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jeudi, 13 octobre 2016

Des Auvergnats en Rouergue

   Sous-titrée "Quand les évêques de Clermont étaient abbés de Conques", cette conférence était proposée vendredi 7 octobre au Centre européen de Conques. L'intervenant était un jeune chercheur, Sébastien Fray, que sa thèse a conduit à travailler sur l'abbaye rouergate.

   Son propos était centré sur deux des abbés de Conques, Etienne (Etienne Ier pour certaines sources, Etienne II pour d'autres), dont on pense qu'il officia entre 942 et 984, et Begon, qui lui succéda, de 984 aux environs de 1010. Il se trouve que ces deux abbés pratiquaient une sorte de "cumul des mandats", puisqu'ils étaient aussi évêques.

   Dans l'Aveyron, on a longtemps pensé qu'ils ne pouvaient être qu'évêques de Rodez... sauf qu'on ne trouve aucun prélat de ces noms-là à l'époque concernée. Par contre, ils correspondent à ceux des évêques de Clermont. Ainsi, selon Sébastien Fray, Begon serait à l'origine de la construction de la cathédrale de Clermont, son prédécesseur Etienne ayant lancé la construction d'une autre église romane.

   L'une des principales sources est constituée par les Gesta abbatum de Conques, datant du XIIe siècle, mais dont on ne possède que des copies. Le conférencier (s'appuyant sur un article qu'il a publié il y a deux ans dans la revue Etudes aveyronnaises) en a proposé une analyse "pointue", démontrant que le document est en fait constitué de deux textes différents, le second, abusivement désigné comme une "chronique" (une brève narration des événements, année après année), étant en fait des Gesta (ordonnées autour de la liste des abbés).

   La copie utilisée date du XVIIe siècle. Elle a pu être comparée à une autre, dite "copie de Lacoste" (du nom d'un érudit local du XIXe siècle), découverte cet été à la bibliothèque municipale de Cahors ! C'est un événement moins rare qu'on ne l'imagine, à tel point que les historiens ne désespèrent pas de trouver, un jour, une version du manuscrit du XIIe siècle. En croisant ces sources avec le Livre des miracles de Sainte-Foy, rédigé par Bernard d'Angers (sous l'abbatiat d'Adalgaire/Adalguier, un des successeurs de Begon), les historiens arrivent à la conclusion qu'il y a (au moins) deux versions de l'histoire de cette époque, qui pourraient correspondre à l'existence de deux clans chez les moines. On en aurait la traduction sur le tympan même de l'église abbatiale, achevé au début du XIIe siècle :

Evêque Clermont.jpg

   Ce détail a déjà été évoqué par un autre historien, Frédéric de Gournay (venu à Conques en 2013). La crosse dont on voit une extrémité, en bas, est une référence à la fonction d'évêque. L'homme penché aux pieds du démon est de plus tonsuré. Ce serait donc aussi un moine, plus précisément un abbé, Begon, accompagné de ses neveux emprisonnés dans un filet. Or, ces figures de l'histoire de l'abbaye ont été placées du côté des damnés... Pourquoi donc ? Réponse un peu plus tard dans la conférence.

   Avant cela, il convient d'en savoir plus sur les relations entre les abbayes de Conques et de Figeac. Au Xe siècle, elles sont intimement liées. Il apparaît qu'Etienne et Begon étaient aussi abbés de Figeac. A cette époque, les relations entre les deux établissements ne semblent pas mauvaises. Il en est autrement  aux XIe - XIIe siècles. Figeac a été rattachée à Cluny, qui cherche sans doute à mettre la main sur Conques, par l'intermédiaire de l'abbaye lotoise. La polémique a donné naissance à de faux documents, défendant tel ou tel point de vue. Sébastien Fray évoque une donation de Pépin d'Aquitaine, censée dater de 838.

   D'autres documents, authentiques, subissent dans leur rédaction l'influence de l'époque. Il en est ainsi des Gesta abbatum de Figeac (écrites entre 1074 et 1096 et sans doutes connues de l'auteur des Gesta abbatum de Conques). Elles s'évertuent à montrer la supériorité de cette abbaye sur celle de Conques.

   Il s'avère que, dans certaines abbayes, il existait au moins deux abbés, l'un dit "séculier" (pour les historiens), l'autre "selon la règle". Etienne le cumulard était donc évêque de Clermont, abbé de Conques et de Figeac. Résidant principalement en Auvergne, il avait, sur le terrain, des abbés "effectifs" (sans doute membres des communautés monastiques) pour le seconder : Hugues à Conques, Calston à Figeac. Pire (ou mieux encore) : Begon, qui a succédé à Etienne à tous les postes, était vraisemblablement son co-abbé (ou abbé assistant) à Conques ! On a d'autres exemples de cumul, avec Jean, qui fut abbé de Conques, de Beaulieu-sur-Dordogne et d'Aurillac... ou encore Odon de Cluny (qui fut aussi abbé d'Aurillac) et Adralde, un de ses successeurs qui cumula Conques et Aurillac.

   L'abbaye rouergate était donc incontestablement tournée vers le nord, au Xe siècle. Aucune relation avec les comtes du Rouergue n'est perceptible avant 960. On a bien, au siècle précédent, un Bernard Plantevelue comte d'Auvergne et du Rouergue, mais il n'a acquis ce territoire qu'après avoir fait assassiner un certain Bernard le Veau.

   Concernant Etienne, on sait en réalité peu de choses. Il n'est jamais mentionné par Bernard d'Angers, alors que l'auteur des Gesta abbacum lui tresse des louanges. Il était le fils d'un vicomte de Clermont (lieutenant des comtes d'Auvergne et des ducs d'Aquitaine), titre auquel accéda l'un de ses frères, Robert. On se demande encore s'il fut d'abord évêque de Clermont ou abbé de Conques. Au passage, à l'époque, on n'a pas la même conception de l'identité qu'aux périodes ultérieures. On ne se dit pas auvergnat ou rouergat, mais plutôt aquitain. (Au IXe siècle, un comte de Toulouse s'est fait proclamer duc d'Aquitaine.) L'arrivée d'Etienne à Conques pourrait être liée à une parenté avec Jean, l'abbé cumulard dont il était question plus haut. Tous seraient membres de la lignée des Matfrédides (liés à un Matfred de Clermont). On attribue parfois à Etienne (peut-être à tort) la première version de la Majesté de Sainte Foy (remaniée par la suite). Une question demeure à ce sujet : la statue reliquaire rouergate a-t-elle inspiré celles qui ont été construites aux Xe-XIe siècles, s'est-elle seulement inscrite dans un mouvement global (propre au Sud-Ouest) ou bien fut-elle la seconde initiée par Etienne, qui a fait réaliser, à Clermont, une autre statue reliquaire (une Vierge à l'enfant, aujourd'hui disparue) ?

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   Quant à Begon II, il appartient à la famille des Austrinides, implantée dans le Rouergue, aussi bien du côté de Conques que vers Calmont. L'abbé de Conques avait des biens à Flagnac et Sénergues. Ses neveux (dont le père serait un Matfred, cousin germain d'Etienne et recteur de Conques) ont dirigé l'abbaye de Conques. Le fait que les seigneurs de Calmont s'intéressent tout particulièrement à l'abbaye pourrait s'expliquer si le domaine de Calmont est un ancien "château monastique" dépendant de Conques. Notons que les sires de Calmont dirigent aussi l'abbaye de Figeac !

   Un autre aspect intéressant de la conférence de Sébastien Fray portait sur la moralité de tel ou tel personnage, à l'aune de sources parfois contradictoires. Ainsi Bernard, abbé de Beaulieu-sur-Dordogne et évêque de Cahors, est perçu très positivement à Conques, avec laquelle il se montra fort généreux... mais ce fut avec des biens "prélevés"... à Cahors ! Begon bénéficie du même traitement dual, selon le point de vue que les auteurs adoptent. Il est dépeint de manière très négative par Bernard d'Angers, pour avoir puisé dans le trésor de Sainte-Foy afin de payer la rançon de l'un de ses neveux, Hugues. Celui-ci avait été capturé par le seigneur de Gourdon, peut-être en défendant Conques. Ne pouvant porter les armes, l'abbé avait sans doute eu recours à ses neveux laïcs pour protéger "son" abbaye. Les sources clermontoises sont plus élogieuses à son sujet. Quant aux Gesta abbacum, rédigées sous Begon III (apparenté à Begon II), elles ne disent rien de négatif. Elles sont plus dures avec le successeur de Begon II, Adalgaire, qu'elles accusent d'avoir pillé le trésor monastique pour tenter (sans succès) de se faire élire archevêque de Narbonne ! Pourtant, Bernard d'Angers ne trouve que des qualités à Adalgaire. Allez comprendre... Peut-être était-il reconnaissant à l'abbé de l'accueil qu'il avait reçu à Conques ?

   Terminons par un retour sur le tympan, élaboré sous l'abbé Boniface, très respectueux du texte de Bernard d'Angers (et peut-être issu d'une famille rivale des Austrinides qui ont eu la main sur Conques avant lui). On y voit bien Begon II et certains de ses neveux, qui apparaissent tonsurés. Or, ils n'étaient pas membres du clergé, tout en dirigeant Conques. Mais, pour les auteurs du XIIe siècle, qui vivaient dans un monde marqué par la réforme grégorienne (qui sépare strictement les clercs des laïcs et les séculiers des réguliers), la situation des époques carolingienne et robertienne (les IXe et Xe siècles) est difficile à comprendre. Cela explique aussi le fouillis qui règne dans les sources à propos de la succession des abbés. On fait parfois se succéder des personnes qui ont exercé leur autorité en même temps à Conques, mais sous différents statuts. La question est ardue, mais elle fut traitée avec clarté et érudition, à l'image de cette conférence, de très haute tenue.

jeudi, 29 septembre 2016

Frantz

   Quand on n'est fan ni de François Ozon ni de Pierre MNiney, il faut de solides raisons pour se décider à aller voir ce film. La première est l'originalité de l'histoire. (Je ne connais ni la pièce de théâtre ni l'adaptation réalisée jadis par Ernst Lubitsch.) La seconde est le choix (artistique et économique) du noir et blanc. Seuls deux instants en couleurs encadrent le film, au tout début et à la fin. C'est évidemment porteur de sens.

   La mise en scène est soignée. On sent le réalisateur sûr de son art. Certains moments sont particulièrement inspirés, comme le voyage en train de l'héroïne qui, par la fenêtre, voit les dégâts de la guerre encore visibles plusieurs années après, en France. (Le coup du reflet dans la vitre est superbe.) Saisissante aussi est la scène qui se conclut par une Marseillaise collective, dans un café parisien. Ozon est toujours habile à entremêler l'image et le son, chacun portant l'autre, à son tour.

   Du côté des acteurs, ce n'est pas Pierre Niney qui m'a impressionné, mais Paula Beer, impeccable en fiancée éplorée, touchée à nouveau par l'amour et devenue audacieuse par obligation. Grâce à son jeu tout en retenue, elle fait passer quantité de choses. A ses côtés, les seconds rôles assurent, parmi lesquels on relève Johann von Bülow, remarqué récemment dans Elser, un héros ordinaire et Le Labyrinthe du silence. Ernst Stötzner est excellent en père du soldat décédé.

   L'intrigue ménage plusieurs rebondissements. Il y a tout d'abord le secret que le soldat français venu en Allemagne garde en lui. (Je pense que n'importe quel spectateur devine très vite de quoi il s'agit.) Il y a ensuite le retournement de situation, avec l'Allemande qui décide de partir en France. Ce périple constitue pour moi le meilleur de l'histoire. L'héroïne va découvrir un autre monde... et en apprendre sur le passé de son défunt fiancé.

   Cela pourrait former un excellent film si le rythme n'en était pas si languissant. On sent l'heure cinquante passer, moi je vous le dis ! Mais c'est bien joué et remarquablement réalisé.

 

dimanche, 18 septembre 2016

Free State of Jones

   Le titre fait référence  à une tentative utopique, celle de fonder, en pleine guerre de Sécession, un Etat libre, dans lequel cohabiteraient Noirs et Blancs, les premiers esclaves en fuite, les seconds soldats sudistes déserteurs. Ce n'est pas une fiction, puisque cette tentative a été menée à bien.

   On commence par une séquence de guerre, avec une bataille de tranchées, ses morts et ses blessés. En une dizaine de minutes, le réalisateur Gary Ross nous fait toucher du doigt l'horreur de la guerre, une guerre différente de celles qui l'ont précédée : quasi industrielle, elle annonce déjà la Première guerre mondiale. La mise en scène est brillante. Ames sensibles s'abstenir.

   La suite montre le héros prendre du recul, au départ pour rendre hommage à un gamin tué au combat. Le soldat devenu brancardier en a marre de la boucherie... et il se rend compte que lui, le fermier pauvre, risque sa vie pour que les grands planteurs esclavagistes conservent leurs privilèges.

