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vendredi, 23 novembre 2018

Overlord

   Aujourd'hui, le cinéma CGR de Rodez a participé au Black Friday : la place ne coûtait que cinq euros. J'en ai profité pour aller voir Overlord, dont l'action se déroule durant les trois jours qui précèdent le Débarquement de Normandie. Des commandos américains sont parachutés en France, avec pour objectif de neutraliser une station de radio allemande. Ils vont y découvrir un peu plus que ce qu'ils étaient venus chercher...

   Le début est très bon. On se retrouve dans un avion chargé de parachutistes, tentant d'échapper à la DCA allemande. C'est spectaculaire, réaliste. Signalons que l'on doit les (excellents) effets spéciaux de ce long-métrage à Lucasfilm.

   Hélas, très vite, les incohérences et les invraisemblances se bousculent. Dès le début, le scénario ne tient pas la route : vu la ségrégation qui régnait dans l'armée d'Oncle Sam à l'époque, il est impossible qu'une troupe multiraciale ait pu être constituée, commandée de surcroît par un sergent afro-américain !

   Cela continue lorsqu'on suit les rescapés du parachutage. Alors qu'ils viennent à peine d'échapper aux troupes allemandes, encore présentes dans le bois, voilà-t-y pas que nos héros se mettent à gueuler en pleine nuit. En dépit de leurs maladresses, ils réussissent à échapper à toutes les patrouilles, y compris dans le village. De la même manière, quand ils se retrouvent dans le grenier de la demeure d'une ravissante Normande (Mathilde Ollivier, qui incarne un personnage doté d'une belle paire d'ovaires), ils font un boucan du diable, sans attirer l'attention du moindre soldat ennemi.

   Ils faut dire que les (très) méchants nazis (qui semblent cumuler tous les défauts du monde) sont occupés à une tâche ultra-secrète, dans le sous-sol de l'église où est installé le poste de communication que les gentils Américains ont pour mission de détruire.

   Là, cela devient gore et, dans un premier temps, c'est réussi. C'est rythmé, filmé très correctement. Hélas, les invraisemblances reprennent vite le dessus. J'ai beau apprécier les éviscérations, les démembrements, les os brisés, le sang qui gicle et les résurrection miraculeuses, là, c'est vraiment trop... jusqu'au 800 mètres piqué par le héros en plein sous-sol, alors qu'un bâtiment s'effondre, les explosions se déclenchant juste après son passage...

   Comme il est techniquement bien fichu, le film, pris au second degré, n'est pas désagréable à regarder. Sans plus.

   P.S.

   Entre deux scènes de baston, les scénaristes ont glissé quelques réflexions. De nombreux plans contiennent des sous-entendus à propos des idées nazies (sur les "races supérieures"). Même le génie démocratique yankee passe aussi (un peu) à la moulinette : un des officiers américains se livre sur son rival allemand à une séance de torture dont la mise en scène évoque immanquablement les dérives constatées lors des opérations en Irak et Afghanistan.

mardi, 13 novembre 2018

Kursk

   Le K-141 Koursk (un sous-marin nucléaire) était l'un des fleurons de la marine russe. Il portait un nom prestigieux, celui d'une des batailles décisives de la Seconde guerre mondiale. En 2000, au cours d'exercices militaires en mer de Barents (en plein nord, pas très loin de la Scandinavie...), il a été victime de plusieurs explosions. Ce film (une coproduction internationale non-russe) ambitionne de faire comprendre ce qu'il s'est réellement passé ces jours-là, tout en rendant hommage à des hommes et des femmes ordinaires, les sous-mariniers et les membres de leur famille.

   Le sujet est alléchant. Cela commence de manière ultra-classique, par une séquence montrant l'intense camaraderie qui régnait entre les membres de l'équipage. Dès le début, Mathias Schoenaerts est bluffant... alors que j'ai trouvé Léa Seydoux moyennement convaincante en épouse de marin russe.

   Cela s'améliore dès qu'on est au niveau du sous-marin. Le cadre de l'image change, prenant la forme du cinémascope. Le dernier départ est d'une incontestable beauté formelle. La suite, dans le huis-clos de vos salles de bain de la boîte à sardine nucléaire immergée, est bien maîtrisée. Thomas Vinterberg (que, depuis le brillant Festen, on croit surtout capable de mettre en scène des histoires familiales) réussit sa montée de tension, aussi bien à l'intérieur du sous-marin qu'à l'extérieur, quand, dans la ville côtière, les proches comprennent qu'il se passe un truc anormal... et que les officiels russes (les gradés de l'armée comme les bureaucrates poutiniens) les... mènent en bateau.

   Voilà pourquoi ce film ne pouvait pas être une production russe. Oh, il ne faut pas accabler l'autocrate du Kremlin, qui n'était pas depuis très longtemps au pouvoir. Mais cette histoire est quand même révélatrice de l'opacité, du nationalisme ombrageux et du mépris de la vie humaine des dirigeants russes. Le film a aussi le mérite de rappeler qu'après la fin de la Guerre froide, les crédits militaires avaient beaucoup baissé.

   Toutefois, la dénonciation est un peu hollywoodienne. J'ai senti dès le début qu'un truc se préparait autour de la montre. De plus, à plusieurs reprises, on nous montre bien le gamin au regard qui s'assombrit, signe qu'il va bien finir par exprimer son désaccord, d'une manière ou d'une autre. Malgré tout, je trouve ce film de bonne facture. C'est un divertissement très correct, pour amateurs du genre.

dimanche, 11 novembre 2018

Dégradation suspecte à Rodez

   Hier, le site de Centre Presse s'est fait l'écho d'une dégradation particulièrement révoltante, celle du monument aux morts de Rodez. L'article est paru dans la version papier de ce dimanche, mais les dégâts remontent sans doute à plusieurs jours. On ne s'en est aperçu que tout récemment, peut-être parce que, du trottoir, en jetant un simple coup d'oeil, un-e passant-e ne remarque rien de particulier :

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    Pour se rendre compte de la dégradation, il faut s'approcher beaucoup. Une photographie nocturne sera plus parlante :

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   Cette prise de vue pourrait nous faire croire que la plaque est complètement fichue. Fort heureusement, je crois qu'il n'en est rien, en raison de sa conception : il y a deux plaques, seule celle du dessous étant gravée. On peut d'ailleurs toujours distinguer le nom des poilus ruthénois morts pour la France :

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   Une inquiétude demeure : tout cela va-t-il rester en place lorsque l'on ôtera la plaque dégradée ? C'est d'autant plus problématique que la cause des dégâts est pour l'instant inconnue. J'ai passé la main sur les brisures et je n'ai senti aucune aspérité. Je n'ai pas non plus trouvé de point d'impact, qui serait la preuve qu'un objet (projeté ou pas) a percuté la plaque. Il me semble que les brisures ont un sens, qu'elles partent des jointures du bas vers le haut... mais ce n'est peut-être qu'une impression.

mercredi, 31 octobre 2018

Un Peuple et son roi

   Se déroulant entre le 14 juillet 1789 (prise de la Bastille) et le 21 janvier 1793 (exécution de Louis XVI), le dernier film de Pierre Schoeller (auteur du brillant L'Exercice de l'Etat) propose une lecture de la Révolution française, à travers quelques grands moments et, en parallèle, les aventures de "Français d'en-bas".

   Des personnages "ordinaires" se détachent l'ouvrière Françoise (Adèle Haenel, très bien) et le verrier L'Oncle (Olivier Gourmet, dont je ne me lasserai pas de dire qu'il est un grand acteur). Ce sont les personnalités les plus travaillées et les plus convaincantes, les autres me semblant un peu trop taillées à la hache ou agaçantes (comme Basile, interprété par Gaspard Ulliel, qui en fait un peu trop).

   C'est que, malgré les deux heures, il était difficile de raconter une histoire complète tout en suivant le processus révolutionnaire. C'est l'erreur commise par le cinéaste (comme d'autres avant lui). Il aurait dû davantage se concentrer sur un ou deux épisodes (par exemple la prise de la Bastille et le vote de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen). Mais cela nous aurait privé de la vision d'ensemble, que Schoeller tenait visiblement à donner : le peuple s'est fait voler sa révolte par la bourgeoisie, une analyse un peu manichéenne, même si elle ne manque pas totalement de fondement. L'intrigue est aussi trop parisienne à mon goût, la capitale ne comptant que 2 à 3 % de la population du pays à cette date.

   Au niveau de la mise en scène, il n'y a pas à dire : c'est du bon boulot, avec quelques scènes particulièrement bien troussées, comme la destruction de la Bastille (malgré la symbolique lourde de la lumière qui pénètre dans les rues du quartier populaire à la suite de son effondrement), le défilé nocturne des révolutionnaires dans les rues de Paris, éclairées par les torches, la séquence du retour de Louis XVI (après sa fuite jusqu'à Varennes) ou encore la mort du roi, d'une indéniable force, en dépit du mauvais choix d'acteur. Non que Laurent Lafitte joue mal, mais le charisme qu'on lui prête tranche avec ce que l'on sait du roi défunt.

   On a droit aussi à de bonnes scènes théâtrales, au sein de l'Assemblée nationale (que ce soit sous le nom d'Etats généraux, d'Assemblée législative et de Convention). Même si certains acteurs prennent un peu trop la pose, j'ai aimé le moment du vote (lors du procès de Louis XVI), lorsque chaque député vient à la tribune expliquer son choix, avec ses mots... et son accent. (On ne voit pas d'élu aveyronnais.)

   Au final, le film est un peu frustrant, non en raison de sa faible qualité (c'est un bel ouvrage), mais par son côté papillonnant, sautant d'un événement à l'autre. Une série télévisée aurait été plus adaptée.

dimanche, 28 octobre 2018

Cold War

   Cette "guerre froide" est d'abord le contexte dans lequel se déroule l'intrigue, dans la Pologne (puis -un peu- la France) des années 1949-1959, lorsque l'Europe de l'Est a été stalinisée sous la tendre férule des partis communistes locaux, appuyés par la délicate présence de l'Armée rouge. Au sens figuré, le titre évoque les amours tumultueuses d'une chanteuse et d'un compositeur-interprète.

   L'auteur, Pawel Pawlikowski, s'est fait remarquer il y a quatre ans par le fantastique Ida (qui a remporté l'Oscar du film en langue étrangère l'année suivante). On en retrouve les qualités formelles, à travers entre autres l'usage du noir et blanc, vraiment superbe, encore plus beau que dans son précédent film. Les plans urbains m'ont particulièrement marqué, notamment ceux de Paris. On sent aussi que le réalisateur sait où placer sa caméra et comment la bouger, jouant sur la complémentarité de l'image et du son.

   L'histoire commence, de manière inattendue, par la description du travail d'une équipe d'acteurs culturels chargée de répertorier les traditions populaires de la Pologne, à travers ses chansons. Au passage, on découvre l'existence d'une minorité, les Lemkos, qui parle une langue ruthène. (A ne pas confondre avec les Rutènes qui se sont installés dans l'actuel Aveyron.)

   La partie du film qui m'a enchanté est celle traitant de la naissance de l'amour entre le pianiste Wiktor et la chanteuse Zula (interprétée par Joanna Kulig). Celle-ci est fichtrement belle... encore plus lorsqu'elle n'est pas (ou très peu) maquillée. Je vais avoir l'air d'insister lourdement sur ce point, mais sa beauté est magnifiée par le noir et blanc (et le regard du réalisateur...).

   Zula a un joli brun de voix, mais elle n'aurait sans doute pas dû intégrer le groupe folklorique en cours de formation. Son astuce et son caractère ont joué pour elle... et mis le pianiste dans son lit.

   Evidemment, la demoiselle suscite les convoitises. S'ajoute à cela la tutelle plus ou moins pesante du pouvoir communiste. Les artistes aspirent à plus de liberté, en tout cas pas à servir de simple porte-voix de la propagande gouvernementale.

   C'est à peu près à partir de ce moment que cela se gâte, au niveau de l'intrigue comme de mon ressenti. Le côté tragique de l'histoire prend le dessus. Le réalisateur semble avoir échangé ses chaussons de danse contre des sabots boueux. Je ne peux pas trop en dire sous peine de déflorer l'intrigue mais, en gros, à chaque fois qu'un carrefour se présente au niveau de l'histoire, on peut être sûr que l'un des deux amoureux va faire le mauvais choix. Dans cette optique, la fin, bien que légèrement elliptique, est d'une logique implacable.

   En dépit de ces (grosses) réserves, comme le film ne dure qu'1h25, on peut tenter l'expérience, tant la forme est réussie.

vendredi, 26 octobre 2018

Gastronomie aveyronnaise (et française)

   Comme j'ai naguère "liké" la page Facebook de la Bibliothèque Nationale de France, je reçois régulièrement des notifications, parfois en liaison avec l'actualité. La plupart du temps, ce sont des documents anciens qui bénéficient d'une mise en lumière. C'était le cas cette semaine, avec une carte gastronomique de la France métropolitaine, datant de 1929. En voici un extrait, centré sur l'Aveyron :

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   Tout d'abord, en regardant la carte d'ensemble, on note la division du territoire en provinces, les régions n'existant pas à l'époque et la gastronomie n'épousant pas rigoureusement les frontières départementales. Toutefois, on s'étonnera que l'auteur ait classé l'Aveyron en Guyenne... dont la ville de Bordeaux (sa capitale historique !) est exclue, étant associée à la Gascogne, que l'auteur a voulue distincte de la précédente.

