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mardi, 04 juillet 2023

Rheingold

   Selon l'un des personnages de ce biopic allemand, l'or du Rhin est censé rendre immortel. C'est une allusion à l'opéra de Richard Wagner (qui trouve sa conclusion dans le clin d’œil final). Le sens qui lui est donné est musical. La reconnaissance et la célébrité (versions contemporaines de l'immortalité) sont d'abord acquises par le père du héros, compositeur réputé, qui accède à la fonction de chef d'orchestre. Quant à son fils, Giwar Hajabi, c'est le rap (après bien d'autres choses...) qui permet son élévation, dans tous les sens du terme.

   Cette nouvelle illustration du petit gars d'origine modeste qui va se faire un nom après avoir surmonté d'atroces épreuves ne manque pas d'originalité. L'histoire commence en Iran, au moment où le régime du Shah cède la place à la République islamique. Le père y est déjà un compositeur et chef d'orchestre de renom, sa compagne étant musicienne. Tous deux sont kurdes... et opposés au nouveau régime, contre lequel la mère du héros va jusqu'à prendre les armes. Les parents connaissent les prisons iraniennes, avant de fuir, d'abord en Irak, puis en France, avant de s'installer en Allemagne.

   Le jeune Giwar est programmé pour succéder à son père dans la carrière musicale. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Le père peine à communiquer sa passion rigoureuse pour la musique... et la vie des réfugiés politiques dans un quartier populaire allemand n'est pas de tout repos. Turcs, Iraniens, Palestiniens, Marocains et Kurdes se croisent, s'entraident ou se bastonnent dans une ambiance de trafic de drogue et de vols de CD. (On est dans les années 1990.) Après l'épisode iranien (vu essentiellement sous la forme de retours en arrière), très réussi, Fatih Akin (auquel on doit, entre autre, In The Fade) accroche les spectateurs avec sa représentation du quartier multiethnique et des tensions qui le traversent.

   La déchéance socio-économique de la famille de Giwar est suivie d'une première élévation, par la force (à coups de poings), puis par les combines (sous la houlette d'un chef de clan kurde). Dans le même temps, Giwar ressent à nouveau de l'attirance pour la musique, mais pas celle prônée par son père. Il croise des rappeurs (et même une prostituée rappeuse) et, surtout, un habile arrangeur. C'est vraiment intéressant... à ceci près que les paroles des "chansons" que l'on entend ne sont pas à l'honneur des apprentis artistes. On y parle beaucoup de « pognon », de « putes » (sauf maman, qui est une sainte) et de « chattes »... Les pseudo-rebelles au micro se proposant de saisir les dames par la même partie de leur anatomie que Donald Trump... (On nage en pleine « masculinité toxique ».) Akin n'a pas beaucoup de recul vis-à-vis du "machisme de banlieue", à part sur la fin, quand il insère une vision de la mère, qui fait modifier les paroles d'une de ses chansons à son délinquant de fils.

   Celui s'est d'abord lancé dans le trafic de drogue, où il rencontre des fortunes diverses. Le fonctionnement du clan kurdo-turc bénéficie d'une réalisation efficace, avec (notamment) une scène de règlement de compte qu'on ne voit absolument pas venir. Giwar finit par se lancer dans le braquage d'un fourgon de transport de fonds, dans une séquence assez emballante. Les braqueurs ont un petit côté pieds nickelés... mais ils réussissent, dans un premier temps, à berner des policiers de fort belle manière.

   Une autre séquence (fractionnée en plusieurs morceaux) est marquante : celle de l'emprisonnement en Syrie, où le trafiquant se croyait à l'abri. Le problème (pour lui et son acolyte) est qu'il y débarque juste avant le printemps arabe. Le temps va se gâter pour lui, d'autant que beaucoup de monde est à la recherche de l'or volé. Cette partie est peut-être la plus atroce, entre cellules surpeuplées (et organisées de manière communautaire) et séances de torture.

   Je laisse à chacun(e) le loisir de découvrir comment tout ceci se termine.

   Si l'on supporte les à-côtés peu reluisants du monde du rap, ce film est à voir. Il est très bien fichu et nous plonge dans l'envers du "miracle allemand". L'acteur principal, Emilio Sakraya, est une révélation. Le paradoxe est que, vu la manière dont il a été mis en scène, le film conviendra aussi bien à celles et ceux qui apprécient de voir représentées les difficultés auxquelles sont confrontés les immigrés dans les sociétés occidentales qu'à celles et ceux qui estiment que ces immigrés (authentiques réfugiés ou pas) sont, en partie, la cause de leurs problèmes et de ceux du pays d'accueil, compte tenu des activités délictuelles dans lesquelles ils sont impliqués.

lundi, 19 juin 2023

Sexygénaires

   Cinq ans après La Finale, Robin Sykes nous propose une nouvelle "comédie sociétale" autour du troisième âge, là encore avec Thierry Lhermitte. L'ancien Popeye du Splendid porte beau et le scénario mise là-dessus pour nous plonger dans les difficultés d'un hôtel-restaurant de luxe (un peu vieillissant lui aussi)... et dans le monde du mannequinat aux tempes argentées.

   Le début plante le décor de manière classique : Michel (T. Lhermitte) dirige son établissement varois avec passion, faisant passer sa vie personnelle au second plan. On est de tout cœur avec cet homme aimable, veuf inconsolable, qui met sa stabilité financière personnelle en jeu pour tenter de sauver son entreprise (et son personnel). On n'est pas vraiment surpris de découvrir que son vieil ami et associé, Denis, installé à Paris, est en fait un combinard de première. Mais c'est de cet ami que va peut-être venir la solution à ses problèmes.

   Dans le rôle du raté sympathique (Denis), Patrick Timsit livre sans doute la prestation que l'on attendait de lui. Son personnage doit inspirer de la pitié... mais, surtout, agacer (objectif plus qu'atteint) et placer Michel dans des situations délicates.

   Le duo fonctionne bien, parce qu'il est particulièrement contrasté... trop même. Michel n'a quasiment que des qualités et Denis en fait vraiment des caisses.

   Heureusement qu'il y a la distribution féminine. Zineb Triki (vue récemment dans Vortex) est parfaite en agente ambitieuse, organisée, séduisante et... sans tabou. Marie Bunel offre un contrepoint intéressant aux deux principaux personnages masculins : elle est de la même génération, a réussi de son côté... et a de beaux restes, comme on dit. Sur le plan comique, il faut signaler la prestation de la toujours piquante Olivia Côte, en photographe allumée, qui n'hésite pas à bousculer ses modèles... et à se montrer délicieusement grossière. D'autres seconds rôles sont aussi bien campés.

   Voilà. Ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais c'est au final assez plaisant et cela dure à peine 1h20.

dimanche, 18 juin 2023

Sick of myself

   Présenté à Cannes l'an dernier, dans la catégorie « Un certain regard », ce film norvégien n'est pas sans rapport avec une autre œuvre scandinave, la Palme d'or 2017, The Square, du Suédois Ruben Östlund (qui, lui, est reparti de l'édition 2022 avec une seconde palme, pour Sans filtre).

   Dans les deux films il est question de l'art contemporain, de posture, de snobisme et de narcissisme. Mais, ici, le réalisateur ne s'intéresse pas tant à l'élite de l'art contemporain qu'à celles et ceux qui essaient de la rejoindre. Le couple de héros est formé d'un créateur qui commence à percer, un jeune homme plutôt bien de sa personne, habile et charmeur, qui a une haute opinion de lui et aime s'écouter parler. Sa compagne, Signe, une ravissante blonde, est... serveuse, mais a des prétentions artistiques. Surtout, elle a désespérément besoin qu'on s'intéresse à elle.

   La première partie du film est un délice de mauvais esprit, à froid (à la scandinave). Les deux "héros" y apparaissent assez pathétiques. Les dialogues, ciselés, nous font vite comprendre à quel point le couple est asymétrique. J'ai particulièrement aimé certaines séquences, celle au cours de laquelle la serveuse sauve la vie d'une femme mordue par un chien et celle du dîner mondain, au cours duquel la jeune femme simule une allergie à la noix.

   Elle est prête à tout pour devenir le centre de l'attention, y compris à devenir malade. Le personnage devient encore plus pathétique et déplaisant... mais c'est compensé par l'ironie qui irrigue la mise en scène des conséquences de son activisme. Là, il convient d'être particulièrement attentif : certaines scènes sont fantasmées, d'autres réelles. A plusieurs reprises, Signe imagine quel degré de célébrité elle pourrait atteindre (et comment).. ou quelles pourraient être les conséquences négatives de ses actes. Je crois ne pas trop en dévoiler en affirmant que la jeune femme arrive plus ou moins à son but. Cela la conduit à une agence "inclusive", dont la patronne promeut une mode et une communication "éthiques". On ne s'étonnera donc pas qu'elle ne travaille quasiment qu'avec des "minorités" dans tous les sens du terme : son assistante est aveugle, une autre employée est noire et sa précédente "pouliche" est un mannequin n'ayant qu'une main... C'est dire le potentiel qu'elle voit dans une jeune femme défigurée, victime supposée d'une maladie inconnue !

   Avis aux âmes sensibles : le réalisateur Kristoffer Borgli pousse le bouchon vraiment très loin. J'ai pensé aux œuvres de David Cronenberg et au Rock'n Roll de Guillaume Canet. C'est donc plutôt à réserver à un public averti... même si je pense que les ados d'aujourd'hui tireraient le plus grand profit de la vision de ce film.

lundi, 01 mai 2023

Le retour de l'ours

   Le mois dernier, j'ai recommandé le sympathique nanard Crazy Bear, dont l'intrigue s'inspire d'un fait divers remontant aux années 1980. Eh bien cette histoire a resurgi samedi dernier, lorsque M6 a diffusé le quatrième épisode de la vingtième saison de la série NCIS, intitulé (en français) Les Jolis Coeurs.

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   L'enquête se déroule en partie dans un parc naturel américain, où l'on retrouve le cadavre d'un marine. Un peu plus tard, l'un des protagonistes doit échapper aux assauts d'un ours furibard. L'homme, au centre ci-dessus, est membre de la police des parcs... et c'est l'ex-petit ami de l'une des nouvelles enquêtrices du NCIS, la bimbo Jessica Knight (à gauche ci-dessus).

   Le fait que l'ours ait consommé une substance hallucinogène joue un rôle dans l'intrigue, au cours de laquelle le chef de l'équipe, l'agent Parker (à droite sur la photographie) rappelle l'histoire de "Cocaine Bear", que, dans l'épisode, on surnomme "Pablo Ourscobar" (en français) ou "Pablo Escobear" (en anglais).

   Cela épice un peu ces aventures un peu quelconques, la série ayant perdu beaucoup de son intérêt après les départs de plusieurs acteurs : Emily Wickersham, Maria de Bello et surtout Mark Harmon, l'insubmersible Gibbs, désormais trop vieux pour le rôle.

