samedi, 09 mai 2015
Le Labyrinthe du silence
Ce film allemand est consacré à la genèse du procès de Francfort qui, en 1963-1965, a contribué à (r)éveiller en Allemagne la mémoire des crimes nazis, que les dirigeants de l'époque préféraient passer sous silence.
L'intrigue, très documentée, s'inspire de l'action de personnes réelles. Mais le coup de génie est d'avoir créé un personnage principal fictif, dans lequel on a fusionné les trois procureurs qui ont enquêté à l'époque sur les camps d'Auschwitz. Cela a permis aux scénaristes de développer certains aspects "non historiques", qui donnent de l'épaisseur à l'intrigue. Ce procureur est incarné par Alexander Fehling, qu'en France on a pu voir dans Et puis les touristes, La Révélation et Inglourious Basterds.
Il est jeune, beau, brillant, ambitieux et doté d'une grande conscience morale. C'est presque une caricature de "gendre idéal". Mais il est vraiment très bien interprété. A ses côtés, on remarque Friederike Becht (vue dans Hannah Arendt), Johann von Bülow (un habitué des séries policières d'outre-Rhin) et Gert Voss, chargé d'incarner le chef du Parquet qui, dans l'ombre, a œuvré pour faire éclater la vérité.
Ce ne fut pas facile, parce qu'en haut lieu, on ne veut pas remuer la merde... et parce que la grande majorité des anciens nazis (y compris certains des plus dangereux d'entre eux) ont été réintégrés à la société allemande. Le cas de Josef Mengele (dont la vie en Argentine a été récemment évoquée dans Le Médecin de famille) est symptomatique des compromissions de l'époque. L'un des intérêts du film est donc de montrer l'indulgence dont les criminels ont bénéficié... parfois pour de surprenantes raisons. Tous ceux qui ne voulaient pas rouvrir les "plaies du passé" n'étaient pas d'anciens nazis ni même des sympathisants de l'idéologie hitlérienne. Le contexte de Guerre Froide a aussi pesé lourd.
Cela donne un bon polar, filmé de manière très classique. C'est aussi le portrait du début des années 1960, quand la RFA connaissait une période de forte croissance économique, quand les jeunes comme les moins jeunes ne pensaient souvent qu'à s'amuser.
L'autre point fort de l'histoire est de montrer l'évolution des personnages principaux. On a vraiment cherché à produire quelque chose de subtil. Le héros lui-même n'est pas épargné. Ce fils de soldat héroïque, disparu sur le front de l'Est, auquel son père a transmis les "vraies valeurs", se pose de plus en plus de questions, matérialisées à l'écran par des scènes de cauchemar. Petit à petit, son enquête lui fait découvrir certains faits dérangeants, pour lui ou pour des personnes qu'il connaît. L'une des clés de compréhension est la relation qu'il va nouer avec un rescapé des camps, un peintre qui refuse au départ de parler du passé.
C'est vraiment un très beau film, fort et pétri d'humanité.
PS
Sur le site du distributeur, on peut télécharger un dossier de presse très instructif.
PS II
Sur un site consacré aux Sonderkommandos, on peut lire les biographies des accusés de 1963.
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vendredi, 08 mai 2015
Inculture historique
Ce matin, en me rendant sur le site de La Dépêche du Midi, j'ai été quelque peu interloqué par le titre d'un article traitant de l'événement-phare de ce vendredi :
La même erreur grossière se retrouve dans le corps de l'article :
Bien évidemment, le 8 mai, on ne célèbre pas un armistice, mais la capitulation allemande... qui, rappelons-le, n'a pas totalement mis fin à la Seconde guerre mondiale, les combats s'étant prolongés en Asie jusqu'en septembre 1945.
La différence entre les deux termes n'est pas que de nuance. Un armistice est une trêve (pas un arrêt définitif des combats), impliquant des négociations, souvent entre gouvernements civils. Une capitulation est une reddition (militaire) sans condition, une exigence des Alliés qui voulaient que la fin de la guerre coïncide avec la chute du régime nazi.
La version papier témoigne de la même négligence au niveau du titre. Toutefois, la carte située sous l'article est correctement présentée, puisqu'on y trouve le mot "capitulation" :
D'où vient l'erreur ? Peut-être pas du journaliste qui a rédigé le papier. A priori, je pencherais pour la personne qui a choisi le titre et/ou la photographie d'illustration. Celle-ci n'est pas adéquate, puisqu'elle fait référence à la commémoration de la Première guerre mondiale, à travers le pupitre du président Hollande et la légende.
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lundi, 27 avril 2015
Enfant 44
Sous cet énigmatique titre se cache un virulent pamphlet antistalinien, dont l'intrigue baigne dans une atmosphère digne de la série Esprits criminels. Il est question d'un tueur compulsif, qu'on ne nous montre pas, dans un premier temps. Il s'attaque à des proies faciles : des orphelins, de sexe masculin apparemment. Le contexte est celui de la dictature de Joseph Staline, l'essentiel de l'histoire se déroulant l'année précédant sa mort, dans une ambiance de paranoïa quasi généralisée.
Le pamphlet veut prendre à rebours la propagande communiste, qui affirmait qu'au paradis soviétique, il ne pouvait exister de meurtrier. A la rigueur, seuls des individus contaminés par l'Occident ou par l'occupation nazie pouvaient "dévier".
Le scénario veut démontrer exactement le contraire. Le régime stalinien est d'abord présenté comme l'organisateur d'un véritable génocide en Ukraine, auquel des historiens ont donné le nom d'Holodomor. Il est donc responsable des vies brisées de ces millions d'orphelins qui hantent les rues des villes ukrainiennes et russes. Par la terreur qu'il inspire, le régime broie les individus, les couples et même les familles. C'est l'ère de l'hypocrisie et du faux-semblant, tant on doute de ses collègues de travail voire de ses amis proches. Et, même quand on pense ne pas devoir se méfier, on peut être trahi. C'est ce que vont découvrir les deux héros du film, Leo Demidov (Tom Hardy, au jeu parfois trop appuyé) et son épouse Raisa (Noomi Rapace, excellente, même quand on la cantonne à des postures convenues).
Le parcours de Leo, orphelin recueilli par un officier russe et devenu soldat puis enquêteur, est très bien rendu. Mais il est tout d'un bloc, un peu trop prévisible. Le personnage de l'épouse a plus d'épaisseur, même s'il est placé légèrement au second plan. Ceci dit, la séquence du train permet à Raisa/Noomi de montrer qu'elle peut déborder d'énergie ! J'ai par contre peu goûté le combat final, dans la boue. Il est typique d'une des faiblesses du film, qui abuse du "juste à temps" et aime un peu trop les brusques retournements de situation.
Mais c'est quand même globalement bien mis en scène et les seconds rôles (notamment Gary Oldman et Joel Kinnaman) sont talentueux. Le doublage est supportable, même si je pense qu'il ôte de la force aux dialogues.
Il reste cette enquête impossible, dans une URSS dont les dirigeants refusent de regarder la réalité en face. Le polar fonctionne et, sur le fond, rejoint l'argumentation politique : c'est le régime stalinien qui a créé le monstre.
P.S.
L'histoire s'inspire de la traque d'un authentique tueur en série, Andreï Tchikatilo, qui fut surnommé "le monstre de Rostov".
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mercredi, 22 avril 2015
La Promesse d'une vie
Russell Crowe s'est lancé dans la réalisation. L'acteur néo-zélandais (qui s'est quand même attribué le premier rôle) n'a pas choisi n'importe quel sujet : la bataille de Gallipoli et ses suites, qui ont particulièrement meurtri les Turcs et le contingent australo-néo-zélandais, qui a ardemment participé à cette bataille, en 1915.
La première partie de l'histoire se déroule en Australie. Elle nous présente la famille du héros, Joshua Connor (incarné donc par R. Crowe), un fermier qui semble doté d'un don pour trouver les sources d'eau (d'où le titre anglais du film : The Water Diviner). Il est très attaché à ses trois fils, qui vont partir à la guerre, loin, en Europe. Aucun ne revient. L'atmosphère est très bien campée : les images de l'arrière-pays australien sont superbes et l'on est touché par le deuil qui frappe les parents... et révolté par l'attitude du pasteur, qui n'est pas sans rappeler un épisode de Kingdom of Heaven, le chef-d'oeuvre de Ridley Scott.
La deuxième partie nous montre le fermier débarquant en 1919 dans ce qui n'est plus tout à fait l'Empire ottoman et ce qui n'est pas encore la Turquie. Le pays est en pleine guerre civile et doit de plus affronter la Grèce pour le contrôle des côtes de la mer Egée. La population est agitée par un fort courant d'anglophobie. Fort heureusement, le héros n'est agressé par personne et un gamin débrouillard propose de l'aider. Il commence par faire faire un petit jogging dans les rues d'Istanbul à notre Russell, qui s'est empâté ces derniers temps.
Le duo finit sa course devant une pension de famille un peu spéciale. Elle abrite quelques secrets et pas mal de tensions, que le héros va progressivement découvrir. Dès le début, on sent qu'entre la charmante veuve et le père éploré il y a quelque chose de possible. C'est hélas un peu trop souligné. De plus, Olga Kyrulenko ne m'a pas convaincu dans le rôle de l'épouse turque occidentalisée. Je reconnais toutefois que les scènes sont bien filmées. Un peu à l'image de George Clooney (quand il s'était lancé dans la mise en scène avec Good Night and Good Luck), Russell Crowe a voulu éviter qu'on puisse faire le moindre reproche technique à l'ancien acteur devenu réalisateur.
L'intérêt remonte avec les séquences qui se déroulent sur l'ancien champ de bataille. Joshua Connor y fait une rencontre déterminante, celle d'un ancien (?) officier de l'armée ottomane (Yilmaz Erdogan, excellent), dont on devine qu'il a des sympathies kémalistes. Des retours en arrière (notamment sous la forme de rêves) nous font comprendre quelle a été la réalité de la bataille. C'est l'une des grandes qualités du film. Alors que la scène du début avait habilement laissé les spectateurs sur leur faim, la suite ne nous cache rien de la sauvagerie des combats au niveau des tranchées, ni de l'agonie de certains soldats, abandonnés, blessés, dans le no-man's-land.
Le fantastique s'invite dans l'intrigue avec les pouvoirs du sourcier, qu'il met à contribution pour tenter de retrouver les cadavres de ses fils. Sa quête, l'amitié qui va le lier à l'officier turc ainsi que les sentiments qu'il éprouve pour la jeune veuve vont emmener le héros bien plus loin qu'il ne l'avait imaginé. Cela devient un bon film d'aventures, qui a pour cadre la Turquie dévastée, dont la situation ne s'est stabilisée qu'en 1923, avec la signature du traité de Lausanne.
L'un des intérêts de cette partie est la présentation, sous un jour favorable, des nationalistes turcs, montrés comme plus ouverts que les partisans traditionalistes de l'Empire ottoman... et surtout moins sauvages que leurs adversaires grecs. Le film prend soin d'éviter toute référence à ce qui s'est passé juste quelques années auparavant, quand certains de ces soldats ont sans doute participé au génocide arménien. Globalement, le film fait l'éloge de la civilisation turque. Le barbare n'est pas forcément celui que l'on croit. Ici encore, R. Crowe a retenu les leçons de Kingdom of Heaven (dans lequel il n'a pas joué, mais je pense que les cinq films qu'il a tournés sous la direction de Ridley Scott ont laissé des traces).
Au final, cela donne un divertissement grand public de qualité, qui, hélas, a été descendu en flèche par une critique décidément bien peu inspirée.
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vendredi, 17 avril 2015
L'Antiquaire
Cette fiction est une version romancée d'une histoire vraie, qui est arrivée à la famille de l'une des co-cénaristes, Sophie Seligmann. Son grand-père était un collectionneur d'art juif. Il a été tué par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale et ses biens ont été spoliés.
Cela nous mène au film, qui alterne les images de notre époque avec celles supposées avoir été tournées dans les années 1940. La partie contemporaine de l'histoire met en scène la petite-fille, une jeune journaliste, mariée à un commissaire-priseur, et dotée d'un caractère entier. Elle est interprétée par Anna Sigalevitch, sur les épaules de laquelle repose principalement le film.
Ses partenaires masculins sont qualité inégale. François Berléand, en père qui essaie de ne plus penser au passé, est très bon. Par contre, ses collègues nonagénaires m'ont un peu déçu. Michel Bouquet tient encore la route, mais, par moments, on sent qu'il a du mal. C'est pire pour Robert Hirsch, qui dessert son rôle. Du côté des jeunes, on peut signaler les prestations de Louis-Do de Lencquesaing (l'époux de l'héroïne) et de Niels Schneider, qui incarne un type très louche à deux âges différents... mais en gardant la même apparence physique.