   Concernant l'Aveyron, sans surprise, on retrouve l'aligot (pas forcément bien placé d'ailleurs), la fouace ("fougasse"), le roquefort (avec là aussi un problème de localisation, pour le village). Capdenac est déjà célèbre pour ses "conserveries alimentaires" (développées par Raynal et Roquelaure depuis la fin du XIXe siècle).

   En revanche, certains lecteurs seront sans doute étonnés de ne trouver les "tripoux" (ou "trippoux" [sic]) et la truffade (le "truffado") qu'en Auvergne.

lundi, 22 octobre 2018

First Man

   Je ne suis pas un inconditionnel de Damien Chazelle : j'ai été surpris par l'engouement suscité par son précédent film, La la land. On en retrouve d'ailleurs le principal interprète ici : Ryan Gosling est chargé d'incarner une idole américaine, l'astronaute Neil Armstrong. Autant le dire tout de suite : il le fait très bien.

   Dès le début, on est "cueilli" par une séquence d'action pleine d'intensité : un vol-test du jeune pilote Armstrong, dans un avion-fusée. La mise en scène et les décors (le chef décorateur a travaillé sur Interstellar) réussissent à nous faire percevoir la dangerosité de cette mission... et la fascination ressentie lors de la courte expérience en apesanteur, au-dessus des nuages.

   La séquence suivante constitue une rupture de ton, elle aussi très marquante et révélatrice de la conduite de l'intrigue. Il s'agit d'une séquence familiale. Le film alterne ces moments intimes de la famille Armstrong avec les scènes plus "technologiques" ou héroïques. Ici se noue le drame qui a peut-être irrémédiablement changé la personnalité du futur astronaute, qui semble y avoir perdu son insouciance. J'en profite pour signaler la qualité de la composition de Claire Foy, à qui a échu la tâche difficile d'interpréter l'épouse du héros, une femme au foyer des années 1960, qui avait abandonné ses études universitaires pour se consacrer à son mari et à ses enfants.

   Le contexte de Guerre froide est bien rendu. Mais la plus grande réussite est de nous faire toucher du doigt les difficultés rencontrées au cours des programmes Gemini et Apollo (avec quelques drames à la clé, comme en ont connu les Soviétiques à peu près à la même époque). J'ai été frappé par la minutie avec laquelle l'environnement technologique a été reconstitué.

   On peut néanmoins s'émanciper de tout ce contexte pour profiter d'un très bon film à suspens, héroïsant le mutique Neil Armstrong, que Ryan Gosling parvient à rendre émouvant.

   PS

   Les plans "spatiaux" sont splendides !

dimanche, 14 octobre 2018

Dilili à Paris

   Deux ans après Ivan Tsarevitch et la princesse changeante, Michel Ocelot revient avec une fiction ancrée dans la Belle époque française, en plein Paris, au début du XXe siècle. C'est peu de dire que les vues de la capitale, sublimée par les couleurs et les effets de l'animation, contribuent fortement à l'intérêt du film.

   Dès le début, on nous fait comprendre qu'il ne s'agit pas que d'un divertissement. Dans un premier temps, l'oeil des spectateurs est volontairement trompé, avant que l'on ne découvre le zoo humain. (La scène s'inspire de l'Exposition coloniale de 1931.) Régulièrement, des éléments sont instillés pour détruire les préjugés : la gamine à la peau foncée parle très bien le français... et non, elle n'est pas noire, mais métis, victime du racisme aussi bien en Nouvelle-Calédonie qu'en France métropolitaine.

   Mais l'argument principal de l'intrigue est la défense de la cause des femmes, de 7 à 77 ans ai-je envie de dire. Cela commence par les enfants et Dilili en particulier, cette adorable Choupinette habillée comme une princesse et s'exprimant dans un français impeccable. Compte tenu de son vécu et de l'éducation qu'elle a reçue, elle est mûre pour son âge... et très courageuse.

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   Dans son périple pour retrouver les enfants enlevées par la mystérieuse bande des "Mâles Maîtres", Dilili va recevoir l'aide d'adultes, comme l'actrice Sarah Bernhardt, la chercheuse Marie Curie, la Goulue du Moulin rouge... et surtout la cantatrice (d'origine aveyronnaise) Emma Calvé, qui devient la protectrice attitrée de l'héroïne. (Natalie Dessay prête sa formidable voix à ce personnage rayonnant.)

   Pour la petite histoire, j'ajoute que l'Aveyron est aussi présent (indirectement) à travers les personnages de Toulouse-Lautrec (qui a passé une partie de sa jeunesse au château du Bosc) et d'Orel, le nouvel ami de Dilili. Celui-ci est l'homophone d'Aurel, le sculpteur parisien dont les célèbres chiens ornent la façade du musée Denys-Puech, à Rodez, dont la construction fut en partie financée par... Emma Calvé. Enfin, quand celle-ci évoque (dans le film) son château du Languedoc, elle fait sans doute allusion à celui de Cabrières, situé sur la commune de Compeyre, à côté de Millau.

   Grâce à la diligence d'Orel (qui roule en triporteur), Dilili est entraînée dans un tourbillon de rencontres, de l'écrivain Marcel Proust au clown Chocolat, en passant par des scientifiques (Louis Pasteur et Gustave Eiffel), des peintres (Monet, Renoir, Degas, Picasso, Matisse...), des sculpteurs (Auguste Rodin et Camille Claudel), des musiciens (Reynaldo Hahn et Claude Debussy) et des politiques (le prince de Galles et, tout à la fin, sans doute Georges Clemenceau). Cela constitue un catalogue que certains peuvent trouver lassant, mais c'est inséré avec une certaine habileté. Je reconnais néanmoins que l'on tombe parfois dans l'effet "carte postale". Je regrette aussi un certain schématisme esthétique : la tendance à faire des gentils des personnages séduisants, réservant la laideur physique aux méchants.

   Mais le principal défaut du film réside à mon avis dans ses dialogues, trop littéraires, pas assez marqués par l'oralité. Cela n'a cependant pas déconcerté les bambins de la salle, qui ont été emballés par le film, les petits Rouergats blancs de peau s'identifiant sans peine à la gamine métisse (ou peut-être à son grand copain débrouillard). C'est d'autant plus agréable que, sur le fond, le film dénonce les mauvais traitements faits aux femmes, au début du XXe siècle... mais aussi au début du XXIe. Au premier degré, l'intrigue vilipende les Blancs misogynes. Au second degré, le sort réservé aux "quatre-pattes", voilées de la tête aux pieds, ne peut pas ne pas faire penser aux victimes de l'islamo-fascisme.

   Pour toutes ces raisons, et en dépit des réserves émises, c'est un film à voir, par les petits et les grands.

   PS

   Le site dédié est sympa.

vendredi, 05 octobre 2018

Un président économe

   Le soixantième anniversaire de la naissance de la Ve République a donné lieu à des articles plus ou moins intéressants. L'un d'eux, publié dans Le Monde, a retenu mon attention : il est consacré à Jérôme Solal-Céligny, l'un des rédacteurs méconnus de notre Constitution, qui a travaillé, sous les ordres de Michel Debré, à mettre en forme les idées politiques de Charles de Gaulle. (Au passage, ceux qui l'ignoreraient apprendront que le futur président de la République voulait un texte limpide et que celui qu'il nous a légué, pour alambiqué qu'il puisse paraître parfois, est une version simplifiée de ce qui lui avait été soumis...)

   A partir de cet article, on peut rebondir sur un autre papier, publié au cours de cet été, dans le cadre d'une série consacrée aux présidents de la République, après leur départ de l'Elysée. Concernant de Gaulle, la journaliste Béatrice Gurrey rappelle son souci d'économiser les deniers publics. Après l'échec du référendum de 1969, le grand Charles a quitté la scène politique aussi brusquement que discrètement, renvoyant la protection rapprochée dont il bénéficiait et refusant de toucher aussi bien sa retraite de président que l'indemnité qui lui était due en tant que nouveau membre du Conseil constitutionnel. De surcroît, il a maintenu jusqu'au bout son refus d'obsèques nationales, souhaitant être enterré à Colombey-les-Deux-Eglises aux côtés de sa fille Anne, née trisomique et décédée à l'âge de 20 ans, en 1948.

   Cette (relative) austérité personnelle s'était vue dès le début de la Ve République, lorsque le tout nouveau président français avait lancé le rapprochement franco-allemand en recevant chez lui, à Colombey, le chancelier de la RFA, Konrad Adenauer. Certes, il y avait un peu de mise en scène dans cette rencontre supposée privée entre les deux dirigeants. Il n'est pas moins vrai que de Gaulle avait, à cette occasion, évité de recourir aux "Ors de la République" pour servir sa politique.

   Les plus âgés d'entre nous connaissent cette anecdote tant répétée autrefois, selon laquelle les époux de Gaulle payaient leurs factures de gaz et d'électricité de l'Elysée, veillant à ce que les lumières soient éteintes quand une pièce se vidait. C'était un autre temps...

   Il n'est peut-être pas si éloigné que cela. L'actuel président de la République, Emmanuel Macron, semble vouloir placer ses pas dans ceux de "Mongénéral", comme le révèlent plusieurs détails récemment rendus publics. Hier, il s'est rendu à Colombey-les-Deux-Eglises pour déposer une gerbe sur la tombe de son illustre prédécesseur, sans oublier de lâcher, au passage, une formule lapidaire dans le genre de celles qu'il affectionne. Dans la foulée, on a appris le retour de la croix de Lorraine sur le blason présidentiel.

   Ce ne fut pas une surprise pour les clients de la Boutique de l'Elysée (ni pour ceux du site parodique d'ailleurs), puisque sur les produits que l'on y commande figure le logo orné de ladite croix, comme ici :

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   Sans être un héritier officiel du général, Emmanuel Macron a perçu dans son propre parcours un écho à la geste gaullienne, en particulier quand, au début de la IVe République, l'ancien chef de la Résistance s'était lancé dans l'arène politique en fondant un mouvement, le RPF, qui avait ratissé large, à droite et à gauche, tout comme l'avait fait le nouveau parti gaulliste quand son fondateur était revenu aux affaires, en 1958. A l'époque, les commentateurs politiques doutaient de la survie du mouvement après le départ de de Gaulle, tant son existence semblait liée à la vie du grand homme...

   Cerise sur le gâteau, celui qui est régulièrement caricaturé comme "le président des riches" semble aussi s'inspirer des vertus domestiques de son (lointain) prédécesseur, puisque le couple Macron règlerait de sa poche la plupart de ses dépenses quotidiennes.

Chris the Swiss

   Ce documentaire prend racine dans les conflits yougoslaves de la fin du XXe siècle (autour de 1991-1995).  La réalisatrice Anja Kofmel a cherché à éclaircir les circonstances dans lesquelles son cousin (qu'elle adulait à l'époque) a été assassiné, dans l'est de la Croatie, du côté d'Osijek. Auparavant, il était passé par Karlovac, à l'autre bout du pays :

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   Pour ressusciter ce cousin aimé, elle recourt au dessin. A plusieurs reprises dans le film, on la voit "croquer" un élément du paysage ou un bâtiment. A l'aide de la palette graphique, elle met en scène des personnages décédés, ou auxquels elle n'a pas pu parler pour d'autres raisons.

   Il faut dire que le sujet sur lequel elle enquête gêne plusieurs de ses interlocuteurs. (Dans les anecdotes d'Allociné, on peut lire que des pressions ont été exercées pour empêcher le film d'aboutir.) Certains lui tiennent des propos convenus, très généraux, sur la dureté de la guerre, les risques encourus etc.

   La réalisatrice nous fait découvrir le jeune Christian Wurtenberg, passionné de rock, en quête de sensations fortes... au point de se rendre en Namibie et en Afrique du Sud (à l'époque de l'apartheid), où il a servi dans des forces militaires.

   Voilà qui contrebalance bigrement le portrait du journaliste sensible à la détresse humaine, que fut incontestablement ce Chris. Mais il semble avoir eu de très mauvaises fréquentations, qui l'ont conduit à intégrer une milice croate, composée de volontaires étrangers très très marqués politiquement...

   Ici les scènes animées, en noir et blanc, osent montrer ce que les personnages réels évitent de déclarer face à la caméra. Chris semble avoir été très naïf, même s'il subsiste un doute quant aux raisons de sa proximité régulière avec des types d'extrême-droite.