   Concernant l'ours, cet épisode ayant été diffusé aux États-Unis en octobre 2022, il a donc précédé la sortie sur les écrans de Crazy Bear (en février 2023 outre-Atlantique). La coïncidence n'en est pas moins troublante. Je me demande si les scénaristes de l'épisode n'avaient pas entendu parler du tournage du long-métrage.

samedi, 08 avril 2023

Les Petites Victoires

   Plutôt réticent au départ, j'ai fini par me décider à voir ce film, en raison de très nombreux retours positifs dans mon entourage. Il faut dire que la distribution est alléchante : outre les têtes d'affiche Julia Piaton et Michel Blanc (dans un rôle proche de celui qu'il interprétait dans Je vous trouve très beau), on croise India Hair, Lionel Abelanski, Marie Bunel et... Marie-Pierre Casey ! Elle interprète Jeannine, une retraitée souffrant de la hanche, qui, aujourd'hui, aurait bien du mal à dépoussiérer une grande table de salon.

   Derrière la caméra se trouve Mélanie Auffret, dont j'avais déjà aimé Roxane. Elle a ce talent pour, d'une part, créer une comédie propre à favoriser la sécrétion de dopamine et d'endorphine, d'autre part, évoquer ce monde rural qui souffre, mais qui, souvent, n'obtient l'attention des médias dominants qu'en cas de drame ou pour véhiculer une image de carte postale.

   Les petites victoires en question ne sont ni d'ordre militaire (on est loin d'Austerlitz), ni d'ordre sportif, politique ou économique. Le village breton (des Côtes-d'Armor) n'héberge ni artiste célèbre, ni richissime startupper, ni recordman du monde... mais on y admire quand même Kylian Mbappé. Le scénario fait l'éloge des exploits du quotidien, comme réapprendre à lire, rouvrir un commerce local, oser exprimer ses sentiments... L'intrigue est peuplée de "gens normaux"... mais pas trop.

   Émile est un retraité illettré (ancien carreleur), célibataire malgré lui... et caractériel. J'ai bien aimé la manière dont la réalisatrice fait émerger le problème dont il souffre, avec les implications que cela a. Petit à petit, on découvre les stratégies qu'il avait mises en place (pour passer le permis de conduire, livrer des journaux, faire les courses...). Cela sonne juste... et cela permettra peut-être à une partie du public de découvrir la situation d'une frange méconnue de la population française.

   A cette intrigue principale se greffe un contexte particulier, celui d'une commune en déclin (peuplée de moins de 500 habitants), sans boulanger, ni médecin... ni bar ! Ne reste que l'école primaire, à classe unique, à son tour menacée de fermeture.

   La lutte de ces Indiens des temps modernes en rappelle d'autres, mais elle est mise en scène avec un certain dynamisme et un sens indéniable de la cocasserie. Plusieurs scènes sont particulièrement bien troussées, comme celle de l'utilisation d'une application de rencontre... et celle au cours de laquelle la maire découvre ce qu'il se passe réellement dans la boulangerie-épicerie récemment rouverte. Cela prend une tournure âpre... avant qu'une chute inattendue ne détende l'atmosphère.  (La réputation des forces de l'ordre ne sort pas grandie de cet épisode...)

   J'ai aussi apprécié que ce nouveau feel good movie ne prenne pas trop l'allure d'un conte de fées. On a évité de faire de l'héroïne trentenaire célibattante une jeune femme en quête éperdue du grand amour qui va changer sa vie. S'ajoute à cela une conclusion plus subtile que prévue concernant le devenir de l'école.

   Au final, même si le film est farci de "politiquement correct" (la classe métissée au fin fond de la Bretagne, l'exposé "thunbergien" sur le climat à l'école, la réconciliation générale autour de boissons alcoolisées...), j'ai passé un très bon moment.

jeudi, 06 avril 2023

Bonne conduite

   Il est difficile de résumer ce qu'est cet improbable film de Jonathan (bien) Barré. Cela commence comme un thriller vengeur, empreint de bretonnitude. Il manque sans doute une case ou deux à la serial killeuse (on comprend plus tard pourquoi), de surcroît assez maladroite. C'est qu'on ne s'improvise pas tueuse en série du jour au lendemain ! Dans le rôle de cette moderne Némésis, Laure Calamy n'était peut-être pas le meilleur choix (une actrice plus athlétique aurait sans doute mieux convenu), mais elle ne manque pas d'allant. Elle s'est de plus pleinement investie dans un personnage tragicomique auquel elle évite de sombrer dans le ridicule.

   Elle bénéficie aussi d'un entourage masculin très bien choisi. Le duo d'antagonistes qu'elle forme avec Tchéky Karyo m'a bien plu, tout comme l'intervention du binôme d'enquêteurs (les compères Marsais et Ludig), suffisamment professionnel pour s'approcher régulièrement de la conclusion de l'enquête... et suffisamment crétin pour à chaque fois passer à côté de l'évidence (voir la scène au cours de laquelle on découvre le nom d'un bateau).

   L'intrigue surprend parce qu'à la soif de vengeance s'ajoutent un trafic de drogue, une croisade antiradars... et une peinture peu reluisante de la délinquance routière. Même s'il est évident qu'on est là d'abord pour rigoler (fût-ce de manière macabre), on sent à plusieurs reprises poindre la volonté de faire toucher du doigt ce que représentent chaque année tant de drames routiers. A cet égard, la plus belle scène se trouve à la fin, quand l'héroïne est sur le point d'accomplir sa vengeance suprême... mais une surprise est au-rendez-vous, qui donne une belle profondeur à l'histoire. (Joli caméo d'Olivier Marchal, soit dit en passant.)

   D'un point de vue technique, outre la réutilisation des codes des films de genre, on peut noter aussi la volonté de mettre en scène les "moments inutiles" d'une intrigue de film à suspens, ces espaces intermédiaires au cours desquels les protagonistes accomplissent des gestes anodins, réputés ralentir l'action, voire casser son rythme. Ici, au contraire, le réalisateur se délecte de ces moments cocasses, parfois gênants, qui font de son film une œuvre inclassable, source de délassement.

mardi, 17 janvier 2023

Les Survivants

   Au sens littéral, ces survivants sont des migrants, rescapés de la traversée de la Méditerranée, qui tentent un nouveau passage périlleux, celui des Alpes, à la frontière franco-italienne. Au sens figuré, les survivants sont sont ceux qui peinent à surmonter une perte (le décès d'un.e proche).

   Dans le rôle de la migrante, on trouve Zar Amir Ebrahimi, révélée au public international par Les Nuits de Mashhad. Dans le rôle du montagnard fracassé par la vie, on a Denis Ménochet, acteur à la filmographie éclectique, remarqué notamment dans Seules les bêtes.

   L'intérêt repose sur trois éléments : l'utilisation du cadre alpin, à la fois magnifique et oppressant, la relation ambiguë qui se noue entre le passeur et la migrante et le choix de traiter l'intrigue sous la forme d'un thriller. La montée progressive en tension est bien maîtrisée, avec une séquence particulièrement remarquable, celle tournée dans un hôtel-restaurant à l'abandon, un labyrinthe où tout semble possible, en particulier le pire.

   J'ai aussi bien aimé l'idée que chaque membre du duo apporte quelque chose à l'autre. Samuel fait profiter Chehreh de sa connaissance de la montagne. Celle-ci se révèle très utile face à la menace qui pointe (celle de la traque menée par les identitaires) : elle est habituée à fonctionner en mode survie. Cette entraide se double progressivement d'une meilleure compréhension mutuelle, d'où la tendresse n'est pas absente...

   Le gros problème est le traitement manichéen du sujet. On ne laisse aucune liberté aux spectateurs, sommés de compatir pour le duo de héros, tandis que leurs antagonistes anti-immigration sont dépeints de la pire des manières, le sommet étant atteint avec la caractérisation du personnage de Justine (très bien interprété par Victoire du Bois, ceci dit). On ne peut pas ne pas détester le trio de traqueurs, alors que la migrante est si sympathique, à la fois belle, forte et fragile, le passeur faisant immanquablement penser à un gros nounours, affectueux, un peu maladroit... et parfois en colère.

   C'est vraiment dommage, parce qu'il y avait un beau sujet de société à traiter, que le réalisateur a escamoté pour mettre l'accent sur la relation entre Samuel et Chehreh.

lundi, 05 décembre 2022

Un P.V. approximatif

   La chaîne de télévision Chérie 25 rediffuse actuellement la série policière Deux Flics sur les docks. Je ne l'avais jamais regardée auparavant, lorsqu'elle était programmée sur France 2. L'épisode que j'ai récemment vu est le douzième et dernier de la série. Il est intitulé "Amours mortes". J'en ai trouvé l'intrigue bien construite et les acteurs (notamment Jean-Marc Barr et Bruno Solo) plutôt convaincants. Mais un document, visible vers la fin, m'a interpellé :

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   Il s'agit d'un procès-verbal d'audition, celle d'un suspect par un officier de police judiciaire (un capitaine en l'occurrence). A ce moment de l'intrigue, la personne interrogée signe la première page du P.V., qu'on pense rédigé par le capitaine (d'après les déclarations du suspect)... mais c'est truffé de fautes de français. J'ai mis les principales en exergue :

- "croisé" au lieu de "croisée", puisque le complément d'objet direct ("l"), placé avant le verbe, remplace Amandine

- "il a finit" au lieu de "il a fini", le participe passé du verbe finir (lorsqu'il ne s'accorde pas) s'écrivant sans "t" final

- "honfleur" au lieu de "Honfleur", le nom d'une commune prenant une majuscule ; il est d'ailleurs correctement orthographié plus haut dans le P.V.

- "du" au lieu de "dû", participe passé (masculin singulier) du verbe avoir ; l'accent circonflexe permet de distinguer ce participe passé de l'article contracté

- "est parti" au lieu de "est partie", puisque le sujet (voiture) est féminin

- "repartie" au lieu de "reparti", là au contraire parce que le sujet ("je") est un jeune homme

   Si encore cela avait été manuscrit, on aurait pu faire porter le poids de l'incorrection orthographique sur les épaules du jeune homme. Là, soit on a voulu montrer (de manière très furtive) que les OPJ ne sont pas des experts en langue française, soit la "petite main" chargée de rédiger le faux P.V. pour la production mériterait de retourner à l'école primaire...

samedi, 26 novembre 2022

She Said

   Elle a dit... mais on ne l'a pas écoutée. Ou alors, elle n'a pas osé dire... et personne ne lui a demandé. L'affaire Weinstein et la dénonciation du harcèlement sexuel (ainsi que du viol) à Hollywood sont au cœur de ce film militant, qui démarre par un détour... en 2016, avec Donald Trump. La misogynie du personnage est connue (et, soit dit en passant, ne semble pas déranger ses électrices). Son rappel, juste avant les mid-terms de 2022 (le film a commencé à être projeté en octobre dernier aux États-Unis) n'était évidemment pas anodin.