L'autre élément gênant est technique. Rien qu'en regardant les images, on comprend quand on nous projette celles qui sont censées avoir été tournées il y a environ 70 ans. Mais elles font trop "modernes" et le son n'est absolument pas altéré. Cela manque de crédibilité. C'est dommage parce que ces scènes sont bien jouées. Elles introduisent un élément de mystère... et de la nostalgie, celle d'un amour disparu.
Le film n'est donc pas sans qualités. Le scénario est construit comme un polar. L'héroïne Esther mène une véritable enquête, à la fois sur sa famille et sur l'un des aspects les moins reluisants de l'histoire de France. Que sont réellement devenues les œuvres d'art qui appartenaient à sa famille ? Pourquoi son grand-père a-t-il été fusillé ? Le tout baigne dans une musique bien choisie. C'est souvent du classique... et parfois des chants en yiddish, cette langue aujourd'hui quasi disparue et qui était tant parlée jadis en Europe centrale et orientale.
P.S.
L'intrigue n'est pas sans lien avec celle de Monuments Men, qui abordait le sujet sous un angle hollywoodien (et un peu désinvolte).
P.S. II
Ceux qui aimeraient en savoir plus sur le sujet peuvent commencer par une note de synthèse, rédigée par une sénatrice, en 2013. Pour approfondir, on peut se plonger dans un rapport d'information rédigé par plusieurs députés, en 2014. Pour avoir des détails concrets (notamment en lien avec la famille Seligmann), il faut chercher dans la documentation disponible sur le site Rose-Valland (du nom de la résistante qui a permis la récupération de la majorité des œuvres volées ; elle est incarnée par Cate Blanchett dans Monuments Men).
En 2014, un bilan a été effectué des œuvres classées "MNR" qui ont été restituées : 102 sur 2 000, depuis 1951, alors que, globalement, plus des trois-quarts de ce qui a été récupéré des pillages allemands a été restitué à ses propriétaires ou ayants droit. Pages 9-10 se trouvent les objets recouvrés par la famille Seligmann... en 1999-2000.
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dimanche, 12 avril 2015
Selma
Cette ville du Sud des États-Unis (dans l’État d'Alabama) a été le théâtre d'un épisode de la lutte pour les droits civiques menée par Martin Luther King et ses partisans. Ce film en propose une version centrée sur le pasteur noir américain. (A l'époque -comme on peut l'entendre dans la version originale- on disait couramment "Negro", le terme insultant étant "nigger".)
La réalisation est en général très classique, sans effet marquant, sauf quand certains des personnages principaux apparaissent à l'écran. Ils sont filmés tantôt de biais, tantôt en contreplongée. C'est assez bien vu... et cela met en valeur la performance de certains acteurs. Le premier d'entre eux incarne le héros. On a choisi un quasi-inconnu, David Oyelowo, un Britannique d'origine nigériane, véritablement habité par son rôle :
A ses côtés gravite une troupe de militants et d'admirateurs, qui forme presque une seconde famille, unie par la volonté de faire respecter les droits des Noirs américains. Le portrait de groupe est réussi, même si les figures féminines sont à peine esquissées. On a aussi été très pudique sur les infidélités du pasteur. La séquence de la cassette audio sous-entend que tout est une machination du FBI. Certes, celui-ci a (presque ?) tout fait pour abattre King, mais, concernant sa vie privée, il n'a pas eu besoin d'inventer. Davantage d'honnêteté de la part de la réalisatrice aurait rendu le film encore plus fort : le militant exemplaire n'était pas un saint.
Face à lui, il trouve une ribambelle de gros cons racistes (blancs). Ils sont interprétés avec beaucoup de conviction. La plus brillante composition est sans conteste celle de Tim Roth en George Wallace (le gouverneur de l'Alabama).
On appréciera aussi le portrait nuancé qui est brossé du président Lyndon Johnson, souvent traîné dans la boue par le cinéma d'obédience démocrate. On oublie que c'est à lui, plus qu'à John Kennedy, que l'on doit la plupart des avancées sociales des années 1960... même s'il a fallu parfois lui forcer la main. Il a ici les traits de Tom Wilkinson, habile à restituer l'ambiguïté du personnage :
Le public français sera peut-être surpris de la place qu'occupe la religion dans la lutte politique. Martin Luther King s'appuyait sur la Déclaration d'Indépendance pour affirmer que tous les humains ont été "créés égaux" (une formule moins laïque que le "naissent et demeurent libres et égaux en droits" de notre Déclaration, celle de 1789, pourtant inspirée de la précédente). Dans ses discours, le pasteur cite fréquemment la Bible et, quand le besoin s'en fait sentir, il puise dans la prière la motivation de son action.
C'est au niveau du rythme que les faiblesses du film apparaissent. Il ne tient pas la durée (2 heures). Aux scènes militantes, marquantes, s'opposent les scènes intimes, trop longues, trop "léchées". De plus, quand on s'est déjà intéressé au sujet, on n'apprend pas grand chose. Je pense que si quelqu'un comme Spike Lee avait été aux manettes (revoyez Malcolm X), cela aurait pu donner un grand film. C'est juste une honnête fiction à caractère documentaire.
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vendredi, 10 avril 2015
Crosswind
Il n'est pas facile d'entrer dans ce film estonien, inclassable et très rigoureux dans la mise en oeuvre de son dispositif : dans la majorité des scènes, les acteurs sont immobiles et la caméra se déplace entre eux et autour d'eux, dans une sorte de ballet parfois virtuose.
Reconnaissons-le : au début, c'est un peu dur. Il faut être attentif à la fois à la mise en scène, qui est porteuse de sens, et à ce que l'on entend, une voix féminine lisant (en estonien, une langue proche du finnois) les lettres qu'elle écrit à son époux, dont elle a été séparée.
C'est une histoire vraie, celle de centaines de milliers d'Estoniens, qui ont été déportés pendant la Seconde guerre mondiale sur ordre de Staline. (Rappelons que les pays baltes -Estonie, Lettonie et Lituanie- étaient devenus indépendants de la Russie à la fin de la Première guerre mondiale.)
Le début nous dépeint la vie de ces gens ordinaires, puis les conséquences de l'arrivée des Soviétiques. D'un point de vue historique, l'intrigue simplifie à l'extrême, négligeant de parler des Estoniens communistes qui étaient favorables à l'URSS. Surtout, le film passe totalement sous silence l'occupation allemande de 1941-1944.
Une fois ces prolégomènes posés, on peut se plonger dans cette mise en scène particulière, qui nous fait découvrir l'action en un endroit sous toutes ses coutures. Au début, j'ai trouvé cela artificiel. Mais, à partir du milieu du film, cela devient brillant. J'ai en tête une séquence qui part d'une pièce sombre, où l'on est visiblement en train de juger (et de condamner) un pauvre bougre. Après avoir parcouru la salle dans tous les sens, la caméra s'échappe dans un couloir, qui mène à un autre, dont le sommet de l'un des murs est percé d'ouvertures. Par celles-ci, on découvre progressivement ce qui se passe à l'extérieur. A l'écran, on sent que l'auteur a voulu faire allusion à la déportation dans les camps de travail forcé. Il m'a aussi semblé percevoir l'influence de Francisco Goya, dont certaines oeuvres évoquent les ravages de l'occupation de l'Espagne par les troupes napoléoniennes.
Plus "charnelle" est la suite, qui dépeint la vie dans un kolkhoze, loin de l'Estonie. Séparées de leur mari, certaines femmes, qui pensent ne jamais le revoir, refont leur vie avec un gars du coin. Ce n'est pas le cas de l'héroïne Erna, qui attend encore et toujours de pouvoir retourner dans son pays, espérant y retrouver son cher et tendre.
Je me garderai bien de révéler comment cela se termine. L'une des dernières scènes montre Erna en gros plan. On voit l'aspect de son visage se modifier progressivement, sous l'effet des sentiments qui l'animent. Crosswind n'est pas qu'un exercice de style, c'est aussi une performance d'acteurs.
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samedi, 04 avril 2015
Suite française
C'est l'histoire d'une jeune Française mal mariée, qui vit sous la coupe d'une belle-mère acariâtre et que l'arrivée d'un officier allemand mélomane, en 1940, va troubler. Présentée ainsi, l'histoire pourrait sembler un peu "bateau". Encore un film sur la Seconde guerre mondiale ! Et encore un qui tente de montrer une image plus aimable de certains des occupants allemands, à une époque où il est de bon ton de ne pas froisser nos voisins d'outre-Rhin en leur jetant au visage le passé nazi de leur pays. Sauf que... cette histoire a été écrite il y a plus de soixante-dix ans, par Irène Némirovsky, une Française juive, morte à Auschwitz en 1942 avant d'avoir pu achever le roman qui est adapté ici.
Le premier mérite de cette histoire est de présenter un épisode méconnu de la guerre, l'Exode de mai-juin 1940, au moment de l'invasion allemande. Je vous assure que les scènes du début, qui montrent la pagaille sur les routes et un bombardement de la Luftwaffe, sont impressionnantes. Par contre, le contexte de la mise en place du gouvernement de Vichy est bâclé. Ceux qui n'y connaissent rien ne retiendront que la collaboration avec l'occupant.
Le coeur de l'intrigue est consacré aux relations entre Français(es) et Allemands. On a droit à une assez grande diversité de comportements, du pétainisme germanophile aux premiers actes de résistance. Le film a le mérite de montrer que les situations étaient parfois complexes, surtout quand les sentiments se heurtaient à la politique.
C'est dans ce cadre que se situent les rapports entre la timide Lucile Angellier et le séduisant Bruno von Falk. La première est incarnée par Michelle Williams, vraiment très bien, très éloignée du rôle qu'elle a joué dans My Week with Marilyn. Le second a les traits de Matthias Schoenaerts, révélé naguère par Bullhead. Les personnages secondaires sont tout aussi bien campés. Dans le lot, je distingue Madeleine Labarie, Lambert Wilson et Kristin Scott-Thomas, excellente en belle-mère hautaine. Je regrette toutefois qu'on fasse subir à son personnage une évolution aussi radicale en si peu de temps.
C'est peut-être le défaut principal de l'histoire. La période 1940-1941 est décrite avec les yeux de qui sait ce qui s'est passé ensuite. On a peut-être voulu trop en dire sur ces premiers mois d'occupation. Il reste une belle histoire d'amour impossible, au sein d'un tableau où les différences de classes sont très prononcées.
P.S.
Cette histoire si française (jusque dans la découverte du livre, édité des années plus tard... et récompensé par un prix posthume) est une oeuvre anglo-saxonne. Le tournage s'est déroulé en langue anglaise (avec quelques passages en allemand), davantage en Belgique qu'en France... avec TF1 aux manettes. Cela peut expliquer le tir de barrage que le film a subi à sa sortie, de la part de critiques à oeillères. Ce n'est absolument pas le navet décrit par certains. (Au passage, je pense qu'exceptionnellement, il vaut mieux le voir en version doublée en français : les acteurs francophones ont leur propre voix et les accents des Allemands sont sans doute plus réalistes que dans la version originale.)
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lundi, 23 mars 2015
Résistance élémentaire
Le Sherlock Holmes états-unien (celui de la série Elementary) puise à toutes les sources de connaissances pour résoudre une énigme. On en a eu une nouvelle démonstration dans l'épisode intitulé Meurtres à la carte, diffusé vendredi dernier sur M6.
Au cours d'une enquête (à rebondissements) au coeur de laquelle se trouve une mystérieuse carte d'une partie de la côte Est des Etats-Unis, le célèbre détective est amené à se renseigner sur l'histoire de la Seconde guerre mondiale. En effet, l'un des suspects a opéré sous le pseudonyme de René Duchez, un authentique résistant français qui réussit à voler les plans du Mur de l'Atlantique.
On ne sera donc pas étonné de voir Sherlock brandir un ouvrage consacré à cette période historique, ouvert à la page où est visible une photographie du fameux René Duchez :
Aux curieux, je signale que le titre du livre (bidon ?) est Tales of the French Resistance, comme on peut le constater quand Joan Watson tient l'ouvrage entre ses mains :
Comble de la "francitude", à la suite d'un assez long monologue démonstratif, le détective aboutit à une conclusion logique : la localisation de la boutique qui sert de repère au voleur de cartes. Il s'exclame (en français dans le texte... et un brin théâtral) : "Voilà !"
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lundi, 16 mars 2015
Phoenix
Berlin, année zéro (1945). Une déportée juive a miraculeusement survécu à Auschwitz et aux ultimes fusillades. On la suit d'abord dans un hôpital, où elle va pouvoir un peu se requinquer... et se faire reconstruire le visage (elle a été défigurée). Dans le rôle de Nelly, Nina Hoss est excellente. Très maigre, introvertie et pas très belle, elle rend son personnage très crédible.