   Cela donne un film sombre, très intéressant pour qui cherche à connaître l'histoire des Balkans. (Au début, l'auteure se lance dans une courte introduction historique sur les tensions dans l'ex-Yougoslavie. Elle aurait quand même pu dire que Tito était croate !) Contrairement à d'autres, j'ai apprécié les passages en images animées, parfois très poétiques.

samedi, 15 septembre 2018

La préfecture de l'Aveyron sous le Consulat et l'Empire

   C'est le titre de la conférence donnée vendredi soir (au Centre culturel départemental, à Rodez) par Renaud Carrier, un universitaire spécialiste d'histoire du droit et des institutions. Bien qu'enseignant dans les Pyrénées-Atlantiques, il a des racines aveyronnaises, qui expliquent sans doute le choix du sujet de sa thèse, comme il l'a expliqué en introduction.

   Très vite, le conférencier a annoncé qu'il parlerait très peu des bâtiments. Deux raisons expliquent ce choix : la première est (semble-t-il) le manque de documentation sur l'Hôtel de préfecture. La seconde est que, sous Napoléon Bonaparte, les premiers préfets se sont installés... dans les locaux de l'évêché de Rodez (à côté de la cathédrale). Sous la Révolution (à partir de 1791), Rodez a eu deux évêques, un jureur (dit constitutionnel), l'autre réfractaire (suivi par la majorité des prêtres, à ce qu'il me semble). En 1801, la situation devait se décanter après la signature du Concordat entre le Premier consul et le pape Pie VII. L'ancien évêque réfractaire (le plus ancien des deux en poste) devait récupérer son siège... mais il a rejeté le Concordat. Le diocèse de Rodez a donc été rattaché à celui de Cahors, ce qui a libéré les locaux de l'évêché, déjà en très mauvais état à l'époque. (La plupart des Aveyronnais savent que l'évêque de Rodez a récemment déménagé avenue Victor-Hugo, dans l'ancien Carmel, tandis que le projet de transformation de l'ancien évêché en hôtel de luxe a été abandonné.)

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   Trois préfets ont officié en Aveyron sous Napoléon Bonaparte : François Godefroy de Sainthorent (parfois orthographié Saincthorent ou Saint-Horent) de 1800 à 1808, Michel-Augustin de Goyon (et non pas de Gozon, comme il est écrit sur le site de la préfecture) de 1808 à 1810 et Louis-Philippe Girod de Vienney, baron de Trémont, de 1810 à 1814.

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   D'après Renaud Carrier, la nomination du premier préfet a fait l'objet d'un véritable casting avant l'heure. Le ministre de l'Intérieur Lucien Bonaparte (frère de) aurait construit une grille d'analyse de la candidature Sainthorent qui, au départ, n'apparaissait qu'au bas d'une liste de 20 personnes. Cette fameuse grille permettait de comparer l'opinion d'une série de notables sur les candidats. Dans le cas qui nous occupe, plusieurs parlementaires aveyronnais (dont le député Jean-François Vezin, qui siégea au Tribunat et au Corps législatif) auraient soutenu la nomination de Sainthorent, tout comme des "huiles" parisiennes (Lebrun, Cambacérès, Clarke, Talleyrand, peut-être Chaptal). Il n'est pas exclu qu'un réseau franc-maçon ait milité en sa faveur. On peut aussi avancer l'argument du passé commun, Lucien Bonaparte et Sainthorent ayant été proches des Jacobins. Quant à Cambacérès (originaire de Montpellier) et Chaptal (né en Lozère, il est passé par Rodez... et a succédé à Bonaparte au ministère de l'Intérieur), ils avaient des raisons de s'intéresser à l'administration de l'Aveyron.

   Mais revenons à Sainthorent. Il a 34 ans, est issu d'une famille bourgeoise de la Creuse. De formation juridique, il a été journaliste et avocat. Sous le Directoire, il a été député au Conseil des Cinq-Cents (équivalent de notre Assemblée nationale). Il s'est taillé une réputation de spécialiste des questions fiscales, des biens nationaux, des routes... et il est réputé anticlérical.

   Une fois nommé, habilement, Sainthorent va recruter un prêtre local pour le conseiller. Il s'est aussi opposé au rattachement du diocèse de Rodez à celui de Cahors et semble avoir toujours manifesté du respect pour les conseils de fabrique. Travailleur acharné, il est économe des deniers publics, ne faisant effectuer que les travaux strictement nécessaires dans les locaux qu'il occupe, se souciant peu de son logement personnel.

   S'il est resté huit ans en place, c'est qu'il a dû donner satisfaction. Il a d'abord mis fin aux divers actes de brigandage qui pullulaient dans le département, mobilisant toutes ses troupes, appuyées par celles venues de Montpellier. Ceux qui ont échappé aux balles sur le terrain ont en général fini exécutés ou emprisonnés. Dans le même temps, le préfet met en place son administration, veillant à ce que les sous-préfets disposent de moyens dans leur circonscription, qui à "dégarnir" un peu le chef-lieu. Dans le souci de rendre la gestion du département plus efficace, Sainthorent a aussi poussé au regroupement des communes autour d'une mairie principale (par exemple ici)... une démarche qui n'est pas sans faire écho aux préoccupations contemporaines. Son principal échec porte sur la lutte contre le refus de la conscription, ce qui lui a peut-être valu sa révocation.

   Lui a succédé Michel-Augustin de Goyon, un ancien officier des Gardes françaises, qui fut classé "suspect" sous la Révolution et a émigré. Sous-préfet de Vendée (pas très loin de sa ville de naissance, Nantes), il aurait été furieux d'avoir été nommé dans l'Aveyron. Renaud Carrier a cité des extraits de sa correspondance avec Paris, où il se plaint du climat aveyronnais, de l'aspect montagneux du département... bref, c'est la déprime totale pour cet aristocrate conservateur, qui a finalement obtenu d'être nommé... préfet de la Méditerranée (en 1810) !

   Le troisième titulaire du poste a davantage marqué les esprits. Le baron de Trémont a laissé de bons souvenirs aux notables du cru, en raison des travaux d'embellissement des locaux de la préfecture qu'il a engagés... et des fêtes (notamment des bals) qu'il a données. Le conférencier ne s'est pas privé de citer quelques anecdotes croustillantes, l'une d'entre elles concernant les cornes qu'un notable marié portait allègrement (et sans en avoir connaissance). Monsieur le préfet était un homme à femmes (celles des autres).

   Si le baron a pu engager autant de travaux (notamment entre 1811 et 1813), c'est grâce au financement du Conseil général. A plusieurs reprises, Renaud Carrier a souligné que les deux têtes politiques du département ont la plupart du temps travaillé en bonne entente. Mais, en 1814, sentant le vent tourner, Trémont a tenté de "mettre à l'abri" chez des particuliers certains biens de la préfecture, qu'il estimait lui appartenir.  La manoeuvre s'étant ébruitée, des fournisseurs de la préfecture (inquiets à l'idée de ne pas être payés) se sont tournés vers le tribunal de Rodez, qui leur a donné raison. Même si le jugement a, dans un premier temps, été cassé sous la Restauration, les fournisseurs ont fini par recevoir leur dû... Au bilan du baron, on peut néanmoins porter le rétablissement d'une conscription efficace, au besoin en utilisant la force.

   Il s'est donc passé beaucoup de choses à l'époque napoléonienne. Les préfets ont contribué à relancer l'économie aveyronnaise (ses successeurs ayant suivi les traces de Sainthorent). Ce n'était pas gagné au départ. Le premier préfet a dû attendre un mois après sa nomination pour commencer à disposer des moyens (limités) de l'Etat. Il a déployé de grands efforts pour louer à bas prix des locaux destinés à ses collaborateurs. Il s'est montré efficace dans plusieurs domaines. Il a dépassé la demande de fournitures de chevaux (229 envoyés, contre 206 exigés). Il semble d'ailleurs avoir été très soucieux d'élevage équin (la cavalerie napoléonienne ayant de gros besoins). C'est encore Sainthorent qui a obtenu que Rodez soit le centre de gestion des étalons (au détriment de Saint-Affrique, solution un temps évoquée en raison de la proximité du Tarn, du Gard et de la Lozère, destinataires d'une partie des bêtes). C'est sous sa conduite que l'ancienne Chartreuse a été achetée (50 000 francs de l'époque), pour y installer le haras national. Le savoir-faire de l'établissement ruthénois a été rapidement reconnu : des étalons espagnols y ont recouvré la santé, tout comme des juments arabes qui avaient été envoyées par le haras de Pompadour !

   Le domaine textile a lui aussi connu une forte impulsion. Sainthorent a créé (en 1803) l'Ecole de la navette volante (grâce à deux Aveyronnais reçus à l'école de Passy). Le but était de former aux techniques modernes 30 personnes par an. Chaque arrondissement proposait 10 candidats (soit un total de 50), parmi lesquels étaient choisis les 30. L'intention était sans doute de faire "ruisseler" les bonnes pratiques sur l'ensemble du secteur textile, particulièrement répandu dans le département.

   Le premier préfet de l'Aveyron se piquait aussi d'agriculture et de botanique. Il a transformé les jardins de l'évêché en pépinière, y implantant de jeunes pommiers, poiriers, cerisiers, frênes, châtaigniers et noyers. Si les premières pousses ont succombé à une brusque sécheresse (celle de 1803, je pense), l'exploitation a pu être relancée par la suite, Sainthorent ayant sollicité l'aide de communes proches de Rodez (comme La Loubière). Il a ensuite tout fait pour répandre ses pratiques dans le département, encourageant la culture de la rhubarbe, dont il voyait l'utilité pour les hôpitaux et les pharmacies. Des graines de plantes médicinales (faciles à cultiver, sur des sols ingrats) ont ainsi été envoyées dans le sud du département. Il me semble même avoir entendu le conférencier parler de la subtilisation de "sauvageons" (plants) destinés à Cahors par... le sous-préfet de Villefranche-de-Rouergue (Pierre-François Flaugergues) ! On estime que, sous Sainthorent, plus de 40 000 arbres ont été produits dans les pépinières du département.

   Les préfets de l'Aveyron ont aussi agi contre les crues (les rives de l'Auterne ont ainsi été engazonnées) et pour protéger les forêts, un sujet auquel Renaud Carrier avait consacré un article en 1995. Les coupes sauvages ont été sévèrement sanctionnées et le Conseil général a accordé des primes aux propriétaires qui replantaient sur des terrains pentus (pour, évidemment, lutter contre l'érosion des terres).

   Le conférencier ne pouvait pas passer à côté de l'élevage, souvent présenté comme la principale source de richesse du département. En 1788, une enquête du diocèse de Rodez (peut-être incomplète) ne dénombrait que 15 000 boeufs et vaches dans un territoire correspondant grosso modo à celui du futur département. Douze ans plus tard, on compte environ 30 000 boeufs, autant de vaches et 15 000 veaux, auxquels s'ajoutent plus de 20 000 chevaux, plus de 45 000 cochons... et près de 600 000 "bêtes à laine". N'oublions pas que, jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, le cheptel ovin était ultra-dominant dans bien des départements du sud de la France métropolitaine.

   Cela a favorisé le développement des activités liées à l'agriculture. Le nombre de boucheries rurales a fortement augmenté et on note que les ménages rouergats consomment de plus en plus de volailles, des progrès que Sainthorent attribue aux transformations opérées sous la Révolution. A l'opposé, il est évident que, pour une partie de la population, la consommation régulière de châtaignes reste incontournable, faute de mieux.

   Concernant le fromage, c'est le Roquefort qui semble jouer les premiers rôles. A l'époque, il se vend déjà dans presque toute la France métropolitaine... et même un peu à l'étranger. Cependant, les profits tirés de ce commerce se concentrent dans un petit nombre de mains... Si Sainthorent déplorait cet état des choses, il ne s'en est pas moins appuyé (de manière générale) sur les quelque 500 grands propriétaires du département pour diffuser les progrès agricoles.

   Les productions aveyronnaises ont même fait l'objet d'une exposition parisienne, en 1803 je crois. Un fascicule vantant le savoir-faire rouergat a été édité, mais finalement non diffusé. Les autorités centrales ont apprécié l'esprit d'initiative aveyronnais, mais n'ont visiblement pas voulu s'engager dans une campagne de promotion qui aurait suscité des jalousies... ou lancé une vague qu'il aurait été difficile de contrôler.

   Au sein du département, une autre activité connaît un réel succès : le thermalisme, autour de Cransac et de Sylvanès. Dans le sud du département, les clients sont plutôt issus des départements voisins. Dans le nord-ouest, l'afflux de personnes n'a pas eu que des conséquences positives : des problèmes d'ordre public se sont posés, en particulier en 1806, en raison de la présence de... prostituées. Renaud Carrier a cité un texte qui évoque les maladies qui se propagent, soulignant que certains curistes repartent plus mal en point qu'ils ne sont arrivés !

   Il est cependant un domaine dans lequel l'action des préfets ne semble pas avoir été efficace, du moins à court ou moyen terme : les transports. L'Aveyron est réputé enclavé, formant comme une "isle" au sein de la France métropolitaine. Ainsi, le troisième préfet (le baron de Trémont) disait avoir mis plus de temps pour revenir de Hongrie (en réalité de Croatie) à Paris que pour, de la capitale, arriver à Rodez !