   Mais avant cela, on nous projette en Irlande, en 1992. On sent que quelque chose de très désagréable est arrivé à une ado. Il faut attendre plus d'une heure pour comprendre les dessous de cette histoire (et son importance dans le déroulement de l'affaire), lorsqu'une journaliste du New York Times retrouve la jeune femme, devenue mère de famille, loin du monde du cinéma.

   C'est un film-dossier et un hommage au travail des journalistes, symboles de ce « quatrième pouvoir » qui est bien utile quand les autres baissent les bras ou ferment les yeux. On pense à Dark Waters et aux Hommes du président, surtout dans les scènes filmées au sein de la rédaction du Times. C'est classique, mais efficace, avec Maria Shrader (I'm your man) derrière la caméra

   Même si (comme moi), on a suivi l'évolution de l'affaire, le film conserve l'attrait d'un polar haletant. Pour les journalistes, il s'agit d'identifier les victimes, d'arriver à les faire parler, de trouver des témoins et de s'appuyer sur les documents qui permettraient de corroborer leurs affirmations. Le scénario et le montage ont pour objectif de montrer l'ampleur (et la difficulté) de ce travail, les scènes professionnelles alternant avec la vie privée des héroïnes. Toutes deux sont heureuses en ménage, avec un compagnon compréhensif. Toutes deux sont mères... et, parfois (souvent ?) la vie professionnelle empiète sur la vie privée.

   Les actrices (Zoe Kazan et Carey Mulligan) sont épatantes. Elles peuvent s'appuyer sur des personnages secondaires bien campés... ainsi que sur certaines des protagonistes de l'affaire, qui jouent leur propre rôle.

   Je ne suis pas un inconditionnel du mouvement MeeToo, qui a donné lieu à des dérives (au nom du « name and shame »), mais je trouve passionnante la démarche des journalistes, qui ont mené une enquête serrée pour dénoncer un prédateur sexuel et mettre fin à ses agissements.

samedi, 08 octobre 2022

Novembre

   La sortie du film de Cédric Jimenez, consacré aux premiers jours de l'enquête judiciaire consécutive aux attentats du 13 novembre 2015, est l'événement de la semaine. Ces dernières années, du côté français, la fiction s'est plutôt intéressée aux terroristes, par exemple avec La Désintégration (de Philippe Faucon) et Made in France (de Nicolas Boukhrief). Du côté des forces de l'ordre, on n'a guère que L'Assaut à se mettre sous la dent.

   C'est la première originalité de film de Jimenez : il suit pas à pas l'évolution d'une galerie de policiers, de grades différents, de fonctions différentes, appartenant à des services et des unités différents. Par sa diversité (et grâce à un montage nerveux), ce patchwork n'est pas sans rappeler le Short Cuts de Robert Altman.

   L'histoire commence pourtant de tout autre manière. L'action se déroule en Grèce. Plusieurs forces antiterroristes (grecques, françaises, américaines...) interviennent conjointement pour "serrer" les membres d'une cellule... surtout un, en fait. La conclusion de cette intervention a eu des répercussions, jusqu'en France...

   C'est aussi l'occasion de découvrir le "héros" de l'histoire, un commissaire pugnace, habité par son travail, formidablement incarné par Jean Dujardin. (Dans le jeu de l'acteur, quel contraste avec le dernier OSS 117 !)

   Une ellipse nous conduit à Paris, quelques mois plus tard. la tension est retombée. La population, qu'elle soit au travail ou sortie pour se détendre, suit plus ou moins attentivement le match de football qui se déroule ce soir-là au Stade de France. Parmi les anonymes, des policiers sortis du boulot, qui vont vite être rappelés.

   Commence alors une course contre-le-montre. Une fois les attentats commis, il s'agit de mettre la main sur les terroristes encore vivants, en fuite. Les policiers en viennent rapidement à penser que les tueurs ont une dernière cible en tête. La mise en scène, survitaminée, nous met dans les pas des policiers, entre filatures, écoutes téléphoniques, interrogatoires, consultation des bases de données, échanges d'informations entre services... C'est passionnant. Les scénaristes ont visiblement consulté le rapport parlementaire de juillet 2016 (en particulier le tome 1, pages 42-53 et 61-69). Ils semblent avoir aussi puisé dans des sources annexes. Bref, c'est documenté, mais ne vise pas à l'exhaustivité : on a fait des choix (pertinents), pour tenir la ligne dramatique du sujet.

   Le film a l'élégance de ne pas sombrer dans le pathos. Des rescapés nous sont montrés, à l'hôpital, interrogés par des policiers. C'est digne sans être appuyé. Ces moments touchants constituent presque des pauses de douceur dans la course frénétique pour tenter d'attraper les suspects.

   J'ai aussi apprécié que les personnages des tueurs ne soient pas développés. Ce sont des ombres, qui parviennent longtemps à filer entre les doigts de la police. Les deux femmes musulmanes sont des exceptions. L'une est la cousine de l'un des terroristes, l'autre une amie qui l'héberge. Ce sont d'ailleurs, selon moi, les deux personnages féminins les mieux incarnés. Ils sont plus convaincants que ceux des policières, que j'ai trouvé un peu caricaturaux (ou pas suffisamment crédible : Anaïs Demoustier en Inès... bof).

   Viennent alors les questionnements autour du personnage de Samia, la logeuse qui informe la police (très bien interprétée par Lyna Khoudri). En contradiction avec la réalité, les scénaristes ont choisi d'en faire une musulmane intégriste (voilée)... mais qui ne soutient pas le terrorisme. Certains y verront un prêchi-prêcha gauchisant, tendant à faire accepter à la masse de la population française que les femmes voilées sont tout à fait respectables. D'autres y verront plutôt une forme de propagande à destination de nos concitoyens musulmans, tentant de leur faire admettre l'idée qu'un musulman, même très pieux, ne peut pas soutenir des terroristes. Choisissez votre version !

   Cette tension converge vers l'apogée que tout le monde attend : l'assaut du dernier repaire des terroristes. Cette séquence tonitruante, filmée dans une semi-obscurité, est particulièrement impressionnante, dans une grande salle. (J'ai un peu pensé à la fin de Zero Dark Thirty.) Elle conclut de manière magistrale un très bon film d'action, qui ne juge pas ses personnages, mais qui met l'accent sur ceux qui ont choisi de défendre la vie.

mercredi, 28 septembre 2022

Poulet frites

   L'équipe de l'émission Strip-tease est de retour dans les salles obscures avec un documentaire qui se regarde à la fois comme un grand reportage en immersion et comme un polar dont on tente d'élucider l'énigme.

   C'est filmé en noir et blanc, souvent caméra à l'épaule, mais sans agitation frénétique. Les spectateurs de 2022 seront surpris de découvrir les enquêteurs d'une brigade criminelle bruxelloise en train de travailler sur des ordinateurs dotés d'un moniteur à tube cathodique : on est en 2003, comme nous l'apprend indirectement un calendrier punaisé au mur. Pas de smartphone à l'époque, rien que des fixes et des portables rudimentaires, les fameux « GSM ».

   Pendant 1h40, on suit une seule enquête, sur le meurtre d'une jeune femme, sauvagement égorgée en pleine nuit. On commence par découvrir, filmé de dos, le premier suspect qui se présente aux yeux des policiers : un ex-taulard, drogué, compagnon occasionnel de la victime. Sans voir les traits du visage du gars, on sent le malaise qui pèse dans la salle d'interrogatoire, face à des policiers partagés entre une certaine compréhension et la conviction que le type a des choses à cacher. Simule-t-il ses pertes de mémoire ou bien n'est-il qu'un pauvre type pris dans un engrenage ? Seule une enquête approfondie le déterminera.

   Celle-ci est menée par le commissaire Lemoine, dont l'équipe fournit un véritable travail de bénédictin, pour tenter de découvrir le fond de l'affaire et de réunir les preuves permettant de confondre le coupable. Une de ces preuves pourrait être une portion de frites, dont l'origine puis le devenir suscitent des interrogations. On voit aussi les policiers se flinguer les yeux à éplucher des relevés téléphoniques, dont l'analyse, recoupée avec des éléments de terrain, pourrait les mener à la solution.

   Ils sont épaulés par une juge de caractère, que les fans de l'émission connaissent : il s'agit d'Anne Gruwez, vue dans Ni juge ni soumise, mais plus jeune ici. Elle passe au second plan, l'accent étant mis sur les policiers et les suspects.

   Certains d'entre eux sont issus de l'immigration indo-pakistanaise. La Belgique est une étape sur le chemin qui mène de l'Asie du Sud au Royaume-Uni. On constate aussi que les réseaux et les communautés s'étendent jusqu'à l'Italie et même les États-Unis. Cela complique encore plus le travail des policiers.

   L'ensemble est émaillé d'humour, mais pas tant que cela. Le choix de brosser un portrait social et de présenter de manière assez minutieuse les progrès de l'enquête policière l'emportent. Cela n'exclut pas les moments cocasses, comme la séquence qui montre les efforts patients du commissaire bruxellois pour obtenir de collègues de banlieue le détachement de renforts en uniforme pour mener une perquisition jugée capitale. La succession des coups de téléphone, rebondissant de correspondant en correspondant, évoque un univers quasi kafkaïen.

   On note ainsi quelques effets de mise en scène. Ils sont particulièrement visibles concernant l'un des suspects. Son changement de statut au cours de l'enquête coïncide avec une modification dans la manière dont il est filmé.

   Bref, même si c'est un peu long, c'est passionnant.

   P.S.

   A propos d'Anne Gruwez, je ne saurais trop conseiller de binger la mini-série Marianne, récemment diffusée sur France 2, dont les six épisodes sont accessibles sur le site de France TV jusqu'en janvier prochain.

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   Marilou Berry y incarne une pétulante juge d'instruction, dotée d'un accent belge redoutable (et inspirée d'A. Gruwez). Elle mène ses enquêtes tambour battant, aux côtés d'un capitaine de police taciturne mais pugnace, interprété efficacement par Alexandre Steiger. Leur duo fait des étincelles, d'autant que les dialogues, très bien écrits, sont souvent truculents. (C'est bien plus drôle que toutes les comédies françaises sorties au cinéma ces derniers mois.)

   Chaque épisode est construit autour de trois schémas narratifs. L'une des trames, en général légère (mais souvent graveleuse), montre la juge en train de traiter une affaire "secondaire", dans son bureau, face à l'accusé et à son avocat. Se succèdent devant elle un veuf éploré (qui a enlevé une guenon, pour en faire sa compagne), un époux violent (dans le déni), un taxidermiste (qui a déterré le cadavre d'un chien), la maîtresse dominatrice d'un mari infidèle, de jeunes voleurs de homards et un ex-taulard qui a pénétré par effraction dans un commerce pour y montrer son cul à une caméra de surveillance...