Ce film est un peu l'histoire de sa résurrection. La chanteuse de cabaret qu'elle fut va progressivement renaître de ses cendres. Pourtant, au départ, on a peine à y croire, tant elle a le profil d'une victime. Elle se fait dépouiller dans la rue et croit contre toute évidence que son pianiste de mari (non juif) ne l'a pas trahie. On sent qu'elle veut retrouver sa vie d'avant-guerre à Berlin, alors que son amie Lene (Nina Kunzendorf, formidable), en apparence plus forte, l'incite à partir s'installer en Palestine.
S'engage alors, dans la seconde partie de l'histoire, un drôle de jeu du chat et de la souris entre le mari, qui n'a pas reconnu son épouse (mais voit en l'inconnue un moyen de récupérer les biens de celle-ci), et Nelly, docile en apparence, ravie de côtoyer à nouveau son homme, mais aussi curieuse de le percer à jour.
L'intrigue suit son bonhomme de chemin, dans le quotidien sordide des Allemands de 1945. La photographie est de qualité mais sèche, sans l'artifice dans lequel baignait The Good German (de Soderbergh). Il me semble que le scénario a été écrit de manière à culminer dans la dernière scène, celle de la chanson, que je me garderai bien de raconter. Mais, rien que pour elle, ce film un peu laborieux mérite le détour.
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mardi, 10 février 2015
Loin des hommes
David Oelhoffen (coscénariste de L'Affaire SK1) a adapté une nouvelle d'Albert Camus, L'Hôte, dont l'action se déroule au début de la guerre d'Algérie, fin 1954. L'intrigue tourne autour de deux personnages, incarnés par deux acteurs formidables.
Viggo Mortensen s'est complètement approprié le rôle de l'instituteur humaniste, un des ces "hussards de la République" qui ont fait la grandeur de notre pays. Il vit et travaille dans un coin reculé de l'Algérie, l'Atlas saharien, situé dans le nord-ouest du territoire, mais complètement isolé des villes de la côte. Ses élèves sont des Arabes.
Sa petite vie tranquille est bouleversée par l'arrivée d'un gendarme, qui lui amène un prisonnier. Ce dernier est interprété par Reda Kateb (dont j'espère qu'il recevra le César du second rôle pour sa prestation dans Hippocrate).
Une étrange relation va naître entre l'assassin présumé et l'instituteur, ancien combattant. Tous deux vont se retrouver confrontés à la famille de la victime, qui veut se venger, à des pieds noirs du cru, qui voient en tous les Arabes des menaces potentielles, aux fellaghas, qui se méfient de cet improbable duo, et aux soldats français, qui ont ordre de "nettoyer" la région.
Dans son scénario, David Oelhoffen a quelque peu étoffé l'histoire qu'avait écrite Albert Camus. C'était sans doute d'abord une nécessité pour en faire un long-métrage. C'était aussi un moyen de faire saisir toute la complexité de la situation en 1954. On comprend ainsi la diversité du monde des pieds noirs, l'archaïsme de la société algérienne, sa misère aussi, ainsi que la brutalité de l'armée française... à laquelle ont appartenu nombre de meneurs indépendantistes algériens.
Il faut ajouter que les paysages sont superbes. Le film a été tourné en zone montagneuse, dans un désert rocheux (au Maroc), où l'on peut successivement souffrir du froid comme du chaud. (La neige, omniprésente dans la nouvelle de Camus, est toutefois absente ici.)
Des films (de fiction) récents consacrés à la guerre d'Algérie que j'ai vus, c'est sans doute le meilleur. Il ne souffre pas des (petits ou grands) défauts de Cartouches gauloises, de L'Ennemi intime ou de Hors-la-loi, œuvres estimables au demeurant.
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dimanche, 01 février 2015
Queen and country
John Boorman fait partie de ces réalisateurs qui ne cherchent pas à occuper les écrans à tout prix. Il n'a tourné qu'une vingtaine de films en cinquante ans de carrière (pas tous réussis, ceci dit). Les cinéphiles les plus âgés ont été marqués jadis par Délivrance. Leurs cadets ont été éblouis par Excalibur (qui a un peu vieilli).
Queen and country est une oeuvre autobiographique. Le réalisateur ressuscite ses débuts dans l'âge adulte, à une époque où le Royaume-Uni est engagé dans la guerre de Corée (aux côtés des Etats-Unis) et où la jeune Elisabeth II est sur le point de succéder à George VI.
La famille du héros est assez originale. Elle vit sur une petite île fluviale, à laquelle on ne peut accéder que par barque, après avoir sonné une cloche. Si le père incarne une autorité martiale traditionnelle, on comprend peu à peu que la mère n'a pas tout à fait respecté les règles que la bienséance impose aux épouses bourgeoises de son époque. C'est encore pire au niveau de la fille aînée (Vanessa Kirby, délicieuse). Cette gredine délurée s'est déjà fait engrosser deux fois (dont une à 17 ans... My God !) et vit désormais seule... enfin sans compagnon officiel.
J'ai trouvé toutes les scènes de famille très réussies. Elles sont tournées pour la plupart de jour, sous une lumière magnifique. Accessoirement, c'est dans le contexte familial que le héros va entrer en contact avec le monde du cinéma : des studios de tournage se trouvent à proximité et il arrive que des scènes soient tournées sur l'île. Bill est aussi un ardent cinéphile, amateur des oeuvres d'Alfred Hitchcock et emballé par la virtuosité d'un réalisateur japonais jusqu'alors inconnu (Akira Kurosawa), auteur du superbe Rashomon.
Sa vie bascule avec sa convocation pour le service militaire. Si l'influence de grands films de guerre américains est perceptible à l'écran, Boorman veille à mener cette partie de l'intrigue à sa façon, c'est-à-dire avec humour et tendresse. C'est d'abord une histoire d'amitié entre Bill le grand timide et Percy le rouquin audacieux, celui-ci incarné par Caleb Landry Jones, remarqué il y a deux ans dans Antiviral.
Les deux compères vont tenter de contourner le règlement strict de la caserne, épaulés par un vieux renard vaguement handicapé, interprété (avec talent et enthousiasme) par Pat Shortt. Une horloge sert de fil rouge à l'histoire. Je n'en dirai pas plus... Signalons aussi l'excellente composition de David Thewlis en sergent-major Bradley. C'est un habitué des seconds rôles, que l'on a pu voir notamment dans Harry Potter et Cheval de guerre.
L'autre versant de l'histoire est constitué des débuts amoureux des deux jeunes hommes. Percy engage les manoeuvres d'approche auprès de deux spectatrices d'un concert de musique classique, pendant que Bill ne pense qu'à sa mystérieuse inconnue, si chic... mais inaccessible. Les pérégrinations des deux compères sont assez drôles, avec notamment une histoire de téton collé à une vitre qui vaut son pesant de cacahuètes !
Je pense qu'au travers de tous ces éléments, John Boorman a voulu montrer comment il s'était construit comme homme et comme (futur) cinéaste. Mais on peut se contenter de regarder le film comme une chronique douce-amère d'une Angleterre qui n'existe plus.
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samedi, 17 janvier 2015
Invincible
Si le titre français du nouveau film d'Angelina Jolie est bien choisi, il n'est toutefois pas aussi pertinent que l'original, Unbroken. Il donne bien la tonalité de l'histoire, celle du fils d'immigrés italiens que rien ne va briser, que ce soit le racisme des gamins de son âge, l'action de la police (contre ce voleur à la tire), le talent de ses adversaires en course, la faim, la soif, les blessures, les requins... et même la fixation sadique qu'un commandant de camp fait sur lui.
La première heure est construite sur des allers-retours entre la période de guerre dans le Pacifique (au début des années 1940) et la jeunesse du héros. A l'écran, c'est magnifique. Dès le début, on est cueilli par ce plan aérien où, petit à petit, on commence à distinguer les bombardiers qui se détachent des nuages. A plusieurs reprises, on constate le très grand soin apporté à la photographie. La qualité de la mise en scène est aussi visible au niveau de la construction des plans. Les scènes sportives sont bien fichues, mais ce sont les scènes de camp qui sont les plus impressionnantes. La réalisatrice varie les angles de prise de vue et certains mouvements de caméra sont particulièrement judicieux. Je pense notamment au moment où les prisonniers, qui viennent de changer de camp, attendent, alignés dans la cour et entendent les pas du directeur, qui descend les escaliers de son logis.
Il y a donc plusieurs films dans cet Invincible. Certains seront surpris de voir que les années 1930 ne sont présentées que sous l'angle nostalgique. (Et la crise, alors ?) Le passage par les Jeux de Berlin est aussi ambigu : c'est surtout un moment d'émerveillement pour le jeune homme, qui va se faire un nom en battant le record du dernier tour du 5 000 mètres. (Pour la petite histoire, sachez que c'est un petit-fils de Zamperini qui incarne le porteur de la flamme olympique !) On ne nous dit toutefois pas qu'il a terminé huitième de la finale, remportée par un duo d'increvables Finlandais. On ne montre pas non plus sa rencontre avec Adolf Hitler. Il est vrai que cela aurait perturbé le propos du film et que cela ne révèle rien sur le personnage. Plus tard, devenu soldat, il a prouvé qu'il ne se laissait pas acheter. (Aux curieux, je recommande un article de Slate, qui confronte le scénario du film à ce que l'on sait de la vie de Louis Zamperini.)
Nous voilà projetés dans la guerre du Pacifique. Les scènes de combat aérien sont "chouettes". (Signalons la qualité des effets spéciaux, particulièrement visibles à cet instant, mais tout aussi efficaces -et plus discrets- à d'autres moments.) Angelina Jolie tire un bon parti des possibilités offertes par un bombardier. Vient ensuite la séquence de l'errance en mer. Trois des onze membres de l'équipage ont survécu à l'accident. Si ce n'est pas la partie du film la plus rythmée, elle n'est pas la moins intéressante. On se demande ce qui, de la faim, de la soif, de la tempête, des Japonais ou des requins est le plus dangereux. D'un point de vue physique, on voit la santé des personnages se dégrader : au-delà d'un style assez hollywoodien, le souci de réalisme est présent.
Il est même omniprésent dans la troisième partie, celle de l'emprisonnement, au Japon. Les survivants vont passer par un camp de la jungle avant de rejoindre ce que l'on peut sans conteste appeler un camp de concentration. Ils vont y découvrir le sadisme du commandant Watanabe (très bien interprété par un musicien japonais, Miyavi). On sent qu'Angelina Jolie a vu et apprécié Le Pont de la rivière Kwaï et Furyo. J'ai cependant trouvé que certains effets étaient trop appuyés, en particulier dans la séquence de la poutre, un grand moment que je me garderai bien de raconter.
Zamperini (incarné avec conviction par Jack O'Connell) devient une figure quasi christique. Au cours de la guerre, il s'est converti et cela a influé sur sa vie ultérieure. Cela contribue à renforcer le côté extraordinaire du personnage. Non seulement il était doté d'une santé et d'une volonté de fer, mais il a été capable de prendre du recul sur ce qu'il vivait.
C'est un film à voir.
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vendredi, 09 janvier 2015
Cours sans te retourner
Bien qu'adaptée d'un roman, l'intrigue s'inspire d'une histoire vraie, celle d'un gamin juif de Pologne, séparé de ses parents au cours de la Seconde guerre mondiale, et qui a surmonté d'incroyables épreuves pour arriver à s'en sortir.
C'est d'abord destiné aux enfants... et cela se sent. Les effets sont appuyés (ne parlons pas de la musique...) et, pour les vieilles bourriques dans mon genre qui ont déjà vu pas mal de films sur un sujet approchant, cela manque d'originalité au niveau de la mise en scène.
Que reste-t-il de tout cela ? Eh bien les anecdotes (avec pas mal de rebondissements) et la prestation de certains acteurs. J'ai trouvé très belles les scènes faisant intervenir la mère de famille esseulée qui va recueillir le gamin. Comme, de surcroît, elle a les traits (et le charme...) d'Elisabeth Duda, cela passe très bien. Subtile aussi est la partie du film qui voit le jeune héros s'installer définitivement (?) à la campagne, où il sembler trouver une seconde famille.
L'histoire brosse un tableau nuancé de la Pologne des années sombres. On sent chez le réalisateur la volonté de montrer que, si une partie des catholiques se sont comportés comme de gros enculés vis-à-vis des juifs, d'autres ont été de véritables héros, mettant en danger leur vie (voire celle de leurs proches) pour sauver des civils victimes d'une des pires oppressions que le monde ait connue.
C'est quand même globalement maladroit... et parfois extrêmement cliché, notamment quand on suit une bande de gamins réfugiés dans les bois. Cela tourne presque au documentaire sur les scouts. Enfin, j'ai été très gêné par l'une des dernières séquences, lorsqu'un homme de la ville (juif) vient chercher le gamin dans son dernier refuge. La manière dont c'est mis en scène est vraiment très très ambiguë...