   Après celle de mars 2017, c'était donc une nouvelle conférence passionnante, que l'on doit à la Société des lettres, arts et sciences de l'Aveyron.

mercredi, 05 septembre 2018

Des infiltrés au Ku Klux Klan

   Après avoir vu BlacKkKlansman, le film de Spike Lee, je me suis procuré le livre qui l'a inspiré, Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan, de Ron Stallworth, qui fut le premier enquêteur afro-américain du Colorado.

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   Le bouquin permet de mieux comprendre certains aspects de l'intrigue du film. Ainsi, les policiers infiltrés bénéficient d'une ligne téléphonique intraçable et de plusieurs identités fictives. On apprend aussi que la police de Colorado Springs (aidée finalement par celle de Denver) a réussi à infiltrer non pas un, non pas deux, mais trois agents dans le Ku Klux Klan, à l'époque.

   A la surprise sans doute de certains spectateurs du film, le livre confirme certains éléments jugés invraisemblables, comme le fait que les interlocuteurs téléphoniques de Stallworth n'aient jamais suspecté quoi que ce soit... et pourtant, le policier a parfois poussé le bouchon très très loin. Les scènes montrant ses collègues pouffant de rire derrière lui, alors qu'il converse avec un membre du Klan, n'ont pas été inventées par Spike Lee.

   Le réalisateur a cependant créé le personnage de Patrice, tout comme l'intrigue sentimentale avec Stallworth et l'attentat qui la vise. Mais surtout, Spike Lee a totalement laissé de côté une magnifique anecdote du bouquin, qui montre à quel point le policier noir était opposé à tout communautarisme. Stallworth a refusé de soutenir un mouvement en faveur d'un ado noir qui avait descendu un type, sans raison. Il a même incité un proche de feu Martin Luther King, invité par les militants locaux, à ne pas se dévoyer dans ce combat. C'est un très beau passage, que, dans le film, Spike Lee a remplacé par le récit de Jerome Turner (Harry Belafonte, très émouvant), qui fait référence à une époque plus ancienne, quand le Klan était bien plus violent.

   On peut découvrir cette époque grâce au récit d'un autre infiltré, Stetson Kennedy, un journaliste blanc, neveu d'un authentique membre du Klan, qui a publié en 1959 J'ai appartenu au Ku Klux Klan.

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   Le Blanc floridien antiraciste a commencé à s'intéresser au Klan avant la Seconde Guerre mondiale. L'essentiel de son livre décrit son infiltration entre 1946 et 1952, d'abord en Géorgie, puis en Alabama et en Floride, où il est revenu sous sa véritable identité.

   La durée de cette infiltration explique l'importante quantité d'informations recueillies et la précision des descriptions de l'intérieur. C'est accablant, tant la violence est présente dans les Etats du Sud à cette époque. L'auteur a même assisté à l'assassinat d'un Noir qui avait eu la malchance de croiser la route de deux voitures bourrées d'abrutis suprémacistes. L'inaction voire la complaisance des forces de police et de la justice (d'Etat comme fédérale) sont consternantes. L'auteur, d'une audace folle, a réellement risqué sa vie à plusieurs reprises pour obtenir des informations susceptibles de mettre fin aux agissements du Klan. On constate que, dans cette entreprise, la presse peut être une authentique alliée et que, tout comme contre Al Capone, l'enquête fiscale est un bon moyen de faire condamner d'habiles criminels endurcis.

   C'est un document coup-de-poing, qui est ressorti en poche aux éditions de l'aube.

  

vendredi, 31 août 2018

L'Ile de Pâques sur France Inter

   En moins d'un mois, deux émissions se sont longuement penchées sur les expositions consacrées à cette étrange et célèbre île chilienne de l'océan Pacifique. Début août, c'est Le Temps d'un bivouac qui a abordé le sujet. Ce jeudi, ce fut au tour de Jean Lebrun, dans La Marche de l'histoire. Notons que la première émission a surtout interrogé l'archéologue qui a veillé à la création de la passionnante exposition du Muséum d'histoire naturelle de Toulouse, alors que la seconde émission s'est appuyée sur un entretien avec le commissaire de la non moins passionnante exposition de Fenaille, à Rodez.

   Cet été, j'ai vu les trois. La moins retentissante est celle du musée Champollion, à Figeac. Elle est consacrée principalement aux tablettes couvertes d'inscriptions que des érudits s'échinent à tenter de décrypter depuis plus de 150 ans. Notons que l'exposition est installée dans l'annexe du musée lotois, située dans une rue adjacente au bâtiment principal. Certains objets évoquent des thèmes traités dans les autres expositions (notamment celle de Fenaille). L'originalité de Champollion est de proposer des tablettes écrites en rongorongo et des tentatives d'explication. On peut aussi consulter (et jouer) sur des bornes tactiles, notamment pour découvrir certains endroits de l'île.

   A Rodez (comme à Toulouse), le contexte géographique est bien présenté. Le musée archéologique aveyronnais propose de découvrir l'alimentation des habitants, ainsi que la faune et la flore peuplant l'île, à diverses époques. L'organisation de la société est très bien décrite. Sans surprise, il est aussi question des sculptures géantes et des pétroglyphes, avant que l'on nous présente la spécificité de l'exposition ruthénoise : les objets rapportés de l'île, en particulier les bâtons sculptés, d'une étonnante finesse.

   A Toulouse, on a vu grand. La pièce d'introduction évoque les légendes qui ont circulé à propos de l'île, de ses habitants, de leurs sculptures. La culture populaire (en particulier la bande dessinée) n'est pas laissée de côté. La géographie de l'île et son évolution sont l'objet d'un traitement soigné. On nous présente aussi bien les voyages au long cours des Polynésiens que les différents "visiteurs" européens, ainsi que les changements de nom, Rapa Nui ayant succédé notamment à Ile San Carlos et Terre de Davis. Une grande salle oblongue est consacrée aux moai, à leur structure, à leur création et à leur(s) signification(s). On a essayé de proposer des activités susceptibles de retenir l'attention des petits. La fin de l'exposition traite des transformations que l'île a subies et des explications que la recherche apporte.

   Des trois expos, je dirais que celle de Toulouse est la plus complète, celle de Rodez est moins copieuse mais plus synthétique, avec beaucoup d'objets, celle de Figeac étant plus intéressante sur quelques points précis.

lundi, 27 août 2018

Alpha

   Sorti dans une relative confidentialité, ce film préhistorique a l'ambition de nous conter la façon dont l'homme a domestiqué le loup. Alpha est le surnom donné à un chef de meute. C'est aussi celui que se donne le père du héros, qui est le chef de son clan et qui voudrait voir un jour son fils lui succéder.

   La première partie de l'histoire a donc une vocation documentaire, puisqu'elle nous fait découvrir les us et coutumes des chasseurs-cueilleurs d'il y a 20 000 ans... des homo sapiens donc, même si, au cours de son périple quasi solitaire, le héros va croiser un autre type d'humain (un Néandertalien, ce qui, vu l'époque concernée, est impossible).

   On comprend que, dans l'intrigue, c'est la fiction qui va l'emporter. Keda, l'adolescent fils du chef, va subir un apprentissage assez rude, d'abord au sein de la tribu, puis seul... enfin pas tout à fait : il va devenir de plus en plus proche d'un loup, abandonné par sa meute après une attaque qui a échoué.

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   Le message est un peu lourd : les deux esseulés, naguère ennemis, vont cohabiter, collaborer et même s'apprécier. Cela marche parce que les loups sont superbes et bien dressés (à garder toutefois loin des brebis qui pâturent...). Je pense que ce sont peut-être les seuls animaux réels (avec les insectes et les vautours) qui peuplent le film. Les bisons préhistoriques, le tigre à dents de sabre, le lion des cavernes, les rhinocéros laineux et les hyènes sont sans doute de synthèse... mais très jolis à voir, sur grand écran. J'ajoute que les paysages (essentiellement ceux de l'Alberta canadien) sont magnifiques.

   Même si je suis conscient qu'il y a des facilités, j'ai marché à fond, sauf peut-être quand le héros s'est lancé dans le "porter de loup" sur plusieurs dizaines de kilomètres. Vers la fin, j'ai quand même eu les yeux qui piquent (un peu comme dans Croc-Blanc). C'est nettement mieux que le  10 000 de Roland Emmerich !

   P.S.

   Attention, je vais un peu "divulgâcher".

   Tout au long de l'histoire, on s'émerveille du comportement de ce canis lupus, excellent chasseur, gardien vigilant et compagnon (finalement) affectueux. La mentalité patriarcale dont je suis sans doute (un peu) imprégné m'a incité à penser qu'il s'agissait forcément d'un mâle. (Et pourtant, la scène qui voit Alpha retrouver l'un de ses congénères aurait dû me mettre la puce à l'oreille.) Or, à la toute fin, on découvre (dans des circonstances que je ne vais pas dévoiler) qu'Alpha est... une louve, une touche bienvenue... et qui permet au scénario de s'achever par un rebondissement.

21:42 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : cinéma, cinema, film, films

jeudi, 23 août 2018

BlacKkKlansman

   C'est le premier film de Spike Lee que je vois depuis Inside Man (en 2006)... et c'est le premier que je vais chroniquer sur ce blog. Pourtant, de Nola Darling n'en fait qu'à sa tête à Malcolm X, en passant par Jungle Fever et Mo' better blues, c'est l'un des cinéastes qui m'a donné furieusement envie de me rendre dans les salles obscures, quand j'étais plus jeune.

   Les premières séquences rappellent à ceux qui l'auraient oublié qu'on a affaire à un très bon metteur en scène. Alec Baldwin nous fait un joli numéro en speaker raciste qui oublie un peu son texte. Cela donne le ton du film, qui veut montrer la noirceur (!) des militants du KKK, tout en les ridiculisant, voire en les humiliant.

   Ce n'est qu'ensuite qu'on découvre le héros, Ron Stallworth, le premier policier noir de sa brigade. Il est (très bien) interprété par John David Washington, auquel Spike Lee met le pied à l'étrier pendant que papa Denzel cachetonne dans Equalizer 2. L'ambiance dans le commissariat est très bien rendue, avec une pointe d'humour. Les acteurs qui incarnent les policiers sont criants de vérité. J'ai aussi eu le plaisir de retrouver Adam Driver dans un véritable rôle (le collègue juif plutôt discret).

   Très vite, c'est un autre comédien qui marque les esprits : Corey Hawkins, qui interprète Stokely Carmichael, ancien militant des Black Panthers, particulièrement éloquent. La séquence de la soirée militante fait montre du savoir-faire de Spike Lee. Il ressuscite l'ambiance des années 1970 et filme avec une empathie évidente le discours enflammé de l'orateur, qui captive son auditoire.

   C'est ici que l'on sent poindre le risque de partialité dans la narration de cette histoire vraie d'infiltration. Spike Lee a été parfois accusé de propager une vision communautariste des événements. Dans ce film, on notera que seuls des Blancs commettent des actes de violence (si l'on excepte la brique que le héros jette dans une fenêtre pour sauver la mise de son collègue juif). Plus finement, les spectateurs attentifs remarqueront que le réalisateur semble avoir mis en pratique une partie du discours de Carmichael, celle dans laquelle il affirme que "Black is beautiful". Force est de constater que presque tous les personnages noirs sont séduisants (sur le plan physique), alors que presque tous les personnages blancs sont assez laids.

   Spike Lee se rattrape en mettant en valeur ceux qui défendent des valeurs universelles. Stallworth n'adhère pas au discours communautariste du groupe qu'il a dans un premier temps infiltré, au risque de se fâcher avec la ravissante présidente de l'association des étudiants noirs. Il se lie avec Zimmerman, son collègue juif et, petit à petit, va se faire accepter des autres Blancs de sa brigade, à l'exception de quelques incurables racistes.

   L'intrigue bascule quand l'Afro-américain Stallworth réussit à se faire passer, au téléphone, pour un sympathisant du Ku Klux Klan. Sur le terrain, Zimmerman est chargé de l'incarner (ce qui lui fait découvrir l'indécrottable antisémitisme de ces abrutis). Le plus incroyable est que la supercherie ait fonctionné. Spike Lee a même dû ajouter des éléments pour la rendre plus vraisemblable aux yeux des spectateurs, tellement c'est énorme. Il ne faut pas oublier que l'action se situe dans les années 1970, avant le développement d'internet et des téléphones portables.

   Les acteurs, noirs comme blancs, sont excellents. (Dans la foule des seconds rôles, on reconnaît des visages aperçus ailleurs, par exemple dans les séries Blue Bloods et The Blacklist.) Le film est prenant, agréable à regarder... et à entendre. La bande-son accompagne une image léchée, avec des personnages à l'allure très seventies, certains dotés d'impressionnantes coupes de cheveux "afro" !

