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dimanche, 20 janvier 2013

Jean de la Lune

   Je suis un peu comme certains personnages adultes de ce dessin animé : j'avais oublié Jean de la Lune, alors que c'est une figure dont on m'avait parlé dans l'enfance. Mi-extraterrestre mi-humain, il se retrouve sur Terre, pour son bonheur comme pour son plus grand malheur.

   L'unique habitant de la Lune s'ennuie. Voilà pourquoi il quitte notre satellite pour gagner notre planète, où il va faire la connaissance d'enfants (qui ne peuvent s'endormir sans sa présence rassurante), d'un savant fantasque et génial (Ekla des Ombres) et d'un dictateur mégalomane, qui se fait passer pour son ami.

   Cette animation en apparence anodine brasse donc des thèmes importants : l'amitié, la nature, l'ambition, la servilité. Le fil rouge est une voiture américaine, que l'on voit partir d'un cinéma en plein air au début du film (et qui y retourne tout à la fin, je vous laisse découvrir pourquoi).

   On sent que Tomi Ungerer, marqué par les totalitarismes du XXe siècle, a voulu les dénoncer. Il croise le portrait sans concession du dictateur avec un rapide tableau de la société de cour qui l'entoure, l'accent étant mis sur son bras droit, un crétin servile. Une touche d'humour vient à chaque fois ridiculiser la grandiloquence de ces importants : un ours, utilisé comme trophée, statue ou carpette... mais toujours vivant, ce qu'il cherche évidemment à cacher !

   La fantaisie est de mise chaque fois que le scientifique Ekla est à l'écran. Un peu trop naïf, il se fait dans un premier temps manipuler, avant de contribuer au sauvetage du héros.

   L'animation est assez perfectionnée. De prime abord, cela ressemble à certaines productions françaises, avec un côté art-déco. Mais, dès que l'on s'intéresse aux mouvements des personnages, on se rend compte de la méticulosité du travail effectué. La musique d'accompagnement, très variée, est vraiment chouette.

   Petit bémol à mon enthousiasme : le rythme est un peu lent. On aurait pu pratiquer quelques coupes, pour aboutir à un film d'1h20 - 1h25, au lieu d'1h35.

   PS

   Sur le site dédié, on peut télécharger divers documents, notamment un dossier d'images à colorier, pour les enfants.

13:04 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

vendredi, 18 janvier 2013

Argo

   Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Alors que le film de Ben Affleck vient de recevoir deux Golden Globes ("meilleur film dramatique" et "meilleur réalisateur") et qu'il est sept fois nominé aux Oscar, certains cinémas ont eu la bonne idée de le reprogrammer... ce qui m'a permis de le voir, enfin.

   Même si l'essentiel de l'histoire se déroule à Téhéran, en Iran (les scènes correspondantes ayant été tournées en Turquie), un nombre non négligeable de séquences ont pour cadre soit Washington (et la Virginie), coeur du pouvoir politique états-unien, soit la Californie et Hollywood, coeur du pouvoir culturel yankee. On nous présente deux milieux très contrastés, l'un peuplé de types cassants et engagés dans des luttes d'influence, l'autre de branquignols plus ou moins doués, capables du meilleur comme du pire. Je vous laisse imaginer dans quelle catégorie il faut ranger la CIA... Cela nous vaut quelques moments savoureux, avec de vieux routiers comme John Goodman.

   Le coeur du sujet est la crise des otages. Les scènes de foule iranienne sont particulièrement réussies. Les précieuses anecdotes de tournage du site Allociné nous apprennent que des techniciens ont été mêlés aux figurants. L'impression de réalisme est grande... et, si l'on a déjà vu certaines images d'époque (notamment l'assaut contre l'ambassade américaine), on est frappé par la ressemblance.

   Viennent ensuite les moments plus intimistes, centrés sur les six réfugiés logés chez l'ambassadeur du Canada. C'est le prétexte à un beau portrait de groupe, avec des acteurs très bons, choisis aussi sans doute pour leur ressemblance avec les personnages qu'ils incarnent. (Je conseille de rester à la fin : on nous propose une intéressante comparaison entre les images réelles et certaines, issues du film.) On ne nous cache pas leurs faiblesses, leurs dissensions. Les spectateurs peuvent facilement s'identifier à ces individus qui ne semblent pas sortir de l'ordinaire. L'un d'entre eux, Marek Lijek, a récemment livré son témoignage.

   La dernière partie du film est construite sur le mode du suspens. Ben Affleck y abuse du just in time, que ce soit à propos d'un coup de fil à Hollywood, de la réservation des billets d'avion comme du décollage final, dans une scène dont on sait aujourd'hui qu'elle est complètement inventée. (On pourrait aussi reprocher au scénario d'éviter de dire clairement que l'ambassadeur du Canada, qui a sauvé la mise des six rescapés, était devenu un agent de la CIA.)

   Cela reste un bon divertissement, bien joué, qui manie de manière sensible la pâte humaine. Même s'il glorifie l'Amérique débrouillarde, il a l'honnêteté de ne pas cacher les sujets de mécontement des Iraniens, qui avaient des raisons d'en vouloir à Oncle Sam... et qui (exception faite de l'employée de maison de l'ambassadeur) sont dépeints de manière assez unilatérale dans ce film.

mardi, 15 janvier 2013

Tabou

   Depuis plusieurs semaines, il est beaucoup question du film (en noir et blanc) de Miguel Gomes, porté par le bouche-à-oreille des cinéphiles. Il est divisé en deux parties, placées dans l'ordre chronologique inverse.

   On commence donc par suivre la fin de vie d'une vieille dame qui a dû être belle, jadis. Elle perd un peu la tête, mais ne manque pas de caractère... ce qui ne simplifie pas le travail de son auxiliaire de vie cap-verdienne. Une voisine esseulée va se rapprocher d'elle. Il faut s'accrocher un peu pour s'intéresser à cette histoire de petits riens du quotidien. Ce long prologue, pas très bien joué (à l'exception de Laura Soveral, qui incarne l'héroïne), est pourtant nécessaire pour comprendre la suite.

   La seconde partie nous plonge plus de 40 ans en arrière, dans le monde colonial portugais, au Mozambique. A proximité du mont Tabou se sont installés des Blancs, servis par une pléiade de Noirs. Ah, le bon temps des colonies... Ne comptez pas sur ce film pour étudier les rouages de la domination européenne. Il est question de convenances sociales et d'amour (ce qui n'est pas sans rapprocher Tabou d'Anna Karenine, pourtant très différent sur la forme).

   La grande réussite de cette deuxième partie est d'avoir juxtaposé les images, muettes, les sons de l'Afrique, la musique dansante des années 1950-1970 et la narration d'un vieil homme qui fut un jeune amant fougueux. Bien que ne bénéficiant pas des dialogues, on comprend sans problème le déroulement de l'action. Les acteurs sont très expressifs et l'image d'une grande beauté. La musique, qui s'apparente à du twist américano-portugais, est entraînante.

   Le fond est un peu triste, mais c'est une belle histoire.

22:20 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

dimanche, 13 janvier 2013

Anna Karenine

   C'est une nouvelle adaptation du roman de Léon Tolstoï, cette fois-ci par Joe Wright, un Britannique qui a aussi une formation théâtrale. C'est la principale originalité de ce film : il se déroule sur plusieurs plans, certains d'entre eux étant symbolisés par des décors de théâtre.

   C'est ce qui m'a longtemps fait hésiter. Finalement, c'est très réussi. Je redoutais un procédé trop conceptuel, associé à une esthétique cheap. C'est en fait brillamment mis en scène et les décords sont somptueux. Evidemment, le numérique est passé par là, qui facilite la transition entre scène de plateau et scène (supposée) d'extérieur.

   Du coup, on passe un très bon moment, au plaisir des yeux s'ajoutant la qualité du jeu des acteurs. On sent que Keira Knightley s'est beaucoup investie dans le rôle-titre. Je ne peux toutefois m'empêcher d'être irrité par ses moues d'enfant gâtée (et comme les gros plans sont légion...). On note qu'elle est souvent vêtue de noir ou de couleurs proches du rouge, alors que les femmes de la "bonne société" sont habillées de blanc ou de beige.

   D'autres interprètes féminines sont tout aussi remarquables : Emily Watson (appelée désormais à jouer les rombières), Kelly McDonald (à suivre), Ruth Wilson... et surtout Alicia Vikander, qui confirme tout le bien que l'on pensait d'elle depuis A Royal Affair.

   Je n'ai par contre guère apprécié l'interprétation du comte Vronski par Aaron Johnson. Certes, le personnage est censé être un peu falot par rapport à l'impétueuse Anna, mais je trouve sa composition trop convenue. Il était meilleur dans Albert Nobbs. Du côté masculin, c'est Jude Law qui impressionne. Il casse son image, incarnant un cocu magnifique, dévot à l'extrême.

   L'ensemble est très agréable. On peut se laisser porter par cette histoire d'amour tragique. On peut aussi s'intéresser au tableau de la société russe de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les femmes y sont soumises à une étiquette rétrograde et les pauvres subissent la domination de l'aristocratie. Le tourbillon révolutionnaire ne s'est pas encore formé, mais on en distingue les prémices.

   De surcroît, l'intrigue croise habilement l'histoire de trois couples : Anna et Vronski, celui constitué par le frère d'Anna (un libertin impénitent) et son épouse (allègrement trompée) et celui, porteur d'espoir, que finissent par former Kostya et Kitty).

14:18 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

dimanche, 06 janvier 2013

Les Bêtes du Sud sauvage

   Ce film surprenant mêle deux registres : la chronique sociale (réaliste) et le conte (fantastique). L'histoire se déroule dans le Sud de la Louisiane, qui n'a pas totalement pansé les plaies de l'ouragan Katrina. Les héros évoluent dans le bayou, entre La Nouvelle-Orléans et le Golfe du Mexique. La pêche et l'élevage de poules sont les principales source d'alimentation.