P.S.
A la fin, on nous montre l'homme dont la vie a inspiré le roman puis le film. Très âgé, il habite aujourd'hui en Israël. Ce procédé a tendance à se généraliser dans les films biographiques consacrés à des anonymes dont le destin a été bouleversé par le cours de l'histoire. (On a pu le vérifier récemment dans A la vie.)
C'est peut-être aussi un moyen de désarmer le scepticisme de certains spectateurs, échaudés par la tromperie dont Survivre avec les loups avait été l'objet.
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jeudi, 25 décembre 2014
A la vie
C'est le toast que portent trois femmes encore jeunes, dans la salle à manger d'un appartement qui a vue sur une plage de Berck, dans le Pas-de-Calais, en 1962. Ce sont des rescapées d'Auschwitz, qui se retrouvent ensemble pour la première fois depuis 17 ans.
On ne sera donc pas étonné de voir le film débuter par une séquence de camp. On nous montre un aspect méconnu de la déportation : les marches de la mort. Cette séquence introductive n'en fait pas trop : l'intrigue se concentre sur la vie après.
On retrouve l'héroïne, incarnée par Julie Depardieu, en 1945-1946, en France. Cela nous vaut un joli tableau d'époque, en milieu populaire... et communiste. Le PCF est à l'époque le premier parti de France. Tout une micro-société s'est créée autour des institutions du Parti, avec notamment la "Fête de l'Huma".
Le bond suivant nous emporte à l'époque qui va constituer l'arrière-plan de la majorité du film : le début des années 1960. Là aussi, la reconstitution d'époque, avec les vêtements, les voitures et la musique, est soignée. Les "anciens" ressentiront un petit pincement au coeur face à ce monde disparu. Les trois rescapées nous sont alors présentées en détail.
Hélène est une sainte laïque. Elle s'est fait un devoir d'épouser un rescapé des camps, quoi qu'il lui en coûte. Elle milite ardemment pour le Parti. Elle est incarnée par Julie Depardieu, dans un rôle à contre-emploi, où elle n'est pas toujours à l'aise.
Les deux autres sont mieux campées, que ce soit Lili la féministe néerlandaise (Johanna Ter Steege, impeccable) ou Rose la bourgeoise sensuelle installée au Canada (Suzanne Clément, géniale).
A ce trio féminin répond un trio masculin, désuni. Hippolyte Girardot joue le compagnon très spécial de l'héroïne. Mathias Mlekuz interprète le militant communiste sincère, un gars franc, serviable... mais pas très futé. Benjamin Wangermee a le privilège d'incarner le maître-nageur, fonction hautement stratégique en zone touristique côtière. En plus, il s'occupe des enfants... mais il est gaulliste !
Nous voilà avec tous les ingrédients d'une comédie de moeurs, mais c'est le sérieux qui domine. Si l'on rit assez souvent, il est d'abord question des tourments intérieurs des trois femmes. Chacune porte en elle un secret remontant à la guerre... et tient à cacher quelque chose concernant sa "vie d'après". La rencontre va libérer les vieux fantômes et les rendre toutes plus fortes.
Si la réalisation est académique, elle est servie par une bonne lumière, de bons éclairages. Les tonalités sont chaudes. Quant à l'histoire, elle pourrait paraître ennuyeuse (ou triste) au premier abord, mais j'ai quand même passé un bon moment. Les scènes sont bien tournées. Beaucoup ont un charme inexplicable qui m'a séduit.
A la fin, un court extrait vidéo nous montre les personnes dont la vie a inspiré le film.
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Le Temps des aveux
Régis Wargnier (qui réalisa jadis Indochine) est revenu dans l'ancienne colonie française, mais, cette fois-ci, dans la partie cambodgienne, pour tourner une adaptation du livre écrit par l'ethnologue français François Bizot, Le Portail. (Précisons que l'auteur de l'article du Monde auquel renvoie le lien précédent est le coscénariste du film.)
L'action se déroule d'abord en 1971, donc avant la prise de pouvoir par les Khmers rouges. L'ethnologue (soupçonné d'être un agent de la CIA) est capturé par ceux-ci. A l'image des autres détenus, il va devoir rédiger ses "aveux", reconnaître ses supposées fautes. Le film donne à voir un système coercitif en construction. Le plus étonnant est que, la plupart du temps, c'est dans le calme qu'une violence extrême est appliquée. L'histoire illustre le décalage entre la vision des Occidentaux (et du chercheur, pourtant amoureux de la culture khmère) et la sècheresse idéologique des communistes cambodgiens.
Le film a été tourné en khmer et en français, d'abord parce qu'il met en scène deux types de population, mais aussi parce qu'il y a un pont culturel entre certains cadres khmers et la France : les futurs dirigeants communistes sont passés par Paris. Le héros ne les croise pas, mais communique avec le chef du camp, surnommé Douch (ou Duch) qui, bien que militant inflexible, contempteur de l'Occident impérialiste, a gardé en mémoire des poèmes écrits dans la langue de Voltaire. C'est peut-être pour cette raison qu'il épargne "le camarade Bizot". Une étrange relation se noue entre les deux hommes.
Au niveau de l'interprétation, j'ai trouvé les Cambodgiens très convaincants, en particulier Kompheak Phoeng, l'interprète de Douch... et qui fut son traducteur lors de son procès ! Je n'ai pas toujours été emballé par la prestation de Raphaël Personnaz : je trouve qu'il joue toujours sur le même ton (comme dans Quai d'Orsay, d'ailleurs). Au niveau des seconds rôles, signalons la présence d'Olivier Gourmet (à voir absolument dans Terre battue), très bon en ambassadeur français.
Le film se laisse regarder sans déplaisir parce qu'il est bien interprété et parce que l'image est soignée. A certains, il apportera la saveur du dépaysement. Il est surtout une pierre ajoutée à l'histoire du génocide cambodgien. Il a d'ailleurs été produit par Rithy Panh, réalisateur du formidable documentaire S21, la machine de mort khmère rouge (consacré au camp qu'a dirigé par la suite le fameux Douch).
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samedi, 06 décembre 2014
90 minutes inside... le Carmel de Rodez
Le 16 novembre dernier, la journée "portes ouvertes" de l'ancien Carmel, destiné à devenir le nouveau siège de l'évêché, devait être la première et dernière occasion de découvrir un lieu de réclusion spirituelle qui a fait gamberger bien des Ruthénois pendant des dizaines d'années. Devant le succès monstre (avec environ 1 200 visiteurs, sans compter ceux qui n'ont pas pu entrer et ceux que les longues queues ont découragés), il a été décidé de renouveler l'opération cette fin de semaine, samedi 6 et dimanche 7 décembre 2014.
Malgré la pluie glaçante, la foule s'étirait encore aujourd'hui rue Combarel, attendant, disciplinée, l'ouverture des portes. On nous a fait entrer puis patienter dans un hall, qui nous a ensuite menés, par une courte mais intense ascension, jusqu'à la chapelle, où le responsable de la communication du diocèse (eh oui, cela existe) nous a reçus avec sympathie. Il a présenté un rapide historique des lieux (dans lequel il a omis de préciser que la carmélite parisienne qui était à l'origine de la fondation du couvent était une protestante britannique convertie).
L'aspect actuel de l'intérieur de la chapelle remonte à l'époque qui a immédiatement suivi le concile de Vatican II. L'autel a été détaché du mur du fond, permettant au prêtre officiant de faire face aux fidèles. De plus, le sol de la partie réservée aux laïcs ayant été rehaussé de deux mètres, ceux-ci se sont retrouvés beaucoup plus proches des religieux qu'auparavant. Quant aux vitraux très "modernes" qui ornent les ouvertures de la bâtisse, ils sont l'oeuvre de moines de l'abbaye d'En Calcat, située dans le Sud du Tarn :
A la suite de cette présentation, le parcours guidé dans les immenses bâtiments a pu commencer. Très vite, nous sommes arrivés dans une petite pièce où se trouvait un étrange placard :
Ce confessionnal a vivement intrigué les visiteurs... et il aurait pu inspirer l'une d'entre elles, dont le téléphone portable a sonné peu de temps après... et qui, pas gênée, s'est mise à engager la conversation avec son interlocuteur : "Je suis dans le truc là... tu sais à Combarel..." Plusieurs visiteurs ont manifesté leur mécontentement et, curieusement, plus aucun téléphone n'a sonné pendant le reste de la visite. (On en avait déjà entendu deux ou trois au tout début, mais leurs propriétaires avaient eu la courtoisie de ne pas répondre à l'appel et de les éteindre.)
Nous voilà arrivés dans l'oratoire (une pièce où l'on prie). Mon regard a été attiré par le plafond...
... et par le sol, où l'on pouvait voir d'étranges étoiles métalliques, incrustées dans le superbe parquet (très bien entretenu par les religieuses) :
Désignent-elles un emplacement réservé à certaines religieuses, pendant la prière, ou bien sont-elles des marques laissées là par des artisans ? Les voies du Seigneur sont parfois diablement impénétrables. En tout cas, cette pièce va connaître quelques bouleversements, puisqu'elle est vouée à devenir le bureau de l'évêque. Une partie de l'enceinte donnant sur la rue Combarel devrait être abaissée pour permettre à la lumière d'atteindre cette partie du bâtiment. On est décidément aux petits soins pour Monseigneur !
Toujours à l'étage, nous découvrons les cellules des carmélites (qui n'ont jamais été plus de 24), encore plus petites que des chambres d'étudiants... et au confort rudimentaire :
Notez, au pied du lit, la prise électrique, de conception très ancienne !
Les recluses entraient au contact du monde extérieur au moyen de deux parloirs, l'un situé au rez-de-chaussée, l'autre, plus grand, à l'étage :
D'après la guide, la taille de l'ouverture était prévue pour permettre aux religieuses (qui étaient aussi couturières) de prendre les mesures des prêtres (sans franchir la limite !). On se demande comment elles pouvaient opérer quand l'ouverture était obstruée par une grille...
Les carmélites pouvaient aussi recevoir des objets (notamment de la nourriture), qui entraient au couvent par le tour, une structure en bois qui pivote sur un axe, et qu'actionnait la bien nommée tourière :
Des objets sortaient aussi du couvent, en particulier des hosties, qui ont fait la réputation des carmélites de Rodez.
Nous sommes descendus au rez-de-jardin, où l'on trouve les pièces consacrées à la vie quotidienne, au travail et à l'activité spirituelle. Elles sont d'un aménagement sobre, quelques meubles en bois se révélant d'une grande beauté. L'une d'entre elles va être profondément transformée : le réfectoire (dont l'équipement a déjà été récupéré par d'autres communautés), qui est destiné à devenir l'entrée du bâtiment rénové. D'autres salles se distinguent, comme le lavoir communautaire, où, visiblement, tout était fait à la main :
Au détour d'un couloir, on découvre deux pièces dans lesquelles l'architecture d'origine a été préservée. C'est tout ce qu'il reste de l'ancien hôtel de passe, racheté jadis par l'évêque André-Charles de Ramond-Lalande. L'une de ces pièces a servi de dépôt de charbon :
Nous finissons par arriver dans l'un des endroits les plus attendus de la visite : la cuisine ! C'est dans celle-ci que les dernières carmélites en place avant 2013 (elles étaient quatre) passaient une partie de leurs journées. Chez les visiteurs, c'est un peu la déception. Il n'y a rien de notable à évoquer, si ce n'est cette perforation du sol (il y en a d'autres notamment dans les couloirs). D'après la guide, il s'agissait de vérifier la composition du terrain et, pour les archéologues, d'effectuer quelques sondages, dans l'espoir d'une découverte fortuite, avant les travaux. Apparemment, il n'y a pas de cadavre dans le placard...
D'ailleurs, nous ne descendrons pas davantage : nous ne verrons pas les caves, que l'on n'a pas souhaité montrer au public, pas plus que les combles, qui couvrent toute la surface de l'étage. La charpente (en bois) est paraît-il superbe, mais les conditions de sécurité ne sont semble-t-il pas réunies pour y faire passer plusieurs centaines de personnes, pas toujours disciplinées...
La visite se termine dans une salle où nous est présenté le projet de transformation des lieux. Les services de l'évêché vont quitter leurs locaux historiques (propriété du Conseil général de l'Aveyron), trop grands, trop coûteux à entretenir. (On a parlé de 78 000 euros de frais annuels, dont peut-être 25 000 euros de chauffage !) Les intervenants sont Xavier Cazals (secrétaire général du diocèse) et le bien nommé Jean-Marc Levesque, l'architecte du projet.