   Mais ce n'est pas qu'un film hommage. C'est aussi un brûlot politique qui tente d'établir une filiation entre le KKK et Donald Trump. Dans le discours de Carmichael du début, il est évident que les références aux violences policières font écho au début du XXIe siècle et au mouvement Black Lives Matter. Plus loin, l'un des officiers de police déclare au héros que les dirigeants du Klan rejettent (officiellement) les actes de violence parce qu'ils ont changé de stratégie, leur but étant de peser politiquement, voire de faire élire l'un des leurs à la présidence (chose que le héros juge inimaginable...). La toute fin du film évoque les violences de ces dernières années : le Klan n'est pas mort et, même s'il n'est plus une organisation de masse, ses idées irriguent encore fortement une partie de la société américaine.

   P.S. 1

   Je crois que Spike Lee a conçu son film comme l'anti Naissance d'une nation, de David Wark Griffith (qui a eu aussi pour titre... The Clansman). Cet énorme succès du cinéma muet, sorti au début du XXe siècle, a propagé une vision raciste de l'histoire des États-Unis. Plusieurs extraits en sont proposés dans BlacKkKlansman, notamment dans la dernière partie de l'histoire, dans la séquence d'intronisation des nouveaux membres du Klan, montée en parallèle avec la visite d'un vieux militant des droits civiques (incarné par Harry Bellafonte) à l'association des étudiants.

   P.S. 2

   Pour approfondir le sujet, on peut se plonger dans un livre, Le Ku Klux Klan, de Farid Ameur. L'auteur est un universitaire spécialiste des États-Unis, mais son ouvrage est destiné au grand public (il est dépourvu de notes). On y découvre l'origine du KKK, de son nom et de la pratique des croix brûlées. On y suit ses successives disparitions puis renaissances. Plusieurs chapitres son consacrés à son organisation. C'est bien écrit et cela se lit comme un roman.

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11:28 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films

mardi, 21 août 2018

The Intruder

   Diffusé aussi sous le titre I Hate Your Guts, ce film de Roger Corman, datant de 1962, a été restauré. Il est de nouveau proposé dans certaines salles, alors que The BlacKkKlansman de Spike Lee est sur le point de sortir, ce qui n'est évidemment pas une coïncidence.

   Le contexte est celui des débuts de la déségrégation, dans une petite ville du Sud des Etats-Unis, où des adolescents noirs ambitionnent de suivre les cours du lycée des Blancs. Ceux-ci sont majoritairement hostiles au changement mais, par légalisme, semblent vouloir laisser les choses se dérouler dans le calme. Tourné dans le Missouri, le film propose une belle galerie de personnages de l'Amérique profonde, des gens modestes, pas mauvais sur le fond, mais susceptibles de déraper.

   La mèche va être allumée par un "intrus", Adam Cramer, qui affirme venir tantôt de Californie, tantôt de Washington. Il se réclame d'une association politique, la Patrick Henry Society, opposée à la fin de la ségrégation. Il a l'allure avenante de William Shatner, qui, à l'époque, n'avait pas encore endossé le costume du capitaine Kirk dans Star Trek.

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   La première partie de l'histoire nous le présente comme un beau parleur, séduisant, entreprenant avec les femmes. La caractérisation est intéressante, parce qu'un cinéaste du camp opposé pourrait tout à fait créer un personnage miroir, un militant de la déségrégation envoyé par les élites de Washington pour "éclairer" la population locale.

   Petit à petit, Cramer dévoile son jeu et enflamme les foules par des discours où percent un anticommunisme sans nuance... ainsi qu'un indéniable antisémitisme. C'est un peu trop théâtral à mon goût, mais assez efficace. Le réalisateur réussit mieux à mettre en scène la montée de tension et les risques de dérapage : la population locale, chauffée à blanc (!) par l'activiste raciste, ne suit pas tout à fait la feuille de route établie par lui. La fin est évidemment morale.

   P.S.

   L'an dernier, un autre film de la même sensibilité, Du Silence et des ombres (To Kill a Mockingbird dans la version originale), était ressorti sur les écrans français. L'action se déroule dans les années 1930, avec un beau portrait social d'une petite ville du Sud, où un avocat (incarné par Gregory Peck) va tenter de vaincre les préjugés racistes pour faire triompher la justice.

mardi, 07 août 2018

Happiness Road

   Ce film d'animation est une oeuvre autobiographique de la Taïwanaise Hsin-Yin Sung, qui s'étend des années 1970 à nos jours. Grosso modo, on suit deux trames chronologiques : celle, actuelle, de la vie d'une expatriée, mariée à un Américain, qui revient (seule) au pays et celle (ancienne) d'une enfant au tempérament affirmé, que l'on voit grandir dans une dictature asiatique occidentalisée.

   Le paradoxe de ce film est que, si l'animation semble plutôt destinée à des enfants (cela ressemble un peu aux séries japonaises des années 1980), le fond s'adresse clairement à des adultes. Pour bien saisir toutes les subtilités de l'intrigue, il convient de connaître un peu l'histoire de Taïwan.

   L'une des grandes réussites de ce film est la résurrection du monde de l'enfance, avec sa naïveté, ses rêves, ses craintes, ses engouements et ses rivalités. Pour l'héroïne, Tchi, le moment clé est celui de l'entrée à l'école. Ses parents parlent une langue taïwanaise (une sorte de cantonais, je crois), mais c'est en mandarin que les cours sont donnés. Les sous-titres tentent de traduire quelques jeux de mots. Cela se complique un peu quand on apprend que la grand-mère de l'héroïne est une aborigène, une catégorie de population méprisée (à l'époque) sur l'île. Mais elle est dépositaire d'un savoir et de coutumes ancestrales, qui fascinent sa petite-fille... tout autant passionnée par les séries japonaises, tout spécialement Candy !

   La narratrice va se faire des amis, en particulier une enfant métis, une blonde dont le père est un soldat américain. Il y a aussi le turbulent maigrichon de la rangée de derrière, qu'elle revoit des années plus tard, juste avant un tremblement de terre. Il y a encore le petit gros, le seul élève de la classe à posséder une montre digitale. C'est le fils du maire... et, lorsque l'héroïne revient au pays pour l'enterrement de sa mémé, elle le croise à son tour en campagne pour être élu.

   La vie politique se trouve le plus souvent à l'arrière-plan de l'histoire mais, parfois, elle passe devant. A l'entrée de l'école se trouve une statue de Tchang Kaï-Chek, le fondateur de la République de Chine (autre nom de Taïwan). Au lycée, l'héroïne croise la fille de l'opposant Chen Shui-bian, futur maire de Taipei et président de la République. (L'actuelle présidente, Tsai Ing-wen, est une de ses anciennes ministres.) On a aussi un écho des manifestations pour la démocratisation de l'île, dans les années 1980-1990.

   Tchi a pu suivre des études supérieures parce que ses parents se sont saignés aux quatre veines. Dès le primaire et le secondaire, on sent que l'argent joue un rôle important : certains élèves sont favorisés pour la préparation des épreuves. Les parents, des travailleurs modestes, misent beaucoup sur la réussite scolaire de leur fille unique. A un moment, Tchi a voulu rompre avec l'avenir qu'on avait tracé pour elle. De retour au pays, elle comprend mieux ses parents, qui ont l'âge de la retraite, mais continuent à tirer le diable par la queue. Tchi ne sait plus trop où elle en est : taïwanaise/chinoise/américaine, traditionaliste/moderne, célibataire/mariée/divorcée. Tout cela est assez bien vu, et mis en scène avec délicatesse.

   P.S.

   Cette histoire ressemble beaucoup à celle vécue par une autre Taïwanaise, Li-Chin Lin partie elle vivre en France. Il y a six ans, elle a publié un excellent roman graphique, Formose, qui mériterait d'être adapté au cinéma.

dimanche, 05 août 2018

Atomic Blonde (DVD)

   J'ai raté ce long-métrage, sorti discrètement dans la torpeur estivale de l'an dernier. Je crois même qu'il n'a pas été programmé à Rodez. Et pourtant, ce film d'espionnage, dont l'action se déroule en octobre-novembre 1989, au moment de la chute du Mur de Berlin, ne manque pas de qualités.

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   C'est d'abord un bien meilleur film de genre que le récent Red Sparrow, même s'il partage avec lui une exploitation racoleuse du corps (splendide) de certaines actrices. (La relation homosexuelle entre l'héroïne, incarnée par Charlize Theron, et l'espionne française, interprétée par Sofia Boutella, a remué les hormones de biens des spectateurs mâles...)

   C'est aussi un excellent film d'action, au coeur duquel on trouve un formidable plan-séquence d'une bagarre dans un immeuble de Budapest Berlin. Les bonus du DVD expliquent la conception, la mise en place, l'entraînement (très physique pour C. Theron, qui n'a pas été doublée) et le déroulement de cette séquence rythmée, drôle et sanglante.

   Au niveau du scénario, on s'est trituré les méninges. Il s'agit de récupérer une liste d'espions et de démasquer un agent double. Plusieurs pistes nous sont suggérées tout au long du film... jusqu'à la révélation finale, bien amenée. Les acteurs sont bons. Aux côtés des deux femmes, on trouve (entre autres) James McAvoy (toujours irritant mais plus crédible ici qu'en professeur Xavier), Toby Jones et John Goodman.

   J'ajoute que la photographie est superbe, chaque type de scène étant associé à des couleurs spécifiques. Enfin, le "vieux" cinéphile que je suis n'a pas détesté la bande-son des années 1980, qui m'a rappelé bien des souvenirs.

   Bref, c'est un film à voir !

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lundi, 16 juillet 2018

Histoire du football

   Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, le football occupe une place importante dans les sociétés contemporaines, en France comme ailleurs. Son histoire est d'ailleurs fort intéressante. J'ai récemment lu deux ouvrages qui en éclairent certains aspects.

   A tout seigneur tout honneur. La Coupe du monde 2018 s'étant déroulée en Russie, commençons par le livre de Régis Genté et Nicolas Jallot :

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   Très bien écrit, l'ouvrage part de l'introduction du football en Russie (par des Anglais) à la gestion poutinienne de ce qui est d'abord perçu comme un outil de propagande. Cela ne date pas du XXIe siècle. Très vite populaire (mais aussi apprécié par des intellectuels comme le compositeur Dmitri Chostakovitch), ce nouveau sport a bénéficié de l'action des frères Starostine, avant la Seconde guerre mondiale. Des supporteurs russes se souviennent encore aujourd'hui de ces précurseurs, dont trois ont été par la suite envoyés au Goulag, sans doute sur ordre de Lavrenti Beria, le chef du NKVD (ancêtre du KGB, dont est issu l'actuel FSB).

   Cela-ci a tenté de promouvoir sa "caste" (celle des policiers politiques) à travers des clubs appelés "Dynamo" (ou "Dinamo"). Il y a d'abord eu celui de Tbilissi (Beria étant géorgien), puis ceux de Moscou et de Kiev. Mais à Moscou, le club fondé par les frères Starostine était le Spartak, le grand rival, soutenu successivement par les coopératives agricoles et les Komsomol (l'union des jeunesses communistes). L'histoire des rivalités internes à la Russie épouse en partie celle des rivalités politiques, la fierté locale venant se greffer dessus. D'autres clubs sont apparus à Moscou, le CSKA (l'équipe de l'armée), le Torpedo (l'équipe du secteur automobile) et le Lokomotiv (soutenu, comme son nom l'indique, par les chemins de fer).

   Le livre fourmille d'anecdotes, notamment sur la période de la Seconde guerre mondiale. Si certains joueurs vedettes ont été envoyés en front, d'autres ont été préservés pour jouer des matchs de propagande (notamment à Leningrad -aujourd'hui Saint-Pétersbourg, ville qui a subi un siège de 900 jours ainsi qu'une épouvantable famine). Pour l'anecdote, je signale que l'un des sites de la coupe du monde (celui de Saint-Pétersbourg) a été aménagé à l'emplacement du stade utilisé par l'une des équipes de la ville avant-guerre, là précisément où, en 1942, se serait déroulé le match famélique de propagande, retransmis à la radio jusque sur les lignes de combat.

   Il est aussi question du "match de la mort", une légende encore vivace aujourd'hui en Russie, sur une rencontre entre des soldats allemands et des joueurs ukrainiens, qui auraient été menacés de mort et, pour certains, fusillés après la rencontre. Les auteurs décryptent parfaitement bien la construction du mythe.

   Après la Seconde guerre mondiale, l'URSS rejoint les instances internationales sportives (la FIFA en 1946, le CIO en 1951). On l'a oublié, mais les succès sont arrivés assez vite. La sélection soviétique a remporté l'épreuve aux JO de 1956 (à Melbourne). Elle est devenue championne d'Europe en 1960, lors de la première édition de l'Euro... en France. Quatre ans plus tard, l'équipe est allée jusqu'en finale, battue seulement par l'Espagne, pays organisateur. En Coupe du monde, le bilan est moins flatteur, avec un quart de finale en 1958 et une demi-finale en 1966, en Angleterre (performance que l'actuelle équipe de Russie n'est donc pas parvenue à égaler cette année). Cette édition a été marquée par l'unique victoire des "Trois Lions"... et le rôle de l'arbitre de la finale, qui était soviétique. (C'est très bien expliqué dans le bouquin.)