   Les acteurs sont bons, très bien dirigés. Dans ce genre de production, qui recourt à quantité de figurants, on est parfois indulgent avec le jeu de certains d'entre eux, lorsque les mouvements d'ensemble sont réussis, sous la houlette des acteurs principaux. Ici, on a l'impression que tout le casting s'est évertué à donner le meilleur de soi.

   En tête d'affiche, il y a Matthew McConaughey... impressionnant. (A Rodez, on peut même l'entendre en version originale sous-titrée.) Sa barbe lui donne un petit air de Christian Bale... mais, surtout, qu'est-ce qu'il est bon ! Un deuxième Oscar est-il en vue ?

   A ses côtés l'on trouve notamment Gugu Mbatha-Row, un nom qui ne vous dit sans doute pas grand chose, mais qu'on risque de beaucoup entendre à l'avenir. On l'a déjà remarquée dans Seul contre tous. Ici, elle incarne l'esclave domestique, qu'on croit privilégiée par rapport à ceux qui courbent l'échine dans les champs de coton, mais qui est soumise aux "appétits" de son maître... Ce beau personnage s'implique dans une révolte clandestine, tout en apprenant à lire. Il lui arrive aussi de chaparder dans la maison de ses "propriétaires". Dans une scène, on la voit s'emparer discrètement d'un objet brillant. C'était pour l'offrir au héros, Newton Khight... et, ô surprise, il s'agit d'un petit couteau pliable, aux formes caractéristiques... un Laguiole ? Est-ce possible au début des années 1860, dans le Mississippi ?

   L'un des personnages principaux est un marais, celui dans lequel les esclaves en fuite et les soldats déserteurs vont se réfugier et y acquérir une véritable autonomie, à la fois matérielle, militaire, intellectuelle et politique. On a l'impression de se trouver dans un entre-deux, une sorte d'univers parallèle où les lois du vrai monde ne s'appliquent pas. Le film ne cache cependant pas les difficultés de la petite nation, certains soldats sudistes déserteurs peinant à se débarrasser de leurs préjugés racistes.

   La part la plus inattendue de l'histoire est celle qui se déroule après la guerre. Le changement, c'est maintenant ! ont dû penser les anciens esclaves. Dans un premier temps, il apparaît que plus jamais rien ne sera comme avant. Mais les élites blanches esclavagistes n'ont pas renoncé, et c'est une nouvelle guerre, plus sournoise, qui se déclenche dans les Etats du Sud, avec l'émergence du Ku Klux Klan. Le héros tente de s'y opposer.

   Notons que les séquences des années 1860-1870 sont parfois entrecoupées de scènes se déroulant plus de soixante-dix ans plus tard, en pleine ségrégation. Petit à petit, on appréhende certaines des conséquences les plus absurdes de la mise en place d'une politique raciste... et l'on découvre le devenir de certains des descendants du héros.

   C'est pour moi un très beau film, qui prend son temps, servi par des acteurs impeccables.

mardi, 06 septembre 2016

Le Roquefort à l'honneur sur France Inter

   C'était dimanche, en fin de matinée, dans l'émission culinaire On va déguster, intitulée ce jour-là "On explore le Roquefort". Les animateurs avaient invité le directeur de Gabriel Coulet (une des sept marques de l'emblématique fromage persillé) et l'historienne Sylvie Vabre. Cette dernière doit commencer à bien connaître les couloirs de la Maison ronde, puisque, l'an dernier, elle était déjà intervenue dans La Marche de l'histoire, à l'occasion de la parution de son maître-livre, Le Sacre du Roquefort.

   La séquence consacrée au "roi des fromages" commence après une dizaine de minutes. On y entend Sylvie Vabre remettre (prudemment) en question la belle histoire racontée à propos de la naissance du Roquefort. Plus inattendue est l'affirmation du rôle qu'aurait joué Jean-Antoine Chaptal. Celui-ci, plus connu pour son rôle dans l'élaboration du champagne, a consacré un mémoire au fromage aveyronnais.

   On passe ensuite à des informations plus techniques. Les habitués du Roquefort n'apprendront pas grand chose. On notera quelques hésitations des animateurs concernant certains détails : le nombre de transformateurs (sept, même si l'on n'en connaît le plus souvent que deux ou trois) et l'étendue de l'aire de collecte du lait, sur six départements :

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   La suite de l'émission est principalement consacrée à des aspects culinaires. Néanmoins, les menaces qui pèsent sur ce fromage de qualité ne sont pas dissimulées. Certaines anecdotes sont croustillantes, comme celle révélant les privilèges dont bénéficient les employés des fabricants.

   Avant de s'achever, l'émission évoque les vins aveyronnais, méconnus même quand ils ont décroché une AOP. L'un des animateurs me semble de bon conseil : il suggère d'associer davantage le Roquefort aux productions viticoles du département.

   Après avoir écouté cela, on n'a plus qu'une seule envie : manger !

lundi, 29 août 2016

Trahi par le Roquefort !

   Un an après avoir commencé à diffuser la huitième saison des aventures de l'inspecteur Murdoch, France 3 est passée à la saison 9, dont le premier épisode s'intitule Coupable.

   Au cours d'une enquête particulièrement délicate (qui doit permettre de disculper l'ancien adjoint de Murdoch, Crabtree), le seul indice laissé derrière lui par l'assassin présumé est un sachet en papier, marqué d'une tache de graisse et au fond duquel les policiers trouvent... des traces de moisissure. Et voilà l'inspecteur et sa compagne (Julia Ogden, médecin de formation) lancés dans leur travail d'experts scientifiques avant l'heure :

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   Le mystère semble particulièrement épais. Néanmoins, les deux héros vont parvenir à des conclusions surprenantes, mais non moins déterminantes pour la conclusion de l'enquête :


podcast

   Les aventures de l'inspecteur Murdoch sont censées de dérouler au début du XXe siècle. A cette époque, le plus célèbre fromage aveyronnais est déjà exporté outre-Atlantique, comme on peut l'apprendre dans un ouvrage érudit, Le Sacre du Roquefort, de Sylvie Vabre :

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   L'auteure y établit des statistiques pour plusieurs périodes du XIXe siècle et pour le début du XXe. Ainsi, en 1913, les exportations représentent un quart du chiffre d'affaires de Société. Un tiers de ces exportations passe par New York, dont on peut penser qu'elle est la porte d'entrée pour toute l'Amérique du Nord.

   C'est évidemment un produit de luxe, dont la trace découverte dans le sac va permettre de retrouver un dangereux personnage, une brute sans doute, mais avec des goûts raffinés !

vendredi, 26 août 2016

La Couleur de la victoire

   Le titre d'origine, Race, est à double sens : il désigne à la fois la "race" et la "course". Pour la sortie en France, on a misé sur la mémoire des cinéphiles, qui sont censés penser au film de Spielberg (La Couleur pourpre) ou au plus récent La Couleur des sentiments.

   Ce n'est donc pas uniquement un biopic de Jesse Owens, mais aussi une oeuvre sur le racisme sous toutes ses formes et notamment sur la ségrégation qui sévissait aux Etats-Unis dans années 1930. On ne nous cache pas le comportement odieux de certains étudiants blancs de l'université de l'Ohio, tout comme les huées du public des championnats universitaires, huées qui vont se muer en acclamations, devant les performances du champion. Mais, même après ses exploits aux JO de Berlin, Owens, de retour aux Etats-Unis, est resté un "nègre" qui doit emprunter l'entrée de service du restaurant où est organisée une cérémonie qui lui rend hommage !

   La première moitié de l'histoire est consacrée aux débuts de ce sportif modeste, surdoué... et pas très fiable comme compagnon. On nous présente aussi assez bien les questionnements qui ont agité l'Amérique (noire comme blanche) lorsqu'il s'est agi de décider de la participation ou du boycott des jeux hitlériens. A ce sujet, je trouve qu'on a trop enjolivé le personnage d'Avery Brundage (incarné par Jeremy Irons), une enflure antisémite qui a profité des Jeux pour lancer sa carrière au CIO.

   L'intrigue est construite sur un schéma un peu réducteur : les Américains blancs, majoritairement, méprisent les Noirs et ne sont pas antisémites ; les Allemands détestent les juifs et, s'ils méprisent les Noirs, ils n'en laissent rien paraître.

   A l'écran, cela donne certaines des meilleures séquences du film, autour de l'arrivée des athlètes en Allemagne, une Allemagne un peu ripolinée, où l'on a (temporairement) masqué les signes les plus évidents de la politique totalitaire. Du coup, pour les Noirs américains, ces Jeux sont une immense et bonne surprise... du moins au départ. Au village olympique, dans les bus comme dans la cantine, il n'y a pas de ségrégation. Owens, déjà crédité de plusieurs records du monde, est considéré comme une vedette et signe des autographes :

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   Cette image n'est pas extraite du film (on y voit le véritable Jesse Owens), mais d'un bon documentaire récemment rediffusé sur Arte (et visible encore quelques jours). Notons que ni ce film ni La Couleur de la victoire n'insistent sur le fait que les jeux ont été gagnés par l'Allemagne. La gloire acquise par Jesse Owens ne suffit pas à masquer les succès allemands : le pays est arrivé en tête du bilan des médailles (au total général comme au nombre de médailles d'or) et les Jeux ont constitué une opération de propagande réussie.

   La fiction restitue bien le gigantisme de l'opération, en particulier à travers la construction du stade olympique. On suit aussi les efforts de la cinéaste Leni Riefenstahl pour faire de ces Jeux un événement quasi mythique, en accord avec les souhaits d'Hitler, pourtant assez réservé au départ.

   Notons que le film distingue les Allemands ordinaires, pris dans la nasse du régime, des militants nazis, dépeints de manière négative. C'est Joseph Goebbels qui occupe le plus de place à l'écran. Il est inquiétant à souhait, mais je trouve que l'acteur Barnaby Metschurat le rend un peu trop fascinant, alors que c'était une ordure de la pire espèce. A quelques (trop rares) instants, certains personnages ont l'occasion de réaliser que, derrière la propagande, se cache un régime extrêmement dangereux.

   L'histoire ménage aussi beaucoup de place à l'amitié, celle qui se développe entre l'entraîneur blanc (champion raté) et le jeune prodige, mais aussi celle plus surprenante (mais tout aussi authentique) qui naît entre l'Américain noir et l'Allemand blond (Lutz Long, le sauteur en longueur).

   Au niveau sportif, c'est correctement filmé, sans plus. Pour qui a vu ne serait-ce que des extraits d'Olympia, le (formidable) documentaire de Leni Riefenstahl, la platitude de la réalisation de cette fiction est apparente. Ce n'est pas mauvais, juste un peu scolaire. Cela donne une oeuvre plutôt plaisante, qui apprendra des choses à ceux qui ne connaissent pas cette histoire (notamment pourquoi Owens a participé au relais 4x100m, ce qui n'était pas prévu au départ). Mais cela manque un peu de souffle.

dimanche, 21 août 2016

Stefan Zweig, adieu l'Europe

   C'est une sorte de mini-biopic, racontant les dernières années de la vie de l'écrivain autrichien juif, qui fut une gloire en son temps. Il a fui son pays natal dès 1934, avant que l'Allemagne hitlérienne ne l'annexe, mais alors que les mouvements d'extrême-droite sont déjà très puissants en Europe, y compris en Autriche. On le suit principalement en Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Uruguay), mais aussi en Amérique du Nord, pour un intermède aux États-Unis.

   Les interprètes principaux sont bons, en particulier Josef Hader, qui incarne Zweig. Les cinéphiles retrouveront avec plaisir Barbara Sukowa, brillante il y a trois ans dans Hannah Arendt. J'ai par contre quelques réserves à émettre sur les seconds rôles. A-t-on fait exprès de les faire jouer "spontané" ? En tout cas, à plusieurs reprises, cela sonne faux.

   Mais le principal problème est le manque de rythme. C'est terriblement empesé, avec des tunnels de dialogues dont on ne comprend pas vraiment l'utilité. La meilleure séquence est (pour moi) celle qui commence dans une plantation de canne à sucre, dans l'Amazonie brésilienne. C'est inattendu, rafraîchissant et parfois comique. Hélas, ensuite, on retombe dans la lourdeur. La mise en scène ne vient pas au secours du film : elle est très académique, même si, ici ou là, on perçoit un effort pour composer les plans. De ce point de vue, la scène la plus réussie est sans conteste celle de la découverte des corps des suicidés, avec le jeu de miroir s'appuyant sur l'armoire à glace.