   Ces moments saugrenus alternent avec la principale enquête de chaque épisode, beaucoup moins marrante, en général. Complète le tout une affaire fil rouge, celle du meurtre non résolu d'une prostituée, Marianne ayant décidé de prendre le fils de celle-ci sous son aile.

   J'ai a-do-ré !

samedi, 03 septembre 2022

Les Cinq Diables

   Ce petit thriller français entremêle les thématiques. Au fantastique se superposent des questions sociétales : racisme, homophobie, harcèlement scolaire... Intersectionnalité quand tu nous tiens ! Intéressons-nous plutôt à ce qui est d'ordre cinématographique.

   La première partie de l'intrigue est dominée par le sentiment d'étrangeté. C'est d'abord l'histoire d'un couple qui bat de l'aile. Le désir semble avoir quitté le foyer, à tel point que l'épouse (Adèle Exarchopoulos, crédible en maître-nageuse) soupçonne son conjoint d'aller voir ailleurs. C'est du moins ce que suggèrent la mise en scène et le jeu de la comédienne. C'est peut-être trompeur...

   L'étrangeté réside dans la composition du couple : une fille du pays (Joanne) et un immigré d'origine sénégalaise (Jimmy). Leur fille, Vicky, suscite étonnement et moqueries chez les gamines de la région, un coin de l'Isère où semble régner un certain entre-soi.

   Un autre élément d'étrangeté est l'irruption de l'homosexualité (féminine), dans une petite ville où la conception du couple est très traditionnelle.

   Cette étrangeté prend un tour fantastique avec Vicky, une gamine mûre pour son âge... et à l'odorat hyper-développé. Elle repère les gens à leur(s) odeur(s), qu'elle essaie de "capturer". Elle tente aussi des expériences sensorielles. L'une d'entre elles la projette dans le passé, à plusieurs reprises.

   La mise en scène soutient les choix scénaristiques, en particulier dans la première demi-heure. A plusieurs reprises, on comprend que la manière dont la caméra a été placée n'est pas due au hasard ni à une quelconque coquetterie. Soit le point de vue est décentré, soit on invite les spectateurs à chercher ce qui, dans le plan, sort de l'ordinaire.

   Ce sont les principaux atouts du film. Globalement, l'interprétation est très inégale. Les comédiennes sont toutes bonnes, chacune dans son rôle. Je suis beaucoup moins convaincu par l'acteur qui incarne le mari pompier, déjà vu dans Amin. Côté masculin toujours, j'ai apprécié de revoir Patrick Bouchitey, qui joue le père de Joanne... et donc le grand-père de Vicky.

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   Sally Dramé est la révélation de ce film, qu'elle porte sur ses frêles épaules. La relation forte qu'entretient son personnage avec celui de sa mère est très bien rendue... et on ne doute pas une seconde qu'elle possède des pouvoirs spéciaux.

   Sur le plan scénaristique, on est confronté à une boucle temporelle. Au cours de certaines expériences olfactives, Vicky découvre le passé familial, dans toute sa complexité... mais sa seule irruption dans ce passé contribue à façonner celui-ci. Je n'en dirai pas plus, afin de laisser à chacun le plaisir de la découverte... plaisir qui dure jusqu'à la toute fin, en forme de clin d’œil, mais qui pourrait ouvrir la voie à une suite.

samedi, 30 juillet 2022

La première femme vainqueure aux Jeux Olympiques

   Aujourd'hui, en lisant Le Monde, un détail a piqué ma curiosité. Au détour d'un article consacré à l'équipe états-unienne de cyclisme féminin, le nom de Cynisca est apparu. (Elle a été choisie pour dénommer la nouvelle équipe américaine.) Née sans doute vers 440 avant JC, elle a remporté à deux reprises la course de chars lors des Jeux Olympiques antiques, vraisemblablement en 396 et 392 avant JC.

   Certains de mes lecteurs, férus d'histoire, pourraient arguer de l'impossibilité de ces victoires, les femmes étant exclues de ces Jeux, des participants comme du public (sous peine de mort). En revanche, les femmes non mariées pouvaient participer à des jeux spécifiques, dits héréens (les Heraia).

   Ce serait négliger un détail : aux Jeux était déclaré vainqueur non le conducteur du char, mais son propriétaire (et entraîneur). Cynisca, sœur du roi de Sparte Agesilas II, a bel et bien possédé un équipage, à l'entraînement duquel elle aurait veillé. Les historiens ont longtemps débattu du rôle réel de cette aristocrate. Les auteurs de l'Antiquité (souvent misogynes) avaient tendance à présenter la candidature de Cynisca comme un moyen pour son frère de ridiculiser les Jeux et leur prétention à couronner une forme de « mérite ». Des études plus récentes (et plus poussées) tendent à montrer que Cynisca aurait agi avec une relative indépendance, sans doute avec le soutien discret et bienveillant de son frère, qui voyait là un moyen de rehausser le prestige de sa cité et de sa lignée. Il convient donc de se garder de tout anachronisme : les victoires de l'équipage de Cynisca sont celles d'une Spartiate et d'une (riche) aristocrate plus que celles d'une femme.

   Elle a été glorifiée de son vivant et après sa mort, avant de tomber progressivement dans l'oubli. D'autres femmes réussirent à inscrire aussi leur nom au palmarès : la Spartiate Euryléonis et la Macédonienne Bérénice, devenue reine d’Égypte.

   Cynisca n'a pas attendu le XXIe siècle pour voir son image utilisée à des fins féministes. Ainsi, au début du XIXe siècle, l'écrivaine Sophie de Renneville (qui a notamment participé à l'Athénée des dames) l'a représentée en conductrice de char :

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   Si vous avez lu attentivement le début de ce billet, vous savez que cette représentation est mensongère, puisque les femmes ne pouvaient pas participer aux Jeux Olympiques. Peut-être faut-il plutôt y voir une allégorie...

   Plus récemment, à l'occasion des Jeux de Tokyo, une série a été produite, sous forme de mini-manga. Elle met en scène Moa, une adolescente sportive (sans doute japonaise), qu'un génie facétieux (baptisé Oly) envoie régulièrement dans l'Antiquité. L'un des épisodes lui fait rencontrer Cynisca :

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   Dans cette historiette, si l'on voit à plusieurs reprises l'héroïne conduire un char, c'est dans la vie quotidienne et à l'entraînement (ce qui est plausible). Pas en compétition. (C'est la tâche assignée au jeune garçon se trouvant à sa droite, qu'elle va devoir former.) Toutefois, ce petit film est entaché de deux erreurs majeures : Cynisca y assiste à la course finale (faux) et elle semble être âgée (au plus) d'une vingtaine d'années, la moitié de son âge à l'époque des faits.

 

mardi, 05 juillet 2022

En roue libre

   J'ai eu très peur au début. J'ai trouvé que le film en faisait des tonnes dans la caractérisation du personnage principal, celui de Louise, infirmière hospitalière victime de ce qu'il faut bien appeler un burn out. Elle est fatiguée par son dernier service de nuit. Elle dort mal, ne semble pas bien s'alimenter, vit seule, dans un immeuble pas très haut de gamme. Visiblement, elle déprime... et elle se prend une nouvelle prune, pour stationnement gênant. (C'est bizarre d'ailleurs, cette histoire d'amende : elle semble habiter un quartier HLM, plutôt en périphérie de Beaune, disposant de nombreuses places de stationnement gratuit.) Du coup, elle est incapable de sortir de sa voiture.

   Marina Foïs a beau être très impliquée dans le rôle, j'ai mis un temps fou à entrer dans cette histoire. Ma gêne a été accentuée par plusieurs invraisemblances, au premier rang desquelles les circonstances de la rencontre entre les deux protagonistes. Comment le jeune homme peut-il ne pas voir qu'il y a déjà une personne (mal cachée) dans la voiture ? Plus tard, on est prié de croire que le véhicule (désormais doté d'un toit ouvrant très spécial) ne subit jamais les conséquences d'une météo pluvieuse...

   Le film est sauvé par ses interprètes. Marina Foïs est totalement crédible en infirmière au bout du rouleau et Benjamin Voisin (déjà remarqué dans Illusions perdues) est impeccable en petite racaille issue d'un milieu modeste. Là aussi le scénario n'y va pas avec le dos de la cuillère : le gamin a des parents "cassos", il semble avoir échoué à l'école et, surtout, il a perdu son guide, son mentor : son frère aîné.

   Sans surprise, les personnages qui, au début, se méprisent, s'insultent, se font des coups vaches, vont finir par s'apprécier... et même par s'entraider. C'est la plus belle partie du film, celle où les comédiens sortent un peu du sentier (trop) balisé. Leurs interactions sont souvent croustillantes et j'ai trouvé la mise en scène assez inventive. Didier Barcelo semble doté d'un certain talent pour utiliser des objets en apparence anodins (un gobelet de coca, une boîte de sucreries, de petits crocodiles comestibles, un chien à tête remuante...). Cela donne une touche originale à l'histoire.

   S'ajoutent à cela des seconds rôles bien campés. C'est qu'il passe du monde dans cette voiture : un délinquant, une infirmière, un éboueur, une autostoppeuse, une jeune gitane, un pépé libidineux... et même un psychologue ! On ne fait pas que conduire ou écouter de la musique dans ce véhicule hors d'âge. On y discute, on y dort, on y mange (pas très proprement), on y boit, on y pisse... La liste n'est pas exhaustive.

   Du coup, en dépit du trait surligné et d'une fin que j'estime ratée, j'ai plutôt passé un bon moment. Pour quatre euros, ça passe.

mercredi, 29 juin 2022

I'm your man

   J'ai hésité à aller voir ce film (sorti en même temps qu'une comédie française lourdingue consacrée au même sujet), parce que j'avais moyennement apprécié Stefan Zweig, adieu l'Europe (un des précédents films de la réalisatrice Maria Schrader). Mais, le bouche-à-oreille étant bon, le sujet alléchant, je me suis laissé tenter.

   C'est donc l'histoire d'une universitaire (mi-archéologue, mi-anthropologue) quadragénaire, célibataire sans enfant, qui accepte d'accueillir chez elle pendant trois semaines un androïde conçu pour être le meilleur compagnon possible. Précisons tout de suite que ledit androïde est un grand brun athlétique, à la voix grave et aux yeux bleus. (Dan Stevens très bien... trop bien même !) Il est organisé, cultivé, propre, doux, prévenant, à l'écoute des désirs de sa "compagne"... N'en jetez plus !

   J'ai bien aimé la séquence de la rencontre, dans un club qui n'est pas tout à fait ce qu'il paraît être... tout comme certaines personnes qui le fréquentent. L'héroïne Alma teste son futur "partenaire", de manière un peu surprenante... y compris pour lui !