Cette pièce contient une curiosité : une maquette du site, qui date sans doute de ses débuts, dans la première moitié du XIXe siècle :
Cette visite (gratuite) mérite vraiment le détour. A la place de l'évêché, j'aurais demandé une petite contribution : la transformation des lieux (qui inclut la construction d'un nouveau bâtiment, pour stocker 1,5 kilomètre de rayons d'archives) va coûter 2,5 millions d'euros, 450 000 devant être fournis par les fidèles.
20:24 Publié dans Aveyron, mon amour, Histoire, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, culture, spiritualité, histoire
mardi, 11 novembre 2014
Journaux de guerre n°13
Le numéro paru le 7 novembre (pas un jeudi, contrairement à l'habitude) est principalement consacré au torpillage du paquebot Lusitania, déjà évoqué dans l'un des journaux fournis avec le numéro 10, il y a quelques semaines.
L'affiche de la semaine est britannique. Elle s'adresse aux Irlandais et tente de convaincre ceux qui sont à l'époque des sujets de George V de s'engager dans l'armée de Sa Majesté :
La présentation des journaux ne fait pas qu'analyser les causes et les conséquences de cet acte de piraterie. Elle s'attarde de manière plus générale sur la rivalité navale entre le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Le premier des quotidiens reproduits est La Petite Gironde du 25 mars 1915. En première page, de nombreuses photographies représentent des soldats britanniques. On peut aussi y trouver un article sur les retraits de naturalisations au XVIe siècle. Page 2, un entrefilet évoque l'exécution d'une femme (sans doute allemande) pour espionnage, à Nancy. Un peu plus loin, il est toujours question du "deuxième sexe" :
Un peu plus loin, un article évoque les bagarres entre dockers français et espagnols à Bordeaux. Les employeurs locaux ont choisi de faire venir sur place une main-d'oeuvre... marocaine, qui semble donner entière satisfaction.
Le Sud-Ouest est décidément bien représenté dans ce numéro de Journaux de guerre, puisque le second quotidien de province est La Dépêche, du 11 mai 1915. On s'y intéresse notamment à l'attitude des dirigeants italiens et états-uniens, en particulier du président Wilson.
Page 2, il est question de l'interdiction de la vente d'alcool dans la zone des armées. Cela rejoint les préoccupations qui perçaient, chez les civils, dans les journaux fournis avec le numéro 11. On s'inquiète aussi du sort de l'aviateur Roland-Garros, prisonnier en Allemagne. (Rappelons qu'il est décédé en octobre 1918.)
Les Aveyronnais découvriront peut-être avec surprise que des prisonniers allemands s'étaient évadés de Millau. Enfin, les amateurs de numérologie seront ravis par un article qui spécule sur la date de la fin du conflit :
On termine avec un exemplaire de l'un des quotidiens les plus lus de l'époque, Le Journal, du 8 mai 1915. La première page est largement consacrée au torpillage du Lusitania. L'identité de quelques victimes célèbres est mentionnée. Sous le titre "Juste châtiment", on trouve un peu plus loin un encadré qui se réjouit qu'une attaque au gaz allemande se soit retournée contre ses instigateurs. Ce n'est pas le seul journal à se réjouir de ce genre de péripétie. C'est un moyen d'atténuer le choc qu'a constitué l'emploi de cette nouvelle arme, qui a finalement fait beaucoup moins de dégâts que les obus.
Page 2, un long article évoque la situation financière du pays et les emprunts à contracter. Il est donc question des Etats-Unis, dont il est dit qu'ils n'ont pas encore l'habitude de prêter de l'argent aux Européens...
En bas de page, on retrouve une figure familière, utilisée ici non pas de manière hostile, contre l'Allemagne, mais pour symboliser la bonne entente entre la France et l'Angleterre :
En Extrême-Orient, on commence à réaliser que le Japon, allié de la Triple Entente, mène une politique étrangère très "personnelle" et profite de la guerre pour s'implanter en Chine.
En dernière page, on peut savourer deux caricatures nord-américaines qui se moquent de l'empereur Guillaume II. L'une d'entre elles (issue d'un quotidien québécois) est très "datée" :
13:35 Publié dans Histoire, Jeanne d'Arc, Presse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, états-unis, presse, médias, journalisme
dimanche, 09 novembre 2014
De l'autre côté du mur
Sortie en France de manière fort opportune 25 ans après la chute du Mur de Berlin, cette fiction (qui s'appuie sur des éléments autobiographiques) nous replonge dans l'Allemagne de la Guerre Froide, plus précisément dans LES Allemagnes de l'époque, la R.F.A. (libérale et proaméricaine) et la R.D.A. (communiste et prosoviétique).
Le début de l'histoire contient deux ellipses. La première marque le passage, pour la petite famille, de trois à deux personnes. La seconde interrompt l'examen subi par l'héroïne à la frontière des deux Allemagnes. Que s'est-il réellement passé à la douane ? Qu'est-il arrivé à son conjoint soviétique, père du petit Alexej ?
Le réalisateur nous maintient volontairement dans l'incertitude... parce que c'était ce que ressentaient les personnes à l'époque. On évitait de se livrer au premier venu... et même à des amis. Du coup, on ne sait pas ce que cache Nelly, la mère-courage au charme indéniable. (Jördis Triebel est formidable.)
On se demande de qui, parmi les connaissances qu'elle fait au foyer de réfugiés, il faut se méfier. Et elle-même, jusqu'à quel point est-elle fiable ? Ce n'est quand même pas pour rien que les services secrets ouest-allemands, épaulés par une antenne américaine, rechignent à lui donner un sauf-conduit.
Dans le même temps, on suit la difficile adaptation du garçon (très bien interprété). En R.D.A., il faisait partie des Pionniers et avait déjà bien assimilé la rhétorique antifasciste. Il se retrouve face à des gamins plus riches et qui sont éduqués dans un contexte religieux. Il se fait quand même une copine, une adorable petite Russe, plutôt anticonformiste. Mais, au fond, on sent que ce que recherche vraiment le garçon est... un père.
Ses relations avec les adultes sont à comprendre avec cet arrière-plan, tandis que sa mère cherche à se faire une situation et veut à tout prix éviter de (re)tomber dans les griffes de la Stasi est-allemande.
Au niveau de la mise en scène, ce n'est pas particulièrement brillant. On peut quand même relever quelques scènes plus élaborées, qui font intervenir un personnage que l'on croit disparu : l'héroïne a-t-elle des hallucinations ou bien nous cache-t-on quelque chose ?
Pour moi, ce film mérite le détour, parce qu'il réussit à insérer le vécu de personnes ordinaires dans un contexte géopolitique tendu, celui des années 1970.
P.S.
Notons que c'est la deuxième fois cette année (après le poignant D'une vie à l'autre) que le cinéma allemand évoque les années de Guerre Froide à l'aide d'un personnage principal féminin et mère de famille.
21:17 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, histoire
samedi, 01 novembre 2014
La maison du Grand Luc
Sous cette appellation mystérieuse se cache un bâtiment à la triste réputation : le siège de la Gestapo (en réalité le SIPO-SD), à Rodez, pendant une partie de la Seconde Guerre mondiale. Il en a été question dans le quotidien Centre Presse du lundi 27 octobre, dans une double-page consacrée à Arthur Fienemann. Dans l'article, l'historien aveyronnais Jean-Michel Cosson évoque la double vie de cet individu peu recommandable, d'abord adversaire implacable de la Résistance française, avant de se reconvertir dans les arts, où il s'est construit une situation. Il est mort en 1982, libre.
Pour mieux connaître le contexte local de l'action d'Arthur Fienemann durant le second conflit mondial, on peut lire un passionnant ouvrage, cosigné par Jean-Michel Cosson (encore lui !) et Stéphane Monnet, publié il y a un peu moins de dix ans aux éditions De Borée, et qu'on peut depuis peu se procurer à nouveau, chez les marchands de journaux, pour moins de quinze euros :
Arrivé à Rodez en 1943, Fienemann (qui se fait rapidement appeler "le Grand Luc") est officiellement interprète. Dans la réalité, il mène les interrogatoires sans ménagement, en compagnie du chef du SIPO-SD et il semble avoir joué un rôle décisif dans le massacre de Sainte-Radegonde du 17 août 1944.
Le service de répression nazie, d'abord installé rue Saint-Cyrice (dans la "maison des Illustres", située à l'emplacement de l'actuelle MJC), a ensuite emménagé dans une villa se trouvant rue Grandet (pas très loin du siège actuel de la CAF, à quelques centaines de mètres du musée Denys-Puech). L'article de Centre Presse contient une photographie d'époque du bâtiment :
Je pense qu'il s'agit de la même que celle qui a été publiée dans le livre dont j'ai parlé plus haut, sauf qu'elle a été recadrée :
Sachez que la maison existe toujours. En voici une vue récente, prise avec un angle assez proche de celui de la photographie ancienne :
Le poteau électrique visible à gauche n'a pas changé. Par contre, le bâtiment du fond a été complété par des garages et un nouveau poteau (sur lequel la plaque de la rue est fixée) masque la vue, au premier plan.
Il reste une incertitude, portant sur le numéro de l'immeuble. Dans le livre qu'il a coécrit, Jean-Michel Cosson parle du 15, rue Grandet (à trois reprises). Dans l'article de Centre Presse, l'emplacement exact n'est pas donné. Or, aujourd'hui, l'immeuble se trouve au numéro 23 :
Alors ? Y a-t-il eu une erreur dans la rédaction du livre paru en 2006, ou bien la numérotation de la rue Grandet a-t-elle changé entre 1943 et aujourd'hui ?
00:37 Publié dans Aveyron, mon amour, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : historie, presse, médias, journalisme
jeudi, 30 octobre 2014
Fury
Cette "fureur" est celle de la Seconde Guerre mondiale... et c'est aussi le nom écrit sur le canon du char de l'équipage duquel nous allons suivre les aventures, pendant un peu plus de deux heures.
Au tout début de l'histoire, il subit un petit renouvellement, l'un des membres ayant été tué. Voilà que débarque un jouvenceau doux comme un agneau (Logan Lerman, vu récemment dans Noé... pas super convaincant), qui va devoir cohabiter avec un Latino plutôt sympa (Michael Pena, un habitué des seconds rôles), un "Américain moyen" très porté sur la Bible (Shia LaBeouf, étonnamment bon), une racaille qui n'a pas peur de grand chose (Jon Bernthal, un peu caricatural) et le "papa" du groupe, un mec à la fois charismatique et mystérieux, incarné par un Brad Pitt très en forme.
Globalement, je trouve que le film se traîne un peu. Le montage manque parfois de rythme, même si certaines séquences sont particulièrement réussies. En tête, je place celles qui font intervenir des combats avec les chars. C'est spectaculaire sans qu'on soit tombé dans le tape-à-l'oeil. La tactique de combat est bien mise en scène. Je pense notamment à la première escarmouche (le traquenard). C'est peut-être poussé un peu trop loin plus tard, lors de l'affrontement avec le Panzer. L'histoire a au moins le mérite de présenter les Allemands comme des adversaires redoutables (les nazis étant dépeints comme des ordures), même si je trouve qu'ils tombent un peu trop facilement sous les balles et les obus yankees.
Les scènes guerrières sont donc globalement plus abouties que celles qui montrent les soldats à l'arrière ou entre eux, dans le char, hors période de combat. (De ce point de vue, Lebanon, un film israélien aux ambitions plus modestes, était plus fort.) Je place toutefois à part l'entière séquence qui se déroule dans la ville allemande tout juste reconquise, avec ces deux femmes qui se retrouvent sous la domination et la protection du "papa" du groupe et du jouvenceau (qui, petit à petit, s'aguerrit). Cela nous vaut une scène extrêmement ambiguë, sur le fond comme sur la forme, puisqu'elle oscille entre tension criminelle et érotisme trouble. Les dames (et certains messieurs) jouiront du coup d'oeil sur le torse de Brad, qui a dû passer un paquet d'heures sur le banc de musculation. Mais la suite immédiate nous en apprend davantage sur le personnage que le reste du film. C'est donc un moment capital de l'histoire.
L'ensemble demeure néanmoins assez convenu. C'est très hollywoodien. On n'a pas osé montrer des soldats américains violant des Allemandes et la représentation du courage de ces hommes somme toute ordinaires n'est pas exempte de clichés. Quant à la séquence du dernier combat, si elle témoigne d'une réelle maîtrise au niveau de la mise en scène, elle n'est pas réaliste. Mais, comme c'est bien joué, bien filmé, on passe un agréable moment.
P.S.
Concernant le personnage interprété par Brad Pitt, je pense qu'il y a un sous-entendu. Il est germanophone et éprouve une haine tenace pour les nazis, en particulier les SS. Comme l'action se déroule à la fin de la guerre, on peut présumer qu'il est au courant des crimes perpétrés en Europe de l'Est. Il est sans doute lui-même originaire du continent, ou y a(vait) de la famille. Sans qu'on puisse rattacher son comportement aux valeurs chrétiennes, il est capable de citer des passages de la Bible (de l'Ancien Testament, si ma mémoire est bonne). Il est peut-être juif.