   Cela nous mène à une autre faiblesse du film : on ne comprend pas vraiment le déclic qui a poussé le couple à se suicider. L'écrivain est certes déprimé par ce qu'il se passe en Europe, mais, alors qu'il nous est montré joyeux le jour de son anniversaire fin 1941 (on lui offre un chien), rien n'est dit sur le contexte de février 1942. Du coup, je suis sorti de là déçu.

dimanche, 14 août 2016

Le Mémorial de Verdun

   C'est désormais le musée "officiel" de la bataille de Verdun, ce qu'il n'était pas à l'origine. Inauguré en 1967, le Mémorial (résultant d'une initiative privée) avait pour principal objectif d'honorer les anciens combattants. Il se trouve en dehors de la ville, en hauteur, sur le territoire d'un village détruit (celui de Fleury). Je l'ai connu il y a des années de cela, dans sa deuxième époque, après qu'on avait rajouté de multiples objets. J'en avais gardé un souvenir mitigé : les véhicules et les armes m'avaient passionné, mais les panneaux explicatifs étaient vieillots et parfois d'une lecture fastidieuse.

   Le bâtiment (ré)inauguré par Angela Merkel et François Hollande en mai dernier a été profondément modifié, surtout à l'intérieur. Vu de l'extérieur, il semble n'avoir subi que des retouches mineures. Voici comment il était il y a quelques années :

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   Et le voici en 2016, par une belle fin d'après-midi d'été :

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   Les canons n'ont pas disparu ; ils ont été déplacés en contrebas, à proximité d'allées bordées de pelouses. Les abords sont donc plus jolis qu'autrefois. Mais on remarque surtout l'apparition d'un étage supplémentaire, sous la forme d'une verrière. C'est à cet endroit qu'a été placée l'exposition temporaire  présentant l'histoire du site. On y trouve aussi une buvette, des toilettes et une terrasse très commode, d'où l'on a vue notamment sur l'Ossuaire de Douaumont :

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   C'est une visite complémentaire qui s'impose, encore plus pour des Aveyronnais, l'Ossuaire ayant été construit à l'initiative de l'évêque de Verdun de l'époque, un certain Charles Ginisty, originaire de la commune de Saint-Saturnin-de-Lenne, dans l'Aveyron.

   Mais revenons au Mémorial. L'entrée se trouve sur le côté, au sous-sol, et non plus sur le devant (par les grandes portes en bois) comme autrefois. La visite commence par une petite vidéo, résumant la géostratégie de la Première guerre mondiale, à l'aide de cartes animées. En trois-quatre minutes, elle réussit le tour de force de synthétiser l'essentiel des mouvements de troupes en Europe, de manière très accessible.

   De là on arrive dans la salle principale. A partir de ce moment, presque tout le musée est trilingue (allemand-anglais-français), un gros effort ayant été fourni tant au niveau des panneaux que des images projetées et des textes lus.

   L'avant-Verdun est présenté par un historien allemand, qui souligne la préparation minutieuse de l'offensive des troupes de Guillaume II, de surcroît très bien renseignées sur l'état des forts et le niveau de protection du côté français. L'espionnage fonctionnait dans les deux sens. S'y ajoutait l'interrogatoire des prisonniers. Le haut-commandement français ne s'est pas montré particulièrement perspicace sur ce coup-là (comme sur tant d'autres, d'ailleurs).

   Le clou de cet étage est une maquette animée, située juste après la présentation. La région de Verdun a été reconstituée en relief. Au-dessus de la maquette, trois vidéo-projecteurs y impriment diverses animations. On comprend très bien le déroulement de la bataille, le tout étant complété par un écran triple, sur lequel s'affichent des images d'époque légendées.

   Ensuite commence un parcours encadré d'énormes tronçons de bois, censés figurer un réseau de tranchées. Du coup, cette partie du musée prend la forme d'un labyrinthe, où chaque recoin réserve des surprises. On y découvre les troupes coloniales, les différents forts de la région (Vaux, Douaumont...), des véhicules et le fonctionnement de la fameuse Voie sacrée. On ne doit pas négliger le sol non plus, puisqu'une partie du dallage est transparente, laissant voir divers objets en relation avec les combats. C'est la partie du musée où j'ai passé le plus de temps.

   A l'étage du dessus, on découvre une masse d'objets de toute sorte, classés par thèmes. Les panneaux explicatifs sont plus nombreux. On a visiblement fait en sorte qu'ils ne soient pas trop longs. Çà et là, des fiches cartonnées sont disposées pour éclairer les visiteurs. Les plus futés comprendront à quels endroits il faut tirer sur des languettes... qui ouvrent de grands tiroirs vitrés. On peut aussi se contenter d'écouter (à l'aide de casques) les témoignages lus (enregistrés), parfois très durs.

   Ce deuxième niveau est celui des armes, des uniformes et des avions. On nous y présente aussi davantage la vie quotidienne des soldats, leur alimentation et l'importance du courrier. On les découvre artisans voire artistes, tant leurs productions, issues de matériaux de récupération, sont parfois extraordinaires. Très dur est le coin consacré aux soins et à la chirurgie, avec toute la panoplie du matériel médical de l'époque, innovations comprises. Les âmes sensibles éviteront de regarder un court documentaire traitant des divers traumatismes (physiques, mentaux) subis par les "poilus", les images les plus saisissantes étant sans conteste celles des "gueules cassées".

   On se dirige tout doucement vers la fin de l'étage. Confortablement installé (si l'on a pu se saisir d'une des places assises), on regarde un film racontant l'après-Verdun, des années 1920 à la reconstruction du Mémorial. On y retrouve des images célèbres (la rencontre Kohl-Mitterrand de 1984) et d'autres moins connues, comme cette cérémonie franco-italo-allemande de 1936, les visiteurs d'outre-Rhin déployant une croix gammée et faisant le salut nazi... à Douaumont !

   Si l'on veut poursuivre la visite, il faut grimper deux étages (l'étage intermédiaire étant réservé à l'administration) ou prendre l'ascenseur. On arrive au niveau où se trouvent l'exposition temporaire, la buvette et la terrasse. On peut aussi y manipuler de grandes tablettes numériques, qui permettent de visualiser les champs de bataille et de croiser trois couches d'informations. De retour au sous-sol, on peut passer par la librairie, d'une richesse incroyable sur le premier conflit mondial.

   Doté de riches collections, érudit sans être chiant, moderne dans sa scénographie, le Mémorial est un lieu à découvrir pour toute personne qui s'intéresse un peu à la Première guerre mondiale.

mardi, 09 août 2016

Jeanne d'Arc en réclame

   Ah, l'été, ses balades et ses brocantes ! C'est toujours l'occasion de faire d'étonnantes découvertes. Ainsi, le week-end dernier, en compagnie d'une personne chère à mon coeur, j'étais sur le point de quitter un énorme vide-grenier (où j'avais par ailleurs déjà trouvé mon bonheur), lorsque mon regard s'arrêta sur un carton, posé au sol, duquel émergeaient de vieux journaux. Le titre d'une revue attira mon attention : La Femme chez elle.

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   Ce numéro date du 15 septembre 1931. D'autres sont un peu plus anciens (d'un ou deux ans). On s'adresse visiblement aux épouses bourgeoises. Le premier article traite des "colifichets et fanfreluches". Le suivant est intitulé "Nos bébés". Plus culturel, un autre évoque l'Espagne, "terre de contrastes et de traditions". Côté pratique, une rubrique courrier répond aux questions des lectrices et des patrons sont fournis pour donner de l'ouvrage aux habiles couturières. L'ensemble est entrecoupé de publicités, l'une d'entre elle méritant particulièrement le détour :

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   Plantée sur un fougueux destrier, en armure et cheveux aux vents, la Pucelle brandit une bouteille du précieux liquide, le tout étant vanté par un homme vêtu d'un uniforme, une double garantie de qualité censée rassurer les ménagères.

   Mais le plus cocasse réside dans l'argumentation : la benzine est réputée enlever toute tache sans laisser d'auréole... un comble pour un produit promu par une sainte !

vendredi, 05 août 2016

L'alcool dans la guerre

   C'est le thème d'une exposition temporaire, visible jusqu'au 1er décembre 2016 au musée de la bière de la commune de Stenay, située dans le département de la Meuse et la région Lorraine Grand-Est. C'est l'une des très nombreuses manifestations qui entourent le centenaire de la bataille de Verdun. J'ai d'ailleurs découvert avec surprise combien les animations étaient nombreuses, aussi bien celles promues par l'office de tourisme départemental que celles, moins spectaculaires, organisées au niveau local et (heureusement) annoncées dans la presse.

   Le lieu mérite lui-même l'attention du visiteur. Le musée est un ancien magasin aux vivres, devenu malterie par la suite, avant que de successifs changements de propriétaires n'orientent l'activité vers le dépôt de charbon, la champignonnière ou encore le casernement de troupes.

   Les trois quarts des locaux sont consacrés aux collections permanentes. On nous explique d'abord quels sont les constituants de la bière, avant de passer à l'historique. Les plus anciennes traces remontent à la période néolithique, en Mésopotamie. Sachez qu'à l'époque c'étaient des femmes qui fabriquaient le précieux breuvage.

   On vogue ensuite de l'Antiquité gallo-romaine à l'époque moderne, en passant par les changements introduits au Moyen-Age. Les moines ont joué un rôle important. Mais les transformations (techniques et économiques) décisives sont intervenues lors des Révolutions industrielles, jusqu'aux ultimes changements contemporains. Plusieurs salles abordent des aspects techniques de la fabrication, mais j'ai été plus sensible à celle consacrée à la publicité et à la propagande véhiculées par la bière et ses supports.

   C'est dans la dernière partie du musée que l'on découvre l'exposition temporaire, consacrée à l'alcool pendant la Première guerre mondiale. Une idée reçue consiste à opposer les Français amateurs de vin aux Allemands gros consommateurs de bière. Il y a quand même un fond de vérité, si bien que, sur les représentations des "poilus", le jus de raisin fermenté est très souvent présent :

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   En réalité, les Allemands fabriquaient et consommaient aussi beaucoup de vin... et même une sorte de champagne ! Ceci dit, ils buvaient surtout de la bière, certains soldats emportant même leur chope fétiche dans les tranchées !

   Du côté français, on note une séparation entre le Nord et le Sud, le premier étant davantage une terre de "biérophiles", le second une terre de vinophiles. Pour nombre d'entre eux, la guerre a été l'occasion de découvrir et de s'habituer à la consommation de nouveaux breuvages... y compris les eaux-de-vie, certes nettement moins répandues que les boissons moins alcoolisées.

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   En 1914, seuls 25 centilitres étaient attribués quotidiennement aux "poilus" (avec 6 centilitres d'eau-de-vie). Au moment de la bataille de Verdun, on est passé à 50 centilitres, le litre étant atteint avant la fin du conflit. La gourde réglementaire servait d'outil de mesure. Celle qui figure ci-dessus a subi un traitement un peu "spécial" (que je ne révèlerai pas... mais qui est expliqué dans le musée), traitement dont l'objectif était de permettre au poilu d'augmenter légèrement et subrepticement sa ration de vin...

   Le mot "pinard" s'est répandu dans le langage courant, sans doute en relation avec le pinot, cépage très présent en Champagne, Lorraine et Alsace.

   J'ai aussi été surpris par la diversité des contenants. C'est fou comme on a pu faire varier la taille, la forme, la décoration et la couleur des bouteilles. Les catalogues des fabricants proposaient un choix impressionnant de modèles :

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   Les vins et les bières n'étaient pas les seuls concernés. Les alcools forts (ou tout simplement de synthèse) ont connu un indéniable succès. On note la propension des commerciaux à vanter leurs effets thérapeutiques ! A chaque affection du corps (voire de l'âme) correspondait au moins une substance alcoolisée, propre à guérir du mal de crâne, de la fatigue, des douleurs diverses... et même des hémorroïdes.

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   Pourtant, depuis la fin du XIXe siècle, de virulentes campagnes combattaient l'alcoolisation des masses, surtout la consommation des boissons fortes, le vin ayant meilleure réputation... et un poids économique plus important.

   Mais, face à la dureté des combats et de la vie quotidienne, les "petits remontants" étaient bien utiles... et parfois commandés par les officiers, pourtant chargés de lutter contre les abus. Un extrait du documentaire Apocalypse Verdun aborde la question... et la relie à l'alimentation générale des soldats. Il est notamment question des bouchers aux armées. Ames sensibles s'abstenir.

   Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur cette passionnante exposition, à voir si vous en avez l'occasion. Elle est présentée par un dossier de presse bien conçu.

   P.S.

   Sur le sujet, on peut lire aussi avec profit une page du site des Archives de Lyon.

mercredi, 03 août 2016

Colonia

   Le titre de ce film est une référence à la tristement célèbre Colonia Dignidad, fondée dans le Chili profond par un ancien nazi. Cette enclave vivant en quasi autarcie est devenue une sorte de secte, dont les dirigeants entretenaient d'excellentes relations avec le pouvoir dictatorial d'Augusto Pinochet. C'est à ces monstres que les deux héros vont être confrontés, l'intrigue (aussi extraordinaire soit-elle) s'inspirant d'une histoire vraie.