   La première partie montre plutôt les réticences de l'universitaire (qui n'est sans doute pas la dernière à dénoncer les -nombreux- travers des véritables hommes) : son compagnon est un peu trop parfait. De plus, elle a du mal à séparer l'expérience (qu'elle doit évaluer) de la modification de sa vie privée, à laquelle elle s'oppose farouchement.

   Sans trop de surprise, elle va finir par prendre goût à son jouet technologique (je ne dirai pas jusqu'à quel point). La séquence pivot est celle de la promenade en forêt, de surcroît très bien réalisée. L'intrigue prend un tour particulier : ce n'est pas l'humanité potentielle ou simulée de Tom (l'homme au zizi synthétique) qui est le cœur du sujet, mais la vie d'une femme intelligente, indépendante, athée, accro au boulot... et qui cache un douloureux secret.

   Le film suit son petit bonhomme de chemin. C'est assez prenant, même si je trouve la fin inaboutie.

mercredi, 22 juin 2022

El buen patron

   Qu'est-ce qu'un "bon patron" ? Quelqu'un comme Blanco, qui perpétue la tradition familiale, à la tête d'une PME spécialisée dans la fabrication de balances ? Peut-être. Il porte beau, affiche des valeurs humanistes, du respect, soutient la diversité sous toutes ses formes, prône l'équité... mais pas l'égalité, hein. (Faut pas déconner, quand même !)

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   J'ai pris beaucoup de plaisir à voir évoluer Javier Bardem dans ce rôle ambigu, celui de ce patron paternaliste, habile communicant, dont on se demande jusqu'à quel point il croit à ce qu'il raconte. Le film est bien évidemment ironique, mais l'on ne rit pas vraiment à gorge déployée. On sourit et, parfois, on rit.

   La belle mécanique élaborée par Blanco, dans son entreprise comme dans sa vie, est sur le point de se gripper. Son ami d'enfance, chef de projet dans sa boîte, est devenu un boulet... et un ouvrier licencié fait de la résistance, juste devant l'entrée du site de l'entreprise. Ce qui n'est au départ qu'une petite épine dans le pied pourrait se transformer en coup de poignard : Blanco brûle d'obtenir le prix décerné par la région à l'entreprise vertueuse de l'année, le seul qui manque à son palmarès. Une inspection se profile à l'horizon... et tout pourrait être remis en cause si l'on apprenait que le "père de ses employés" menace certains d'entre eux, licencie sans état d'âme et culbute à l'occasion une jeune stagiaire. La dernière en date lui réserve d'ailleurs quelques surprises.

   C'est donc une comédie engagée, perçue sans doute par nos voisins espagnols comme dans la mouvance de Podemos. Dans la manière dont vivent les "petits" dans le monde de l'entreprise, il y a une certaine représentation de la lutte des classes : le vigile sympathise avec l'ouvrier licencié... qui réussit même à mettre une patrouille de police dans sa poche ! (Cela nous vaut une réplique croustillante de Blanco, qui se désole d'être tombé sur un "policier socialiste"...)

   Le scénario s'amuse à plonger le patron dans la merde (au propre comme au figuré). Mais le gars a de la ressource. La dernière partie nous montre ce à quoi il est prêt pour s'en sortir. La morale est que, si l'on privilégie la loi du plus fort à l'esprit d'entraide, tôt ou tard, le baiseur devient le baisé... et parfois l'inverse.

samedi, 28 mai 2022

Les Folies fermières

   C'est l'histoire d'un paysan (Alban Ivanov, sobre) qui, au bord de la faillite, décide de lancer un "cabaret à la ferme" (le premier de France). Pour cela, il a besoin de recruter et d'entraîner une troupe d'artistes. Il va s'appuyer sur le savoir-faire d'une gogo danseuse en délicatesse avec son patron (Sabrina Ouazani, très impliquée dans le rôle).

   Présenté comme cela, le film donne l'impression d'être une version rurale de The Full Monty. C'est pas faux. Mais c'est aussi une histoire vraie. L'exploitation est située dans le Tarn (pas très loin de Toulouse). L'histoire a été quelque peu retouchée et relocalisée dans le Cantal, entre Mauriac et Aurillac.

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   Qu'est-ce qui a changé entre l'original et la fiction ? L'orientation de l'exploitation. Le Tarnais David Caumette pratique le polyélevage, avec semble-t-il une dominante viande. Sur la plaquette téléchargeable sur son site internet, il mentionne les races Blonde d'Aquitaine, Limousine et Aubrac. Dans le film, même si le héros cite à un moment une race locale (la Salers), les animaux de la ferme sont exclusivement des Montbéliardes, à partir du lait desquelles sa mère fabrique sans doute du fromage (du Cantal). Le film n'évoque pas le fait que l'éleveur se soit d'abord lancé dans la transformation et la vente directe, avant de se tenter l'expérience du cabaret.

   Soyons clairs : l'intrigue est cousue de fil blanc... surtout si l'on connaît un peu l'histoire d'origine. On sait gré aux scénaristes de n'avoir toutefois pas écrit un conte de fées moderne. L'éleveur rencontre de fortes oppositions (notamment celle de son grand-père) et le film ne cache pas la situation précaire de certains agriculteurs. Cela reste néanmoins un feel good movie, avec pas mal d'humour.

   Cela passe aussi parce qu'une brochette de bons comédiens a été recrutée : outre ceux incarnant les deux personnages principaux, il faut citer Michèle Bernier (mère du héros), Guy Marchand (le grand-père réac), Bérengère Krief (l'ex qui en pince encore pour le héros) et puis toutes celles et ceux qui incarnent les seconds rôles, très authentiques.

   Pour moi, Sabrina Ouazani sort clairement du lot. Je ne dis pas cela parce qu'elle se balade la plupart du temps en tenues moulantes et "aérées". Elle a du tempérament, du charisme... et puis, oui, merde, du charme aussi ! (Et je pense qu'elle a dû effectuer un gros travail physique, en amont, pour le rôle.)

   Avec ce film, l'Aveyronnais que je suis se trouve en terrain familier : voir des Cantaliens petit-déjeuner à la charcuterie, au fromage et au vin rouge n'est pas exotique. (Amis Rouergats, soyez attentifs au couteau utilisé par l'un d'entre eux...)

   Bon voilà. Cela n'a rien d'extraordinaire, mais c'est une honnête comédie, centrée sur un beau projet. Elle apporte une touche d'espoir et de gaieté dans un monde parfois tristounet.

   P.S.

   Restez pour le générique. Vous y verrez des images tournées dans la ferme tarnaise, à Garrigues.

samedi, 30 avril 2022

Becker, Londres... et la France

   Ce samedi soir, en famille, nous avons regardé le JT de France 2. (Quelqu'un reprend des carottes râpées ?) Une grosse moitié fut consacrée au conflit russo-ukrainien. (Tu m'as bien dit saignante, ton entrecôte ?) Mon attention fut attirée par un sujet plus anecdotique, sans doute placé juste après pour faire retomber la tension. (Dis donc, Riton, tu ne vas tout de même pas finir la bouteille de rouge tout seul ?) Il était question des ennuis judiciaires de l'ancien champion de tennis allemand Boris Becker. (Marcel, pousse-toi, je ne vois pas la tête du tennisman !)

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   Ce ne sont pas les ravages du temps sur le physique de l'ex-athlète d'exception qui m'ont intéressé, mais le symbole figurant à l'entrée du tribunal londonien. (Mais non, c'est pas en Allemagne ; il est jugé à Londres parce qu'il habite le Royaume-Uni... depuis au moins dix ans d'ailleurs !)

   Sur les armoiries britanniques figure la devise du royaume... en français : "Dieu et mon roi". C'est un lointain héritage de la conquête normande, la noblesse continentale ayant imposé sa langue outre-Manche. (Riton, arrête de faire ton malin... et passe-moi les frites !) La formule, qui serait due à Richard Coeur-de-Lion, est devenue la devise officielle au XVe siècle.

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   Mais la "francitude" de la monarchie anglaise ne s'arrête pas là. Une seconde formule figure sur les armoiries : "Honi soit qui mal y pense". Son origine remonterait elle aussi au Moyen Age, toujours à l'époque de la Guerre de Cent-Ans, mais au XIVe siècle. L'anecdote (peut-être apocryphe) se déroule à la cour du roi Edouard III et voit la naissance de l'Ordre de la Jarretière. (Bon, ça me saoule cette histoire de tennisman malhonnête... on pourrait pas plutôt parler de l'affaire PPDA ?)

   Comme quoi, on peut trouver son bonheur dans un journal télévisé grand public.

 

samedi, 02 avril 2022

Retour à Reims (fragments)

   Ce documentaire militant s'inspire d'un essai de Didier Eribon (que je n'ai pas lu). A travers la redécouverte de l'histoire familiale (avec laquelle l'auteur / la narratrice dit avoir jadis coupé), le film dessine une histoire (subjective) de certaines catégories populaires (essentiellement le monde ouvrier), de l'Entre-deux-guerres (période des grands-parents) jusqu'aux années 1980-1990 (à l'âge adulte de l'auteur).

   Le grand intérêt du film (et son originalité par rapport à la forme écrite) est le montage d'images anciennes qu'il propose, composé d'extraits de films de fiction et (surtout) de reportages d'époque. Hélas, ces images ne sont jamais contextualisées au moment où elles passent à l'écran. Il faut attendre le générique de fin pour découvrir de quand les extraits datent, en vrac. Du coup, parfois, j'ai eu l'impression que les périodes ne concordaient pas tout à fait. Ainsi, quand il est question des années 1950, il me semble que, parfois, ce sont des images de la fin des années 1960 qui nous sont projetées. Plus gênante encore est, pour illustrer la montée du vote FN chez les ouvriers dans les années 1980-1990, l'utilisation d'images d'archive présentant Jean-Marie Le Pen... dans les années 1970, à l'époque où son jeune mouvement ne rencontrait aucun succès.

   Quoi qu'il en soit, le travail de documentation semble avoir été énorme et les extraits proposés sont intéressants. On en voit peu datant de la période des grands-parents. Le propos est centré sur la voix-off, qui lit des passages du livre. C'est la grand-mère maternelle qui est au centre de cette partie. C'était une femme libre, à qui le rôle de fidèle épouse au foyer ne convenait pas. Au début des années 1940, elle a même osé partir travailler volontairement en Allemagne... Notons que le livre, comme le documentaire ne jugent pas... enfin, pas ce genre de comportement.

   La période d'après-guerre est plus fournie. Au niveau de la fiction, cela va de Jean-Luc Godard à Coline Serreau. Au niveau reportages et archives, c'est foisonnant, sur le travail des ouvriers, le rôle des femmes, la place des immigrés. L'accent est mis successivement sur ces trois aspects, l'un venant compléter l'autre. L'idée générale est que l'on trouve toujours plus opprimé que soi.