   L'accent est mis sur les relations compliquées entre un père débrouillard et autoritaire et sa jeune fille, Hushpuppy, dont le tempérament cache une grande détresse : le manque d'affection, le père n'étant pas démonstratif et la mère n'étant plus là, pour on ne sait quelles raisons. Ces deux personnages sont incarnés (avec talent) par des acteurs non professionnels : l'homme était boulanger et la gamine a été sélectionnée parmi 4 000 candidates !

   Le quotidien est fait de crasse et de tensions. On se croirait dans le Tiers Monde. Les adultes picolent sec, mais ils n'ont pas l'alcool mauvais. Ils vivent leur petite vie, à l'écart de la grande Amérique. L'arrivée d'un ouragan bouleverse cette routine. On suit ceux qui sont restés, notamment le père et la fille, en plein conflit (le père a de plus en plus de mal à dissimuler sa maladie). On constate l'étendue des dégâts.

   Les scènes hyper-réalistes alternent avec des moments oniriques. Il semble que ce soit la petite fille qui imagine l'arrivée d'aurochs (plutôt des porcs sauvages, en fait). On se demande alors si les bêtes du titre sont ces animaux-là ou si ce n'est pas la métaphore des rapports humains (ou la vision que les autres habitants ont de la petite troupe qui vit dans son coin).

   Le monde réel rattrape nos héros. On veut faire leur bien malgré eux : les enlever de la zone dangereuse et les intégrer à la "civilisation". Le réalisateur prend clairement parti contre cette politique. Je l'ai trouvé un peu naïf dans sa présentation de la vie solidaire de ces nouveaux Robinsons.

   Les images n'en sont pas moins belles, que ce soient les vues du bayou que les scènes d'intérieur, avec les gros plans de la nourriture. La séquence la plus réussie est pour moi celle qui est liée à l'île-cabaret, où les enfants finissent par se rendre. Ils y découvrent une ambiance plus tendre, filmée dans des tons plus chauds.

   C'est donc globalement bien fichu mais, sur le fond, complaisant avec cette vie de pauvreté farouche qui offre peu de perspectives  d'avenir aux enfants.

15:50 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

jeudi, 03 janvier 2013

Cogan

   ... Killing them softly, en version originale ("Les tuer gentiment"). Brad Pitt incarne un tueur expérimenté, qui sert d'intermédiaire, d'entremetteur quand des situations compliquées se présentent. L'intrigue est limpide : un duo de jeunes cons veut se faire de la thune facilement. Il est engagé par un commerçant malin. Ils commettent l'erreur de braquer un tripot : les truands qu'ils ont dévalisés vont vouloir se venger.

   On suit donc la pente inexorable qui mène à l'exécution des trois voleurs. L'originalité du film est de nous montrer la genèse des contrats qui vont porter sur leurs têtes. On suit les négociations, puis les discussions entre acteurs de la vengeance. On aboutit enfin à quelques scènes violentes, mises en scène avec une grande minutie (marque de fabrique du réalisateur), de manière presque clinique. Il n'y a rien de trop dans ces moments sanglants, mais il ne manque rien non plus.

   On sent qu'Andrew Dominik (injustement encensé pour L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) a vu et apprécié les films de Quentin Tarantino. Mais il n'en a pas la verve, le souffle, même s'il ne manque pas d'habileté. Du coup, par moments, on se désintéresse de cette histoire de truands pour se pencher sur les rapprochements effectués avec le fonctionnement de l'économie américaine. (Des extraits de journaux télévisés sont régulièrement insérés dans le cours de l'action, ou simplement diffusés en fond sonore.)

   De manière assez attendue, le déclenchement de la crise financière (l'action se déroule pendant la campagne présidentielle d'octobre-novembre 2008) est montré comme le résultat de l'action de financiers voyous. Plus intéressant est le parallèle tracé dans l'autre sens. En effet, à cause du braquage des deux jeunes cons, c'est toute l'économie (clandestine) des tripots qui est menacée. Il faut d'urgence restaurer la confiance, quitte à s'en prendre à celui qui, bien que n'étant pas coupable, passe pour l'être aux yeux de la majorité.

   Vu que les dialogues occupent une part importante de "l'action", je conseille de voir le film en version originale. Les acteurs sont très bons. On retrouve une brochette d'habitués des seconds rôles (James Gandolfini, Richard Jenkins, Ray Liotta...). Le mélange du polar et de l'analyse politico-économique ne fonctionne toutefois qu'à moitié. C'est un peu trop verbeux.

13:15 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

mardi, 01 janvier 2013

Les "Riton" 2012

   Pour la septième fois consécutive, je me suis efforcé de construire mon palmarès annuel. Il a fallu faire des choix parfois difficiles, tant le nombre de films qui m'ont plu est grand. J'ai gardé ceux qui m'ont laissé la plus forte impression, ou qui ont fait preuve d'originalité. Cela donne un florilège d'une cinquantaine de longs-métrages, que j'ai classés de la manière suivante.

 

   Dans la catégorie "film d'animation" :

- Riton du meilleur film pour adultes : Le Magasin des suicides

- Riton de la meilleure fantaisie historique : Zarafa

- Riton du meilleur conte : Le Jour des corneilles ex aequo avec Rebelle

- Riton du meilleur film transculturel : Couleur de peau : miel

- Riton de l'animation japonaise : Les Enfants Loups ex aequo avec La Colline aux coquelicots

- Riton du meilleur Burton : Frankenweenie

- Riton de la meilleure poursuite de série : L'Age de glace IV

- Riton de la pâte à modeler : Les Pirates, bons à rien, mauvais en tout

 

   Dans la catégorie "comédie" :

- Riton de la meilleure satire politique : The Dictator

- Riton du meilleur film antiaméricain : God Bless America

- Riton de la comédie la plus malsaine : Touristes

- Riton de la comédie sans complexes : 2 days in New York

- Riton de la comédie décalée : Adieu Berthe, ou l'enterrement de mémé

- Riton de la comédie farfelue : Camille redouble

- Riton de la comédie qui ne paie pas de mine : Radiostars

- Riton de la comédie nostalgique : Stars 80

 

   Dans la catégorie "film d'époque" :

- Riton du film de rebelles du peuple : Les Chants de Mandrin

- Riton du film de rebelles de l'élite : A Royal Affair

- Riton du film d'amour contrarié : Les Hauts de Hurlevent

- Riton du film "de qualité française" : Augustine

- Riton du film favorable au "mariage pour tous" : Albert Nobbs

- Riton du film clitoridien : Oh my God !

 

   Dans la catégorie "conflits contemporains" :

- Riton du film évoquant la guerre d'Espagne : Insensibles

- Riton du film évoquant la Seconde guerre mondiale : Aloïs Nebel

- Riton du film mettant à jour un aspect méconnu de la Shoah : Sous la ville

- Riton du film évoquant la Guerre Froide : La Dette

- Riton du film radioactif : La Terre outragée

- Riton du film eastwoodien : J Edgar

 

   Dans la catégorie "Proche et Moyen Orient"

- Riton du film choc : Incendies

- Riton de la comédie sociale drôlatique : La Vierge, les Coptes et moi

- Riton du film féministe : Les Femmes du bus 678

- Riton du polar islamique : Une Famille respectable

 

   Dans la catégorie "société actuelle" :

- Riton du film sur la crise financière : Margin Call

- Riton du film sur le troisième âge : Robot and Frank

- Riton du film sur l'émigration africaine : La Pirogue

- Riton du film sur les défis de l'intégration : La Désintégration

- Riton du meilleur biopic : Cloclo

 

   Dans la catégorie "documentaire" :

- Riton du film qui donne envie d'aller à l'opéra : Traviata et nous

- Riton du film qui a donné le goût du théâtre : César doit mourir

- Riton du film qui donne faim : Entre les Bras

- Riton du film qui donne envie de visiter la Scandinavie : Jon face aux vents

- Riton du film qui donne envie d'adopter un chat : Félins

- Riton du film qui donne envie de meugler : Bovines

 

   Dans la catégorie "polar - film d'action" :

- Riton du film sur la lâcheté : 38 témoins

- Riton du film sur les trafiquants de drogue : Miss Bala

- Riton du film de baston : Avengers

- Riton du film d'espionnage : Skyfall

- Riton du film d'anticipation : Looper

- FILM DE L'ANNEE : Bullhead

 

   Pour les amateurs de drogue dure :

- les Riton 2011

- les Riton 2010

- les Riton 2009

- les Riton 2008

- les Riton 2007

- les Riton 2006

17:19 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

lundi, 31 décembre 2012

Ernest et Célestine

   Après Le Magasin des suicides (macabre à souhaits) et Le Jour des corneilles (enlevé et mystérieux), voici une troisième production (au moins en partie) française dans le domaine de l'animation.

   On découvre d'abord une partie du monde de Célestine, la souris, dans un dortoir à l'ancienne, où ce qui ressemble à une bonne sœur terrifie les pensionnaires avec l'histoire du "grand méchant ours". Évidemment, Célestine ne croit pas à ces fadaises... et elle dessine ce qu'elle pense. Comme, en plus, elle ne rapporte que peu de dents d'ours, elle n'est guère utile à sa société souterraine. (A tous les parents qui se plaignent de voir leurs enfants manger trop de sucreries, je recommande vivement d'emmener leur progéniture voir ce film, ne serait-ce que pour la première séquence chez le dentiste !)

   On nous présente ensuite Ernest, qui vit seul au fond des bois, dans sa cabane brinquebalante, où s'entassent divers objets et instruments de musique. Il n'a pas de travail et il a faim. Il se rend donc en ville, où nous découvrons une famille de commerçants : le père vend des sucreries, la mère des dents ! Le fils préfèrerait manger des douceurs plutôt que de penser à succéder à ses parents, mais on ne lui laisse pas trop le choix. Le premier commerce devient la proie d'Ernest, guidé par Célestine.

   Au-delà de la confrontation de ces deux univers (a priori si différents mais finalement si ressemblants), le film traite d'une rencontre improbable, celle d'une souris et d'un ours qui ont en commun le tempérament artistique et un certain décalage vis-à-vis du monde dans lequel ils vivent. Ces individus à la marge vont faire l'objet de poursuites acharnées de la part des forces de l'ordre des deux univers, tout ça à cause du vol de centaines de dents et de l'introduction de l'ours dans le monde des souris.