Dans ce film, Brad Pitt incarne un superman presque ordinaire, désespéré au fond et qui, dans une guerre inhumaine, tente de suivre une voie humaine.
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mardi, 28 octobre 2014
Journaux de guerre n°11
La livraison de jeudi 23 octobre met l'accent sur le génocide des Arméniens par les Turcs (de l'Empire ottoman) :
Fort logiquement, l'affiche en couleurs de grand format qui accompagne ce numéro fait allusion au drame qui se joue, à l'époque, au Proche-Orient. Elle a été créée par le Comité de secours américain aux Arméniens et aux Syriens :
Le paradoxe est que les massacres qui se déroulent en Méditerranée orientale occupent une place relativement réduite dans les journaux français de l'époque... ou alors, leur portée n'est pas totalement perçue.
On commence avec Le Petit Journal du 20 mars 1915. Il s'intéresse surtout aux opérations militaires qui se déroulent du côté du détroit des Dardanelles. On se pose aussi des questions à propos de l'attitude de deux pays neutres (la Grèce et la Bulgarie) voisins de ce nouvel allié de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie :
Parmi les articles anecdotiques dont la lecture peut s'avérer plaisante, je conseille celui qui est intitulé "Femme d'espion". Le plus cocasse se trouve page 4. Il s'agit d'un encart publicitaire dont j'ai parlé vendredi dernier.
Passons à présent au Phare de la Loire, de Bretagne et de Vendée du 7 juin 1915. On peut y lire ce qui est présenté comme une lettre d'un instituteur (parti au Front) à ses élèves. Il y est notamment question des qualités et des défauts des soldats français. Le passage suivant m'a paru d'une singulière lucidité :
Page 2, on trouvera une foultitude d'informations intéressantes. Cela va de la nouvelle constitution danoise (qui octroie le droit de vote aux hommes et femmes âgés de plus de 25 ans) au commerce germano-argentin, en passant par le pavillon français de l'exposition de San Francisco et une affaire de faux-monnayage.
Un autre quotidien régional nous est proposé cette semaine. Il s'agit de La Dépêche de Lyon du 30 septembre 1915. L'éditorial condamne "l'ignoble crime" commis contre les Arméniens. Comme dans Le Petit Journal, on s'interroge sur la position de la Grèce et de la Bulgarie. A ce sujet, je note un fort contraste entre ce que l'on peut lire page 1 et page 2 :
A plusieurs reprises, on perçoit les interrogations de la presse française, qui croit (à tort) que la germanophilie bulgare se limite aux cercles dirigeants (le roi étant issu de la noblesse allemande) et qui sous-estime le poids des tensions (et des ambitions) balkaniques.
Le florilège se termine avec l'un des principaux quotidiens du pays, Le Matin, daté du 10 novembre 1915. Le premier article aborde la question de l'autorité religieuse du sultan ottoman, de nombreux musulmans habitant des territoires soumis aux pays de la Triple Entente. Le papier se veut rassurant. Plus exotique est la correspondance de l'envoyé spécial au Japon (pays qui a rejoint l'Entente), consacrée au statut de l'empereur-dieu Yoshihito (père de Hirohito) :
Plus loin, c'est d'alcool qu'il est question. Le ministre de l'Intérieur Louis Malvy (grand-père de l'actuel président du Conseil régional de Midi-Pyrénées) s'évertue à limiter la vente et la consommation d'alcool :
Précisons que pour les femmes (!) et les mineurs de moins de 18 ans (la majorité est à 21), l'interdiction est totale. Dans la prose du ministre, on sent l'envie sincère de protéger la santé publique, les forces vives de la Nation... et l'intégrité des foyers. Lui fait écho un entrefilet publié en dernière page, qui évoque les conséquences de la consommation chronique d'alcool :
Il y a encore bien d'autres petits trésors dissimulés dans ces journaux d'époque, qu'on lit toujours avec un grand plaisir.
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vendredi, 24 octobre 2014
Une pincée de Valls pour une bonne purge
Il est des coïncidences parfois troublantes. Aujourd'hui, en lisant Le Petit Journal du 20 mars 1915 (disponible dans la dernière livraison de Journaux de guerre, centrée sur le génocide des Arméniens), je suis tombé, page 4, sur une publicité ma foi assez déroutante :
21:28 Publié dans Histoire, Politique, Presse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, presse, journalisme, politique, actualité
mercredi, 22 octobre 2014
Journaux de guerre n°10
Il est paru jeudi 16 octobre, mais on pourra encore le trouver une semaine chez certains marchands de journaux... et, après cela, le commander sur le site officiel.
Le document iconographique est la reproduction d'une affiche de propagande britannique de 1915 :
La présentation de ce numéro met l'accent sur les gaz asphyxiants et le rôle nouveau des engins aériens, en particulier les dirigeables allemands. Si l'introduction de ces nouveautés a pu, dans un premier temps, donner l'impression qu'elles pourraient faire pencher la balance de manière décisive dans le conflit, très vite, les dirigeants ont réalisé que le profit à en attendre était davantage psychologique que tactique.
Le florilège de journaux démarre avec L'Action française (du 22 mars 1915), l'organe de l'extrême droite bourgeoise. L'essentiel du numéro est occupé par le passage des fameux "Zeppelins" dans le ciel français. Si le ton est agressivement patriotique, je dois reconnaître que dans son éditorial, Léon Daudet analyse la chose avec clarté. Plus loin dans le journal, Charles Maurras s'en prend à ses têtes de Turc habituelles : les républicains, qu'ils soient libéraux, radicaux ou socialistes. En lisant entre les lignes, page suivante, on comprend que les cibles du journal sont aussi (surtout ?) les juifs, les protestants et les francs-maçons. Mais, le contexte étant ce qu'il est, il est contraint à un peu de retenue.
Précisons que le député Joseph Reinach était l'un des ténors de la mouvance républicaine modérée, qu'il fut un ardent défenseur d'Alfred Dreyfus (et le premier grand historien de l'Affaire)... et qu'il était juif.
En contrepoint de L'Action française nous est proposé un exemplaire de La Dépêche (de Toulouse) datée du même jour. Ici aussi l'action des dirigeables allemands fait la Une. La première page contient aussi un article intéressant sur les Tchèques en Autriche-Hongrie. (Du côté de l'Entente, on compte sur leur insoumission.)
La page 2 comporte un hommage à un conseiller d'Etat, mort au Front au milieu des soldats. On y trouve aussi une évocation de l'attitude des députés socialistes allemands (tout comme dans L'Action française, d'ailleurs). Si la rébellion d'une minorité est soulignée, on rappelle le vote des crédits de guerre par la majorité. Plus loin, dans ce qui semble être une sorte de courrier des lecteurs, on peut lire des conseils pratiques appliqués à la guerre, comme celui-ci :
Encore plus riche est l'exemplaire de La Croix du 27 avril 1915. En page 1, on y dénonce la propagande allemande véhiculée par La Gazette des Ardennes, que l'on a déjà eu l'occasion de feuilleter il y a quelques semaines.
En page 2, on trouvera un hommage aux troupes coloniales... hommage un peu ambigu, puisque l'auteur insiste sur la férocité des soldats engagés :
(Au passage, je me demande s'il est légitime de parler de "troupes noires" s'il n'y avait que des Zouaves. Ces troupes étaient composées de soldats d'origine européenne, qu'ils soient métropolitains ou "pieds noirs". Durant la Grande Guerre, on a certes créé des unités mélangées, avec des tirailleurs nord-africains. Difficile toutefois de parler de "troupes noires".)
Dans ce numéro, les Aveyronnais seraient bien avisés de lire les avis de décès, deux d'entre eux concernant directement notre département :
On ne sera pas non plus étonné de retrouver (comme dans l'exemplaire fourni avec le numéro 6 de Journaux de guerre) une allusion à Jeanne d'Arc, dans un article consacré à sainte Odile.
On termine avec Le Radical (de Marseille) du 11 mai 1915. Ce quotidien républicain laïc s'intéresse tout particulièrement à la diplomatie du Vatican, au moment où l'Italie rejoint la Triple Entente. Il se fait aussi un malin plaisir à citer la bonne opinion que le gouvernement allemand a de la presse vaticane... Cela ne l'empêche pas de dénoncer l'attitude de l'évêque de Metz, qui a ordonné d'enlever les statues de Jeanne d'Arc des églises de son diocèse. On n'oubliera pas non plus de lire, page 2, le long article consacré au torpillage du Lusitania par un sous-marin allemand. On s'attend, à plus ou moins longue échéance, à l'entrée en guerre des Etats-Unis.
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samedi, 18 octobre 2014
Journaux de guerre n° 7 et 8
Le numéro 7 de cette passionnante collection traite du premier hiver dans les tranchées. Les "poilus" découvrent la guerre de position, dans des conditions climatiques difficiles :
On commence doucement avec L'Intransigeant du 1er janvier 1915. On n'y lira pas grand chose d'intéressant, le quotidien reproduisant pour l'essentiel le discours officiel sur la guerre.
Beaucoup plus enrichissante est la lecture du Petit Parisien du 6 janvier 1915. En première page, un article évoque une Alsace-Lorraine redevenue française. On remarque aussi un papier consacré aux revendications territoriales roumaines, au premier rang desquelles la Transylvanie. Neutre à l'époque, le pays a fini par rejoindre l'Entente en août 1916. Dès 1915, dans la presse française, on peut percevoir l'écho de l'activité diplomatique menée en direction de la Roumanie.
Page 2, celui qui est l'un des quotidiens les plus lus de l'époque revient sur les "atrocités allemandes" et ajoute plusieurs considérations sur le traitement des prisonniers de guerre français. Un peu plus loin, il est question du sportif Jean Bouin, décédé lors de la bataille de la Marne, et qui a été (provisoirement) enterré au château de Bouconville, dans la Meuse. Encore plus sinistre est l'article qui se réjouit de la condamnation d'une avorteuse :
Le feu d'artifice continue page 3, où le journal évoque les champs pétrolifères austro-hongrois, la neutralité états-unienne, l'activité des Allemands autour de Metz... et les obsèques de Bruno Garibaldi, petit-fils du célèbre combattant italo-français. C'est le seul des six frères (tous engagés dans la Légion étrangère, l'Italie étant encore officiellement neutre) à porter un prénom français. L'action des combattants "garibaldiens" de 1914 est fréquemment citée dans la presse hexagonale. Le décès de Bruno a même fait l'objet d'une illustration héroïque :
Le florilège de journaux contient un représentant de la presse régionale, Le Progrès de l'Allier, du 21 janvier 1915. On peut y glaner quelques informations, au travers de petits articles en apparence anodins. On comprend que l'interdiction de la vente de l'absinthe est proche. (La situation a changé... en 2011.) Plus grave est la situation des juifs palestiniens, qui, depuis l'entrée en guerre de l'Empire ottoman (aux côtés de l'Allemagne), voient leur situation se dégrader :
Page 3, on lira avec stupéfaction l'histoire du médecin-major Dercle, qui aurait été blessé... quatre-vingt-dix-sept fois !
On termine par une curiosité, un journal des tranchées (composé par des soldats du Quercy), L'Echo des gourbis du 15 mars 1915. Je recommande tout particulièrement la lecture, page 4, des lettres au Front (et non pas du Front), preuve que certains poilus avaient conservé leur sens de l'humour...
Passons à présent au numéro 8 de ces Journaux de guerre. Il est consacré à la "guerre d'usure", notamment aux illusions entretenues en France à propos d'un possible rapidement effondrement de l'Allemagne :
Il contient une affiche de propagande française (de grand format) en faveur de la "journée du poilu" :
L'Humanité du 5 janvier 1915 commence par un éditorial de Marcel Cachin, l'un des rares à prendre le contrepied de l'opinion dominante : l'Allemagne n'est pas (encore) à genoux. La guerre est loin d'être finie. La suite du journal s'intéresse au sort de différents groupes de population. Celui des prisonniers en Allemagne semble correct, contrairement à ce qui est véhiculé dans d'autres journaux. Un peu plus loin, le quotidien a le courage de publier la lettre d'une internée civile (née de père allemand), qui "en a bavé".
Les Aveyronnais seront particulièrement attentifs à la page 2, où il est question de Paul Ramadier, déjà membre de la SFIO mais pas encore député.
L'article fait allusion à un début de mutinerie qui s'était produit à Rodez, en 1913, très bien raconté par Jean-Michel Cosson dans le numéro de Centre Presse paru lundi 17 février dernier :
A noter aussi, page 2, une rubrique qui hélas ne cesse de s'enrichir depuis le début du XXe siècle, dans les villes : les accidents de la circulation. Ici, ce sont des enfants qui ont été écrasés par divers véhicules.