   Le début nous présente les deux tourtereaux. Lui est un photographe engagé, talentueux, qui soutient le gouvernement d'Allende. Elle est une hôtesse de l'air audacieuse... et follement amoureuse de son chéri. On nous montre un couple assez moderne pour l'époque. On sourit et on est attendri, d'autant plus que les deux personnages sont incarnés par deux jeunes gloires du cinéma mondial, Daniel Brühl et Emma Watson. Lui s'est fait connaître dans Good Bye Lenin ! elle dans Harry Potter, où elle incarnait l'inoubliable Hermione Granger.

   Elle a d'ailleurs un peu plus de mal que lui à faire oublier le rôle qui l'a révélée. On l'a quand même remarquée dans My Week with Marilyn et Noé. Brühl, plus âgé, a eu le temps de davantage diversifier sa cinématographie. Ces dernières années, on l'a vu dans Eva, 2 Days in New York et La Femme au tableau.

   La première rupture dans l'intrigue survient avec le coup d'Etat de Pinochet. Le photographe disparaît. L'hôtesse de l'air décide de partir à sa recherche. On pourrait se dire que cela prend un tour un peu trop hollywoodien... à ceci près que c'est la dame qui veut sauver le monsieur. De plus, je peux vous garantir que la nature des atrocités perpétrées sous le régime de Pinochet n'est aucunement atténuée par le scénario.

   On se dit que, dans la vraie vie, cette femme a fait preuve d'un courage inouï... et, comme elle a les traits d'Emma Watson, à plusieurs reprises, j'ai eu envie de quitter mon siège et de foncer sur l'écran pour défendre la ravissante choupinette.

   Cela devient assez vite un thriller, avec la vie à l'intérieur de la communauté sectaire. Signalons la performance de Michael Nyqvist en gourou charismatique... et amateur de jeunes garçons. Dans le camp, on suit avec un intérêt grandissant les relations entre les femmes. Du côté des hommes, le héros fait assaut d'ingéniosité pour endormir la méfiance des geôliers. Certaines découvertes vont s'avérer capitales dans le dénouement de l'intrigue... qui nous réserve des surprises jusque dans la dernière séquence. Celle-ci abuse toutefois du "juste à temps", un peu comme dans Argo, pour ceux qui s'en souviennent.

   En dépit de quelques faiblesses, c'est à la fois un film instructif et un roman d'aventures prenant, avec une louche de romantisme pas niaiseux.

    P.S.

   En 2004, l'émission "Rendez-vous avec X" s'était penchée sur le cas de la Colonia Dignidad.

mardi, 26 juillet 2016

Guerriers celtes du Midi

   C'est le titre de la nouvelle exposition temporaire, visible au musée Fenaille jusqu'au 6 novembre 2016. Elle est consacrée aux stèles et sculptures découvertes dans le sud de la France et datant de l'âge du Fer (grosso modo, du VIIIe au VIe siècle avant JC).

   Dès le départ, on est cueilli par une espèce de pierre cubique, curieusement gravée :

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   Ce n'est peut-être pas très visible sur la photographie ci-dessus, mais il s'agit d'un guerrier à cheval, portant soit une lance, soit un arc. On distingue mieux les détails sur place. C'est d'ailleurs l'un des intérêts de cette exposition : la qualité de la "mise en scène", avec des éclairages très bien disposés, qui permettent de distinguer beaucoup de détails peu apparents autrement.

   Dans la deuxième salle (après l'introduction), on peut voir une carte permettant de localiser les sites ayant livré des restes appartenant à ce groupe de gravures/sculptures de l'âge du Fer. Ils se trouvent dans trois actuelles régions administratives : Midi-Languedoc, Auvergne-Rhône-Alpes et PACA, celle-ci concentrant la majorité des sites, notamment dans le département des Bouches-du-Rhône. L'Aveyron et le Tarn constituent la limite occidentale du phénomène (en l'état actuel des connaissances), avec trois emplacements dans notre département et un chez nos voisins tarnais.

   De prime abord, on serait tenté de rattacher ces découvertes aux célèbres statues-menhirs, pourtant beaucoup plus vieilles, puisqu'elles datent de 3500 à 2200 avant JC. Peut-être pas toutes, en fait. Certaines d'entre elles pourraient appartenir à un groupe plus tardif et faire le lien entre les anciennes productions et les nouvelles. Voilà pourquoi l'une des statues-menhirs du dernier étage a été descendue au sous-sol, pour être intégrée à l'exposition :

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   Elle a été découverte sur le site de La Verrière, sur le territoire de la commune de Montagnol, dans le Sud Aveyron, à proximité de Sylvanès. On pourrait aussi citer celle de Tauriac-de-Camarès, moins élaborée, mais dans le même style symbolique.

   Il semble qu'entre les statues-menhirs et les stèles, le sens ait évolué. Alors que les premières (masculines, féminines ou mixtes) sont associées aux communautés d'agriculteurs sédentarisés, cherchant peut-être à délimiter leur territoire ou à matérialiser l'appartenance à un groupe, les stèles de l'âge du Fer indiquent le passage à une communauté hiérarchisée, avec la formation d'une élite aristocratique... exclusivement masculine.

   Toutefois, il ne faudrait pas voir dans ces gravures/sculptures la représentation d'un défunt en particulier ni des objets qui sont associés à sa dépouille. D'ailleurs, seule une minorité de ces stèles est associée à une tombe. Selon les auteurs de l'exposition, il faudrait plutôt y voir le symbole d'un nouveau pouvoir, celui d'une lignée, peut-être représentée par un ancêtre héroïsé. Les objets dessinés sur ces stèles seraient les attributs de ce pouvoir.

   Curieusement, de nombreuses stèles sont apparemment lisses, sans marque visible. Peut-être avaient-elles pour seule fonction de matérialiser l'endroit d'un culte. Parfois, on distingue quelques gravures, certaines prouvant que l'entreprise Citroën a décidément des origines très anciennes !

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   Dans la troisième salle, il est surtout question du site de Touriès, sur le territoire de la commune de Saint-Jean-et-Saint-Paul (à proximité de Roquefort et de Saint-Affrique). On y a découvert une foultitude d'objets, notamment des stèles dressées datant évidemment de l'âge du Fer. Une exposition complémentaire lui est consacrée, au musée archéologique de Montrozier.

   La dernière salle est consacré aux troncs et bustes sur piliers, certains particulièrement ouvragés. Si vous voulez savoir ce qu'est un "cardiophylax", c'est ici qu'il faut vous rendre. Je recommande tout particulièrement la statue du Coutarel, trouvée dans le Tarn et prêtée, me semble-t-il, par le musée Toulouse-Lautrec. Elle est sculptée de face comme de dos... et même sur le côté !

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   Les parties face et dos ne dateraient pas de la même époque... ce qui expliquerait le sort subi par la partie face (que je vous laisse découvrir sur place).

   Il y a encore plein d'autres choses à voir dans cette exposition temporaire, mais aussi dans le reste du musée. On peut notamment y trouver une série d'oeuvres d'Auguste Rodin, consacrées à Marie, l'épouse de Maurice Fenaille. Celui-ci est le mécène à l'origine de la création du musée qui porte son nom. Rappelons qu'il a fait fortune dans l'industrie pétrolière. Féru d'arts et soucieux d'améliorer le sort de ses contemporains, il a permis à plusieurs musées (Le Louvre, Carnavalet, Les Arts Décoratifs...) d'étoffer leurs collections. Il a aussi financé la restauration du château de Montal (dans le Lot) et acquis le fameux Hôtel de Jouéry, à Rodez. Dans l'est de l'Aveyron, il a créé un sanatorium, devenu aujourd'hui un EPAD.

   Outre ces nouveautés, le musée mérite le détour pour sa collection de statues-menhirs, l'une d'entre elles ayant été installée il y a moins de deux ans. De là, on peut descendre à l'étage gallo-romain, puis aux salles médiévales et Renaissance.

   P.S.

   A la boutique du musée, on peut se procurer le catalogue de l'exposition consacrée aux guerriers celtes, vraiment très bien conçu :

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dimanche, 24 juillet 2016

Elvis & Nixon

   Ce petit film brode à partir d'une rencontre qui s'est réellement produite, entre Richard Nixon (à l'époque président des États-Unis) et Elvis Presley, la star du rock, en 1970. Les États-Unis étaient en pleine guerre du Vietnam. A l'intérieur, le pays était agité par de multiples mouvements contestataires... et Elvis Presley (plus mûr qu'à ses débuts) était peut-être la vedette la plus connue du monde.

   C'est d'ailleurs une source de gags, puisque la star met les dames en émoi... et suscite l'incrédulité des hommes. La scène la plus drôle est sans conteste celle qui se déroule dans un aéroport, très tôt le matin, lorsqu'un pâle sosie du King apostrophe celui-ci, qu'il prend pour un concurrent, certes pas malhabile.

   J'ai aussi beaucoup apprécié la manière dont on nous raconte la mise en place de la rencontre, dont Nixon à l'origine ne voulait pas. Ce sont ses assistants (eux-mêmes fans d'Elvis) et les amis du King qui vont trouver le moyen de faire plier le chef du Monde Libre...

   A partir de là, tout est possible. L'arrivée d'Elvis et de ses amis à la Maison Blanche est particulièrement cocasse, avec un service de sécurité au bord de la crise de nerfs. Puis vient enfin la rencontre. Kevin Spacey est excellent en président conservateur roublard. Face à lui, Michael Shannon (vu récemment dans Midnight Special) est bluffant. Alors qu'il ne ressemble pas physiquement à Elvis, il réussit à nous faire croire à son personnage, très conscient de son aura, imbu de lui-même aussi... et très seul au fond. Il n'a que deux ou trois véritables amis, incarnés eux par des acteurs très ressemblants :

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   Et puis... au-delà de la possible candeur d'Elvis, il y a sa part de duplicité. Certes, il a pris l'initiative d'écrire une lettre à Nixon... mais, en dépit du patriotisme affiché, n'est-il pas surtout désireux de se procurer un authentique badge du F.B.I. ? Le film maintien l'incertitude quant aux véritables motivations du King.

   La fin ne manque pas de saveur non plus. Elvis accepte bon gré mal gré de se plier à la séance de photos. Nixon sort de l'entretien tout joyeux... et pense régler les problèmes posés par la Syrie et l'Irak en deux temps trois mouvements ! (Petit clin d’œil des scénaristes... Rappelons que l'action se déroule en 1970.) Et puis, soyez attentifs aux textes qui s'affichent juste avant le générique. On y apprend ce que sont devenus les personnages fort sympathiques que l'on a suivis pendant 1h25... Nombre d'entre eux ont mal tourné, preuve supplémentaire qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

   P.S.

   D'un point de vue technique, j'ai été gêné, à quelques occasions, par l'image déformée de personnages situés aux extrémités de certains plans (notamment dans le bureau ovale). Je ne sais pas si c'est dû au film lui-même ou à la projection, défectueuse.

samedi, 04 juin 2016

Dalton Trumbo

   Ce long-métrage rend hommage à l'écrivain-scénariste américain et plus particulièrement à son combat contre l'hystérie anticommuniste qui a saisi les États-Unis dans les années 1940-1950. A priori, il n'avait rien d'un héros. Ayant connu le succès assez jeune, il menait une vie bourgeoise, avec son épouse (au foyer, dévouée à la carrière de son mari) et ses trois enfants, la fille aînée étant particulièrement proche de son père.

   Tout change avec les débuts de la Guerre Froide. Une partie de la population croit voir des espions bolcheviques partout. Le monde du cinéma est particulièrement visé, compte tenu de l'influence qu'on prête à ce média. C'est l'occasion de découvrir une galerie de personnages très bien campés. Se détache Bryan Cranston, qui EST Dalton Trumbo (et qui, tout autant que Leonardo DiCaprio, aurait mérité de recevoir l'oscar du meilleur acteur). Face à lui se dresse une ancienne actrice, devenue échotière du petit monde hollywoodien, véritable pasionaria anticommuniste... voire antisémite. Dans le rôle, Helen Mirren est excellente.

   Le sous-texte du scénario tente de démontrer que l'Amérique, terre de liberté, a failli basculer dans la dictature. Les hérauts de l'anticommunisme s'en sont pris à ceux qui avaient la réputation d'être "de gauche" : communistes, progressistes et même certains démocrates. Les comédiens qui incarnent les bourreaux et les victimes sont très crédibles. Au passage, le film égratigne quelques gloires républicaines, au premier rang desquelles John Wayne, l'acteur-vedette des patriotes... qui n'a jamais porté l'uniforme de sa vie. Les spectateurs attentifs apercevront, au détour d'un plan, deux futurs présidents des États-Unis, Ronald Reagan, très actif à Hollywood contre les "commies", et Richard Nixon, qui fut proche de Joseph McCarthy, avant de devenir le colistier de Dwight Eisenhower, élu président en 1952.