   C'est drôle, sans doute un peu compliqué pour les tout petits, avec des clins d’œil pour les adultes. Le tracé des personnages est vraiment original. L'animation des souris est gracieuse, subtile, sans que cela se voie. C'est à la fois joli et expressif, le tout sur une musique légère. Pour les ours, il m'a semblé néanmoins percevoir l'influence des mangas japonais. Le mélange des genres est réussi et l'on passe un bon moment, avec une histoire pas idiote sur le fond.

   P.S.

   Le site internet dédié est sympa.

20:58 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

samedi, 29 décembre 2012

Touristes

   Ben Wheatley est un réalisateur qui explore le "côté obscur" de l'âme humaine. De lui, on a déjà pu voir cette année l'étonnant Kill List, à la limite du polar social et du thriller. Avec Touristes, on passe à l'humour noir, sarcastique, dérangeant, dans un style qui n'est pas sans rappeler l'excellent God Bless America, même si ce dernier film a une portée morale plus grande.

   Les deux héros, qui forment rapidement un couple, sont deux "petits blancs", à la marge de la société de consommation. Lui, plutôt charismatique, n'est pas très beau. Elle est d'un physique quelconque... et surtout elle est d'une assez grande immaturité affective. Cet improbable duo devient une redoutable équipe de tueurs en série... un peu par hasard, lors d'un périple touristique dans le nord de l'Angleterre.

   C'est là que l'on voit que le réalisateur nous a tendu un piège. Leur première victime (un enculé de première... si, si, je vous assure) nous est volontairement, caricaturalement, présentée comme antipathique. On est censé croire que son décès résulte d'un malencontreux accident, mais on a tout fait pour que les spectateurs accueillent sa mort avec joie.

   Cela se complique avec les victimes suivantes, dont le meurtre est à chaque fois prémédité par l'un des membres du duo. Ils ne sont pas franchement odieux, ont visiblement tous fait des études supérieures (l'un d'entre eux reconnaît même être passé par une école privée), ne veulent faire de mal à personne... Certains sont écolos sur les bords. Bref, ce sont des bobos ! Malaise dans la salle de l'Utopia de Toulouse (où j'ai vu le film) : une bonne partie du public pourrait se retrouver à la place des trucidés !

   Plus qu'une revanche morale, ces meurtres (sanglants... et montrés comme tels... super !) sont une revanche sociale. Les assassins sont des ratés : lui est au chômage et ne parvient pas à écrire son livre ; elle, à plus de 30 ans, vit encore chez sa mère. Leurs victimes sont bien insérées dans la société, elles sont du "bon côté" : elles ont une plus belle caravane, pratiquent la randonnée, le vélo ou le jogging, ont des "valeurs"... Le réalisateur met en scène la révolte de petits bourgeois en voie de prolétarisation contre la moyenne bourgeoisie.

   Le film est aussi intéressant sur le plan psychologique : on voit évoluer la relation trouble (et intense !) qui lie les meurtriers. Au départ, il est clair que Tina tombe sous la coupe de Chris (qui tue les deux premières fois). Le rapport de domination semble s'inverser au fur et à mesure que la jeune femme coupe les ponts avec la "civilisation".

   On peut néanmoins se contenter de voir ce film comme une bonne comédie sardonique. Il n'en reste pas moins très troublant sur le fond.

22:49 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

vendredi, 28 décembre 2012

Violeta

   Ce biopic atypique est consacré à une chanteuse célèbre en Amérique latine, Violeta Parra, qui s'est illustrée dans le Chili d'avant Augusto Pinochet. Le film fonctionne par alternance de moments puisés dans l'enfance et l'âge adulte de l'artiste. C'est une sorte de puzzle, ou de kaléidoscope.

   On découvre l'enfance de cette métis (à moitié mapuche), fascinée par ce père à la fois instituteur et musicien (et même comique), qui lui a transmis le goût du chant accompagné à la guitare... et une indéniable tendance à l'autodestruction. On se rend compte de la misère dans laquelle était plongé le peuple des campagnes chiliennes autour de la Seconde guerre mondiale.

   On suit la jeune femme dans ses débuts, d'abord avec une petite troupe. Elle fait passer sa vie de famille après ses aspirations artistiques. On la voit donner une représentation en Pologne puis s'installer à Paris, proposer ses toiles au Louvre (véridique). On prend conscience de ses engagements politiques. On peut la qualifier de "compagnon de route" du Parti communiste. (Voilà qui explique l'engouement ressenti par les intellos de gauche pour ce film...)

   De retour au Chili, elle se lance dans l'incroyable entreprise de collecte du patrimoine chanté populaire des campagnes, auquel elle tente de redonner vie. On la suit dans certaines de ses pérégrinations... La dame n'avait visiblement pas froid aux yeux !

   Ses amours ont été passionnelles et finalement malheureuses. Elle les retranscrit dans ses chansons, qui ont parfois aussi un aspect social. La force du film réside en grande partie dans la qualité du jeu de Francisca Gavilan, qui, à l'image de Cécile de France dans Soeur Sourire, interprète les chansons de l'artiste qu'elle incarne, dont Gracias a la vida, qui sert de générique de fin.

   La caméra filme la fille comme la femme de très près, pointant la saleté, les imperfections du visage comme le feu qui anime son regard et la beauté de son sourire. Je reprocherais toutefois au film sa longueur : 1h50, surtout qu'une demi-heure avant la fin, on sent très nettement quel tour prend la vie de l'artiste. Cela devient inutilement languissant.

   P.S.

   RFI a consacré une émission au film, l'invité étant le fils aîné de Violeta, Angel.

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mercredi, 26 décembre 2012

Les Hauts de Hurlevent

   C'est une nouvelle adaptation du roman d'Emily Brontë. Dans mon esprit, le titre faisait allusion à une chanson de Kate Bush et à un film, ancien (très noir), avec Laurence Olivier, que ma mère avait adoré.

   La première heure nous plonge dans cette lande brumeuse du nord de l'Angleterre, très peu peuplée, où les prés sont séparés par de petits murs de pierre, où souffle un vent à écorner les bœufs (même si, là-bas, on voit surtout des moutons et des chevaux)... un Aveyronnais peut y retrouver un peu d'Aubrac (en plus humide et moins enneigé). On y est attentif aux plantes, aux animaux ; on n'est pas rebuté par la boue.

   La réalisatrice, Andrea Arnold, économise les dialogues. Elle veut nous faire sentir le paysage et les sentiments qui traversent les protagonistes. C'est à mon avis parfaitement réussi : qu'y a-t-il de plus sensuel qu'un bas dévoilé par inadvertance, une épaule dénudée ou une mèche de cheveux échappée d'une coiffure (trop) ordonnée ? La caméra est près des corps : on voit bien les cicatrices du jeune homme, on suit la main de Catherine s'enfoncer dans ses cheveux crépus.

   Cette première heure est épatante parce qu'elle nous fait comprendre les frustrations et les aspirations des différents personnages : celles du jeune Africain Heathcliff (ramené à la ferme par le père à la fois autoritaire et chrétien convaincu), celles de Hindley, le fils limite abruti et celles de Catherine, la jeune fille au départ hostile, puis intriguée par l'étrange individu, un peu initiatrice, enfin amoureuse.

   Le film est tourné de manière objective, mais, de temps à autre, la vision qui nous est donnée subit l'influence de l'un des personnages, principalement Heathcliff et Catherine.

   La deuxième heure voit le retour d'Heathcliff, enrichi, et la décadence de la ferme familiale, reprise par Hindley, de plus en plus dépendant de son ancien souffre-douleur. Catherine en a épousé un autre, ce dont Heathcliff ne se remet pas. Le film ne suit pas exactement le roman et ne met pas en scène une implacable vengeance. On a plutôt l'impression que la fatalité est à l'œuvre. L'histoire s'arrête de plus au niveau de la première génération, alors que l'œuvre de Brontë poursuit avec les enfants (la fille de Catherine et son mari, le fils qu'Heathcliff va avoir avec la sœur de l'époux de Catherine... et le fils de Hindley, que l'on voit dans ce film).

   L'interprétation est de qualité. J'ai préféré les acteurs incarnant les amoureux jeunes (Solomon Glave et surtout Shannon Beer, plus convaincante de Kaya Scodelario, qui joue la Catherine adulte). Mais James Howson est aussi très bien. Parmi les seconds rôles, j'ai particulièrement apprécié les employés de la ferme et le père.

   Un film fort, sur la naissance d'un amour et la noirceur de la vie.

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dimanche, 23 décembre 2012

Héritage

   Ce film israélien, mêlant comédiens parlant arabe, hébreu et/ou anglais, est l'œuvre de Hiam Abbas (présente dans la distribution), une comédienne remarquée dans de multiples rôles, dans des films comme La Fiancée syrienne, Paradise now ou encore Amerrika.

   L'histoire se noue autour d'un mariage, celui de la fille d'un entrepreneur palestinien au bord de la faillite, en Galilée. Au sens strict, les protagonistes sont donc plutôt des Arabes israéliens, même si l'on sent que l'histoire pourrait s'appliquer plutôt à des Palestiniens de Cisjordanie occupée.

   L'entrepreneur est lui-même le fils d'un notable local, très malade. L'un des frères a des ambitions politiques (à concilier avec l'occupant israélien...), un autre, marié à une chrétienne, n'est toujours pas père et l'une des sœurs, la petite dernière, a décidé de mener se vie de femme à sa guise.

   On voit que la réalisatrice a eu l'habileté d'entremêler la politique avec des considérations économiques et la dénonciation du patriarcat. Et pourtant... aucune des nombreuses (et ravissantes) femmes que l'on voit à l'écran n'est voilée. Nous sommes dans la bourgeoisie proche du Fatah. Ce n'est donc pas un portrait fidèle de la société palestinienne que l'on nous propose, mais une tranche de vie des catégories aisées, elles aussi confrontées à des choix douloureux.