Le Phare de la Loire, de la Bretagne et de la Vendée (du 20 janvier 1915) m'est apparu beaucoup moins riche. On peut signaler, en première page, un article assez approfondi sur le cinéma en Allemagne. Page 3, il est question des exploits d'un aviateur français, Eugène Gilbert.
L'Ouest-Eclair (du 27 février 1915) est encore moins intéressant. J'y ai quand même trouvé une publicité en faveur de ce qui n'était pas encore un monstre de l'agroalimentaire :
L'une des pépites de ce numéro de Journaux de guerre est sans contexte l'exemplaire du Bonnet rouge, qui se présente comme "le seul grand journal républicain du soir". A la Une, on peut lire le texte d'une chanson (Le Boche et le Turco), à la fois hommage aux troupes coloniales et miroir du paternalisme européen (un peu comme Pan pan l'Arbi, dont il a été question l'été dernier sur France Info) :
Plus loin, le quotidien de gauche évoque un meeting socialiste (en soutien à Karl Liebknecht) interdit à Stuttgart. Enfin, si vous avez envie de ricaner à bon compte, vous lirez le papier prophétiquement titré (en mars 1915, rappelons-le) "La guerre se terminera cette année" !
Après cette avalanche de gauchisme, il serait malséant de terminer sans un passage par la droite de la droite. Voici donc le numéro du 29 avril 1915 de La Libre Parole, le torche-cul d'Edouard Drumont. On ne sera pas étonné d'y trouver une virulente attaque contre les Rothschild autrichiens. Rebelote page 2, en bas, lorsque le "journal" cite les biens allemands et austro-hongrois mis sous séquestre en France : il prend visiblement un malin plaisir à citer ceux de fourreurs sans doute juifs...
De manière générale, on s'amusera à repérer, dans chacun des quotidiens, les passages laissés en blanc, sur lesquels la censure a visiblement porté son attention.
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dimanche, 12 octobre 2014
Pride
Cette "fierté" évoquée par le titre du film est celle des mineurs en lutte et celle des homosexuels qui revendiquent le droit à la différence. Ce long métrage britannique commence et s'achève donc fort logiquement par des séquences se déroulant pendant une Gay Pride (fort différente l'une de l'autre). Au départ, je n'étais pas trop emballé à l'idée d'aller voir ce film. Tentait-on de renouveler le succès de The Full Monty en voguant sur l'air du temps ? Le contexte de la grève des mineurs de 1984-1985 m'a intéressé, d'autant plus que l'histoire qui nous est contée est vraie.
A la manière d'un Ken Loach, le réalisateur Matthew Warchus (un illustre inconnu) campe le monde des mineurs dans sa dureté et sa camaraderie. Il n'en cache pas les côtés déplaisants : l'homophobie affichée (qui s'étend aussi largement à la classe moyenne de province) et la bigoterie de certaines épouses. Autre point commun avec le metteur en scène rebelle : la mise en valeur d'une minorité, ici les Gallois de Swansea.
Source : Le Monde diplomatique
Les acteurs qui campent les mineurs et leur famille sont excellents. Qui distinguer dans le groupe ? Par exemple Paddy Considine, dans le rôle du syndicaliste de bonne volonté, dévoué mais un peu coincé :
Je pourrais citer l'épouse obèse d'un mineur timoré, qui va s'épanouir dans la lutte. J'ai aussi retrouvé avec plaisir Bill Nighy, vu l'an dernier dans Il était temps. J'ai adoré les mamies pleines de fougue, au premier rang desquelles Imelda Staunton, connue depuis sa participation à la saga Harry Potter, à Hotel Woodstock... et que l'on a pu voir cet été dans Maléfique.
Ce petit monde assez traditionnel au fond entre en contact direct avec une bande d'homosexuel-le-s londonienne, pas si déjantée que cela. On a visiblement voulu éviter la caricature, même si l'on rencontre quelques "folles". Le groupe est mené par un jeune homme charismatique, très bien interprété par Ben Schnetzer (qui, dans un autre contexte, aurait pu faire un joli premier communiant) :
A ses côtés évoluent des personnalités très diverses, parmi lesquelles je distingue celle qui fut, au départ, l'unique gouine lesbienne de la bande, Steph :
Les amateurs de séries policières seront peut-être quelque peu décontenancés de retrouver Andrew Scott, l'irritant Moriarty du Sherlock produit par la BBC, en bibliothécaire d'origine galloise, homosexuel et introverti !
L'histoire est celle de deux luttes, mais aussi celle des apprentissages. Il y a le jeune homo qui se découvre et grandit dans le militantisme. Il y a ces épouses de mineurs qui touchent du doigt une vie un peu moins triste que ce à quoi elles sont destinées au fin fond de leur province machiste... et il y a ces mineurs qui se mettent à danser pour séduire les filles ! La musique joue un rôle non négligeable dans l'habillage du film. Elle lui donne une saveur de bonbon sucré, surtout pour ceux qui ont connu cette époque.
Au sein de l'intrigue, c'est toutefois le combat des homosexuels qui prend le dessus. Je ne pense pas en dire trop en écrivant que la lutte des mineurs ne débouche pas sur une victoire politique. Par contre, les "gays" ont gagné en visibilité et en respectabilité. Le pays s'est aussi un peu "décoincé". La dernière séquence vient à point pour réunir tout le monde : l'expérience de la solidarité et de l'amitié a embelli la vie des personnages.
P.S. I
Pour préserver l'authenticité de l'histoire, on a pris soin de ne pas nous proposer des héros au physique irréprochable. Certain-e-s sont très beaux ou très belles, mais la majorité sont des gens ordinaires, qui ne correspondent pas forcément aux individus que l'on voit en couverture des magazines.
P.S. II
Sur la grève des mineurs, on peut s'amuser à lire deux récits d'inspirations opposées, l'un néolibéral, paru dans Le Point, l'autre, issu de la mouvance syndicaliste, publié sur le site de la CGT.
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mercredi, 24 septembre 2014
Journaux de guerre n°6
Le numéro paru jeudi 18 septembre est consacré à la manière dont l'Arrière a perçu le début de la Première guerre mondiale. La double-page de présentation évoque le cas des enfants, les relations familiales en période de conflit, la communication de guerre ainsi que le rôle du cinéma. Trois journaux d'époque sont reproduits.
Le Sud-Ouest est représenté par La Petite Gironde du 1er décembre 1914. Fait rare dans la presse régionale de ces temps troublés, la première des quatre (grandes) pages est illustrée de quatre photographies (en noir et blanc), l'une montrant un village construit par les soldats hexagonaux, une autre un convoi de ravitaillement en eau, la troisième une voiture (hippomobile) régimentaire russe et la quatrième des mortiers pris aux Allemands :
L'éditorial, de ton revanchard, est suivi d'un article sur la guerre marine puis d'une chronique de la vie bordelaise. Une partie de la page 2 est occupée par la recension d'un Livre jaune sur la guerre européenne, qui rejette l'entière responsabilité du conflit sur les épaules allemandes.
Plus loin, un entrefilet intitulé "LE DEVOIR DES ETATS-UNIS" sous-entend que ce pays ne devrait pas tarder à s'engager en faveur de la Triple Entente. Dans le même ordre d'idée, on trouve la mention d'un hommage brésilien aux soldats français.
Un lecteur attentif finit par tomber, quelque part page 3, sur un entrefilet qui fait écho à ce dont il a été question dans l'exemplaire de La Lanterne fourni avec le numéro 4 de Journaux de guerre :
Page 4, il est (brièvement) question de l'Aveyron quand le journal évoque la possibilité d'employer des réfugiés français ou belges là où le manque de main-d'oeuvre se fait sentir, dans plusieurs départements du Massif Central.
Le deuxième quotidien régional nous fait faire un joli bond, puisqu'il s'agit de L'Est Républicain, publié à Nancy (le 20 décembre 1914), donc tout près du Front. La première page est presque uniquement occupée par l'actualité internationale liée à la guerre, les nouvelles étant quasi exclusivement favorables à l'Entente.
L'autre grand sujet auquel sont consacrés plusieurs articles est la vie dans les régions sous occupation allemande. Cela commence par la ville de Metz, annexée en 1871, mais où le patriotisme français reste vivace. En Alsace, c'est à travers l'action d'un instituteur que l'amour de la Mère Patrie est évoqué. Dans le Pays Haut, à Longwy, la population découvre la vie sous la férule allemande.
Dans le département voisin de la Meuse, directement soumis au feu ennemi, ce n'est pas n'importe quel citoyen qui se réjouit des pertes allemandes, mais l'évêque de Verdun, qui n'est autre que Charles Ginisty (originaire de Saint-Saturnin-de-Lenne, dans l'est de l'Aveyron). Ses propos sont extraits d'une lettre qui a été adressée à un abbé ruthénois :
On termine par un quotidien national, La Croix, daté du 27 décembre 1914. Il est bien entendu question du premier Noël de guerre. Curieusement, ce sont des extraits de lettres écrites par des enfants de 6 à 9 ans au Père Noël ou au "petit Jésus" qui occupent la plus grande place. Truffées de fautes (ce qui n'est pas étonnant au vu de l'âge de leurs auteurs, qui débutent leur apprentissage), ces messages regorgent d'altruisme juvénile, à tel point que la présentation de Journaux de guerre met en doute leur authenticité.
Page 3 est retranscrit le discours d'un évêque, construit autour de l'action de la Vierge Marie, réputée avoir déjà sauvé la France à plusieurs reprises. La cinquième partie évoque un "ange, une femme, une libératrice"... Jeanne d'Arc (à l'époque bienheureuse, pas encore sainte). On retrouve la Pucelle page 5, au coeur d'un long article consacré à ce qui se passe en Alsace-Lorraine :
Page 7, c'est la lucidité qui l'emporte, puisque le directeur de l'édition de Limoges y affirme que la guerre sera longue... et victorieuse, les Français s'étant progressivement endurcis au combat.
Les journaux sont complétés par la reproduction d'une affiche de propagande (de 1916) faisant appel au civisme des enfants : "Nous saurons nous en priver".
P.S.
Ma navigation sur la Toile m'a conduit au site (officiel) france.fr, qui dit deux-trois choses de Jeanne d'Arc. Mon regard a plutôt été attiré par ce qui figure dans une colonne, à droite, sous le titre "personnages historiques". Cherchez l'erreur...
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samedi, 13 septembre 2014
Journaux de guerre n°4 et 5
Paru jeudi dernier, le numéro 4 tente de démêler le vrai du faux dans ce que l'on a appelé "les atrocités allemandes", un thème qui a été largement développé à l'époque, avant de devenir plus anecdotique (la Seconde guerre mondiale et ses horreurs étant passées par là)... pour finalement être redécouvert au début du XXIe siècle :
Les rumeurs ont commencé à circuler dès le tout début de la guerre. Les exemplaires de la presse française fournis avec le numéro 2 de Journaux de guerre contenaient déjà des allusions aux crimes de l'armée allemande. Ici, cela commence avec L'Echo d'Alger du 13 août 1914, dans lequel il faut faire le tri :
Sous le titre "Atrocités !!!", le quotidien évoque les incendies de villages (belges et français, une réalité de la guerre), et l'histoire des bonbons empoisonnés (notamment dans le Lot), qui serait une légende. Ici le fantasme meurtrier rejoint la crainte de la présence d'agents allemands à l'intérieur du pays. Dans le cas qui nous concerne, on a même parfois avancé que ce seraient des hommes déguisés en femmes qui auraient distribué les bonbons. La présence d'agents infiltrés n'en est pas moins réelle, mais plutôt dans des lieux stratégiques. Le journal cite plusieurs cas, à Paris, Versailles et Bruxelles.
Parmi les curiosités lisibles dans le quotidien d'Algérie, je signale la mention d'une "prophétie", une prédiction d'un général japonais (qui s'est suicidé en 1912). Dès 1904 (au cours de la guerre russo-japonaise), il aurait annoncé le déclenchement de deux grands conflits au XXe siècle. Le premier prenait sa source dans les antagonismes franco-allemand et anglo-allemand (qu'il voyait s'achever par une défaite de l'Allemagne, après que celle-ci eût violé la neutralité belge). Le second conflit devait naître de la rivalité entre les Etats-Unis et le Japon. Ici s'arrêtait le don de prescience du général Nogi, qui voyait son pays sortir vainqueur de la guerre pour le Pacifique.
Dernière pépite : les encouragements prodigués aux soldats français par un voisin inattendu... le prince de Monaco (Albert Ier, lointain ancêtre d'Albert II). Celui-ci a profité de l'occasion pour rappeler qu'il avait combattu pour la France, en 1870 (dans la Marine).