   Cette époque (la fin des années 1950 et les années 1960) est marquée par une figure devenu mythique, le gardien de but Lev Yachine, seul de sa catégorie à avoir décroché le Ballon d'or, en 1963. C'est donc à juste titre que ce joueur a été retenu comme emblème de la toute récente coupe du monde, sur une affiche au style rétro, rappelant immanquablement l'époque soviétique, dont l'actuel président Vladimir Poutine est tant nostalgique :

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   Au niveau des clubs, c'est dans les années 1970-1980 que les résultats les plus spectaculaires ont été obtenus. Cela coïncide avec l'arrivée à maturité d'une génération dorée, notamment venue d'Ukraine (du Dynamo de Kiev), où ont été mises en pratiques des méthodes scientifiques d'entraînement. Cela s'est répercuté sur l'équipe soviétique, qu'on a commencé à revoir pointer le bout de son nez en 1982 mais surtout en 1986, au Mexique. Avec le Danemark, c'est l'équipe qui a marqué les esprits dans la première partie de la compétition.

   La fin de l'ouvrage est centrée sur la période poutinienne et le rôle des oligarques dans la vie des clubs. Il est question aussi bien du Zénith Saint-Pétersbourg que des clubs du Daghestan et de Tchétchénie. C'est tout aussi passionnant que ce qui précède.

   On continue avec un livre aux ambitions plus modestes. Il s'agit de la réédition d'un ouvrage publié en 1954 (sous la plume de Jules Rimet), augmenté de plusieurs textes divers :

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   Le fondateur du Red Star, qui présida la FIFA de 1921 à 1954, y raconte les premières Coupes du monde, celles auxquelles il a assisté. Cela commence par celle de 1930, en Uruguay. Les dirigeants de la FIFA et les équipes européennes invitées à y participer ont fait le trajet en paquebot. Rimet emporte avec lui le trophée qui ne porte pas encore son nom et qui a été sculpté par un certain Abel Lafleur, né à... Rodez !

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   Ce n'est pas la seule référence à l'Aveyron que contient ce récit de voyage. Sur le paquebot se trouvent deux chanteurs d'opéra, le Russe Fédor Chaliapine et une certaine Marthe Nespoulous. Les Rouergats qui lisent ce billet auront immédiatement dressé l'oeil l'oreille : c'est un nom assez répandu dans notre département.

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   Par contre, s'il est assez facile de dénicher, sur la Toile, des enregistrements (audio) de la soprano, les informations biographiques manquent cruellement. En Aveyron, on a plutôt retenu la carrière de son aînée, la cantatrice Emma Calvé, dont une place porte le nom à Rodez.

   Mais revenons à nos moutons (en short). Après l'Uruguay, ce fut au tour de l'Italie d'accueillir (et de remporter) la Coupe du monde, en 1934. Avec le recul, Jules Rimet, s'il se félicite de la qualité de l'organisation, semble éprouver quelques regrets, puisqu'il s'est montré accommodant avec le régime fasciste. (Dans un entretien publié en fin d'ouvrage, le petit-fils reconnaît que son grand-père a tendu le bras -comme les autres personnes présentes- lors de la cérémonie d'inauguration.)

   Pour populaire qu'il soit, le spectacle des équipes nationales se défiant dans un stade n'est pas forcément rentable, au début. C'est avec réticence que la France accepte d'organiser la Coupe du monde de 1938. A l'époque, l'écho des troubles politiques se fait encore plus grand. Ainsi, l'équipe d'Autriche est contrainte de se retirer de la compétition après l'Anschluss. Fort prudemment, les autorités décident de ne pas prévoir de compétition pour 1942. Pour l'organiser, il était question du Brésil et de l'Allemagne nazie...

   En 1950, c'est donc au Brésil que s'est déroulée la quatrième édition. Ce chapitre est écrit de manière à faire comprendre aux lecteurs que les Brésiliens n'envisageaient pas d'autre résultat que la victoire de leur équipe nationale... et que le résultat final fut une tragédie (que l'humiliation en demi-finale face à l'Allemagne, en 2014, est venue raviver).

   L'un des textes qui succèdent à ce récit fait le point sur les convictions de Jules Rimet, que l'on a parfois jadis rapproché de Pierre de Coubertin. C'était un contresens. Celui-ci était un aristocrate, qui voyait dans l'amateurisme l'incarnation d'un certain élitisme. Fervent adepte de la professionnalisation du sport en général et du football en particulier, Jules Rimet défendait une vision populaire (et méritocratique) de la pratique du sport. Il n'a cependant pas perçu combien l'introduction massive de l'argent allait le dénaturer.

   Mais son livre est bigrement intéressant, de surcroît bien écrit.

   P.S.

   La fameuse "coupe Jules Rimet" n'existe plus. Donnée au Brésil en 1970, à l'issue de la troisième victoire de ce pays dans la compétition, elle a été volée (et sans doute fondue). Les vainqueurs reçoivent désormais une copie du nouveau trophée (que l'on doit à un Italien).

   Cela n'a pas empêché un journaliste du Monde de commettre une boulette, dans l'euphorie de la victoire française hier en finale. Plusieurs photographies ont montré le joueur Kylian Mbappé embrassant le trophée. Dans la version papier du quotidien, il est fait référence à Jules Rimet :

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   L'erreur a été corrigée dans la version numérique de l'article (qui s'appuie sur une autre photographie) :

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samedi, 14 juillet 2018

Una Questione privata

   Le dernier film des frères Taviani a pour cadre la fin de la période fasciste, pendant la Seconde guerre mondiale. Il prétend mêler réflexion historique et questionnement amoureux, le principal personnage féminin hésitant entre deux hommes, provoquant chez l'un d'entre eux un cruel dilemme : se réjouir de l'arrestation de son rival ou se porter à son secours.

   La facilité aurait consisté à opposer deux prétendants aux orientations politiques opposées : un fasciste et un antifasciste. Tel n'est pas le cas ici, puisque les deux hommes, amis d'enfance, se sont engagés dans les partisans (résistants antifascistes, qui luttent contre la République de Salo, Etat fantoche porté par les nazis, qui ont envahi la péninsule).

   Deux périodes se croisent dans le film : l'année 1943, avant la (première) chute de Mussolini, où semble régner l'insouciance, dans un milieu bourgeois ; l'année 1944, celle de la lutte. Et là, les clichés abondent. Les scènes du souvenir, montrant le trio amoureux, sont vues et revues. Mais le pire est atteint dans les scènes d'affrontement de 1944, mal jouées. En fait, les acteurs sont mal dirigés. On le voit aussi quand le héros repasse clandestinement par son village natal et croise ses parents, qui transportent du bois. Cette scène, censée être émouvante, sombre dans le ridicule.

   Du coup, on se désintéresse un peu de l'intrigue amoureuse. La jeune femme n'apparaît pas très sympathique. Seul le personnage de Milton (le prétendant intellectuel, évincé par son ami plus sportif) est un peu étoffé. On a su montrer son évolution, mais la prestation de l'acteur ne m'a guère convaincu.

   Le film gagne en intensité et en complexité quand le camp fasciste est filmé de l'intérieur. Mais cela fait bien peu pour ce qui reste une ébauche, un brouillon de film qu'il aurait fallu retravailler.

13:18 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film, films

vendredi, 13 juillet 2018

Hedy Lamarr : from extase to wifi

   C'est un documentaire dont j'attendais impatiemment l'arrivée à Rodez. Il est consacré à une actrice hollywoodienne qui fut célèbre en son temps et qui incarna la brune "glamour" voire la tentatrice dans des productions destinées au grand public. Par contre, on ignore en général qu'elle s'intéressait à la technologie et qu'on lui doit sans doute une invention révolutionnaire.

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   Le documentaire commence par revenir sur la jeunesse de celle qui s'appelait Hedwig Kiesler. Cette Autrichienne est née dans un milieu privilégié (son père était banquier) et, contrairement à la majorité des jeunes femmes de son époque, a bénéficié d'une assez grande liberté. La relation avec le père était forte. Celui-ci était féru d'inventions. il semble avoir communiqué sa passion à sa fille, qui s'amusait à démonter des jouets pour en comprendre le fonctionnement.

   A l'écran, on alterne les témoignages de proches, les images d'archives et les documents divers (dont une entrevue oubliée de l'actrice, devenue âgée). C'est l'occasion de (re)découvrir l'Autriche de l'Entre-deux-guerres, avant que les nazis ne mettent la main dessus. Au départ, la jeune femme, issue d'une famille juive convertie au catholicisme, ne voit pas le danger. Elle continue à fréquenter les élites... mais va vite comprendre qu'il vaut mieux prendre le large.

   Sa carrière cinématographique commence en Autriche, sous le parfum du scandale. Extase est le titre d'un film où, encore mineure, elle apparaît nue et simule un orgasme. Scandale dans le pays et dans sa famille... et même ailleurs puisque, lorsque la jeune femme faits ses débuts aux Etats-Unis, on lui impose de jouer vêtue...

   On comprend assez vite que le joli minois cache un caractère d'acier. (Elle se qualifiait d'enfant terrible, en français dans le texte.) Bien que d'une grande beauté, l'actrice a dû provoquer la chance pour s'imposer... et se faire payer correctement par la production (la MGM, tenue Louis Mayer). La suite nous raconte donc le succès de l'actrice, ainsi que ses déboires sentimentaux.

   La Seconde guerre mondiale conduit la vedette autrichienne pas encore naturalisée américaine à soutenir le moral des troupes yankees... et à réfléchir à une technique de guidage des torpilles ! C'est pour moi la principale révélation de ce documentaire. Même si l'actrice s'est appuyée sur le travail d'un musicien ingénieux, il est incontestable qu'elle a eu l'intuition du système de "saut de fréquence", qui, aujourd'hui encore, sert de base aux télécommunications modernes. A l'époque, le projet de l'actrice est traité par le dédain. Elle a pourtant déposé un brevet, qui ne lui a finalement rien rapporté...

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   La troisième partie est moins gaie. Elle montre le déclin de l'artiste, les difficultés de sa vie personnelle... et les dégâts de la chirurgie esthétique, dont elle fut l'une des premières utilisatrices. Au début, c'était discret, mais, à la fin, c'était horrible. J'ai pensé à Elizabeth Taylor, de la génération suivante, mais qui a connu une évolution assez proche.

   Le film est un bel hommage à une femme ravissante et intelligente, qui a voulu vivre libre dans un monde de machos. Ce n'est pas un hasard s'il sort en 2018, produit par l'actrice Susan Sarandon.

lundi, 25 juin 2018

Bienvenue en Sicile !

   Une fois n'est pas coutume, je trouve le titre français meilleur que l'original (At War for Love ou In Guerra per amore), que l'on pourrait traduire par "A la guerre par amour". Celui-ci fait allusion à l'histoire d'amour contrariée qui sert de squelette à l'intrigue, alors que le titre français évoque, sur le ton de la comédie, le débarquement des Américains en Sicile, en 1943.

   C'est donc d'abord une comédie à l'italienne, avec ses caricatures, son exubérance, sa joie de vivre (et cette langue si musicale). Arturo le charmeur sans le sou rêve d'épouser la belle Flora, que son oncle envisage de marier au fils de l'une de ses relations. On est dans le petit monde des Italo-américains new-yorkais, limite (voire franchement) mafieux. Or, à la même époque, les Alliés préparent l'opération Husky. Du côté américain, on compte s'appuyer sur les liens qui existent entre certains immigrés et le pays d'origine de leurs parents. D'ailleurs, le propre père de Flora vit encore là-bas. Sa bénédiction serait bien utile à Arturo pour empêcher le mariage arrangé par l'oncle. Mais le (possible) futur beau-père de Flora possède lui aussi des relations dans son pays natal. Il va tenter de contrecarrer le projet du rival de son fils.

   L'aspect comédie est renforcé par la truculence des villageois qui vont voir débarquer les Yankees. Il y a cet étrange duo, composé d'un aveugle et d'un boiteux, qui seront mêlés à la plupart des péripéties siciliennes. Il y a ce père de famille, dont le fils porte l'uniforme italien (fasciste) et qui garde religieusement une statue du Duce dans un placard. Une intense rivalité l'oppose à sa voisine qui, au moindre bombardement, sort mettre à l'abri une statue de la Vierge. Il est aussi souvent question d'ânes, des vrais, des symboliques... et ceux d'une chanson pour enfant, à laquelle un garçon est particulièrement attaché. C'est l'un des fils rouges de l'intrigue, avec une photographie d'amoureux (maladroitement) prise devant un pont new-yorkais. Cet ancêtre du selfie devient le running gag de l'histoire.