   La deuxième partie de l'histoire nous fait suivre deux fils rouges : la procédure judiciaire, qui va mener certains protagonistes en prison et qui pourrait aller jusqu'à la Cour suprême, et la tactique de contournement du système suivie par Dalton Trumbo et ses alliés : puisqu'il ne peut plus travailler sous son nom pour Hollywood, il va devenir un nègre protéiforme, fournissant des scenarii clés en main aussi bien à un producteur de nanars (John Goodman... j'adore !) qu'à de prestigieux réalisateurs. Pour ce faire, il va mettre au service de sa cause la famille entière, les enfants se prêtant en général d'assez bonne volonté au jeu du coursier ou du standardiste téléphonique.

   Qui plus est, la mise en scène n'est pas dégueulasse. Jay Roach (le réalisateur) semble avoir fait des progrès depuis les Austin Powers et Mon Beau-père et moi, des comédies efficaces mais qui reposaient surtout sur le scénario et le jeu des acteurs. J'ai particulièrement aimé les scènes de salle de bain, un endroit où Trumbo aimait travailler en paix, tout en faisant trempette. Plus classiques sont les moments qui le montrent devant la machine à écrire, cigarette au bec, un verre d'alcool à proximité... et des cachets dans le tiroir. J'ai aussi en mémoire une scène se déroulant dans un cinéma, plus précisément l'instant où une partie du générique se reflète dans le verre des lunettes de Dalton Trumbo. Très habile !

   Intelligemment, le film place en parallèle de la lutte menée par Trumbo l'évolution des membres de sa famille. On se rend compte que le grand homme n'aurait pas été grand chose sans le dévouement de son épouse, une mère au foyer qui, de nos jours, serait sans doute une cadre dynamique. Mais c'est avec la fille ainée (celle qui pourtant s'identifie le plus au père) que le conflit va éclater. L'ancienne enfant chérie est devenue une adolescente au caractère affirmé. Elle veut sortir le soir et s'investit dans la défense des droits des Noirs. Trumbo va devoir résoudre aussi ce conflit de générations.

   Fort heureusement, les aspects sombres de l'histoire sont contrebalancés par des moments de comédie. Les anecdotes sur la vie du petit monde hollywoodien (ses fiertés mal placées, ses petites bassesses...) ne manquent pas de saveur. Mais c'est principalement la "conspiration du scénario" qui est source de gags.

   On (re)découvre ainsi que certains acteurs et réalisateurs n'ont pas baissé leur froc devant les fanatiques de l'anticommunisme. Si le film évoque brièvement Lauren Bacall et Humphrey Bogart, il s'attarde davantage sur les interventions de Kirk Douglas et Otto Preminger, remarquablement interprétés par Dean O'Gorman (vu dans Le Hobbit) et Christian Berkel. La réalisateur installe une sorte de connivence entre la famille Trumbo et les spectateurs, si bien qu'on se réjouit avec eux des récompenses gagnés par le scénariste, sans que son nom ne figure au générique des œuvres primées.

   J'aurais quand même quelques réticences à formuler. Si techniquement, le film est irréprochable, sur le fond, il n'est pas totalement objectif. A l'écran ne sont montrés que des éléments (politiques) favorables aux scénaristes mis en cause à l'époque. Leurs seules faiblesses sont de l'ordre du privé. De plus, au niveau du contexte, il aurait été judicieux de préciser que la Commission des activités antiaméricaines avait été fondée avant la Seconde guerre mondiale et pas pour traquer les communistes, mais les nazis. Si les poursuites engagées contre les scénaristes d'Hollywood étaient scandaleuses, l'espionnage soviétique aux États-Unis n'en était pas moins réel... et l'URSS pouvait difficilement passer pour un havre de liberté, sans que cela scandalise les communistes américains.

jeudi, 26 mai 2016

L'Origine de la violence

   Quand j'ai commencé à lire des articles sur ce film, j'ai pensé à de récentes fictions qui entremêlent le présent et le passé, celui de la Seconde guerre mondiale. En 2007 est sorti Un Secret, lui aussi adapté d'un livre. En 2010, on a eu droit au très prenant Elle s'appelait Sarah. L'an dernier c'était au tour de L'Antiquaire, dans lequel jouait déjà Michel Bouquet.

   L'intrigue utilise les ficelles de l'enquête policière, ici à caractère historique. Le noeud de l'affaire est la découverte par le héros de l'existence d'un membre ignoré de sa famille, qui serait passé par le camp de Buchenwald. Cette première partie passe moyennement, pour plusieurs raisons. La première est que j'ai eu du mal à m'habituer au jeu de Stanley Weber (qui incarne Nathan, le héros de 2014, dont on a pourtant eu la bonne idée de faire une personne limite antipathique, en tout cas pétrie de défauts). Sa rencontre avec une ravissante Allemande (Miriam Stein, lumineuse) apporte un salutaire dynamisme à l'intrigue. Mais, comme j'avais très vite deviné quelle était la nature du mystère entourant la photographie du déporté, le déroulement de l'histoire manquait un peu de saveur. De surcroît, il me semble que c'est parfois un peu surjoué et trop souligné par la musique. Au bout de trois quarts d'heure, je me suis même demandé comment Elie Chouraqui allait pouvoir nous tenir en haleine encore plus d'une heure.

   Je m'étais trompé. Dans cette partie de l'histoire, le jeune prof tire sur un fil... et la pelote va continuer à se dévider. D'autres mystères surgissent. Comment l'homme de la photographie est-il réellement mort ? Pourquoi est-il décédé en 1942 et non pas en 1941 ? Que s'est-il passé entre ces deux dates ?... et qui a écrit la lettre de dénonciation ?

   Dans cette seconde partie, l'intérêt est d'autant plus relevé que l'on a donné plus de texte à certains interprètes : Richard Berry (excellent de retenue et de sobriété), Michel Bouquet (magistral... à son âge !), Catherine Samie (époustouflante en grand-tante dynamique) et Joseph Joffo (criant de vérité en ancien déporté). Voilà pour la distribution contemporaine. Mais la véritable perle est constituée par les séquences anciennes (des années 1940), qui ressuscitent, par petites touches, le passé que tant de monde voudrait voir rester enfoui. C'est le moment de signaler la composition de César Chouraqui, très juste en jeune tailleur ambitieux.

   Le film va même encore plus loin : quand on dégoupille une grenade, il faut s'attendre à ce qu'elle pète entre les mains. Le héros contemporain va ainsi faire une ultime découverte, à propos d'un événement qu'il ne cherchait même pas à éclaircir. Cette manière de conclure l'histoire est vraiment très bonne.

   Je suis donc sorti de là finalement très satisfait. L'ensemble vaut mieux que ce qu'une partie du début laisse présager.

mardi, 26 avril 2016

Eva ne dort pas

   Cette Eva est Eva Peron, l'épouse du président argentin Juan Domingo Peron et véritable icône des classes populaires argentines encore aujourd'hui. Cette Eva, malgré les apparences, ne dort pas, parce qu'elle est morte (en 1952). Mais son cadavre embaumé donne l'impression qu'elle est toujours en vie. Quoi qu'il en soit, il fait l'objet de toute l'attention de la junte conservatrice qui a renversé Peron en 1955.

   Le début nous montre "Evita" vivante, avec la force du tribun politique que l'ancienne actrice était devenue. Le choix de discours qui stigmatisent le capitalisme financier et les "oligarques" argentins qui le soutiennent n'est à mon avis pas le fait du hasard : le réalisateur Pablo Aguero veut montrer que, par certains aspects, la situation de l'époque n'est pas sans évoquer celle du monde actuel.

   Comme l'intrigue est centrée sur le devenir de la dépouille d'Eva Peron, les paradoxes du "péronisme" ne sont pas abordés. Pour nous Français, cela semble être un mélange de gaullisme et de chavisme. Cela pourrait rappeler aussi le mouvement qui s'était constitué, sous la IIIe République, autour du général Boulanger. Peron lui-même était pétri de paradoxes : admirateur du premier Mussolini, en très bons termes avec Franco, il a laissé des milliers de nazis se cacher en Argentine, après la Seconde guerre mondiale. Dans le même temps, le pays s'orientait vers une véritable démocratie, avec (sous l'impulsion de son épouse, dit-on) le droit de vote pour les femmes et une série de mesures en faveur des classes populaires.

   Voilà pourquoi le narrateur de l'histoire, un officier conservateur, est aussi ordurier à propos d'Eva Peron. Ce contraste joue en faveur de la jeune femme, bien que ce narrateur soit incarné par Gael Garcia Bernal (que l'on a vu récemment dans Desierto).

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   La première partie traite de l'embaumement du corps. Il est effectué quasiment en catimini, par un personnage qui ne semble pas particulièrement apprécier la dame, de prime abord. Il ne va pas moins réaliser un travail remarquable. Signalons que c'est une actrice (Sabrina Macchi) et non un mannequin articulé qui incarne la défunte. Elle a dû subir un entraînement rigoureux pour pouvoir rester de longues minutes en immobilité totale (ou sans réagir quand elle est plongée dans un grand aquarium), le film étant tourné en plans-séquences. De ce point de vue, c'est assez virtuose.

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   La partie la plus pittoresque est le transport du corps momifié, de nuit, dans un camion anonyme, par un colonel qui a vu du pays. Le scénario (de manière volontairement erronée) en fait un ancien d'Indochine, sans peur et sans reproche. Il a les traits de Denis Lavant, vraiment excellent :

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   Dans son périple, il va côtoyer un jeune soldat argentin, qui a l'air bien innocent face au vieux briscard. Leur cohabitation va se révéler pleine de surprises.

   La dernière partie évoque la recherche de la dépouille d'Eva Peron. Des groupes révolutionnaires veulent mettre la main dessus. Ils ont enlevé l'ancien président anti-péroniste, Pedro Arumburu, qu'ils veulent juger. (Le film ne dit pas que ces péronistes de gauche voulaient sans doute aussi éviter qu'un éventuel retour au pouvoir de Peron ne se traduise par un rapprochement avec la droite, auquel travaillait Arumburu.) C'est à mon avis la partie la moins convaincante. L'idée du huis-clos est bonne, mais il aurait fallu rejouer certaines scènes.

   L'histoire se conclut avec le narrateur, au moment où la junte militaire a repris le pouvoir en Argentine (dans les années 1970). Bien que le corps ait été enterré sous plusieurs mètres de béton, le mythe d'Eva Peron est resté vivace.

   P.S.

   Le film, assez bref (il dure moins d'1h30), omet certains détails concernant le décès de la jeune femme (à 33 ans). La maladie qui l'a abattue est le cancer du col de l'utérus. Les derniers mois, elle souffrait tellement qu'on lui a fait subir une lobotomie, dont des traces auraient dû être visibles sur le front du cadavre. Dans le film, on n'en voit rien... peut-être parce que cela ferait surgir d'autres questions, plus polémiques encore. Un récent article avance l'hypothèse que la lobotomie avait aussi pour but de "calmer" Eva Peron, dont le tempérament révolutionnaire semblait s'intensifier avec la progression de la maladie. Il se pourrait même que l'intervention chirurgicale ait hâté sa fin...

   L'autre aspect passé sous silence est l'origine du cancer de l'utérus. Il est dû à des papillomavirus, transmis lors de rapports sexuels non protégés. Alors, soit Eva Duarte a contracté la maladie alors qu'elle était actrice (avant de rencontrer Peron), soit elle lui a été transmise par son mari... dont la première épouse est décédée du même mal... tiens donc ! De là à penser que l'officier avait jadis attrapé une "chose triste" en fréquentant un bordel et qu'il l'aurait transmise à ses deux épouses successives...

   De fil en aiguille, j'ai été amené à m'intéresser à la prostitution en Argentine. Je suis tombé sur un passionnant article, disponible sur le site d'une ONG (mondefemmes). On y apprend que, de 1875 à 1935, des "maisons de prostitution" (gérées par des femmes) ont eu pignon sur rue. On peut compléter cette lecture par celle d'un article de Slate qui, il y a un peu moins de trois ans, évoquait la situation d'Européennes de l'Est juives. Entre la fin du XIXe siècle et la Seconde guerre mondiale, des milliers d'entre elles ont été exploitées en Amérique du Sud.

dimanche, 24 avril 2016

Fritz Bauer, un héros allemand

   Ce film met l'accent sur une personne qui n'apparaissait qu'au second plan dans un autre film historique allemand, sorti en 2015, Le Labyrinthe du silence. Ici, ce n'est pas le procès des crimes commis à Auschwitz qui est au cœur de l'intrigue, mais la traque d'Adolf Eichmann, dans le contexte de la RFA au tournant des années 1950-1960.

   J'ai été frappé par le souci de reconstituer l'ambiance sociétale de l'époque. On est certes en pleine Guerre froide (après le blocus de Berlin mais avant la construction du Mur), mais on est surtout à une époque où règne une sorte d'ordre moral chrétien-démocrate auquel il vaut mieux ne pas déroger. Ainsi, le procureur Fritz Bauer cumule les handicaps, aux yeux de la "bonne société" : il est socialiste, juif... et homosexuel. De surcroît, il a fui le pays à l'époque nazie, pour ne revenir qu'en 1949. Mais il a du bagout, une réputation de sérieux et de gros bosseur. Il semble aussi plutôt bien passer à la télévision.