Le deuxième journal reproduit dans ce numéro de Journaux de guerre est Le Rappel du 19 août 1914 (2 Fructidor an 122, comme il est précisé en haut à gauche de l'exemplaire). Un grand titre barre la première page : "Ils avouent leurs Crimes". Les "atrocités allemandes" sont dénoncées à partir d'un rapport du préfet de Meurthe-et-Moselle et de lettres de soldats allemands, qui ont été interceptées. L'éditorial est consacré au même thème, avec, entre autres, l'évocation de l'affaire de "l'enfant au fusil". La page 2 est occupée par une gigantesque carte du Front.
L'Humanité du 17 septembre 1914 apporte une note discordante. L'éditorial de Jean Longuet (dont un paragraphe semble avoir été victime de la censure) appelle au bon sens... et à ne se fier qu'aux témoignages corroborés. Pour les socialistes français, le véritable ennemi n'est pas le soldat allemand, mais le militarisme prussien. Un peu plus loin dans le journal, on peut trouver un tableau comparatif des forces maritimes des cinq principaux belligérants :
Si la supériorité franco-britannique paraît évidente au niveau des torpilleurs, l'importante flotte allemande de contre-torpilleurs a de quoi inquiéter...
Au niveau des alliés, le positionnement de l'Empire ottoman suscite beaucoup d'interrogations. Au fur et à mesure qu'on lit l'ensemble des journaux, on comprend à demi-mots qu'Istanbul devrait, à terme, rejoindre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. L'Humanité nous apprend que c'est un amiral allemand qui va commander la flotte ottomane.
Enfin, je vous laisse découvrir pour quels motifs le Conseil de Guerre a condamné diverses personnes à la réclusion ou aux travaux forcés.
Le quatrième quotidien français est La Lanterne du 14 octobre 1914. L'éditorial de Félix Hautfort s'en prend assez violemment à l'Appel aux Nations civilisées, signé par 93 intellectuel allemands, qui rejettent les accusations portées contre l'armée de leur pays. Le journal s'intéresse aussi au positionnement du gouvernement roumain, qui louche sur la Transylvanie hongroise. En page 2, on lira avec plaisir le récit de l'affrontement entre deux biplans, un français, l'autre allemand, la victoire revenant bien évidemment... au français !
Mais la perle de ce numéro de Journaux de guerre est l'exemplaire de La Gazette des Ardennes (du 27 décembre 1914), organe de propagande allemand publié en zone occupée pendant presque quatre ans. Pour gagner les faveurs de la population française, la tactique est de dénigrer les Belges et les Anglais...
Complète ce florilège la reproduction d'une affiche (française) dénonçant le bombardement de Reims.
Passons à présent au numéro 5, sorti ce jeudi 11 septembre. Il est principalement consacré à la bataille de la Marne, qui permit à la France de poursuivre la guerre :
Le premier quotidien reproduit est La Guerre Sociale (du 31 août 1914), dirigé par Gustave Hervé, qui, à l'époque, était une sorte de "gauchiste"... mais un gauchiste que la guerre a converti aux vertus du patriotisme et qui, des années plus tard, s'est vautré dans le "social-nationalisme" et le pétainisme... avant de recouvrer ses esprits, peu avant sa mort.
Dans ce numéro, La Guerre Sociale se préoccupe de la défense de Paris, rien ne semblant, jusqu'à présent, arrêter l'avancée allemande. Le journal, comme ses confrères tout aussi mal informés, se console avec de supposés succès russes sur le front Est. Je signale aussi un article de l'aveyronnais Emile Pouget, consacré aux faits divers, en particulier à la baisse de la délinquance à Paris, depuis le début de la guerre.
Il est aussi question du passage d'un avion allemand au-dessus de Paris et du largage de deux bombes, pas très dangereuses. (C'était une action de guerre psychologique.) En page 2 se trouve une carte du Front Ouest, ainsi qu'une tribune du comte Tarnowski, qui développe l'idée que les Polonais sont bien mieux traités dans la Galicie austro-hongroise que dans l'empire russe.
L'Intransigeant du 4 septembre 1914 aborde des thèmes semblables. Il s'attarde beaucoup sur le survol de Paris par l'avion allemand et prodigue des conseils aux civils. Un paragraphe attirera plus particulièrement l'attention des Aveyronnais :
Cette semaine, la presse de province est à l'honneur à travers Le Petit Marseillais du 12 septembre. On y célèbre amplement la victoire de la Marne, sans tomber dans un optimisme excessif. L'un des premiers articles spécule sur la durée de la guerre. L'auteur s'appuie sur des propos tenus à l'étranger pour sous-entendre qu'un conflit de trois ans est tout à fait envisageable.
Il faut attendre la page deux pour trouver un entrefilet faisant allusion aux récentes défaites russes (à Tannenberg et aux lacs Mazures)... et félicitant surtout nos alliés pour leur honnêteté :
Le journal publie aussi des extraits de lettres de soldats (riches d'anecdotes), ainsi qu'un communiqué des réfugiés lorrains, qui remercient la population marseillaise pour son accueil.
On termine par L'Echo de Paris du 14 septembre 1914, dont les colonnes sont elles aussi largement occupées par la récente victoire des troupes françaises. Un article fort intéressant est consacré aux mines sous-marines. Il complète un paragraphe qui évoque le parcours du Lutetia, un croiseur en provenance d'Amérique du Sud, qui a réussi à échapper aux navires de guerre allemands.
Complète ce florilège une reproduction d'une affriche française, ironisant sur l'échec des Allemands sur la Marne.
15:22 Publié dans Histoire, Presse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, médias, presse, journalisme
samedi, 06 septembre 2014
Les statues-menhirs sur Arte
Plusieurs numéros de l'émission documentaire Sur nos traces, diffusée sur la chaîne franco-allemande, sont consacrés à la préhistoire, notamment à la période Néolithique. C'est dans l'épisode qui traite des activités artisanales qu'une statue-menhir apparaît fugitivement :
Sauf erreur de ma part, il s'agit de celle du Mas d'Azaïs, trouvée sur le territoire de la commune de Montlaur, dans le sud du département, à proximité de Saint-Affrique :
Elle se trouve aujourd'hui au Musée d'Archéologie Nationale, à Saint-Germain-en-Laye. J'en ai trouvé une photographie prise par un touriste britannique visiblement passionné par les mégalithes :
Dans ce volet de la série, certains apprendront peut-être avec surprise que l'on estime que c'étaient (majoritairement) les femmes qui pratiquaient la poterie et le tissage. La reconstitution d'un métier à tisser est assez impressionnante, tout comme l'expédition dans une mine de silex. La journaliste Nadia Cleitman est dynamique et l'on sent sa volonté de vulgariser les connaissances scientifiques et historiques.
C'est dans l'épisode consacré à la spiritualité des hommes du Néolithique que les statues-menhirs sont à l'honneur. On nous y parle d'abord des pratiques d'inhumation (avec l'apparition du cimetière), avant que la présentatrice ne nous mène à Lacaune, dans le Tarn, à côté de Pierre Plantée, la plus grande des statues-menhirs connues :
Laissée sur site, elle paraît avoir perdu ses gravures (mais il me semble qu'on la voit de dos). J'en ai trouvé une photographie plus ancienne sur le blog d'un cyclotouriste :
Et voici la schématisation que propose Michel Maillé, dans le superbe ouvrage Hommes et femmes de pierre, publié en 2010 :
On ne s'étonnera pas de voir la journaliste, un peu plus tard dans le documentaire, venir faire un tour dans le plus intéressant des musées ruthénois :
Elle y rencontre Aurélien Pierre, qui, très pédagogue, explique le détail des gravures, aidé par une caméra qui filme intelligemment, avec notamment des gros plans très réussis. Evidemment, la célèbre Dame de Saint-Sernin finit par passer à l'écran. La réalisatrice nous en propose un peu plus loin une vision quasi fantasmagorique :
La troisième partie de l'émission nous fait découvrir un autre monument mégalithique (breton celui-là), le Cairn de Gavrinis. Si, de l'extérieur, il a déjà l'air impressionnant, la visite (commentée) de l'intérieur le rend encore plus intéressant, avec ces étranges dessins qui ne sont pas sans rappeler certaines oeuvres d'art aborigènes :
Il reste quelques jours pour (re)voir ces émissions (les deux dont j'ai parlé mais aussi les autres épisodes) en "télé de rattrapage". En consultant le programme d'Arte, il est aussi possible de trouver des rediffusions.
P.S.
En poussant un peu, on pourrait affirmer qu'il est (indirectement) question des statues-menhirs dans un troisième film de la série, celui qui est intitulé L'homme de pouvoir.
On y découvre un étrange ustensile, à l'usage inconnu, et qualifié de "Tour Eiffel", faute de mieux. Disposé à côté de la dépouille d'un chef du Néolithique, il n'est pas sans rappeler le fameux "objet" visible sur certaines statues-menhirs masculines, comme celle de Pousthomy :
11:34 Publié dans Aveyron, mon amour, Histoire, Télévision | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, médias, spiritualité
vendredi, 29 août 2014
"Impression d'Afrique" au Musée Fenaille
Le plus intéressant des musées ruthénois propose, jusqu'au 26 octobre 2014, une exposition temporaire construite à partir des réserves de l'établissement, mais aussi de collections particulières et de prêts du Musée du Quai Branly et du Musée Africain de Lyon.
La première salle est celle des objets, utilitaires et/ou d'apparat. On y trouve des sabres, haches et herminettes, mais aussi une natte, un siège ashanti... ainsi qu'un étrange et superbe ustensile :
Je vous donne un indice : il a été fabriqué avec du bois, du fer et des clous de laiton.
D'autres éléments exposés sont d'origine européenne. Il y a ces lettres d'Aveyronnais expatriés (qui vont envoyer ou rapporter des objets) et ces assiettes en faïence qui racontent, sur un ton humoristique (et condescendant vis-à-vis des populations africaines), la conquête du royaume d'Abomey. (Aujourd'hui encore, la vision de cet empire varie. Les locaux le regardent comme certains Français regardent l'ère de Louis XIV. En Europe, le point de vue est moins élogieux, comme dans cet article de L'Express.)
Dans la deuxième salle a été aménagé un "dispositif artistique" : de grandes photographies du crâne d'un chef congolais, qui avait été ramené en Belgique, font face à un écran où est diffusé un film essentiellement composé d'images de l'océan... Vers la fin de ce film ont été insérées d'autres types de scène (avec une poupée et sur une danse appelée "menuet congolais").
Je n'ai pas été emballé par cette création. A mon avis, une approche scientifique ou historique aurait été plus pertinente. On aurait ainsi pu évoquer l'anthropologie raciste qui sévissait à cette époque, ou la collecte des crânes. (En 1910, un lieutenant de l'Infanterie coloniale était tout fier d'en rapporter à la Société d'anthropologie de Paris.) On aurait pu aussi poser la question de la conservation (en musée) de restes humains. La récente restitution du crâne d'un insurgé kanak nous rappelle que c'est encore un sujet brûlant.
La troisième salle d'exposition est peut-être la plus richement dotée. On y découvre le parcours d'Alexandre Visseq, jeune missionnaire catholique originaire de Saint-Félix-de-Lunel (commune située entre Decazeville et Espalion, à proximité de Conques). Il est envoyé fin XIXe siècle au Congo, vaste territoire mal défini (entre les actuels Angola et République Démocratique du Congo), où il a finalement passé une dizaine d'années.
Si son objectif est l'évangélisation des populations africaines (tâche qui s'est révélée ardue), le missionnaire s'intéresse aussi aux coutumes locales. Il a notamment collecté des statuettes, qui ont été offertes à la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron. Celle qui suit avait déjà été exposée à Rodez, mais je la trouve toujours aussi belle :
On lui doit aussi un dictionnaire Fiot-Français, dont un exemplaire est présenté, sous vitrine. Les curieux se pencheront aussi sur la carte qui nous permet de préciser le parcours de Visseq en Afrique. La marge gauche est couverte de remarques (qui ne sont pas de Visseq) concernant Tombouctou. Il y est question de l'histoire de la cité (et de sa soumission passée au Maroc), de sa localisation, de sa population (estimée à la louche entre 10 000 et 50 000 habitants). L'auteur juge que la ville a perdu de sa superbe. Il y remarque toutefois la pratique de la liberté de culte (les juifs, autrefois interdits de séjour, y vivent sans problème).
Le reste de la salle contient des productions africaines, principalement des masques et des statuettes. Certaines de ces oeuvres témoignent de l'interpénétration des influences. J'ai notamment été étonné par le masque d'un démon rieur, surmonté d'un Christ au pénis particulièrement visible...
On peut faire encore d'autres jolies découvertes en déambulant dans cette intéressante exposition, peut-être un peu moins passionnante que Curiosités et merveilles, présentée en 2012.
14:24 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, art, histoire, culture, voyage