   Le contexte de la domination israélienne n'est que sous-jacent. On voit (et entend) régulièrement les avions de Tsahal parcourir le ciel. On voit parfois le résultat de bombardements. Les personnages tentent de vivre malgré tout. Au quotidien, ils sont amenés à croiser des Israéliens. S'ils veulent faire de la politique, ils vont être mis sous surveillance par la police.

   Mais le cœur de l'histoire est constitué de ces vies de femmes. Il n'y a pas de matriarche, l'épouse du chef de famille étant décédée, sans doute en mettant au monde la petite dernière. Du coup, ce sont les deux grandes sœurs qui incarnent les figures dominantes. Bien que modernes d'apparence et traitées d'égal à égal par leurs époux, elles poussent au maintien des traditions. Le film tente d'explorer ce paradoxe. Une seule des jeunes femmes adhère à ce schéma, la future mariée. Sa sœur est plus coquine, plus libertaire... un peu comme sa (jeune) tante, qui suit des études et s'est entichée d'un Anglais.

   C'est (très) bien joué, correctement filmé. Il ne faut pas s'attendre toutefois à un grand film à thèse sur le conflit proche-oriental. Mais cette fiction mérite le détour.

samedi, 22 décembre 2012

Le Voyage de Monsieur Crulic

   Ce voyage est (entre autres) celui réalisé par le corps du héros, ramené dans son pays d'origine (la Roumanie) par deux membres de sa famille. Dès le début, donc, on sait que cela finit mal. C'est une histoire (malheureusement) vraie, celle d'une erreur judiciaire. Mais elle est racontée sous forme animée, l'auteure (Anca Damian) mêlant les styles.

   Ce Roumain n'a pas eu la vie facile. Il a arrêté tôt l'école, n'a pratiquement pas connu sa mère (à cause de la séparation précoce de ses parents) et a perdu son seul enfant à la naissance de celui-ci. Comme beaucoup de Roumains arrivés à l'âge adulte dans les années 1990-2000, il a tenté sa chance à l'étranger. Une partie de sa famille a migré en Italie, lui s'est tourné vers la Pologne. C'est là qu'il va être accusé à tort, deux fois. Désespérant de faire valoir ses droits, il se lance dans une grève de la faim. J'ai retrouvé un peu de l'ambiance de l'excellent Présumé coupable. (Certains ont vu une parenté avec Hunger.)

   Ce film est aussi l'occasion de tracer un portrait sans complaisance de deux anciennes "démocraties populaires", à l'heure post-communiste. C'est particulièrement accablant pour les services publics : police, justice, hôpitaux, ambassade...

   Ah, oui, j'oubliais : l'histoire nous est contée à deux voix. La plupart du temps, on entend celle du narrateur, le héros (du moins l'acteur qui l'incarne). Le ton est rocailleux (à la slave), mélancolique. C'est de manière presque neutre que sont racontés des drames. L'autre voix est féminine ; elle donne un peu de perspective à l'histoire de Crulic.

   De prime abord, l'animation peut paraître rudimentaire, voire bâclée : cela ressemble à de la gouache. Mais l'auteure a mélangé les styles et les plans. Elle a inséré des photographies (surtout dans la première partie) et des effets numériques élaborés (comme cette soeur qui pleure, résumée à un oeil sur jupe qui finit par disparaître, sous l'effet de la douleur).

   La dernière séquence est un montage d'extraits de journaux télévisés traitant de l'affaire. On replonge dans le réel mais, finalement, c'est la fiction animée qui m'a paru la plus cruelle.

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vendredi, 21 décembre 2012

Le Hobbit : un voyage inattendu

   On prend (presque) les mêmes et l'on recommence ! Peter Jackson remet le couvert pour ce qui semble être le premier épisode d'une nouvelle trilogie, dont l'action est antérieure à celle du Seigneur des anneaux. On retrouve donc Bilbon, Frodon (brièvement), Gandalf et certains elfes. Les véritables héros sont une troupe de nains (plus grands que les hobbits mais plus petits que les humains et les elfes) : je vous garantis qu'on a soigné les trognes !

   Mais 2h45, c'est long... d'autant plus que l'histoire peine à démarrer. (Il paraît qu'il existe une version longue d'environ 3h30...) C'est qu'il faut concilier plusieurs types de public : les fans des romans, qui connaissent déjà l'histoire, ceux qui, comme moi, n'ont pas lu les livres mais apprécié la première trilogie et le nouveau public, qui n'a peut-être même pas vu ces films à la télévision ou en DVD.

   Cela commence sur le registre comique. L'interprète de Bilbon jeune, Martin Freeman (remarqué dans le rôle du docteur Watson dans la mini-série Sherlock), adopte avec une aisance déconcertante la posture de la victime consentante, bonne pâte qui se fait manger la laine sur le dos... la laine, et le reste, puisqu'il doit accueillir une belle bande de pique-assiettes ! Merci, Gandalf ! Dit comme cela, cela donne l'impression que la séquence est hilarante, mais, franchement, c'est très convenu.

   L'intrigue suit le même schéma que celle de la précédente trilogie. Ce premier volet pourrait être appelé "La Communauté des nains". La petite troupe se constitue, se chamaille, se bagarre et marche dans la campagne néo-zélandaise, à l'image de ce que l'on a vu naguère.

   Visuellement, c'est réussi, mais je ne vois pas ce que la 3D apporte. De plus, par moments, l'image m'est apparue surchargée d'éléments. On ne distingue pas tout nettement, d'autant plus que les scènes d'action sont menées tambour-battant. On est à la limite du jeu vidéo (ce n'est pas un compliment).

   Sur le fond, on sent que Tolkien avait puisé dans l'Ancien Testament. Ce peuple autrefois puissant, avide de richesses, qui a été vaincu et qui est désormais condamné à l'errance n'est pas sans rappeler les Hébreux. (Les références sont plus nauséabondes dans la trilogie déjà adaptée au cinéma.)

   L'histoire est malgré tout prenante. J'ai aimé la présentation de la puissance puis du déclin du royaume des nains. J'ai surtout apprécié de retrouver Gollum, que Bilbon rencontre et auquel il va dérober son "précieux". Les scènes confrontant les deux hommes font partie des meilleures du film. Petit plaisir perso : l'introduction (parcimonieuse, hélas) de Cate Blanchett, sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise.

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jeudi, 20 décembre 2012

L'Odyssée de Pi

   Ce nouvel Ulysse est un adolescent indien, dont le prénom a été choisi en référence à la piscine Molitor, à Paris. La première demi-heure est longuette, pas super bien jouée (ni doublée). Elle nous permet néanmoins de découvrir comment le garçon de l'ancien comptoir français de Pondichéry (où l'on enseigne encore la langue de Molière) a réussi à faire triompher le diminutif mathématique (Pi) sur les quolibets du genre "Pisseux".

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   Marquante est l'une des premières séquences à le mettre en contact avec le tigre. C'est l'occasion pour le père de donner une "leçon de vie" à ses fils. C'est aussi l'occasion pour le spectateur un brin attentif de se rendre compte que la réalisation manque parfois de rigueur : il est évident que le tigre n'a pas pu faire passer entre les barreaux le cadavre de sa proie, qu'il n'a pas encore dépecé.

   On retrouve cette négligence dans la séquence du naufrage. Il est vrai que, depuis le Titanic de James Cameron, la barre a été mise haut. Mais on se fout un peu de nous quand on laisse de côté la grande majorité des occupants du navire qui sombre et quand on évite de donner la cause de la catastrophe, quitte à ce que des enquêteurs japonais tentent de la découvrir plus tard. (C'est un procédé scénaristique - le lampshade hanging - récemment décrit dans une petite vidéo bien fichue mise en ligne sur le site du Monde.)

   La séquence nous met en contact avec un drôle de cuistot, sorte de beauf raciste incarné avec conviction par Gérard Depardieu. Dans la scène du repas, j'ai eu l'impression qu'il ne s'adressait pas au père du héros, mais à Jean-Marc Ayrault. Et pourtant, le cargo n'était pas en partance pour la Belgique...

   Arrive donc le naufrage. Moyen. Parfois invraisemblable, comme ce moment durant lequel le garçon est en suspension sous l'eau, face au navire qui coule, les lumières encore allumées.

   A partir du moment où il se retrouve dans le canot, en compagnie du tigre, le film devient presque bon. La relation ambiguë qui se noue entre le félin arrogant (très joli matou numérique) et l'ado maladroit est fouillée, intéressante. (J'ai bien ri quand il a été question de la délimitation du territoire de chacun. Le tigre - ici sans doute une tigresse - lui joue un petit tour façon Zarafa...) Les péripéties s'enchaînent, notamment en raison de la présence d'autres animaux. On sent la volonté de glorifier la nature, à travers ces scènes montrant l'océan, vu du dessus ou par en-dessous, de jour ou de nuit. Cependant, cela sent trop le montage numérique. J'ai pourtant vu le film en 2D, mais c'était parfois vraiment artificiel. Dommage.

   Bien que totalement invraisemblable, la séquence sur l'île végétale, peuplée de suricates, m'a beaucoup plu. Elle est formellement magnifique et riche de sens, sur le fond.

   Il reste que l'ensemble donne l'impression d'être un collage mal assemblé. Si j'étais mauvaise langue, je dirais que des producteurs en panne d'inspiration ont voulu réaliser un coup en puisant dans différents films à succès (Seul au monde, Slumdog Millionaire, Madagascar, Deux Frères, entre autres). Le résultat n'est pas très convaincant. Le mélange des civilisations et des mondes est un peu trop appuyé.

   Il n'aurait pourtant pas fallu grand chose pour que ce soit un grand film. Une demi-heure avant la fin, le héros adulte, qui raconte l'histoire, reprend son récit et en donne une autre version. Du coup, on se demande si tout ce que l'on a vu depuis le naufrage n'était pas mensonge ou fantasme. Malheureusement, ce filon n'est que trop peu exploité.