   Pourtant, le film n'en fait pas un modèle intouchable. Il fume comme un pompier, sans se soucier de la gêne que cela peut provoquer, boit beaucoup d'alcool et traite les gens assez durement. Bref, il est plutôt antipathique. Il a sous ses ordres une brochette de jeunes procureurs ambitieux... mais en général très prudents : ils sont prêts à le suivre jusqu'à un certain point. Le plus courageux d'entre eux semble être le beau gosse à la carrure d'athlète, marié à la (ravissante) fille d'un industriel qui n'a pas pâti du régime nazi... Peut-il s'en faire un allié ?

   C'est d'autant plus nécessaire que les magistrats finissent par comprendre qu'ils sont espionnés par la police de leur pays ! Est-il besoin de préciser que celle-ci est en partie composée d'anciens nazis, qu'on espère pas trop compromis dans le régime déchu ?

   Le côté "roman d'espionnage" est donc très développé, dans une ambiance jazzy assez étonnante, mais qui se marie bien avec l'obscurité présente dans de nombreuses scènes. On découvre ainsi Francfort by night, avec ses cabarets interlopes, où l'on contourne la législation en place... tant que la police le tolère.

   Tout est bouleversé à partir du moment où surgit un renseignement sur la résidence d'Adolf Eichmann, qu'on a cru voir un peu partout dans le monde. En fait, il se trouvait en Argentine, un pays qui, sous le gouvernement de Juan Peron, a accueilli beaucoup de nazis en fuite...

   Je vous laisse découvrir la suite de la traque, entre le pôle judiciaire allemand, le gouvernement du Land de Hesse, le Mossad israélien, le rôle trouble de la police et les péripéties argentines. Personne n'est sorti indemne de cette histoire, très forte et bien rendue à l'écran.

jeudi, 21 avril 2016

Une "nouvelle" statue-menhir

   Elle a été découverte à la frontière du Tarn et de l'Aveyron (côté tarnais), dans la commune de Montirat, située grosso modo à mi-chemin de Villefranche-de-Rouergue et d'Albi :

Carte.jpg

   A ma connaissance, c'est Centre Presse qui a sorti l'information en premier, dans son numéro de mardi :

CPresse 19 04 2016.jpg

   L'article nous révèle deux autres choses, d'abord que la véritable découverte est beaucoup plus ancienne, ensuite que c'est parce qu'il était venu au (superbe) musée Fenaille qu'un chasseur du coin a compris l'importance de l'objet. (On peut aussi déplorer que ce modeste paragraphe n'ait pas été relu avec plus d'attention...)

   Pour savoir à quoi ressemble la statue-menhir, on peut se rendre sur le site de France 3 Midi-Pyrénées, qui en a parlé le même jour que Centre Presse (mais plus tard, dans l'après-midi) :

2016 a.jpg

2016 e.jpg

   On nous dit que la statue aurait environ 5 000 ans et qu'elle serait inachevée. La courte vidéo montre un archéologue examinant l'objet. Il penche pour une statue féminine, bien qu'il manque nombre de détails. Peut-être qu'après son nettoyage d'autres éléments (même ténus) apparaîtront.

   P.S.

   Rappelons qu'en 2013 une autre statue-menhir avait été découverte, à la limite de l'Hérault et du Tarn. A l'époque, on en a beaucoup parlé parce qu'elle a été trouvée enterrée (ce qui pourrait fournir de précieuses informations sur le contexte de sa création) et parce qu'elle comporte une bouche (ronde), une première chez une statue masculine :

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   P.S. II

   Quelques années auparavant (en 2010 ?), une autre statue avait été découverte dans le Tarn, à Montalet (du côté de Lacaune), pas très loin des rives du lac où la précédente était enfouie. Elle a fait l'objet d'une analyse détallée par Jean Gasco et Michel Maillé.

dimanche, 31 janvier 2016

Le Dernier Jour d'Yitzhak Rabin

   Vingt ans après l'assassinat du Premier ministre israélien par un intégriste juif, le cinéaste Amos Gitaï revient sur le déroulement de ce 4 novembre 1995, mais aussi sur les événements qui l'ont précédé et sur l'enquête menée par la commission chargée d'examiner les dysfonctionnements au niveau de la sécurité. Le documentaire est au final un assemblage d'images d'archives, de scènes reconstituées et d'entrevues. On commence d'ailleurs par un entretien entre l'actrice Yaël Abecassis (vue récemment dans Rendez-vous à Atlit) et l'ancien président d'Israël (entre autres fonctions) Shimon Peres. Le vieillard est calme, très digne, face à une interlocutrice au charme de laquelle il est difficile de ne pas être sensible.

   Les amateurs d'images-chocs apprécieront la suite, qui montre l'impressionnante manifestation pour la paix, organisée à l'initiative d'Yitzhak Rabin... jusqu'à son assassinat, partiellement filmé en direct, par accident, par un caméraman qui n'aurait pas dû se trouver là. A partir de ce moment, les scènes reconstituées prennent le dessus... et le film prend une autre dimension.

   Il aurait d'ailleurs pu se limiter à ces scènes, tant elles sont bien interprétées et porteuses d'une grande intensité dramatique. La majorité montrent le travail de la commission d'enquête et l'audition de différents acteurs des événements : policier, membre du service de protection des personnalités, journaliste, militant pour la paix, enseignante d'une école religieuse, haut-magistrat...

   Quand on lit entre les lignes, on comprend que le réalisateur penche pour l'existence d'un complot pour assassiner le Premier ministre qui avait pactisé avec le "diable" (Arafat). Ainsi, le caméraman évoque ce membre des services secrets en civil, qui lui intime de dégager de la proximité de l'escalier... quelques minutes avant que Rabin ne s'y fasse tuer. Les policiers peinent à expliquer comment il est possible que le meurtrier ait pu se faufiler entre les mailles du filet de protection. En contrepoint, l'acteur qui incarne l'assassin (excellent) nous fait bien saisir ses motivations national-religieuses tout comme le caractère opportuniste de son passage à l'acte. C'est davantage le contexte de haine et les circonstances (le désordre généré par une manifestation monstre) qui expliquent que l'assassinat ait pu être possible. Même le petit retard du véhicule qui a emmené le corps du blessé à l'hôpital proche peut se comprendre... d'autant plus, qu'à l'époque, les téléphones portables n'occupaient qu'une place marginale.

   C'est sur ce qui s'est passé avant et après que la démonstration est la plus convaincante. Il semble qu'on ait cherché à corseter le travail de la commission d'enquête. Celle-ci finit par découvrir que l'instruction du procès de l'assassin a volontairement écarté certaines hypothèses. Formidable est la confrontation entre les membres de la commission et le haut-magistrat... dont on finit par comprendre qu'il est proche des religieux. Ces scènes d'interrogatoire ne sont pas sans rappeler de très bons films de procès.

   L'autre grand intérêt du film est la mise au jour (pour ceux qui l'ignoreraient) de l'influence de la droite religieuse israélienne. Cela va des colons de Cisjordanie aux rabbins fondamentalistes qui auraient lancé une sorte d'appel au meurtre. Remplacez la kippa par une calotte, la Torah par le Coran, et vous n'aurez guère de lignes de texte à changer pour vous retrouver chez les extrémistes musulmans. Cette dénonciation implacable, servie, je le rappelle, par d'excellents interprètes, est complétée par des images d'archives, dans lesquelles on reconnaît un visage familier, celui de Benyamin Nétanyahou, alors chef de l'opposition, aujourd'hui Premier ministre (depuis bientôt sept ans).

   Notons qu'un grand soin a été apporté à la réalisation des scènes reconstituées et que la musique est judicieusement choisie. Le seul bémol est la longueur de l'ensemble : 2h30, que l'on sent bien passer. On aurait sans doute pu se passer de certaines séquences. Mais cela reste un très bon film.

samedi, 23 janvier 2016

Royal Aubrac

   C'est le titre d'une bande dessinée en deux tomes, parus il y a quelques années aux éditions Vents d'Ouest. Les auteurs sont Christophe Bec et Nicolas Sure. L'action a pour cadre le Nord Aveyron et l'un de ses lieux emblématiques, l'ancien hôtel-sanatorium de la commune de Saint-Chély-d'Aubrac, situé à proximité du village même d'Aubrac. En voici une représentation, publiée en 1904 dans le livre d'Eugène Marre, La Race d'Aubrac et le fromage de Laguiole :

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   Le premier tome de la bande dessinée plante le décor, alternant plusieurs types de scènes : celles qui se déroulent à l'époque principale (les années 1906-1909), celles qui rappellent des événements passés (principalement la jeunesse du héros, François-Alexandre de Peyregrandes) et celles qui représentent des épisodes cauchemardesques. Résultat : si le style est très classique, la diversité des ambiances rend la lecture très agréable.

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   Le début de l'histoire nous fait découvrir les principaux personnages (essentiellement des malades), certains hauts en couleur. Auparavant, la mise en bouche a présenté l'Aubrac enneigé, un voyage en chemin de fer qui s'achève en autobus et un premier contact avec les "locaux", qui s'expriment dans une langue étrange. L'humour surgit au détour des confidences des malades, ou lorsque l'un d'entre eux adopte un comportement qui sort de l'ordinaire. D'un point de vue documentaire, on suit la cure des (riches) victimes de la tuberculose, qui logent dans des chambres au confort assez rudimentaire... mais bénéficient d'un service impeccable. (Parfois, il règne une ambiance qui n'est pas sans rappeler celle du Grand Budapest Hotel.) Ceux qui ont connu l'établissement du temps où il était géré par la F.O.L. (Fédération des Oeuvres Laïques) ressentiront un brin de nostalgie.

   Je mets un bémol au niveau des dialogues, parfois trop littéraires... ou "pompés" sur une source écrite non mentionnée. C'est évident dans certains propos du docteur Raynal, qui dirige l'établissement : on a l'impression qu'il récite un dictionnaire médical. C'est encore plus flagrant dans l'épisode de la conférence du médecin (sur l'histoire de la tuberculose), dont les propos sont mot pour mot ceux que j'ai trouvés sur un site belge consacré aux médecins pendant la Première guerre mondiale :

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   Quand je m'en suis rendu compte, cela m'a un peu gâché le plaisir, mais, pris par l'histoire, j'ai quand même acquis le second tome :

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   Celui-ci est plus noir, puisqu'il voit mourir plusieurs des personnages principaux. Il n'en est pas moins intéressant. Il présente plusieurs aspects de l'histoire et de la vie aveyronnaises. Quand il est question de la fondation de la domerie d'Aubrac, on a de nouveau l'impression que l'auteur recopie mot pour mot une source non mentionnée. Par contre, quand ils évoquent la vie des paysans aveyronnais, le scénariste et le dessinateur se montrent très inspirés, en particulier dans les scènes de soirée ou de nuit.

   L'action est plus rythmée dans ce second volume, parce que certains personnages s'échappent brièvement du sanatorium, pour descendre dans la vallée ou pousser jusqu'en Auvergne, en quête de sensations. Quelques nouveaux protagonistes apparaissent mais, hélas, d'autres meurent. Cet aspect macabre est contrebalancé par l'amour grandissant entre le héros et Geneviève, qui souffre du même mal que lui.

   L'ensemble forme une belle histoire, véritable hommage à un terroir et utile rappel des difficiles conditions sanitaires auxquelles notre pays était confronté, au début du XXe siècle.

   Aujourd'hui, d'après certains, le bâtiment tombe en ruines. Il y a quelques années, il avait été racheté à la F.O.L. par Roger Cousty, qui prévoyait d'en faire un lieu de villégiature moyen / haut-de-gamme. (Le projet est encore accessible sur la Toile.) L'entrepreneur n'est pas parvenu à ses fins. L'an dernier, la presse aveyronnaise évoquait un nouveau changement de propriétaire. A suivre...

vendredi, 22 janvier 2016

Féminisme assyrien

   Il y a environ 4 000 ans, dans la région de Mossoul, où sévissent actuellement les nervis de l'Etat islamique, des femmes jouissaient d'une assez grande liberté, comme on peut le constater en lisant l'un des articles du dernier numéro des Cahiers de Sciences & Vie (celui de janvier 2016) :

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   C'est grâce à la traduction de milliers de tablettes d'argile que l'on en a appris davantage sur cette prestigieuse civilisation. On découvre ainsi des bribes de correspondance au sein de familles de marchands. Le père ou mari étant souvent en déplacement, une grande autonomie était laissée aux épouses et aux filles qui, de surcroît, avaient appris à lire, écrire et compter (autant de compétences qu'on serait ravi de voir maîtrisées par les élèves qui sortent de l'école primaire française du XXIe siècle...).