   Et puis il y a ces trognes de mafieux. Ah, pour sûr, ils sont gratinés ! Le chef local est une pourriture débonnaire et ventripotente. Ses sbires portent d'horribles moustaches et froncent les sourcils. Vous avez compris que l'on rit souvent à cette comédie... avant que le ton ne change, dans le dernier tiers de l'histoire. Celle-ci s'appuie sur des faits réels. Le gouvernement américain, soucieux de se ménager des soutiens sur place, a conclu un pacte avec le chef mafieux Lucky Luciano. Résultat : le débarquement allié s'est très bien passé (avec peu de pertes). En contrepartie, les conquérants du jour vont confier les clés du pouvoir à des truands, certains se parant des couleurs d'un nouveau parti tout propre, la Démocratie chrétienne.

   C'est l'une des forces de ce film (hélas passé quasi inaperçu) que de parvenir à mêler une bluette sentimentale (inspirée de la commedia dell'arte) et une réflexion politique sur un sujet qui a, aujourd'hui encore, un impact sur la société italienne.

mardi, 19 juin 2018

La Révolution silencieuse

   Cette "salle de classe silencieuse" (titre originel, en allemand) est celle de lycéens de RDA (l'Allemagne communiste), sur le point de passer leur Abitur (baccalauréat), en 1956. Un jour, par solidarité avec les Hongrois révoltés contre la domination soviétique, ils décident de se taire pendant deux minutes, en cours d'histoire. Ce battement d'ailes de papillons va déclencher une tempête politique.

   Ce n'est pas la première fois que le cinéma allemand se lance dans l'analyse de la période de Guerre froide. Les cinéphiles se souviennent de l'excellent La Vie des autres, en 2007. Plus récemment, on a eu droit à De l'autre côté du mur (dont l'actrice principale est présente ici) et D'une vie à l'autre. L'originalité du film est de se situer avant la construction du Mur de Berlin, quand seuls des contrôles policiers séparaient les deux parties de la ville.

   L'univers adolescent est bien restitué, montrant des garçons qui cherchent à voir des femmes nues et des couples qui se forment, avec la maladresse des premières amours et des malentendus. L'habileté du scénario consiste à intégrer l'aspect sentimental à l'intrigue politique. On est visiblement dans un lycée au recrutement populaire (et provincial), avec un public mélangé, puisque les enfants d'un vétérinaire et le fils d'un membre éminent du conseil municipal côtoient des rejetons d'ouvriers. Compte tenu de la relative uniformisation vestimentaire qui régnait à l'époque, il n'est pas facile de les distinguer à leur apparence.

   Les auteurs ont aussi voulu éviter le film uniquement à charge. D'un côté, ils montrent quand même que ce pays dirigé par d'anciens opposants au nazisme est devenu une prison pour une grande partie de sa population (la Stasi se comportant quasiment comme la Gestapo). D'un autre côté, les défenseurs du régime communiste (et contempteurs de la démocratie bourgeoise, assimilée au fascisme...) ont voix au chapitre. Concernant l'éducation, le propos n'est pas sans faire écho à notre époque, où se pose la question de la réussite scolaire des enfants des catégories populaires.

   Mais il s'agit surtout de l'histoire d'une rébellion pacifique, celle de lycéens en quête d'absolu, mais auxquels on va tenter d'imposer des préoccupations plus terre-à-terre. Le harcèlement moral qu'ils subissent est particulièrement bien mis en scène. (Le réalisateur, Lars Kraume, est aussi l'auteur de Fritz Bauer, un héros allemand, dans lequel joue celui qui incarne le père de l'un des lycéens) Cela fait remonter les vieilles histoires du passé, celui de l'Entre-deux-guerres (avec les allusions au Front Rouge, auquel a appartenu le père de l'un des élèves), celui de la Seconde guerre mondiale... et celui, plus récent, de la révolte ouvrière de Berlin-Est.

   C'est dire la richesse des thématiques abordées par ce film qui, de surcroît, s'inspire d'une histoire vraie. (Restez pendant le générique de fin.) Alors, même si c'est parfois un peu mélo, j'ai beaucoup aimé, tant les acteurs sont convaincants et l'arrière-plan historique soigné.

lundi, 18 juin 2018

La chapelle des brebis

   C'est d'un édifice peu connu des Ruthénois qu'il va être question : la chapelle Notre-Dame de Pitié, qui dépendait autrefois de la Chartreuse, dont les bâtiments ont été récupérés par l'Etat lors de la Révolution pour devenir ensuite, sous l'Empire, le siège du haras de Rodez, hélas fermé depuis l'an dernier.

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   Les touristes ont plus de chance de connaître l'édifice que les Ruthénois, puisqu'il fait partie du circuit patrimonial proposé aux visiteurs du chef-lieu aveyronnais (avec le numéro 29). Pour les locaux, le lieu est ouvert au moins le 13 de chaque mois. Pendant des années, c'est un employé municipal féru d'archéologie, Roger Trémouilles, qui a veillé sur l'édifice.

   Ce samedi 16 juin 2018, exceptionnellement, la chapelle a été ouverte au public, dans le cadre d'une manifestation agricole : la (mini-)transhumance des brebis du lycée agricole La Roque, situé sur la commune voisine d'Onet-le-Château.

   La première partie du trajet a mené les ovins du gué de Salelles (numéro 1 ci-dessous) à la place du Bourg (numéro 2), en passant par Layoule, le carrefour Saint-Cyrice, la rue Béteille et la place d'Armes.

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   Le parcours du petit troupeau (une cinquantaine de bêtes) ne fut pas de tout repos. Le long des berges de l'Aveyron, la tendance des brebis à se précipiter brusquement dans une direction inattendue était facilement gérable. C'est devenu un peu plus délicat dans la montée de la rue Béteille, où les passants et les riverains ont eu droit à un étonnant spectacle. (Un des animaux se serait blessé lors d'une bousculade à l'entrée d'une boulangerie-sandwicherie. Un peu de sang a coulé, mais ce serait sans gravité.)

   Arrivées place du Bourg, les brebis ont été parquées dans un enclos amovible, où elles ont rapidement été entourées d'une foule considérable... et mitraillées par les téléphones portables. Durant presque deux heures, elles ont pu se reposer et se désaltérer, pendant qu'une animation était proposée à proximité, avec des oies et des chiens de berger.

   C'est en fin d'après-midi que les brebis se sont remises en marche, direction l'avenue Victor-Hugo puis le chemin de la Boriette, où les attendaient de vertes prairies, jouxtant la chapelle Notre-Dame de Pitié (numéro 3 ci-dessous).

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   A l'intérieur de celle-ci, on peut voir un fort joli plafond étoilé (de style marial, je crois) :

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   Plusieurs statues sont également visibles, certaines plus anciennes que d'autres. Ainsi, l'une d'entre elles représente Jeanne d'Arc. C'est un modèle de série qui doit dater du début des années 1920, peu de temps après la canonisation de la Pucelle (et la création d'une seconde fête nationale, celle du patriotisme).

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   Une autre sculpture est beaucoup plus ancienne, puisqu'elle date du XVIe siècle. Il s'agit d'une Vierge à l'enfant, classée monument historique. Mais je ne me souviens pas si elle se trouvait dans la chapelle lorsque je l'ai visitée.

dimanche, 17 juin 2018

Le Cercle littéraire de Guernesey

   ... et de la tarte aux pelures de pommes de terre, puisque tel est le nom complet du club éponyme, composé d'habitants de l'île anglo-normande de Guernesey, qui fut occupée par l'armée allemande durant la Seconde guerre mondiale.

   Il y a donc un aspect historique à l'intrigue. Pour les Britanniques, l'Allemand est surtout vu comme l'envahisseur que l'on repousse ou celui que l'on va combattre en France. A Guernesey, la population restée sur place a dû cohabiter, tant bien que mal, avec un occupant qui a pu se révéler odieux... ou sympathique. C'est ce que l'on découvre à la suite d'une série d'allers-retours entre les années 1940-1944 et l'après-guerre.

   A Londres, une jeune écrivaine (Lily James, vue récemment dans Baby Driver), qui commence à rencontrer le succès, échange des lettres avec un habitant de l'île. Grâce à lui, elle découvre une partie de l'histoire des habitants, mais elle meurt d'envie d'en savoir plus, pensant de surcroît en faire le sujet d'un article. Dans le même temps, sa vie personnelle est sur le point de basculer, en compagnie du dévoué mais très pressant Mark, un riche et séduisant Américain.

   Le séjour de Juliet sur l'île va tout changer. Elle est d'abord surprise de ne pas être aussi bien accueillie que ce qu'elle escomptait. C'est l'occasion pour le réalisateur Mike Newell (auteur jadis de Quatre Mariages et un enterrement) de nous dresser le portrait ironique de la vie provinciale sur cette île reculée, avec un entrelacs de relations humaines complexes, ses petits secrets et ses jalousies rances.

   Les personnages sont très bien campés, de la logeuse bigote au postier débonnaire, en passant par la veuve acariâtre, la vieille fille un peu fofolle et Dawsey, le charmant éleveur de cochons, qui ne laisse pas l'héroïne indifférente. Sur le groupe plane l'esprit de la plus rebelle de la bande, Elizabeth, dont l'absence est inexpliquée.

   Mêlant comédie romantique et drame historique, le film est subtil, emprunt de douceur. Il est furieusement moderne, parce que son intrigue suit les actions de deux femmes indépendantes, l'écrivaine et la rebelle, la Londonienne et la Guernesiaise, les hommes jouant un rôle plus secondaire. Il est toutefois d'un autre temps par la manière dont les sentiments sont exprimés (à entendre de préférence en version originale sous-titrée). C'est aussi un hommage à la littérature et à la lecture, à travers ces personnages ordinaires, qu'un festin de porc grillé va réunir, mais que la mort pourrait finir par séparer.

   C'est l'une des excellentes surprises du moment (avec Trois Visages).

19:55 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films

jeudi, 19 avril 2018

La Mort de Staline

   Cette "comédie historique" est l'adaptation d'une bande dessinée (française) à succès, initialement publiée en deux tomes, récemment rééditée en un volume :

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   Derrière la caméra, on trouve Armando Iannucci, remarqué il y a quelques années pour une autre satire politique, In The Loop. Si la bande dessinée et le film s'appuient (hélas) sur des faits incontestables, il ne s'agit pas d'un documentaire. Dans les détails, la réalité a été parfois un peu "aménagée", pour mieux servir l'intrigue. Mais je trouve que l'ambiance de fin de règne est très bien rendue, au service d'une farce, horrible certes, mais extrêmement drôle.

   Au cœur de l'intrigue se débat une bande de mâles dominants, jusqu'à présent soumis au mâle alpha qu'était Staline. La question est de savoir qui dans ce panier de crabes va tirer les marrons du feu. C'est là que le film surpasse la bande dessinée, grâce à l'interprétation magistrale d'une brochette d'acteurs confirmés.

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   Jeffrey Tambor met tout son talent à incarner Malenkov, le numéro 2 officiel qui, évidemment, n'a pas l'étoffe pour succéder à Staline. Il nous est présenté comme un être veule, lâche... et imbu de sa personne.

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   Le véritable numéro 2, l'exécuteur des basses œuvres, l'âme damnée de Staline, est Beria, le chef du NKVD (ancêtre du KGB), interprété avec brio par Simon Russell Beale (qui, à mon avis, mérite un Oscar). Parfois, il rend son personnage presque humain, alors que c'était une pourriture de la pire espèce, dont les travers ne sont qu'effleurés aussi bien par la bande dessinée que par le film.

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   Son principal rival est Khrouchtchev, auquel Steve Buscemi prête ses traits et sa faconde. S'il ne lui ressemble guère physiquement, il réussit à rendre crédible une vision du personnage, qui fut très proche de Staline... et sous-estimé par nombre de ses camarades.

   Au sein du Politburo du Comité central (du Parti communiste), ces trois-là sont entourés par d'autres communistes purs et durs, comme Kaganovitch, Mikoyan, Molotov (un peu "chargé" dans le film) et Boulganine, très bien interprété par Paul Chahidi. D'autres hommes jouent un rôle important : Vassili Staline, fils alcoolique et incompétent du dictateur, et surtout le maréchal Joukov, incarné avec une gourmandise évidente par Jason Isaacs :

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   Et les femmes là-dedans ? Ce sont essentiellement des proies, dont se repaissent les mâles dominants, en particulier Beria, même si ses faveurs allaient plutôt aux jeunes filles, qu'il faisait enlever à la sortie de l'école... Quelques figures émergent toutefois : la fille de Staline, Svetlana (Andrea Riseborough) et surtout la pianiste rebelle, qui a les traits d'Olga Kurylenko, qui apporte un peu de grâce et de lumière dans ce monde abject.

   La farandole commence à tourner dès le concert. Cette séquence initiale a pour but de nous faire comprendre la trouille qui régnait à l'époque en URSS. Staline gouvernait par la terreur... et tout le monde se croyait surveillé en (quasi) permanence.

   La mort du dictateur donne naissance à des scènes particulièrement jouissives. J'ai apprécié que le réalisateur ridiculise le potentat. Il en profite pour souligner l'arrivisme et la lâcheté de ses sbires, qui se bousculent pour paraître les plus affectés par la mort du Petit Père des peuples.