23:55 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film

dimanche, 02 décembre 2012

Les Lignes de Wellington

   La compagne et collaboratrice de feu Raoul Ruiz (elle a procédé au montage des Mystères de Lisbonne) a repris son dernier projet de film. Cela donne une ambitieuse coproduction franco-portugaise, dont l'intrigue se situe pendant l'invasion du Portugal par les troupes napoléoniennes, déjà présentes à l'époque en Espagne.

   Le fil rouge de l'histoire est la migration des civils portugais, qui fuient l'avancée des troupes françaises et les destructions opérées par les armées portugaises et britanniques, qui ont choisi de pratiquer la politique de terre brûlée, pour affaiblir l'envahisseur. L'objectif est de l'attirer au pied de fortifications réputées imprenables, construites dans le plus grand secret, au sud du pays, à l'initiative du général Wellington.

   On suit donc ces improbables colonnes de fuyards, mêlant aristocrates, bourgeois et gens du peuple, Portugais et Britanniques. Il y a ce mari épris de culture, qui recherche son épouse disparue. Il y a cette veuve anglaise, à laquelle un sous-officier portugais va s'attacher. Il y a les hommes de troupe (les personnages les mieux campés, à mon avis), qui entrent parfois en relation avec les infirmières (l'une d'entre elles interprétée -avec talent- par Elsa Zylberstein). Il y a cette jeune Anglaise volage. On n'a pas oublié les prostituées, ni les marchands. Certains saynètes sont croquignolesques, mais, globalement, l'accumulation lasse.

   Du coup, de temps à autre, on se réjouit de suivre un peu les Français. Hélas ! Ils sont systématiquement présentés sous un jour négatif. Et quand on se retrouve face à un trio d'acteurs bien de chez nous (Isabelle Huppert, Catherine Deneuve et Michel Piccoli), on apprend qu'ils incarnent des Suisses !

   Cete séquence est d'ailleurs à l'image du film : riche en promesses, s'appuyant sur une distribution prestigieuse, mal employée, et au final décevante. Le film pêche par la faiblesse de la direction d'acteurs. On a l'impression que la réalisatrice n'a pas osé se montrer trop directive avec ses comédiens... Le "métier" ne fait pas tout ! Et puis il y a ces scènes qui sont jouées comme du vieux théâtre filmé...

   Bref, en dépit de la présence de plusieurs moments savoureux, c'est dans l'ensemble assez maladroit et ennuyeux.

dimanche, 25 novembre 2012

Royal Affair

   Le titre aurait pu être traduit par "Liaison royale", mais cela aurait sans doute trop souvent évoqué le film d'Adrian Lyne (avec Michael Douglas et Glenn Close), pour le public francophone. L'intrigue s'inspire de l'histoire, méconnue, du médecin roturier allemand Struensee, qui devint le favori du roi du Danemark Christian VII (au XVIIIe siècle)... et l'amant de la reine Caroline. Le médecin n'était pas qu'un jouisseur : il tenta de moderniser le royaume.

   Ce film réussit l'exploit de tout aborder sans jamais paraître pesant. On a donc droit à une belle reconstitution historique, les messieurs bien cintrés dans leurs costumes et les dames à la poitrine impeccablement mise en valeur par leurs robes. On nous fait toucher du doigt les grandes inégalités sociales dont souffre le royaume. On sent le poids du puritanisme protestant.

   Les spectateurs français découvriront peut-être l'aura dont jouissaient les philosophes des Lumières jusqu'en Europe du Nord... chez les esprits éclairés. C'est un livre de Jean-Jacques Rousseau qui va enclencher la liaison entre la reine et le médecin... et celui-ci, devenu régent du royaume, recevra une lettre de Voltaire, ravi de la nouvelle politique suivie par le gouvernement.

   Mais c'est d'abord une histoire d'amour. La jeune Anglaise, encore adolescente, cultivée, croit que son royal époux sera le prince charmant qu'elle attend depuis toujours. Très dur est le retour sur terre, avec un époux à moitié dingue, jaloux de l'envergure intellectuelle de sa nouvelle jeune femme (qu'il va finir par appeler "maman" !), qui doit se soumettre aux aspects les moins reluisants de l'étiquette royale. Une fois la transmission de la couronne assurée, le souverain va d'ailleurs rapidement retourner dans les bras des prostituées (un monde dont le film trace hélas un portrait quasi enchanteur...).

   Le deuxième choc dans la vie de Caroline d'Angleterre est la rencontre de Struensee, qui la fascine de plus en plus. De son côté, le libertin contestataire, auteur de pamphlets contre la monarchie absolue et les privilèges, opposé au mariage, se rend compte qu'un sentiment inconnu est en train de naître en lui.

   Les acteurs sont excellents. La jeune Alicia Vikander est à la fois délicieuse et touchante en femme amoureuse et attachée au progrès. Mads Mikkelsen, que j'avais découvert dans Les Bouchers verts, a fait du chemin depuis. Il faut aussi signaler la performance de Mikkel Boe Folsgaard, dans le rôle du roi fantoche. Les autres acteurs sont tout aussi épatants.

   On regrettera toutefois que le réalisateur ne se concentre que sur les "élites" (et leur rivalité), le peuple étant montré comme une masse informe, manipulable, dont on sent néanmoins la réprobation à travers le silence qui accueille une exécution.

22:21 Publié dans Cinéma, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, cinema, film

samedi, 24 novembre 2012

Beautiful Valley

   Ce film israélien (connu aussi sous le titre Le Jardin d'Hanna) fait se percuter deux mondes : celui dans lequel ont grandi des personnes âgées, des pionniers de l'Etat juif, et celui dans lequel la population vit aujourd'hui, furieusement néo-libéral, consumériste et hyperindividualiste.

   On l'a peut-être oublié, mais parmi les fondateurs de l'Etat d'Israël, nombre de personnes avaient des convictions marxistes. Les kibboutzim ont été la traduction agricole de l'utopie sioniste de gauche. On en perçoit seulement l'écho dans le restaurant communautaire et les témoignages filmés que visionne l'héroïne, Hanna.

   Celle-ci, très âgée (80 ans environ), est veuve. Elle vit seule, même si sa fille habite le même kibboutz, qu'elle dirige d'ailleurs. Bien qu'à la retraite, Hanna ne peut s'empêcher de travailler. Comme on essaie de l'en dissuader, c'est de nuit qu'elle retourne sur l'exploitation agricole. Elle persiste aussi à s'investir dans les oeuvres collectives, qui n'intéressent plus grand monde. Du coup, sa vie tourne en rond ; elle ne fréquente pratiquement plus que d'autres vieillards. Seule une jeune femme, en passe d'effectuer son (rude) service militaire, semble trouver grâce aux yeux d'Hanna. La patriarche lui offre l'expérience, la douceur et le réconfort que la société moderne ne lui apporte pas.

   Attention toutefois avant de vous décider à aller voir ce film. Si les paysages sont magnifiques, c'est souvent montré en plan fixe et le rythme est à l'image du déplacement de la majorité des personnages : très lent. Si l'on supporte cela, on appréciera.

vendredi, 23 novembre 2012

Augustine

   Même si la (talentueuse) réalisatrice, Alice Winocour, cite plutôt Lynch et Cronenberg comme références, après avoir vu le film, il est évident que son œuvre est apparentée à L'Enfant sauvage (de Truffaut) et à Vénus noire (de Kechiche).

   Tirée de faits réels, l'histoire met en scène une lutte des classes (des femmes pauvres exploitées par la grande bourgeoisie française de la fin du XIXe siècle) et une lutte des sexes (des femmes malades traitées comme des objets par des médecins hommes).

   Il faut voir comment, dans la première partie du film, la servante est considérée par les participants au repas : c'est un être qu'on ne regarde (quasiment) pas, tant qu'il exerce ses fonctions. On est bien obligé de le regarder, de le considérer quand la crise d'hystérie se déclenche... mais l'on sent que les convives ont l'impression de se trouver au zoo.

   Les médecins de La Salpétrière sont un peu plus respectueux, mais Augustine est d'abord un sujet d'étude parmi tant d'autres. Dans le rôle titre, Stéphanie Sokolinski (alias Soko) est formidable. Les autres femmes (certaines de réelles malades de notre époque) sont aussi très bien campées. Face à elles se trouvent deux principaux médecins, incarnés avec talent par Olivier Rabourdin et Vincent Lindon (pourtant pas le premier choix pour le rôle de Jean-Martin Charcot).

   C'est ce dernier qui remarque Augustine. Se noue alors une drôle de relation, marquée par l'ambiguïté. Augustine considère Charcot comme son sauveur et transfère sur lui son énergie sexuelle inemployée. Charcot se montre plus humain que d'autres, mais reste globalement distant. Il veut se servir de cette patiente peu ordinaire pour faire progresser ses recherches... et sa carrière. Petit à petit, il se rend compte que les choses sont plus compliquées que prévu.

   Le film restitue les arcanes du monde médical et rend palpable la tension sexuelle refoulée. Soko est impressionnante lors des scènes de crise. La réalisatrice a su choisir les moments où le gros plan s'imposait (dans l'examen du corps) et ceux où il fallait élargir le regard. Certains mouvements de caméra (comme au début, lors de l'entrée d'Augustine en cuisine, peu avant la première crise) témoignent d'une habileté déjà grande. Voilà une réalisatrice à suivre.

19:13 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, cinema, film

jeudi, 22 novembre 2012

Stars 80

   J'ai longtemps hésité avant d'aller voir ce film. Je m'étais dit que cela devait être une nouvelle comédie lourdingue à la française, jouant outrageusement sur le voyeurisme ("Regarde comme ils ont vieilli !" ou "Elle a raté son lifting, celle-là !"). Ou bien, cela risquait de se limiter à une suite de reprises de vieux tubes...

   ... Eh bien j'avais tort !

   C'est d'abord un vrai film, qui commence par une séquence très réussie, en prison, avec un générique plutôt malin. On se demande vraiment ce que viennent faire ces deux gueules cassées là-dedans. Ces deux quinquas blancs, mal rasés, grands cernes sous les yeux, sont accueillis par un gardien Black (joli retournement de cliché). On finit par s'apercevoir qu'ils sont là pour une tout autre raison... et on finit par comprendre qu'ils n'auraient même jamais dû venir !