   Les extraits proposés dans l'article témoignent de l'aplomb avec lequel les marchandes s'exprimaient : elles n'étaient visiblement pas des épouses ou des filles soumises et effacées. Elles pouvaient d'ailleurs décider de divorcer. Ajoutons qu'à cette époque, le monde assyrien tend vers la monogamie (contrairement à ce qui existe dans bien d'autres civilisations de l'Antiquité, du Moyen Age... voire de l'époque contemporaine). Il existait même des femmes adultes célibataires, qui pouvaient posséder des terres et hériter des biens de leur père.

   Ce numéro des Cahiers de Sciences & Vie comporte d'autres articles enrichissants. Certains d'entre eux n'apprendront pas grand chose à ceux qui s'intéressent à des sujets comme le Saint Suaire de Turin ou les conséquences de l'éruption du Vésuve à Pompéi en 79. Le dossier qui fait la Une (consacré aux "invasions barbares") fait le point sur une question controversée, en s'appuyant sur de nombreux documents. Je recommande aussi l'article consacré à la violence à l'époque néolithique et celui qui évoque les pilleurs de patrimoine.

   Pour moins de six euros, cela vaut le coup !

mercredi, 13 janvier 2016

Déchéance de nationalité

   La Une du Canard enchaîné sorti aujourd'hui comporte un joli scoop (pour ceux qui ne connaissaient pas ce détail de l'Histoire) : un extrait du Journal Officiel (daté de 1940) évoquant la déchéance de nationalité qui a frappé, à l'époque, un certain Charles de Gaulle.

   On peut retrouver l'intégralité du décret sur le site de la Fondation de la France Libre. Notons que sa republication n'a rien à voir avec le débat qui agite actuellement l'opinion publique : il a été mis en ligne en juin 2010.

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    Cette avanie n'était que la dernière d'une série que le gouvernement de Vichy avait fait subir à Charles de Gaulle. Le général de brigade (à titre provisoire) a été successivement dégradé, mis à la retraite d'office, condamné à de la prison (par un conseil de guerre réuni à Toulouse) puis à mort, par contumace, à Clermont-Ferrand. (Cela veut dire que s'il avait été fait prisonnier par Vichy au cours de la guerre, il aurait sans doute été exécuté.)

   Cette condamnation à mort a d'ailleurs été évoquée par certains organes de presse. C'est le gros titre du numéro de Paris-soir paru le 4 août 1940 :

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   On la retrouve aussi en première page du quotidien catholique conservateur La Croix, le même jour :

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   Même le très sérieux journal économique Le Temps aborde le sujet, mais indirectement, dans un discret article situé en page 2 du numéro daté lui aussi du dimanche 4 août 1940 :

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jeudi, 31 décembre 2015

Le Bouton de nacre

   Ce bouton est le prix payé pour acquérir un homme et c'est aussi la seule trace retrouvée d'une personne disparue. Entre ces deux histoires tragiques, le cinéaste chilien Patricio Guzmán navigue. Auteur il y a quelques années d'un Nostalgie de la lumière très remarqué, il revient avec un documentaire du même style qui, au lieu de se plonger dans le cosmos, baigne dans le milieu aquatique.

   On commence avec un très gros plan mystérieux, celui d'un glaçon dans lequel est emprisonnée une bulle d'air très ancienne. Il va donc d'abord être question d'une histoire qui s'étend sur le temps long. Cela nous vaut des plans magnifiques, aussi bien des glaciers que de l'eau qui coule. On savait déjà que le réalisateur était un grand formaliste, mais là, il ajoute la pureté des sons. Ce documentaire est donc d'abord un plaisir des sens, chose suffisamment rare pour qu'on la signale. A l'eau abondante dans le sud du Chili s'oppose l'aridité du désert d'Atacama (qui était au cœur du précédent film de Guzmán), elle aussi superbement rendue à l'écran.

   De la nature on passe aux peuples premiers, ceux qui vivaient dans le sud du Chili (la Patagonie occidentale) à l'arrivée des Européens. Dans cette région découpée en îles, au climat capricieux, il est indispensable de savoir construire, réparer et manœuvrer un canoë. Le réalisateur a recueilli les témoignages des derniers locuteurs des langues des cinq peuples autochtones. J'ai été marqué par la grand-mère qui semble avoir parcouru des distances phénoménales ! Impressionnantes aussi sont les images d'archives montrant les peintures corporelles de certains indigènes.

   Le réalisateur traite plus en détail le cas de "Jemmy Button", cet Amérindien acheté par un officier britannique, dans la première moitié du XIXe siècle. Emmené au Royaume-Uni avec trois autres autochtones, il a été initié à la civilisation occidentale. Ramené au Chili des années plus tard, il a préféré rester sur place, mais n'a pas réussi à complètement se réintégrer. En partie acculturé, il était désormais dans un entre-deux.

   Cela nous mène à l'histoire de l'île Dawson, située en pleine Terre de Feu :

Chili 1.jpg

   Une mission religieuse y fonda une école pour "civiliser" les jeunes Amérindiens. Les missionnaires récupérèrent des vêtements européens pour les distribuer aux Patagons. Mais la rencontre avec les personnes et les objets venus d'Europe, porteurs de germes, décima les Indiens.

   Par une curieuse ironie de l'histoire, au XXe siècle, l'île servit de centre de détention pour les opposants à la dictature de Pinochet. On y interrogea, tortura et tua... Le documentaire s'intéresse tout particulièrement à la manière dont on a fait disparaître les cadavres. Une très faible proportion des corps des quelque 1 400 victimes a été retrouvée. Guzmán s'appuie sur le témoignage d'un mécanicien d'hélicoptère et sur une scène reconstituée, à l'aide d'un spécialiste : on attachait les corps sur des portions de rail, puis on les recouvrait de plastique et de deux sacs de toile, avant que le "paquet" ne soit chargé dans un avion ou un hélicoptère, puis jeté dans l'océan Pacifique. On a fini par localiser les endroits où de nombreux corps ont été lâchés. On a retrouvé certains rails... et un bouton, seul reste d'une victime de la dictature.

   J'ai été emballé par ce film, qui allie la rigueur du propos à la recherche esthétique. Notons que, dans la version originale sous-titrée, le commentaire est dit par le réalisateur, d'un ton calme et profond.

   P.S.

   On peut glaner plus d'informations sur le site du distributeur Pyramide.

samedi, 26 décembre 2015

Francofonia, le Louvre sous l'Occupation

   Alexandre Sokourov propose une vision de la culture française à travers le prisme de l'occupation allemande de sa capitale. Son film est à la fois un chant d'amour à Paris, une apologie de l'art européen (plutôt chrétien) et une oeuvre authentiquement russe.

   Ce dernier aspect est visible dans le montage des séquences. Aux images d'archives et aux scènes reconstituées répond l'époque actuelle, qui voit le réalisateur dialoguer par Skype avec le pilote d'un porte-conteneurs pris en pleine tempête avec, parmi son chargement, des pièces de musée. Je pense qu'il faut comprendre la chose au sens symbolique : les oeuvres d'art ont été ballottées par l'Histoire, au point parfois de disparaître complètement. (On notera que c'est lorsque Sokourov est absorbé par le destin du musée français que le bateau russe perd sa cargaison, en haute mer.)

   Russe aussi est le rappel des destructions subies par l'URSS, sur le Front de l'Est, notamment par la ville qui s'appelait alors Leningrad (redevenue Saint-Pétersbourg aujourd'hui), qui a subi un siège de 300 jours. C'est la ville du musée de l'Ermitage (dont les collections, comme celles du Louvre, ont été mises à l'abri) et la véritable capitale culturelle russe. Dans le ton de Sokourov, on sent presque poindre de la jalousie, quand il compare le sort de la ville fondée par Pierre le Grand à celui de Paris, curieusement épargnée par les nazis.

   Et pourtant, en 1940, l'accueil des troupes allemandes n'est pas chaleureux, y compris au Louvre. On le comprend à la vision des images d'archives et des scènes reconstituées, qui font principalement intervenir un officier allemand, le comte Wolff-Metternich, et le directeur du musée Jacques Jaujard (interprété par Louis-Do de Lencquesaing, vu récemment dans L'Antiquaire, dont la thématique est proche). Cependant, les deux hommes vont petit à petit tisser une relation de quasi-amitié, fondée sur l'amour de l'art et la protection des oeuvres. (On n'est finalement pas si loin que cela de ce qui est montré dans une fiction sortie en 2014, Diplomatie). C'est au point que le responsable allemand a été muté en 1942. La dernière partie du film évoque le destin des deux hommes après la Seconde guerre mondiale.

   Ici encore, on sent parfois poindre la jalousie de Sokourov : contrairement à Leningrad, Paris a fasciné les Allemands, y compris les nazis. De surcroît, une partie de la population locale s'est rapidement accommodée de la présence de l'occupant... Il croit trouver l'explication dans le voisinage des deux pays qui, malgré les conflits meurtriers qui les ont opposés, partagent une histoire pluriséculaire. A partir de là, il développe l'idée qu'il existe une culture européenne, qui englobe la Russie. Les nazis eux-mêmes auraient été (partiellement) sensibles à cet héritage.

   Le propos perd de sa pertinence quand on se rend compte que le réalisateur ne montre qu'un aspect de l'histoire. Il se garde bien d'aborder les destructions et surtout le pillage organisé des oeuvres d'art, notamment par Hermann Goering. Il aurait fallu sortir du Louvre et aller jusqu'au Jeu de Paume, où avaient été entreposées les oeuvres volées aux juifs. De cela il n'est pas question, pas plus que du rôle de Rose Valland (évoqué l'an dernier dans Monuments Men), pourtant bien plus important que celui de Jaujard.

   C'est dommage parce que, sur le plan formel, le film est vraiment bon. Le mélange des images de natures diverses fonctionne et, par instants, on retrouve la patte du grand réalisateur. J'ai aussi bien aimé la reconstitution graphique de l'histoire du site du château, très réussie. Quant au public français, il appréciera ou pas l'incarnation de deux "légendes nationales", Marianne et Napoléon, dont les évolutions dans le musée ne m'ont paru guère inspirées...

vendredi, 25 décembre 2015

Les Suffragettes

   Britanniques hier, Saoudiennes aujourd'hui, les femmes ont dû (et doivent encore) se battre pour être considérées comme les égales des hommes, au moins sur le plan civil (et civique). Cette fiction à caractère historique a le grand mérite de rappeler à des Occidentaux peut-être trop sûrs de leur supériorité qu'il n'y a pas si longtemps, les mâles européens ne se comportaient pas très différemment de certains hommes du Moyen-Orient.

   L'intrigue s'articule autour de deux personnages féminins principaux, une bourgeoise et une ouvrière. La première, pharmacienne et médecin dans l'âme, est incarnée par l'excellente Helena Bonham Carter, que l'on a plaisir de retrouver dans un film qui n'est pas réalisé par Tim Burton. C'est la militante acharnée, cultivée et rusée, soutenue par son époux, un homme aux idées modernes. La seconde héroïne est interprétée par Carey Mulligan, que j'avais découverte dans Inside Llewyn Davis. A travers son personnage, le film explore le versant social de la cause des femmes. Non seulement elles sont des mineures sur le plan juridique, soumises à l'autorité de leur père puis de leur mari, mais elles doivent subir des discriminations au travail : elles sont moins bien payées que les hommes et soumises au harcèlement sexuel... quand ce n'est pas pire.

   Le scénario réussit à croiser avec talent ces différents aspects, montrant, à travers les personnages secondaires, par exemple, que l'on peut être une grande bourgeoise émancipatrice et subir la tutelle inflexible d'un mari politicien, ou encore que l'on peut être ouvrière et jouir d'une certaine indépendance... mais à quel prix.

   Du côté masculin, il faut noter la présence de Brendan Gleeson, un vieux routier des seconds rôles, sorte de Javert du Londres du début du XXe siècle. Son personnage nous réserve toutefois quelques surprises.

   Autre guest star à signaler : Meryl Streep, qui vient faire coucou dans le rôle d'Emmeline Panckhurst, l'inspiratrice du mouvement féministe.

   La première moitié de l'histoire semble être une marche inexorable vers l'égalité. On nous décrit le mouvement des Suffragettes de l'intérieur et l'on sent que, du côté gouvernemental, en cette année 1912, un changement est possible.

   Le film bascule au bout de trois quarts d'heure. Les féministes doivent affronter une opposition plus dure que prévu. C'est même parfois extrêmement violent. Le militantisme a aussi des conséquences sociales. L'une d'entre elles va pratiquement tout perdre, ce qui la radicalise... moins cependant que l'une de ses camarades, qui va faire prendre à l'intrigue un tour plus noir. A travers elles se pose aussi la question de l'engagement pour une cause : jusqu'où doit-on / est-on prête à aller ?

   Cela donne un film très intelligent, pas très drôle je le reconnais, mais avec une reconstitution soignée du Londres d'il y a cent ans.

   P.S.