   J'ai apprécié que le réalisateur ne contourne pas la difficulté du basculement d'une partie du vote ouvrier. Mais je trouve que l'état des lieux comme l'analyse des causes sont superficiels, voire biaisés.

   Sur le plan historique, le film semble ne pas savoir que, depuis qu'elle a été identifiée en tant que telle, la "classe ouvrière" a toujours été profondément divisée. A la fin du XIXe comme au début du XXe siècle, une partie du monde ouvrier s'identifiait plutôt à la droite, voire à l'extrême-droite. De plus, le film occulte complètement l'influence démocrate-chrétienne dans le milieu, influence concurrente de celle des marxistes (ceci expliquant peut-être cela). Enfin, les nouveaux bataillons d'électeurs populaires de l'extrême-droite ne proviennent pas uniquement du PC ou du PS. Il s'agit parfois aussi d'anciens électeurs de la "droite sociale". Le réalisateur est sur une ligne néo-marxiste, qui attribue au supposé renoncement des gouvernements de gauche le basculement de l'électorat ouvrier. Il sous-estime considérablement les évolutions sociétales, à commencer par le (relatif) embourgeoisement d'une partie de la classe ouvrière. Eh, oui ! Le niveau de vie des Français (classe ouvrière comprise) s'est élevé entre les années 1950 et le début du XXIe siècle... mais de cela les spectateurs ne sont pas informés.

   Je ne vais pas m'éterniser mais ce film est une petite déception. Si l'on aime les images d'archives (souvent pas vues depuis des années), il mérite le détour. Sinon, on peut se passer d'une œuvre qui se conclut sur les gilets jaunes et la "convergence des luttes".

mercredi, 09 mars 2022

Un inspecteur illettré ?

   Dans ce billet, il ne sera pas question d'un officier de police à l'expression écrite défaillante, mais... d'un haut-fonctionnaire de l’Éducation Nationale. Aujourd'hui, durant ma pause de midi, j'ai commencé à feuilleter le dernier numéro du Canard enchaîné. Mon regard a été attiré par un article se trouvant au bas de la page 1 :

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   Comme souvent dans les documents administratifs de l'EN (auxquels les parents peuvent désormais parfois avoir accès en cherchant sur le site de l'académie dont dépendent leurs enfants), on trouve des formulations jargonneuses, dont le profane se demande ce qu'elles peuvent bien vouloir dire. Mais, surtout, ce texte est truffé de fautes de français ! Un comble pour un inspecteur d'académie, dont l'hebdomadaire satirique ne dévoile toutefois pas l'identité.

   Celle-ci n'est pas difficile à trouver. En se rendant sur le site de la DSDEN de la Loire, on découvre qu'il s'agit d'un certain Dominique Poggioli. Pour connaître son pedigree, il faut fouiller dans le maquis des nominations publiées au Journal Officiel. On finit par apprendre que ce monsieur fut à l'origine un enseignant, agrégé, non pas de Lettres (ouf !), mais de SVT. Devenu inspecteur, il a vogué de Corse en Lot-et-Garonne, en passant par le Val-d'Oise. C'est en 2020 qu'il est devenu DASEN de la Loire. Pour la petite histoire, sachez que sa nomination, en théorie pour quatre ans, s'accompagnait d'une période probatoire de six mois, à l'issue de laquelle il aurait pu se voir retirer le poste. Jusqu'en mars 2021, il devait donc se montrer irréprochable...

   À la lecture de l'article du Canard, l'amusement et l'irritation le disputent à l'incrédulité. Comment une telle sommité a-t-elle pu aussi mal rédiger une circulaire de quatre pages, de surcroît destinée aux enseignants du primaire ? Quid d'un(e) éventuel(le) secrétaire pour rectifier les erreurs du ponte à l'orthographe défaillante ? Comment est-il possible qu'autant de gaffes soient passées au travers d'une simple relecture ?

   Pour obtenir la réponse à ces questions, je comptais sur une enseignante de français faisant partie du cercle de mes relations. Je lui ai montré cet article. Je pensais qu'elle allait déployer son ironie féroce à l'encontre du texte imbitable rédigé par le ponte de l'EN... eh bien, non. Elle fut tout simplement consternée. C'est un peu à l'image de certains enseignants de ma connaissance, des personnes impliquées dans leur travail, mais effarées par la médiocrité dans laquelle est tombé l'enseignement en France : on n'apprend plus correctement à lire et écrire à nos enfants, on se montre de moins en moins ambitieux pour eux et les cadres dirigeants sont coupés des réalités, ou bien dans le déni, se gargarisant d'idées générales et de formules ampoulées.

jeudi, 03 mars 2022

Rien à foutre

   Il est rarement aisé de choisir un titre judicieux pour son film. Ici, a-t-on hésité entre Rien à branler et J'm'en bats les couilles ? Difficile à dire. Cela correspond à ce que pourrait déclarer l'héroïne, Cassandre, hôtesse de l'air dans une compagnie low cost basée à Lanzarote, dans les îles Canaries.

   Cette hôtesse a les traits et le corps d'Adèle Exarchopoulous. J'ai écrit le corps, parce qu'une hôtesse, c'est, pour beaucoup de passagers (et les cadres de la compagnie), d'abord un sourire et une paire de jambes (dont il faut soigner l'apparence).

   La jeune femme voyage à l’œil, voit du pays, rencontre du monde, boit beaucoup d'alcool, baise à droite à gauche sans souci du lendemain et passe une partie de ses loisirs à danser sur de la musique moderne assourdissante. Pour certains, cela ressemble à une vie de rêve. Sauf que Cassandre fait un peu la gueule et qu'elle a des moments de cafard. C'est la facette la plus intéressante du personnage... malheureusement, je ne la trouve pas bien traitée (ou jouée) dans la majorité du film.

   Celui-ci a aussi un aspect documentaire. Qu'est-ce que c'est que de travailler dans ce genre de compagnie ? Quelles consignes sont données par les patrons ? Comment gère-t-on les passagers ? À quoi ressemble vraiment la vie loin des paillettes, quand les hôtesses ont ôté leur habit de lumière ? Pour qui ne connaît rien de ce milieu, c'est instructif. On en apprend aussi sur les conditions salariales et les perspectives de carrière. Le tableau n'est pas exclusivement à charge. L'héroïne, d'abord simple hôtesse "junior" (le bas de l'échelle), a la possibilité de devenir "numéro 1" (cheffe de cabine), avec une meilleure paye... mais aussi des contraintes plus grandes. Le rêve de ces jeunes femmes ? Se faire embaucher par une compagnie prestigieuse, qui offre un meilleur statut à ses employées. On ne sait pas ce que deviennent celles qui décrochent en cours de route.

   Dans les deux premiers tiers, c'est un peu long, un peu déprimant. (J'étais triste pour ces jeunes femmes.) Le film prend une autre tournure dans le dernier tiers de l'histoire. Cassandre passe ses congés dans son pays natal, la Belgique, chez son père. Elle retrouve ses amis, sa sœur cadette... et les problèmes qui vont avec. J'ai vraiment aimé cette partie, qui commence pourtant mal, avec l'incompréhension entre le père (agent immobilier) et sa fille aînée (qu'il traite avec condescendance). Petit à petit, les scènes du quotidien donnent de l'épaisseur au portrait de l'héroïne, qui semblait assez superficielle au départ. L'intrigue se conclut à Dubaï, en pleine pandémie.

mardi, 01 mars 2022

Un autre monde

   ... est-il possible ? C'est ce que semble se demander Stéphane Brizé, dans ce dernier (?) volet de ce qu'on appelle désormais sa "trilogie sociale", après La Loi du marché et En Guerre. Comme pour les deux précédents, il s'appuie sur Vincent Lindon qui, après avoir incarné un employé servile puis un syndicaliste combatif, s'est coulé (magnifiquement) dans le rôle d'un patron d'usine, Philippe Lemesle.

   Ce n'est pourtant pas par cet aspect de l'intrigue que le film commence. La première séquence est celle du rendez-vous entre deux époux qui divorcent, chacun(e) appuyé(e) par un(e) avocat(e). Comme souvent dans ce genre de situation, c'est tendu, mais aussi plein d'émotion, des deux côtés. En (future) ex-femme du héros, Sandrine Kiberlain (qui fut jadis la compagne de Vincent Lindon, dans la vraie vie) est excellente. Complètent le couple deux enfants : une fille, étudiante brillante (expatriée), et un garçon un peu "décalé", incarné par Anthony Bajon (meilleur que dans Une Jeune Fille qui va bien... où il était dirigé par Sandrine Kiberlain !).

   L'histoire alterne les moments intimes (familiaux) et les scènes d'entreprise, soit à l'intérieur de l'usine dirigée par le héros, soit entre les cadres du groupe auquel elle appartient. Quel que soit le milieu représenté, j'ai été frappé par la qualité des dialogues et de l'interprétation. Dans le monde entrepreneurial, deux femmes se distinguent : Marie Drucker en patronne ambitieuse et Sarah Laurent en syndicaliste pugnace. Tous les seconds rôles sont épatants : bravo à la directrice du casting (Coralie Amedeo, déjà à l’œuvre sur La Loi du marché et En Guerre).

   C'est au niveau de la mise en scène que, me semble-t-il, Stéphane Brizé suit des chemins différents de certains de ses précédents films. Souvent, l'objectif se fixe sur un personnage ou un petit nombre de personnes, tandis qu'une discussion se poursuit autour d'eux, sans qu'ils continuent à y participer. Le réalisateur a sans doute voulu montrer le sentiment de décalage que ressentent certains protagonistes, ainsi que l'exclusion.

   Sur le fond, il s'agit d'une dénonciation du capitalisme boursier, expliqué de manière pédagogique au cours d'une scène de visioconférence, au cours de laquelle le PDG du groupe états-unien donne une petite leçon d'économie financière à ses cadres français. Les plus futés des spectateurs remarqueront que les scènes avec le fils (mentalement perturbé) font écho à la situation de l'entreprise que dirige son père. Dans un premier temps, son obsession des chiffres (à propos du trajet effectué par ses parents pour venir lui rendre visite) crée le malaise... mais elle est comme un décalque de la culture du résultat à l’œuvre dans la boîte de son père. Plus loin, il est question de l'activité de marionnettiste, qui permet au jeune homme de se structurer... mais on pense évidemment au management du groupe auquel appartient l'usine dirigée par son père.

   Entre drame familial, contraintes économiques et urgence sociale, Stéphane Brizé réussit son coup... mais n'attire pas le public : nous n'étions que quatre dans la salle.

lundi, 21 février 2022

H6

   C'est le nom de code du sixième hôpital de Shanghai, où ce documentaire franco-chinois a été tourné (avant la pandémie de covid). En un peu moins de deux heures, la réalisatrice Ye Ye ambitionne de nous faire découvrir le travail des professions médicales, la vie quotidienne des malades et le rôle joué par les proches, au sein d'un véritable hôpital-usine.