   Le duo Anconina-Timsit fonctionne très bien. Le premier en fait peut-être un peu trop. Il est à l'image des chanteurs qu'il tente de faire remonter sur scène : c'est une sorte de has been, un ancien jeune, qui a connu son heure de gloire, mais dont le talent a brûlé comme une chandelle.

   La séquence chez le producteur, qui les éconduit ironiquement, est aussi un petit bijou. Vient donc le moment de constituer l'équipe qui va tourner dans toute la France. Il faut retrouver les anciennes vedettes. Certaines ont totalement disparu de la circulation. D'autres vivotent, sans plus. Quelques-unes ont gardé un peu de leur aura passée... mais rien qu'un peu. Ces chanteurs font souvent preuve d'auto-dérision. J'ai adoré la séquence "mafieuse", dans le club de Jean-Luc Lahaye (en excellente forme physique, pour le plus grand bonheur de ces dames).

   Le tournant du film est le repas qui suit le premier concert, raté. Loin du strass et des paillettes, la chanson populaire française revit autour d'une table où des amitiés se nouent. C'est touchant et on prend plaisir à réentendre certains refrains.

   La suite est une sorte de success story. Dans le groupe de départ, on trouve Jean-Pierre Mader, qui assure, avec simplicité, le groupe Images et les Début de Soirée, que le duo de producteurs est allé chercher au fin fond d'un sordide kébab. Mais voilà que les deux producteurs se fâchent, alors que le triomphe est à portée de mains.

   Pendant ce temps-là, les artistes redécouvrent la grande vie. Le public afflue. Les salles sont plus grandes, les hôtels plus luxueux... et les cachets plus élevés. Une nuit, la libido de ces quinquas et sexagénaires se réveille. Et voilà le chanteur de Cookie Dingler qui nous la joue Kim Basinger (dans 9 semaines et demi)... un moment d'anthologie. Dans le même temps, Peter et Sloane, que la vie avait séparés, se rabibochent. Jean-Luc Lahaye, qui a fini par rejoindre le groupe, s'adonne à de drôles de jeux avec ses groupies... Mais la question qui taraude les insomniaques pas occupés à copuler est la suivante : qui peut faire jouir aussi bruyamment la pulpeuse Sabrina (toujours aussi bien gaulée, mamma miaaa !) ?

   L'apothéose se produit au Stade de France, avec le retour de Jeanne Mas, aussi fragile qu'auparavant... et d'un Gilbert Montagné débarqué des États-Unis, où Anconina et Timsit l'avaient retrouvé des mois auparavant, pianiste expressif dans un temple protestant, dans une séquence digne des Blues Brothers !

   Bref, c'est drôle, entraînant et fort agréable à suivre, en dépit d'effets un peu trop appuyés.

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mercredi, 21 novembre 2012

Looper

   Ce polar de science-fiction louche sur Terminator et surtout L'Armée des douze singes (et donc aussi La Jetée, de Chris Marker). Le scénario en est clairement inspiré (parfois un peu trop). Bruce Willis fait le lien au niveau de la distribution et certaines scènes contiennent comme des clins d'oeil.

   Dans un futur proche, aux Etats-Unis (évidemment !), de jeunes tueurs à gages liquident les types qu'on leur envoie d'un futur encore plus éloigné (dans lequel il n'est plus possible de se débarrasser discrètement des gêneurs). Ils se paient en récupérant les lingots d'argent fixés au dos des victimes. Ils savent que leur contrat est terminé quand ils découvrent un max de lingots en or au dos de la dernière victime, leur alter ego du futur. Voilà qui boucle la boucle (loop). Ils peuvent profiter de la vie pendant 30 ans, sachant qu'on viendra un jour les chercher pour éliminer toute trace des exécutions.

   Comme Joe, le héros (du futur lointain), est incarné par Bruce Willis, on se dit qu'il ne risque pas de se faire zigouiller dans le premier quart d'heure... et l'on a raison ! Mais cela perturbe toute l'organisation, celle de 2044 et celle de 2074. L'espace-temps se tord, les souvenirs se modifient. On peut s'amuser à réfléchir aux changements qu'implique chaque acte nouveau de l'un des personnages principaux.

   On peut aussi se laisser aller à apprécier un bon film d'action, où les tueurs à gages manient le tromblon et les hommes de main du chef de gang des révolvers dotés d'un canon imposant... La réalisation est nerveuse, très au point au niveau des poursuites et des combats. Certaines scènes sont même impressionnantes, comme celle qui voit un échappé du futur subir les conséquences immédiates des tortures infligées à son alter ego plus jeune de 30 ans. D'un point de vue technique, c'est du niveau d'un bon Photoshop... mais c'est puissant cinématographiquement parlant !

   Les femmes jouent un rôle secondaire dans l'histoire... jusqu'à ce que le jeune Joe rencontre cette mère de famille, seule avec son fils (mais s'agit-il de son fils ?) au fin fond de la campagne. Emily Blunt (entrevue dans La Guerre selon Charlie Wilson) est épatante dans ce rôle ambigu de fausse femme forte et mère-courage, qui semble connaître beaucoup de choses pour une paysanne du Kansas... (Elle a un petit quelque chose d'Uma Thurman.) Notons aussi la performance du gamin, Pierce Gagnon, un acteur (en herbe) à suivre.

   Le rythme s'accélère à nouveau dans la dernière partie du film... et cela se termine par une boucle dans la boucle, une astuce scénaristique qui a perturbé beaucoup de monde. Si les élucubrations de fans plus ou moins inspirés vous intéressent, vous pouvez vous rendre sur un site spécialisé. (Cela part vraiment dans tous les sens !) De manière plus rationnelle, le réalisateur Rian Johnson a donné quelques clés pour mieux comprendre le film... A ne lire qu'après l'avoir vu !

   P.S.

  En France, certains critiques ont glosé au sujet d'un détail : dans la version originale, le héros apprend le français, alors que les "vieux" lui recommandent de se mettre au mandarin et de se rendre à Shanghaï, plutôt que dans la "vieille Europe". Dans la version doublée en français, le jeune Joe apprend... l'italien et envisage de se rendre à Florence (ville dont le nom a l'immense avantage de faire bouger les lèvres d'une manière assez proche de celles qui prononcent "France")...

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lundi, 19 novembre 2012

Une Famille respectable

  Un prof entre deux âges, parti jadis faire ses études à l'étranger, revient donner des cours dans une fac iranienne, celle de Chiraz, située assez loin de Téhéran :

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  On sent qu'il n'est pas un chaud partisan du régime des mollahs... mais il doit prendre des précautions. Son père, qui a jadis répudié sa mère pour se mettre en ménage avec une autre femme, dont il a eu un autre fils, cherche à le voir.

   Le héros évolue entre son demi-frère (avec lequel il était fâché), son neveu (si serviable, et dont la mère... est l'ancienne amoureuse du héros !), ses étudiants et sa mère. Celle-ci, recluse mais apaisée, ne veut plus entendre parler du passé, et surtout pas toucher le moindre argent du mari indélicat, même par héritage interposé. Et pourtant... une véritable fortune est en jeu. Du coup, dans ce régime hyper-moralisateur, l'art de la dissimulation est poussé à un haut degré.

   Des retours en arrière sont chargés de nous rappeler les contentieux du passé. Mais, comme le pays, les gens ont changé depuis. Le héros ne le comprend pas... et réalise trop tard qu'il est tombé dans un traquenard.

   Faites très attention à la séquence du début, tournée en partie en caméra subjective. Elle est située dans le troisième quart de l'histoire. La suite est en fait l'explication des circonstances qui ont abouti à un enlèvement.  On savoure la complexité de l'intrigue, digne d'un polar occidental.

   La réalisation est sobre. C'est au niveau du montage qu'un gros travail a été fait. On sent qu'il a fallu déployer beaucoup d'habileté pour contourner la censure iranienne. Le spectateur attentif y lira une critique acerbe du régime des mollahs, à travers notamment le cas des jeunes hommes envoyés à une mort certaine lors de la guerre contre l'Irak. On pourrait dire aussi beaucoup de choses de cette gamine ravissante devenue une mère complexée, obsédée par la pureté.

   Si vous avez aimé Une Séparation ou encore Les Chats persans (réalisés par d'autres talentueux cinéastes), vous pouvez vous laisser tenter par ce film au titre en forme d'antiphrase.

samedi, 17 novembre 2012

Le Jour des corneilles

   C'est un (superbe) dessin animé français, qui puise à la fois dans la tradition du conte à l'européenne et dans l'imaginaire de créateurs comme Hayao Miyazaki. L'animation est le résultat du travail d'une équipe franco-belbo-luxembourgo-canadienne.

   L'histoire commence un soir d'orage. Un géant porte un enfant, qu'il se dépêche de cacher dans la forêt. (Cela nous vaut une première scène virtuose, dans un terrier, avec le bébé qui tente de téter une sorte de grosse belette ou de femelle castor.) L'enfant est ensuite récupéré par le géant, qui va l'élever à la dure... lui interdisant de sortir de la forêt, sous peine de disparaître pour toujours.

   Mais... le gamin est curieux... et son père va avoir un accident. A partir de là, l'histoire s'emballe.

   Le titre n'est peut-être pas très bien choisi : les corneilles n'interviennent que dans la deuxième partie du film. Mais elles vont jouer un rôle dans la relation entre le garçon et Manon, la fille du médecin (à qui Claude Chabrol a prêté sa voix, peu de temps avant de mourir).

   Pour moi, ce sont les deux morceaux du film qui se déroulent dans la forêt qui sont les plus réussis. Un grand soin a été apporté au paysage végétal, ainsi qu'aux mouvements des personnages, notamment des animaux. Il y a donc le début, avec la vie autarcique du géant et du garçon. La scène de chasse est brillante. Moins clinquantes, mais magnifiques visuellement, sont les scènes qui voient le garçon dialoguer avec d'étranges personnages, à corps humain tête d'animal. Il rencontre un chat forestier, une biche, un crapaud... Le mystère ne sera expliqué que dans le dernier quart du film.