   Les amateurs de série télévisée de qualité auront remarqué la parenté entre cette histoire et l'intrigue de certains épisodes des saisons 8 et 9 des Enquêtes de Murdoch, l'inspecteur canadien qui fait le bonheur des dimanches soirs de France 3.

samedi, 19 décembre 2015

Le Pont des espions

   Steven Spielberg s'est plongé dans la Guerre Froide, plus précisément dans la seconde moitié des années 1950 et le début des années 1960. Il s'inspire d'une histoire vraie, celle d'un avocat d'assurances (un vétéran de la Seconde guerre mondiale qui avait assisté au procès de Nuremberg) qui a été chargé de la défense d'un espion soviétique, et qui a fini par être mêlé à une rocambolesque histoire d'échange.

   L'agent soviétique nous est présenté dès le début de l'histoire, sans musique et sans aucun dialogue. C'est dire les risques pris par le réalisateur : construire un énième film d'espionnage et, de temps à autre, contraindre les spectateurs à se laisser guider uniquement par les mouvements de la caméra et les sons. De manière plus classique, le public appréciera l'habileté avec laquelle les scènes de métro ont été élaborées, deux d'entre elles se répondant à plus d'une heure d'intervalle.

   Tout ce qui touche à l'espionnage et aux enjeux politiques de l'époque est excellent. J'ai particulièrement aimé la description de l'action silencieuse et méthodique de l'espion, remarquablement incarné par Mark Rylance, un acteur injustement méconnu. A Berlin, les méandres des relations internationales (y compris au sein du bloc soviétique) sont rendus avec subtilité, efficacité... le tout plus tendu qu'une corde de guitare. Sur le fond, c'est un éloge des "valeurs américaines" et du droit. On n'est pas très loin du Lincoln sorti il y a deux ans. Spielberg se garde toutefois de tomber dans le manichéisme : les adversaires du camp américain ont la parole et l'on sent que le propos général est humaniste.

   Les interprètes sont (très) bons, mais pas toujours bien dirigés. J'ai en tête le comportement de l'agent de la CIA, vraiment caricatural. J'ai aussi peu goûté les scènes intimes, où l'on retrouve le Spielberg pompeusement familial et larmoyant. Cela commence lorsque l'étudiant américain est arrêté, en Allemagne : l'actrice incarnant son amie germanique se lance alors dans un insupportable numéro de pathos. Le pire est atteint à la fin de l'histoire, quand on nous montre avec une insistance particulièrement maladroite l'ébahissement des membres de la famille du héros, qui découvrent que leur père/mari est un homme extraordinaire. Pauvre Amy Ryan !

   De son côté, si Tom Hanks est impeccable, j'ai quand même été gêné par ses expressions faciales. Certes, il a toujours eu certains rictus étranges, mais là, une partie du visage m'a semblé figée, tordue même. A-t-il subi une intervention chirurgicale ratée ? Est-ce lié à un problème de santé ?

   Il reste que les 2h20 passent assez vite. C'est un bon polar, mâtiné d'humour et filmé avec un incontestable savoir-faire.

dimanche, 15 novembre 2015

Le secret de l'église Saint-Amans de Rodez

   Ces derniers jours, les médias ont alléché le public avec cette mystérieuse découverte réalisée dans l'église construite sur peut-être le plus ancien lieu de culte chrétien de Rodez. (L'église actuelle date du XVIIIe siècle ; elle a succédé à une construction remontant au XIIe... mais il y avait sans doute quelque chose avant.) C'était il y a seulement deux-trois jours (le 12 novembre dans Centre Presse, le 13 au matin dans La Dépêche du Midi)... mais cela a l'air si loin, à présent.

   Bref, ce dimanche, il y avait foule dans l'église du Bourg pour connaître le fin mot de l'histoire. La chose a été assez bien organisée. Dans la chapelle (exiguë) du fond, le père Barrié et Diane Joy (du service du Patrimoine de Rodez Agglomération) ont apporté des éléments d'explication sur ce qui a été trouvé dans ce placard-retable, dont le système d'ouverture était jusqu'à présent masqué par les dépôts accumulés au cours des ans. Voici ce que cachait l'habitacle :

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   Il s'agit bien de trois crânes, disposés chacun dans une châsse de bois, dorée. D'après les documents consultés par les intervenants, ces crânes seraient ceux de trois des plus anciens saints rouergats, Amans, Naamas et Dalmas.

   Pour savoir comment ils sont arrivés ici, il est utile de consulter des textes hagiographiques, certes sujets à caution, mais où l'on trouve parfois des détails authentiques. Dans le cas qui nous occupe, c'est une oeuvre ancienne du prêtre Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, qui nous est d'un précieux secours. La version du tome XIII disponible (comme les autres volumes) sur le site Gallica, a été publiée en 1876.

   On peut y lire les récits des vies des trois saints (célébrés les 3, 4 et 13 novembre... eh oui) et connaître le devenir de leurs reliques. C'est dans le texte consacré à saint Amans que l'on trouve le plus de détails. A l'époque moderne, les sépultures des trois religieux avaient été finalement installées dans la cathédrale, plus à même d'accueillir les foules attirées par les dépouilles que la modeste église Saint-Amans. Lors de la Révolution, les cercueils auraient été vidés sur le pavé ruthénois par la foule anticléricale. Deux bonnes âmes auraient récupéré les crânes, cachés dans l'église Saint-Amans. Dans les années 1860-1870, ils y étaient apparemment exposés à la vue de tous. Peut-être leur dissimulation dans le placard-retable est-elle due au regain d'anticléricalisme sous la IIIe République, en particulier à l'occasion du vote de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, en 1905.

   En tout cas, aujourd'hui, on aimerait bien savoir si ces crânes datent des Ve-VIe siècles. Il ne semble pas que, dans l'immédiat, des examens approfondis soient prévus... mais une analyse ADN pourrait se révéler pleine de surprises...

En mai, fais ce qu'il te plaît

   Le réalisateur Christian Carion est de retour, six ans après L'Affaire Farewell. Il s'attaque à un épisode un peu négligé de la Seconde guerre mondiale, l'Exode de mai-juin 1940 (qui a toutefois été récemment évoqué dans Suite française).

   L'histoire débute par un prologue allemand bien conçu. Deux des personnages principaux vont fuir le régime hitlérien. Ils vont donner une autre image des Allemands, représentés dans le film essentiellement par des soldats dangereux et des nazis arrogants.

   Le caractère international est renforcé par la présence de troupes britanniques, dont l'un des membres (un Ecossais, interprété par Matthew Rhys) va rejoindre le village nordiste que les habitants viennent de quitter. Avant cela, on a droit à une reconstitution de la vie rurale de cette époque. L'image est soignée et les dialogues sont parfois truculents, avec le pinard qui coule à flots. On est à la limite de la carte postale mais, franchement, c'est bien fait.

   La deuxième partie de l'histoire montre le départ de la majorité des habitants, sous la conduite du maire (Olivier Gourmet, très bon, comme d'hab'). Cette caravane improbable associe une brochette de personnages secondaires bien campés, jeunes et vieux, hommes et femmes. Deux d'entre elles se distinguent : la bistrotière, compagne du maire (Mathilde Seigner, pour laquelle le rôle semble avoir été écrit) et l'institutrice (Alice Isaaz, une découverte).

   Si certains épisodes du parcours sont attendus (le mitraillage du convoi par l'aviation allemande, la dénonciation des profiteurs de guerre), ils sont bien mis en scène. D'autres aspects sont plus originaux, comme ces messages écrits à la craie sur des parois ou des portes, en route, pour informer les proches. J'ai aussi apprécié tout ce qui tourne autour de la réalisation du film de propagande par les nazis, avec un passage sur les soldats français issus des colonies.

   Pour être honnête, il faut ajouter qu'ici ou là, on note quelques facilités, un peu de mélodrame. J'ai aussi été à moitié convaincu par le personnage interprété par Laurent Gerra, qui incarne un paysan très attaché à sa cave, dont la collection de bouteilles remonte à son père. Il n'est pas mauvais mais, au bout d'un moment, j'ai été agacé par sa mimique (gonfler la peau autour des lèvres fermées pour se donner un air bonhomme). De plus, il n'est pas toujours bien dirigé, comme dans cette scène avec l'Allemand antinazi et l'Ecossais, jouée en français, en allemand et en anglais, deux langues que le paysan ne comprend pas... mais dont certains dialogues ne lui sont pas traduits, sans que cela le gêne.

   Sinon, cela reste un bon divertissement, sur fond d'histoire. L'intrigue s'arrête à la fin du printemps 1940, sur une note d'espoir. On nous évite les drames épouvantables qui ont suivi.

vendredi, 13 novembre 2015

Le Fils de Saul

   Ce film hongrois a suscité une grande émotion cette année au Festival de Cannes. Il nous fait suivre quelques jours dans la vie d'un Sonderkommando d'Auschwitz, un de ces détenus juifs employés de force par les SS dans leur machine de mort.

   Il faut souligner l'excellent travail des décorateurs. On a l'impression de se trouver dans une zone industrielle, parfois saturée de bruits. Il y a ceux produits par les déportés, criant, pleurant, frappant les portes des chambres à gaz. Il y a ceux de la machinerie des fours crématoires. Il y a ceux des ordres donnés en hurlant, des bastonnades et des fusillades... et il y a les chuchotements de ces détenus en sursis : l'action se déroule dans la seconde moitié de 1944 et, à cette époque, ils savent qu'on ne les gardera pas très longtemps en vie.

   On est saisi dès le début par la caméra centrée sur le héros Saul ("Cha-houle"), seul personnage à apparaître nettement à l'écran, les autres étant (à demi) flous. Du coup, c'est par bribes que l'on découvre son "travail", de l'arrivée d'un convoi au nettoyage de la chambre à gaz. L'acteur Géza Röhrig est excellent et le procédé cinématographique se révèle pertinent. Toutefois, à la longue, l'omniprésence de la caméra à l'épaule est un peu usante.

   Les Sonderkommandos constituent une sorte de tour de Babel, où l'on parle allemand, polonais, hongrois, yiddish... La tension est presque toujours palpable, qu'elle soit le résultat de l'action des SS ou le produit de la mésentente entre détenus.

   Un événement vient perturber la monotonie du massacre. Un jour, alors que les détenus vident l'une des chambres à gaz de ses "Stücke" (les pièces, comme aiment à les appeler les nazis), le héros entend une personne respirer. Un gamin a survécu au gazage ! Il est immédiatement l'objet de l'attention des médecins... qui ne sont pas là pour soigner les détenus, faut-il le rappeler. Ce garçon devient aussi la nouvelle raison de vivre de Saul, qui prétend aux autres détenus qu'il s'agit de son fils. L'histoire entretient le mystère à propos de cette paternité, à laquelle les autres ne croient pas.

   Mais, surtout, à partir de cet instant, celui qui n'était qu'un as de la survie, hyper-individualiste, va prendre des risques inouïs pour s'occuper du corps du jeune homme. Il part d'abord en quête d'un rabbin, dans l'objectif d'organiser un enterrement... oui, à Auschwitz-Birkenau !

   Commence alors une sorte de polar, qui voit le héros rencontrer une grande diversité de détenus. Il entre même en conflit avec l'ébauche de résistance mise en place là-bas, et dont les membres ont planifié une révolte (qui a réellement éclaté, en octobre 1944).

   J'aurais préféré que l'intrigue se concentre sur ces résistants de l'extrême, plutôt que sur la quête (pour moi vaine) du héros. Mais le film n'en reste pas moins très fort, incontestablement une des oeuvres majeures de l'année 2015.

   P.S.

   En complément (ou avant de voir le film), on peut lire un livret (très instructif) conçu par le Mémorial de la Shoah.

dimanche, 08 novembre 2015

Gibbs le patriote

   Vendredi, M6 a poursuivi la diffusion de la saison 12 de la série NCIS, par l'épisode 15, Pour Diane. Vers la fin, une scène tournée dans la maison de Gibbs le montre en discussion avec un personnage trouble, le diplomate russe (et sans doute espion) Anton Pavlenko. C'est lorsque celui-ci s'adresse à l'enquêteur américain qu'un détail apparaît à l'écran :

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On voit un peu mieux le cadre quelques secondes plus loin :

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   C'est bien évidemment une reproduction de la célèbre photographie de Joe Rosenthal, prise en février 1945 à Iwo Jima :

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   Rappelez-vous Mémoires de nos pères, de Clint Eastwood... et ce n'est pas un hasard. Gibbs comme Eastwood est de sensibilité républicaine (patriote, partisan de l'ordre)... mais plus ouvert que bien des personnes de son "camp".

   La présence de cette photographie n'est donc pas une coquetterie de décorateur. De la maison de Gibbs, on ne connaît pas l'étage (où se trouvent les chambres et la salle de bains), où le héros ne dort souvent même pas. Il partage son temps libre entre le sous-sol (l'antre du menuisier) et le salon, meublé de manière plutôt spartiate, mais dont quelques détails signifiants se détachent.