   Si la mise en scène ne va pas jusqu'à en présenter le gigantisme ni le dédale des couloirs, il ne faut pas longtemps aux spectateurs pour comprendre l'importance de la machinerie médicale. À cet égard, certaines scènes sont particulièrement éclairantes, comme celle montrant la préparation des poches de soin ou celle illustrant la confection des repas. C'est un travail à la chaîne que la direction de l'hôpital a voulu rendre aussi rigoureux (et sanitairement correct) que possible...

   Le documentaire démarre pourtant sur un sacré contraste, qui va guider l'ensemble du film : l'opposition entre la Chine rurale, peu (pas) touchée par la modernité et le cœur de la mégapole, dont les habitants, habitués à évoluer dans un métro ultramoderne, ont le plus souvent les yeux rivés sur l'écran de leur smartphone.

   C'est ainsi que l'on découvre certains patients et leur famille. Dans le groupe filmé, il ne semble pas y avoir de très riches (qui vont sans doute se faire soigner dans des établissements plus sélectifs), mais la classe moyenne et les pauvres. On arrive facilement à les distinguer à l'aide de leurs téléphones et de leurs vêtements. Certains d'entre eux ignorent la caméra, d'autres semblent la fuir, tandis que quelques-uns jouent visiblement avec elle.

   Qu'est-ce qui surprendra les spectateurs français ? La faible amplitude de l'horaire des visites, le petit nombre de visiteurs autorisés, l'aspect "usine" de l'accueil aux urgences... et le fait que les membres des familles couchent sur place ! Nombre d'entre eux viennent avec un siège pliant, un sac rempli d'affaires et de la nourriture. La nuit, ils sont autorisés à occuper les couloirs, mais, le jour, il faut libérer la place, tout en espérant obtenir un "ticket d'entrée" pour les visites.

    Il convient aussi d'avoir de l'argent liquide avec soi, pour s'offrir des à-côtés... mais, surtout, pour améliorer l'ordinaire des patients. Si l'accueil aux urgences et les soins de base sont gratuits, tout le reste est payant, du coiffeur à l'opération chirurgicale, en passant par le service supplémentaire des aides-soignantes.

   Celles-ci constituent l'un des corps de métiers de l'établissement. On voit très peu les administratifs, à peine plus les infirmières. Le documentaire est concentré sur les médecins et l'une des aides-soignantes, que l'on met un petit moment à identifier comme telle : la plupart du temps, elle ne porte pas de blouse... mais, durant ses pauses, elle surveille les cours de la bourse sur son téléphone dernier cri !

   Une conclusion s'impose : le système de santé chinois semble moins "socialiste" que le français. Pour obtenir une opération cruciale, il faut payer un important supplément, ce qui conduit les patients les plus pauvres à s'endetter, voire à se ruiner. On suit plus particulièrement le cas de ce paysan, tombé d'un arbre un jour de congé, pas pris en charge par l'assurance de base. Il survit péniblement. Les médecins et les membres de la famille engagent une discussion pénible sur la nécessité et faisabilité (financière) de l'opération.

   D'autres cas sont tout aussi tragiques. Il y a cette petite fille qui, alors qu'elle jouait à proximité de l'étal de son père commerçant (après avoir échappé à la surveillance de sa grand-mère), s'est fait renverser par un bus. La compagnie d'autocars rechigne à payer et la famille n'a pas les moyens d'assumer l'intégralité des soins... Une autre gamine a eu un accident de voiture en compagnie de sa mère. Elle n'a aucune nouvelle de celle-ci. Le père est omniprésent à l'hôpital. Quand il n'a pas de ticket de visite, il reste à proximité et chante (très fort) pour donner du courage à sa fille. J'ai aussi été ému par ce couple âgé, l'homme venant le plus souvent possible apporter du réconfort à sa compagne en phase terminale, dans un mouroir dortoir de soins où n'existe aucune intimité. Il y a aussi l'un des fils rouges de l'histoire, un homme boiteux, mal habillé, pas du tout à l'aise dans la grande ville, où il est invisible à la plupart des regards. On apprend son histoire dans la dernière parti du film.

   J'ai gardé pour la fin le portrait de ce médecin hors-norme, qui fait son jogging tous les matins. Très âgé, il n'opère plus, mais joue le rôle d'une sorte de rebouteux. Il s'occupe de cas délicats, ceux de patients que l'hôpital n'a pas envie d'opérer parce qu'ils sont pauvres, et auxquels on propose des soins de seconde catégorie, qui vont certes éviter le pire mais, la plupart du temps, les laisser avec des séquelles durables. À l'image des rares infirmières que l'on entend parler, il demande aux patients d'accepter leur situation, de faire preuve de courage face à l'adversité... et surtout de se résigner. Cela ressemble bigrement au comportement politique que les dirigeants (supposés) communistes attendent de la population.

   C'est passionnant. Un peu long, certes, mais riche de nombreuses anecdotes. On n'est pas très loin du Short Cuts de Robert Altman (l'aspect trépidant en moins).

samedi, 19 février 2022

Maison de retraite

   Tourné il y a plus d'un an, ce film de fiction sort alors que l'actualité est brûlante concernant le fond de l'histoire : la vie dans les EHPAD. Cet arrière-plan est croisé avec l'évolution d'un jeune personnage, le héros Milann, incarné par Kev Adams (qui produit le film, ceci expliquant peut-être cela).

   Ce jeune homme a tout du loser : il ne parvient pas à garder un emploi, squatte chez son meilleur pote qui, lui, a réussi dans la vie, passe sa journée à jouer sur sa console et ne semble pas avoir une vie sentimentale trépidante. Si vous ajoutez à cela qu'il a commis l'erreur d'emprunter de l'argent au caïd local... qu'il ne compte pas rembourser... vous aurez le portrait complet d'un "jeune con", comme certains personnages l'appellent. Mais le garçon n'est pas méchant... et il a des circonstances atténuantes : c'est un orphelin, que la vie n'a pas gâté. Après une énième connerie (dans une supérette), il se voit offrir une alternative à la prison : un travail d'intérêt général dans une maison de retraite médicalisée.

   On se doute bien qu'entre la bande de vieux acariâtres et le jeune égocentrique insouciant, il va se produire quelques étincelles. On est servi. Il faut dire que, face à Kev Adams, on trouve, entre autres, Mylène Demongeot, Liliane Rovère, Firmine Richard, Jean-Luc Bideau et surtout Gérard Depardieu, très convaincant en ancien boxeur. Les papys et les mamys vont mener la vie dure au godelureau... mais aussi se prendre d'affection pour lui. De son côté, au contact des anciens, Milann évolue, s'ouvre aux autres, fait preuve d'altruisme... oui, oui, tout cela est un peu convenu, mais, en cette période de cynisme et de violence gratuite, un peu de bon esprit ne fait pas de mal. Vieux comme jeunes apprennent à se connaître et à s'entraider.

   Parmi les figures de l'EHPAD, je me dois d'en signaler deux qui nous font un joli numéro : Daniel Prévost (Monsieur Alzheimer) et Marthe Villalonga, qui est successivement Marilyn Monroe, Monica Belluci et... Madonna ! Succès garanti dans la (grande) salle archicomble !

   Parmi les nombreux invités de cette comédie familiale très balisée, je ne voudrais pas oublier Antoine Duléry, qui incarne le directeur de l'EHPAD... qui n'est pas le personnage le plus sympathique de l'histoire. La fin nous réserve une petite surprise, avec la présence d'un (ancien) joueur de tennis (qui coproduit le film).

   Cette comédie m'a fait du bien.

samedi, 12 février 2022

Vaillante

   Salle comble à Rodez pour ce film d'animation féministe, avec, dans le public, outre les bambins (et bambines) habituel(le)s, des adultes... dont, me semble-t-il, quelques "soldats du feu".

   La première partie de l'histoire se situe en dehors de l'univers des pompiers, puisqu'elle montre un papa... couturier, veuf, tentant d'élever une intrépide garçonne (Georgia) qui rêve de passer plus tard ses journées sur un camion rouge. Problème : nous sommes à New York, en 1920. Il n'est pas question qu'un individu de sexe féminin puisse rejoindre la rugueuse confrérie des manieurs de lance à incendie.

   Une dizaine d'années plus tard, "Pistache" a grandi et semble avoir oublié ses rêves d'enfant... au grand soulagement de son père. Mais, dans la "grosse pomme", un mystérieux pyromane détruit les théâtres les uns après les autres, provoquant la disparition de presque tous les pompiers de la ville. Déguisée en garçon, Georgia contribue à former, en compagnie de son père, d'un chauffeur de taxi farfelu et d'un chimiste du dimanche, la dernière équipe de secours.

   La suite est une farandole d'aventures, avec cascades, humour, rebondissements et émotion (autour des relations père-fille). J'ai ri, j'ai été pris par le suspens... et j'ai eu les yeux qui piquent (vers la fin).

   Je recommande vivement cette production française. Aux manettes se trouve Laurent Zeitoun, l'un des scénaristes de Ballerina.

   P.S. I

   Ne quittez pas la salle trop vite : le générique de fin est accompagné d'images d'archives, des photographies des premières pompières dans plusieurs pays. Figure dans le florilège la Française Françoise Mabille.

   P.S. II

   Les spectateurs attentifs noteront le soin apporté au contexte états-unien de l'intrigue. Les décors urbains ont été vraiment bien travaillés. Au niveau des personnages, il est évident que Shawn Nolan (le papa) est en réalité "Sean", un Irlando-Américain, souvent habillé de vert. Dans la famille, on a la passion du service public, tout comme d'autres descendants de migrants catholiques, les Reagan, policiers au cœur de la série Blue Bloods.

samedi, 29 janvier 2022

Ouistreham

   Emmanuel Carrère adapte (à sa manière) le livre-reportage de Florence Aubenas, la journaliste devenant une écrivaine, incarnée (sobrement) par Juliette Binoche. Il fut un temps où un film avec cette comédienne en tête d'affiche aurait bénéficié d'une sortie sur un nombre impressionnant d'écrans. Tel n'est pas le cas ici, en dépit de l'adaptation d'un livre à succès.

   Et pourtant, Juliette Binoche y fait montre de son talent, tout comme la brochette d'actrices non professionnelles recrutées pour l'occasion, au premier range desquelles il faut signaler Hélène Lambert, qui interprète Christèle, mère célibataire de trois enfants et abonnée aux micro-jobs à horaires flexibles.