   Le passage par le village est l'occasion de stigmatiser la bêtise d'une partie des habitants. On en apprend un peu plus sur le passé du géant. C'est surtout le lieu de la rencontre entre le garçon et Manon. Tout ce petit monde va se retrouver dans la maison du médecin, l'hôpital n'étant pas adapté au séjour d'un géant récalcitrant !

   Le retour dans la forêt va donner la clé de l'énigme aux spectateurs qui n'auraient pas encore deviné. On aboutit à une séquence magnifique, dans un recoin secret, avec ce superbe personnage muet de la femme-biche. Mais l'orage approche. Une dernière transformation va faire rebondir l'histoire...

   P.S.

   Le site internet mérite vraiment le détour.

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jeudi, 08 novembre 2012

Skyfall

   Il faut attendre un petit moment avant de comprendre ce que désigne le titre : le manoir familial des Bond, censé se trouver en Ecosse (petit clin d'œil à Sean Connery). On en a une prévision dans le générique de début, un bon clip vidéo (sur la chanson d'Adele) qui brasse fantasmes du héros, événements passés et projections dans le futur de l'histoire.

   Et c'est parti pour 2h25 d'action et de glamour, avec quelques pincées d'humour. La première séquence, tournée en Turquie (notamment à Istanbul) est un pur moment de bonheur. J'ai trouvé la poursuite en moto encore meilleure que celle mise en scène par Spielberg dans Tintin et le secret de la Licorne. Plus loin dans le film lui répondent les péripéties dans les sous-sols de Londres. Entre les deux, j'ai été marqué par l'assassinat du notable chinois (et les retrouvailles de Bond et du tueur à gages), dans cet immeuble aux parois vitrées. C'est moins spectaculaire que les deux séquences dont je viens de parler, mais on sent qu'il y a eu un gros travail de mise en scène et de gestion des reflets.

   Au niveau du casting, c'est tip-top. Daniel Craig est une version moderne de Sean Connery très convaincante. Face à lui, Javier Bardem est épatant en méchant blond à la sexualité interlope... ce qui interroge d'ailleurs celle de son adversaire ! Maiiiiiiiiiiiiiiiiis noooooooooon, James est un hétéro sévèrement burné, inconsolable de la perte de son aimée dans Casino Royale (incarnée il est vrai par la superbe Eva Green).

   Que les fans tradis se rassurent : les scénaristes ont mis dans les pattes de James une brochette de dames bien gaulées et pas farouches, de la compagne cachée du héros dans sa retraite asiatique à sa collègue du MI6 (incarnée par Naomie Harris, la nouvelle Halle Berry ?) en passant par la sulfureuse Frenchie Bérénice Marlohe, qui, lors de la séquence se déroulant dans un casino de Macao, porte une robe de chez robe :

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   Côté gonzesses, Judi Dench ("M") est aussi épatante, même si elle a plus de rides.

   Les autres personnages masculins sont un peu étouffés par le duo Craig-Bardem. Signalons toutefois l'apparition d'un nouveau "Q", un geek un peu trop sûr de lui (Ben Whishaw) et l'introduction d'un parlementaire (incarné par Ralph Fiennes) destiné à un grand avenir.

   L'accumulation des qualités rend le spectateur indulgent pour les quelques défauts. On nous ment quand on nous fait croire que le bateau emporte Bond et sa nouvelle conquête de Macao vers une île chinoise : en réalité, la séquence suivante a été (en partie) tournée au Japon, à proximité de Nagasaki, sur l'île d'Hashima :

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   De plus, le méchant est un peu trop machiavélique, il a tout prévu et organisé des mois à l'avance. Comme lorsque Bond évite (presque) toutes les balles, on est au bord de la vraisemblance. Mais ne boudons pas notre plaisir et, calé dans un bon fauteuil, dans une grande salle, profitons du spectacle.

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lundi, 05 novembre 2012

La Pirogue

   C'est un film sénégalais, dont l'intrigue tourne autour de l'émigration vers l'Europe. Francophonie oblige, il est question de la France comme destination, même si une partie des passagers vise l'Espagne. Leur objectif est d'ailleurs d'atteindre d'abord les Canaries, dépendance espagnole située dans l'océan Atlantique :

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   On est cueilli dès le départ par un combat de lutteurs, de sa préparation à ses conséquences, en passant par l'affrontement, très bref finalement.

   Le réalisateur brosse un portrait bigarré des Africains, ici Sénégalais et Guinéens, appartenant à diverses ethnies. Les tensions naissent plutôt entre les générations, ou entre les "traditionnels" (plutôt enclins à rester au pays) et les "modernes" (fascinés par l'Occident, qui pensent que l'herbe sera plus verte pour eux "là-bas", en Europe). On mesure l'écart entre le mode de vie traditionnel et ce que les gens perçoivent de la société de consommation. On remarque la place inférieure qui est en général laissée aux femmes (mais l'une d'entre elles va bousculer les certitudes trop bien ancrées).

   Mais pour atteindre les Canaries vivants, les passeurs (et leurs passagers) ont besoin d'un bon pilote. Un pêcheur, réticent au départ, va jouer ce rôle, plutôt dans l'objectif de veiller sur deux jeunes qui sont du voyage.

   La deuxième partie du film décrit le périple de l'équipage, ses rencontres, ses tensions, avec notamment le cas de cet homme (très attaché à sa poule) qui n'avait jamais vu la mer et qui empêche tout le monde de dormir. La réussite, au niveau de la mise en scène, est d'avoir transformé ce bateau en théâtre d'un formidable huis-clos.

   Vont-ils arriver à bon port ? Combien vont rester en vie ? Je vous laisse le soin de le découvrir.

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vendredi, 02 novembre 2012

Frankenweenie

   Tim Burton revient à ses premières amours, un court-métrage sorti en 1984 (et déjà produit par Disney), revu et corrigé en film d'animation, dont le style et l'ambiance ne sont pas sans rappeler d'autres œuvres du maître : L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Les Noces Funèbres, mais aussi Beetlejuice, Edward aux mains d'argent et Sleepy Hollow. Comme certains critiques l'ont relevé, Tim Burton pratique l'autocitation. Il rend aussi hommage aux films d'épouvante qui ont marqué sa jeunesse, comme Frankenstein ou Godzilla. (Il fait aussi référence à des œuvres plus récentes, comme Critters par exemple.)

   C'est un (nouveau) superbe noir et blanc, dont les personnages principaux (des enfants) évoquent le style "gothique" auquel on a eu un peu trop tendance à résumer Tim Burton. On est surtout loin des Blancs blonds et bronzés, emblèmes des WASP.

   C'est visible par les grands, les ados pas cons... et les (pas trop) petits qui ont déjà vu (et apprécié) du Burton. (Dans la salle où je me trouvais, un papa avait emmené son fils de 5-6 ans. Le gamin a suivi tout le film sans pratiquement jamais broncher.)

   Le héros est un chien, Sparky, une sorte de bull terrier. Vivant comme ressuscité, il est moche, mais il a un je-ne-sais-quoi qui le rend très attachant. C'est l'une des réussites de ce film que d'avoir donné vie ce personnage. Son maître est un garçon introverti (double de Burton), qui va jouer à l'apprenti-sorcier. On goûtera le tableau familial, très années 1950, avec femme au foyer.

   La petite ville est peuplée d'adultes perçus comme plutôt menaçants (alors que ce sont tous des "gens biens", selon les critères de la morale dominante). Se distingue le maire, maniaque de son jardin (des fleurs surtout). Sa fille est une amie de Victor... et son caniche femelle va s'enticher de Sparky.

   Au portrait d'une banlieue aisée se superpose une tranche de vie scolaire. Les gamins ont l'air de s'ennuyer ferme, en général, et ils sont très durs les uns envers les autres. Seul le professeur de sciences sort de l'ordinaire. Le concours de projets va mettre le feu aux poudres.

    Cela se conclut lors de la fête de la Hollande. Les monstres ressuscités par les enfants (sauf Sparky) se déchaînent et il faudra bien des efforts à nos héros pour en venir à bout. Notons que la toute fin est optimiste.

   A ceux qui trouveraient que l'ambiance risque d'être lugubre, je répondrais que le réalisateur a parsemé son film de pointes d'humour potache, comme la scène qui voit un bébé hurleur se faire enfourner par sa maman la tétine (tombée par terre) que vient de lécher Sparky. J'ai aussi aimé les cacas alphabétiques du chat de l'une des gamines, ainsi que l'explosion des singes fouteurs de merde.

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jeudi, 01 novembre 2012

Traviata et nous

   C'est un documentaire, étrange, qui narre la genèse d'un opéra, La Traviata (de Verdi), tel qu'il a été représenté à Aix-en-Provence, en 2011.

   Je précise tout de suite que je ne suis pas un fan d'art lyrique. Je n'ai même jamais assisté à une représentation. Je n'en ai jamais vu qu'à la télévision... et j'imagine combien les effets étaient atténués.

   Les non-initiés seront d'abord surpris de voir répéter les artistes "en civil", en blue jeans, baskets voire nus-pieds. Une fois que les codes de base sont maîtrisés, que la mise en scène est fixée, on les retrouve en costumes (avec plusieurs versions).

   Le metteur en scène est justement l'un des "personnages" du film. Jean-François Sivadier (que l'on voit avec deux paires de lunettes différentes... aurait-il cassé les premières ?) fait rire par sa maîtrise approximative de l'anglais ; il étonne par ses choix mais, quand on les voit appliqués, on se rend compte de leur pertinence. Et, comme l'on a eu l'obligeance de sous-titrer (y compris les parties chantées), le non-initié comprend tout ! L'opéra n'est plus uniquement cette performance de voix exceptionnelles. C'est aussi du théâtre.

