l’Élysée) et, surtout, entre 1912 et 1920. Cela fait des années qu'il espère devenir président de la République. Il a déjà échoué deux fois. Toute sa carrière politique a été tendue vers cet objectif, qui pourrait apparaître dérisoire, puisque le locataire de l’Élysée n'a que très peu de pouvoir à l'époque.
C'est un autre défaut du film, qui (effet du XXIe siècle ?) survalorise la fonction présidentielle, alors qu'elle est essentiellement symbolique. Certes, Deschanel avait pour ambition de lui donner plus d'ampleur, mais il s'est très vite aperçu qu'il n'en avait pas les moyens constitutionnels. Cela explique sans doute sa phase dépressive, mais le film ne présente pas bien tous ces enjeux. Dans des scènes d'un inintérêt total, on nous montre un président passant un temps fou à tenter de rédiger un discours dont presque tout le monde se fiche... et pour cause : ce n'est pas ce qui s'est passé à l'époque ! C'est après sa démission de l’Élysée (et une cure dans un établissement de santé...) que Deschanel s'est lancé dans ce qui est apparu, par la suite, comme son testament politique.
Pour terminer, il convient de dire quelques mots de « l'incident du train ». Le président est bien tombé de son compartiment (mais de la fenêtre, pas de la porte), en pleine nuit, en tenue pyjamesque... Cependant, il n'a pas passé plusieurs jours chez l'employé des chemins de fer... et ce n'est pas dans la foulée que la polémique concernant sa capacité à exercer ses fonctions a enflé. Dès le lendemain, il était retrouvé par le sous-préfet local et il était ramené à Paris par son épouse, en voiture. Il a pu très vite participer au Conseil des ministres. Cette aventure aurait été oubliée si, durant les semaines ultérieures, Deschanel n'était pas apparu comme de plus en plus perturbé, avec notamment le deuxième « incident » (dans la fontaine) qui, là encore, ne s'est pas du tout déroulé comme montré dans le film. (Ce n'était pas au cours d'une cérémonie officielle.)
Pour enfoncer le clou, je dirais que le film est malhonnête jusqu'au bout. Le générique de fin est précédé d'un "carton" nous informant que son fils Louis-Paul fut l'un des premiers soldats français tués au combat, en 1939. C'est exact, mais les spectateurs ne sauront pas que l'autre fils Deschanel, Emile-Jean, celui qui a pris la suite de son père en politique (et récupéré son siège de député), a été frappé d'inéligibilité à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour avoir, en juillet 1940, voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
16:22 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films, histoire, france