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   En immersion, Marianne l'écrivaine bobo découvre la précarité et la vie de femmes dont elle est à la fois si lointaine et si proche. Le sujet n'est plus nouveau-nouveau, mais cela fait malgré tout du bien quand, de temps en temps, on nous rappelle quelle est la situation de la "France d'en-bas", celle qui permet au système de fonctionner, tout en vivant avec des salaires minables.

   On suit d'abord les héroïnes dans une entreprise de nettoyage, qui intervient aussi bien dans des commerces que des campings (ah, les odieuses propriétaires !). Une partie de ce petit monde va se retrouver au nettoyage des ferrys, un travail réputé particulièrement pénible, notamment en raison du rythme imposé (des centaines de cabines à nettoyer en 1h30, avec, en bonus, les parties communes). Comme chez les mineurs ou les fondeurs, la dureté du travail, couplée à la fréquentation quotidienne des mêmes têtes, crée des proximités, voire des solidarités. Ces éclairs de lumière sont beaux à voir, d'autant que l'intrigue évite l'écueil du conte de fées : la vie ne fait pas de cadeau à ces femmes et certains des personnages principaux  vont se brouiller, pour une raison que je laisse à chacun le soin de découvrir.

   C'est une belle œuvre humaniste, sur notre époque et les rapports humains.

samedi, 01 janvier 2022

La légion d'honneur pour Ben Laden

   La promotion de janvier 2022 de l'ordre de la Légion d'honneur fait chauffer les claviers, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Certaines minorités actives ont ravivé le « Buzyn bashing » contre l'ancienne ministre de la Santé... avec des motivations pas toujours avouées ni avouables. Ces extrémistes masqués reprochent à la ministre sa gestion de la pandémie... dont les dégâts se faisaient à peine sentir au moment où elle a quitté son poste, en février 2020. On semble avoir aussi oublié qu'à l'époque, nombre de spécialistes (ou prétendus tels), le fameux Raoult inclus, minimisaient la gravité de la crise sanitaire.

   Mais revenons à la promotion 2021. Elle comporte beaucoup de noms d'élus, de hauts fonctionnaires et de professionnels de la santé. Mais ce n'est pas ce qui a attiré mon regard. Voici ce qu'on peut lire page 9 de la version pdf du décret :

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   Bien entendu, ce Ben Laden n'est pas Oussama, dont le cadavre gît sans doute quelque part au fond de l'océan Indien, dévoré par les bactéries (un juste retour des choses). Le Ben Laden dont il est question est l'un de ses neveux, Mohamed, avocat de profession. Sa biographie nous apprend qu'il a suivi toutes ses études en France. C'est la troisième présidence française sous laquelle il reçoit une breloque. En 2010, sous Nicolas Sarkozy, il avait (curieusement) reçu les Palmes académiques. En 2013, sous François Hollande, il fut fait chevalier de la Légion d'honneur... quelques années avant que ce même président ne décore l'un des princes saoudiens.

   Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour soutenir nos exportations !

mardi, 28 décembre 2021

Injection force 3

   Quand je pense que, lorsque j'étais enfant, j'avais une trouille bleue des piqûres... Me voilà à trois injections en sept mois ! J'ai donc très récemment complété mon profil vaccinal, avec une nouvelle dose de Moderna. (Le fait d'avoir choisi ce vaccin, de préférence au Pfizer, pour ma première injection, m'avait permis de décrocher un rendez-vous plus rapidement, en soirée.)

   Lorsque le gouvernement avait annoncé que le "passe sanitaire" perdrait de sa validité si l'on n'ajoutait pas un rappel, j'ai laissé passer deux jours, tant je pensais que le flux de demandes de rendez-vous risquait d'être important, sur internet. Quand je m'y suis mis (toujours par l'intermédiaire de Doctolib), je suis comme beaucoup tombé sur une page m'annonçant une attente d'une dizaine de minutes... qui, au bout d'un bon quart d'heure, n'était passée qu'à 8 minutes ! Agacé, j'ai laissé tomber, pour m'y remettre en pleine nuit, à la faveur d'une insomnie. Et là, ô miracle, j'ai immédiatement accédé à la plate-forme de prise de rendez-vous et j'en ai obtenu un sur ma période de congés.

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   Sur la carte ci-dessus, j'ai mis en valeur plusieurs points de repère :

- le "vaccinodrome" d'Onet-le-Château (commune limitrophe de Rodez), où j'ai reçu mes deux premières injections

- l'usine Bosch (ex-premier employeur privé du département), actuellement en grande difficulté

- la cathédrale de Rodez, la plus belle du Monde

- le centre de vaccination de Bourran, situé à proximité immédiate de l'hôpital, sur un plateau séparé du centre de Rodez par la vallée de l'Auterne (un affluent de l'Aveyron)

   Comme ce centre est aussi voisin de l'IFSI (l'école d'infirmières ruthénoise), une rumeur a circulé, comme quoi ce seraient les jeunes apprenties qui procèderaient aux vaccinations. Je peux certifier ici que ce n'est nullement le cas. Qu'elles soient en vacances ou requises à d'autres tâches, les demoiselles en blouse blanche n'étaient pas là.

   Quoi qu'il en soit, le centre est bien organisé. Un parcours fléché a été mis en place. On doit commencer par remplir une fiche et montrer sa carte d'identité, celle de Sécurité sociale ainsi que son certificat de vaccination... quand on vient pour une troisième dose. À ma grande surprise, le jour où je me suis fait "perforer" le bras, j'ai assez souvent entendu parler de primo-vaccination ou de deuxième injection (pour des personnes ayant déjà eu le covid). Globalement, la moyenne d'âge était élevée, avec une grande majorité de personnes de plus de cinquante ans et un petit groupe de lycéens-étudiants.

   Au niveau des effets secondaires, je n'ai à signaler que l'habituelle petite douleur au bras, le soir et le lendemain de l'injection. Je précise que, sur les conseils d'une infirmière, j'ai pris un cachet de paracétamol dans la demi-journée suivant mon rappel.

lundi, 27 décembre 2021

Un papa, une maman... oui, mais, lesquels ?

   Je recommande vivement l'écoute d'un reportage d'une demi-heure, intitulé "Les liens du sang", diffusé ce lundi, sur France Culture, dans le cadre de l'émission Les Pieds sur terre. Je trouve ce programme parfois très intéressant, bien qu'inégal en fonction du sujet abordé... et de son "angle d'attaque".

   Le reportage de ce jour est en réalité une rediffusion du 5 mars 2014. Sans trop en dire sur le contenu, je peux quand même affirmer que ce genre d'histoire a sans doute influé sur l'écriture du scénario du dernier film (surcoté) de Pedro Almodovar, Madres Paralelas.

   Il est question d'une mère et de sa fille. La première a eu une existence un peu cabossée, quittée par l'homme qu'elle aimait et diffamée par le voisinage. La seconde est ce qu'on pourrait appeler "une belle personne", une jeune adulte pleine de promesses. J'étais en train de conduire quand je suis tombé sur cette émission, que j'écoute de temps à autre. Cela a embelli mon début d'après-midi.

dimanche, 26 décembre 2021

Ils ont bien du mérite !

   Régulièrement, je jette un œil aux promotions de la Légion d'honneur, cet aréopage de vanités facilement contentées. Les (vieux) lecteurs de ce blog se souviennent peut-être qu'en 2011, j'avais consacré trois billets aux promotions de janvier (où figurait Jean-Claude Luche, à l'époque président du Conseil général de l'Aveyron), avril (avec, entre autres, Pierre Soulages) et juillet (concernant Simone Anglade, aujourd'hui décédée).

   J'avais récidivé en 2012, avec les promotions de janvier (vue sous l'angle lozérien) et juillet (centrée sur les Aveyronnais, avec un petit bonus sur l'Ordre national du Mérite). En 2013, je m'étais intéressé à la promotion de Pâques, sous l'angle politique (national et régional, au sens large).

   Ensuite, j'ai un peu laissé tomber, tant cela me paraissait répétitif. J'ai quand même jeté un œil attentif à la promotion de juillet 2019, histoire de voir si, sous Emmanuel Ier, les pratiques avaient un peu changé.

   Jusqu'à présent, j'avais laissé de côté l'autre décoration. C'est un article du quotidien Centre Presse, paru (en ligne) hier, qui m'a incité à me replonger dedans. Première surprise : l'information n'est pas d'une extraordinaire fraîcheur, puisque le décret auquel il est fait allusion date du 24... novembre 2021. Difficile dans ces conditions de parler d'un "cadeau de Noël" pour les personnes distinguées (à supposer que recevoir ce genre de décoration soit une distinction).

   En consultant la liste de ces compatriotes méritants, je suis tombé sur plusieurs Aveyronnais, ainsi que sur quelques personnes ayant un lien avec le département.

   La première de la liste est Colette Cambournac (nommée "chevalier"... "chevalière" ?), une militante de la cause des femmes.

   Lui succèdent deux hauts fonctionnaires, nommés chevaliers sur le contingent du ministère de l'Intérieur. Michel Laborie, né à Montbazens, a travaillé pendant une vingtaine d'années dans l'Aveyron avant de partir pour d'autres horizons. Après son dernier poste dans le Tarn voisin, il vient tout juste de prendre sa retraite. L'ironie de l'histoire est que, dans la liste des promus de novembre 2021, quelques lignes plus haut, on trouve son jeune successeur à la préfecture du Tarn, Fabien Chollet.

   Du côté des élus, c'est dans le contingent du ministère de la Cohésion des territoires qu'il faut chercher. On y trouve Élodie Gardes, agricultrice et maire de Lassouts depuis 2008. J'ajoute la présence d'un voisin cantalien, André Dujols, maire de Saint-Cernin, lui aussi nommé chevalier.

   En déroulant la liste, nous voilà arrivés à Michel Malet, qui seul a les honneurs de l'article de Centre Presse mentionné dans la première partie de ce billet. En Aveyron, il est connu pour deux raisons. Récemment, il a aidé les agriculteurs de l'Aubrac lozérien à ressusciter la culture de pommes de terre sur leur territoire, afin notamment de pouvoir produire (avec de la tome de Laguiole) un aligot "100 % aubracien" (même s'il reste la question de l'ail). Je me suis laissé dire que cette initiative lozérienne avait éveillé la curiosité d'autres producteurs, du côté aveyronnais... Mais ce n'est sans doute pas cette (louable) contribution à l'authenticité gastronomique locale qui a valu sa nomination à Michel Malet. Je pense que son action bénévole et son investissement dans l'aide au développement ont davantage compté.

   Il n'est pas le seul Aveyronnais distingué sur le contingent du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. On y trouve aussi Sarah Singla, une agricultrice devenue une référence dans son domaine de prédilection, la préservation des sols.

   Voilà pour ce florilège. Les trente-cinq (!) pages du décret recèlent sans doute d'autres pépites, mais je préfère garder des forces pour la prochaine promotion de la Légion d'honneur (celle de janvier 2022).