   On découvre donc les voix, au travail. Comme cela se passe lors des répétitions, les artistes ne se donnent pas à fond... Ils sont pourtant impressionnants. Le film se concentre bien entendu sur Natalie Dessay, la célèbre soprano (qui possède un site internet). Cela ne se justifie pas uniquement en raison de son talent (dont un aperçu est visible ici). Elle a une forte personnalité, de l'humour, ce qui transparaît dans le film. (Pour la découvrir, je recommande l'émission Eclectik, dont elle fut invitée le 21 octobre dernier.) Le contraste est même saisissant entre la chanteuse, plutôt expansive, et le metteur en scène, plutôt dans la retenue. Mais le courant passe.

   Concernant les autres chanteurs, j'ai remarqué qu'en plus d'avoir une belle voix, ceux qui incarnent les personnages principaux sont d'un physique agréable. Un spectateur attentif remarquera que les choeurs sont composés de personnes au physique plus disgracieux ou de jeunes chanteurs. En tout cas, il ressort des scènes où ils interviennent qu'ils ont du talent. On peut faire la même remarque à propos des musiciens, capables de s'adapter rapidement aux exigences du chef d'orchestre, Louis Langrée. Ce Français, dont l'anglais est plus sûr que celui du metteur en scène, a vraiment le physique de l'emploi ! ;)

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   J'ai aussi aimé le passage qui met en valeur la pianiste (qui chante très bien). De manière générale, le film ne laisse pas à l'écart les "petites mains" du spectacle. La première scène leur est même consacrée.

   Concernant le jeu, j'ai trouvé que c'est avec celui qui incarne Giorgio Germont (le père) que Natalie Dessay "fonctionne" le mieux (pour le peu qu'on en voit). Il semble qu'il ait fallu davantage travailler la relation amoureuse entre Violetta et Alfredo.

   Résultat ? Le documentaire donne envie de voir l'opéra.

   Mission accomplie ?

mercredi, 31 octobre 2012

César doit mourir

   Deux papys du cinéma italien, les frères Taviani, ont choisi de se renouveler en passant au documentaire carcéral. Les voici donc dans une prison italienne de haute sécurité, située près de Rome. Y sont incarcérés des durs de durs, des assassins, certains de la Mafia ou de la Camorra. Un dramaturge tente d'y promouvoir le théâtre. Les cinéastes proposent d'adapter une pièce de Shakespeare, Jules César.

   Le film commence par la scène finale, où un oeil exercé aura bien du mal à deviner que la représentation a lieu en prison. Puis, l'on passe au noir et blanc et au récit de l'aventure qui a conduit à ce petit exploit.

   Cela commence par la sélection des comédiens, des détenus, qui vont se révéler en général très bons acteurs. Le film ne rend malheureusement que partiellement compte du travail qu'ils ont dû fournir pour en arriver là.

   L'essentiel de l'action est composée des répétitions, qui ont lieu en différents endroits de la prison, à cause des travaux dans la salle de spectacle. Ces hommes jouent avec leurs tripes et se rendent compte que l'auteur élisabethain avait bien saisi l'âme humaine, celle du XVIIe siècle, bien sûr, mais aussi celle du XXIe. Le noir et blanc renforce l'impression d'interpénétration des époques. A certains moments, on ne sait plus si les détenus jouent la pièce ou leur vie.

   Notons que c'est parfois assez drôle. Certains des acteurs ont de fortes personnalités ; ce sont de "bons clients" pour une caméra. La situation peut être cocasse, comme lorsque le metteur en scène demande à chacun de s'exprimer dans son dialecte et que l'un des détenus prend la peine de préciser que tel mot est le même qu'en italien ! (Un autre demande si ce n'est pas trop grave s'il ne parle aucun dialecte !)

   Pour les besoins du film, certaines scènes ont été rejouées, comme la dispute (qui a vraiment eu lieu) ou les réflexions des gardiens, subitement passionnés par la pièce (en particulier l'attitude de Marc-Antoine, qui semble bien vite s'accommoder de l'assassinat de son mentor César). C'est plus évident à la toute fin, quand l'un des prisonniers en vient à reprocher aux cinéastes de lui avoir trop ouvert l'esprit. Tout est vrai, mais on a préféré (on a dû ?) en passer par la réécriture.

   Cela n'enlève qu'un peu de mérite à un film passionnant et vibrant.

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mardi, 30 octobre 2012

God Bless America

   Non, non, non, je ne suis pas tombé dans l'américanophilie béate, à l'image de certains de nos hommes politiques et de leurs alliés commentateurs patentés. Je suis tout simplement allé voir l'un des films les plus jouissifs de l'année.

   Le héros est un antihéros. On vient de lui diagnostiquer un cancer. Sa femme (qu'il semble aimer encore) l'a quitté et il voit petit à petit sa fille s'éloigner de lui... et devenir une petite garce capricieuse. Au boulot, ça se dégrade, d'autant plus qu'il ne supporte pas les conversations de ses collègues, dont le temps de cerveau disponible est consacré à écouter des radios populistes et à regarder des émissions débiles à la télévision. Si vous ajoutez à cela des voisins franchement crétins, qui lui pourrissent la vie, vous comprendrez que le gars, au bout d'un moment "pète les plombs".

   Le réalisateur nous dresse donc le portrait uniquement à charge d'une Amérique décadente, où l'intelligence est ringardisée par le clinquant, où le civisme est étouffé par l'égocentrisme et la volonté d'humilier. (La petite futée du fond qui dit que la France a furieusement tendance à se rapprocher de cette image idyllique a toute ma considération.)

   Au départ, Frank (incarné avec talent par Joel Murray... oui, le frère de Bill) n'ose pas passer à l'acte. Cela nous vaut deux belles scènes fantasmées, l'une d'entre elle étant la plus "gore" du film... et celle qui respecte le moins de tabous. (Il est question d'un enfant... gémissements indignés dans la salle !)

   Un événement se produit qui lui fait franchir le pas. Et, à partir de là, ça va chier ! Ah oui, j'avais oublié de préciser : une scène de boîte à chaussures nous fait comprendre que Frank a un passé militaire (il a même été décoré) ; je penche pour la Guerre du Golfe (celle de 1990-1991). Figurez-vous que le gars est un excellent tireur.

   Après, c'est du pur bonheur. Notre justicier va s'en prendre aux "vedettes" de la télé-réalité (et aux parents putassiers de l'une d'entre elles), aux intégristes chrétiens, aux ultralibéraux... bref à une brochette de gens éminemment sympathiques. Il va être aidé en cela par une adolescente en rupture (Tara Lynnne Barr, excellente). Un lien très spécial se noue entre les deux inadaptés, mais chacun cache quelque chose à l'autre.

   L'humour est évidemment présent dans les scènes de "dézingage"... pas forcément à la gloire du tueur, qui n'arrive pas à faire exploser la voiture de la greluche de télé-réalité et dont l'arme s'enraye un peu plus tard... Heureusement que son "assistante" veille au grain !

   Pour le cinéphile que je suis, l'un des meilleurs moments voit le duo régler son compte à un groupe de djeunses arrogants et mal élevés, dans un cinéma qui projette un documentaire sur la guerre du Vietnam. Aaaaaaaaaaaaaaaah, que c'est bon de voir s'écrouler ces triples cons qu'on rencontre parfois en salle, ces abrutis qui imposent leurs commentaires pendant le film, quand ils ne bouffent pas bruyamment (et salement : il suffit de voir l'état de la rangée après leur passage...), ces décérébrés incapables de passer deux heures sans allumer leur téléphone portable !

   Bref, j'ai kiffé à donf', même si je suis conscient des limites du film. Le héros ne voit pas d'autre solution que le meurtre (mais uniquement de personnes "qui méritent de mourir", dit-il). Il est de plus opposé au contrôle des armes. Mais on passe un sacré bon moment !

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lundi, 29 octobre 2012

Insensibles

   Ce film espagnol, signé Juan Carlos Medina (associé à Luis Berdejo, l'un des créateurs de [Rec], pour le scénario), confronte deux époques, la nôtre, qui voit un brillant chirurgien quinquagénaire découvrir sa maladie à l'occasion d'un accident de la route, et la période franquiste (de la guerre d'Espagne aux années 1960), durant laquelle on suit principalement des enfants.

   On ne peut pas s'empêcher de penser à d'autres (très) bons films de genre, dont l'intrigue puise dans cette époque tragique : Le Labyrinthe de Pan (moins réussi que celui-ci au niveau du scénario), Balada triste (apparenté aussi par la réflexion sur la violence et la déshumanisation) et Pain noir (qui témoigne du même souci de tracer un portrait social nuancé de l'époque). Sans en dire trop à propos de l'intrigue, je peux ajouter que l'histoire n'est pas sans rappeler l'excellent Incendies. Le film espagnol est toutefois plus optimiste que le libanais, peut-être parce que dans l'un des cas, le lourd passé est en passe d'être digéré, alors qu'au Liban, les blessures sont encore vives et le conflit pas enterré.

   Mais revenons à Insensibles.

   La partie contemporaine de l'histoire est à la fois un polar (une enquête) et un mélo. Le héros cherche à découvrir qui sont ses parents biologiques... et va aussi apprendre qui était jadis celui qui est son père officiel. C'est maîtrisé, émouvant parfois.

   La partie "ancienne" est la plus belle à voir. Les couleurs sont magnifiques et le site de l'orphelinat-prison est à couper le souffle. S'ajoute à cela l'espèce de malédiction qui pèse sur ces enfants, dont on suit le parcours. Adultes comme jeunes jouent très bien. Les effets spéciaux sont dosés et pertinemment utilisés. L'histoire est vraiment très travaillée. (Cela mériterait l'oscar du scénario, à mon avis.) Les intrigues s'entremêlent. (On a même réussi à insérer de petites histoires dans l'histoire, comme celle du  chiot malade qui va être un facteur d'accélération de l'action.)

   On s'attache à certains personnages. On les voit évoluer et l'on se demande qui peut être le père et qui peut être la mère. On notera la volonté de ne pas bâtir des personnages d'une seule pièce. Attention aussi aux âmes sensibles : certaines scènes (brèves) sont sanglantes.

   On nous ménage des surprises jusqu'à la séquence finale, de toute beauté.

   Je suis sorti de là assez remué... et ravi d'avoir vu un tel chef-d'oeuvre !

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