   Leur attitude contraste avec la ferveur, apparemment non feinte, des foules qui convergent vers Moscou pour rendre un dernier hommage au Guide du communisme. Dans le lot, il y en a sans doute qui font le déplacement pour s'assurer que le dictateur est mort, d'autres pour se faire bien voir... et beaucoup par émotion sincère (une sorte de syndrome de Stockholm à très grande échelle).

   Très vite, les vieux crabes communistes laissent tomber le masque de l'affliction pour se lancer dans la course à l'échalote. C'est vraiment savoureux, souvent cynique et sardonique. J'ai beaucoup ri à des scènes qui, pourtant, montrent des choses horribles (notamment des exécutions, présentées comme des actes anodins, tant le régime a déjà de sang sur les mains).

   Au final, le film ne constitue pas une belle leçon d'histoire, mais plutôt un exposé d'anti-morale politique, servi par un humour féroce. C'est indubitablement la comédie du moment.

   P.S.

   Le film a été tourné en anglais et, franchement, les acteurs sont tellement bons qu'on se contrefiche qu'ils ne parlent pas russe.

21:18 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, cinema, film, films

dimanche, 08 avril 2018

L'Eté de cristal

   Il y a environ deux semaines est décédé Philip Kerr, écrivain britannique connu pour ses polars. Il a situé l'intrigue de certains de ses romans dans le monde du football. Mais ce sont les aventures de Bernhard "Bernie" Gunther, détective dans l'Allemagne nazie, qui lui ont valu la reconnaissance internationale. Il y a quelques années, les premiers romans faisant intervenir ce personnage ont été retraduits et publiés en un volume, en collection de poche :

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   L'Eté de cristal constitue la première partie du volume. L'action démarre peu de temps avant les Jeux Olympiques de Berlin, en 1936. L'ancien policier, viré parce qu'il n'était pas un nazi militant, est devenu détective privé, mais évite d'enquêter sur les histoires d'adultère, qu'il juge trop dangereuses. Il parvient néanmoins à gagner sa vie avec les affaires de disparition, très nombreuses en Allemagne depuis 1933...

   Cette fois-ci, il va être recruté par un riche industriel, dont la fille et le gendre ont été retrouvés morts dans une maison incendiée... avec chacun une balle dans le corps. De surcroît, un collier de diamants et de mystérieux papiers ont disparu.

   Voilà Bernie embarqué dans une enquête périlleuse. Il doit veiller à ne pas marcher sur les plates-bandes de la Kripo (police criminelle), tout en se méfiant de la Gestapo : certains de ses membres s'immiscent dans l'affaire, à la demande d'Hermann Goering, qui connaît le riche industriel. S'ajoutent à cela les SS, qui s'inquiètent que l'un des leurs (le gendre) ait pu être assassiné. N'oublions pas non plus les voleurs et les assassins, qui n'ont pas intérêt à être retrouvés.

   Il faut donc un peu s'y connaître en histoire allemande (au besoin en révisant ici) pour savourer tout le sel de ce roman. L'auteur s'est visiblement beaucoup documenté et, même s'il prend parfois des libertés avec l'Histoire, le tableau qu'il brosse de la société urbaine allemande sous le IIIe Reich m'a l'air tout à fait fidèle. On y découvre notamment des aspects de la vie quotidienne, parfois méconnus.

   J'ajoute que c'est bien écrit (et traduit). L'histoire est racontée du point de vue du détective, un peu cynique, souvent sarcastique. Il n'hésite pas à tourner en ridicule tel personnage important ou tel élément de la propagande. Du point de vue des autorités, même s'il n'est pas nazi, il est relativement fiable car pas suspect de "philocommunisme". Il passe pour un conservateur modéré... mais Bernie finit par reconnaître qu'il lui est arrivé de voter SPD (socialiste) !

   Comme l'auteur s'inspire des romanciers américains du milieu du XXe siècle, il fait rencontrer quelques femmes fatales à son héros. Les deux plus marquantes sont l'actrice, seconde épouse du vieil industriel, et la journaliste intrépide, qu'il associe à son enquête, mais dont on finit par perdre la trace...

   Pour en savoir plus, il faut lire les aventures suivantes (La Pâle Figure et Un Requiem allemand), qui se déroulent en 1938 et 1947. A l'origine, je pense que le romancier n'avait pas prévu de s'attarder davantage sur son héros. Mais, comme ses livres ont rencontré le succès, il a, par la suite, écrit d'autres romans, dont l'action s'intercale entre ces trois oeuvres, ou les prolonge. En voici la chronologie (incomplète, toute l'oeuvre n'ayant pas encore été publiée en français) :

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jeudi, 05 avril 2018

Le Collier rouge

   Le centenaire du premier conflit mondial contribue à la sortie de nombreux films qui ont pour cadre cette guerre. Celui qui nous occupe est adapté du roman de Jean-Christophe Rufin (que je n'ai pas lu). Les spectateurs se retrouvent dans les pas du juge militaire (François Cluzet, correct, sans plus) chargé d'enquêter sur un mystérieux crime ("une connerie", disent certains personnages), celui commis par Morlac, soldat décoré au tempérament révolutionnaire.

   Le scénario est suffisamment bien construit pour que l'on suive la majorité du film sans savoir exactement ce que l'on reproche à l'ancien poilu. On se doute que c'est lié à son chien (qui l'a accompagné à la guerre et veille sur lui de l'extérieur de la prison), mais on ignore exactement pourquoi. Dans le rôle du prisonnier, Nicolas Duvauchelle (dont on a déjà pu apprécier le talent dans Je ne suis pas un salaud) est très bon... même s'il n'est pas très crédible en faucheur, dans la scène qui nous le montre aux foins.

   Lantier (Cluzet) mène l'enquête. Le profil psychologique de l'accusé l'intrigue. En 1919, les élites françaises se méfient comme de la peste de tout ce qui peut ressembler à un Bolchevique. Mais le gars est aussi un héros de guerre. L'officier va recevoir l'aide d'un gendarme débonnaire (incarné par Patrick Descamps).

   Pour résoudre cette énigme, Lantier doit rencontrer Valentine (Sophie Verbeeck), l'ancienne compagne de Morlac (séparée de lui pour on ne sait quelle raison), ainsi qu'une vieille dame aveugle qui prend soin du chien. De son côté, le gendarme va recueillir de précieuses informations auprès du simplet du village, qui a vu des choses mais n'est pas facile à trouver... et à coincer.

   A cela s'ajoute le récit de Morlac qui, du fond de sa cellule, va commencer à parler avec Lantier, dont il sent qu'il n'est pas aussi obtus que la majorité des officiers de son rang. Cela nous vaut quelques retours en arrière, dans les tranchées, notamment dans l'est de la France métropolitaine. La meilleure séquence est à mon avis celle qui se déroule dans les Balkans (Morlac ayant été reversé dans l'armée d'Orient). L'histoire de la fraternisation avec les Bulgares, en présence des Russes, est bien mise en scène.

   En dépit de toutes ces qualités, je n'ai pas été emballé. Il y a quelques maladresses. Certaines scènes de dialogue auraient dû être retournées. Et puis il y a ce penchant un peu prononcé... C'est une forme de "politiquement correct" de gauche. La guerre, c'est pas bien, les puissants sont des salauds, le patriotisme c'est de la merde... C'est tout de même un peu simpliste. Mais ça se laisse regarder sans déplaisir, d'autant plus que le chien (deux chiens en réalité, des beaucerons) est épatant !

15:01 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film, films

mercredi, 28 février 2018

La Juste Route

   Ce film en noir et blanc a pour cadre la Hongrie de l'immédiat après-guerre. En 1945, un bourg est en fête : l'épicier local marie enfin son fils, avec une fille de paysans (auparavant entichée d'un gars parti rejoindre la résistance communiste). Au village, tout le monde (ou presque) s'y prépare. Dans le même temps, à la gare ferroviaire voisine, descendent deux rescapés de la Shoah, qui transportent avec eux deux mystérieuses caisses, qui contiendraient des parfums ou des articles d'hygiène.

   Très vite, la nouvelle se répand dans le village. L'intrigue se déploie alors sur deux plans : on suit le parcours des juifs (à pieds) et des deux caisses (sur un chariot), de la gare jusqu'au centre du village. On ne sait pas trop où ils vont exactement ni ce qu'ils viennent faire ici... d'autant que les deux hommes (un âgé, l'autre jeune adulte) sont quasiment mutiques.

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   Au sein de la population du village, trois familles semblent en savoir plus. La venue de ces juifs ne les arrange pas du tout et réveille des souvenirs que l'on voudrait bien voir rester enfouis. C'est un peu comme si un battement d'ailes de papillon était sur le point de provoquer la naissance d'un cyclone dans ce village.

   Le plus gratiné est l'épicier, qui est aussi secrétaire de mairie. Dans l'arrière-boutique, il conserve un étrange album de famille. Quant au coffre de la mairie, il renferme quelques documents compromettants. Plusieurs des adultes du village sont prêts à en découdre avec les arrivants, bien que ceux-ci ne formulent a priori aucune revendication ni menace. D'un autre côté, certains habitants ne supportent plus cette ambiance délétère, ni le poids de la culpabilité.

   C'est tout l'intérêt de ce film que de montrer les différentes attitudes des habitants et les conséquences de leur choix sur leur vie de tous les jours. Il convient aussi d'éclaircir le mystère de la présence de ces voyageurs, qui ne sont pas du village, mais sont peut-être apparentés à certains des habitants.

   C'est un petit film bien ficelé, bien filmé, qui joue beaucoup sur le non-dit. Dans sa conclusion, il est assez ambigu, mais à nous, Français, dont le pays a aussi connu une période d'occupation allemande (et un gouvernement collaborateur), il évoque bien des choses.

samedi, 24 février 2018

Pentagon Papers

   Le titre "français" du dernier film de Steven Spielberg est une nouvelle illustration du snobisme de certains distributeurs, qui remplacent le titre d'origine (en anglais), non pas par un équivalent en français, mais par... un autre titre anglais ! (On a récemment vu le même procédé à l'œuvre pour The Passenger et 24H Limit.)

   The Post (dans la version originale, dont nous avons d'ailleurs pu bénéficier au CGR de Rodez... un mois après la sortie du film) raconte comment un rapport secret, faisant le bilan de la politique américaine au Vietnam, a fini par être publié, au début des années 1970, d'abord par le The New York Times (pas très content de la manière dont cette histoire est contée par Spielberg), puis par The Washington Post.

   Ce film est donc une ode à la liberté de la presse (démocrate), une dénonciation de l'unilatéralisme du pouvoir présidentiel (incarné ici par Richard Nixon, dont les coups de fil du soir sont sans doute une allusion aux tweets nocturnes de son lointain épigone) et l'histoire de l'affirmation professionnelle d'une femme, Katharine Graham (magistralement interprétée par Meryl Streep).

   C'est tourné comme un film d'espionnage, avec ses rendez-vous secrets, ses documents ultra-confidentiels, ses coups fourrés et ses (petites et grandes) trahisons. Fidèle à son style, Spielberg a aussi voulu rendre hommage et faire œuvre d'historien. Certaines scènes ont donc un but strictement documentaire, comme celles qui montrent la machinerie d'une entreprise de presse, de la conception à l'impression et la distribution des journaux.

   Les comédiens ont dû se fondre dans leur rôle, d'autant plus que nombre d'acteurs de l'époque sont encore vivants, ou du moins très présents dans les mémoires, outre-Atlantique. Voilà donc Meryl Streep et Tom Hanks (excellent en rédac' chef roublard) dotés de coiffures aussi originales que démodées :

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   Deux personnages se trouvent au centre de l'intrigue. Il y a tout d'abord le (premier) lanceur d'alerte, Daniel Ellsberg, qui va être la source primaire du Times puis du Post. A travers lui, Spielberg veut rendre hommage à ses lointains successeurs, comme Bradley Manning et Edward Snowden (qui, lui, a déjà eu les honneurs d'un documentaire et d'une fiction signée Oliver Stone)... persécutés sous une administration démocrate (celle d'Obama).

   Il y a surtout cette "Kay" Graham, l'héritière du Washington Post, qui a dû succéder en catastrophe à son mari infidèle (et suicidaire). C'était il y a plus de quarante ans. A l'époque, la presse était dirigée et rédigée par des hommes, qui ne concevaient pas qu'un esprit en jupon puisse rivaliser avec eux. De surcroît, bien que connaissant parfaitement ce milieu, Kay Graham passait au départ pour une simple rentière. La mise en scène de Spielberg (bien aidée par l'interprétation de M. Streep) se charge de nous faire comprendre quelle était la pression qui pesait sur les épaules de cette femme. Au début, elle tâtonne, intimidée malgré sa connaissance des dossiers. Le film montre sa progressive montée en puissance, jusqu'à cette très belle scène, un soir de réception, dans un salon où, face à une troupe de vieux mecs en costume, Kay va tenir bon. C'est le grand talent de Spielberg que d'avoir réussi à créer quelques-uns de ces moments jubilatoires qui font passionnément aimer le cinéma.